Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2017] 3 R.C.F. 428

IMM-3428-16

IMM-913-16

IMM-1378-16

IMM-3026-16

IMM-3861-16

2016 CF 1199

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (demandeur)

c.

Jacob Damiany Lunyamila (défendeur)

Répertorié : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila

Cour fédérale, juge en chef Crampton—Vancouver, 12 octobre; Ottawa, 27 octobre 2016.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Détention et mise en liberté — Demandes réunies de contrôle judiciaire à l’encontre de décisions de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié portant sur les motifs de détention et ayant pour effet de remettre le défendeur en liberté — Les demandes soulevaient la question fondamentale de savoir comment trancher entre le refus de collaborer d’un détenu en matière d’immigration faisant l’objet d’une mesure de renvoi du Canada valide et la durée de la détention et l’incertitude concernant la durée de la détention future qui découle en tout ou en partie de ce refus — Le défendeur, un citoyen du Rwanda, a obtenu le statut de réfugié au Canada — Il a fait l’objet de nombreuses condamnations depuis son arrivée au Canada — Il a été jugé interdit de territoire pour cause de criminalité en vertu de l’art. 36(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, puis a fait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada — Il a également été jugé qu’il constituait un danger pour le public en application de l’art. 115(2)a) — Le défendeur est essentiellement détenu depuis 2013 parce qu’il constitue un danger pour le public et présente un risque de fuite — Par contre, le défendeur a été libéré sous conditions en janvier et en février 2016 par un commissaire de la SI, en particulier parce que la perspective de son renvoi était devenue spéculative et toute poursuite de la détention était devenue déraisonnable — La Cour fédérale a accueilli les demandes de contrôle judiciaire relativement aux deux décisions du commissaire de la SI — Il s’agissait de savoir si les décisions portant sur le contrôle des motifs de détention qui faisaient l’objet d’un contrôle dans le cadre des demandes réunies étaient raisonnables et si les conditions énoncées dans ces décisions étaient elles aussi raisonnables — En général, les décisions portant sur le contrôle des motifs de détention en cause étaient déraisonnables parce qu’elles étaient fondées sur une conclusion précipitée et spéculative selon laquelle la détention du défendeur était indéfinie et que les critères énoncés à l’art. 248 du Règlement, y compris qu’il représente un danger pour le public ou un risque de fuite n’ont pas été pris en considération adéquatement — Le fait de permettre à quelqu’un dans ces circonstances de prendre la position selon laquelle il devrait être libéré au motif que sa détention est devenue indéfinie reviendrait effectivement à permettre à cette personne de faire échec à la volonté du législateur et, essentiellement, de se faire justice soi-même — Cela nuirait à l’intégrité de nos lois en matière d’immigration et minerait la confiance du public envers la primauté du droit — Le régime de la Loi et du Règlement prévoit que les personnes qui représentent un danger pour le public ou un risque de fuite et qui ne coopèrent pas aux efforts du demandeur pour les renvoyer du pays doivent, sauf dans des circonstances exceptionnelles, demeurer incarcérées jusqu’à ce qu’elles collaborent à leur renvoi — De plus, en général, les conditions de libération imposées au défendeur dans les décisions faisant l’objet du contrôle n’étaient pas raisonnables non plus puisqu’elles ne réduisaient pas suffisamment les risques précisés — La divergence apparente dans la jurisprudence liée à la question de la durée de la détention a été abordée — Les deux courants de jurisprudence en question sont compatibles dans la mesure où ils prévoient qu’il est erroné de mettre l’accent uniquement sur un facteur — Les décisions de la SI n’étaient pas justifiées ni défendables en droit et ont été annulées — Une question a été certifiée — Demandes accueillies.

Droit constitutionnel — Charte des droits — La Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a libéré le défendeur au motif que la détention indéfinie irait à l’encontre de plusieurs articles de la Charte canadienne des droits et libertés (art. 7, 9, 12, 15) — Dans la mesure où la SI s’est fondée en particulier sur sa constatation relative à la détention indéfinie pour en arriver à sa conclusion concernant la violation des droits du défendeur garantis par la Charte, cette conclusion était déraisonnable — La SI a également commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la Charte l’empêchait d’imposer des conditions pour réduire le risque que le défendeur représente pour le public — Tant qu’il existe un processus significatif de contrôle continu permettant de réviser les conditions de sa mise en liberté, en particulier dans les circonstances de l’espèce, la Charte n’empêche pas la SI d’imposer de telles conditions.

Il s’agissait de demandes réunies de contrôle judiciaire à l’encontre de décisions de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de remettre le défendeur en liberté. Les demandes soulevaient la question fondamentale de savoir comment trancher entre le refus de collaborer d’un détenu en matière d’immigration faisant l’objet d’une mesure de renvoi valide du Canada et la durée de la détention et l’incertitude concernant la durée de la détention future qui découle en tout ou en partie de ce refus.

Le défendeur affirme être un citoyen du Rwanda et avoir obtenu le statut de réfugié au Canada en 1996. Depuis son arrivée au Canada, il a apparemment eu 389 confrontations avec la police, qui ont donné lieu à 95 accusations au criminel et à 54 condamnations, dont certaines visaient des actes de violence et des agressions sexuelles. En août 2012, un commissaire de la SI a pris une mesure de renvoi contre le défendeur après avoir conclu qu’il était interdit de territoire pour cause de criminalité en vertu de l’alinéa 36(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Plus tard, un délégué du ministre demandeur a émis, en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi, un avis selon lequel le défendeur constituait un danger pour le public au Canada. Le défendeur a d’abord été placé en détention en juin 2013, puis a été libéré brièvement en septembre 2013. Il a toutefois été arrêté de nouveau quelques jours après avoir violé l’une des conditions de sa mise en liberté, et est détenu depuis ce temps. Depuis janvier 2016, la détention du défendeur a été maintenue à chacun des contrôles réguliers des motifs de détention après 30 jours parce qu’il constitue un danger pour le public et présente un risque de fuite. Dans la plupart de ces décisions, un poids considérable a apparemment été accordé au fait qu’il ne collaborait pas avec les autorités rwandaises, lesquelles voulaient qu’il signe une déclaration sur l’acquisition de documents de voyage. Cependant, en janvier et en février 2016, un commissaire de la SI a mis le défendeur en liberté sous certaines conditions après s’être rendu compte qu’il n’avait pas eu de pièce d’identité du Rwanda depuis son arrivée au Canada. Ce commissaire de la SI a conclu qu’étant donné les circonstances du défendeur, la perspective de son renvoi était devenue spéculative et toute poursuite de la détention était devenue déraisonnable. Le commissaire de la SI a également imposé certaines conditions de mise en liberté. La Cour fédérale a accueilli les demandes de contrôle judiciaire du demandeur relativement aux deux décisions du commissaire de la SI après avoir conclu que ces décisions étaient déraisonnables, et a aussi certifié une question concernant la légalité de la décision du commissaire de la SI de libérer le défendeur.

Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi, la SI doit prononcer la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger détenu, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de certains faits le concernant, notamment que le détenu constitue un danger pour la sécurité publique; qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle ou à l’enquête, etc.; que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée, mais peut l’être; et qu’il n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant des renseignements utiles à cette fin. En outre, lorsqu’il est déterminé qu’il existe des motifs de détention, la SI doit prendre en considération les critères énumérés à l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui incluent le motif de la détention et la durée de celle-ci.

Il s’agissait de savoir si les décisions portant sur le contrôle des motifs de détention qui faisaient l’objet d’un contrôle dans le cadre des cinq demandes en l’espèce étaient raisonnables et si les conditions énoncées dans ces décisions étaient elles aussi raisonnables.

Jugement : les demandes doivent être accueillies.

Dans la demande IMM-913-16, il a été décidé de libérer le défendeur parce que le commissaire de la SI a jugé que sa détention était devenue indéfinie étant donné la difficulté d’obtenir des pièces d’identité du Rwanda. Ce commissaire a alors conclu que la détention indéfinie irait à l’encontre de plusieurs articles de la Charte canadienne des droits et libertés, y compris des articles 7, 9, 12 et 15. Cette décision de libérer le défendeur était toutefois déraisonnable, car elle était fondée sur une conclusion précipitée et spéculative selon laquelle sa détention était indéfinie et que les critères énoncés à l’article 248 du Règlement, y compris le manque de coopération du défendeur, n’ont pas été pris en considération adéquatement. Étant donné le danger que le défendeur représente pour le public et le risque de fuite, le commissaire aurait dû prendre en considération les étapes que le défendeur aurait pu raisonnablement prendre pour obtenir des pièces d’identité délivrées par le gouvernement du Rwanda. Le commissaire aurait également dû évaluer si l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pouvait obtenir une réponse définitive à la question de savoir s’il était possible de passer outre à l’absence de pièce d’identité du défendeur s’il coopérait en signant les documents requis par le Rwanda. L’omission du commissaire d’analyser ces questions a entraîné la prise d’une décision qui n’était pas adéquatement justifiée ou défendable en droit, particulièrement étant donné que le défendeur a une obligation de collaborer à son renvoi. Dans la mesure où le commissaire s’est fondé sur sa constatation relative à la détention indéfinie pour en arriver à sa conclusion concernant la violation des droits du défendeur garantis par la Charte, cette conclusion était également déraisonnable. Ce commissaire a aussi commis une erreur lorsqu’il a conclu que la Charte l’empêchait d’imposer des conditions pour réduire le risque que le défendeur représente pour le public. Tant qu’il existe un processus significatif de contrôle continu permettant de réviser les conditions de sa mise en liberté, eu égard au contexte évolutif et aux circonstances de ce cas particulier, la Charte n’empêche pas la SI d’imposer de telles conditions. Par conséquent, la décision du commissaire était déraisonnable parce qu’elle ne faisait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

En ce qui a trait à la décision portant sur le contrôle des motifs de détention en question dans le dossier IMM-1378-16, le commissaire a conclu que le défendeur représentait un danger pour le public et un risque de fuite. Toutefois, il a conclu que la détention du défendeur était devenue indéfinie et que cela portait atteinte aux droits garantis à l’article 7 de la Charte et donc, que le défendeur devait être libéré. Cette décision du commissaire était déraisonnable pour bon nombre des mêmes raisons que dans la décision précédente (IMM-913-16). En ce qui concerne les conditions imposées à la libération du défendeur, elles n’étaient pas raisonnables puisqu’elles ne réduisaient pas les risques précisés de manière significative. Bien qu’il soit très difficile d’éliminer complètement le danger que représente le défendeur, toute décision de libérer une personne représentant un tel risque devrait pratiquement éliminer ce risque, mais les conditions énoncées dans la décision de ce commissaire ont failli à faire ceci, rendant ainsi la décision déraisonnable.

Quant à la décision en cause dans le dossier IMM-3026-16, elle a été rendue par le même commissaire de la SI qui avait rendu la décision portant sur le contrôle des motifs de détention dans une affaire précédente (IMM-913-16). Cette décision antérieure a été adoptée dans son entièreté. Elle était déraisonnable pour les mêmes raisons mentionnées précédemment. En outre, le fait de permettre à quelqu’un dans ces circonstances de prendre la position selon laquelle il devrait être libéré au motif que sa détention est devenue indéfinie reviendrait effectivement à permettre à cette personne de faire échec à la volonté du législateur et, essentiellement, de se faire justice soi-même. Cela nuirait à l’intégrité de nos lois en matière d’immigration et minerait la confiance du public envers la primauté du droit. Le régime de la Loi et du Règlement prévoit que les personnes qui représentent un danger pour le public ou un risque de fuite et qui ne coopèrent pas aux efforts du demandeur pour les renvoyer du pays doivent, sauf dans des circonstances exceptionnelles, demeurer incarcérées jusqu’à ce qu’elles collaborent à leur renvoi. Des circonstances exceptionnelles seraient justifiées parce qu’il est habituellement très difficile de formuler des conditions de libération qui éliminent, ou qui éliminent pratiquement, le danger que la personne représente pour le public. De plus, les raisons données par ce commissaire pour rejeter la décision antérieure de l’autre commissaire de garder le défendeur en détention n’étaient ni convaincantes, ni raisonnables. Les conditions de libération étaient également manifestement déraisonnables.

Dans le dossier IMM-3428-16, la décision en cause a eu pour effet de libérer le défendeur après que le commissaire eut conclu que sa détention était devenue indéfinie et qu’il pouvait être libéré sous réserve de conditions qui réduisaient les risques qu’il représentait pour le public à un niveau tel que la détention n’était plus justifiée, particulièrement étant donné la durée de sa détention jusqu’à ce jour. De nombreuses erreurs ont été commises dans cette décision et cette dernière était déraisonnable pour plusieurs des raisons susmentionnées. Par ailleurs, les conditions imposées étaient déraisonnables, car elles n’atténuaient pas suffisamment le danger que le défendeur représentait pour le public ni ne réduisaient le risque de fuite à un niveau acceptable. Enfin, la remarque du commissaire selon laquelle il y avait une divergence dans la jurisprudence relative à la question de la durée de la détention a été abordée. Les deux courants de jurisprudence en question (le premier indique que la détention indéfinie ne peut être traitée comme un critère déterminant, alors que le deuxième accorde un poids considérable à la durée de la détention dans le processus général de pondération requis par l’article 248 du Règlement) sont compatibles dans la mesure où ils prévoient qu’il est erroné de mettre l’accent uniquement sur un seul critère. Il est également nécessaire d’examiner et de soupeser raisonnablement les autres critères énoncés à l’article 248 du Règlement concernant les circonstances particulières de l’affaire. Lorsque le détenu représente un danger pour le public, le régime de la Loi et du Règlement prévoit qu’un poids considérable doit être accordé au maintien du détenu en détention, encore plus lorsqu’il semble qu’aucune condition de libération permettant d’éliminer pratiquement tout le danger que le détenu représente pour le public sur une base quotidienne n’a été établie.

Enfin, dans le dossier IMM-3861-16, l’examen des critères énoncés à l’article 248 du Règlement et les conditions de libération précisées dans la décision en question [pages 41, 97] étaient aussi déraisonnables. Selon les circonstances de cette affaire, il était déraisonnable pour le commissaire d’attribuer un poids neutre au quatrième critère de l’article 248 du Règlement concernant les retards et le manque de diligence, qui aurait dû militer fortement en faveur de la poursuite de la détention du défendeur. Le fait de peser ce critère autrement dans ces circonstances en reviendrait à accorder au défendeur l’avantage de refuser de coopérer et compliquerait donc beaucoup les efforts de renvoi du demandeur, en plus de les prolonger. Quant aux conditions de libération, elles étaient déraisonnables parce qu’elles n’abordaient pas adéquatement les tendances violentes et le risque de fuite du défendeur. Étant donné les motifs de détention et la priorité élevée accordée à la sécurité publique dans la Loi, toute condition de libération aurait dû éliminer pratiquement et quotidiennement bon nombre des risques que le défendeur représente, mais elles ne satisfaisaient pas à la norme prescrite.

En conclusion, les cinq demandes réunies ont été accueillies et les décisions de la SI ont été annulées. La détention du défendeur a été maintenue pour une durée précise.

La question de savoir si une personne qui a été détenue en vue d’un renvoi du Canada en vertu d’une mesure de renvoi valide et qui a été jugée représenter un danger pour le public ou susceptible de ne pas se présenter pour son renvoi du Canada peut éviter une détention continue en i) refusant de prendre les mesures qui peuvent contribuer de façon significative à l’exécution de ce renvoi; ii) en se fondant sur la durée de sa détention pour affirmer que sa libération est justifiée, en supposant qu’il n’y a eu aucun changement important dans les autres critères à prendre en considération lors de l’évaluation prévue à l’article 248 du Règlement a été certifiée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 9, 12, 15.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)h),i),(2)g),h), 35(1)c), 36(1),(2), 48(2), 55(2), 57, 58(1),(2),(3), 64(1), 101(1)f), 112(3), 115(1),(2).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 230, 239, 244, 245, 246, 247, 248.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, IMM-1378-16, la juge Kane, ordonnance en date du 20 avril 2016 (C.F.); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, IMM-1378-16, la juge Kane, directives en date du 10 juin 2016 (C.F.); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2016 CF 880; Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214 (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sittampalam, 2004 CF 1756; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kamail, 2002 CFPI 381.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 876; Warssama c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1311; Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1012.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2016 CF 289; Shariff c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 640; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539; Panahi-Dargahlloo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1114; Walker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 392.

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, IMM-3428-16, le juge Diner, ordonnance en date du 23 août 2016 (C.F.); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Ismail, 2014 CF 390, [2015] 3 R.C.F. 53; Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 792; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Doe, 2011 CF 974; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Okwerom, 2015 CF 433; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B147, 2012 CF 655; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Hassan, 2012 CF 1357; Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669 (1re inst.), conf. par [1996] A.C.F. no 937 (C.A.) (QL), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1997] 2 R.C.S. v; R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Romans, 2005 CF 435.

DEMANDES de contrôle judiciaire à l’encontre de décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de remettre le défendeur en liberté. Demandes accueillies.

ONT COMPARU

Aman Sanghera pour le demandeur.

Robin D. Bajer pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Robin D. Bajer, Vancouver, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge en chef Crampton :

I.          Introduction

[1]        La question fondamentale soulevée par ces demandes est de savoir comment résoudre la tension entre, d’une part, un détenu aux fins de l’immigration qui refuse de coopérer à une ordonnance de renvoi du Canada rendue de manière valide et, d’autre part, la durée de la détention et l’incertitude concernant la durée de la détention future découlant, en totalité ou en partie, de ce refus.

[2]        À mon avis, lorsque ce refus constitue un obstacle aux mesures qui pourraient contribuer, de façon réaliste, à l’exécution du renvoi d’un détenu qui a été désigné comme un danger pour le public, la tension doit être résolue en faveur du maintien de la détention. Il en va de même lorsqu’on détermine qu’un détenu se soustraira vraisemblablement au renvoi du Canada.

[3]        S’il en était autrement, ce détenu pourrait simplement provoquer ou contribuer à provoquer une « impasse » dans le but d’obtenir sa libération de prison. C’est précisément ce que le défendeur dans ces demandes, M. Lunyamila, semble tenter de faire. S’il devait réussir, le public aurait à assumer une certaine part du risque posé par son comportement violent et dangereux. Le degré de risque que le public aurait à assumer dépend de la nature des conditions de sa mise en liberté. Toutefois, il y aurait probablement une part de risque non négligeable. De plus, si aucune contrainte importante ne pouvait être imposée à ce comportement en vertu de la loi, comme le pense au moins un des décideurs dont les décisions font l’objet d’un examen dans le cadre de ces demandes, le risque serait substantiel. À mon avis, cela serait contraire à l’esprit de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR [ou la Loi]). Il en va de même pour le risque posé par le fait qu’il se soustraira vraisemblablement à son renvoi ultime du Canada. D’en croire autrement lui permettrait de manipuler notre système juridique afin d’éviter l’exécution d’une ordonnance de renvoi rendue de manière valide.

[4]        Permettre à un détenu qui constitue un danger pour le public ou présente un « risque de fuite » de manipuler et de contrecarrer l’application de la loi, comme M. Lunyamila tente de le faire, reviendrait essentiellement à permettre au détenu de « se faire justice lui-même ». Cela nuirait à l’intégrité de nos lois en matière d’immigration et minerait la confiance du public envers la primauté du droit.

[5]        Le législateur ne peut pas avoir voulu que la liberté d’errer dans les rues du Canada et de se cacher pour éviter le renvoi vers son pays d’origine puisse être assurée de cette manière à des personnes qui représentent un danger pour le public canadien ou d’autres qui refusent de coopérer avec une ordonnance de renvoi rendue de manière valide.

[6]        Par conséquent, et pour les autres motifs établis ci-dessous, les cinq demandes soumises par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) sont accueillies. En bref, chacune des décisions de la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de libérer M. Lunyamila était déraisonnable. De plus, les conditions décrites dans ces décisions étaient déraisonnables puisqu’elles ne permettaient pas d’aborder de manière satisfaisante le danger ou le risque de fuite posé par M. Lunyamila. Ces décisions seront donc annulées.

II.         Contexte

[7]        M. Lunyamila prétend être citoyen du Rwanda. Il a obtenu le statut de réfugié au Canada en 1996.

[8]        Depuis son arrivée au pays, M. Lunyamila a eu apparemment 389 incidents avec la police. Ces incidents ont mené à 95 accusations criminelles et 54 condamnations. Dix de ces condamnations étaient pour des agressions, notamment pour avoir asséné un coup de poing au visage de son ancienne petite amie et pour avoir attaqué des civils innocents sans aucune provocation. Il a également été reconnu coupable d’agression sexuelle et d’avoir porté une arme dissimulée, en l’occurrence, une hache.

[9]        En août 2012, un membre de la SI a émis une ordonnance de renvoi de M. Lunyamila après avoir déterminé qu’il était interdit de territoire pour grande criminalité, conformément à l’alinéa 36(2)a) de la LIPR. Environ deux ans plus tard, après sa condamnation pour agression sexuelle, un représentant du ministre a émis un avis conformément à l’alinéa 115(2)a) selon lequel M. Lunyamila constituait un danger pour le public au Canada.

[10]      M. Lunyamila a été placé en détention pour la première fois en juin 2013. Il a été libéré brièvement en septembre 2013, mais a été arrêté de nouveau après avoir enfreint une des conditions de sa mise en liberté. Depuis, il demeure en détention.

[11]      Jusqu’en janvier de cette année, la détention de M. Lunyamila a été maintenue à chacun des contrôles des motifs de la détention, tenu tous les 30 jours, en raison du fait qu’il représente un danger pour le public et un risque de fuite. Dans chacune ou la plupart de ces décisions, un poids important a été accordé au fait qu’il refuse de coopérer avec les autorités rwandaises, qui exigent la signature d’une déclaration liée à l’acquisition de documents de voyage.

[12]      Toutefois, en janvier, puis une autre fois en février, le commissaire Nupponen, de la SI, a fait libérer M. Lunyamila sous certaines conditions, après avoir réalisé que celui-ci ne détenait pas de documents d’identité émis par le Rwanda depuis son arrivée au Canada. Le commissaire Nupponen a fait valoir que puisque les autorités rwandaises exigeaient généralement, à cette époque, des copies certifiées des documents d’identité émis par le gouvernement du Rwanda, ce que M. Lunyamila n’avait pas en sa possession, la perspective de son renvoi était maintenant hypothétique et le maintien de sa détention devenait déraisonnable. À cet égard, le commissaire Nupponen a fait valoir, dans sa décision de février, que [traduction] « même si vous refusez de coopérer avec le ministre relativement à son obligation de vous expulser, en raison de l’absence de documents d’identité à l’heure actuelle, votre expulsion devient une possibilité très distante, voire impossible » (dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 58).

[13]      En ordonnant la mise en liberté de M. Lunyamila, le commissaire a souligné que l’un des éléments déclencheurs des problèmes de M. Lunyamila par le passé était l’alcool. Par conséquent, l’une des deux conditions imposées était que M. Lunyamila ne devait pas consommer de drogues ou d’alcool et devait assister à des rencontres des Alcooliques anonymes. Toutefois, le commissaire Nupponen a choisi de ne pas imposer certaines des conditions qui ont été imposées par la commissaire King lorsqu’elle a fait libérer M. Lunyamila en 2013. Plus particulièrement, le commissaire Nupponen n’a pas exigé de M. Lunyamila [traduction] « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite » ou « de coopérer avec l’ASFC [Agence des services frontaliers du Canada] pour obtenir un titre de voyage ». Sur ce dernier point, le commissaire Nupponen a émis l’observation suivante : [traduction] « Vous avez clairement démontré qu’il n’est pas vraiment de votre ressort de respecter ces conditions et, de votre point de vue, je peux comprendre pourquoi vous pourriez refuser de le faire, si bien qu’il serait inapproprié pour moi d’inclure cette condition, puisqu’il ne fait aucun doute qu’elle serait enfreinte très rapidement, et je n’ai aucun désir de vous voir enfreindre des conditions qui, dans une perspective d’ensemble, ne sont pas nécessaires » (DCT, à la page 93).

[14]      Le juge Harrington a autorisé les demandes de contrôle judiciaire soumises par le ministre relativement aux deux décisions du commissaire Nupponen, après avoir déterminé que ces décisions étaient déraisonnables (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2016 CF 289 (Lunyamila)). Entre autres, le juge Harrington a fait observer qu’il était déraisonnable de la part du commissaire Nupponen de conclure que les récents accès de violence de M. Lunyamila en détention ne confirmaient ou ne démontraient pas le danger qu’il présente pour le public. Il a également fait valoir que « [r]ien dans le dossier n’étaye la thèse selon laquelle l’abstinence forcée conduira à la sobriété dans l’avenir, d’autant plus qu’il [M. Lunyamila] devait aller dans un foyer où il y avait de l’alcool » (Lunyamila, précitée, au paragraphe 10). En outre, le juge Harrington a indiqué que « rien dans le dossier n’étaye la proposition voulant qu’il se présente régulièrement à la police conformément aux conditions de sa mise en liberté » (Lunyamila, précitée, au paragraphe 11). À cet égard, le juge Harrington a formulé le commentaire suivant : « La mise en liberté de M. Lunyamila à la condition qu’il se présente régulièrement à la police n’est certainement pas justifiée par ses antécédents. Il a été condamné dix fois pour ne pas s’être présenté à la police » (Lunyamila, précitée, au paragraphe 15).

[15]      Tout en reconnaissant que les demandes du ministre auprès des autorités rwandaises n’avaient pas été assez fermes, le juge Harrington a observé que « la réparation ne consistait pas à libérer M. Lunyamila, mais plutôt à faire appel à l’ASFC pour obtenir une décision définitive d’une manière ou d’une autre quant à la question de savoir si l’absence de papiers d’identité pourrait être surmontée s’il venait à signer les demandes requises » (Lunyamila, précitée, au paragraphe 14).

[16]      Finalement, compte tenu du fait que le juge Shore a prononcé un sursis à une demande de contrôle judiciaire [traduction] « jusqu’à ce que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire fasse l’objet d’une décision sur le fond », le juge Harrington a certifié une question portant sur la légalité de la décision du commissaire Nupponen de libérer M. Lunyamila. Au passage, je note qu’une approche comparable à celle du juge Shore a été adoptée par le juge Diner en août de cette année (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila (23 août 2016), IMM-3428-16 (C.F.)). Toutefois, en avril et juillet, les juges Kane et Martineau ont clairement indiqué que les sursis prononcés relativement aux décisions de libérer le défendeur au cours de ces deux mois, respectivement, n’avaient pas pour but d’empêcher les contrôles des motifs de la détention effectués tous les 30 jours conformément au paragraphe 57(2) de la LIPR (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila (20 avril 2016), IMM-1378-16 (C.F.); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila (10 juin 2016), IMM-1378-16 (C.F.); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2016 CF 880). J’ai suivi cette approche dans le jugement joint.

III.        Dispositions législatives pertinentes

[17]      Conformément au paragraphe 58(1) de la LIPR, la SI est tenue de libérer un résident permanent ou un ressortissant étranger à moins d’être satisfaite de certains faits relatifs à la personne, après avoir pris en compte les facteurs prescrits. Trois des faits en question sont les suivants :

a)         le résident permanent ou le ressortissant étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

b)         le résident permanent ou le ressortissant étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, conformément au paragraphe 44(2);

[…]

d)         le ministre estime que l’identité du ressortissant étranger, autre qu’un étranger désigné qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause, n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit le ressortissant étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité du ressortissant étranger; ou

[18]      Conformément à l’article 244 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), les facteurs à prendre en compte pour déterminer si une personne présente un « risque de fuite », constitue un « danger pour le public » ou est un « étranger dont l’identité n’a pas été prouvée » sont énoncés aux articles 245, 246 et 247, respectivement. Compte tenu qu’aucun de ces facteurs n’était en litige dans les décisions qui font l’objet de ces demandes de contrôle judiciaire, ils ne sont pas examinés davantage dans ces motifs. Toutefois, pour des raisons pratiques, ils sont inclus à l’annexe 1, ci-dessous.

[19]      S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, la SI doit prendre en considération les facteurs indiqués à l’article 248, qui se lit comme suit :

Autres critères

248 S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

a) le motif de la détention;

b) la durée de la détention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

IV.       Norme de contrôle

[20]      Les décisions prises par la SI après l’examen de la détention effectué conformément au paragraphe 57(2) de la LIPR sont des décisions mixtes de fait et de droit. Les parties s’entendent sur le fait que ces décisions sont révisables par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 53; Shariff c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 640 (Shariff), au paragraphe 14; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Ismail, 2014 CF 390, [2015] 3 R.C.F. 53 (Ismail); Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 792 (Ahmed 1), au paragraphe 18).

[21]      Par conséquent, les décisions faisant l’objet d’un contrôle judiciaire seront maintenues à moins qu’elles n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Dans son examen, notre Cour déterminera si le processus et le résultat cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59).

V.        Analyse

A.        IMM-913-16

[22]      La décision faisant l’objet d’un contrôle dans la demande IMM-913-16 est une décision de la commissaire King datée du 1er mars 2016. Au moment où la décision a été prise, les éléments de preuve du dossier indiquaient qu’avant d’émettre les titres de voyage nécessaires à des personnes faisant l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire au Canada, le Haut-Commissariat du Rwanda demande généralement, entre autres choses, des copies certifiées de documents d’identité émis par le gouvernement du Rwanda (DCT, à la page 580).

[23]      Compte tenu que M. Lunyamila ne possède pas ce type de document depuis son arrivée au Canada après avoir sauté d’un bateau, la commissaire King a indiqué qu’il serait [traduction] « extrêmement improbable que ces documents puissent être obtenus ». Autrement dit, elle a souligné que M. Lunyamila [traduction] « ne peut aucunement accéder lui-même aux documents émis par le gouvernement rwandais ». En l’absence de preuve suggérant que le gouvernement rwandais renoncerait à exiger ces documents d’identité, elle a conclu [traduction] « qu’il n’y avait rien que [M. Lunyamila] puisse faire pour aider le gouvernement dans ses tentatives de l’expulser ». Sur la base de ces motifs, elle a conclu que toute demande pour maintenir sa détention revenait essentiellement à demander qu’il soit détenu indéfiniment, ce qui contrevient à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (Charte).

[24]      La commissaire King a ajouté, par le même motif, que cette demande contrevenait également à l’article 9 de la Charte, qui assure une protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraire, l’article 12, qui assure un droit d’être protégé contre les traitements ou peines cruels ou inusités, et l’article 15, qui assure à tous un droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[25]      Par conséquent, la commissaire King a conclu ainsi :

[traduction] M. Lunyamila doit être libéré de la détention aux fins de l’immigration, non pas parce qu’une solution de rechange à la détention ou d’autres conditions ont été trouvées qui permettraient d’atténuer son risque de récidive. Il doit être libéré, car maintenir sa détention dans les conditions actuelles ou même imposer certaines conditions dans une tentative de contrôler ses comportements criminels se ferait en violation de ses droits en vertu de la Charte

DCT, à la page 33.

[26]      Le ministre soutient que la décision de la commissaire King de libérer M. Lunyamila était déraisonnable puisqu’elle était fondée sur une conclusion abrupte et spéculative selon laquelle sa détention serait indéterminée, sans un examen utile des facteurs énoncés à l’article 248 du Règlement, notamment le refus de M. Lunyamila de coopérer.

[27]      Je suis aussi de cet avis. Sans procéder à cette analyse, la conclusion de la commissaire King selon laquelle la détention est devenue indéterminée était essentiellement fondée sur de simples allégations décrites au paragraphe 23, ci-dessus.

[28]      Compte tenu du danger pour le public et du « risque de fuite » que présente M. Lunyamila, la commissaire King aurait dû tenir compte des mesures raisonnables qu’aurait pu prendre M. Lunyamila pour obtenir des documents d’identité émis par le gouvernement du Rwanda. La commissaire King aurait également dû déterminer si l’ASFC était en mesure d’obtenir une réponse définitive à la question à savoir si l’absence de documents d’identité de M. Lunyamila pourrait être contournée s’il venait à signer la déclaration exigée par le Haut-Commissariat du Rwanda (Lunyamila, précitée, au paragraphe 14).

[29]      La négligence de la commissaire King de régler ces questions a mené à une décision qui n’était pas correctement justifiée au regard de la loi, particulièrement à la lumière de l’obligation de M. Lunyamila de coopérer dans le cadre de son ordonnance de renvoi, comme son avocat l’a admis lors de l’audience de la présente demande. Tant que ces questions n’avaient pas été abordées en profondeur, il était déraisonnable d’établir si la détention de M. Lunyamila était réellement devenue indéterminée.

[30]      Dans la mesure où la commissaire King se fondait sur sa conclusion relativement à la détention indéterminée pour tirer sa conclusion concernant la violation des droits de M. Lunyamila en vertu de la Charte, cette conclusion était également déraisonnable. En outre, avant de parvenir à une conclusion quant à l’interdépendance de la durée potentielle de la détention de M. Lunyamila et ses droits en vertu de l’article 7 de la Charte, la commissaire King se devait d’examiner et d’évaluer d’autres facteurs, notamment le danger que pose M. Lunyamila pour le public, son risque de fuite et son entêtement à ne pas coopérer avec les efforts du ministre dans le cadre de son renvoi (Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214 (1re inst.) (Sahin), aux pages 231 à 233). Elle aurait également dû tenir compte de l’interaction entre l’entêtement de M. Lunyamila à ne pas coopérer aux efforts du ministre pour le renvoyer du Canada, dans la mesure où ce refus a contribué à la durée de sa détention et à l’incertitude concernant sa détention future, et les principes de la justice fondamentale prévus à l’article 7 de la Charte. Il n’est pas clair, à première vue, comment le non-respect d’un régime d’immigration qui a été jugé constitutionnel à maintes reprises peut être envisagé dans ces derniers principes. Toutefois, comme les parties n’ont pas abordé ces principes dans leurs observations écrites et orales, je m’abstiendrai de formuler d’autres commentaires à ce sujet.

[31]      Une fois que le ministre a fourni une preuve prima facie de la détention continue de M. Lunyamila sur la base du danger incontesté qu’il présente pour le public et de son risque de fuite, le fardeau revenait alors à M. Lunyamila d’établir les motifs de sa mise en liberté (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. John Doe, 2011 CF 974 (John Doe), au paragraphe 4; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sittampalam, 2004 CF 1756 (Sittampalam), au paragraphe 27). Ces motifs n’ont pas été fournis, puisque la commissaire King a indiqué qu’elle n’avait pas besoin d’entendre les observations de M. Lunyamila.

[32]      Quel que soit le cas, la commissaire King a commis une erreur en décidant de libérer M. Lunyamila en se basant uniquement sur la conclusion selon laquelle, en l’absence de sa capacité à obtenir et à fournir des documents d’identification du Rwanda, sa détention deviendrait indéterminée. Il est maintenant établi en droit que la nature indéterminée de la détention d’une personne en vertu de la LIPR n’est qu’un des facteurs à prendre en compte au moment de procéder à un examen des motifs de détention et qu’elle ne peut être traitée comme un facteur déterminant. Les autres facteurs établis à l’article 248 du Règlement doivent également être pris en compte (Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 876 (Ahmed 2), aux paragraphes 25 et 26; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Okwerom, 2015 CF 433, au paragraphe 8; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B147, 2012 CF 655, aux paragraphes 53 à 57; Warssama c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1311 (Warssama), au paragraphe 21; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Hassan, 2012 CF 1357 (Hassan), au paragraphe 47).

[33]      La commissaire King a également commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la Charte l’empêchait d’imposer des conditions pour réduire le danger que représente M. Lunyamila pour le public. Tant qu’un processus d’examen continu significatif est en place pour revoir les conditions de mise en liberté en tenant compte de l’évolution du contexte et des circonstances du cas précis, la Charte n’empêche pas la SI d’imposer ces conditions (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui), aux paragraphes 107 à 117; John Doe, précitée, au paragraphe 6).

[34]      Les erreurs qui précèdent distinguent cette affaire de la décision Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1012 (Ali), sur laquelle M. Lunyamila s’est fondé. Cette décision est d’autant plus distincte qu’il concernait l’annulation par la SI d’une décision antérieure de libérer le détenu sur la base de nouvelles preuves qui suggéraient, entre autres, que l’aéroport au Yémen était rouvert. Le juge Boswell a conclu que l’annulation était déraisonnable, en partie car « [c]ela est d’autant plus vrai qu’il n’y avait absolument aucune preuve démontrant l’autorisation de vols civils à l’aéroport du Yémen ou des changements importants en ce qui a trait à l’agitation politique que vivent le Yémen et la région » (Ali, précitée, au paragraphe 14). À la lumière de ces faits, les nouveaux éléments de preuve invoqués pour justifier la mise en liberté du détenu pouvaient difficilement être considérés comme convaincants.

[35]      En résumé, pour les motifs précités, la décision de la commissaire King datée du 1er mars 2016 était déraisonnable, puisqu’elle n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

B.        IMM-1378-16

[36]      La décision faisant l’objet d’un contrôle dans la demande IMM-1378-16 est une décision du commissaire McPhelan datée du 31 mars 2016.

[37]      Dans sa décision, le commissaire McPhelan a conclu que M. Lunyamila constituait un danger pour le public et présentait un risque de fuite. En ce qui concerne ce premier point, le commissaire McPhelan a souligné que M. Lunyamila avait manifesté un comportement violent à deux occasions récentes à l’établissement où il est détenu. Il a également observé qu’il avait eu ces comportements sans avoir consommé d’alcool.

[38]      Toutefois, comme la commissaire King, il a conclu que la détention de M. Lunyamila était devenue indéterminée, ce qui constituait une violation de ses droits en vertu de l’article 7 de la Charte, et qu’il devait donc être libéré.

[39]      À mon avis, la décision du commissaire McPhelan était déraisonnable pour un grand nombre des raisons invoquées dans la décision de la commissaire King datée du 1er mars 2016.

[40]      En bref, la conclusion du commissaire McPhelan selon laquelle la détention de M. Lunyamila était devenue indéterminée a été invoquée de façon erronée et n’a pas été correctement justifiée. Elle était fondée uniquement sur son avis qu’il était « hautement improbable que » M. Lunyamila puisse être renvoyé au Rwanda sans documents d’identité. Cette conclusion était en quelque sorte plus problématique que la décision similaire tirée par la commissaire King, à la lumière des nouveaux éléments de preuve indiquant que la documentation « demandée » par le Haut-Commissariat du Rwanda ne comportait plus de « copies certifiées des documents d’identité émis par le gouvernement du Rwanda ». Cet élément a été remplacé par [traduction] « tout autre renseignement pertinent (passeport, passeport expiré, certificat de naissance, etc.) » (DCT, à la page 474). Toutefois, compte tenu que les exemples entre parenthèses sont tous des documents d’identité, le commissaire McPhelan a simplement conclu, sans aucune autre analyse, qu’il était très probable que le gouvernement du Rwanda exigerait des documents d’identité. Il a omis d’examiner cette conclusion à la lumière de changements apportés aux pratiques du Haut-Commissariat du Rwanda, dans le cadre desquelles des copies certifiées des documents d’identité émis par le gouvernement du Rwanda ne sont plus exigées explicitement.

[41]      De plus, le commissaire McPhelan a commis une erreur en ordonnant la mise en liberté de M. Lunyamila au seul motif de sa conclusion que sa détention était devenue indéterminée. À cet égard, il a formulé l’observation suivante : [traduction] « Je conclus que vous constituez un danger pour le public et que vous présentez un risque de fuite, mais je considère que votre détention est devenue indéterminée et pour cette raison, j’ordonne votre mise en liberté ». Cette conclusion était contraire à la jurisprudence mentionnée au paragraphe 32, ci-dessus, et au libellé clair de l’article 248 du Règlement, qui stipule que tous les facteurs indiqués doivent être examinés et évalués.

[42]      Je reconnais que le commissaire McPhelan a ensuite indiqué les diverses raisons pour lesquelles M. Lunyamila constitue un danger pour le public et qu’il a ensuite discuté du risque de fuite et de son entêtement à ne pas coopérer à son renvoi du Canada. Toutefois, il ne s’est en aucune façon efforcé soupeser ces facteurs qui, individuellement et collectivement, militent fortement en faveur du maintien de M. Lunyamila en détention, à la lumière de la durée de sa détention à ce jour et de la durée probable de cette détention dans le futur. Au lieu de procéder à cet exercice de pondération, le commissaire McPhelan a expliqué directement les conditions imposées à la mise en liberté de M. Lunyamila. L’omission de procéder à l’exercice de pondération requis garanti à l’article 248 a fait en sorte que la décision du commissaire McPhelan n’appartenait plus aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et était donc déraisonnable.

[43]      De plus, pour les mêmes raisons essentiellement qu’au paragraphe 30, ci-dessus, concernant la décision de la commissaire King, le commissaire McPhelan a commis une erreur en concluant que la détention de M. Lunyamila constituait une violation de ses droits en vertu de l’article 7 de la Charte.

[44]      Finalement, je conclus que les conditions imposées par le commissaire McPhelan dans le cadre de la mise en liberté de M. Lunyamila étaient déraisonnables. Le commissaire McPhelan a reconnu que M. Lunyamila constituait un danger pour le public et présentait un risque de fuite. En ce qui concerne le deuxième point, il a formulé l’observation suivante :

[traduction] Lorsqu’il m’incombe la difficile tâche de libérer une personne qui constitue un danger pour le public, je réfléchis aux types de gestes que cette personne pourrait poser une fois libérée et, à la lumière de votre dossier criminel, je crois qu’il est probable que vous pourriez agresser quelqu’un. Vous pourriez menacer des gens. Vous pourriez continuer à proférer des menaces. Je ne crois pas que votre comportement se soit particulièrement amélioré avec le temps.

[45]      En dépit de ces observations, le commissaire McPhelan n’a pas imposé de conditions de remise en liberté qui permettraient de réduire, dans une mesure significative, les risques précités. La seule condition qui aborde vraisemblablement le risque de danger est l’obligation imposée à M. Lunyamila de ne pas s’adonner, après sa mise en liberté, à des activités qui pourraient entraîner une condamnation en vertu d’une loi canadienne. À mon avis, la condition n’aborde pas raisonnablement ce risque. Bien que je reconnaisse qu’il serait très difficile, voire impossible, d’éliminer complètement le danger que présente M. Lunyamila, toute décision de remettre en liberté une personne qui présente un tel risque devrait chercher à éliminer presque totalement ce risque. Les conditions décrites par le commissaire McPhelan dans sa décision sont de loin insuffisantes à cet égard, ce qui rend sa décision déraisonnable.

[46]      Effectivement, dans la mesure où la condition décrite au paragraphe ci-dessus ne peut être appliquée tant que M. Lunyamila n’a pas été condamné en vertu d’une loi canadienne, elle sous-entend qu’un crime devra être commis avant que le cas puisse être soumis au système de justice pénale. Cette approche est manifestement déraisonnable et n’a pas été corrigée par l’omission inexplicable du ministre de suggérer des conditions supplémentaires.

C.        IMM-3026-16

[47]      La décision faisant l’objet d’un contrôle dans la demande IMM-3026-16 est une décision de la commissaire King datée du 14 juillet 2016. Pour examiner adéquatement cette décision, il est nécessaire de résumer brièvement la décision du commissaire Ko, daté du 16 juin 2016. Dans cette décision, la commissaire Ko a conclu que la détention de M. Lunyamila devrait être maintenue sur la base de nouveaux renseignements sur lesquels l’ASFC menait activement une enquête et qui soulevaient des questions supplémentaires quant à son identité.

[48]      Je signale en passant qu’aucun contrôle des motifs de détention n’a été effectué en avril et en mai de cette année, puisque la SI a interprété l’ordonnance émise par le juge Kane le 20 avril 2016 comme l’imposition d’un sursis à toute mise en liberté de M. Lunyamila jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire de la décision du juge McPhelan soit réglée définitivement. Le juge Kane a par la suite clarifié qu’il n’avait pas cherché à suggérer que les contrôles des motifs de la détention effectués tous les 30 jours conformément au paragraphe 57(2) de la LIPR ne devaient pas se poursuivre.

[49]      Les nouveaux renseignements concernant l’identité de M. Lunyamila sur lesquels la commissaire Ko a fondé sa décision consistaient principalement en ce qui suit :

-           Des renseignements d’un informateur sur des personnes qu’il disait être le père de M. Lunyamila et un imam qui pourrait avoir connu son père, et qui, selon l’informateur, vivaient tous deux en Tanzanie. Bien que ces renseignements aient été reçus initialement en février 2015, les éléments de preuve indiquent que l’ASFC a eu des difficultés à faire le suivi auprès des fonctionnaires canadiens basés en Tanzanie. Toutefois, de nouveaux renseignements suggèrent que l’Organisation internationale pour les migrations pourrait faciliter le processus. En outre, l’ASFC explorait la possibilité de retenir les services d’une tierce partie pour aider à l’enquête. Il est important de noter que le même informateur semble avoir assisté aux premiers contrôles des motifs de détention de M. Lunyamila et avait initialement indiqué à un agent d’exécution de la loi, en novembre 2013, que M. Lunyamila lui avait affirmé s’appeler Maximilian Mlele Bundare et être né le 7 avril 1968 en Tanzanie (DCT, aux pages 339, 354, 385, 392, 414, 430, 499; DCT, vol. 5, à la page 150). L’enquête de l’ASFC sur cette information a mené à une autre personne portant ce nom.

-           Des renseignements de source ouverte confirmant l’existence d’une personne portant le nom de l’imam en Tanzanie.

-           Des éléments de preuve indiquant que l’administration centrale de l’ASFC avait accepté de financer les coûts de la visite d’un agent de liaison en Tanzanie pour approfondir l’enquête sur cette information.

-           Une analyse linguistique indiquant que les compétences linguistiques de M. Lunyamila ont été établies avec une grande certitude comme du tanzanien et peu probablement du rwandais.

-           Des preuves démontrant que l’ASFC a décidé de demander à des représentants du Haut-Commissariat de la Tanzanie au Canada de rencontrer M. Lunyamila à Vancouver afin de déterminer sa nationalité.

[50]      À la lumière de cette nouvelle information, la commissaire Ko a conclu que d’autres renseignements devraient être disponibles dans le futur pour aider à déterminer s’il existe une possibilité que M. Lunyamila puisse être expulsé vers la Tanzanie. La commissaire Ko s’est ensuite fondée sur cette conclusion pour s’écarter des quatre examens précédents en concluant que la détention continue de M. Lunyamila ne pouvait plus être considérée comme indéterminée. Elle a donc décidé de maintenir sa détention, après avoir discuté de la durée de sa détention et des faits suivants : i) son refus de coopérer aux efforts de l’ASFC pour l’expulser du Canada; ii) les délais inexpliqués de la part du ministre, qui ont contribué à certains des délais au cours du processus de renvoi; iii) le danger qu’il constitue pour le public; et iv) le risque de fuite qu’il présente.

[51]      Dans sa décision datée du 14 juillet 2016, la commissaire King était en désaccord avec l’évaluation faite par la commissaire Ko des nouveaux renseignements résumés ci-dessus. En ce qui concerne le fait que la commissaire King a explicitement adopté sa décision datée du 1er mars 2016 « dans son intégralité », cette décision était déraisonnable pour les divers motifs énoncés aux paragraphes 27 à 35, ci-dessus.

[52]      Outre les raisons fournies dans sa décision du 1er mars, la commissaire King a indiqué qu’elle était en désaccord avec la décision de la commissaire Ko pour plusieurs motifs.

[53]      Plus particulièrement, elle a rejeté la conclusion de la commissaire Ko selon laquelle la détention de M. Lunyamila ne pouvait plus être qualifiée d’indéterminée au motif des nouveaux renseignements que j’ai résumés ci-dessus. À cet égard, elle a observé que l’informateur qui a suggéré que M. Lunyamila était un citoyen tanzanien a initialement fourni cette information au ministre en 2013, mais que le ministre a attendu jusqu’à récemment pour décider d’assumer les coûts associés aux activités d’investigation sur lesquelles la commissaire Ko a fondé sa décision. Elle a fait valoir que le ministre ne pouvait obtenir des périodes de détention plus longues sous prétexte que les enquêtes sur l’identité sont coûteuses.

[54]      À mon avis, cette analyse était déraisonnable. En bref, elle a omis de reconnaître les faits suivants : M. Lunyamila a insisté tout au long du processus qu’il était rwandais, il n’a pas coopéré avec les efforts du ministre pour le renvoyer au Rwanda, et ce n’est que récemment qu’une analyse a conclu que ses compétences linguistiques [traduction] « ont été établies avec une grande certitude comme du tanzanien ». Le ministre était en droit de prendre tout le temps nécessaire pour étudier la possibilité qui semblait initialement la plus probable pour l’expulser du Canada, essentiellement, le renvoyer au Rwanda, avant de consacrer des fonds publics déjà limités à la possibilité d’un renvoi en Tanzanie.

[55]      Le ministre n’avait pas à consacrer des fonds publics déjà limités afin d’étudier toutes les possibilités, peu importe la distance, dans le but de renvoyer du Canada une personne qui ne coopère pas à ces efforts de renvoi. Il n’était pas raisonnable d’exiger que le ministre assume les coûts substantiels engagés à explorer la possibilité du renvoi de M. Lunyamila en Tanzanie avant que l’analyse linguistique soit terminée et que les nouveaux renseignements requis soient reçus de l’informant et vérifiés en partie en confirmant l’existence en Tanzanie d’un imam portant le nom fourni par l’informateur. Dans l’attente de ces nouveaux développements, les renseignements permettant de croire que M. Lunyamila pourrait être de nationalité tanzanienne étaient fortement spéculatifs.

[56]      La commissaire King a également souligné, dans sa décision, que la détention indéterminée de M. Lunyamila ne peut être justifiée par le fait qu’il constitue un danger pour le public, qu’il présente un risque de fuite et qu’il refuse, depuis trois ans, de coopérer avec les efforts du ministre pour l’expulser.

[57]      Je ne suis pas d’accord. En complément de mes observations précédentes dans les motifs relatifs à la décision de la commissaire King datée du 1er mars 2016, j’ajouterais ceci.

[58]      Permettre à une personne, dans ces circonstances, de soutenir qu’il doit être libéré au motif que sa détention est devenue indéterminée irait effectivement à l’encontre de l’intention du législateur et reviendrait essentiellement à lui permettre de « se faire justice elle-même » (Sahin, précitée, à la page 223; Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669 (1re inst.), aux pages 694 à 696, confirmée par [1996] A.C.F. no 937 (C.A.) (QL), au paragraphe 4, autorisation d’interjeter appel [à la C.S.C.] refusée [1997] 2 R.C.S. v; voir également, R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, au paragraphe 178). Cela nuirait à l’intégrité de nos lois en matière d’immigration et minerait la confiance du public envers la primauté du droit.

[59]      À mon avis, l’esprit de la LIPR et du Règlement prévoit qu’une personne qui constitue un danger pour le public ou présente un risque de fuite et qui ne coopère pas avec les efforts du ministre pour l’expulser du pays doit, sauf dans des circonstances exceptionnelles, demeurer détenue jusqu’à ce qu’elle accepte de coopérer à son renvoi. Des circonstances exceptionnelles seraient justifiées, puisqu’il est normalement très difficile de formuler des conditions de libération permettant d’éliminer complètement ou presque complètement le danger que présente la personne pour le public. Par conséquent, il serait normalement difficile d’empêcher l’exposition du public à un certain risque lors de la libération du détenu. Toutefois, cela peut se justifier dans des circonstances exceptionnelles, comme des délais inexpliqués et très importants de la part du ministre, qui ne sont pas attribuables à un manque de coopération de la part du détenu ou à un refus du ministre d’assumer les coûts substantiels associés à la poursuite de possibilités non spéculatives de renvoi.

[60]      Dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, la Cour suprême du Canada a souligné la priorité accordée à la sécurité dans la LIPR, dans les termes suivants [au paragraphe 10] :

Les objectifs exprimés dans la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada. Cela représente un changement d’orientation par rapport à la loi précédente, qui accordait plus d’importance à l’intégration des demandeurs qu’à la sécurité : voir, par exemple, voir l’al. 3(1)i) [de la] LIPR comparativement à l’al. 3j) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)e) [de la] LIPR comparativement à l’al. 3d) de l’ancienne Loi; l’al. 3(1)h) [de la] LIPR comparativement à l’al. 3i) de l’ancienne Loi. Considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

[61]      Cette priorité à protéger le public contre les ressortissants étrangers engagés dans des activités criminelles sérieuses est en accord avec le fait que « [l]’une des responsabilités les plus fondamentales d’un gouvernement est d’assurer la sécurité de ses citoyens » (Charkaoui, précité, au paragraphe 1).

[62]      Cette priorité est reflétée dans les objectifs de la LIPR, en particulier aux alinéas 3(1)h) et i), et aux alinéas 3(2)g) et h), qui stipulent ce qui suit :

Objet en matière d’immigration

3 (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

[…]

h) de protéger la santé et la sécurité publiques et de garantir la sécurité de la société canadienne;

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

[…]

Objet relatif aux réfugiés

(2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

[…]

g) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

h) de promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d’asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité. [Non souligné dans l’original.]

[63]      En plus de ces objectifs liés à la sécurité publique, la LIPR contient de nombreuses dispositions, notamment :

i.          le paragraphe 36(1), qui prévoit qu’un résident permanent ou un ressortissant étranger est interdit de territoire pour grande criminalité s’il est déclaré coupable d’un ou plusieurs types infractions ou d’avoir commis certains types d’infraction à l’extérieur du Canada;

ii.         le paragraphe 36(2), qui prévoit qu’un ressortissant étranger est interdit de territoire pour criminalité s’il est déclaré coupable d’un ou plusieurs types d’infractions ou d’avoir commis certains types d’infraction à l’extérieur du Canada;

iii.        le paragraphe 48(2), qui prévoit que lorsqu’un renvoi est exécutoire, le ressortissant étranger visé par la mesure de renvoi doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible;

iv.        le paragraphe 55(2), qui permet à un agent d’arrêter et de détenir sans mandat le ressortissant étranger qui n’est pas une personne protégée a) lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci est interdit de territoire et constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2); ou b) lorsque l’identité de celui-ci ne lui a pas été prouvée dans le cadre d’une procédure prévue par la présente loi;

v.         le paragraphe 58(1), selon lequel la Section de l’immigration est tenue de libérer un résident permanent ou un ressortissant étranger à moins d’être satisfaite de certains faits relatifs à la personne, après avoir pris en compte les facteurs prescrits :

a)         le résident permanent ou le ressortissant étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

b)         le résident permanent ou le ressortissant étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, conformément au paragraphe 44(2);

c)         le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour grande criminalité, criminalité ou criminalité organisée;

d)         le ministre estime que l’identité du ressortissant étranger, autre qu’un étranger désigné qui était âgé de 16 ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause, n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit le ressortissant étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité du ressortissant étranger; ou

e)         le ministre estime que l’identité de l’étranger qui est un étranger désigné et qui était âgé de 16 ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause n’a pas été prouvée;

(Non souligné dans l’original.)

vi.        le paragraphe 64(1), qui stipule que l’appel ne peut être interjeté devant la Section de l’immigration par le résident permanent ou le ressortissant étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par, dans le cas de l’étranger, son répondant.

vii.       l’alinéa 101f), qui prévoit qu’une demande d’asile est inadmissible au renvoi à la Section de la protection des réfugiés si le demandeur est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux — exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) — grande criminalité ou criminalité organisée;

viii.      le paragraphe 112(3), qui prévoit que l’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas où il est interdit de territoire pour grande criminalité relativement à certains types de condamnation à l’intérieur et à l’extérieur du Canada; et

ix.        l’alinéa 115(2)a), qui prévoit une exception au principe du non-refoulement pour les personnes interdites de territoire pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada.

[64]      Outre ce qui précède :

i.          l’alinéa 230(3)c) du Règlement interdit au ministre d’imposer un sursis aux mesures de renvoi aux personnes interdites de territoire au titre des paragraphes 36(1) et 36(2) de la LIPR pour grand criminalité, même si le renvoi se fait vers un pays touché par un conflit armé ou un désastre environnemental; et

ii.         l’article 239 du Règlement prévoit, entre autres choses, que si un étranger ne se conforme pas volontairement à la mesure de renvoi, le ministre exécute la mesure de renvoi.

[65]      À mon avis, les dispositions susmentionnées de la LIPR et du Règlement doivent être prises en compte dans l’interprétation et dans l’examen des cinq facteurs énoncés à l’article 248 du Règlement. Pour votre commodité, je reproduis ici l’article :

Autres critères

248 S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

a) le motif de la détention;

b) la durée de la détention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

[66]      Lorsque les facteurs précédents sont abordés dans l’esprit susmentionné de la LIPR et du Règlement, les faits suivants deviennent évidents :

i.          Lorsque le motif du maintien de la détention est que la personne constitue un danger pour le public, « une longue détention est d’autant justifiable » (Sahin, précitée, à la page 231). En effet, lorsque la personne constitue un danger pour le public pour grande criminalité, au sens de l’alinéa 115(2)a), l’esprit de la LIPR et du Règlement sous-entend qu’une importance considérable doit être accordée à ce facteur.

ii.         Si l’individu a été déjà détenu pendant un certain temps et s’il est prévu que la détention se poursuivra pendant une longue période, ou si on ne peut en prévoir la durée, ces faits favorisent habituellement la mise en liberté (Sahin, précitée). Toutefois, lorsque le détenu a largement contribué à la durée de sa détention en raison de son entêtement à ne pas coopérer à son renvoi, comme dans le cas de M. Lunyamila, ou lorsque ce refus contribue grandement à l’incertitude entourant la durée prévue, cela a généralement pour effet de réduire substantiellement le poids accordé à ces faits. À mon avis, le fait d’accorder un poids substantiel à la durée de la détention antérieure et future prévue dans une situation où le détenu s’entête à ne pas coopérer permettrait au détenu de frustrer l’esprit de la LIPR et du Règlement par cette non-coopération. Entre autre choses, cela permettrait au détenu d’entrer au Canada (à sa libération), ce qui est contraire aux objectifs clairs prévus aux alinéas 3(1)h) et i) et aux alinéas 3(2)g) et h) de la Loi. Cela permettrait à un détenu qui a été déclaré interdit de territoire au Canada de manipuler notre système de justice afin de faciliter son entrée au pays et de frustrer ou de contribuer à frustrer la volonté du législateur qu’il soit renvoyé du Canada aussi rapidement que possible.

iii.        Les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence doivent compter contre la partie qui en est responsable (Sahin, précitée). Toutefois, le poids accordé à ce facteur doit être moindre lorsque l’autre partie a contribué aux retards ou au manque de diligence de la partie qui en est responsable, autrement dit, lorsque le détenu a contribué au retard du ministre, ou le contraire. Cela est particulièrement vrai lorsque la contribution est considérable, comme c’est le cas de M. Lunyamila.

iv.        Lorsqu’une personne constitue un danger pour le public, le poids accordé à ce facteur doit varier directement selon la mesure dans laquelle des solutions de rechange à la détention peuvent atténuer ce danger. Inversement, plus le risque potentiel imposé au public par la solution de rechange est élevé, plus le facteur doit jouer en la faveur du maintien de la détention. Lorsque les conditions de remise en liberté sont telles que le public aurait à assumer une part de risque importante venant du détenu, comme c’était le cas dans les conditions imposées par la commissaire King à M. Lunyamila dans ses décisions datées du 1er mars 2016 et du 14 juillet 2016, ce facteur doit jouer fortement en faveur du maintien de la détention. S’il en était autrement, les objectifs du législateur en matière de sécurité publique, dont la priorité a été établie dans la LIPR et le Règlement, seraient sensiblement compromis.

[67]      En résumé, la conclusion de la commissaire King selon laquelle le maintien de la détention de M. Lunyamila ne pouvait être justifié par le fait qu’il constitue un danger pour le public, qu’il présente un risque de fuite et qu’il refuse de coopérer avec les efforts du ministre pour l’expulser, était contraire à l’esprit de la LIPR et du Règlement et, par conséquent, déraisonnable. Pour recourir au système de justice pénale afin de protéger le public canadien des gestes de violence criminelle gratuits posés par M. Lunyamila, comme elle était disposée à le faire, elle devait envisager qu’il commettrait et serait reconnu coupable d’au moins une autre infraction criminelle après sa remise en liberté. À mon avis, cette décision était également contraire à l’esprit de la LIPR et du Règlement et est déraisonnable.

[68]      La décision de la commissaire King était également déraisonnable en ce sens qu’elle n’a pas fourni de motif convaincant pour s’écarter de la décision de la commissaire Ko de garder M. Lunyamila incarcéré, compte tenu des nouveaux renseignements sur lesquels la commissaire Ko s’est fondée pour prendre sa décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572, au paragraphe 10). En résumé, la commissaire Ko a conclu qu’à la lumière du risque pour le public et du risque de fuite que présente M. Lunyamila, ainsi que de son entêtement à ne pas coopérer avec les efforts du ministre pour l’expulser du Canada conformément à la LIPR et au Règlement, il doit demeurer en détention pendant que le ministre poursuit les efforts que la commissaire Ko a qualifié de raisonnables pour établir son identité. La commissaire Ko a également conclu que [traduction] « d’autres renseignements devraient être disponibles dans le futur pour aider à déterminer s’il existe une possibilité viable que vous puissiez être expulsé du Canada » et que « le ministre devrait avoir la possibilité de mener une enquête plus approfondie avant de conclure que la durée de la détention est indéterminée ». Compte tenu des risques que présente M. Lunyamila, de son entêtement à refuser de coopérer avec les efforts du ministre pour l’expulser du Canada et des nouvelles possibilités de renvoi du Canada, les motifs invoqués par la commissaire King pour rejeter l’évaluation de la commissaire Ko n’étaient ni convaincants ni raisonnables.

[69]      Finalement, dans le cadre des conditions de mise en liberté imposées par la commissaire King, M. Lunyamila aurait eu simplement à :

i.          se présenter à la date, à l’heure et à l’endroit convenus avec un agent de l’ASFC pour démontrer qu’il se conforme aux obligations imposées en vertu de la LIPR, qui peuvent comprendre le renvoi;

ii.         fournir à l’ASFC, avant sa remise en liberté, son adresse résidentielle et aviser l’ASFC en personne avant tout changement d’adresse;

iii.        se présenter à un agent de l’ASFC à Vancouver dans les 48 heures suivant sa remise en liberté; et

iv.        se présenter une fois par semaine à l’ASFC.

Dans la mesure où ces conditions auraient obligé le public canadien à assumer un risque important de violence criminelle de la part de M. Lunyamila, elles étaient manifestement déraisonnables.

D.        IMM-3428-16

[70]      La décision faisant l’objet d’un contrôle dans la demande IMM-3428-16 est une décision du commissaire Rempel datée du 11 août 2016.

[71]      En résumé, le commissaire Rempel a décidé de libérer M. Lunyamila après avoir conclu que sa détention était devenue indéterminée et qu’il pourrait être libéré sous des conditions permettant de réduire le risque pour le public à un niveau tel que le maintien de la détention n’était plus justifié, particulièrement compte tenu de la durée de sa détention à ce jour.

[72]      Le ministre a fait valoir que le commissaire Rempel a commis de nombreuses erreurs dans sa décision. Il n’est pas nécessaire d’aborder chacune de ces erreurs, puisque je suis d’accord que la décision du commissaire Rempel était déraisonnable pour les motifs suivants.

[73]      Au cours de son processus décisionnel, le commissaire Rempel a conclu que malgré le danger posé par M. Lunyamila pour le public s’il était remis en liberté, [traduction] « il est moins dangereux que lorsqu’il a été incarcéré aux fins de l’immigration ». Je suis d’accord avec le ministre que cette conclusion était déraisonnable puisqu’elle était fondée sur une évaluation déraisonnable des récents accès de violence de M. Lunyamila qui se sont produits à l’établissement où il est détenu. Je suis également d’accord avec le ministre que le commissaire Rempel a mal interprété et minimisé la nature de ces accès lorsqu’il a conclu que M. Lunyamila n’avait pas commis de délit important ou présenté de comportements violents en détention et qu’il n’avait pas perdu le contrôle lors de ces incidents. Je suis d’accord avec le juge Harrington que les excès de violence de M. Lunyamila (Lunyamila, précitée, au paragraphe 18) sont « parfaitement compatible(s) avec les attaques aléatoires qu’il a perpétrées antérieurement contre des inconnus dans la rue ». Entre autres choses, les éléments de preuve indiquent que M. Lunyamila [traduction] « avait les yeux exorbités » et « la bouche écumeuse », qu’il a pris une position de combat et qu’il a fallu l’intervention d’un certain nombre d’agents correctionnels pour le maîtriser, puisqu’il a commencé [traduction] « à pousser des cris hystériques et à opposer une résistance physique ».

[74]      Le commissaire Rempel a également commis une erreur en concluant qu’il était [traduction] « hautement improbable que [l’ASFC] réussirait » dans ses efforts de confirmer les renseignements reçus concernant la nationalité tanzanienne présumée de M. Lunyamila. À cet égard, le commissaire a également indiqué qu’il était [traduction] « très sceptique que l’enquête sur l’identité mènerait quelque part, à tout le moins, pas dans un avenir prévisible ». Cette conclusion était déraisonnable puisqu’elle a été invoquée de façon erronée et n’a pas été correctement justifiée. De plus, le commissaire Rempel a complètement rejeté l’analyse linguistique évoquée plus haut dans ces motifs, les différentes mesures prises par l’ASFC pour étudier la possibilité de renvoyer M. Lunyamila en Tanzanie et les renseignements que l’Organisation internationale pour les migrations avait, à cette étape, [traduction] « accepté d’étudier dans ce dossier ». Cette erreur a par la suite mené le commissaire Rempel à conclure à tort que [traduction] « la détention [de M. Lunyamila] serait indéterminée et milite fortement en faveur de sa libération ».

[75]      De plus, je suis d’accord avec le ministre que les conditions imposées par le commissaire Rempel à M. Lunyamila dans le cadre de sa libération étaient déraisonnables puisqu’elles ne suffisaient pas à atténuer le danger qu’il constitue pour le public.

[76]      En vertu des conditions imposées par le commissaire Rempel, M. Lunyamila devait :

i.          se présenter à la date, à l’heure et à l’endroit convenus avec un agent de l’ASFC;

ii.         se conformer à toute obligation imposée en vertu de la LIPR, y compris le renvoi, s’il y a lieu;

iii.        fournir son adresse à l’ASFC avant sa libération et aviser l’ASFC en personne avant tout changement d’adresse;

iv.        confirmer son acceptation à un centre de traitement en établissement pour alcooliques et toxicomanes;

v.         suivre « tout » traitement qui pourrait lui être prescrit par un médecin en lien avec sa dépression et ses autres besoins physiques ou mentaux;

vi.        ne pas s’adonner, après sa libération, à des activités qui pourraient aboutir à une condamnation en vertu d’une loi fédérale;

vii.       s’abstenir de consommer de l’alcool;

viii.      se présenter une fois par semaine à l’ASFC au terme de son traitement en établissement;

ix.        aviser l’ASFC de son lieu de résidence au terme de son traitement en établissement.

[77]      Au mieux, les seules conditions énumérées ci-dessus que l’on peut considérer comme susceptibles de réduire le danger courant que pourrait poser M. Lunyamila après sa libération sont les conditions l’obligeant à ne pas consommer d’alcool, à ne pas s’adonner à des activités qui pourraient aboutir à une condamnation en vertu d’une loi fédérale et à habiter dans un établissement de traitement pour alcooliques et toxicomanes. Les autres conditions n’abordent pas la conduite de M. Lunyamila sur une base quotidienne.

[78]      Toutefois, les trois conditions susmentionnées n’auraient imposé que de faibles contraintes aux tendances à la violence de M. Lunyamila. En résumé, le dossier a démontré que le comportement violent de M. Lunyamila s’est poursuivi même en l’absence d’alcool, alors qu’il était détenu. De plus, comme nous l’avons mentionné précédemment dans ces motifs, l’obligation de ne pas s’adonner à des activités qui pourraient aboutir à une condamnation en vertu d’une loi fédérale ne permettrait aucunement de contrer ses comportements violents tant qu’il n’aurait pas commis au moins une autre infraction et n’aurait pas été reconnu coupable de cette infraction. De plus, l’obligation d’habiter dans un établissement de traitement pour alcooliques et toxicomanes aurait eu pour conséquence d’exposer les résidents de l’établissement à ses tendances à la violence et d’exposer le public à ces mêmes tendances s’il avait quitté l’établissement.

[79]      Le commissaire Rempel n’a pas déterminé comment l’établissement de traitement aurait procédé pour empêcher M. Lunyamila de quitter les lieux ou pour réduire à un niveau acceptable le risque posé par M. Lunyamila pour les résidents et les employés de l’établissement en raison de ses problèmes de santé mentale et de ses tendances à la violence. Aucune condition ne prévoyait sa remise en détention advenant qu’on lui demande de quitter l’établissement, ce qui s’est produit brièvement en 2013, alors qu’il séjournait dans un établissement de traitement après sa libération. Les conditions ne l’obligeaient même pas à communiquer avec les autorités de l’établissement s’il quittait les lieux. En résumé, comme l’a souligné le ministre, le commissaire Rempel a imposé une condition en l’absence d’éléments de preuve ou de motifs raisonnables de croire que l’installation non désignée où M. Lunyamila devrait habiter à sa libération serait en mesure de répondre aux préoccupations soulevées par ses tendances à la violence.

[80]      Compte tenu de ce qui précède, les conditions de libération imposées par le commissaire Rempel étaient déraisonnables, car elles n’étaient pas suffisamment rigoureuses pour réduire le danger que pose M. Lunyamila pour le public ou son risque de fuite à un niveau acceptable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Romans, 2005 CF 435, au paragraphe 73; Hassan, précitée, aux paragraphes 42 à 46). Par conséquent, elles n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[81]      Avant de conclure l’examen de la décision du commissaire Rempel, je considère qu’il convient de se pencher sur son observation selon laquelle la jurisprudence de notre Cour ne fournit pas de directives claires à la SI en ce que concerne le traitement de la question de la durée de détention.

[82]      À cet égard, le commissaire Rempel a noté qu’un courant jurisprudentiel stipule que la détention indéterminée ne peut être traitée comme un facteur déterminant (voir les cas cités au paragraphe 32, ci-dessus), alors qu’un autre courant jurisprudentiel accorde un poids substantiel à la durée de la détention dans l’exercice de pondération global requis en vertu de l’article 248 du Règlement (Panahi-Darghalloo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1114 (Panahi-Darghalloo); Walker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 392 (Walker); Shariff, précitée; Warssama, précitée).

[83]      À mon avis, la divergence apparente entre ces deux courants jurisprudentiels se réduit considérablement lorsque l’on tient compte du fait que dans les décisions Panahi-Darghalloo, Walker et Shariff, le fondement énoncé par la Cour pour déterminer que les décisions soumises à un contrôle étaient déraisonnables est qu’elles ne tenaient pas compte de la durée de la détention en question et semblent s’être concentré exclusivement sur l’absence de coopération de la part du détenu pour maintenir sa détention (Panahi-Darghalloo, précitée, aux paragraphes 49 et 50; Walker, précitée, aux paragraphes 28 et 31; Shariff, précitée, au paragraphe 36). Il s’agissait également d’une préoccupation importante dans la décision Warssama, précitée, aux paragraphes 29 et 34, qui peut, de toute façon, se distinguer par le fait que le détenu ne constituait pas un danger pour le public (paragraphe 2) et qu’aucun élément de preuve ne démontrait que les autorités du pays d’origine du détenu (la Somalie) l’obligeaient à signer des documents (il s’agissait d’une compagnie aérienne privée) (paragraphe 31). La détention dans la décision Warssama était également plus longue que dans toutes les autres décisions (cinq ans), un facteur que j’aborderai plus loin.

[84]      En résumé, les deux courants jurisprudentiels en question sont cohérents dans la mesure où ils maintiennent que c’est une erreur d’axer la décision sur un seul facteur, qu’il s’agisse de la durée de la détention ou du refus du détenu de coopérer avec les efforts du ministre pour l’expulser du pays. Je suis entièrement d’accord. Il faut également considérer et soupeser raisonnablement les autres facteurs énoncés et prévus à l’article 248 du Règlement, compte tenu de la situation particulière en l’espèce.

[85]      Ceci dit, il vaut la peine de souligner que lorsque le détenu constitue un danger pour le public, l’esprit de la LIPR et du Règlement prévoit qu’un poids substantiel doit être accordé au maintien de la détention. Cela est encore plus vrai lorsqu’il semble que les conditions de libération qui permettraient d’éliminer presque complètement le danger que représente le détenu pour le public sur une base quotidienne n’ont pas été déterminées. Dans ces circonstances, et lorsque le détenu est en grande partie responsable de la durée de sa détention de par son refus de coopérer avec les efforts du ministre pour l’expulser du Canada, trois facteurs prévus à l’article 248 du Règlement militeraient fortement en faveur du maintien de la détention.

[86]      J’ajouterai simplement au passage que le refus de coopérer pleinement serait également un facteur très important à prendre en compte au moment de déterminer si la privation des droits à la liberté du détenu a été mise en vigueur « selon les principes de la justice fondamentale », tels qu’énoncés à l’article 7 de la Charte. Comme en l’espèce, il n’était pas nécessaire d’aborder cette question dans les décisions Panahi-Darghalloo, Walker, Shariff ou Warssama, puisque la Cour dans chacune de ces affaires a pu traiter la demande de contrôle judiciaire en déterminant si les décisions de la SI dans l’instance étaient raisonnables.

[87]      Avant de conclure mon évaluation de la décision du commissaire Rempel, j’aimerais aborder la tension décelée entre, d’un côté, la décision de notre Cour dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kamail, 2002 CFPI 381 (Kamail), et l’autre côté, les décisions dans Panahi-Darghalloo, Walker, Warssama, Shariff et Ahmed 2, précitées.

[88]      Dans la décision Kamail, le détenu était un citoyen de l’Iran qui présentait un risque de fuite et refusait de signer une demande pour obtenir les documents de voyage exigés par le gouvernement iranien. Malgré cela, un arbitre de la Section d’arbitrage de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a libéré le détenu au motif que sa détention, qui durait depuis quatre mois, était devenue indéterminée en raison de l’impasse provoquée par son refus de coopérer et de signer la demande en question.

[89]      La Cour a annulé la décision de l’arbitre après avoir conclu qu’il était déraisonnable d’avoir décidé de le libérer sous prétexte que sa détention était devenue indéterminée, puisque le détenu était seul responsable de la nature indéterminée de sa détention. La Cour a formulé l’observation suivante : « Statuer autrement serait encourager les personnes expulsées à coopérer le moins possible, de façon à se soustraire au système canadien de l’immigration et du statut de réfugié. La décision de l’arbitre ne peut pas être maintenue » (Kamail, précitée, au paragraphe 38). Je souligne que la même conclusion, essentiellement, a été tirée par la Cour dans la décision Sittampalam, précitée, aux paragraphes 15 et 16.

[90]      Dans la décision Panahi-Darghalloo, la Cour n’a pas spécifiquement commenté sur le principe énoncé ci-dessus dans la décision Kamail, bien qu’elle ait souligné le fait qu’il a été invoqué par le commissaire de la SI qui a pris la décision faisant l’objet d’un contrôle. La Cour a simplement mentionné que l’omission du commissaire de prendre en compte des facteurs autres que le refus du détenu de coopérer, en particulier la durée de sa détention, était déraisonnable (Panahi-Darghalloo, précitée, aux paragraphes 48 à 51). Essentiellement, la même conclusion a été tirée dans la décision Walker, précitée, aux paragraphes 27 à 31.

[91]      À mon avis, il n’y a aucun conflit entre, d’un côté, l’approche adoptée dans les deux dernières affaires, et de l’autre côté, l’approche adoptée dans les décisions Kamail et Sittampalam, tant que la décision de maintenir la détention n’est pas fondée uniquement sur le refus de coopérer avec le ministre dans ses efforts d’expulsion. Les autres facteurs énoncés à l’article 248 du Règlement doivent toujours être pris en compte et soupesés avant de prendre une décision.

[92]      Par conséquent, la décision d’un commissaire de la SI de maintenir une détention qui s’est grandement prolongée n’entrerait pas en conflit avec les décisions Panahi-Darghalloo et Walker, précitées, tant que tous les facteurs énoncés à l’article 248 sont pris en compte.

[93]      Toutefois, je reconnais que les décisions de la Cour dans Warssama et Shariff sont plus difficiles à concilier avec les décisions Kamail et Sittampalam, à tout le moins lorsque la détention atteint le stade qui était en litige dans ces affaires (environ cinq ans dans la décision Warssama et 55 mois dans la décision Shariff). Compte tenu de la durée de la détention qui était en litige dans la décision Warssama, la Cour a observé que le commissaire de la SI « a eu tort de conclure que les autres facteurs énumérés à l’article 248 l’emportaient sur la durée de [l]a détention » (Warssama, précitée, au paragraphe 33). Dans son processus décisionnel, la Cour a observé que le commissaire de la SI « a accordé trop d’importance au jugement Kamail, précité, et n’a pas établi de distinction avec l’affaire Panahi-Darghalloo, précitée, qui est beaucoup plus pertinente » (Warssama, précitée, au paragraphe 29). La Cour a souscrit à cet énoncé dans la décision Shariff, précitée, au paragraphe 33.

[94]      Le conflit apparent entre, d’un côté, les décisions Warssama et Shariff, et de l’autre côté, les décisions Kamail et Sittampalam, pourrait être attribuable en totalité ou en grande partie au fait que les détentions en litige dans les décisions Warsamma et Shariff étaient extrêmement longues.

[95]      Quoi qu’il en soit, dans ces rares cas où ces deux courants jurisprudentiels entrent en conflit, l’esprit de la LIPR et du Règlement que j’ai décrit précédemment exige de régler l’impasse provoquée par le refus du détenu de coopérer pleinement aux efforts du ministre pour le faire expulser, en faveur du maintien de la détention. Évidemment, cela sous-entend qu’il n’y a pas eu de changements importants aux autres facteurs à prendre en compte en vertu de l’article 248. Le fait de ne pas maintenir la détention dans ces circonstances aurait l’effet illogique de récompenser le détenu pour son refus de coopérer à son expulsion.

[96]      Indépendamment de ce qui précède, la décision de le libérer aurait des effets tout aussi illogiques et contraires à l’esprit de la LIPR et du Règlement, en n’exigeant pas du détenu qu’il coopère pleinement à son expulsion, comme il est tenu de le faire. Le fait d’agir autrement reviendrait à permettre au détenu de « se faire justice [lui]-même » (Sahin, précitée, à la page 223).

E.        IMM-3861-16

[97]      La dernière décision faisant l’objet d’un contrôle dans ces procédures regroupées est une décision du commissaire Cook datée du 16 septembre 2016. Bien que l’avocat ait mentionné qu’ils n’étaient pas en mesure d’obtenir le DCT complet avant l’audience de la Cour en l’espèce, ils ont accepté d’aller de l’avant avec l’examen de la décision par notre Cour.

[98]      Tout comme l’ont fait ses collègues, dont les décisions ont été examinées précédemment dans les motifs du jugement, le commissaire Cook a décidé de libérer M. Lunyamila. Il a fondé cette décision sur le temps passé à ce jour par M. Lunyamila en détention, sur la durée indéterminée de son incarcération dans le futur et sur la disponibilité de conditions de libération qu’il considérait comme suffisantes pour atténuer les risques que M. Lunyamila pourrait présenter à sa libération.

[99]      Le ministre a fait valoir que l’examen par le commissaire Cook des facteurs énoncés à l’article 248 du Règlement, ainsi que les conditions de libération indiquées dans sa décision, étaient déraisonnables. Je suis d’accord que la décision du commissaire Cook était déraisonnable pour ces deux motifs.

[100]   En ce qui concerne les facteurs énoncés à l’article 248, le commissaire Cook a initialement abordé les raisons de la détention et a conclu que le ministre avait déterminé trois motifs de détention distincts, essentiellement, le danger posé par M. Lunyamila pour le public, son risque de fuite et le fait que le ministre menait [traduction] « une enquête légitime sur l’identité de [M. Lunyamila] susceptible de fournir des éléments de preuve importants » (page 4).

[101]   La commissaire Cook s’est ensuite penchée sur la durée de la détention de M. Lunyamila et la durée anticipée de sa détention future. En ce qui concerne ces facteurs, il a souligné que M. Lunyamila était déjà détenu depuis trois ans et [traduction] « qu’il est en grande partie responsable du retard dans le traitement de son cas » (page 6). Cela s’explique par le fait que M. Lunyamila a [traduction] « refusé a plusieurs reprises de coopérer en signant la déclaration exigée par le gouvernement du Rwanda » (page 6).

[102]   Concernant la durée anticipée de sa détention dans le futur, il a souligné que le cas de M. Lunyamila se trouve dans une impasse attribuable au fait qu’il a [traduction] « refusé de coopérer et a déclaré à plusieurs reprises dans le dossier qu’il ne coopérerait jamais » (page 5). Quoi qu’il en soit, il a ajouté qu’il n’est pas certain que sa coopération par la signature d’une déclaration aboutirait à l’émission par le gouvernement rwandais d’un document de voyage. Par conséquent, il a conclu [traduction] « qu’il ne semble pas y avoir de résolution de votre cas en vue » (page 6) et que, par conséquent, la détention de M. Lunyamila dans le futur semblait indéterminée. Citant la décision Sahin, ci-dessus, il a conclu que ce fait, combiné aux trois années de détention de M. Lunyamila, penchait en faveur de la libération de M. Lunyamila.

[103]   En ce qui concerne les retards et le manque de diligence, le commissaire Cook a conclu que ce facteur devrait avoir un poids neutre. Il a justifié cette conclusion en soulignant que le ministre a reçu initialement de l’information sur la possibilité que M. Lunyamila soit tanzanien en 2013, mais qu’il a pourtant [traduction] « continué à consacrer la majorité de ses ressources à l’hypothèse rwandaise ». Le commissaire Cook a indiqué que le ministre aurait dû poursuivre plus vigoureusement la possibilité de renvoyer M. Lunyamila en Tanzanie.

[104]   Finalement, le commissaire Cook s’est penché sur le dernier facteur de l’article 248, soit l’existence de solutions de rechange à la détention. Il a souligné que si M. Lunyamila acceptait de se conformer à toutes les conditions qu’il a par la suite énoncées, [traduction] « les motifs de la détention pourraient être atténués à un degré tel que votre libération en attente de votre renvoi pourrait être gérée ». Il a ensuite énuméré les diverses conditions de sa libération, qui seront abordées dans les motifs exposés ci-dessous.

[105]   À mon avis, l’analyse effectuée par le commissaire Cook était déraisonnable.

[106]   Pour commencer, la conclusion selon laquelle la détention de M. Lunyamila est devenue indéterminée n’était pas compatible avec les propres conclusions du commissaire Cook concernant les possibilités de renvoyer M. Lunyamila au Rwanda ou en Tanzanie. En ce qui concerne le Rwanda, le commissaire Cook a indiqué ceci : [traduction] « Un processus diplomatique légitime avec le gouvernement rwandais a été mis en place et pourrait entraîner votre renvoi. Une fois que vous avez signé la déclaration, la balle retourne dans le camp de l’ASFC. Celle-ci doit impliquer les autorités rwandaises et demander officiellement à ce qu’elles renoncent à exiger des documents d’identité à l’appui » (page 10). En ce qui concerne la possibilité de renvoyer M. Lunyamila en Tanzanie, le commissaire Cook a reconnu plus tôt dans ses motifs que [traduction] « le ministre menait une enquête légitime sur votre identité susceptible de fournir des éléments de preuve importants » (page 4).

[107]   Le commissaire Cook a également reconnu que M. Lunyamila était en grande partie responsable du retard dans le traitement de son cas, en raison de son entêtement à refuser de coopérer. Si l’on interprète les motifs du commissaire Cook dans leur ensemble, il est clair qu’il a également reconnu que l’entêtement de M. Lunyamila à refuser de coopérer avec les efforts du ministre pour l’expulser a contribué considérablement à l’incertitude entourant le moment de son renvoi futur.

[108]   Dans ces circonstances, il était déraisonnable pour le commissaire Cook de se fonder sur ce qui précède pour conclure que la détention de M. Lunyamila était devenue indéterminée, puis de se fonder sur cette conclusion pour déterminer que ce facteur, combiné aux trois années de détention, penchait en faveur de la libération de M. Lunyamila. Essentiellement, le commissaire Cook accordait un mérite à M. Lunyamila pour sa longue incarcération et l’incertitude concernant le moment de son renvoi futur, sans égard au fait que M. Lunyamila était le principal responsable de ces événements.

[109]   Cette approche était particulièrement déraisonnable compte tenu du fait que le commissaire Cook a explicitement reconnu les agissements de M. Lunyamila. À cet égard, le commissaire Cook a formulé l’observation suivante : [traduction] « Vous semblez avoir compris que si vous ne coopérez pas en signant une déclaration exigée par le gouvernement rwandais pour émettre un document de voyage, l’ASFC ne peut vous expulser » (page 4). Le commissaire Cook a également reconnu que le libellé du paragraphe 48(2) de la LIPR oblige M. Lunyamila à quitter le Canada immédiatement et ne lui laisse pas le choix de refuser de coopérer avec les efforts pour l’expulser. Il a également reconnu que, par conséquent, [traduction] « le refus de signer et de faire avancer le processus est entièrement contraire à ce qui est exigé par le droit canadien ».

[110]   L’erreur du commissaire Cook concernant le temps déjà passé en détention et les facteurs relatifs à la détention future a été exacerbée par sa décision d’accorder un poids neutre au quatrième facteur énoncé à l’article 248 concernant le retard et le manque de diligence. Je reconnais et j’accepte le fait que le ministre aurait pu être plus diligent dans ses efforts pour renvoyer M. Lunyamila au Rwanda. Toutefois, ces efforts ont été considérablement compromis par l’entêtement de M. Lunyamila à ne pas coopérer, comme l’a reconnu le commissaire Cook. En effet, au cours de son évaluation, le commissaire Cook a formulé l’observation suivante : [traduction] « Votre détention pourrait très bien être terminée maintenant si vous aviez accepté de coopérer, puisqu’il y avait de fortes probabilités que le renvoi soit exécuté. Il y avait au moins une probabilité que le ministre puisse demander aux autorités rwandaises si elles accepteraient d’émettre un document de voyage en l’absence de documents d’identité » (pages 6 et 7).

[111]   À mon avis, dans ces circonstances, il était déraisonnable pour le commissaire Cook d’accorder un poids neutre au quatrième facteur énoncé à l’article 248. Ce facteur aurait dû pencher fortement en faveur du maintien de la détention de M. Lunyamila. Soupeser ce facteur autrement dans ces circonstances reviendrait à donner à M. Lunyamila l’avantage de ne pas avoir à coopérer, rendant ainsi plus difficiles et plus longs les efforts du ministre pour l’expulser.

[112]   La décision du commissaire Cook d’accorder à ce quatrième facteur un poids neutre a eu des effets importants sur son évaluation globale des facteurs énoncés à l’article 248, puisqu’il a contribué à sa conclusion selon laquelle les trois années de détention de M. Lunyamila, combinées à l’incertitude entourant la durée de sa détention future et la disponibilité de « solutions de rechange appropriées » à la détention, ont plus de poids que les autres facteurs favorables au maintien de sa détention.

[113]   Il était également déraisonnable pour le commissaire Cook de conclure que le ministre aurait dû consacrer plus de ressources à explorer la possibilité du renvoi de M. Lunyamila en Tanzanie, après avoir reçu des renseignements initiaux à la fin de l’année 2013 selon lesquels il pourrait être de nationalité tanzanienne. Le dossier montre que les renseignements initiaux reçus ont fait l’objet d’un suivi et ont éventuellement mené à une autre personne. En outre, les empreintes digitales de M. Lunyamila ont été envoyées aux autorités tanzaniennes, qui n’ont pu les faire correspondre. Comme je l’ai mentionné précédemment, le ministre ne peut être blâmé de n’avoir pas consacré de ressources supplémentaires importantes à la possibilité de renvoyer M. Lunyamila en Tanzanie tant que l’évaluation linguistique n’avait pas été réalisée et qu’il n’avait pas reçu les renseignements supplémentaires suggérant que M. Lunyamila était de nationalité tanzanienne. Avant ces nouveaux développements, il restait peu de motifs justifiant de consacrer des fonds publics déjà limités à la possibilité de renvoyer M. Lunyamila en Tanzanie. Cela est particulièrement vrai à la lumière du fait que M. Lunyamila a indiqué à plusieurs reprises qu’il n’était pas tanzanien, bien que je reconnaisse qu’il a présenté des éléments de preuve contradictoires quant à savoir s’il s’était déjà trouvé en Tanzanie et qu’il a affirmé à un certain moment qu’il était « citoyen de la Terre » (DCT, aux pages 503, 550 et 563).

[114]   Citant la décision Ahmed 2, ci-dessus, au paragraphe 34, M. Lunyamila fait valoir que le commissaire Cook avait une obligation accrue d’envisager des solutions de rechange à la détention, puisque celle-ci était devenue indéterminée. Pour les motifs que j’ai invoqués, il était déraisonnable de conclure que la détention de M. Lunyamila était devenue indéterminée. Quoi qu’il en soit, sa situation était très différente de la situation présentée à la Cour dans la décision Ahmed 2, puisque les difficultés rencontrées dans le cadre du renvoi de M. Ahmed semblent avoir été attribuables au conflit persistant dans la région vers laquelle il devait être expulsé. À l’opposé, M. Lunyamila était en grande partie responsable des difficultés rencontrées lors de son renvoi en raison de son entêtement à ne pas coopérer avec les efforts du ministre pour l’expulser. Ce refus a déjà créé un fardeau important pour le système carcéral du pays, pour notre Cour (au moins 13 commissaires de notre Cour ont eu à se pencher sur cette affaire au cours de l’année seulement) et pour les contribuables. Dans ces circonstances, la solution ne consistait pas à récompenser ces efforts en libérant M. Lunyamila sous réserve des conditions visant à atténuer les risques qu’il posait. La solution consistait plutôt à « penser différemment » et à rechercher des solutions qui assureraient l’entière coopération de M. Lunyamila aux efforts du ministre pour l’expulser du Canada. En même temps, les circonstances particulières entourant cette affaire sont telles que le ministre devrait explorer activement les façons d’expulser M. Lunyamila du Canada dans les plus brefs délais.

[115]   J’ajouterais simplement au passage que si un ensemble de conditions n’était pas suffisant pour justifier la libération en l’absence d’une détention prolongée, il ne devrait pas être suffisant à ces fins en présence d’une détention prolongée qui est largement attribuable à la non-coopération du détenu.

[116]   En ce qui concerne les conditions de libération du détenu que le commissaire Cook a décrites dans sa décision, je suis d’accord avec le ministre qu’elles étaient déraisonnables puisqu’elles n’abordaient pas adéquatement les tendances à la violence de M. Lunyamila et son risque de fuite. À mon avis, compte tenu de ces motifs de détention et de la priorité accordée à la sécurité publique dans la LIPR, il faudrait que les conditions de libération éliminent presque complètement, et sur une base quotidienne, tout risque posé par M. Lunyamila pour les personnes vivant ou travaillant dans une résidence où il pourrait habiter, ainsi que le public en général. Les conditions devraient également éliminer presque complètement tout risque qu’il disparaisse dans la population afin d’éviter un renvoi futur. Les conditions de libération formulées par le commissaire Cook n’étaient pas suffisantes pour satisfaire à cette norme, même si elles étaient certainement plus robustes que celles qu’auraient imposé les autres commissaires dont les décisions font l’objet d’un contrôle dans ces motifs.

[117]   Selon les conditions de libération imposées par le commissaire Cook, M. Lunyamila aurait eu à faire ce qui suit :

i.          signer la déclaration solennelle exigée par les autorités rwandaises;

ii.         être accepté dans un établissement de traitement pour alcooliques et toxicomanes et suivre le programme dispensé par cet établissement;

iii.        s’abstenir de consommer de l’alcool;

iv.        fournir son adresse de résidence à l’ASFC avant sa libération et aviser l’ASFC en personne de tout changement d’adresse s’il devait déménager;

v.         se présenter une fois par semaine à l’ASFC, ainsi qu’à toute fin légitime en vertu de la LIPR, y compris le renvoi;

vi.        prendre les mesures nécessaires pour s’inscrire et suivre un programme communautaire de prévention de la violence;

vii.       participer aux efforts du ministre pour enquêter sur la possibilité qu’il soit de nationalité tanzanienne;

viii.      ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite;

ix.        suivre tout traitement qui pourrait lui être prescrit par un médecin.

[118]   À mon avis, chacune de ces conditions est entièrement appropriée, pour les motifs formulés par le commissaire Cook. Toutefois, collectivement, elles ne sont pas suffisantes pour gérer les risques posés par M. Lunyamila.

[119]   Avant de commenter les lacunes des conditions dans leur ensemble, je vais prendre une pause pour aborder la condition que M. Lunyamila signe la déclaration solennelle exigée par les autorités rwandaises. Les autres commissaires de la SI étaient réticents à l’idée de lui imposer cette condition au motif qu’il s’agissait d’une forme de « détention déguisée » puisque M. Lunyamila a toujours refusé de signer tout document susceptible de faire avancer le processus de renvoi. À mon avis, permettre à M. Lunyamila d’obtenir gain de cause dans cette demande reviendrait à lui permettre de se faire justice lui-même et de déterminer quelles sont les lois canadiennes qu’il est disposé à suivre ou non. Je remercie le commissaire Cook d’avoir reconnu ce fait et d’avoir souligné que la libération de M. Lunyamila dans la population générale « sans [cette] signature expose le public à un risque ».

[120]   En ce qui concerne les lacunes dans les conditions de libération, les motifs expliquant pourquoi elles ne sont pas suffisantes pour gérer les risques présentés par M. Lunyamila peuvent être résumés comme suit [aux paragraphes 121 à 126 ci-dessous].

[121]   Premièrement, elles ne s’assurent pas précisément que l’établissement de traitement où M. Lunyamila serait libéré disposerait des moyens requis et aurait la capacité de l’empêcher de causer un préjudice à un autre patient ou aux personnes qui travaillent à cet établissement sur une base quotidienne (John Doe, précitée, aux paragraphes 34 à 40). M. Lunyamila fait valoir que cette lacune n’est pas « critique » puisqu’il incomberait à l’établissement de traitement de déterminer lui-même, avant d’accepter M. Lunyamila, s’il a mis en place des mesures de sécurité adéquate et si son personnel est formé aux procédures de désescalade ou possède une expérience auprès des délinquants. Je ne suis pas d’accord. Il serait déraisonnable de transférer à un établissement de traitement la responsabilité de déterminer si ces facteurs doivent être pris en compte et s’il a la capacité de le faire.

[122]   Deuxièmement, les conditions de libération imposées par le commissaire Cook n’obligeaient pas M. Lunyamila à demeurer sur les lieux de traitement et ne l’empêchaient pas d’aller dans la communauté, de causer un préjudice à autrui et d’obtenir de l’alcool. Aucune condition n’a été mise en place pour s’assurer que M. Lunyamila demeurerait sur les lieux sur une base quotidienne. M. Lunyamila fait valoir qu’il reviendrait à l’établissement de traitement de déterminer ses propres règles, qui pourraient inclure ces restrictions. Je ne peux qu’être en désaccord.

[123]   Troisièmement, il n’y avait aucune obligation de la part de l’établissement d’aviser l’ASFC advenant que M. Lunyamila ne coopère pas entièrement ou quitte l’établissement. M. Lunyamila fait valoir que cette question devrait dépendre du protocole mis en place par l’établissement. Je rejette également cette thèse. Un fait aussi important que le manque de coopération de M. Lunyamila ou son départ de l’établissement est une question qui doit être abordée dans ses conditions de libération, pour s’assurer de gérer efficacement les risques qu’il pose.

[124]   Quatrièmement, il n’y avait aucune condition obligeant M. Lunyamila à s’inscrire à un programme communautaire de prévention de la violence et de gestion de la colère. La condition imposée par le commissaire Cook lui demandait simplement de « faire un effort » pour s’inscrire à un programme de ce type, sans égard au fait que le commissaire Cook a reconnu les tendances à la violence de M. Lunyamila et le fait que ces tendances étaient toujours présentes lors de sa détention, alors qu’il ne consommait pas d’alcool.

[125]   Cinquièmement, l’obligation de se présenter une fois par semaine devant l’ASFC n’était pas suffisante pour gérer le risque de fuite démontré dans le cas de M. Lunyamila.

[126]   Finalement, il n’y avait aucune autre condition permettant d’éliminer virtuellement le risque que M. Lunyamila cause un préjudice à un autre patient ou à un employé de l’établissement de traitement, ou dans la population générale. Même si une forme de surveillance électronique était imposée, on ne sait pas exactement comment elle permettrait de gérer efficacement les risques présentés par M. Lunyamila.

[127]   Par conséquent, dans leur ensemble, les conditions de libération formulées par le commissaire Cook étaient déraisonnables et sa décision devrait être écartée pour ce seul motif. Pour les motifs que j’ai invoqués, ces conditions n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.       Conclusion

[128]   Pour les motifs que j’ai invoqués dans la partie V, ci-dessus, les cinq demandes regroupées en l’espèce sont accueillies. Les décisions de la SI en l’espèce seront annulées et la détention de M. Lunyamila sera maintenue pendant 48 heures après la délivrance de la décision de la SI concernant le prochain contrôle des motifs de détention après 30 jours, qui, à ce que je comprends, est imminent.

[129]   J’ai prévu cette période de 48 heures pour permettre au ministre de déposer une demande de suspension provisoire advenant que la SI décide de libérer M. Lunyamila.

[130]   Compte tenu du fait que le commissaire Cook s’est récemment familiarisé avec les faits entourant la situation compliquée de M. Lunyamila et de sa compréhension de l’esprit de la LIPR et d’un grand nombre des principes juridiques pertinents, je considère qu’il serait approprié de lui renvoyer cette affaire afin qu’il puisse la réexaminer à la lumière de ces motifs.

VII.      Question à certifier

[131]   Au terme de l’audience portant sur ces demandes regroupées, l’avocat de M. Lunyamila et l’avocat du ministre ont tous deux refusé de soumettre une question à certifier, au motif qu’aucune question d’importance générale n’est soulevée par les circonstances particulières entourant cette affaire.

[132]   Toutefois, compte tenu des tensions dans la jurisprudence de notre Cour, qui ont été cernées par le commissaire Rempel, et compte tenu que ces tensions pourraient très bien persister malgré mes efforts pour les concilier, je considère qu’une question d’importance générale est soulevée par les faits en l’espèce et qu’il convient que la Cour d’appel fédérale ait la possibilité de l’examiner.

[133]   En bref, la question consiste à déterminer si un détenu qui constitue un danger pour le public ou présente un risque de fuite peut provoquer une « impasse » en refusant de coopérer pleinement aux efforts pour appliquer une ordonnance de renvoi du Canada rendue de manière valide et obtenir ensuite sa libération en raison de cette impasse.

[134]   Je demande donc au tribunal de formuler tout commentaire ou toute suggestion qu’il pourrait avoir sur la question suivante, qui doit nécessairement être plus complexe que celle que j’ai énoncée ci-dessus, de façon à se concentrer précisément sur la portée étroite de la question :

Est-ce qu’une personne qui est détenue en vue d’un renvoi du Canada conformément à une ordonnance de renvoi valide et qui a été désignée comme un danger pour le public au Canada conformément à l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou qui se soustraira vraisemblablement à son renvoi du Canada au sens de l’alinéa 58(1)b) peut éviter le maintien de sa détention en refusant de prendre les mesures qui pourraient, de façon réaliste, mener à l’exécution de ce renvoi, puis faire valoir que la durée de sa détention pèse maintenant si lourdement dans l’évaluation envisagée à l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés que sa libération est justifiée, en supposant qu’aucun changement important n’est survenu dans les facteurs à prendre en compte dans cette évaluation?

[135]   L’avocat de M. Lunyamila et l’avocat du ministre ont tous deux soutenu que l’objet de la question énoncée ci-dessus ne se prête pas à la certification puisque l’appréciation de chacun des facteurs en vertu de l’article 248 du Règlement variera selon les circonstances de chaque cas.

[136]   Toutefois, eu égard à ce fait, j’ai ajouté l’hypothèse énoncée à la fin de la question, qui devrait être d’une aide considérable pour limiter la question à la portée étroite à l’égard de laquelle l’avis de la Cour d’appel fédérale serait utile. La question est de savoir, en supposant tous les autres facteurs constants, si la durée de la détention et l’incertitude future concernant la date approximative du renvoi peuvent l’emporter sur l’entêtement à refuser de coopérer, qui est largement responsable de la durée de cette détention et de cette incertitude. En d’autres termes, est-ce qu’une personne détenue dans ces circonstances peut effectivement se faire justice elle-même et entrer au Canada en refusant de coopérer avec une ordonnance de renvoi du Canada rendue de manière valide?

[137]   Par conséquent, je certifie la question suivante :

Est-ce qu’une personne qui est détenue en vue d’un renvoi du Canada conformément à une ordonnance de renvoi valide et qui a été désignée comme un danger pour le public au Canada, ou qui se soustraira vraisemblablement à son renvoi du Canada, peut éviter le maintien de sa détention i) en refusant de prendre les mesures qui pourraient, de façon réaliste, mener à l’exécution de ce renvoi, puis ii) en se fondant sur la durée de sa détention pour faire valoir que sa libération est justifiée, en supposant qu’aucun changement important n’est survenu dans les facteurs à prendre en compte dans cette évaluation envisagée à l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés?

JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.         Les demandes dans les dossiers IMM-913-16, IMM-1378-16, IMM-3026-16, IMM 3428-16 et IMM-3861-16 sont accueillies. Les décisions faisant l’objet d’un examen dans ces procédures sont rejetées.

2.         Compte tenu que M. Lunyamila a droit à un autre contrôle des motifs de détention dans le futur, seule la décision dans le dossier IMM-3861-16 sera renvoyée à la SI aux fins de réexamen.

3.         La décision dans le dossier IMM-3861-16 sera renvoyée au commissaire Cook aux fins de réexamen conformément à ces motifs. Le commissaire Cook examinera la détention de M. Lunyamila en tenant compte des motifs du maintien de la détention qui existent au moment de cet examen.

4.         La détention de M. Lunyamila sera maintenue pendant 48 heures après la délivrance de la décision du commissaire Cook; toutefois, si un autre commissaire de la SI examine la détention de M. Lunyamila avant la fin de cette période, la période de 48 heures énoncée ci-dessus commencera au moment de la délivrance de la décision de ce commissaire.

ANNEXE 1 – lois applicables

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Grande criminalité

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

Criminalité

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

[…]

48 […]

Conséquence

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

[…]

55 […]

Arrestation sans mandat et détention

(2) L’agent peut, sans mandat, arrêter et détenir l’étranger qui n’est pas une personne protégée dans les cas suivants :

a) il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci est interdit de territoire et constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

b) l’identité de celui-ci ne lui a pas été prouvée dans le cadre d’une procédure prévue par la présente loi.

[…]

Contrôle de la détention

57 (1) La section contrôle les motifs justifiant le maintien en détention dans les quarante-huit heures suivant le début de celle-ci, ou dans les meilleurs délais par la suite.

Comparutions supplémentaires

(2) Par la suite, il y a un nouveau contrôle de ces motifs au moins une fois dans les sept jours suivant le premier contrôle, puis au moins tous les trente jours suivant le contrôle précédent.

Présence

(3) L’agent amène le résident permanent ou l’étranger devant la section ou au lieu précisé par celle-ci.

[…]

Mise en liberté par la Section de l’immigration

58 (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour grande criminalité, criminalité ou criminalité organisée;

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger — autre qu’un étranger désigné qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause — n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger;

e) le ministre estime que l’identité de l’étranger qui est un étranger désigné et qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause n’a pas été prouvée.

[…]

Mise en détention par la Section de l’immigration

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet d’un contrôle, d’une enquête ou d’une mesure de renvoi et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

Conditions

(3) Lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger, la section peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution.

[…]

Restriction du droit d’appel

64 (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

[…]

Irrecevabilité

101 (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

[…]

f) prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux — exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) —, grande criminalité ou criminalité organisée.

[…]

112 […]

Restriction

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

[…]

Principe

115 (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

Exclusion

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Sursis : pays ou lieu en cause

230 (1) Le ministre peut imposer un sursis aux mesures de renvoi vers un pays ou un lieu donné si la situation dans ce pays ou ce lieu expose l’ensemble de la population civile à un risque généralisé qui découle :

a) soit de l’existence d’un conflit armé dans le pays ou le lieu;

b) soit d’un désastre environnemental qui entraîne la perturbation importante et temporaire des conditions de vie;

c) soit d’une circonstance temporaire et généralisée.

Révocation

(2) Le ministre peut révoquer le sursis si la situation n’expose plus l’ensemble de la population civile à un risque généralisé.

Exception

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans les cas suivants :

a) l’intéressé est interdit de territoire pour raison de sécurité au titre du paragraphe 34(1) de la Loi;

b) il est interdit de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux au titre du paragraphe 35(1) de la Loi;

c) il est interdit de territoire pour grande criminalité ou criminalité au titre des paragraphes 36(1) ou (2) de la Loi;

d) il est interdit de territoire pour criminalité organisée au titre du paragraphe 37(1) de la Loi;

e) il est visé à la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

f) il avise par écrit le ministre qu’il accepte d’être renvoyé vers un pays ou un lieu à l’égard duquel le ministre a imposé un sursis.

[…]

Exécution forcée

239 Si l’étranger ne se conforme pas volontairement à la mesure de renvoi, si une décision défavorable est rendue aux termes du paragraphe 238(1) ou si son pays de destination n’est pas approuvé aux termes du paragraphe 238(2), le ministre exécute la mesure de renvoi.

[…]

Critères

244 Pour l’application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l’appréciation :

a) du risque que l’intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi;

b) du danger que constitue l’intéressé pour la sécurité publique;

c) de la question de savoir si l’intéressé est un étranger dont l’identité n’a pas été prouvée.

Risque de fuite

245 Pour l’application de l’alinéa 244a), les critères sont les suivants :

a) la qualité de fugitif à l’égard de la justice d’un pays étranger quant à une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale;

b) le fait de s’être conformé librement à une mesure d’interdiction de séjour;

c) le fait de s’être conformé librement à l’obligation de comparaître lors d’une instance en immigration ou d’une instance criminelle;

d) le fait de s’être conformé aux conditions imposées à l’égard de son entrée, de sa mise en liberté ou du sursis à son renvoi;

e) le fait de s’être dérobé au contrôle ou de s’être évadé d’un lieu de détention, ou toute tentative à cet égard;

f) l’implication dans des opérations de passage de clandestins ou de trafic de personnes qui mènerait vraisemblablement l’intéressé à se soustraire aux mesures visées à l’alinéa 244a) ou le rendrait susceptible d’être incité ou forcé de s’y soustraire par une organisation se livrant à de telles opérations;

g) l’appartenance réelle à une collectivité au Canada.

Danger pour le public

246 Pour l’application de l’alinéa 244b), les critères sont les suivants :

a) le fait que l’intéressé constitue, de l’avis du ministre aux termes de l’alinéa 101(2)b), des sous-alinéas 113d)(i) ou (ii) ou des alinéas 115(2)a) ou b) de la Loi, un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada;

b) l’association à une organisation criminelle au sens du paragraphe 121(2) de la Loi;

c) le fait de s’être livré au passage de clandestins ou le trafic de personnes;

d) la déclaration de culpabilité au Canada, en vertu d’une loi fédérale, quant à l’une des infractions suivantes :

(i) infraction d’ordre sexuel,

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

e) la déclaration de culpabilité au Canada quant à une infraction visée à l’une des dispositions suivantes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances :

(i) article 5 (trafic),

(ii) article 6 (importation et exportation),

(iii) article 7 (production);

f) la déclaration de culpabilité ou l’existence d’accusations criminelles en instance à l’étranger, quant à l’une des infractions ci-après qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale :

(i) infraction d’ordre sexuel,

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

g) la déclaration de culpabilité ou l’existence d’accusations criminelles en instance à l’étranger, quant à l’une des infractions ci-après qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction à l’une des dispositions ci-après de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances :

(i) article 5 (trafic),

(ii) article 6 (importation et exportation),

(iii) article 7 (production).

Preuve de l’identité de l’étranger

247 (1) Pour l’application de l’alinéa 244c), les critères sont les suivants :

a) la collaboration de l’intéressé, à savoir s’il a justifié de son identité, s’il a aidé le ministère à obtenir cette justification, s’il a communiqué des renseignements détaillés sur son itinéraire, sur ses date et lieu de naissance et sur le nom de ses parents ou s’il a rempli une demande de titres de voyage;

b) dans le cas du demandeur d’asile, la possibilité d’obtenir des renseignements sur son identité sans avoir à divulguer de renseignements personnels aux représentants du gouvernement du pays dont il a la nationalité ou, s’il n’a pas de nationalité, du pays de sa résidence habituelle;

c) la destruction, par l’étranger, de ses pièces d’identité ou de ses titres de voyage, ou l’utilisation de documents frauduleux afin de tromper le ministère, et les circonstances dans lesquelles il s’est livré à ces agissements;

d) la communication, par l’étranger, de renseignements contradictoires quant à son identité pendant le traitement d’une demande le concernant par le ministère;

e) l’existence de documents contredisant les renseignements fournis par l’étranger quant à son identité.

[…]

Autres critères

248 S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

a) le motif de la détention;

b) la durée de la détention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.