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[2001] 3 C.F. 326

IMM-486-01

2001 CFPI 118

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (demandeur)

c.

Cheong Sing Lai et Ming Na Tsang (défendeurs)

Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lai (1re inst.)

Section de première instance, juge Campbell— Vancouver, 23 et 26 février 2001.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de visiteurs — Garde ordonnée en vertu des art. 103(6) et (7) de la Loi sur l’immigration au motif que les intéressés se déroberaient vraisemblablement au renvoi si leur revendication de statut de réfugié était rejetée — L’arbitre a ordonné la mise en liberté à des conditions très strictes pour compenser le risque qu’ils se dérobent — L’arbitre avait-il compétence pour rendre une telle ordonnance? — Le M.C.I. a avancé un processus en deux étapes : une personne qui pourrait ne pas se présenter ne serait pas libérée — La jurisprudence établit que les personnes sous garde doivent être libérées aux conditions jugées adéquates pour assurer leur présence — On ne peut les détenir tellement longtemps qu’on aura enfreint les droits garantis par la Charte — La position du ministre crée une absurdité qu’il y a lieu d’éviter dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l’art. 103(7) — Rien n’empêche les personnes sous garde de consentir à une assignation à résidence.

La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision d’un arbitre de libérer les défendeurs à certaines conditions en vertu du paragraphe 103(7) de la Loi sur l’immigration. Les défendeurs, qui sont arrivés au Canada en 1999 en provenance de Chine, et dont les visas de visiteur ont été prorogés, ont été arrêtés et détenus en vertu des paragraphes 103(6) et (7) de la Loi, au motif qu’ils étaient des personnes qui se déroberaient vraisemblablement au renvoi si leur revendication de statut de réfugié au sens de la Convention était rejetée. Ils avaient des raisons très sérieuses de ne pas vouloir retourner en Chine, où ils sont recherchés par les autorités chinoises pour leur rôle dans un scandale de contrebande et de corruption et où ils pourraient être condamnés à une longue peine de prison ou à la peine capitale. Après être arrivé à certaines conclusions essentielles quant à sa compétence en vertu du paragraphe 103(7), l’arbitre a accepté les conditions contenues dans la proposition détaillée des défendeurs visant leur libération, notamment le dépôt de cautions importantes, les conditions relatives au contrôle, leur consentement à une assignation à résidence dans leur condominium de Burnaby, Colombie-Britannique, ainsi que la remise de leurs passeports et des clés de leur condominium. Le ministre a soutenu que le paragraphe 103(7) doit être mis en œuvre en deux étapes. Premièrement, l’arbitre doit décider si la personne détenue se présentera vraisemblablement à son renvoi; deuxièmement, s’il est arrivé à une conclusion positive, l’arbitre doit libérer la personne en cause, avec ou sans conditions. La question centrale en l’instance consistait à savoir si, en arrivant à ses conclusions essentielles, l’arbitre a correctement interprété son pouvoir d’ordonner une mise en liberté en vertu du paragraphe 103(7).

Jugement : la demande est rejetée.

L’interprétation correcte du paragraphe 103(7) doit être tirée de la disposition elle-même, examinée au vu des principes de l’interprétation des lois. Les décisions portant sur le paragraphe 103(7) ont établi certains principes de base. Un de ces principes veut qu’en exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 103(7), un arbitre doit être vigilant lorsqu’il s’agit d’identifier les facteurs qui militent en vertu d’une mise en liberté. De façon implicite et explicite, ces décisions autorisent un arbitre à ordonner la mise en liberté aux conditions qui le convainquent que la personne détenue se présentera vraisemblablement pour son renvoi. Ces décisions indiquent même que cette démarche est attendue. Les circonstances qui ont fait qu’on a mis une personne sous garde, ainsi que ce qu’elle peut faire ou dire en détention, sont tous des éléments de preuve qui peuvent mener à la conclusion qu’elle se dérobera au renvoi. Si on utilisait la démarche en deux étapes pour l’application du paragraphe 103(7), comme le suggère le ministre, cela voudrait dire, par exemple, qu’une personne jeune qui a des craintes et du ressentiment, et qui n’a pas de moyens, ni aucune famille ou ami au Canada, se trouverait placée sous garde et isolée, sans aucun espoir de mise en liberté. Les arbitres ne devraient pas attendre avant d’approuver un projet de mise en liberté qu’une personne ait été détenue tellement longtemps qu’on aura enfreint ses droits garantis par la Charte. Compte tenu du contexte de la société canadienne actuelle en matière de justice fondamentale et de droits de la personne, l’interprétation en deux étapes est une absurdité; il y a donc lieu de l’éviter dans toutes les affaires impliquant l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 103(7). L’arbitre a décidé avec raison que les conclusions tirées des trois précédentes révisions des motifs de garde jouaient fortement contre la mise en liberté des défendeurs, mais qu’il avait compétence pour considérer leur proposition détaillée de mise en liberté comme un facteur valable à l’appui de cette mise en liberté. Le fait que la proposition contienne un tel consentement de la part des défendeurs à leur détention a été une considération importante en leur faveur. Il est tout à fait acceptable que les défendeurs consentent à des limites aussi importantes à leur liberté de mouvement et que l’arbitre les accepte. En tirant ses conclusions essentielles, l’arbitre a correctement interprété son pouvoir d’ordonner la mise en liberté en vertu du paragraphe 103(7).

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 82.1(1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73); 103(6) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 19), (7) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 94).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Salilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 150 (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 299 (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Salinas-Mendoza, [1995] 1 C.F. 251 (1994), 29 Imm. L.R. (2d) 295 (1re inst.); Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214 (1994), 85 F.T.R. 99 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Thailand v. Saxena (1998), 115 B.C.A.C. 1; 129 C.C.C. (3d) 518 (C.A.); Flavell c. Sous-ministre M.R.N., Douanes et Accise, [1997] 1 C.F. 640 (1996), 137 D.L.R. (4th) 45; 117 F.T.R. 1 (1re inst.); Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 47 Admin. L.R. 317; 109 N.R. 239 (C.A.F.).

DOCTRINE

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville, Qué. Yvon Blais, 1990.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision d’un arbitre de libérer les défendeurs à certaines conditions en vertu du paragraphe 103(7) de la Loi sur l’immigration. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Esta Resnick pour le demandeur.

Darryl W. Larson et Alistair A. Boulton pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Larson, Boulton, Sohn, Stockholder, Vancouver, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Campbell : Lors de trois arbitrages précédents, les défendeurs ont été détenus en vertu des paragraphes 103(6) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 19] et (7) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 94] de la Loi sur l’immigration[1], au motif qu’ils sont des personnes qui se déroberaient vraisemblablement au renvoi si leur revendication de statut de réfugié en vertu de la Convention était rejetée. La décision dans le quatrième arbitrage vise la libération des défendeurs sous conditions, qui sont jugées suffisantes pour compenser le risque qu’ils se dérobent. La présente demande conteste la compétence de l’arbitre de rendre une telle ordonnance[2].

A.        Le contexte

[2]        Dans une décision réfléchie, détaillée et bien rédigée, l’arbitre M. Tessler (l’arbitre) résume le contexte de la présente instance comme suit :

[traduction]

M. et Mme Lai sont arrivés au Canada en août 1999. Ils n’ont pas tenté de dissimuler leur présence au Canada, puisqu’ils ont demandé et obtenu la prorogation de leur visa de visiteur. Ils ont communiqué leur changement d’adresse au Ministère. Ils ont revendiqué le statut de réfugié après une rencontre, en mai 2000, entre M. Lai et des enquêteurs provenant de Chine. M. et Mme Lai ont été frappés d’une mesure d’interdiction de séjour conditionnel. M. Lai, qui manifeste le goût du jeu, s’est vu interdire l’accès aux casinos de Colombie-Britannique, car on le soupçonnait de se livrer à des activités de prêt usuraire. La GRC nous a remis une liste de personnes en compagnie desquelles M. Lai a été vu, principalement mais non exclusivement dans des casinos. Il semblerait que plusieurs de ces personnes soient associées à des gangs de criminels. Pendant leur séjour au Canada, M. et Mme Lai ont acheté puis vendu une maison; ils sont maintenant propriétaires d’un condominium situé à Burnaby. Les agents d’immigration ont arrêté M. et Mme Lai le 23 novembre 2000.

Des arbitres d’immigration ont déjà revu les motifs de la garde de M. et Mme Lai lors de trois audiences. Dans tous les cas, l’arbitre est parvenu à la même conclusion : M. et Mme Lai se déroberaient vraisemblablement au renvoi s’ils étaient libérés. Ils ont donc été maintenus en détention. Rien de nouveau à ce sujet n’a été présenté à l’audience. Il reste les éléments de preuve crédibles et dignes de foi suivants : M. et Mme Lai sont recherchés par les autorités chinoises, lesquelles allèguent que ce couple a joué un rôle de premier plan dans un scandale de contrebande et de corruption à grande échelle; s’ils retournaient en Chine, ils seraient appréhendés et, dans l’éventualité où ils seraient reconnus coupables, ils seraient condamnés à une longue peine de prison, voire à la peine capitale; au moment où ils ont appris qu’on était sur le point de les arrêter, ils ont immédiatement quitté Hong Kong pour le Canada; ils ont utilisé de faux documents pour obtenir le droit d’établissement à Hong Kong; et, enfin, ils sont très bien pourvus financièrement. Je partage l’avis des arbitres précédents qu’au vu de ces faits, M. et Mme Lai ont des raisons très sérieuses de ne pas vouloir retourner en Chine[3].

[3]        Les défendeurs concèdent qu’ils ont des raisons très sérieuses de ne pas vouloir retourner en Chine.

B.        La décision de l’arbitre

[4]        Au sujet de la compétence qui lui est conférée par le paragraphe 103(7), l’arbitre est arrivé aux conclusions essentielles suivantes :

[traduction]

Les lois qui constituent des arbitres en matière d’immigration, qui leur accordent leur compétence et qui régissent leur action (Loi sur l’immigration et Loi sur les enquêtes) fixent très certainement des limites à leur compétence pour agir. Toutefois, lorsque la loi donne un pouvoir discrétionnaire large à un arbitre, comme c’est le cas du paragraphe 103(7), l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire n’est limité que par la créativité de l’arbitre, l’aspect raisonnable de sa décision et la législation. On me propose d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’ordonner la libération de M. et Mme Lai sous conditions. Ces conditions sont très rigoureuses, les assignant à résidence. Selon moi, bien qu’une telle forme de libération soit inhabituelle, elle n’excède pas l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire de l’arbitre. Cette conclusion est appuyée sur la jurisprudence[4].

[…]

En appliquant le paragraphe 103(7) lors d’une révision des motifs de garde, les arbitres utilisent une approche pratique. Une fois les faits établis, l’arbitre se pose la question de savoir s’il existe des conditions qui, au vu de la probabilité la plus forte, réduiraient le risque que les personnes en cause se dérobent au renvoi. L’équité et le bon sens exigent que la probabilité que les personnes se présentent soit examinée en même temps que les conditions appropriées[5].

[…]

M. et Mme Lai ont proposé une alternative à leur détention qui, si elle est mise en pratique, offrirait un arrangement approprié et efficace pour diminuer tout risque qu’ils se dérobent au renvoi. Les diverses cautions en espèces, ainsi que l’imposition de conditions et d’un contrat de sécurité, réduiraient, lorsqu’ils seront mis en pratique, le risque de fuite. Je suis donc convaincu qu’en l’instance M. et Mme Lai comparaîtront vraisemblablement pour être renvoyés[6].

[5]        Suite à ces conclusions, l’arbitre a accepté les conditions contenues dans la proposition détaillée des défendeurs visant leur libération. Ces conditions sont notamment les suivantes : le dépôt d’une caution de 5 000 $ par une firme de sécurité privée dont les services ont été retenus par les défendeurs pour assurer, à leur demande, le respect des conditions de leur libération; une caution de 40 000 $ fournie par un ami des défendeurs qui demeure anonyme, une caution de 40 000 $ fournie par chacun des défendeurs; les conditions relatives au contrôle; consentir à une assignation à résidence dans leur condominium de Burnaby, sauf absences autorisées; consentir à être contraints par les employés de la firme de sécurité privée en cas d’infraction à l’une des conditions de leur ordonnance de libération; la remise de leurs passeports et des clés de leur condominium; l’interdiction d’utiliser un téléphone cellulaire; le contrôle des visiteurs; des limites imposées à leurs contacts avec d’autres personnes; et la surveillance de toutes les activités à l’intérieur du condominium[7].

[6]        Quant à la mise en œuvre de la proposition de libération, l’arbitre déclare ceci :

[traduction]

La proposition s’appuie sur le consentement de M. et Mme Lai. Ils consentiraient à leur assignation à résidence, ainsi qu’à la contrainte jusqu’à leur arrestation en cas d’infraction aux conditions de leur libération. C’est là une condition expresse de leur libération à laquelle ils doivent consentir. Et ils doivent y consentir après avoir pris l’avis de leur avocat. Si M. et Mme Lai ne respectent pas l’une ou l’autre des conditions qui leur sont imposées, ils peuvent être arrêtés par un agent de la paix en vertu de l’article 104. La coopération du Ministère serait utile lorsqu’il s’agit de fournir à Intercon une liste de contacts en cas d’infraction[8].

[7]        Quant aux conclusions essentielles précitées, l’arbitre a fait état de « jurisprudence » pour les conditions détaillées « d’assignations à résidence » établies en vertu du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46][9] ainsi que pour l’exigence de vigilance en cas de violation de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] lorsqu’on décide de maintenir des immigrants sous garde pendant de longues périodes[10]. Toutefois, il m’apparaît clairement que, bien que l’arbitre ait fait état de ces autorités dans sa décision portant qu’il a compétence, ce dernier a présenté sa propre interprétation du paragraphe 103(7).

C.        La question centrale à laquelle il faut répondre

[8]        Voici, selon moi, la question centrale à laquelle je dois répondre : en arrivant à ses conclusions essentielles, l’arbitre a-t-il correctement interprété son pouvoir d’ordonner une libération en vertu du paragraphe 103(7)[11]?

[9]        On ne m’a présenté aucune preuve qui viendrait éclairer l’intention du législateur lorsqu’il a adopté le paragraphe 103(7). Il est donc convenu que la décision au sujet de l’interprétation correcte doit être tirée de la disposition elle-même, examinée au vu des principes de l’interprétation des lois.

[10]      Le demandeur soutient que le paragraphe 103(7) doit être mis en œuvre en deux étapes. Premièrement, après avoir examiné la preuve, l’arbitre doit d’abord décider si la personne détenue se présentera vraisemblablement à son renvoi; deuxièmement, s’il est arrivé à une conclusion positive lors de la première étape, l’arbitre doit libérer la personne en cause, avec ou sans conditions. Le demandeur soutient que selon cette interprétation, l’imposition de conditions vient imposer des obligations qui rendent plus vraisemblable la conclusion que la personne va se présenter.

[11]      Les défendeurs soutiennent que, si un arbitre doit évaluer le risque qu’une personne ne se présente pas à son renvoi sans tenir compte des conditions imposées, alors le pouvoir discrétionnaire d’imposer les conditions n’a aucun sens. Par conséquent, les défendeurs soutiennent qu’il y a lieu d’utiliser la méthode d’interprétation systématique et logique, étant donné que la méthode littérale proposée par le demandeur mènerait à un résultat illogique qu’il y a lieu d’éviter[12].

D.        L’analyse en vue de la réponse

[12]      Bien que l’on convienne qu’il n’y a pas de décision en cette Cour portant directement sur la question soumise, on peut selon moi évaluer les arguments présentés en examinant les décisions portant sur le paragraphe 103(7).

[13]      Au sujet du fardeau de la preuve concernant le paragraphe 103(7), on trouve les principes applicables dans deux décisions. Dans Salilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[13], le juge MacKay déclare ceci :

À mon avis, il semble également important que chacun de ces examens constitue une audience de novo, en ce sens qu’au moment de l’examen, il s’agit de savoir s’il existe des motifs permettant de convaincre l’arbitre que l’intéressé ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu’il ne se dérobera vraisemblablement pas à l’interrogatoire ou à l’enquête ou qu’il obtempérera à la mesure de renvoi. À mon avis, il ne suffit pas que l’arbitre se contente, comme c’était essentiellement le cas le 2 juin, d’accepter les décisions des arbitres antérieurs et de tenir principalement compte de ce qui peut s’être passé depuis que la dernière décision a été rendue. L’arbitre devrait plutôt se fonder sur la prémisse selon laquelle la garde est une mesure restrictive extraordinaire dans notre société et que, bien que le paragraphe 103(7) semble imposer un fardeau important à l’intéressé, il incombe d’autre part au ministre et à ses responsables de démontrer, dans chaque cas, l’existence de motifs justifiant la garde de l’intéressé.

[14]      Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Salinas-Mendoza[14], le juge Noël conclut comme suit :

Il ne fait aucun doute que l’arbitre n’avait pas les pouvoirs d’un tribunal d’appel ou de contrôle judiciaire. Elle avait cependant le mandat d’examiner les motifs de la détention ordonnée par l’arbitre Dyck, et de déterminer si cette détention devait être prolongée. Comme cette ordonnance était valide et exécutoire, il incombait à l’intimé, non au ministre, de démontrer que la détention ne devait pas être prolongée. L’arbitre ne pouvait pas ne pas tenir compte du fait qu’une ordonnance de détention avait été rendue à partir de la même preuve que celle que le ministre lui présentait.

[15]      Je conclus que les décisions Salilar et Salinas-Mendoza établissent les principes suivants que les arbitres doivent mettre en œuvre lorsqu’ils agissent en vertu du paragraphe 103(7) : un arbitre doit exercer sa compétence sans être entravé par des décisions antérieures, quelle que soit leur provenance; le fardeau de prouver qu’il y a lieu de maintenir une personne en détention est imposé, à l’origine, à la personne qui propose une telle ordonnance; tous les facteurs liés à la détention doivent être examinés, y compris les motifs de toute ordonnance antérieure de détention, lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu de prolonger la détention; si les motifs de prolonger la détention sont jugés très solides, le fardeau de prouver, au vu de la probabilité la plus forte, que la libération est indiquée, se déplace pour incomber au détenu.

[16]      Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[15] établit que l’un des critères dont il faut tenir compte en rendant une décision en vertu du paragraphe 103(7) consiste à savoir si, étant donné la durée de la détention jusque là, il y a eu infraction au droit à la liberté d’un détenu garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[16]. Toutefois, comme je le préciserai plus loin, je conclus que cette préoccupation n’est qu’un exemple d’un facteur qui peut raisonnablement appuyer la décision d’un arbitre d’ordonner la mise en liberté.

[17]      Selon moi, l’affaire Sahin est une décision importante dans le cadre de la question en l’instance, parce qu’elle établit clairement l’exigence qui veut qu’un arbitre, lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 103(7), doit être vigilant lorsqu’il s’agit d’identifier les facteurs qui militent en vertu d’une mise en liberté. Voici ce que dit le juge Rothstein, dans Sahin [aux pages 230 et 231] :

À mon avis, lorsque l’arbitre décide s’il faut mettre en liberté ou détenir un individu en application du paragraphe 103(7) de la Loi sur l’immigration, il doit examiner si la prolongation de la détention est conforme aux principes de justice fondamentale ainsi que l’exige l’article 7 de la Charte. Comme je l’ai fait remarquer supra, l’arbitre ne tient pas cette compétence des termes de l’article 103, mais de l’application des principes consacrés par la Charte à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 103.

Je reconnais que l’impératif d’appliquer les principes consacrés par la Charte à la décision de savoir s’il faut maintenir la détention ou non, multiplie et complique les facteurs que les arbitres doivent prendre en considération, et j’ai conscience de leur charge de travail ainsi que du peu de temps dont ils disposent pour rendre leurs décisions. Mais une fois qu’il est reconnu que les individus soumis à l’application de l’article 103 ont droit à la protection de la Charte, la décision de les détenir est subordonnée aux prescriptions de l’article 7 de la Charte.

Je pense que des lignes directrices se dégageront au fil de la jurisprudence, qui aideront les arbitres dans les décisions difficiles de ce genre. Pour les aider, voici certaines observations sur les facteurs qu’ils devraient prendre en considération. Les avocats des deux parties ont fait d’utiles suggestions à cet égard. La liste suivante, qui n’est bien entendu pas exhaustive, réunit au moins les facteurs les plus évidents, il me semble. Il est inutile de rappeler que les facteurs applicables à un cas d’espèce et leur importance relative dépendent des faits de la cause.

(1) Les motifs de détention, savoir si le requérant peut constituer une menace pour la sécurité publique ou peut se dérober à la mesure de renvoi. À mon avis, une longue détention est d’autant justifiable que l’intéressé est considéré comme une menace pour la sécurité publique.

(2) La durée de la détention et le temps pendant lequel la détention sera vraisemblablement prolongée. Si l’individu a été déjà détenu pendant un certain temps comme en l’espèce et s’il est prévu que la détention sera prolongée pour une longue période ou si on ne peut en prévoir la durée, je dirais que ces facteurs favorisent la mise en liberté.

(3) Le requérant ou l’intimé a-t-il causé un retard ou ne s’est-il pas montré aussi diligent qu’il est raisonnablement possible de l’être? Les retards inexpliqués ou même le manque inexpliqué de diligence doivent compter contre la partie qui en est responsable.

(4) La disponibilité, l’efficacité et l’opportunité d’autres solutions que la détention, telles que la mise en liberté, la liberté sous caution, la comparution au contrôle périodique, la résidence surveillée dans un lieu ou une localité, l’obligation de signaler les changements d’adresse ou de numéro de téléphone, la détention sous une forme moins restrictive de liberté, etc.

[18]      Je conclus que, de façon implicite et explicite, les décisions Salilar, Salinas-Mendoza et Sahin autorisent un arbitre à ordonner la mise en liberté aux conditions qui les convainquent que la personne détenue se présentera vraisemblablement pour son renvoi. Dans certains cas, les affaires citées indiquent demandeur et des défendeurs concèdent tous deux qu’en fait, cette approche est largement utilisée dans la pratique courante des arbitres agissant en vertu du paragraphe 103(7).

[19]      Les circonstances qui ont fait qu’on a mis une personne sous garde, ainsi que ce qu’elle peut faire ou dire en détention, sont tous des éléments de preuve qui peuvent mener à la conclusion qu’elle se dérobera au renvoi. Par exemple, dans le cas d’une personne jeune qui n’a pas de moyens, ni aucune famille ou ami au Canada, et qui déclare craindre d’être détenue et exprime du ressentiment envers les autorités d’immigration, il est compréhensible qu’on puisse avoir des préoccupations quant à savoir si elle se présentera pour son renvoi. Toutefois, advenant que la même personne ait toujours la crainte et le ressentiment susmentionnés, que le risque de dérobade demeure, et qu’un organisme communautaire qui a de l’expérience dans le traitement de ces cas se porte volontaire et donne des assurances qu’il lui fournira le gîte, le couvert et une surveillance constante, on peut tout à fait conclure que, dans de telles conditions, il est probable que la personne en cause va s’installer et qu’elle se présentera pour son renvoi.

[20]      Si on utilisait la démarche en deux étapes pour l’application du paragraphe 103(7) dans le scénario hypothétique que je viens de décrire, une personne jeune qui a des craintes et du ressentiment se trouverait placée sous garde et isolée, sans aucun espoir de mise en liberté. Selon moi, cette interprétation dans de telles circonstances serait une absurdité.

[21]      Il est important de noter que, même si la situation de fait des défendeurs et leur proposition en vue d’une mise en liberté sont beaucoup plus complexes que le scénario hypothétique simple que je viens de décrire, les considérations pertinentes sont les mêmes.

[22]      Dans Sahin, le juge Rothstein favorise une approche contextuelle, pratique et pragmatique à la détention d’immigrants, en disant aux arbitres : « n’attendez pas avant d’approuver un projet de mise en liberté qu’une personne ait été détenue tellement longtemps qu’on aura enfreint ses droits garantis par la Charte; examinez d’autres solutions pour éviter d’arriver à ce résultat ». Selon l’interprétation en deux étapes, dans le cas habituel d’une personne que l’on croit vouloir se dérober, en l’absence de pouvoir de l’arbitre de la libérer sous conditions faisant qu’il est probable qu’elle se présentera, cette personne resterait détenue jusqu’à ce qu’on la libère sans conditions en raison du déni de ses droits garantis par la Charte. Encore une fois, selon moi, dans de telles circonstances et compte tenu du contexte de la société canadienne actuelle en matière de justice fondamentale et de droits de la personne, l’interprétation en deux étapes est une absurdité.

E.        La réponse à la question

[23]      Je conclus que, comme le soutiennent les défendeurs, l’interprétation en deux étapes présentée par le demandeur produit un résultat illogique parce qu’elle ne reconnaît pas l’importance fondamentale du pouvoir accordé par le paragraphe 103(7) d’imposer des conditions à la mise en liberté. De plus, je conclus qu’une interprétation aussi machinale peut donner un résultat absurde dans des affaires ordinaires et qu’il y a donc lieu de l’éviter dans toutes les affaires impliquant l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 103(7).

[24]      Par conséquent, je suis entièrement d’accord avec les conclusions essentielles de l’arbitre quant à l’interprétation du paragraphe 103(7), comme je viens de l’énoncer.

[25]      À mon avis, l’arbitre a décidé avec raison que les conclusions tirées des trois précédentes révisions des motifs de garde jouaient fortement contre la mise en liberté des défendeurs, mais qu’il avait compétence pour considérer leur proposition détaillée de mise en liberté comme un facteur valable à l’appui de cette mise en liberté. Il n’y a pas de doute que le fait que la proposition contienne un tel consentement de la part des défendeurs à leur détention a été une considération importante en leur faveur. Selon moi, il est tout à fait acceptable que les défendeurs consentent à des limites aussi importantes à leur liberté de mouvement et que l’arbitre les accepte.

[26]      Je conclus donc que la question centrale en l’instance doit recevoir la réponse suivante : oui, en tirant ses conclusions essentielles, l’arbitre a correctement interprété son pouvoir d’ordonner la mise en liberté en vertu du paragraphe 103(7).

F.         Questions accessoires

[27]      Il y a deux questions accessoires dont il me faut traiter. Premièrement, les défendeurs admettent que l’arbitre a eu raison de décrire leur proposition comme « un projet en évolution » qui doit être finalisé. Par conséquent, je suis d’avis que, bien que l’arbitre ait accepté la proposition, les ordonnances de mise en liberté qui s’ensuivent ne peuvent être finalisées avant que le « travail » ne soit terminé. Il se peut que, sur cette base, l’arbitre ait agi de façon prématurée en signant les ordonnances de mise en liberté à la date de sa décision, étant donné que les défendeurs ne pouvaient à ce moment-là se conformer aux conditions spécifiées dans les ordonnances avant d’avoir réglé tous les arrangements requis. Bien qu’il reste des choses à faire avant que l’arbitre puisse donner suite aux ordonnances, je ne considère pas que ce facteur ait un effet sur leur validité.

[28]      Deuxièmement, on a fait grand cas de la question de savoir si l’assignation à résidence que les défendeurs acceptent de respecter dans leur condominium de Burnaby contrevient aux restrictions de zonage de la municipalité. L’arbitre a conclu qu’il n’y avait pas une preuve suffisante pour démontrer que c’était le cas. Je ne trouve aucune erreur dans cette conclusion qui serait susceptible de révision.

ORDONNANCE

[29]      Comme l’exige le paragraphe 82.1(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration, une demande de contrôle judiciaire ne peut être instruite qu’avec l’autorisation d’un juge de notre Cour. Le critère pour accorder cette autorisation consiste à déterminer si un demandeur a un dossier qui présente une possibilité de succès[17]. En l’instance, les parties ont consenti à ce que la demande d’autorisation et le contrôle judiciaire soient entendus en même temps.

[30]      Je conclus que les arguments avancés par le demandeur répondent au critère pour l’obtention d’une autorisation. Toutefois, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs précités. Je mets aussi fin immédiatement à l’ordonnance de sursis.

[31]      Quant à savoir s’il y a une question grave de portée générale à certifier pour examen par la Cour d’appel, au sujet de la question de compétence qui est au cœur de la présente demande, j’ai demandé qu’on me la présente dans les plaidoiries. Or, le demandeur et les défendeurs ne m’en ont pas présentée et, par conséquent, je conclus qu’il n’y en a pas.

ANNEXE

Loi sur limmigration,

L.R.C. (1985), ch. I-2

103. […]

(6) Si linterrogatoire, lenquête ou le renvoi aux fins desquels il est gardé nont pas lieu dans les quarante-huit heures, ou si la décision nest pas prise aux termes du paragraphe 27(4) dans ce délai, lintéressé est amené, dès lexpiration de ce délai, devant un arbitre pour examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de sa garde; par la suite, il comparaît devant un arbitre aux mêmes fins au moins une fois:

a) dans la période de sept jours qui suit lexpiration de ce délai;

b) tous les trente jours après lexamen effectué pendant cette période.

(7) Sil est convaincu quil ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et quil ne se dérobera vraisemblablement pas à linterrogatoire, à lenquête ou au renvoi, larbitre chargé de lexamen prévu au paragraphe (6) ordonne la mise en liberté de lintéressé, aux conditions quil juge indiquées en lespèce, notamment la fourniture dun cautionnement ou dune garantie de bonne exécution.



[1]  Loi sur limmigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Ces dispositions sont citées en annexe.

[2]  Lors dune requête pour accélérer laudition de la présente demande, entendue le 8 février 2001, il a été convenu que les arguments portant sur lautorisation du contrôle judiciaire et sur le contrôle judiciaire lui-même seraient entendus ensemble le 23 février 2001 sous une forme accélérée, au moyen dun échange de prétentions écrites entre les avocats du demandeur et des défendeurs.

[3]  Dossier de demande du demandeur, à la p. 7.

[4]  Ibid., à la p. 9.

[5]  Ibid., à la p. 10.

[6]  Ibid., à la p. 15.

[7]  Ordonnances de libération, aux p. 4 et 5.

[8]  Ibid, à la p. 4.

[9]  Thailand v. Saxena (1998), 115 B.C.A.C. 1 (C.A.).

[10]  Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [1995] 1 C.F. 214 (1re inst.).

[11]  Le demandeur a avancé une deuxième question à trancher, savoir si larbitre avait excédé sa compétence en choisissant lendroit où les défendeurs devaient être détenus. En proposant cette question, le demandeur a soutenu quen acceptant les conditions de la proposition portant sur « lincarcération » qui faisaient lobjet dun accord, larbitre aurait usurpé les pouvoirs du sous-ministre de lImmigration de choisir le lieu de détention qui est autorisé en vertu de la Loi sur limmigration. Comme je conclus quil est très clair que larbitre a ordonné la mise en liberté sous conditions et non la détention dans un endroit quil désignait, jai rejeté cet argument à laudience.

[12]  Voir Flavell c. Sous-ministre M.R.N., Douanes et accise, [1997] 1 C.F. 640 (1re inst.) pour une description des principes dinterprétation des lois. Quant à la méthode systématique et logique dinterprétation des lois, on trouve la déclaration suivante dans Côté, Interprétation des lois (2e éd., 1990), à la p. 287:

Comme la méthode littérale est fondée sur la présomption de laptitude du législateur à transmettre correctement sa pensée par le truchement de la formule légale, la méthode systématique et logique sappuie sur lidée que lauteur de la loi est un être rationnel: la loi, qui manifeste la pensée du législateur rationnel, est donc réputée refléter une pensée cohérente et logique et linterprète doit préférer le sens dune disposition qui confirme le postulat de la rationalité du législateur plutôt que celui qui crée des incohérences, des illogismes ou des antinomies dans le droit.

[13]  [1995] 3 C.F. 150 (1re inst.), à la p. 159.

[14]  [1995] 1 C.F. 251 (1re inst.), à la p. 256.

[15]  [1995] 1 C.F. 214 (1re inst.).

[16]  Lart. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés est rédigé comme suit:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit quen conformité avec les principes de justice fondamentale.

[17]  Bains c. Canada (Ministre de lEmploi et de lImmigration) (1990), 47 Admin. L.R. 317 (C.A.F.).

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