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[2014] 4 R.C.F. 371

2013 CAF 262

A-29-13

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (appelant)

c.

J.P. et G.J. (intimés)

A-498-12

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (appelant)

c.

B306 (intimé)

A-563-12

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (appelant)

c.

Jesus Rodriguez Hernandez (intimé)

Répertorié : J.P. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Mainville et Near, J.C.A.—Toronto, 2 octobre; Ottawa, 12 novembre 2013.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Appels interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale d’accueillir les demandes de contrôle judiciaire des décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par lesquelles les intimés ont été déclarés interdits de territoire conformément à l’art. 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) pour s’être livrés au passage de clandestins — La Commission a défini la portée de l’expression « passage de clandestins » à l’art. 37(1)b) en se fondant sur l’art. 117(1) de la LIPR — La Commission a conclu que les intimés avaient aidé et encouragé des passeurs — La Cour fédérale a conclu que c’est à tort que la Commission a interprété l’art. 37(1)b) de la LIPR en se fondant uniquement sur les éléments factuels de l’infraction énoncés à l’art. 117; que la mens rea n’a pas été établie en l’espèce parce que la participation était motivée par le souhait d’obtenir de la nourriture et non pour aider au passage de clandestins et que la notion de « passage de clandestins » à l’art. 37(1)b) comporte un élément de profit — Il s’agissait principalement de savoir si le fait d’aider et d’encourager le passage de clandestins est une infraction qui exige une intention coupable — Les conventions internationales en litige dans la présente cause n’interdisent pas aux signataires de promulguer des lois qui frappent d’interdiction de territoire ceux qui contribuent au passage de clandestins, mais qui n’en tirent pas profit — Rattacher une composante financière au concept de passage de clandestins entraînerait des résultats inacceptables, contraires à l’intention du législateur — Il était raisonnable pour la Commission d’interpréter l’art. 37(1)b) en fonction de l’art. 117(1) et de fonder l’interdiction de territoire sur les éléments établis dans R. c. Alzehrani — La Cour fédérale a confondu la notion d’intention avec celle de motif — La mens rea a été établie par la Commission dans les présentes causes — Appels accueillis.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Appels interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale d’accueillir les demandes de contrôle judiciaire des décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par lesquelles les intimés ont été déclarés interdits de territoire conformément à l’art. 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) pour s’être livrés au passage de clandestins — Il s’agissait de savoir si l’art. 37(1)b) donne lieu à l’application de l’art. 7 de la Charte en empêchant la tenue de l’audience relative à la reconnaissance du statut de réfugié pour les étrangers qui sont interdits de territoire — La conclusion d’interdiction de territoire en vertu de l’art. 37(1)b) ne donne pas lieu en soi à l’application de l’art. 7 de la Charte — L’art. 7 de la Charte peut être appliqué seulement à une étape ultérieure, c’est-à-dire lors de l’examen des risques.

Pratique — Avis de question constitutionnelle — Appels interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale d’accueillir les demandes de contrôle judiciaire des décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par lesquelles les intimés ont été déclarés interdits de territoire conformément à l’art. 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) pour s’être livrés au passage de clandestins — Le défaut de déposer un avis de question constitutionnelle devant la Commission ne porte pas un coup fatal à la présente cause — L’appelant n’a pas déterminé quels faits absents du dossier lui seraient préjudiciables à l’égard des arguments constitutionnels soulevés par les intimés.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de révision — Appels interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale d’accueillir les demandes de contrôle judiciaire des décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par lesquelles les intimés ont été interdits de territoire conformément à l’art. 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) pour s’être livrés au passage de clandestins — L’arrêt B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87 a été suivi — L’interprétation de l’art. 37(1)b) par la Commission est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable — La retenue est maintenant la règle et non l’exception.

Il s’agissait d’appels interjetés à l’encontre de décisions de la Cour fédérale d’accueillir les demandes de contrôle judiciaire des décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par lesquelles les intimés ont été déclarés interdits de territoire pour s’être livrés au passage de clandestins conformément à l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

Les intimés dans les dossiers A-29-13 et A-498-12 étaient à bord du navire à moteur Sun Sea et ont demandé l’asile après être arrivés au Canada. Les deux intimés ont aidé les membres de l’équipage en exploitant le navire ou en agissant comme vigies.

Dans le dossier A-29-13, la Commission a conclu qu’en droit, que le passage de clandestins conformément à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR n’exige pas la présence des éléments « avantage financier ou autre avantage matériel » prévus dans le Protocole contre le trafic illicite de migrants. La Commission a plutôt fondé sa conclusion quant à la portée de l’infraction que constitue le passage de clandestins à l’alinéa 37(1)b) sur le paragraphe 117(1) de la LIPR dans sa version à cette date. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a conclu notamment que les engagements internationaux du Canada de pénaliser ceux qui se livrent au passage de clandestins et de protéger ceux qui en sont victimes établissent une ligne de démarcation qui risque d’être difficile à tracer si l’on retient une interprétation trop large de l’alinéa 37(1)b) qui englobe des personnes qui n’ont pas planifié d’exécuter le plan ou qui n’espèrent obtenir comme récompense rien de plus qu’une modeste amélioration de leurs conditions de vie. Par conséquent, c’est à tort que la Commission a interprété l’alinéa 37(1)b) de la LIPR en se fondant uniquement sur les éléments factuels de l’infraction prévus au paragraphe 117(1) dans sa version d’alors.

Dans le dossier A-498-12, la Commission a également défini la portée de l’expression « passage de clandestins » à l’alinéa 37(1)b) en renvoyant au paragraphe 117(1) de la LIPR dans sa version d’alors et a conclu que les défendeurs avaient aidé et encouragé la venue au Canada de ressortissants étrangers. La Cour fédérale a critiqué les conclusions de fait que la Commission a tirées en déclarant qu’elles « ne tena[ient] pas compte du contexte de dépendance et de vulnérabilité complètes et d’inégalité des forces dans lequel se trouvait le demandeur au cours du voyage de trois mois jusqu’au Canada ». En accueillant la demande de contrôle judiciaire, la Cour a estimé que la mens rea requise n’avait pas été établie puisque la participation de l’intimée avait été motivée par le désir d’obtenir de la nourriture, et non pas pour aider au passage de clandestins, et qu’il y avait lieu d’opérer une distinction entre l’infraction de passage de clandestins visée à l’article 117 de la LIPR et l’infraction de complot, de complicité ou de complicité après le fait avec les passeurs visée à l’article 131 de la LIPR.

L’intimé dans le dossier A-563-12 a été déclaré coupable de trafic d’étrangers aux États-Unis avant de demander le statut de réfugié au Canada. La Commission a conclu, entre autres, que l’intimé était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)b) même s’il n’y avait aucune preuve qu’il s’était livré au passage de clandestins pour obtenir un avantage financier ou matériel. La Cour fédérale a conclu que la notion de « passage de clandestins » prévue à l’alinéa 37(1)b), interprétée correctement, comprend un élément de profit.

Dans le présent appel, les intimés ont fait valoir, entre autres, que le « passage de clandestins » exige que l’auteur se livre à l’infraction en retour d’un avantage financier ou matériel afin d’être visé par l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 37(1)b); que l’effet de l’alinéa 37(1)b) est de refuser l’examen de leurs demandes de statut de réfugiés en vertu de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) par la Commission, et qu’un tel refus viole les droits qui leur sont garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Les intimés ont demandé que la décision rendue dans B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87 (décision d’appel <I>B010</I>), ne soit pas suivie. Dans la décision d’appel B010, la Cour a conclu qu’il était raisonnable pour la Commission de définir l’expression « passage de clandestins » à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR sur le fondement de l’article 117(1). Les intimés ont soutenu que l’utilisation de la norme de la décision raisonnable dans la décision d’appel <I>B010</I> était incorrecte. Ils ont ajouté que si on appliquait la norme de contrôle de la décision correcte à l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) faite par la Commission, la notion de « passage de clandestins » qui y est énoncée devrait être conforme au Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (le Protocole sur le trafic de migrants) plutôt qu’au paragraphe 117(1). Par conséquent, un avantage financier ou un autre avantage matériel doit être présent pour qu’il y ait interdiction de territoire pour passage de clandestins.

L’appelant a soutenu, entre autres, que les intimés auraient dû déposer des avis de question constitutionnelle lorsqu’ils se sont présentés devant la Commission, et qu’il a subi un préjudice en raison de ce défaut, car il aurait pu présenter des éléments de preuve concernant les questions constitutionnelles qu’ils ont soulevées.

Il s’agissait principalement de savoir si l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) exige que les ressortissants étrangers aient la mens rea requise pour aider et encourager le passage de clandestins afin d’être visés par la disposition relative à l’interdiction de territoire; si le fait d’examiner la définition de passage de clandestins à l’alinéa 37(1)b) en fonction du paragraphe 117(1) lui confère une portée trop large sur le plan constitutionnel, et si l’alinéa 37(1)b) donne lieu à l’application de l’article 7 de la Charte, en empêchant la tenue de l’audience relative à la reconnaissance du statut de réfugié pour les étrangers visés par cette disposition relative à l’interdiction de territoire.

Arrêt : les appels doivent être accueillis.

Il n’y a aucun motif impérieux de ne pas suivre la décision d’appel <I>B010</I> pour l’une ou l’autre des questions fondamentales résolues par cette décision. L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) par la Commission était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La retenue est maintenant la règle plutôt que l’exception lorsque les tribunaux administratifs sont concernés. Il n’y a rien dans la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée ou dans le Protocole sur le trafic de migrants qui interdit aux signataires de promulguer des lois qui frappent d’interdiction de territoire au Canada ceux qui contribuent au passage de clandestins, mais qui n’en tirent pas profit. Une décision d’interdiction de territoire en vertu de la LIPR n’équivaut pas à un renvoi en vertu de cette même loi ou à un refoulement en vertu de la Convention. Rattacher une composante financière au concept de passage de clandestins entraînerait des résultats inacceptables et serait contraire à l’intention du législateur lorsqu’il a adopté l’alinéa 37(1)b). La décision de la Commission d’interpréter l’alinéa 37(1)b) en fonction du paragraphe 117(1), dans sa version d’alors, plutôt que sur la base de la définition contenue dans un instrument international était raisonnable et constituait l’interprétation correcte de cette disposition. Il était également raisonnable pour la Commission de trouver que les éléments essentiels requis pour conclure qu’un ressortissant étranger est interdit de territoire pour s’être livré au passage de clandestins sont ceux énoncés dans la décision R. c. Alzehrani.

Le raisonnement de la Cour fédérale en ce qui concerne la mens rea de l’intimé dans le dossier A-498-12 a confondu la notion d’intention avec celle de motif et était manifestement intenable. À moins que le législateur ait expressément inclus le motif en tant qu’élément d’une infraction, la mens rea requise pour aider quelqu’un à commettre une infraction concerne l’intention de contribuer à la perpétration de l’infraction, et cette intention n’a rien ou à peu près rien à voir avec le motif pour lequel l’aide en question est fournie. Aux fins de l’alinéa 37(1)b), la mens rea requise a été établie dans les présentes causes lorsque la Commission avait des motifs raisonnables de croire que les intimés dans chacun de ces appels savaient que les clandestins n’étaient pas munis des documents requis, mais ont néanmoins accepté d’organiser l’entrée de ces personnes au Canada ou dans un territoire étranger visé ou de les inciter, les aider ou les encourager à y entrer. Le motif, qu’il soit idéologique, financier ou matériel, n’a aucune incidence dans la présente analyse. Les conclusions de la Cour fédérale étaient suffisantes dans chaque cas pour établir la mens rea requise en vertu de l’alinéa 37(1)b), quel que soit le motif pour lequel chaque intimé a agi.

Le défaut de déposer un avis de question constitutionnelle devant la Commission ne porte pas de coup fatal compte tenu des circonstances de ces appels. Selon un principe général, la Cour refusera d’examiner des arguments fondés sur la Charte qui ne sont pas étayés par une preuve appropriée. Toutefois, le but de ce principe est d’éviter de porter préjudice à la partie adverse qui aurait présenté des éléments de preuve concernant de tels arguments. Lorsqu’aucun préjudice ne peut être établi, il n’y a aucune raison pour que la Cour refuse de statuer sur les arguments d’ordre constitutionnel. En l’espèce, l’appelant n’a pas précisé quels faits absents de ces dossiers d’appels lui seraient préjudiciables à l’égard des arguments constitutionnels soulevés par les intimés.

L’alinéa 37(1)b) de la LIPR portant sur l’interdiction de territoire doit être interprété à la lumière de son objectif législatif. L’objectif en question est de refuser l’entrée au Canada de ressortissants étrangers qui se livrent au passage de clandestins dans le cadre d’une criminalité transnationale. L’alinéa 37(1)b) ne peut s’appliquer aux membres d’une même famille qui peuvent se prévaloir de la Convention et qui s’aident mutuellement pour entrer au Canada sans être munis des documents appropriés. L’intention du législateur n’était pas de viser de telles personnes à l’alinéa 37(1)b). Par conséquent, les arguments d’ordre constitutionnel soulevés par les intimés n’ont pas été examinés dans le cadre de cette question.

Une conclusion d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)b) ne donne pas lieu en soi à l’application de l’article 7 de la Charte, bien que cette disposition puisse être éventuellement appliquée si le ministre appelant exerce son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui entraîne l’expulsion du ressortissant étranger concerné vers un pays où il risque la torture. C’est seulement à une étape ultérieure du processus suivant la conclusion d’interdiction de territoire, c’est-à-dire lors de l’examen des risques, que l’article 7 de la Charte peut s’appliquer.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Aliens and Nationality, 8 U.S.C. § 1324(a)(2)(A).

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 6, 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 21(1).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1, 57.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)f), (2)b),(3), 11(1), 25(1), 25.1(1), 25.2(1), 33, 34, 35, 36, 37(1),(2), 38, 39, 40, 41, 42, 42.1, 44(1),(2), 45d), 74d), 97(1), 99(1), 100(2)a),b), 101(1)f), 103(1)a), 112(1),(3)a), 113d), 114(1), 115(1),(2),(3), 117, 133.

Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17, art. 41(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 229(1)e).

Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229, règle 47.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 15 novembre 2000, 2225 R.T.N.U. 209, art. 3, 34.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 31, 33.

Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 15 novembre 2000, 2241 R.T.N.U. 507, art. 1, 2, 3, 5, 6.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision suivie :

B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2013] 3 R.C.S. vi.

décision appliquée :

Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 C.F. 266 (1re inst.), conf. par 2000 CanLII 16485 (C.A.F.).

décisions examinées :

B072 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 899; R. v. Appulonappa, 2013 BCSC 31, 358 D.L.R. (4th) 666, inf. par 2014 BCCA 163, 25 Imm. L.R. (4th) 1; R. c. Alzehrani, 2008 CanLII 57164, 237 C.C.C. (3d) 471 (C.S.J. Ont.); Little Red River Cree Nation #447 v. Laboucan, 2010 FCA 253; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Berrahma c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1991] A.C.F. no 180 (C.A.) (QL), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1991] 3 R.C.S. vi; R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3; Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, [2013] 2 R.C.S. 125; Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248.

décisions citées :

B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 569; S. C. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 491; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539; Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370; Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.); Apotex Inc. c. Janssen Pharmaceutica Inc., 1997 CanLII 4846 (C.A.F.); Canada c. Craig, 2012 CSC 43, [2012] 2 R.C.S. 489; Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411; R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973; R. v. Weir, 1999 ABCA 275, 250 A.R. 73; Bekker c. Canada, 2004 CAF 186; Somodi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 268; Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458; Renvoi relatif au Règlement sur la sûreté du transport maritime (CA), 2009 CAF 234; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031; Rudolph c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 653 (C.A.); Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.); Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15526 (C.A.F.); Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487; Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616; Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232; Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 482; Erdos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 419; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460.

DOCTRINE CITÉE

Goodwin-Gill, Guy S. « Article 31 of the 1951 Convention Relating to the Status of Refugees: Non-penalization, Detention, and Protection » dans Erika Feller, Volker Türk et Frances Nicholson (dir.), Refugee Protection in International Law: UNHCR’s Global Consultations on International Protection. Cambridge : Cambridge University Press, 2003, en ligne : <http://www.unhcr.org/419b79970.pdf>.

Hathaway, James C. The Rights of Refugees Under International Law. Cambridge: Cambridge University Press, 2005.

Mewett, Alan W. et M. Manning. Criminal Law, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1985.

APPELS des décisions de la Cour fédérale (2012 CF 1282, [2014] 2 R.C.F. 128; 2012 CF 1417, 45 Admin. L.R. (5th) 267; 2012 CF 1466, [2014] 2 R.C.F. 146) d’accueillir les demandes de contrôle judiciaire des décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. X, 2012 CanLII 93972; Hernandez c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CanLII 67452) par lesquelles les intimés ont été déclarés interdits de territoire conformément à l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour s’être livrés au passage de clandestins. Appels accueillis.

ONT COMPARU

David Cranton pour l’appelant dans le dossier A-29-13.

Gregory G. George et Norah Dorcine pour l’appelant dans le dossier A‑498‑12.

Kareena R. Wilding pour l’appelant dans le dossier A-563-12.

Krassina Kostadinov pour les intimés dans le dossier A-29-13.

Raoul Boulakia pour l’intimé dans le dossier A-498-12.

Ronald Poulton pour l’intimé dans le dossier A-563-12.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Waldman & Associates, Toronto, pour les intimés dans le dossier A-29-13.

Raoul Boulakia, Toronto, pour l’intimé dans le dossier A-498-12.

Poulton Law Office, Toronto, pour l’intimé dans le dossier A-563-12.

  Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Mainville, J.C.A. : La Cour est saisie de trois appels, interjetés par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui ont été instruits conjointement. Les présents motifs s’appliquent aux trois appels et une copie en sera versée dans chaque dossier [B306 c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1282, [2014] 2 R.C.F. 128; Hernandez c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1417; J.P. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1466, [2014] 2 R.C.F. 146].

[2]        Les trois appels soulèvent essentiellement les mêmes questions, qui ont trait à des conclusions d’interdiction de territoire tirées en vertu de l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). En vertu de cet alinéa, emporte interdiction de territoire au Canada le fait de « se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins ».

[3]        Le ministre, s’appuyant à cet égard sur le paragraphe 117(1) de la LIPR, soutient qu’en vertu de l’alinéa 37(1)b), il n’est pas nécessaire que l’étranger se livre au passage de clandestins en vue d’en tirer un avantage financier ou un autre avantage matériel pour être déclaré interdit de territoire au Canada.

[4]        Aux époques visées par les trois appels, le paragraphe 117(1) était libellé ainsi : « Commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes non munies des documents — passeport, visa ou autre — requis par la présente loi ou incite, aide ou encourage une telle personne à entrer au Canada. » Il est utile de signaler que le paragraphe 117(1) a depuis lors été modifié et remplacé par le paragraphe 41(1) de la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17. Il se lit maintenant comme suit : « Il est interdit à quiconque d’organiser l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes ou de les inciter, aider ou encourager à y entrer en sachant que leur entrée est ou serait en contravention avec la présente loi ou en ne se souciant pas de ce fait. » Les présents motifs concernent le libellé du paragraphe avant la modification.

[5]        Dans les trois appels, les intimés, s’appuyant sur l’alinéa 3(1)f) de la LIPR, sur l’alinéa a) de l’article 3 du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer [additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 15 novembre 2000, 2241 R.T.N.U. 507] (le Protocole sur le trafic de migrants) et sur l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention sur les réfugiés), soutiennent que la personne qui se livre au « passage de clandestins » doit agir dans le but d’en tirer un avantage financier ou un autre avantage matériel pour tomber sous le coup de la disposition d’interdiction de territoire qui figure à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR.

[6]        Les intimés ajoutent que si leur interprétation de la portée du terme « passage de clandestins » à l’alinéa 37(1)b) était erronée, cette disposition aurait pour effet de bloquer l’examen par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de leur demande d’asile aux termes de la Convention sur les réfugiés. Selon les intimés, ce refus entraîne une violation des droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte).

[7]        La Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) s’est fondée sur le paragraphe 117(1) de la LIPR pour interpréter l’alinéa 37(1)b). Elle a par conséquent toujours conclu qu’un étranger pouvait être interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR même s’il ne prévoyait pas recevoir ou ne recevait pas un avantage financier ou un autre avantage matériel en se livrant au passage de clandestins. Cependant, dans diverses instances en contrôle judiciaire, la Cour fédérale s’est montrée très divisée sur la question, et ses juges ont exprimé des points de vue différents et irréconciliables sur un certain nombre de questions connexes, comme la norme de contrôle applicable; voir notamment B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 569; B072 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 899; B306 c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1282, [2014] 2 R.C.F. 128; Hernandez c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1417; J.P. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1466, [2014] 2 R.C.F. 146; S. C. c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 491.

[8]        Une formation de la Cour s’est récemment penchée sur cette controverse dans l’arrêt B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87 (l’arrêt <I>B010</I>). La formation qui a rendu l’arrêt B010 a jugé qu’il était raisonnable que la Commission définisse le sens de l’expression « passage de clandestins » qui figure à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR en s’appuyant sur le paragraphe 117(1). Le 3 octobre 2013, la Cour suprême du Canada a refusé la demande de pourvoi de l’arrêt B010 ([2013] 3 R.C.S. vi).

[9]        Dans l’arrêt B010, la Cour n’a pas examiné les questions constitutionnelles soulevées par les intimés dans les trois appels dont la Cour est saisie, notamment les répercussions de la décision récente R. v. Appulonappa, 2013 BCSC 31, 358 D.L.R. (4th) 666 (Appulonappa), dans laquelle la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a déclaré l’article 117 de la LIPR incompatible avec les dispositions de la Constitution et, par conséquent, nul et sans effet. Cette décision est actuellement en appel devant la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique[*]. La déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions visées dans la décision Appulonappa a été suspendue en attendant l’issue de cet appel : ordonnance non publiée de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique du 10 juin 2013 dans le dossier CSCB no 25796.

[10]      Dans deux des appels dont nous sommes saisis, les intimés exhortent la Cour à ne pas suivre l’arrêt B010. Dans tous les appels, les intimés ajoutent que même si la Cour estime qu’elle est liée par cette décision, de nombreuses questions demeurent néanmoins sans réponse et devraient être examinées lors des présents appels. Ces questions peuvent être formulées comme suit :

a)  L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR exige‑t‑elle que l’étranger ait l’intention (la mens rea) d’aider et d’encourager le passage de clandestins pour qu’il soit visé par la disposition d’interdiction de territoire? Dans l’affirmative, en quoi exactement consiste cette exigence relative à la mens rea?

b)  S’il faut définir le terme « passage de clandestins » à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR en tenant compte du paragraphe 117(1), cette définition a‑t‑elle une portée trop large sur le plan constitutionnel?

c)  L’alinéa 37(1)b) de la LIPR, en empêchant la tenue d’une audience sur une demande d’asile de l’étranger tombant sous le coup de cette disposition d’interdiction de territoire, déclenche‑t‑il l’application de l’article 7 de la Charte?

d)  Dans le cas de l’intimé B306, la Commission a‑t‑elle commis une erreur i) en refusant d’examiner la possibilité que son aide à l’opération de passage de clandestins puisse résulter de la nécessité ou de la contrainte, ii) en omettant de tenir compte des conclusions d’un autre commissaire en ce qui concerne sa mise en liberté?

LE CADRE LÉGAL

[11]      Les dispositions pertinentes de la LIPR, de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée [15 novembre 2000, 2225 R.T.N.U. 209] (la Convention sur la criminalité transnationale organisée), du Protocole sur le trafic de migrants et de la Convention sur les réfugiés sont reproduites en annexe des présents motifs.

[12]      Le cadre général de ces instruments, en ce qui touche aux questions soulevées dans les présents appels, peut être brièvement résumé comme suit.

[13]      Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer : Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 46.

[14]      Le législateur peut donc encadrer et restreindre l’entrée d’étrangers au Canada et il l’a fait principalement au moyen de la LIPR. L’étranger qui cherche à entrer au Canada et à y demeurer est donc tenu de s’adresser à un fonctionnaire canadien dans un autre pays pour obtenir un visa ou tout autre document exigé par les règlements pour qu’on puisse vérifier s’il n’est pas interdit de territoire et s’il se conforme à la loi : LIPR, paragraphe 11(1).

[15]      En vertu des dispositions de la LIPR, certaines personnes sont interdites de territoire au Canada. Il s’agit notamment de personnes à l’égard desquelles il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles sont visées par l’une des situations suivantes :

i)          elles constituent un danger pour la sécurité du Canada : LIPR, article 34;

ii)         elles ont commis des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre ou d’autres violations des droits internationaux : LIPR, article 35;

iii)        elles ont commis un crime grave au Canada ou à l’étranger : LIPR, article 36;

iv)        elles se sont livrées à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert : LIPR, alinéa 37(1)a);

v)         elles se sont livrées, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité : LIPR, alinéa 37(1)b);

vi)        elles ont un état de santé constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé : LIPR, article 38;

vii)       elles ne peuvent pas ou ne veulent pas subvenir à leurs propres besoins et à ceux des personnes à leur charge, et aucune disposition n’a été prise pour couvrir leurs besoins et ceux de leurs personnes à charge : LIPR, article 39;

viii)      elles ont fait une présentation erronée sur un fait important, ou ont fait preuve de réticence sur ce fait, ou n’ont pas respecté les dispositions de la LIPR : LIPR, articles 40 et 41;

ix)        elles accompagnent un membre de la famille qui est interdit de territoire : LIPR, article 42.

[16]      Malgré ces dispositions, le ministre responsable peut, dans certaines circonstances, lever l’interdiction de territoire et accorder le statut de résident permanent à l’étranger s’il estime que cette mesure serait justifiée pour des considérations d’ordre humanitaire ou d’intérêt public : LIPR, paragraphes 25(1), 25.1(1) et 25.2(1).

[17]      Le Canada est aussi signataire de la Convention sur les réfugiés. Cet instrument a été adopté par la communauté internationale en réaction aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale et aux atrocités commises pendant ce conflit. Les articles 31 et 33 de la Convention sur les réfugiés sont pertinents pour les présents appels :

a) L’article 31 prévoit qu’aucune sanction pénale ne doit être imposée « aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières ».

b) L’article 33 énonce le principe du non‑refoulement. Il dispose ce qui suit : « Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » Cependant, le bénéfice du principe du non‑refoulement ne pourra pas être invoqué par « un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ».

[18]      Le législateur a mis en œuvre l’article 31 au moyen de la LIPR. Par conséquent, une distinction a été établie entre, d’une part, les étrangers qui cherchent à entrer au Canada et à y demeurer en vertu de l’application normale de la LIPR et, d’autre part, les étrangers qui demandent l’asile au Canada en vertu de la Convention sur les réfugiés. Alors que l’étranger qui souhaite entrer au Canada et y demeurer doit habituellement demander les documents pertinents à partir d’un autre pays, dans le cas de l’étranger qui demande l’asile en vertu de la Convention sur les réfugiés, la procédure peut se faire au Canada : LIPR, paragraphe 99(1). L’étranger qui est entré au Canada sans les documents pertinents ou muni de documents contrefaits ne peut être accusé d’infractions connexes tant qu’il n’est pas statué sur sa demande d’asile fondée sur la Convention sur les réfugiés ou une fois que l’asile lui est conféré : LIPR, article 133.

[19]      Le Parlement a aussi mis en œuvre l’article 33 de même que des mesures de protection supplémentaires s’appliquant aux réfugiés en adoptant le paragraphe 115(1) de la LIPR. Selon cette dernière disposition, un réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés ne peut être renvoyé dans un pays où il risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture, ou des traitements ou peines cruels et inusités.

[20]      Par contre, les dispositions de la LIPR liées à la Convention sur les réfugiés n’englobent pas certaines catégories d’étrangers qui demandent l’asile au Canada et qui sont visés par certaines (mais pas l’ensemble) des dispositions sur l’interdiction de territoire décrites précédemment. Plus précisément, le traitement de la demande d’asile d’un réfugié est suspendu lorsque l’étranger est réputé interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée (qui comprend le passage de clandestins dans le contexte du crime transnational) : LIPR, alinéas 100(2)a) et 103(1)a). Si la Section de l’immigration de la Commission déclare l’interdiction de territoire pour l’un ou l’autre de ces motifs, la demande d’asile de l’étranger fondée sur la Convention sur les réfugiés devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission est irrecevable : LIPR, alinéa 101(1)f).

[21]      Sauf exception, il ne découle pas nécessairement de la décision d’interdiction de territoire que l’étranger visé sera renvoyé du Canada vers un pays où il serait personnellement exposé à un danger et à l’égard duquel il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités; je désignerai ce genre de situation par l’expression « expulsion vers la torture ». En fait, dans un cas d’expulsion possible vers la torture, l’étranger interdit de territoire peut quand même demander la protection du Canada non pas en tant que réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés, mais plutôt en tant que personne à protéger : LIPR, paragraphe 97(1), alinéa 112(3)a) et paragraphe 114(1). Cependant, les mécanismes définis dans la LIPR relativement à l’octroi de cette protection aux étrangers interdits de territoire ont un caractère plutôt discrétionnaire et varient selon les motifs de l’interdiction de territoire.

[22]      En ce qui concerne l’étranger interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée, ce qui, comme il a été déjà mentionné, comprend le passage de clandestins dans le contexte de la criminalité transnationale, le ministre responsable peut annuler l’interdiction de territoire s’il est convaincu que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national : LIPR, article 42.1 (autrefois l’alinéa 37(2)a)).

[23]      L’étranger interdit de territoire pour ces motifs peut aussi demander une évaluation des risques avant renvoi : LIPR, paragraphe 112(1). Cependant, dans ce genre de situation, l’évaluation des risques sera limitée à l’examen du risque d’expulsion vers la torture et prendra aussi en compte la question de savoir si la demande doit être refusée à cause de la nature et de la gravité des actes commis par l’étranger ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada : LIPR, sous‑alinéa 113d)(ii). Si la protection est accordée, l’asile n’est pas pour autant octroyé; cette protection suspend simplement l’ordonnance de renvoi vers le pays ou le lieu à l’égard duquel il a été établi que l’étranger avait besoin de protection : LIPR, alinéa 112(3)a) et paragraphe 114(1). Quoi qu’il en soit, la protection peut être refusée si, de l’avis du ministre, l’étranger ne devrait pas être autorisé à demeurer au Canada en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada : LIPR, alinéa 115(2)b).

[24]      Le Protocole sur le trafic de migrants complète la Convention sur la criminalité transnationale organisée, qui définit le terme « infraction de nature transnationale », et il doit être interprété conjointement avec la Convention. L’objet du Protocole sur le trafic de migrants, énoncé à son article 2, est de « prévenir et combattre le trafic illicite de migrants, ainsi que de promouvoir la coopération entre les États Parties à cette fin, tout en protégeant les droits des migrants objet d’un tel trafic ». Selon son article 6 : « Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale » au trafic illicite de migrants, qui est décrit comme un acte commis afin d’en tirer, « directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel ». Cependant, aux termes de l’article 5, ne sont pas passibles de poursuites pénales les migrants qui ont été l’objet du trafic illicite.

[25]      Le paragraphe 4 de l’article 6 du Protocole sur le trafic de migrants précise cependant qu’aucune disposition du Protocole « n’empêche un État Partie de prendre des mesures contre une personne dont les actes constituent, dans son droit interne, une infraction ». Le paragraphe 3 de l’article 34 de la Convention sur la criminalité transnationale organisée prévoit ce qui suit : « Chaque État Partie peut adopter des mesures plus strictes ou plus sévères que celles qui sont prévues par la présente Convention afin de prévenir et de combattre la criminalité transnationale organisée. »

LES DÉCISIONS DE LA COUR FÉDÉRALE

            L’affaire J.P. et G.J.

[26]      Dans une opération de passage de clandestins flagrante, le MS Sun Sea est arrivé dans les eaux canadiennes après un long et discret voyage à partir de la Thaïlande, avec à son bord 492 citoyens du Sri Lanka qui cherchaient à entrer au Canada pour y déposer des demandes d’asile. Parmi ces personnes se trouvaient J.P. et G.J.

[27]      Après avoir mené des entrevues et effectué des enquêtes, les fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada ont conclu que J.P. avait été un des membres de l’équipage du MS Sun Sea et que, par conséquent, il s’était livré au passage de clandestins. Comme il a été mentionné précédemment, les étrangers qui se livrent au passage de clandestins sont interdits de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR. Les fonctionnaires de l’Agence ont aussi conclu que l’épouse de J.P., G.J., était interdite de territoire en vertu de l’article 42 de la LIPR en tant que membre de la famille accompagnant une personne interdite de territoire. Un rapport circonstancié a donc été établi en application du paragraphe 44(1) de la LIPR, ce qui a entraîné la suspension du processus d’examen des demandes d’asile déposées par J.P. et G.J. Le ministre était d’avis que le rapport était bien fondé et a donc déféré l’affaire à la Commission pour enquête conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR.

[28]      Après avoir tenu une audience et évalué la preuve, la Commission a conclu que J.P. avait sciemment aidé des personnes à entrer au Canada alors que celles‑ci, contrairement aux exigences de la LIPR, n’étaient pas munies d’un visa, d’un passeport ou d’un autre document et qu’il s’était par conséquent livré au passage de clandestins dans le contexte de la criminalité transnationale [Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. X, 2012 CanLII 93972 (C.I.S.R.)]. La Commission a donc jugé J.P. interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)b). Elle a par conséquent aussi estimé que G.J. était interdite de territoire en tant que membre de la famille accompagnant une personne interdite de territoire. La Commission a pris une mesure de renvoi contre les deux personnes en application de l’alinéa 45d) de la LIPR et de l’alinéa 229(1)e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

[29]      La Commission a tiré les conclusions de fait suivantes : J.P. et sa conjointe G.J. avaient d’abord quitté le Sri Lanka en direction de la Thaïlande munis de leurs propres passeports. Ils ont passé un certain temps en Thaïlande jusqu’à ce qu’ils apprennent qu’ils pourraient monter à bord du navire qui les emmènerait au Canada. Ils ont versé chacun 30 000 $ pour payer le voyage. Ils ne sont pas montés sur le navire au port, mais en mer, là où ils ne risquaient pas d’être vus, et ils sont montés à bord séparément, à un ou deux jours d’intervalle.

[30]      Quelques jours après leur embarquement, l’équipage thaïlandais du MS Sun Sea a quitté le navire. C’est à ce moment que J.P. a été recruté pour aider à faire fonctionner le navire. Il a d’abord refusé puis, peu de temps après, il a accepté de le faire. La Commission a estimé que ses tâches comprenaient la navigation, la lecture de données GPS [système mondial de localisation] et radar et la manœuvre du gouvernail. Elle a aussi conclu que J.P. avait été aide‑navigateur pendant la plus grande partie du voyage.

[31]      J.P. et G.J. ont présenté à la Commission trois raisons pour lesquelles ils ne devaient pas être interdits de territoire au Canada :

- Premièrement, comme toutes les personnes à bord du MS Sun Sea ont déposé des demandes d’asile au point d’entrée au Canada, il ne s’agissait pas de passage de clandestins, étant donné qu’aucun comportement à caractère clandestin n’était en cause.

- Deuxièmement, le concept de passage de clandestins exposé à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR doit être conforme aux instruments internationaux dont le Canada est partie, y compris le Protocole sur le trafic de migrants, qui définit le « trafic illicite de migrants » [article 3] en renvoyant à « un avantage financier ou autre avantage matériel ».

- Troisièmement, l’alinéa 37(1)b) a une portée trop large pour être valide sur le plan constitutionnel et viole les principes de la justice fondamentale; de plus, pour réaliser son objet, il restreint plus qu’il ne le faut le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

[32]      En ce qui concerne la première allégation, la Commission a conclu que le secret ou le comportement clandestin n’étaient pas nécessaires pour conclure qu’il y avait passage de clandestins. La Commission a par ailleurs conclu que même si la preuve de l’existence d’activités clandestines avait été nécessaire, il y avait bel et bien eu des activités de cette nature en l’espèce, eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris la façon furtive dont le MS Sun Sea a navigué et le secret qui a entouré le voyage. La Commission a conclu ceci : « Ainsi, bien que les passagers aient eu l’intention de se présenter devant les autorités canadiennes, ils contournaient les exigences à la frontière. Ils ont probablement choisi ce moyen de transport parce qu’ils ne se seraient jamais rendus à la frontière canadienne s’ils avaient essayé de monter à bord d’un avion, car ils auraient été soumis à une forme quelconque d’examen des documents avant l’embarquement (et, en l’espèce, la plupart des passagers n’avaient pas de documents) » : décision de la Commission, au paragraphe 36.

[33]      En ce qui a trait à la deuxième allégation, la Commission a tiré la conclusion de droit qu’il n’est pas nécessaire de démontrer, en ce qui concerne les personnes qui se livrent au passage de clandestins au sens de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, l’existence d’un « avantage financier ou autre avantage matériel » visé au Protocole sur le trafic de migrants. La Commission a plutôt fondé sa conclusion relative au passage de clandestins visé à l’alinéa 37(1)b) sur le paragraphe 117(1) de la LIPR, tel qu’il était alors libellé, qui définissait cette infraction de façon plus large que le Protocole sur le trafic de migrants et ne mentionnait pas d’avantage financier ou matériel. La Commission a donc adopté les éléments définis par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision R. v. Alzehrani, 2008 CanLII 57164, 237 C.C.C. (3d) 471 (Alzehrani), en ce qui concerne l’entrée illégale au Canada visée au paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé, pour cerner le sens du terme « passage de clandestins » à l’alinéa 37(1)b).

[34]      La Commission a refusé d’examiner la troisième allégation qui soulevait des arguments constitutionnels pour le motif que les exigences prévues à la règle 47 des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229, relatives à un avis de question constitutionnelle n’avaient pas été correctement suivies.

[35]      J.P. et G.J. ont obtenu l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission et, dans un jugement rendu le 12 décembre 2012, dont la référence est 2012 CF 1466, [2012] 2 R.C.F. 146 [précitée], le juge Mosley a accueilli leur demande.

[36]      Deux questions ont été soulevées lors de ce contrôle judiciaire : 1) La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en refusant d’examiner la troisième allégation au motif que les demandeurs avaient omis de déposer l’avis nécessaire? 2) A‑t‑elle commis une erreur de droit en n’interprétant pas l’expression « passage de clandestins » conformément au Protocole sur le trafic de migrants?

[37]      Le juge Mosley a appliqué la norme de la décision raisonnable à la première question. Il a estimé qu’il ressortait des observations de J.P. et G.J. devant la Commission qu’ils ne cherchaient pas à faire annuler l’alinéa 37(1)b) de la LIPR pour des motifs constitutionnels, mais qu’ils souhaitaient plutôt que cette disposition soit interprétée conformément à la Constitution et aux instruments internationaux. Il a donc conclu que la Commission avait mal compris le fondement de leurs observations et qu’elle avait commis une erreur en refusant d’examiner les arguments fondés sur la Charte, malgré l’absence d’avis. Il a estimé qu’il s’agissait d’une décision déraisonnable dans le sens qu’elle n’était pas justifiée et qu’elle ne faisait pas partie des issues possibles acceptables.

[38]      En ce qui concerne la seconde question, le juge Mosley a reconnu l’existence d’une controverse au sein de la Cour fédérale en ce qui concerne la norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’interprétation par la Commission de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR et qu’un autre juge de la Cour fédérale avait déjà certifié une question sur ce point. Il s’est néanmoins prononcé (au paragraphe 13 de ses motifs) en disant qu’à son avis l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) était « une question de droit qui déborde le cadre de l’expertise du décideur et qui revêt une importance capitale pour le système juridique, ce qui commande l’application de la norme de la décision correcte ».

[39]      Il a ensuite passé en revue les observations des parties et les décisions contradictoires de la Cour fédérale quant à l’interprétation de l’alinéa 37(1)b). Il a conclu (au paragraphe 42 de ses motifs) que la ligne de démarcation entre les engagements de pénaliser ceux qui se livrent à la traite de personnes et de prendre des mesures pour protéger ceux qui en sont victimes « risque d’être difficile à tracer si l’on retient une interprétation trop large de l’alinéa 37(1)b) qui englobe des personnes qui n’ont pas planifié ou accepté d’exécuter le plan ou qui n’espèrent obtenir comme récompense rien de plus qu’une modeste amélioration dans leurs conditions de vie ». Il ajoutait qu’il ne convenait donc pas que la Commission interprète l’alinéa 37(1)b) en s’appuyant rigoureusement sur les éléments factuels de l’infraction énoncée au paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé.

[40]      Il a donc certifié les deux questions suivantes en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR :

a) Aux fins de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, est‑il approprié de définir l’expression « passage de clandestins » sur la base de l’article 117 de ladite loi plutôt que sur la base de la définition contenue dans un instrument international dont le Canada est signataire?

b) L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et, en particulier, de l’expression « passage de clandestins » est‑elle susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte ou selon la norme de la décision raisonnable?

            L’affaire B306

[41]      B306 se trouvait aussi à bord du MS Sun Sea et il a aussi déposé une demande d’asile à l’arrivée de ce navire au Canada. Un rapport circonstancié a également été établi dans son cas conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR, ce qui a suspendu l’examen de sa demande d’asile. Le ministre, qui était d’avis que le rapport était bien fondé, a déféré l’affaire à la Commission pour enquête en application du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[42]      La Commission a conclu que B306 avait été cuisinier pour l’équipage du MS Sun Sea et qu’il avait aussi exercé des fonctions de vigie de façon à éviter que la présence du navire soit décelée. Elle a notamment estimé que les tâches de vigie de B306 avaient aidé à prévenir l’interception éventuelle du navire au fur et à mesure qu’il s’approchait du Canada et que cette tâche à bord du navire avait joué un rôle important dans l’opération de passage de clandestins.

[43]      Comme elle l’avait fait dans le cas de J.P., la Commission a défini la portée du terme « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR en tenant compte du paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé. Par conséquent, la Commission a conclu que B306 avait aidé et encouragé l’entrée au Canada des étrangers qui se trouvaient à bord du MS Sun Sea.

[44]      La Commission a aussi rejeté les observations de B306 fondées sur la nécessité et la contrainte et a conclu qu’il n’avait pas été exposé à un risque imminent et qu’il n’avait pas fait l’objet d’une contrainte.

[45]      B306 avait aussi signifié un avis de question constitutionnelle à la Commission dans lequel il alléguait qu’il était contraire à l’article 7 de la Charte d’empêcher un demandeur d’asile d’obtenir une audience par suite d’une conclusion d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR. La Commission a rejeté cet argument au motif que, quoique la demande d’asile de B306 serait probablement jugée irrecevable, cela ne signifiait pas qu’il serait renvoyé au Sri Lanka étant donné qu’il a) « a le droit, prévu par la loi, de demander un examen des risques avant renvoi, et [qu’]il ne peut être renvoyé du Canada jusqu’à ce que ce processus soit terminé » et b) qu’il « peut également présenter une demande au ministre au titre de l’alinéa 37(2)a) [maintenant l’article 42.1] de la LIPR, de sorte que la conclusion d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 37(1)b) ne s’appliquerait pas à lui » : décision de la Commission, au paragraphe 41.

[46]      La Commission a donc jugé que B306 était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR et a pris une mesure de renvoi contre lui.

[47]      B306 a aussi obtenu le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission et, dans un jugement rendu le 9 novembre 2012, référence 2012 CF 1282, [2014] 2 R.C.F. 128 [précité], la juge Gagné a accueilli sa demande.

[48]      En ce qui concerne la norme de contrôle applicable, la juge Gagné a estimé qu’elle était liée par la décision antérieure du juge Noël dans B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 569 [précitée], qui avait appliqué la norme de la décision raisonnable pour contrôler l’interprétation faite par la Commission de l’alinéa 37(1)b). Appliquant cette norme à la situation de B306, elle a conclu que la Commission avait tiré une conclusion déraisonnable.

[49]      La juge Gagné a estimé que l’analyse des faits par la Commission « ne tenait pas compte du contexte de dépendance et de vulnérabilité complètes et d’inégalité des forces en présence dans lequel se trouvait le demandeur au cours du voyage de trois mois jusqu’au Canada » (au paragraphe 34). Elle a ensuite substitué sa propre évaluation de la preuve à celle de la Commission, ce qui l’a amenée à conclure ce qui suit, au paragraphe 37 de ses motifs :

Cependant, le tribunal a inféré la mens rea de passage de clandestins chez le demandeur du seul fait qu’« [i]l a choisi d’aider les passeurs de clandestins alors qu’il savait que ceux‑ci transportaient des gens illégalement vers le Canada. » Cependant, afin d’établir la mens rea, le tribunal devait s’interroger quant à savoir pour quels motifs le demandeur avait cherché à aider les passeurs, et il a commis une erreur de droit en omettant de le faire. Autrement dit, le demandeur a aidé les passeurs en échange de nourriture; il n’a pas aidé la venue au Canada « d’une ou plusieurs personnes non munies des documents — passeport, visa ou autre — requis par la [Loi] ». Il n’a pas non plus incité ou encouragé de tels actes. Il y a lieu d’opérer une distinction entre l’infraction de passage de clandestins visée à l’article 117 de la LIPR et l’infraction de complot, de complicité ou de complicité après le fait avec les passeurs visée à l’article 131 de la LIPR (voir version française). L’alinéa 37(1)b) parle de passage de clandestins, mais non de complicité ou de complot.

[50]      Elle a ensuite certifié les deux questions suivantes :

a) Pour l’application de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, est‑il approprié de définir l’expression « passage de clandestins » en s’appuyant sur l’article 117 de la même loi plutôt que sur une définition contenue dans un instrument international dont le Canada est signataire?

b) Pour l’application de l’alinéa 37(1)b) et de l’article 117 de la LIPR, y a‑t‑il une distinction à faire entre aider et encourager l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes qui ne sont pas munies d’un visa, passeport ou autre document exigé par la Loi, par opposition à aider et encourager les passeurs à bord d’un navire en cours de passage clandestin? Autrement dit, dans quelles circonstances la définition de passage de clandestins à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR s’étendrait‑elle aux infractions visées à l’article 131 de la LIPR?

            L’affaire Hernandez

[51]      M. Hernandez est un citoyen de Cuba qui avait quitté ce pays pour s’installer aux États‑Unis. Pendant qu’il se trouvait aux États‑Unis, M. Hernandez et deux personnes ont acheté une embarcation de 34 pieds et ont quitté la Floride en direction de Cuba dans le but déclaré d’aller y chercher des membres de leurs familles. Lorsqu’ils sont arrivés à Cuba, les membres des familles des deux amis se trouvaient sur les lieux de même que certains cousins de M. Hernandez; cependant, aucun des proches parents de ce dernier n’était là.

[52]      En tout, 48 citoyens cubains sont montés dans la petite embarcation et ont navigué en direction des États‑Unis. Ils ont été arrêtés par la garde côtière des États‑Unis à quelque 80 à 100 kilomètres des côtes américaines. Même si M. Hernandez était le principal organisateur de l’opération de passage de clandestins, il n’y avait pas participé dans le but d’obtenir un avantage financier.

[53]      Par suite de ces activités de passage de clandestins, M. Hernandez a été déclaré coupable aux États‑Unis de trafic illicite d’étrangers en vertu du sous‑alinéa 1324(a)(2)(A) du titre 8 du U.S.C. [Aliens and Nationality, 8 U.S.C. § 1324(a)(2)(A)]. En raison de cette déclaration de culpabilité, il risquait l’expulsion des États‑Unis. Il est donc venu au Canada, où il a déposé une demande d’asile.

[54]      Deux rapports circonstanciés ont été établis à son sujet en application du paragraphe 44(1) de la LIPR. Dans le premier rapport, il était précisé que M. Hernandez était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR parce qu’il avait été déclaré coupable à l’extérieur du Canada d’une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait constitué une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans. L’agent qui a établi le rapport a assimilé la déclaration de culpabilité à l’égard d’une infraction de trafic illicite d’étrangers prononcée aux États‑Unis contre M. Hernandez à une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction d’entrée illégale visée à l’article 117 de la LIPR, tel qu’il était alors libellé.

[55]      Le second rapport circonstancié établi en application du paragraphe 44(1) concluait que M. Hernandez était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR parce qu’il s’était livré au passage de clandestins eu égard aux faits qui avaient entraîné sa déclaration de culpabilité aux États‑Unis à l’égard de l’infraction de trafic illicite d’étrangers.

[56]      La ministre a déféré les deux rapports à la Commission.

[57]      En ce qui a trait à l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)b), la Commission a estimé, sur le fondement de la preuve à sa disposition, que « l’infraction américaine de passage de clandestins aux termes du sous‑alinéa 1324(a)(2)(A) du titre 8 du code des États‑Unis est équivalente à tous les égards à l’infraction canadienne d’organisation d’entrée illégale au Canada aux termes du paragraphe 117(1) de la LIPR. En outre, elle constituerait une infraction punissable, suivant le sous‑alinéa 117(2)a)(i) de la LIPR, d’un emprisonnement maximal de 10 ans, ce qui inclut la peine maximale de 10 ans nécessaire pour conclure qu’une infraction a été perpétrée suivant l’alinéa 36(1)b) » : décision de la Commission [Hernandez c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CanLII 67452 (C.I.S.R.)], au paragraphe 25.

[58]      La Commission a donc estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Hernandez tombait sous le coup de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR et que, par conséquent, il était interdit de territoire pour grande criminalité. Elle a donc pris une mesure de renvoi contre lui sur ce fondement.

[59]      En ce qui concerne l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 37(1)b), la Commission est demeurée fidèle à sa jurisprudence selon laquelle l’article 117 de la LIPR, tel qu’il était alors libellé, fournissait un cadre d’interprétation approprié à la définition du terme « passage de clandestins » et que, par conséquent, « le passage de clandestins n’a pas à être fait “dans le but d’obtenir un avantage financier ou matériel”, comme l’indique la définition dans le Protocole » : décision de la Commission, au paragraphe 39.

[60]      Elle a aussi conclu que, selon la définition fournie au paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé, l’infraction de « passage de clandestins » aux fins de l’application de l’alinéa 37(1)b) comprenait le fait d’organiser sciemment l’entrée dans un pays d’une ou de plusieurs personnes qui n’étaient pas munies du passeport, visa, ou autre document exigé par ce pays, ou de les inciter, aider ou encourager à y entrer. Elle soulignait finalement que les éléments dont il faut démontrer l’existence pour étayer une accusation de « passage de clandestins » sont les mêmes que ceux qui sont exposés dans la décision Alzehrani pour l’infraction d’« organisation d’entrée illégale » au sens du paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé, mais selon une autre norme de preuve : décision de la Commission, aux paragraphes 40 à 42.

[61]      Examinant les faits en tenant compte de ces conclusions de droit, la Commission a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Hernandez était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)b), même si rien ne démontrait qu’il s’était livré au passage de clandestins pour obtenir un avantage financier ou autre avantage matériel. Par conséquent, elle a aussi pris une mesure de renvoi contre lui sur ce second fondement.

[62]      M. Hernandez a obtenu le droit de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission et, dans un jugement rendu le 12 décembre 2012, dont la référence est 2012 CF 1417 [précité], le juge Zinn a accueilli sa demande.

[63]      Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Hernandez n’a pas contesté la conclusion d’interdiction de territoire de la Commission fondée sur l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Sa demande concernait donc uniquement la conclusion d’interdiction de territoire fondée sur l’alinéa 37(1)b), relativement au passage de clandestins.

[64]      Le juge Zinn a reconnu que la Cour fédérale avait tiré des conclusions opposées en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission fondée sur l’alinéa 37(1)b) de la LIPR. Il a donc décidé d’effectuer une analyse complète de la norme de contrôle. Cette analyse l’a amené à conclure que c’est la norme de la décision correcte qui devait s’appliquer étant donné qu’à son avis, l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) touchait à la fois le droit pénal et le droit international : au paragraphe 28 des motifs. Dans ses motifs, il a aussi exprimé l’avis que la question de savoir qui est admissible ou interdit de territoire au Canada est une question d’une importance capitale pour le système juridique : au paragraphe 31 des motifs.

[65]      Le juge Zinn a reconnu que le crime de passage de clandestins au sens du paragraphe 117(1) de la LIPR n’exigeait pas la recherche d’un profit. Cependant, appliquant la norme de contrôle de la décision correcte à l’interprétation de l’alinéa 37(1)b), il a conclu que cet alinéa ne devait pas être interprété à la lumière du paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé. En effet, à son avis, « [l’]engagement international qu’a pris le Canada de criminaliser le trafic illicite de migrants [...] n’a aucune incidence sur la question de savoir quand le Canada doit permettre à des personnes de demander le statut de réfugié au sens de la Convention ou quand les exceptions au principe de non‑refoulement sont satisfaites » : au paragraphe 49 des motifs.

[66]      Il a conclu que, bien interprétée, la notion de « passage de clandestins » au sens de l’alinéa 37(1)b) comprend un élément de profit. Sa conclusion reposait sur trois motifs : 1) « le législateur a utilisé des termes différents à l’alinéa 37(1)b) et à l’article 117 — passage de clandestins et organisation d’entrée illégale au Canada » (au paragraphe 59 des motifs); 2) il faudrait appliquer la règle d’interprétation selon le contexte (noscitur a sociis) pour interpréter les expressions « passage de clandestins », « trafic de personnes » et « recyclage des produits de la criminalité » qui figurent dans cet alinéa, activités qui comprennent un élément de profit (aux paragraphes 70 et 71 des motifs); 3) l’expression « dans le cadre de la criminalité transnationale » à l’alinéa 37(1)b) doit être comprise comme un renvoi aux instruments internationaux : au paragraphe 72 des motifs.

[67]      Le juge Zinn a ensuite certifié les deux questions suivantes :

a.     L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et plus particulièrement de l’expression « passage de clandestins » figurant dans ledit alinéa, faite par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est‑elle susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte ou selon la norme de la décision raisonnable?

b.     L’expression « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, doit‑elle nécessairement être exécutée par le passeur en vue d’en tirer, « directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel », aux termes du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée?

ANALYSE

            L’arrêt B010

[68]      L’arrêt B010, rendu le 22 mars 2013, a traité bon nombre des questions soulevées dans les présents appels.

[69]      B010 et B072 se trouvaient aussi à bord du MS Sun Sea et ont tous deux déposé une demande d’asile à leur arrivée au Canada. Après que l’équipage thaïlandais du MS Sun Sea eut quitté le navire, B010 s’est joint à l’équipage. Il était chargé de surveiller la température, l’eau et le niveau d’huile des machines. Quant à B072, c’est lui qui avait signé les documents constituant en personne morale la société qui avait acheté le MS Sun Sea, il a encaissé des chèques pour l’activité de passage de clandestins et a participé au chargement d’aliments et d’autres équipements sur le navire. La Commission a établi que B010 et B072 étaient interdits de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR. Lors des demandes de contrôle judiciaire dans lesquelles B010 et B072 contestaient ces conclusions, les juges Noël [2012 CF 569, précitée] et Hughes [2012 CF 899, précitée] de la Cour fédérale ont tous deux refusé d’annuler les décisions de la Commission. Les deux juges ont certifié la question suivante :

Pour l’application de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, est‑il approprié de définir l’expression « passage de clandestins » sur le fondement de l’article 117 de ladite loi plutôt que sur la base de la définition contenue dans un instrument international dont le Canada est signataire?

[70]      Dans des motifs méticuleux et bien structurés, la juge Dawson a rejeté les appels de B010 et de B072 [2013 CAF 87, précité]. Elle a appliqué la norme de la décision raisonnable à l’interprétation qu’avait effectuée la Commission de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR. Elle a aussi répondu de la façon suivante à la question certifiée :

Réponse : Oui, il est raisonnable de définir l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 37(1)b) en se fondant sur le paragraphe 117(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, selon lequel commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes non munies des documents — passeport, visa ou autre — requis par la Loi ou incite, aide ou encourage une telle personne à entrer au Canada. Agir ainsi n’est pas incompatible avec les obligations légales internationales du Canada.

Il convient de souligner que le renvoi au paragraphe 117(1) dans cette réponse porte sur le libellé de cette disposition avant son remplacement par le paragraphe 41(1) de la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada.

[71]      Les intimés en l’espèce soutiennent que l’arrêt B010 repose essentiellement sur la norme utilisée pour effectuer le contrôle de l’interprétation qu’avait faite la Commission de l’alinéa 37(1)b). Les intimés demandent donc à la Cour de ne pas suivre l’arrêt B010 en ce qui a trait à la norme de contrôle pour le motif que l’utilisation de la norme de la décision raisonnable est manifestement erronée. Ils ajoutent qu’en appliquant la norme de la décision correcte à l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR par la Commission, nous serions tenus de conclure que la notion de « passage de clandestins » qui y est utilisée doit être conforme au Protocole sur le trafic de migrants plutôt qu’au paragraphe 117(1). Par conséquent, nous n’aurions non plus d’autre choix que de conclure qu’un avantage financier ou autre avantage matériel doit être présent pour qu’une personne qui s’est livrée au passage de clandestins soit interdite de territoire au Canada.

[72]      La Cour est habituellement liée par ses propres décisions : Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, aux paragraphes 8 à 10; Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.), aux pages 278 à 282. Cependant, il ne découle pas de ce principe que la Cour ne peut jamais rompre avec une de ses propres décisions; aux termes de ce principe, la Cour ne devrait que rarement s’écarter de ses propres décisions et, si elle le fait, uniquement pour des motifs importants et valables. La Cour peut écarter une décision antérieure dans les circonstances suivantes :

a) lorsque la décision antérieure est jugée manifestement erronée parce qu’il n’a pas été tenu compte d’une disposition pertinente d’une loi ou d’un règlement, ou qu’un précédent de la Cour suprême du Canada qui fait autorité n’a pas été respecté : Apotex Inc. c. Janssen Pharmaceutica Inc., 1997 CanLII 4846 (C.A.F.), au paragraphe 2;

b) lorsqu’une décision antérieure est devenue dépassée par suite de modifications légales ou de décisions ultérieures de la Cour suprême du Canada, de sorte qu’il est acceptable de ne pas y donner suite;

c) lorsqu’il existe d’autres raisons graves et impérieuses d’écarter une décision antérieure; cependant, dans ce dernier cas, la Cour doit chercher à trouver un équilibre entre les deux valeurs importantes de la justesse et de la certitude et se demander s’il faut privilégier la certitude et maintenir un précédent erroné ou s’il faut rectifier l’erreur : Canada c. Craig, 2012 CSC 43, [2012] 2 R.C.S. 489, aux paragraphes 25 à 27.

[73]      En l’espèce, je ne trouve aucune raison impérieuse de m’écarter de l’arrêt <I>B010 </I>relativement à l’une quelconque des questions fondamentales tranchées dans cette décision.

[74]      Je reconnais que notre Cour a déjà conclu que la norme de contrôle de la décision correcte est celle qui doit être appliquée aux décisions de la Commission qui interprètent le paragraphe 37(1) de la LIPR : Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198, au paragraphe 15. Cependant, comme il est souligné à bon droit aux paragraphes 61 à 70 de l’arrêt B010, la position de la Cour suprême du Canada en ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux décisions de tribunaux administratifs interprétant leurs propres lois constitutives ou des lois liées de près à leur mandat a considérablement évolué depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. La déférence est maintenant la règle plutôt que l’exception lorsqu’il est question des tribunaux administratifs.

[75]      Je fais miens les commentaires de la juge Dawson au paragraphe 72 de ses motifs dans l’arrêt B010, soit : « Comme l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique à laquelle la Cour suprême du Canada s’est livrée dans l’affaire Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, l’illustre fort bien, même lorsque la question en litige porte sur l’interprétation qu’un tribunal administratif fait de sa loi constitutive, les issues possibles acceptables pouvant se justifier peuvent être limitées. » Dans bien des cas, il n’existe pas beaucoup de différences concrètes entre l’application de la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte.

[76]      Mon choix relativement à cette approche trouve appui dans le fait que même si j’appliquais la norme de la décision correcte à l’interprétation qu’a effectuée la Commission de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, je tirerais la même conclusion quant au sens de cette disposition.

[77]      En fait, j’adopte le raisonnement de notre Cour aux paragraphes 76 à 80 de l’arrêt B010 selon lequel aucune disposition de la Convention sur la criminalité transnationale organisée ou du Protocole sur le trafic de migrants n’empêche les signataires d’adopter des lois qui interdisent de territoire au Canada les personnes qui favorisent le passage de clandestins sans nécessairement en tirer un profit. De plus, j’appuie aussi le raisonnement suivi aux paragraphes 81 à 91 de cette décision selon lequel même si la Convention sur les réfugiés restreint la capacité d’un État signataire d’expulser un réfugié se trouvant légalement dans son territoire, une conclusion d’interdiction de territoire en vertu de la LIPR n’équivaut pas à un renvoi en vertu de la LIPR ou à un refoulement au sens de la Convention sur les réfugiés.

[78]      Je souligne aussi que l’ajout d’une composante financière à la définition du passage de clandestins déboucherait sur des résultats inacceptables. Des personnes pourraient se livrer au passage de personnes dangereuses, comme des terroristes possibles, mais échapper à une conclusion d’interdiction de territoire en vertu de la LIPR parce qu’ils auraient effectué ces activités de passage de clandestins pour des motifs idéologiques plutôt que pour en tirer un avantage financier. Ce genre de situation serait, à mon avis, tout à fait contraire à l’intention du législateur lorsqu’il a adopté l’alinéa 37(1)b).

[79]      La décision de la Commission d’interpréter l’alinéa 37(1)b) de la LIPR en lien avec le paragraphe 117(1) de la Loi, tel qu’il était alors libellé, n’est pas seulement raisonnable, mais aussi, à mon avis, correcte.

[80]      Premièrement, cette interprétation est tout à fait conforme à la règle moderne d’interprétation légale qui exige qu’une disposition soit interprétée en tenant compte de l’ensemble de la loi dont elle fait partie, ce qui en l’espèce comprend le paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé, en raison du lien étroit entre les deux dispositions : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 27.

[81]      Deuxièmement, le Protocole sur le trafic de migrants ne restreint pas le droit du Canada de prendre des mesures contre les personnes dont les actes constituent une infraction selon ses propres lois. Par conséquent, la mention dans le Protocole d’« un avantage financier ou autre avantage matériel » n’empêche pas le Canada d’adopter une définition plus large du transfert de clandestins qui ne renvoie pas à un avantage financier ou matériel.

[82]      Enfin, les intimés allèguent aussi que la juge Dawson n’a pas fait mention dans l’arrêt B010 d’un texte qui traite de la portée et de l’interprétation de l’article 31 de la Convention sur les réfugiés et que, si elle avait tenu compte de ce document, elle aurait tiré une conclusion différente. Cet argument n’est pas fondé. Premièrement, rien ne démontre que la juge Dawson n’ait pas tenu compte des documents qui lui avaient été soumis et je dois supposer qu’elle l’a fait. Deuxièmement, j’ai lu attentivement le document en question, rédigé par Guy S. Goodwin‑Gill et intitulé « Article 31 of the 1951 Convention Relating to the Status of Refugees: Non‑penalization, Detention and Protection », dans l’ouvrage d’Erika Feller, Volker Türk et Frances Nicholson [directeurs], Refugee Protection in International Law : UNHCR’s Global Consultations on International Protection, Cambridge : Cambridge University Press, 2003; cet article ne traite pas en profondeur de la question du trafic illicite de migrants et j’estime qu’il était très peu pertinent à l’égard des questions dont la Cour était saisie dans l’arrêt B010.

[83]      Quoi qu’il en soit, la juge Dawson s’est appuyée à bon droit (au paragraphe 85 de l’arrêt B010) sur l’ouvrage de James C. Hathaway, The Rights of Refugees Under International Law, Cambridge : Cambridge University Press, 2005, aux pages 412 et 413, pour conclure que l’article 31 de la Convention sur les réfugiés n’empêche pas le Canada d’expulser des réfugiés qui entrent illégalement sur son territoire.

[84]      Je conclus donc que la Cour est liée par l’arrêt B010 en ce qui concerne les questions suivantes :

a) la norme de contrôle des décisions de la Commission relatives à l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR est celle de la décision raisonnable;

b) la Commission a agi de façon raisonnable en s’appuyant sur le paragraphe 117(1) de la LIPR, tel qu’il était alors libellé, pour définir le concept de « passage de clandestins » à l’alinéa 37(1)b) sans l’exigence d’un gain ou d’un avantage financier ou matériel;

c) l’interprétation qu’a faite la Commission de l’alinéa 37(1)b) n’est pas incompatible avec les obligations internationales du Canada en vertu de la Convention sur les réfugiés, de la Convention sur la criminalité transnationale organisée et du Protocole sur le trafic de migrants.

            L’exigence relative à la mens rea

[85]      La Commission a estimé que les éléments essentiels requis pour conclure qu’un étranger est interdit de territoire pour avoir participé au passage de clandestins sont ceux qui figurent au paragraphe 10 de la décision Alzehrani. Encore une fois, il s’agit d’une conclusion raisonnable. En fait, c’est la seule conclusion possible à partir du moment où la Commission estimait que l’alinéa 37(1)b) devait être interprété en lien avec le paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé.

[86]      Par conséquent, s’appuyant sur le paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé, afin de conclure à l’interdiction de territoire d’un étranger en vertu de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, la Commission devait estimer qu’il existait des « motifs raisonnables de croire » (LIPR, article 33) que i) le migrant clandestin n’était pas muni des documents requis pour entrer au Canada ou dans un autre pays visé; ii) le migrant clandestin entrait au Canada ou allait au pays visé; iii) l’étranger incitait, aidait ou encourageait le migrant clandestin à entrer au Canada ou dans le pays visé, ou organisait son entrée; iv) l’étranger savait que le migrant clandestin n’était pas muni des documents requis.

[87]      Dans ce contexte, il faut démontrer l’existence de la mens rea. La Commission doit avoir des motifs raisonnables de croire que l’étranger savait que le migrant clandestin entrait au Canada ou dans le pays visé sans être muni des documents requis et qu’il avait néanmoins incité, aidé ou encouragé cette personne à entrer au Canada ou dans le pays visé ou qu’il avait organisé son entrée. Donc, la mens rea rattachée à l’alinéa 37(1)b) inclut à la fois la conscience de l’absence des documents requis et la mens rea plus générale, soit que l’étranger avait l’intention d’inciter, d’aider ou d’encourager le migrant clandestin à entrer au Canada ou d’organiser son entrée.

[88]      Comme il a été souligné précédemment, en ce qui concerne B306, la juge Gagné a estimé que la présence de la mens rea requise n’avait pas été démontrée étant donné que la participation de B306 à l’activité en question était motivée par le désir d’obtenir de la nourriture et non de participer à une activité de passage de clandestins. J.P. et G.J. s’appuient sur ce raisonnement pour soutenir que J.P. avait participé à la bonne marche du navire simplement pour obtenir une amélioration modeste de ses conditions de vie à bord du MS Sun Sea et que, par conséquent, l’intention d’aider le passage de clandestins était absente. J’estime, avec égards, que ce raisonnement entraîne une confusion entre la notion d’intention et celle de motivation. Ce raisonnement est clairement indéfendable.

[89]      Dans le but d’établir une responsabilité criminelle, le paragraphe 21(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, prévoit explicitement que participe à une infraction quiconque a) la commet réellement; b) accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre; c) encourage quelqu’un à la commettre.

[90]      L’actus reus d’« aider » consiste à faire (ou dans certaines circonstances à omettre de faire) quelque chose qui aide ou encourage une personne à commettre une infraction. Cependant, l’actus reus à lui seul ne suffit pas; il faut que l’action ou l’omission soit « en vue d’aider quelqu’un à [...] commettre » une infraction (Code criminel, alinéa 21(1)b)). L’exigence de la mens rea qui ressort de l’expression « en vue de » a deux composantes, soit l’intention et la connaissance : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, au paragraphe 16.

[91]      Sauf si le législateur a expressément incorporé la motivation aux éléments d’une infraction, l’exigence de la mens rea en ce qui concerne l’aide apportée à une personne qui commet une infraction concerne l’intention d’aider dans la perpétration de l’infraction et cette intention a très peu ou même rien à voir avec la motivation à l’origine de l’aide qui est fournie : voir la discussion à ce sujet dans R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973, aux paragraphes 23 à 39. Les conséquences indésirables de la confusion quant à la motivation et l’intention sont bien illustrées par la situation hypothétique suivante décrite par A. W. Mewett et M. Manning, à la page 112 de l’ouvrage Criminal Law, 2e éd., Toronto : Butterworths, 1985, et citée par la Cour suprême du Canada à la fois dans l’arrêt R. c. Hibbert, précité, au paragraphe 32; et dans l’arrêt R. c. Briscoe, précité, au paragraphe 16 :

   [traduction] Un homme se fait dire par un ami qu’il va dévaliser une banque, qu’il aimerait utiliser sa voiture pour s’enfuir et qu’il lui versera 100 $ en échange de ce service. Lorsqu’il est [...] accusé, en vertu de l’art. 21, d’avoir accompli quelque chose en vue d’aider son ami à commettre l’infraction, cet homme peut‑il dire « Mon but était non pas d’aider à commettre le vol, mais de gagner 100 $ »? Il soutiendrait que, même s’il savait qu’il aidait à commettre le vol, son désir était d’obtenir les 100 $ et il lui était parfaitement égal que le vol réussisse ou non.

[92]      Aux fins de l’application de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, l’exigence relative à la mens rea a été établie dans ces affaires lorsque la Commission avait des motifs raisonnables de croire que les intimés dans chacun de ces appels savaient que les migrants clandestins ne disposaient pas des documents requis, mais qu’ils avaient néanmoins accepté d’inciter, d’aider ou d’encourager ces personnes à entrer au Canada ou dans le pays visé ou d’organiser leur entrée. La motivation derrière ces actions, qu’elle soit idéologique, financière ou matérielle, n’a aucune place dans cette analyse.

[93]      Dans le cas de B306, la Commission a tiré la conclusion de fait qu’il « a choisi d’aider les passeurs de clandestins alors qu’il savait que ceux-ci transportaient des gens illégalement vers le Canada » : paragraphe 26 des motifs de la Commission. En ce qui concerne J.P., la Commission a conclu qu’il avait sciemment aidé l’entrée au Canada de personnes qui ne possédaient pas les documents requis par la LIPR, notamment un visa ou un passeport. Enfin, en ce qui a trait à M. Hernandez, les parties reconnaissent que les personnes qu’il aidait à entrer aux États‑Unis n’étaient pas munies des documents nécessaires. Ces conclusions ont été suffisantes dans chacune de ces affaires pour satisfaire à l’exigence relative à la mens rea de l’alinéa 37(1)b), peu importe les motivations de chacun des intimés.

            L’opposition du ministre à l’examen des questions constitutionnelles par notre Cour

[94]      Dans l’arrêt <I>B010</I>, la juge Dawson n’a pas examiné la question de savoir si l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR retenue par la Commission et fondée sur le paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé, était conforme à l’article 7 de la Charte. Elle n’a pas non plus tenu compte de la décision Appulonappa, dans laquelle il a été déclaré que l’article 117 de la LIPR, tel qu’il était alors libellé, était trop large pour être valide sur le plan constitutionnel et qu’il était, par conséquent, nul et sans effet.

[95]      Les intimés soutiennent que l’article 7 de la Charte garantit le droit à une audience devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission afin que soient examinées leurs demandes d’asile en vertu de la Convention sur les réfugiés et que l’alinéa 37(1)b) viole cette disposition de la Charte parce qu’il a pour effet de leur refuser une telle audience s’ils sont jugés interdits de territoire au Canada : LIPR, alinéa 101(1)f). Les intimés allèguent aussi qu’eu égard à la décision Appulonappa, l’interprétation qu’a faite la Commission de l’alinéa 37(1)b) était trop large pour être valide sur le plan constitutionnel. Par conséquent, les intimés demandent à la Cour d’invalider l’alinéa 37(1)b) pour des motifs constitutionnels, motifs qui n’ont pas été pris en compte dans l’arrêt B010.

[96]      Une partie à un litige qui souhaite contester la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une disposition légale devant un office fédéral, la Cour fédérale ou notre Cour doit d’abord présenter un avis de question constitutionnelle pour que la disposition puisse par la suite être jugée invalide, inapplicable ou sans effet : Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, article 57.

[97]      Dans les présents appels, les intimés ont présenté ces avis à notre Cour avant l’audition des appels et, dans tous ces avis, il est allégué, d’une part, que l’alinéa 37(1)b) est trop large pour être valide sur le plan constitutionnel et, d’autre part, que ses effets sont contraires aux dispositions de l’article 7 de la Charte. Cependant, le ministre appelant soutient que les intimés auraient aussi dû présenter des avis de question constitutionnelle lorsqu’ils se trouvaient devant la Commission et qu’il subit un préjudice du fait de cette omission étant donné qu’il aurait pu présenter des éléments de preuve relatifs aux questions constitutionnelles qui sont maintenant soulevées devant notre Cour.

[98]      Même s’il est vrai qu’aucun avis de question constitutionnelle n’a été présenté à la Commission (sauf dans le cas de B306, qui a remis un avis contenant uniquement des arguments relatifs à l’article 7 de la Charte), dans les présents appels, je ne pense pas que cette omission porte un coup fatal au moyen d’inconstitutionnalité.

[99]      Premièrement, la question de savoir si la portée de l’alinéa 37(1)b) est trop large pour être valide sur le plan constitutionnel s’est posée principalement par suite de la décision Appulonappa de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique du 11 janvier 2013. C’était donc bien après que la Commission eut tenu ses audiences et rendu ses décisions dans les affaires dont nous sommes saisis. Je ne pense pas que notre Cour puisse faire abstraction de la décision Appulonappa, compte tenu particulièrement du fait que les avis appropriés de question constitutionnelle ont été présentés à notre Cour dans la foulée de cette décision.

[100]   Deuxièmement, lorsque le fondement factuel est suffisant pour trancher des questions constitutionnelles ou lorsque les seuls éléments manquants ont un caractère « législatif » (preuve non liée au litige comme des extraits du Hansard ou des rapports publics) et qu’il est facile de les incorporer au dossier, la Cour peut très bien être en mesure d’examiner les questions en jeu, particulièrement dans les cas où, comme en l’espèce, un changement légal semble avoir été effectué par suite de la décision Appulonappa : R. v. Weir, 1999 ABCA 275, 250 A.R. 73, aux paragraphes 5, 6, 14 et 15.

[101]   Notre Cour a décidé qu’elle n’entendrait pas, en règle générale, des arguments fondés sur la Charte qui ne sont pas étayés par une preuve suffisante : Bekker c. Canada, 2004 CAF 186; Somodi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 268. Cependant, comme je l’ai souligné dans l’arrêt Little Red River Cree Nation #447 v. Laboucan, 2010 FCA 253, au paragraphe 10, ce principe a principalement pour objet d’éviter le préjudice que pourrait subir la partie adverse qui aurait pu présenter des éléments de preuve relatifs aux arguments formulés. Lorsque l’existence d’un préjudice ne peut pas être établie, je ne vois pas pour quel motif des arguments constitutionnels ne pourraient pas être examinés : voir par analogie Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458, aux paragraphes 51 et 52.

[102]   En l’espèce, le ministre n’a pas précisé quels sont les faits manquants dans les dossiers des présents appels et dont l’absence aurait entraîné pour lui un préjudice relativement aux arguments constitutionnels soulevés par les intimés. Le ministre, par l’intermédiaire de son avocat, a mentionné certains rapports, qui avaient presque tous été incorporés aux divers dossiers d’appel présentés pour les présents appels. Les seuls « faits » invoqués par l’avocat qui ne figureraient pas dans les dossiers dont nous sommes saisis ont trait à l’historique législatif de l’alinéa 37(1)b) et de l’article 117 de la LIPR. Il ne s’agit pas de « faits » dans le sens habituel du terme, mais plutôt de renvois à des dispositions légales antérieures que la Cour peut examiner de sa propre initiative. Par conséquent, je ne vois pas de motifs qui m’empêcheraient d’aborder les questions constitutionnelles énoncées dans les avis de question constitutionnelle des intimés, compte tenu particulièrement du fait que tous ces avis ont été dûment signifiés et déposés.

            L’interprétation de l’expression « passage de clandestins » par la Commission confère‑t‑elle une portée excessive sur le plan constitutionnel à l’alinéa 37(1)b)?

[103]   Les intimés s’appuient essentiellement sur le raisonnement énoncé dans la décision Appulonappa qui, à leur avis, s’applique à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR si cette disposition est interprétée en tenant compte du paragraphe 117(1), tel qu’il était alors libellé.

[104]   Dans l’affaire Appulonappa, les intéressés étaient accusés d’avoir organisé l’entrée au Canada de personnes non munies des documents requis, soit l’infraction visée au paragraphe 117(1) de la LIPR, tel qu’il était alors libellé, parce que, à l’automne 2009, ils auraient participé à l’expédition du MS Ocean Lady qui avait amené 76 Tamouls du Sri Lanka, non munis des documents requis, dans les eaux canadiennes. Dans la décision Appulonappa, le juge a estimé que les dispositions de l’article 117 de la LIPR déclenchaient l’application de la Charte en raison des peines d’emprisonnement envisagées par cet article.

[105]   Dans l’arrêt Appulonappa, le juge a souligné (au paragraphe 72 de ses motifs) que le Canada, l’Australie, le Royaume‑Uni et les États‑Unis, même s’ils sont tous signataires du Protocole sur le trafic de migrants, avaient adopté des lois concernant l’organisation d’entrée illégale qui ont une portée plus grande que la définition du trafic illicite de migrants qui figure dans le Protocole. Plus précisément, dans chacun de ces pays, l’avantage financier ou matériel n’est pas un élément constitutif de l’infraction de trafic illicite de migrants. Le juge a conclu que pour ce qui est du Canada, cette approche, en soi, ne violait pas la Constitution.

[106]   Cependant, il a aussi souligné (aux paragraphes 83 et 84 de ses motifs) que, dans le contexte de ses engagements internationaux, le Canada estime que les personnes qui apportent un soutien aux migrants pour des motifs d’ordre humanitaire et celles qui les aident à cause de liens familiaux étroits, même si elles sont techniquement visées par l’infraction d’organisation d’entrée illégale au sens du paragraphe 117(1) de la LIPR, ne devraient pas faire l’objet de poursuites pour cette infraction. C’est sur ce fondement que le juge a conclu que le paragraphe avait une portée excessive eu égard à la Constitution.

[107]   Les extraits qui suivent des motifs du juge dans la décision Appulonappa montrent clairement que ce dernier avait fondé ses conclusions à caractère constitutionnel essentiellement sur le motif que l’article 117 de la LIPR pouvait techniquement faire en sorte que des travailleurs humanitaires et des proches parents soient soumis à des poursuites au criminel pour l’infraction en cause (aux paragraphes 142,147 à 151 et 153) :

[traduction] Les instruments internationaux reconnaissent l’absence d’intention de criminaliser les activités de véritables travailleurs humanitaires ou de proches parents qui aident des réfugiés, mais l’article 117 a une portée tellement large que son libellé fait en sorte que ces personnes sont réputées commettre une activité criminelle.

[...]

Comme il a été mentionné précédemment, la position de la Couronne consiste à dire que les dispositions de l’article 117 sont conformes aux « exigences du Protocole », selon lequel les proches parents et les travailleurs humanitaires ne sont pas considérés comme des passeurs de migrants.

La position de la Couronne, selon laquelle les situations hypothétiques proposées ne sont pas raisonnables, simplement parce qu’il est impossible qu’une personne soit accusée un jour en vertu de cet article, est indéfendable. Pour savoir si une situation hypothétique est raisonnable ou non, il faut tenir compte de l’activité reprochée et non de la possibilité que des personnes soient un jour accusées. Lorsque seules les activités sont visées, les situations hypothétiques sont éminemment raisonnables. La situation hypothétique relative aux proches parents est fréquente. Quant à la situation hypothétique relative aux travailleurs humanitaires, on la voit souvent; en fait, elle a entraîné le dépôt d’une accusation (quoiqu’elle ait finalement été retirée) contre Mme Hinshaw‑Thomas.

Les deux situations hypothétiques tombent techniquement sous le coup de la définition d’« organisation d’entrée illégale » visée à l’article 117, mais elles ne font pas partie des objectifs que le Canada essaie d’atteindre au moyen de cet article. Au contraire, l’État n’a aucunement l’intention de poursuivre ces personnes.

La Couronne ne mentionne aucun objectif valable justifiant le fait que le champ d’application de l’article soit tellement vaste qu’il englobe les personnes visées dans les situations hypothétiques décrites précédemment.

L’examen approprié de ces situations hypothétiques étaye la thèse de la défense selon laquelle l’article 117 a un champ d’application inutilement large, dépasse les moyens nécessaires pour atteindre l’objectif de l’État et empiète sur l’article 7 de la Charte.

[…]

Vu la portée excessive de l’article, il est impossible de savoir si certaines activités (celles des travailleurs humanitaires et des proches parents) entraîneront le dépôt d’accusations en vertu de l’article 117, malgré les intentions contraires du Canada. La règle qui s’oppose aux dispositions ayant une portée excessive a notamment pour but de faire en sorte que les gens puissent connaître au préalable les limites d’un comportement acceptable et d’un comportement criminel. [Non souligné dans l’original.]

[108]   Dans l’arrêt Appulonappa (au paragraphe 175), le juge a toutefois refusé d’interpréter de façon plus restrictive le paragraphe 117(1) afin d’exclure de son champ d’application les travailleurs humanitaires et les proches parents. Il a donc déclaré nul et sans effet l’article 117 de la LIPR. Ce faisant, il n’a pas examiné l’opportunité de suspendre cette déclaration le temps que le législateur se penche sur la question.

[109]   La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique est maintenant saisie de la décision Appulonappa [voir 2014 BCCA 163 (CanLII)]; pour cette raison, notre Cour ne formulera pas de commentaires sur la question de savoir si, dans le contexte du droit criminel, l’article 117 de la LIPR a une portée trop large pour être valide sur le plan constitutionnel et, le cas échéant, quelle réparation constitutionnelle il convient d’accorder. Notre tâche se limite à évaluer la validité constitutionnelle de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, qui prévoit l’interdiction de territoire pour les personnes qui se livrent au passage de clandestins.

[110]   Je souligne d’abord que, par sa nature même, l’alinéa 37(1)b) de la LIPR ne s’applique pas aux travailleurs humanitaires qui sont citoyens canadiens et qui aident des personnes qui entrent au Canada sans être munies des documents requis, non plus qu’à tout autre citoyen canadien. En fait, cet alinéa s’applique uniquement aux résidents permanents et aux étrangers et aucune conclusion d’interdiction de territoire au Canada ne pourrait être tirée contre un citoyen canadien et aucune conclusion de cette nature ne pourrait être tirée en vertu de la LIPR vu l’article 6 de la Charte. Par conséquent, la question de savoir si le paragraphe 117(1) vise les citoyens canadiens, travailleurs humanitaires ou non (une question dont est saisie actuellement la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique), n’a aucune incidence sur l’alinéa 37(1)b).

[111]   En ce qui concerne les étrangers qui sont des travailleurs humanitaires, j’admets qu’il existe une très faible possibilité qu’ils puissent être interdits de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)b). Cependant, cette possibilité est tellement éloignée qu’elle ne remet pas en cause la validité constitutionnelle de l’alinéa. Une analyse constitutionnelle de la portée excessive d’une disposition légale ne doit pas s’égarer dans des situations hypothétiques éloignées ou extrêmes, mais se limiter à des situations hypothétiques raisonnables : Renvoi relatif au Règlement sur la sûreté du transport maritime (CA), 2009 CAF 234, aux paragraphes 42 et 43; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, aux paragraphes 76 à 81. Si, dans des circonstances extraordinaires, l’interdiction de territoire au Canada d’un travailleur humanitaire étranger était prononcée en vertu de l’alinéa 37(1)b), la Commission devrait chercher à savoir, selon la preuve dont elle dispose, s’il existe des motifs constitutionnels qui l’empêcheraient de tirer une conclusion d’interdiction de territoire dans ce cas bien précis.

[112]   La question des proches parents est plus difficile à trancher. Je reconnais que l’alinéa 37(1)b) n’a pas pour objet de rendre interdits de territoire des proches parents qui peuvent invoquer les dispositions de la Convention sur les réfugiés et qui peuvent s’entraider pour entrer au Canada sans être munis des documents requis.

[113]   À cet égard, l’alinéa 3(2)b) de la LIPR dispose que l’un des principaux objectifs de cette loi est « de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés ». Ces obligations comprennent le respect par le Canada des dispositions de l’article 5 du Protocole sur le trafic de migrants qui prévoit expressément que les migrants « ne deviennent pas passibles de poursuites pénales en vertu du présent Protocole du fait qu’ils ont été l’objet des actes énoncés à son article 6 [trafic illicite de migrants] ». Cet engagement est intégré à la législation canadienne par le paragraphe 37(2) de la LIPR.

[114]   La disposition d’interdiction de territoire qui figure à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, comme toute autre disposition légale, doit être interprétée en fonction de l’objet de la loi dont elle fait partie. Cet objet consiste à refuser l’entrée au Canada aux étrangers qui se livrent au passage de clandestins dans le contexte de la criminalité transnationale. Toute analyse rationnelle ne peut que déboucher sur la conclusion que des proches parents qui peuvent se prévaloir des dispositions de la Convention sur les réfugiés et qui s’entraident dans le but d’entrer au Canada sans être munis des documents requis ne commettent pas un crime transnational. Au contraire, les instruments internationaux auxquels le Canada est partie, notamment le Protocole sur le trafic de migrants de même que la Convention sur les réfugiés, cherchent à protéger ces personnes.

[115]   Par conséquent, recourant à une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la LIPR considérée dans son ensemble et compte tenu de façon appropriée des obligations internationales du Canada, je conclus que l’alinéa 37(1)b) de la LIPR ne peut pas englober, et n’englobe pas, les proches parents qui peuvent se prévaloir des dispositions de la Convention sur les réfugiés et qui s’entraident pour entrer au Canada sans être munis des documents requis. Le législateur n’avait pas l’intention de viser ces proches parents en adoptant l’alinéa 37(1)b). Par conséquent, je n’ai pas à examiner les arguments constitutionnels soulevés par les intimés à l’égard de cette question.

[116]   Quoi qu’il en soit, comme je l’examinerai plus en détail plus loin, même si j’avais pris en compte ces arguments constitutionnels, je les aurais rejetés du fait que l’application de l’article 7 de la Charte n’est tout simplement pas déclenchée par l’alinéa 37(1)b) de la LIPR. Je n’ai pas à chercher à savoir, dans les présents appels, si l’application des dispositions de l’article 7 de la Charte est déclenchée par l’article 117 de la LIPR en matière criminelle.

            L’alinéa 37(1)b) de la LIPR déclenche‑t‑il l’application de l’article 7 de la Charte en empêchant la tenue d’une audience sur une demande d’asile?

[117]   Les intimés ajoutent que l’article 7 de la Charte garantit le droit à une audience pour qu’on puisse décider s’ils sont des réfugiés au sens de la Convention sur les réfugiés et que l’alinéa 37(1)b) est par conséquent inapplicable sur le plan constitutionnel parce qu’il a pour effet de leur refuser le droit à une telle audience.

[118]   Les intimés soulignent qu’une conclusion d’interdiction de territoire tirée en vertu de l’alinéa 37(1)b) pourrait déboucher sur le renvoi de l’étranger visé vers un pays où il pourrait très bien craindre avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Ils reconnaissent toutefois qu’une telle conclusion d’interdiction de territoire ne déboucherait habituellement pas sur le renvoi vers un pays où l’étranger serait personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités; cependant, ils ajoutent que la protection offerte par la LIPR contre l’expulsion vers la torture relève elle‑même du pouvoir discrétionnaire du ministre. Ils allèguent donc que l’effet combiné du renvoi possible vers la persécution et le risque d’expulsion vers la torture à la discrétion du ministre viole l’article 7 de la Charte.

[119]   Pour étayer leurs arguments fondés sur l’article 7 de la Charte, les intimés s’appuient en grande partie sur l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui), dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu (au paragraphe 17) : « Si l’expulsion d’un non‑citoyen dans le contexte de l’immigration n’enclenche peut‑être pas en soi l’application de l’art. 7 de la Charte, certains éléments rattachés à l’expulsion, telles la détention au cours du processus de délivrance et d’examen d’un certificat ou l’éventualité d’un renvoi vers un pays où il existe un risque de torture, pourraient en entraîner l’application » [souligné dans l’original].

[120]   Je ne suis pas d’accord avec les observations des intimés relatives à la Charte. Pour les motifs exposés de façon plus complète ci‑après, même si je reconnais que l’expulsion vers la torture peut très bien déclencher l’application de l’article 7 de la Charte, nous ne sommes pas saisis en l’espèce de la question de l’expulsion vers la torture. Une conclusion d’interdiction de territoire tirée en vertu de l’alinéa 37(1)b) n’entraîne pas en soi l’application de l’article 7 de la Charte, même si je n’exclus pas la possibilité que l’application de cette disposition de la Charte puisse être déclenchée si le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire de façon à entraîner l’expulsion vers la torture de l’étranger visé.

[121]   L’arrêt Charkaoui portait sur les dispositions de la LIPR relatives à des certificats d’interdiction de territoire débouchant sur la détention d’un résident permanent ou d’un étranger pour raison de sécurité nationale. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a conclu que certaines des dispositions enfreignaient l’article 7 de la Charte « en autorisant la délivrance d’un certificat d’interdiction de territoire sur la foi de documents secrets, sans prévoir la participation d’un représentant indépendant à l’étape du contrôle judiciaire pour garantir le plus grand respect des intérêts de la personne désignée » : Charkaoui, au paragraphe 3.

[122]   Même si, comme il a été mentionné ci‑dessus, la Cour suprême a estimé dans l’arrêt Charkaoui que la possibilité d’une expulsion vers la torture peut déclencher l’application de l’article 7 de la Charte, elle a aussi jugé qu’elle n’était « pas saisi[e] en l’espèce de la question de l’expulsion comportant un risque de torture » étant donné que toute allégation selon laquelle les personnes visées risqueraient d’être torturées si elles étaient expulsées vers leur pays d’origine « rest[ait] à démontrer dans le cadre d’une demande de protection aux termes de la partie 2 de la <I>LIPR</I> » : Charkaoui, au paragraphe 15.

[123]   Il y a plus de deux décennies, notre Cour a jugé, dans l’arrêt Berrahma c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1991] A.C.F. no 180 (C.A.) (QL) (demande d’autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée : [1991] 3 R.C.S. vi), qu’une conclusion d’interdiction de territoire tirée en vertu de la LIPR n’entraîne pas l’application de l’article 7 de la Charte étant donné que cette conclusion n’équivaut pas à un renvoi ou à un refoulement. Notre Cour a constamment confirmé ce principe : Rudolph c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 653 (C.A.); Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.); Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 C.F. 266 (1re inst.), conf. par 2000 CanLII 16485 (C.A.F.); Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15526 (C.A.F.); Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487.

[124]   L’état du droit sur cette question a été très bien exposé par le juge Evans, alors juge de la Cour fédérale, dans la décision Jekula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée, aux paragraphes 31 à 33, et je ne peux pas décrire mieux que lui les principes applicables :

Il se trouve cependant que dans ce contexte, les principes de justice fondamentale n’entrent en jeu que si l’action administrative porte atteinte au droit de la demanderesse à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Il s’agit donc de savoir si une décision rendue en application de l’alinéa 46.01(1)a) a cet effet. Je ne le pense pas. En premier lieu, s’il est vrai qu’un verdict d’irrecevabilité dénie à la demanderesse l’exercice d’un droit important, ce droit n’est pas compris dans «le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne»; Berrahma c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1991), 132 N.R. 202 (C.A.F.), à la page 213; Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.).

En second lieu, il peut y avoir atteinte aux droits protégés par l’article 7 si le gouvernement renvoie une non‑citoyenne dans un pays où elle craint d’être probablement violentée ou emprisonnée. Cependant, la conclusion que la revendication n’est pas recevable n’est qu’une étape dans le processus administratif qui pourrait aboutir au renvoi hors du Canada. L’étape suivante, c’est‑à‑dire la procédure d’appréciation du risque, à laquelle la demanderesse aura droit en application de l’article 53 avant qu’elle ne soit renvoyée, se prête au contrôle au regard des garanties constitutionnelles afin de garantir l’observation des principes de justice fondamentale, bien que cette procédure ne soit prévue ni dans la Loi ni dans les règlements pris pour son application : Kaberuka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 252 (1re inst.), à la page 271. De surcroît, tout en jugeant que la Loi sur l’immigration n’allait pas à l’encontre de l’article 7 en limitant la recevabilité, le juge Marceau, J.C.A., a encore fait observer ce qui suit dans Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.), aux pages 708 et 709 :

Je serais toutefois d’avis que le ministre violerait carrément la Charte s’il prétendait exécuter une mesure d’expulsion en forçant l’intéressé à retourner dans un pays où, selon la preuve, il sera torturé et peut être mis à mort. Il me semble que ce serait [...] à tout le moins, commettre un outrage aux normes publiques de la décence en violation des principes de justice fondamentale visés à l’article 7 de la Charte.

Pour récapituler, les droits garantis par l’article 7 n’entrent pas en jeu à l’étape de la décision sur la recevabilité et de la mesure d’exclusion. Cependant, la demanderesse ne peut être légalement renvoyée hors du Canada sans une appréciation des risques auxquels elle peut s’exposer une fois de retour en Sierra Leone. Et les modalités de cette appréciation doivent être conformes aux principes de justice fondamentale.

[125]   Par conséquent, l’alinéa 37(1)b) ne déclenche pas l’application de l’article 7 de la Charte. La question de savoir si l’un des intimés dans les présentes affaires sera expulsé vers un pays où il pourrait être personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités sera, si nécessaire, tranchée à un stade du processus établi par la LIPR qui sera postérieur à la conclusion d’interdiction de territoire. C’est uniquement à ce stade ultérieur que l’application de l’article 7 de la Charte peut être déclenchée.

            La Commission a‑t‑elle omis de tenir compte de la nécessité ou de la contrainte et des motifs d’un autre de ses commissaires dans l’affaire B306?

[126]   L’intimé B306 ajoute que notre Cour devrait rejeter l’appel en ce qui le concerne pour deux autres motifs : a) il a agi par nécessité ou par contrainte; b) le commissaire qui l’avait jugé interdit de territoire au Canada n’a pas tenu compte des déclarations à l’effet contraire faites par un autre commissaire qui avait décidé qu’il devait être mis en liberté. Je vais examiner chacun de ces arguments à tour de rôle.

[127]   En ce qui concerne d’abord la nécessité, il est bien établi que son application est limitée : R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3 (Latimer), au paragraphe 27. Trois éléments doivent être présents pour que cette justification soit jugée valide :

a) Premièrement, il doit y avoir une situation urgente de « danger imminent et évident », c.‑à‑d. qu’un désastre doit être imminent ou qu’un mal doit être inévitable et proche : Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616, à la page 678; Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232 (Perka), à la page 251; Latimer, au paragraphe 29.

b) Deuxièmement, il ne doit y avoir aucune autre solution raisonnable et légale, c.‑à‑d. que la personne ne peut vraiment agir de façon à éviter le danger ou à prévenir le mal sans contrevenir à la loi : Perka, aux pages 251 et 252; Latimer, au paragraphe 30.

c) Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité : Latimer, au paragraphe 31.

[128]   Les deux premiers éléments sont évalués suivant un critère objectif modifié qui comporte une évaluation objective tenant cependant compte de la situation et des caractéristiques de la personne visée : Latimer, aux paragraphes 32 et 33; « l’accusé doit croire sincèrement et pour des motifs raisonnables qu’il fait face à un danger imminent et qu’il ne dispose alors d’aucune solution raisonnable et légale ». Par contre, le troisième élément, qui concerne la proportionnalité, est évalué selon une norme purement objective : Latimer, au paragraphe 34.

[129]   En ce qui a trait à B306, la Commission a conclu qu’il ne se trouvait pas devant une situation urgente de danger imminent et évident.

[130]   La Commission a rejeté à bon droit son allégation selon laquelle la nécessité découlait de sa crainte de retourner dans son pays. En fait, le dossier révèle sans aucune ambiguïté que B306 s’était d’abord rendu en Thaïlande avant de monter à bord du MS Sun Sea et que, par conséquent, il aurait pu déposer une demande d’asile dans ce pays. Il est évident que son voyage au Canada était motivé par bien autre chose que sa crainte d’être renvoyé dans son pays.

[131]   La Commission a aussi conclu que rien ne démontrait l’existence d’une situation urgente de danger imminent et évident à bord du MS Sun Sea à cause de la nourriture offerte à B306 ou de son état de santé : décision de la Commission, au paragraphe 34.

[132]   En résumé, B306 se trouvait en Thaïlande, et non au Sri Lanka, lorsqu’il est monté à bord du MS Sun Sea et il n’était exposé à aucun danger imminent et évident lorsqu’il se trouvait à bord de ce navire. Ces conclusions factuelles de la Commission, fondées sur la preuve dont elle disposait et à l’égard desquelles la Cour doit faire preuve de déférence, sont incompatibles avec l’argument fondé sur la nécessité.

[133]   B306 allègue aussi qu’il a agi sous la contrainte parce qu’il craignait le capitaine du MS Sun Sea. Cependant, la Commission a rejeté ces allégations en concluant que B306 avait, dans les faits, choisi volontairement de travailler et que rien ne démontrait l’existence d’une coercition : décision de la Commission, au paragraphe 34. Ce sont aussi des conclusions raisonnables qui ne peuvent être écartées sans motif.

[134]   Enfin, B306 soutient que lors d’une audience précédente de contrôle de la détention, un autre commissaire avait fait la déclaration suivante : [traduction] « [B306] a fourni une certaine aide à l’équipage en préparant leurs repas et en surveillant l’arrivée d’autres navires, mais je ne suis pas prêt à conclure, pour ce motif, que [B306] s’est livré à l’organisation d’entrée illégale de personnes » : transcription de l’audience de contrôle de la détention du 31 janvier 2011, reproduite dans le dossier d’appel de la décision A‑498‑12, à la page 80. Cependant, cet autre commissaire avait aussi formulé le commentaire suivant : [traduction] « Je ne tente d’aucune façon de me prononcer sur ce qui sera décidé au terme de l’audience relative à l’interdiction de territoire » : dossier d’appel, précité.

[135]   B306 soutient que a) en vertu des principes de la chose jugée (aussi appelée préclusion fondée sur la cause d’action) ou de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la déclaration de cet autre commissaire avait force obligatoire lors de la procédure d’examen de l’interdiction de territoire, b) le défaut de tenir expressément compte de cette déclaration dans les motifs du commissaire relatifs à son interdiction de territoire avait violé les règles de l’équité administrative. Ces deux arguments ne sont pas fondés.

[136]   Premièrement, le principe de la chose jugée ne peut s’appliquer en l’espèce étant donné que la procédure relative à la détention et à la mise en liberté en vertu de la LIPR n’a aucun lien avec la procédure relative à l’interdiction de territoire prévue par la même loi. Les deux procédures ne portent pas sur la même cause d’action et, par conséquent, la condition préalable d’application du principe de la chose jugée n’existe pas : Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 482, aux paragraphes 9 à 11; Erdos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 419, aux paragraphes 15 et 16.

[137]   Deuxièmement, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas en l’espèce. Selon ce principe, une partie ne peut soumettre de nouveau devant les tribunaux une question qui a été tranchée de façon définitive dans des instances judiciaires antérieures entre les mêmes parties ou celles qui les remplacent : Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, [2013] 2 R.C.S. 125 (Penner), au paragraphe 29; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, aux paragraphes 24 et 25. Comme l’a précisé le juge Dickson [alors juge puîné] dans l’arrêt Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 255, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas si la question a été soulevée de façon accessoire ou incidente dans l’affaire antérieure ou si elle doit être inférée du jugement par raisonnement. Comme la Cour suprême l’a souligné dans l’arrêt Penner, au paragraphe 24, la question qui est censée donner naissance à la préclusion doit avoir été fondamentale à l’égard de la décision à laquelle on est arrivé dans l’affaire antérieure. Elle doit viser les faits pertinents, les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit à l’égard desquels on a nécessairement statué lors de l’instance antérieure.

[138]   En l’espèce, il est tout à fait évident que le commissaire qui a tranché les questions relatives à la détention et à la mise en liberté n’a pas tranché de façon définitive la question de savoir si B306 s’était livré ou non au passage de clandestins. Au contraire, le commissaire en question a bien souligné qu’il n’avait nullement l’intention d’influencer l’issue de l’audience relative à l’interdiction de territoire. Ses commentaires relatifs à la participation de B306 ne se voulaient évidemment pas une décision définitive sur la question et n’avaient aucun caractère fondamental à l’égard à la décision touchant la détention ou la mise en liberté. Les éléments constitutifs de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont donc absents.

[139]   De plus, il n’y a eu aucune violation de l’équité procédurale en l’espèce étant donné que la question de la participation de B306 au passage de clandestins n’a pas fait l’objet d’une décision définitive lors de l’audience sur la détention ou la mise en liberté et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire que le commissaire qui présidait l’audience sur l’interdiction de territoire de B306 examine cette décision.

Conclusions

[140]   Pour les motifs susmentionnés, j’accueillerais chaque appel, j’annulerais les trois jugements de la Cour fédérale et, rendant les jugements qui auraient dû être rendus, je rejetterais les trois demandes de contrôle judiciaire.

[141]   Je répondrais comme suit aux questions certifiées par le juge Mosley dans l’affaire concernant J.P. et G.J. :

Question 1 :    « Aux fins de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, est‑il approprié de définir l’expression “passage de clandestins” sur la base de l’article 117 de ladite loi plutôt que sur la base de la définition contenue dans un instrument international dont le Canada est signataire? »

Réponse 1 :    Oui, pour les motifs exposés dans l’arrêt <I>B010</I>.

Question 2 :    « L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et, en particulier, de l’expression “passage de clandestins” est‑elle susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte ou selon la norme de la décision raisonnable? »

Réponse 2 :    L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR par la Commission est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[142]   Je répondrais comme suit à la première question certifiée par la juge Gagné dans l’affaire concernant B306 :

Question 1 :    « Pour l’application de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, est‑il approprié de définir l’expression “passage de clandestins” en s’appuyant sur l’article 117 de la même loi plutôt que sur une définition contenue dans un instrument international dont le Canada est signataire? »

Réponse 1 :    Oui, pour les motifs exposés dans l’arrêt <I>B010</I>.

[143]   Voici la seconde question certifiée par la juge Gagné :

Question 2 :    « Pour l’application de l’alinéa 37(1)b) et de l’article 117 de la LIPR, y a‑t‑il une distinction à faire entre aider et encourager l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes qui ne sont pas munies d’un visa, passeport ou autre document exigé par la Loi, par opposition à aider et encourager les passeurs à bord d’un navire en cours de passage clandestin? Autrement dit, dans quelles circonstances la définition de passage de clandestins à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR s’étendrait‑elle aux infractions visées à l’article 131 de la LIPR? »

L’appelant a jugé que la question avait une portée trop vaste et il a refusé de formuler des observations à son sujet; de plus, aucun des intimés ne l’a abordée dans ses observations écrites ou orales. Il ne convient donc pas que la Cour réponde à cette question.

[144]   Enfin, je répondrais comme suit aux questions certifiées par le juge Zinn dans l’affaire relative à M. Hernandez :

Question 1 :    « L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et plus particulièrement de l’expression “passage de clandestins” figurant dans ledit alinéa, faite par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est‑elle susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte ou selon la norme de la décision raisonnable? »

Réponse 1 :    L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR par la Commission est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

Question 2 : « L’expression “passage de clandestins” figurant à l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, doit‑elle nécessairement être exécutée par le passeur en vue d’en tirer, “directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel”, aux termes du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée? »

Réponse 2 :    Non.

            La juge Sharlow, j.c.a. : Je suis d’accord.

            Le juge Near, j.c.a. : Je suis d’accord.

ANNEXE

Extraits de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

3. […]

(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

[…]

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

[…]

Interprétation et mise en œuvre

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

[…]

Visa et documents

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[…]

Interprétation

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

[...]

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

[…]

Grande criminalité

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

Activités de criminalité organisée

(2) Les faits visés à l’alinéa (1)a) n’emportent pas interdiction de territoire pour la seule raison que le résident permanent ou l’étranger est entré au Canada en ayant recours à une personne qui se livre aux activités qui y sont visées.

[…]

Application

42.1 (1) Le ministre peut, sur demande d’un étranger, déclarer que les faits visés à l’article 34, aux alinéas 35(1)b) ou c) ou au paragraphe 37(1) n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de l’étranger si celui-ci le convainc que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national.

Exception — demande au ministre

(2) Le ministre peut, de sa propre initiative, déclarer que les faits visés à l’article 34, aux alinéas 35(1)b) ou c) ou au paragraphe 37(1) n’emportent pas interdiction de territoire à l’égard de tout étranger s’il est convaincu que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national.

Exception — à l’initiative du ministre

(3) Pour décider s’il fait la déclaration, le ministre ne tient compte que de considérations relatives à la sécurité nationale et à la sécurité publique sans toutefois limiter son analyse au fait que l’étranger constitue ou non un danger pour le public ou la sécurité du Canada.

[…]

Considérations

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

Rapport d’interdiction de territoire

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

[…]

Suivi

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

[...]

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

[…]

Décision

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[…]

Personne à protéger

99. (1) La demande d’asile peut être faite à l’étranger ou au Canada.

[…]

Demande

100. […]

(2) L’agent sursoit à l’étude de la recevabilité dans les cas suivants :

a) le cas a déjà été déféré à la Section de l’immigration pour constat d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée;

b) il l’estime nécessaire, afin qu’il soit statué sur une accusation pour infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[...]

Sursis pour décision

101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

[...]

f) prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux — exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) — , grande criminalité ou criminalité organisée.

[…]

Irrecevabilité

103. (1) La Section de la protection des réfugiés sursoit à l’étude de la demande d’asile sur avis de l’agent portant que :

a) le cas a été déféré à la Section de l’immigration pour constat d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée;

[...]

Sursis

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[...]

Demande de protection

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

[…]

Restriction

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

[...]

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3) — sauf celui visé au sous-alinéa e)(i) ou (ii) —, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada;

[…]

Examen de la demande

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet [...] s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

[…]

Effet de la décision

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

Principe

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Exclusion

(3) Une personne ne peut, après prononcé d’irrecevabilité au titre de l’alinéa 101(1)e), être renvoyée que vers le pays d’où elle est arrivée au Canada sauf si le pays vers lequel elle sera renvoyée a été désigné au titre du paragraphe 102(1) ou que sa demande d’asile a été rejetée dans le pays d’où elle est arrivée au Canada.

[…]

Renvoi de réfugié

117. (1) Il est interdit à quiconque d’organiser l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes ou de les inciter, aider ou encourager à y entrer en sachant que leur entrée est ou serait en contravention avec la présente loi ou en ne se souciant pas de ce fait.

Entrée illégale

<B>NOTE :</B> LA VERSION ANTÉRIEURE ÉTAIT RÉDIGÉE COMME SUIT :

117. (1) Commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes non munies des documents — passeport, visa ou autre — requis par la présente loi ou incite, aide ou encourage une telle personne à entrer au Canada.

[…]

Entrée illégale

133. L’auteur d’une demande d’asile ne peut, tant qu’il n’est statué sur sa demande, ni une fois que l’asile lui est conféré, être accusé d’une infraction visée à l’article 122, à l’alinéa 124(1)a) ou à l’article 127 de la présente loi et à l’article 57, à l’alinéa 340c) ou aux articles 354, 366, 368, 374 ou 403 du Code criminel, dès lors qu’il est arrivé directement ou indirectement au Canada du pays duquel il cherche à être protégé et à la condition que l’infraction ait été commise à l’égard de son arrivée au Canada.

Immunité

Extraits du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée :

Article premier. Relation avec la Convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée

1. Le présent Protocole complète la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Il est interprété conjointement avec la Convention.

[…]

Article 2. Objet

Le présent Protocole a pour objet de prévenir et combattre le trafic illicite de migrants, ainsi que de promouvoir la coopération entre les États Parties à cette fin, tout en protégeant les droits des migrants objet d’un tel trafic.

Article 3. Terminologie

Aux fins du présent Protocole:

a) L’expression « trafic illicite de migrants » désigne le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État Partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État;

b) L’expression « entrée illégale » désigne le franchissement de frontières alors que les conditions nécessaires à l’entrée légale dans l’État d’accueil ne sont pas satisfaites;

[…]

Article 5. Responsabilité pénale des migrants

Les migrants ne deviennent pas passibles de poursuites pénales en vertu du présent Protocole du fait qu’ils ont été l’objet des actes énoncés à son article 6.

Article 6. Incrimination

1. Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale, lorsque les actes ont été commis intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel:

a) Au trafic illicite de migrants;

[…]

4. Aucune disposition du présent Protocole n’empêche un État Partie de prendre des mesures contre une personne dont les actes constituent, dans son droit interne, une infraction.

Extraits de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée :

Article 3. Champ d’application

[…]

2. Aux fins du paragraphe 1 du présent article, une infraction est de nature transnationale si :

a) Elle est commise dans plus d’un État;

b) Elle est commise dans un État mais qu’une partie substantielle de sa préparation, de sa planification, de sa conduite ou de son contrôle a lieu dans un autre État;

c) Elle est commise dans un État mais implique un groupe criminel organisé qui se livre à des activités criminelles dans plus d’un État; ou

d) Elle est commise dans un État mais a des effets substantiels dans un autre État.

[…]

Article 34. Application de la Convention

[…]

3. Chaque État Partie peut adopter des mesures plus strictes ou plus sévères que celles qui sont prévues par la présente Convention afin de prévenir et de combattre la criminalité transnationale organisée.

Extraits de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés :

Article 31

Réfugiés en Situation Irrégulière dans le Pays d’Accueil

1. Les États Contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières.

2. Les États Contractants n’appliqueront aux déplacements de ces réfugiés d’autres restrictions que celles qui sont nécessaires; ces restrictions seront appliquées seulement en attendant que le statut de ces réfugiés dans le pays d’accueil ait été régularisé ou qu’ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays. En vue de cette dernière admission les États Contractants accorderont à ces réfugiés un délai raisonnable ainsi que toutes facilités nécessaires.

[…]

Article 33

Défense d’Expulsion et de Refoulement

1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.



[*] Note de l’arrêtiste : La décision de la Cour d’appel de la Colombie Britannique a depuis été infirmée (2014 BCCA 163 (CanLII)).

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