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IMM-6362-13

2014 CF 799

Bujar Huruglica, Sadije Ramadani, Hanife Huruglica (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

et

L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés et le Conseil canadien pour les réfugiés (intervenants)

Répertorié : Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Phelan—Toronto, 1er avril; Ottawa, 22 août 2014.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Norme de contrôle — Demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) par laquelle il a été statué que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger — La SAR a appliqué la norme de la décision raisonnable pour confirmer la décision de la SPR — La principale question était de savoir si la SAR a commis une erreur en statuant que la décision de la SPR était susceptible de révision selon la norme de la raisonnabilité — La décision de la SAR concernant la norme de contrôle applicable a été examinée selon la norme de la décision correcte — La SAR exerce une fonction d’appel, et non une fonction de contrôle judiciaire — Par conséquent, la décision de la SAR selon laquelle la norme de contrôle applicable était celle de la raisonnabilité est erronée — La SAR doit procéder à un examen indépendant de la demande afin de se faire sa propre opinion, instruire l’affaire comme une procédure d’appel hybride, examiner tous les aspects de la décision de la SPR et en arriver à sa propre conclusion quant à savoir si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger — La conclusion de la SAR quant à la démarche qu’elle doit adopter pour instruire un appel est, par conséquent, erronée — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) par laquelle il a été statué que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger.

Les demandeurs, des citoyens du Kosovo, ont soutenu qu’en raison de leur travail pour les États-Unis, un groupe islamique extrémiste, les wahhabites, les considérait ainsi que leurs familles comme des traîtres à l’Islam. Suite à de nombreuses menaces de mort, ils se sont enfuis au Canada. Leur demande d’asile a été rejetée par la SPR. En appel, la SAR a appliqué la norme de la raisonnabilité et a confirmé la décision de la SPR.

La décision visée par le présent contrôle judiciaire nécessitait, entre autres, de déterminer le type approprié de contrôle que la SAR doit effectuer à l’égard de la décision rendue par la SPR dans la présente affaire. Plus précisément, les questions en litige étaient les suivantes : 1) la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR selon laquelle la norme de la raisonnabilité était la norme de contrôle appropriée à l’égard de la décision de la SPR; 2) si la SAR a commis une erreur en statuant que la décision de la SPR était susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité; et 3) si la décision de la SPR quant à la protection de l’État, confirmée par la SAR, était défendable au plan juridique.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La décision de la SAR concernant la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR devait être examinée selon la norme de la décision correcte. La question de droit présentait un intérêt général pour le système juridique; il n’y avait aucune décision claire de la Cour fédérale (dans son rôle de supervision) quant à la norme de contrôle applicable en l’espèce. Le choix de la norme de contrôle appropriée était une question juridique qui débordait largement le domaine de spécialisation et l’expérience de la SAR. La détermination de la norme de contrôle qu’un tribunal d’appel doit appliquer à un décideur inférieur et le processus menant à cette détermination sont importants, même au-delà du contexte des réfugiés. Par conséquent, la décision de la SAR selon laquelle la norme de contrôle applicable à une décision de la SPR était celle de la raisonnabilité est erronée. La SAR exerce une fonction d’appel, et non une fonction de contrôle judiciaire.

La décision défavorable en cause était fondée sur l’appréciation que la SPR a faite des éléments de preuve documentaire concernant la situation dans le pays, des éléments de preuve que la SAR elle-même a examinés. La SAR est aussi compétente que la SPR, sinon plus, pour interpréter les éléments de preuve concernant la situation dans le pays. Il n’y a aucune raison pour que la SAR fasse preuve de déférence à l’égard de la SPR en ce qui concerne ce type d’appréciation. En ce qui concerne la nature du contrôle auquel doit procéder la SAR, si la SAR se bornait à contrôler les décisions de la SPR selon la norme de la raisonnabilité, son rôle d’appel serait restreint. La création d’un tribunal d’appel tendrait à indiquer que le législateur a voulu réaliser quelque chose d’autre que ce que permettait un contrôle judiciaire. Pour ces motifs, une analyse relative à la norme de contrôle n’était pas une démarche analytique appropriée. Il fallait examiner des facteurs comme l’objet du tribunal d’appel, les dispositions législatives, les compétences spécialisées comparables et les régimes d’appel comparables. La SAR, dont l’expertise est au moins égale à celle de la SPR, a de vastes pouvoirs réparateurs. À la différence d’un contrôle judiciaire, la SAR peut substituer la décision qui « aurait dû être rendue ». Cela nécessite que la SAR doive procéder à un examen indépendant de la demande afin de se faire sa propre opinion. Pour ces motifs, la SAR doit instruire l’affaire comme une procédure d’appel hybride. Elle doit examiner tous les aspects de la décision de la SPR et en arriver à sa propre conclusion quant à savoir si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger. Lorsque ses conclusions diffèrent de celles de la SPR, la SAR doit y substituer sa propre décision. La conclusion de la SAR quant à la démarche qu’elle doit adopter pour instruire un appel était, par conséquent, erronée. La SAR aurait dû faire plus qu’examiner la décision selon la perspective de la raisonnabilité.

Quant à la question de la protection de l’État, la décision n’a pas traité convenablement de l’expérience des demandeurs et de la différence entre cette expérience et ce que relatent les éléments de preuve documentaire. Un nouvel appel était justifié.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(2), 67, 110, 111, 162(1), 171, 175(1).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 3, 109(2).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canada (Procureur général) c. Première Nation de Pictou Landing, 2014 CAF 21.[1]

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Newton v. Criminal Trial Lawyers’ Association, 2010 ABCA 399 (CanLII), 493 A.R. 89; Halifax (Regional Municipality) v. United Gulf Developments Ltd., 2009 NSCA 78, 280 N.S.R. (2d) 350; BC Society for the Prevention of Cruelty to Animals v. British Columbia (Farm Industry Review Board), 2013 BCSC 2331, 67 Admin. L.R. (5th) 152; Mohamed c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 3 C.F. 90 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654.

DOCTRINE CITÉE

Débats de la Chambre des Communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146, no 090 (6 mars 2012).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (X (Re), 2013 CanLII 84910) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés par laquelle il a été statué que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Cheryl Robinson pour les demandeurs.

Tamrat Gebeyehu et Jane Stewart pour le défendeur.

Anthony Navaneelan et Audrey Macklin pour les intervenants.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Chantal Desloges, société professionnelle, Toronto, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP, Toronto, pour les intervenants.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Phelan :

I.    Introduction

[1]        La décision visée par le présent contrôle judiciaire nécessite, entre autres, de déterminer le type approprié de contrôle que la Section d’appel des réfugiés (la SAR) doit effectuer à l’égard de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) dans la présente affaire. La SAR et la SPR font toutes deux partie de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR).

[2]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR de confirmer la décision de la SPR par laquelle il était statué que Bujar Huruglica, Sadije Ramadani et Hanife Huruglica (les demandeurs) n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger.

[3]        Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que la SAR a commis une erreur en contrôlant simplement la décision de la SPR selon la norme de la raisonnabilité plutôt qu’en procédant à un examen indépendant de la demande d’asile des demandeurs.

[4]        La Cour a reconnu la qualité d’intervenant à l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (l’ACAADR) et au Conseil canadien pour les réfugiés (le CCR). Aux termes de l’ordonnance leur accordant la qualité d’intervenant, la Cour a avisé les parties que les raisons justifiant la reconnaissance de cette qualité seraient exposées dans les présents motifs. Compte tenu de la nature de la présente affaire, et donc de la nature des présents motifs, il est évident que la question du rôle et de la fonction de la SAR transcendait les parties et les faits particuliers de la présente affaire.

[5]        L’ACAADR et le CCR sont tous deux des organismes bien établis voués à la promotion des intérêts des réfugiés. Leur préoccupation précise concerne l’application, par la SAR, d’un régime de normes de contrôle concernant les appels interjetés à l’égard des décisions de la SPR.

[6]        Il n’y a pas de liste exhaustive de facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit de reconnaître ou non la qualité d’intervenant, mais la Cour d’appel fédérale a récemment décrit sommairement et modifié des facteurs antérieurs (dont ceux invoqués par le défendeur). Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Première Nation de Pictou Landing, 2014 CAF 21, au paragraphe 11, les facteurs peuvent être résumés ainsi :

•   La personne qui désire intervenir s’est-elle conformée aux exigences procédurales particulières énoncées au paragraphe 109(2) des Règles [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106]?

•   La personne qui désire intervenir a-t-elle un intérêt véritable dans l’affaire ainsi que les connaissances, les compétences et les ressources nécessaires pour aider la Cour, et est-elle déterminée à le faire?

•   La personne qui désire intervenir présentera-t-elle des observations et des perspectives différentes et utiles?

•   Est-il dans l’intérêt de la justice d’autoriser l’intervention?

•   L’intervention est-elle incompatible avec les exigences prévues à la règle 3?

[7]        La Cour a tiré les conclusions suivantes :

•   Il a été satisfait aux exigences du paragraphe 109(2), en particulier en ce qui a trait à l’exposé de la façon dont l’intervention aidera la Cour;

•   Les deux organismes ont été reconnus dans de nombreuses décisions de la Cour et d’autres tribunaux, et ils sont des organismes respectés qui s’intéressent à un vaste éventail de question en droit des réfugiés. Les deux organismes ainsi que leurs clients et leurs clients potentiels ont un intérêt véritable dans la question relative à la norme de contrôle dans le cadre du présent contrôle judiciaire;

•   Dans leur mémoire des arguments, les deux organismes formulent des observations et des perspectives différentes de celles des demandeurs. Les demandeurs s’appuient sur une analyse de la norme de contrôle suivant les principes de l’arrêt Dunsmuir [Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190], tandis que les intervenants adoptent une démarche différente. Les demandeurs se concentrent à juste titre sur la question de la protection de l’État (puisqu’ils n’ont qu’à obtenir gain de cause au regard d’une des trois questions) alors que les intervenants complètent les observations des demandeurs, mais s’en démarquent également sur la question de la norme de contrôle;

•   Il est dans l’intérêt de la justice de permettre à l’ACAADR et au CCR d’intervenir, parce que les réponses aux questions soulevées dans le présent contrôle judiciaire sont susceptibles de faire jurisprudence; il s’agit de l’une des premières affaires, sinon de la première, qui soulève de manière aussi directe la question de la fonction d’appel de la SAR;

•   Les arguments ciblés, précis et clairs des intervenants réalisent les objectifs énoncés à la règle 3. Les intervenants ont agi avec suffisamment de célérité; leur participation ne retarde ni le processus ni le défendeur, et ne leur occasionne aucun préjudice important.

II.   Les dispositions législatives pertinentes

[8]        Bien que la SAR ne soit pas, en théorie, un nouvel organe au sein de la CISR, ce n’est que récemment qu’elle a commencé à exercer ses fonctions. Pour comprendre la principale question soulevée dans le présent contrôle judiciaire, il importe de reproduire les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) :

3. […]

(2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

a) de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution;

b) de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller;

c) de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d’une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada;

d) d’offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités;

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain;

f) d’encourager l’autonomie et le bien-être socioéconomique des réfugiés en facilitant la réunification de leurs familles au Canada;

g) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

h) de promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d’asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité.

[…]

Objet relatif aux réfugiés

110. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

[…]

Appel

(2) Ne sont pas susceptibles d’appel :

a) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile d’un étranger désigné;

b) le prononcé de désistement ou de retrait de la demande d’asile;

c) la décision de la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d’asile en faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile ou du fait que celle-ci est manifestement infondée;

d) sous réserve des règlements, la décision de la Section de la protection des réfugiés ayant trait à la demande d’asile qui, à la fois :

(i) est faite par un étranger arrivé, directement ou indirectement, d’un pays qui est — au moment de la demande — désigné par règlement pris en vertu du paragraphe 102(1) et partie à un accord visé à l’alinéa 102(2)d),

(ii) n’est pas irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e) par application des règlements pris au titre de l’alinéa 102(1)c);

d.1) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile du ressortissant d’un pays qui faisait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1) à la date de la décision;

e) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande du ministre visant la perte de l’asile;

f) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande du ministre visant l’annulation d’une décision ayant accueilli la demande d’asile.

[…]

Restriction

(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

[…]

Fonctionnement

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

Éléments de preuve admissible

(5) Le paragraphe (4) ne s’applique pas aux éléments de preuve présentés par la personne en cause en réponse à ceux qui ont été présentés par le ministre.

Exception

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

Audience

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

Décision

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

[…]

Renvoi

162. (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.

[…]

Compétence exclusive

171. S’agissant de la Section d’appel des réfugiés :

a) la section avise la personne en cause et le ministre de la tenue de toute audience;

a.1) sous réserve du paragraphe 110(4), elle donne à la personne en cause et au ministre la possibilité, dans le cadre de toute audience, de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;

a.2) elle n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

a.3) elle peut recevoir les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision;

a.4) le ministre peut, en tout temps avant que la section ne rende sa décision, sur avis donné à celle-ci et à la personne en cause, intervenir dans l’appel;

a.5) il peut, en tout temps avant que la section ne rende sa décision, produire des éléments de preuve documentaire et présenter des observations écrites à l’appui de son appel ou de son intervention dans l’appel;

b) la section peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation;

c) la décision du tribunal constitué de trois commissaires a la même valeur de précédent pour le tribunal constitué d’un commissaire unique et la Section de la protection des réfugiés que celle qu’une cour d’appel a pour une cour de première instance. [Non souligné dans l’original.]

Procédure

III.        Les faits pertinents (SPR)

[9]        Les demandeurs sont des citoyens du Kosovo. Bujar Huruglica est marié à Hanife Huruglica, et Sadije Ramadani est la mère de Hanife. Bujar et Sadije ont travaillé en Irak, en Afghanistan et au Kosovo. Les demandeurs sont musulmans.

[10]      Devant la SPR, leurs demandes d’asile ont été jointes à celles de Halit Ramadani (le fils de Sadije Ramadani) et de son épouse, Samire Emerllahu-Ramadani. Toutefois, les demandes de Halit et Samire ne faisaient pas partie de l’instance devant la SAR et ne sont pas par ailleurs pertinentes en ce qui a trait au présent contrôle judiciaire, si ce n’est qu’à titre d’élément contextuel.

[11]      Bujar, Sadije et Halit ont tous travaillé soit pour le gouvernement américain soit pour des entreprises engagées par le gouvernement américain dans les trois pays susmentionnés. Ils ont soutenu qu’en raison de leur travail pour les États-Unis, un groupe islamique extrémiste, les wahhabites, les considérait ainsi que leurs familles comme des traîtres à l’Islam.

[12]      Les wahhabites avaient communiqué avec Samire par téléphone en septembre 2011 et ils avaient menacé de la tuer si Halit ne cessait pas de travailler avec l’armée américaine en Irak. Elle a signalé l’incident à la police, mais elle a reçu peu d’aide, et elle s’est fait dire que rien de concret ne pouvait être fait pour la protéger.

[13]      Au cours des deux mois suivants, Samire avait reçu d’autres appels de menaces et, lorsqu’elle signalait les incidents à la police, elle obtenait la même réaction générale. En mai 2012, Halit et Samire avaient quitté le Kosovo et s’étaient rendus aux États-Unis, puis au Canada, où ils ont présenté une demande d’asile.

[14]      En octobre 2012, des extrémistes wahhabites se sont rendus chez Sadije et lui ont dit que sa famille était pleine de traîtres à l’Islam. Ils ont menacé de la tuer et de tuer sa famille, et ils ont demandé une rançon de 50 000 $. Puisque la police n’était pas disposée à faire quoi que ce soit, Sadije a quitté sa demeure et est allée rester chez un ami, et elle s’est ensuite rendue aux États‑Unis.

[15]      En janvier 2013, Hanife a reçu un appel téléphonique de menaces; son interlocuteur l’a informée que lui et son groupe ne trouveraient pas de repos jusqu’à ce que son époux, Bujar, soit tué. Lorsque Bujar est revenu d’Afghanistan, lui et Hanife ont signalé l’incident à la police, qui a fait la sourde oreille.

[16]      À la fin de janvier 2013, Hanife et Bujar ont quitté le Kosovo pour les États-Unis, puis, avec Sadije, ils sont entrés au Canada.

[17]      Aux termes d’une décision datée du 19 juin 2013, la SPR a conclu que, malgré le caractère franc du témoignage des demandeurs d’asile, ces derniers avaient séjourné aux États‑Unis munis de visas de visiteurs et ils n’avaient pas demandé l’asile aux États-Unis, ce qui minait la crédibilité de leur demande d’asile au Canada. En outre, les éléments de preuve documentaire ne démontraient pas que des extrémistes islamiques puissants étaient présents au Kosovo. En conséquence, leur demande d’asile a été rejetée.

IV.       Les faits pertinents/SAR

[18]      L’appel auprès de la SAR a été entendu le 5 septembre 2013, et la décision a été rendue le jour même [X(Re), 2013 CanLII 84910]. L’appel a été entendu par un commissaire siégeant seul; celui-ci n’a entendu aucun témoignage, et aucun élément de preuve supplémentaire, abstraction faite du dossier de la SPR, ne lui a été présenté. La décision de la SPR a été confirmée.

[19]      La décision de la SAR comportait les éléments clés suivants :

•   un aperçu des conclusions factuelles de la SPR et la conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État;

•   en s’appuyant sur les facteurs pris en compte dans l’arrêt Newton v. Criminal Trial Lawyers’ Association, 2010 ABCA 399 (CanLII), 493 A.R. 89 (Newton), qui traitait de la norme de contrôle que doit appliquer un tribunal administratif d’appel, la norme de contrôle que la SAR doit appliquer à une décision de la SPR est celle de la raisonnabilité.

[20]      Les facteurs de l’arrêt Newton, énoncés au paragraphe 43, sont les suivants :

[traduction]

a)    les rôles respectifs du tribunal de première instance et du tribunal d’appel, tels qu’ils ont été établis par suite de l’interprétation de la loi habilitante;

b)    la nature de la question à trancher;

c)    l’interprétation de la loi dans son ensemble;

d)    l’expertise et la position avantageuse du tribunal de première instance, par rapport avec celles du tribunal d’appel;

e)    la nécessité de limiter le nombre, la durée et le coût des appels;

f)     la protection de l’économie et de l’intégrité de la procédure devant le tribunal de première instance;

g)    les autres facteurs qui sont pertinents dans le contexte particulier.

[21]      En examinant les facteurs énumérés dans l’arrêt Newton, la SAR a conclu ce qui suit :

•   il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait et des conclusions mixtes de droit et de fait de la SPR;

•   la question en litige dans la demande était factuelle, et elle commandait donc la retenue;

•   le rôle de la SAR était d’assurer un processus décisionnel équitable et efficace, et que la qualité de réfugié soit accordée lorsqu’il y a lieu. À cet égard, la SAR peut substituer sa décision à celle de la SPR;

•   la SAR peut, afin de conclure le processus d’asile, faire preuve d’une moins grande déférence à l’égard de la SPR;

•   la SPR et la SAR sont toutes deux des tribunaux spécialisés, mais la SPR jouit d’un avantage en matière de détermination des faits (en particulier en ce qui concerne la crédibilité), ce qui tend à favoriser la déférence;

•   le défaut de faire preuve de déférence à l’égard de la SPR minerait le processus de la SPR.

[22]      En ce qui concerne les principes fondamentaux à appliquer, la SAR a préféré les facteurs exposés dans l’arrêt Newton à ceux exposés dans l’arrêt Dunsmuir pour déterminer la norme de contrôle appropriée. En conséquence, la SAR a conclu que la décision de la SPR devait être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité.

[23]      La SAR a confirmé la décision de la SPR quant à la question de la protection de l’État au Kosovo. Elle a décrit les éléments de preuve documentaire comme étant « contradictoires », mais a décidé que la décision de la SPR était raisonnable et qu’elle ne devrait donc pas être modifiée.

V.        Analyse juridique

[24]      Les questions en litige dans le présent contrôle judiciaire sont les suivantes :

•   Quelle norme de contrôle la Cour doit-elle appliquer à la décision de la SAR selon laquelle la norme de la raisonnabilité est la norme de contrôle appropriée à l’égard de la décision de la SPR? (La norme de contrôle applicable par la Cour)

•   La SAR a-t-elle commis une erreur en statuant que la décision de la SPR était susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité? (La norme de contrôle applicable par la SAR)

•   La décision de la SPR quant à la protection de l’État, confirmée par la SAR, est‑elle défendable au plan juridique? (La protection de l’État)

            A.        La norme de contrôle applicable par la Cour

[25]      À mon avis, la Cour devrait examiner la décision de la SAR concernant la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte, et non celle de la raisonnabilité.

[26]      La question de droit présente un intérêt général pour le système juridique; il n’y a aucune décision claire de la Cour fédérale (dans son rôle de supervision) quant à la norme de contrôle applicable en l’espèce.

[27]      Dans l’arrêt Newton, la Cour d’appel de l’Alberta a statué qu’il y avait lieu de faire preuve de peu de retenue à l’égard de la décision du tribunal d’appel quant à la norme de contrôle puisque [traduction] « l’établissement de la norme de contrôle est un aspect légitime du rôle de supervision de la cour supérieure » (au paragraphe 39 de l’arrêt Newton).

[28]      En outre, dans l’arrêt Newton, cette cour a résumé ainsi au paragraphe 39 sa conclusion au sujet de la détermination de la norme de contrôle par le tribunal d’appel :

[traduction] Cependant, la norme de contrôle appropriée est une question d’intérêt général pour le système juridique, et est donc une question à l’égard de laquelle l’arrêt Dunsmuir tend à appuyer l’application de la norme de la décision correcte. L’établissement de la norme de contrôle est un aspect légitime du rôle de supervision de la cour supérieure, ce qui tend à appuyer un degré moindre de déférence. Lorsque tous ces facteurs sont pris en compte, la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à la décision de la Commission (dans le choix de la norme de contrôle qu’elle devrait appliquer à la décision de l’officier président) est celle de la décision correcte.

[29]      La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a tiré une conclusion similaire dans l’arrêt Halifax (Regional Municipality) v. United Gulf Developments Ltd., 2009 NSCA 78, 280 N.S.R. (2d) 350, au paragraphe 41 :

[traduction] La norme de contrôle que nous appliquons lors de l’examen de la décision de la Commission quant à la norme de contrôle qu’elle doit appliquer lorsqu’elle examine le refus de l’agent de développement d’accorder un permis de développement est celle de la décision correcte. Cette décision soulève une question de droit d’application générale. Voir Midtown Tavern & Grill v Nova Scotia (Utility and Review Board), [2006] N.S.J. no 418, 2006 NSCA 115, au paragraphe 32.

[30]      Le choix de la norme de contrôle appropriée est une question juridique qui déborde largement le domaine de spécialisation de la SAR, même si elle dépend de l’interprétation de la LIPR, la loi constitutive de la SAR.

[31]      Avec égards, je conclus que l’analyse de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, n’est pas pertinente en l’espèce, parce que les passages pertinents invoqués par le défendeur reposent sur la prémisse que le tribunal administratif fait appel à ses compétences spécialisées pour interpréter sa loi constitutive.

[32]      La détermination de la norme de contrôle que la SAR doit appliquer à l’égard d’une décision de la SPR déborde du cadre de ses compétences spécialisées et de son expérience. Dans la même veine, la détermination de ce qu’est une question de fait ou de ce qui distingue une question de fait d’une question mixte de droit et de fait, et la question de distinguer ce qu’est une question de droit, débordent également le cadre des compétences spécialisées et de l’expérience de la SAR.

[33]      La détermination de la norme de contrôle qu’un tribunal d’appel doit appliquer à un décideur inférieur et le processus menant à cette détermination sont importants, même au-delà du contexte des réfugiés.

[34]      Par conséquent, la décision de la SAR selon laquelle la norme de contrôle applicable à une décision de la SPR est celle de la raisonnabilité est erronée (voir le paragraphe 54 [des présents motifs]). La SAR exerce une fonction d’appel, et non une fonction de contrôle judiciaire.

            B.        La norme de contrôle applicable par la SAR

[35]      Comme il a été mentionné précédemment, la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a examiné la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable. Il est intéressant de relever que, bien que la SAR ait noté [au paragraphe 10] que « [c]omme la SAR a été créée par la loi, la norme de contrôle applicable doit provenir de la loi », elle a omis d’examiner la LIPR pour en arriver à sa conclusion, sauf en ce qui a trait à un seul facteur dans le cadre de l’analyse fondée sur l’arrêt Newton.

[36]      La principale raison invoquée pour faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR est que celle-ci doit tenir une audience, tandis que la SAR peut tenir une telle audience uniquement dans certaines circonstances.

[37]      Cette idée peut bien justifier de faire preuve de retenue à l’égard d’une décision de la SPR lorsque la crédibilité d’un témoin est décisive ou déterminante; toutefois, tel n’est pas le cas en l’espèce. Les témoins ont été jugés francs, et c’était le fait qu’ils n’avaient pas demandé l’asile alors qu’ils étaient aux États-Unis qui minait leurs demandes d’asile. Il n’y a eu aucune inférence défavorable quant à la crédibilité. Par conséquent, les raisons de principe invoquées pour justifier de faire preuve de déférence ne sont pas valables, sauf à l’égard des questions de crédibilité. Les motifs invoqués par la SAR ne justifient pas une déférence aussi étendue s’appliquant à tous les aspects de la décision de la SPR.

[38]      La décision défavorable était fondée sur l’appréciation que la SPR a faite des éléments de preuve documentaire concernant la situation dans le pays, des éléments de preuve que la SAR elle-même a examinés. La SAR est aussi compétente que la SPR, sinon plus, pour interpréter les éléments de preuve concernant la situation dans le pays. À la différence d’un tribunal judiciaire et de la nature de supervision du contrôle judiciaire, il n’y a aucune raison pour que la SAR fasse preuve de déférence à l’égard de la SPR en ce qui concerne ce type d’appréciation

[39]      En ce qui concerne la nature du contrôle auquel doit procéder la SAR, si la SAR se borne à contrôler les décisions de la SPR selon la norme de la raisonnabilité, son rôle d’appel est restreint. Il ne ferait que dupliquer ce qui se produit lors d’un contrôle judiciaire. En outre, si la SAR ne faisait que jouer un rôle qui fait double emploi avec celui de la Cour fédérale, cela serait incompatible avec la création de la SAR et le vaste régime législatif de la LIPR.

[40]      Dans la mesure où les commentaires dans le Hansard éclairent l’intention du législateur, la citation suivante jette de la lumière sur ce qui était voulu (que cela ait été réalisé ou non est une autre question) [Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146, no 090 (6 mars 2012), à la page 5874] :

Je répète que le projet de loi créerait également la Section d’appel des réfugiés. La grande majorité des demandeurs qui viennent de pays qui ne produisent pas normalement de réfugiés auraient, pour la première fois, en cas de refus par la Section de la protection des réfugiés, accès à un appel fondé sur les faits devant la Section d’appel des réfugiés de la CISR. Nous sommes le premier gouvernement à avoir créé un véritable appel fondé sur l’établissement des faits.

[41]      Au plan juridique, la création d’un tribunal d’appel tendrait à indiquer que le législateur a voulu réaliser quelque chose d’autre que ce que permettait un contrôle judiciaire. Dans l’arrêt BC Society for the Prevention of Cruelty to Animals v. British Columbia (Farm Industry Review Board), 2013 BCSC 2331, 67 Admin. L.R. (5th) 152 (BC SPCA) de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, la question à l’examen était celle de la création d’un organe d’appel interne entre le premier niveau de décision et le contrôle judiciaire. La Cour a statué que l’appel devait porter sur le fond de l’affaire.

[42]      Dans l’arrêt BC SPCA, au paragraphe 40, la Cour a résumé le principe susmentionné, qui s’applique également en l’espèce :

[traduction] Logiquement, si le législateur avait voulu le contrôle empreint de retenue que la SPCA préconise, elle n’aurait rien modifié et aurait laissé toute l’affaire au processus de contrôle judiciaire. C’est toutefois là ce que la législature souhaitait éviter. À cette fin, elle a créé un tout nouveau processus d’appel à la FIRB. Le résultat n’était certainement pas censé n’être qu’une tribune différente pour le même processus qu’avant.

[43]      Il s’ensuit qu’en créant un organe d’appel interne au sein du pouvoir exécutif du gouvernement, le principe de norme de contrôle, une fonction de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, est d’une importance et d’une applicabilité moindres. L’analyse traditionnelle relative à la norme de contrôle n’est pas nécessaire.

[44]      Sous réserve d’un libellé précis, le besoin de faire preuve de déférence, par exemple, est moins important entre la SAR et la SPR qu’il ne l’est entre le judiciaire et l’exécutif. La relation s’apparente davantage à celle entre un tribunal de première instance et un tribunal d’appel, mais elle est influencée en outre par les pouvoirs réparateurs beaucoup plus vastes conférés au tribunal d’appel.

[45]      Par conséquent, une analyse relative à la norme de contrôle n’est pas une démarche analytique appropriée. Il faut examiner des facteurs comme l’objet du tribunal d’appel (dont il a été question précédemment), les dispositions législatives, les compétences spécialisées comparables et les régimes d’appel comparables.

[46]      Les vastes pouvoirs réparateurs de la SAR constituent une caractéristique saillante de cet organe. L’article 111 de la LIPR est une pierre de touche de ces pouvoirs réparateurs.

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

Décision

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés. [Non souligné dans l’original.]

Renvoi

[47]      À la différence d’un contrôle judiciaire, la SAR, en vertu du paragraphe 111(1), peut substituer la décision qui « aurait dû être rendue ». Une condition préalable à l’exercice de ce pouvoir est que la SAR doit procéder à un examen indépendant de la demande afin de se faire sa propre opinion. Il n’est pas nécessaire, pour donner lieu à l’exercice de ce pouvoir réparateur, que la SAR relève une erreur dans le cadre de quelque norme de contrôle.

[48]      Les restrictions à la possibilité d’entendre de nouveaux éléments de preuve ne font pas obstacle à l’instruction d’un appel de novo. De fait, presque tous les tribunaux d’appel procèdent sans qu’on leur fournisse de nouveaux éléments de preuve. Le libellé (p. ex., le mot « appel ») et les vastes pouvoirs réparateurs confirment que la SAR n’est pas établie pour procéder à un contrôle des décisions uniquement en fonction de la norme de la « décision raisonnable ».

[49]      Les compétences spécialisées de la SAR sont au moins égales à celles de la SPR. La SAR est un tribunal d’appel spécialisé, ses membres sont nommés par le gouverneur en conseil pour des mandats de durée déterminée, et ils doivent posséder des compétences spécialisées dans le domaine du droit des réfugiés. La SAR a été créée pour entendre des appels interjetés à l’encontre de décisions de première instance de la SPR. Une décision rendue par une formation de trois commissaires a valeur de précédent et elle lie les commissaires de la SPR.

[50]      En fait de comparaisons avec d’autres régimes administratifs d’appel, la Section d’appel de l’immigration (SAI) est la plus pertinente. Les deux organes partagent les caractéristiques suivantes :

•   Chacune a « compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait » dans le cadre des affaires dont elle est saisie (paragraphe 162(1) de la LIPR);

•   Elles peuvent fonder leur décision sur tout élément de preuve produit à l’instance (SAR (alinéa 171a.3) de la LIPR) et SAI (alinéa 175(1)c) de la LIPR));

•   Elles ne sont pas liées par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve (SAR (alinéa 171a.2) de la LIPR) et SAI (alinéa 175(1)b) de la LIPR));

•   Elles peuvent accorder une mesure de réparation si elles estiment que la décision rendue par le tribunal inférieur est « erronée » en droit, en fait ou en fait et en droit (SAR (alinéa 111(2)a) de la LIPR) et SAI (alinéa 67(1)a) de la LIPR));

•   Elles peuvent casser la décision du tribunal inférieur et y substituer leur propre décision (SAR (paragraphe 111(1) de la LIPR) et SAI (paragraphe 67(2) de la LIPR));

•   Elles ne sont pas tenues de tenir une audience dans tous les cas (SAR (paragraphe 110(3) de la LIPR) et SAI (alinéa 175(1)a) de la LIPR));

•   La norme selon laquelle elles doivent examiner la décision inférieure n’est pas décrite dans la LIPR comme étant celle de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte. Ni l’un ni l’autre des processus d’appel n’est décrit comme étant « de novo » ou « véritable ».

[51]      Il est également noté que la SAI est une cour d’archives, avec tous les pouvoirs, droits et privilèges d’une cour supérieure d’archives, mais cette différence n’est pas essentielle. La SAR n’a pas besoin de tels pouvoirs pour exercer sa fonction d’appel.

[52]      Bien que la LIPR ne précise pas que le processus de la SAI est de novo, dans l’arrêt Mohamed c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 3 C.F. 90, la Cour d’appel fédérale a conclu que tel est le cas. Dans cette affaire, la Cour devait déterminer la nature des appels devant la SAI (un peu comme la question se pose en l’espèce en ce qui a trait à la SAR). La Cour a résumé le rôle d’appel aux pages 94 et 95 :

À mon avis, la question que doit trancher la Commission à l’occasion d’un appel interjeté en vertu de l’article 79 de la Loi ne consiste pas à se demander si la décision administrative d’un agent des visas de rejeter une demande parce que les renseignements portés à sa connaissance indiquaient que la personne sollicitant son admission au Canada appartenait à une catégorie inadmissible a été prise régulièrement. Elle consiste plutôt à déterminer si, au moment de l’instruction de l’appel, la personne en cause fait effectivement partie de la catégorie interdite.

La Commission est instituée par le paragraphe 59(1) de la Loi et se voit conférer, à l’égard notamment d’un appel fondé sur l’article 79, «compétence exclusive … pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de compétence, relatives … au rejet d’une demande de droit d’établissement présentée par une personne appartenant à la catégorie de la famille». Aux termes du paragraphe 60(5), les membres de l’ancienne Commission sont maintenus en fonction en qualité de commissaires de la Commission ainsi instituée. L’article 65 fait de la Commission une cour d’archives et lui confère de vastes pouvoirs, notamment ceux de citer des témoins à comparaître, de forcer la production de documents, de faire prêter serment et de recevoir toute preuve qu’elle considère digne de foi et pertinente.

Le paragraphe 79(2) confère à un citoyen canadien le droit d’en appeler à la Commission à l’encontre du refus d’un agent des visas d’autoriser une demande au motif qu’un membre de la catégorie de la famille ne répond pas aux exigences de la Loi ou des règlements; le citoyen peut exercer ce droit en invoquant «l’un ou les deux motifs suivants:»

79. (2) […]

a) un moyen d’appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait;

b) le fait que des considérations humanitaires ou de compassion justifient l’octroi d’une mesure spéciale.

À l’occasion d’un tel appel, la Commission n’a que le pouvoir de l’accueillir ou de le rejeter. Voir le paragraphe 79(3). Le paragraphe 79(4) vaut également la peine d’être mentionné en ce qu’il fait mention des «exigences de la présente loi et des règlements, autres que celles qui ont fait l’objet de la décision de la Commission».

Le libellé des dispositions législatives applicables a été quelque peu modifié depuis que la décision de la Cour suprême dans Gana c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration et de cette Cour dans Srivastava c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration ont été rendues, mais j’estime que l’intention du Parlement est toujours la même que sous l’ancienne législation, c’est-à-dire, instituer et maintenir à titre de cour d’archives une commission ayant les pouvoirs de statuer judiciairement sur les faits dont dépend l’admissibilité d’une personne et non simplement de s’attacher au bien-fondé quant à la procédure ou au fond de la décision administrative prise par un agent des visas relativement à ces exigences imposées par la loi. [Non souligné dans l’original; notes en bas de page omises.]

[53]      Tenter de tirer des analogies avec d’autres régimes législatifs prévus par d’autres lois, ayant des objets et des contextes différents, est moins utile. Chaque régime législatif dépend des circonstances qui lui sont propres. Il n’y a aucun parallèle utile à faire avec un processus de plaintes contre la police, un processus d’appel en matière de relations de travail et la SAR, si ce n’est qu’en termes généraux.

[54]      Après avoir conclu que la SAR avait commis une erreur en examinant la décision de la SPR selon la norme de la raisonnabilité, j’ai conclu en outre que, pour les motifs qui précèdent, la SAR doit instruire l’affaire comme une procédure d’appel hybride. Elle doit examiner tous les aspects de la décision de la SPR et en arriver à sa propre conclusion quant à savoir si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger. Lorsque ses conclusions diffèrent de celles de la SPR, la SAR doit y substituer sa propre décision.

[55]      Lorsque la SAR effectue son examen, elle peut reconnaître et respecter la conclusion de la SPR sur des questions comme la crédibilité et/ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion, mais elle ne doit pas se borner, comme doit le faire une cour d’appel, à intervenir sur les faits uniquement lorsqu’il y a une « erreur manifeste et dominante ».

[56]      La conclusion de la SAR quant à la démarche qu’elle doit adopter pour instruire un appel est, avec égards, erronée. La SAR aurait dû en faire plus qu’examiner la décision selon la perspective de la raisonnabilité. Par conséquent, l’affaire devra être renvoyée.

            C.        La protection de l’État

[57]      Compte tenu de ma conclusion au sujet de la norme juridique applicable à l’examen en appel devant la SAR, il n’est pas nécessaire ni utile pour ceux qui instruiront l’appel que la Cour commente longuement la question de la protection de l’État.

[58]      Toutefois, il convient de relever que, bien que certains éléments de preuve documentaire étayent la décision quant à la protection de l’État, et bien que l’application de la loi par la police soit un des points forts des institutions gouvernementales au Kosovo, la décision ne traite pas convenablement de l’expérience des demandeurs et de la différence entre cette expérience et ce que relatent les éléments de preuve documentaire.

[59]      Les demandeurs ont signalé des incidents à la police à quatre occasions; la police n’a pas réagi et a semblé résignée à l’idée qu’elle ne pouvait rien faire. L’exposé circonstancié des demandeurs a été jugé franc et donc crédible sur ce point. Un nouvel appel traiterait sans aucun doute de l’écart entre l’expérience précise des demandeurs et ce que relatent les éléments de preuve documentaire en ce qui a trait à la capacité et aux opérations d’application de la loi de la police au Kosovo.

VI.       Conclusion

[60]      Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SAR sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué.

[61]      Puisque des questions similaires se posent dans des affaires en instance devant la Cour, et puisqu’il y a très peu de précédents pour guider la Cour, il s’agit d’un cas où il y a lieu de certifier une question. Les parties ont formulé des observations générales concernant une question à certifier, mais, compte tenu des présents motifs, il y a lieu de donner aux parties la possibilité de présenter de nouvelles observations et des observations supplémentaires, compte tenu des présents motifs.

[62]      Les parties ont 30 jours à compter de la publication des présents motifs pour présenter des observations concernant le libellé de la ou des questions à certifier.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée, et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué.



[1] Note de l’arrêtiste: Cette décision sera publiée dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

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