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[2012] 1 R.C.F. 473

2010 CAF 207

A-314-09

Charles Rivett (appelant)

c.

Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company (intimées)

A-315-09

Lawrence Janssens, Ronald Janssens et Alan Kerkhof (appelants)

c.

Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company (intimées)

Répertorié : Monsanto Canada Inc. c. Rivett

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Dawson et Trudel, J.C.A.—Ottawa, 16 juin et 6 août 2010.

Brevets — Contrefaçon — Appels et appels incidents de décisions où la Cour fédérale s’est penchée sur la restitution des bénéfices dans le cadre d’une contrefaçon de brevet et a établi le montant des profits que les appelants devaient restituer aux intimées — Les intimées sont titulaire de licence et propriétaire du brevet canadien no 1313830 (le brevet '830) qui porte sur une invention intitulée « Plantes résistant au glyphosate » — Les semences et les plantes protégées par le brevet '830 sont vendues sous la marque de commerce ROUNDUP READY — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en choisissant et en appliquant la méthode du profit différentiel en l’espèce — Elle a exercé son pouvoir discrétionnaire et a établi la répartition pécuniaire la plus appropriée pour les affaires de contrefaçon en l’espèce — La Cour fédérale a établi dans les deux appels que le différentiel de profit de 31 p. 100 au lieu de 18 p. 100 était trop élevé — La partie des profits des appelants que ceux-ci doivent restituer devrait suivre la preuve que les intimées ont elles-mêmes présentée, soit 18 p. 100 — La Cour fédérale a aussi commis une erreur dans l’appel de Rivett (A-314-09) en ne permettant pas des déductions de dépenses ayant trait aux réparations du matériel et à l’entretien général car elle avait décidé de répartir les coûts de carburant également sur les diverses récoltes; il semblait donc tout à fait logique de permettre la répartition des coûts de la machinerie dans laquelle le carburant est consommé — Appels accueillis en partie; appels incidents rejetés.

Il s’agissait de deux appels et appels incidents à l’encontre de décisions où la Cour fédérale s’est penchée sur la restitution des bénéfices dans le cadre d’une contrefaçon de brevet et a établi le montant des profits que les appelants devaient restituer aux intimées. Les intimées sont titulaire de licence et propriétaire du brevet canadien no 1313830 (le brevet '830) qui porte sur une invention intitulée « Plantes résistant au glyphosate ». Le brevet ne revendique pas la plante entière, mais plutôt les gènes modifiés, qui donnent à la plante ses propriétés de résistance aux herbicides, ainsi que les cellules de la plante qui contiennent ces gènes. Au Canada, les semences et les plantes résistantes au glyphosate protégées par le brevet '830 sont vendues sous la marque de commerce ROUNDUP READY (RR). Les appelants ont admis avoir contrefait le brevet '830 et avoir récolté et vendu des fèves de soja en sachant qu’elles contenaient des gènes et des cellules revendiquées dans ce brevet. Les intimées ont choisi la restitution des bénéfices comme réparation pour la contrefaçon du brevet par les appelants. À cet égard, la Cour fédérale a recouru à la méthode du profit différentiel en l’espèce. Bien que les appelants aient été d’accord avec la méthode du profit différentiel, ils affirmaient que la Cour fédérale s’était trompée à plusieurs égards dans ses calculs et en défalquant les dépenses des profits bruts. En outre, ils soutenaient que l’écart établi par la Cour fédérale entre les profits bruts de la contrefaçon et les profits que les appelants auraient réalisés s’ils avaient recouru à la meilleure solution de substitution non contrefaisante était exagéré.

Dans le cadre de l’appel incident, la principale question à trancher était celle de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en recourant à la méthode du profit différentiel pour le calcul des bénéfices devant être restitués en l’espèce. Dans le cadre de l’appel, les principaux points litigieux étaient ceux de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en déterminant que le différentiel de profit escompté des fèves de soja RR comparativement aux fèves conventionnelles était de 31 p. 100 au lieu de 18 p. 100, et, dans l’appel de Rivett (A-314-09), en ne permettant pas des déductions d’autres dépenses ayant trait à l’entretien général et aux réparations du matériel.

Arrêt : les appels doivent être accueillis en partie et les appels incidents doivent être rejetés.

La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en choisissant et en appliquant la méthode du profit différentiel en l’espèce. Elle a exercé son pouvoir discrétionnaire et a établi la répartition pécuniaire la plus appropriée pour les affaires de contrefaçon en l’espèce. Elle n’a donc pas commis d’erreur susceptible de révision relativement à cette question.

Le profit différentiel appliqué par la Cour fédérale dans les deux appels était trop élevé. La Cour fédérale a conclu que le différentiel était de 31 p. 100 en se fondant sur un tableau élaboré par les intimées, qui font état dans leur publicité d’un profit différentiel de 18 p. 100. La Cour fédérale aurait dû reconnaître que le tableau ne visait pas à établir les coûts réels de l’agriculture des appelants, pas plus que les coûts réels de l’agriculture de qui que ce soit. Selon le tableau, le bénéfice que peut tirer un agriculteur hypothétique de l’utilisation de l’invention brevetée était de 18 p. 100. La partie des profits des appelants que ceux-ci doivent restituer aux intimées devrait suivre la preuve que les intimées ont elles-mêmes présentée et que personne ne conteste, soit 18 p. 100.

Dans l’appel de Rivett, la Cour fédérale a commis une erreur en ne permettant pas des déductions d’autres dépenses ayant trait aux réparations du matériel et à l’entretien général, qui auraient dû donner lieu à une déduction supplémentaire des profits bruts. Une fois que la Cour fédérale a décidé de répartir les coûts de carburant également sur les diverses récoltes, il semblait tout à fait logique, sur la même base, de permettre également les coûts de l’entretien et des réparations de la machinerie dans laquelle le carburant est consommé. À la lumière de la preuve, ces coûts ont été engagés en partie pour la culture des récoltes contrefaisantes.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 36(1) (mod., idem, art. 36), 37(1) (mod., idem, art. 37).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 369.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, infirmant en partie 2002 CAF 309, [2003] 2 C.F. 165, infirmant en partie 2001 CFPI 256; Nance v. British Columbia Electric Ry. Co. Ld., [1951] A.C. 601 (H.L.).

décision différenciée :

Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (C.A.).

décisions examinées :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc., [2001] 2 C.F. 618 (C.A.); Alliedsignal Inc. c. du Pont Canada Inc., 1998 CanLII 7464 (C.F. 1re inst.).

décisions citées :

Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.); Celanese International Corp. v. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203 (Pat. Ct.); Naylor Group Inc. c. Ellis-Don Construction Ltd., 2001 CSC 58, [2001] 2 R.C.S. 943; Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705; Woelk c. Halvorson, [1980] 2 R.C.S. 430; Industrial Teletype Electronics Corp. et al. c. Ville de Montréal, [1977] 1 R.C.S. 629; Proctor v. Dyck, [1953] 1 R.C.S. 244; Northeast Marine Services Ltd. c. Administration de pilotage de l’Atlantique, [1995] 2 C.F. 132 (C.A.); R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129 (C.A.); Moskaleva v. Laurie, 2009 BCCA 260, [2009] 8 W.W.R. 205, 94 B.C.L.R. (4th) 58; Abbott v. Sharpe, 2007 NSCA 6, 250 N.S.R. (2d) 228, 276 D.L.R. (4th) 80; Litwinenko v. Beaver Lumber Co. (2008), 237 O.A.C. 237 (C. div. Ont.); Teledyne Industries Inc. c. Lido Industrial Products Ltd., [1979] A.C.F. n1010 (1re inst.) (QL); Colburn v. Simms (1843), 12 L.J. Ch. 388;  Bayer Aktiengesellschaft v. Apotex Inc. (2002), 16 C.P.R. (4th) 417, 155 O.A.C. 117 (C.A. Ont.).

DOCTRINE CITÉE

Dimock, Ronald E., éd., Intellectual Property Disputes: Resolutions & Remedies, vol. 2, feuilles mobiles, Toronto : Carswell, 2004.

Morrow, David A. et Colin B. Ingram. « Of Transgenic Mice and Roundup Ready Canola: The Decisions of the Supreme Court of Canada in Harvard College v. Canada and Monsanto v. Schmeiser » (2005), 38 U.B.C. L. Rev. 189.

Siebrasse, Norman. « A Remedial Benefit-Based Approach to the Innocent-User Problem in the Patenting of Higher Life Forms » (2004), 20 C.I.P.R. 79.

APPELS et APPELS INCIDENTS à l’encontre de deux décisions (2009 CF 317, [2010] 2 R.C.F. 93; 2009 CF 318) où la Cour fédérale s’est penchée sur la restitution des bénéfices dans le cadre d’une contrefaçon de brevet et a établi le montant des profits que les appelants devaient restituer aux intimées. Appels accueillis en partie; appels incidents rejetés.

ONT COMPARU

Donald R. Good et Kurtis R. Andrews pour les appelants dans les affaires A-314-09 et A-315-09.

Arthur B. Renaud et L. E. Trent Horne pour les intimées dans les affaires A-314-09 et A-315-09.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Donald R. Good & Associates, Ottawa, pour les appelants dans les affaires A-314-09 et A-315-09.

Bennett Jones LLP, Toronto, pour les intimées dans les affaires A-314-09 et A-315-09.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

La juge Trudel, J.C.A. :

Introduction

[1]        Lorsqu’une contrefaçon de brevet est démontrée, la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, prévoit deux types de réparation pécuniaire possibles : les dommages‑intérêts et la restitution des bénéfices ou profits.

[2]        La Cour est saisie de deux appels et appels incidents visant les jugements par lesquels le juge Zinn (le juge) de la Cour fédérale s’est penché sur le deuxième type de réparation et a établi le montant des profits que les appelants (M. Rivett (Rivett) et MM. Lawrence Janssens, Ronald Janssens et Alan Kerkhof (Janssens) (collectivement appelés les appelants)) doivent restituer aux intimées, Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company. Les motifs du jugement (les motifs de Rivett ou les motifs modifiés de Janssens sont publiés sous les intitulés Monsanto Canada Inc. c. Rivett, 2009 CF 317, [2010] 2 R.C.F. 93 (jugement rendu le 26 mars 2009, T‑1515‑05) et Monsanto Canada Inc. c. Janssens, 2009 CF 318 (jugement rendu le 10 juillet 2009, T‑1545‑05).

[3]        Le 22 octobre 2009, le juge Sexton de la Cour d’appel a ordonné que ces appels soient entendus ensemble. Par conséquent, je traiterai des deux dossiers dans les présents motifs. Cependant, comme chacun comporte des faits, et même parfois des questions, qui lui sont propres, je ferai ressortir dans mon analyse les différences qu’il convient de signaler.

Historique

[4]        Monsanto Canada Inc. et Monsanto Company (appelées collectivement Monsanto) sont respectivement titulaire de licence et propriétaire du brevet canadien no 1313830 (le brevet '830) qui porte sur une invention intitulée « Plantes résistant au glyphosate ». Le brevet ne revendique pas la plante entière, mais plutôt les gènes modifiés, qui donnent à la plante ses propriétés de résistance aux herbicides, ainsi que les cellules de la plante qui contiennent ces gènes. Pour les besoins de la présente affaire, tout ce qu’il importe de savoir est que les semences et les plantes résistantes au glyphosate protégées par le brevet '830 sont vendues au Canada sous la marque de commerce ROUNDUP READY (RR). Les récoltes qui résultent des semences RR et des plantes RR résistent par conséquent aux herbicides à base de glyphosate comme le produit de Monsanto vendu sous le nom ROUNDU.

[5]        Les appelants ont tous admis avoir contrefait le brevet '830 et avoir récolté et vendu des fèves de soja en sachant qu’elles contenaient des gènes et des cellules revendiquées dans ledit brevet (fèves de soja RR). À la suite de l’admission des appelants, des jugements sommaires ont été rendus sur consentement. Ils prévoyaient que les questions relatives aux réparations à accorder à Monsanto pour la contrefaçon délibérée devaient être traitées eu égard au choix de Monsanto entre des dommages-intérêts et une restitution des bénéfices. Monsanto a choisi la restitution des bénéfices comme réparation pour la contrefaçon du brevet par les appelants.

[6]        Le point de départ de toute méthode de calcul des bénéfices à restituer consiste à établir les revenus que le contrefacteur a tirés de ses actes de contrefaçon du brevet. Dans tous les cas, il suffit à la partie dont le brevet a été contrefait de démontrer ces revenus. En l’espèce, ceux-ci ont fait l’objet d’admissions formelles. (Voir la déclaration conjointe des faits, dossier d’appel de Rivett, vol. 1, onglet 8, page 158, au paragraphe 21; dossier d’appel de Janssens, onglet 8, aux paragraphes 20, 41, 42 et 43.)

[7]        Puis, le contrefacteur doit faire état des dépenses qu’il a engagées pour tirer ses revenus et restituer les bénéfices (Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (C.A.), à la page 494 (Reading & Bates). Les bénéfices à restituer sont la différence entre les revenus et les frais. Bien sûr, parfois une répartition est requise, puisque le breveté n’a droit qu’à la portion des bénéfices réalisés par le contrefacteur qui a un lien de causalité avec l’invention. (Voir Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.); Celanese International Corp. c. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203 (Pat. Ct.), au paragraphe 37, cité dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902 (Schmeiser), au paragraphe 101.) Le litige entre les parties porte sur la méthode qu’il convient d’utiliser pour satisfaire à l’exigence relative à la cause pour le calcul du montant à restituer. Quelles règles faut-il appliquer pour déterminer « les dépenses devant être déduites du revenu brut tiré [des] ventes » de l’appelant (les motifs de la décision Rivett, au paragraphe 67)?

[8]        Monsanto soutient qu’il existe trois façons de calculer le montant des bénéfices à restituer dans les affaires de contrefaçon de brevet : la méthode du profit différentiel; la méthode du coût de revient complet ou de la totalité des coûts; la méthode du coût variable ou du coût différentiel que Monsanto demande à la Cour d’appliquer.

[9]        Après avoir examiné les conséquences pratiques de chacune des méthodes (les motifs de la décision Rivett, aux paragraphes 28 à 65), le juge est parvenu à la conclusion « que la Cour doit recourir à la méthode du profit différentiel en l’espèce en vue de déterminer les bénéfices à restituer » (au paragraphe 65).

[10]      Le juge a décrit dans les termes suivants l’analyse que cette méthode appelle (Rivett, au paragraphe 29) :

a.  Y a‑t‑il un lien causal entre les profits réalisés et la contrefaçon? En l’absence d’un tel lien, il n’y a pas de profits qu’il y ait lieu de remettre.

b.  S’il y a bel et bien un lien causal, quels profits le contrefacteur a‑t‑il alors réalisés du fait de la contrefaçon? Ce montant, je le qualifierai de « profits bruts tirés de la contrefaçon ».

c. Le contrefacteur aurait‑il pu recourir à une option exempte de contrefaçon?

d.  En l’absence de solution non contrefaisante, les profits bruts tirés de la contrefaçon doivent être remis au titulaire de brevet.

e.  S’il existait une solution non contrefaisante, quels profits le contrefacteur aurait‑il tirés en y recourant? Je qualifierai cette fois ce montant de « profits bruts en l’absence de contrefaçon ».

f. Lorsqu’une solution non contrefaisante était disponible, le montant à verser au titulaire de brevet correspond à la différence entre les profits bruts tirés de la contrefaçon et les profits bruts qui auraient été tirés en l’absence de contrefaçon. Ce montant correspond au profit directement attribuable à la contrefaçon de l’invention et qui en découle.

[11]      L’élément c) de la formule du juge soulève la question de savoir s’il existait une option exempte de contrefaçon à laquelle le contrefacteur aurait pu recourir. Le juge a conclu que « les graines de soja conventionnelles constituent une solution de substitution non contrefaisante aux graines de soja [RR] ». En conséquence, le juge est passé à l’élément e) de sa formule et a utilisé le produit de substitution comme comparateur parce qu’il ne renfermait rien de l’invention de Monsanto (aux paragraphes 63 et 57 des motifs de la décision Rivett).

[12]      Les appelants sont d’accord avec la méthode du profit différentiel retenue par le juge, mais font néanmoins valoir qu’il s’est trompé à plusieurs égards dans ses calculs et en défalquant les dépenses des profits bruts. De plus, ils soutiennent que le juge a commis une erreur en déterminant un écart exagéré entre les profits bruts de la contrefaçon et les profits que les appelants auraient réalisés s’ils avaient recouru à la meilleure solution de substitution non contrefaisante.

[13]      Monsanto conteste la méthode choisie par le juge et, subsidiairement, sa conclusion selon laquelle les fèves de soja conventionnelles constituaient un comparateur approprié, et ce, dans le cas de M. Rivett, qu’il ait été possible ou non pour celui‑ci de se procurer en 2004 de telles semences conventionnelles, comme le juge l’a conclu au paragraphe 63 de ses motifs.

[14]      Tout bien considéré, je conclus que le juge n’a pas commis d’erreur en choisissant et en appliquant la méthode du profit différentiel aux présentes espèces. Je conclus également que les arguments de Monsanto en ce qui a trait aux appels incidents ne justifient pas l’intervention de notre Cour. Je rejetterais en conséquence les appels incidents de Monsanto.

[15]      Réciproquement, j’accueillerais les appels en partie, car j’estime que le juge a commis une erreur en déterminant que le différentiel de profit escompté des fèves de soja RR comparativement aux fèves conventionnelles était de 31 p. 100 au lieu de 18 p. 100. Un tableau élaboré par Monsanto pour démontrer l’accroissement des profits que l’utilisation de son produit permet de réaliser faisait état d’un différentiel de profit de 18 p. 100. Dans l’appel de la décision Rivett, je conclus également que le juge a commis une erreur en négligeant tout un ensemble d’éléments de preuve relatifs aux frais d’entretien général et de réparation du matériel, qui auraient dû donner lieu à une déduction supplémentaire des profits bruts.

[16]      En soutenant que le juge a commis une erreur en ne choisissant pas la méthode du coût différentiel, Monsanto attaque le fondement même des motifs du juge. Par conséquent, je statuerai d’abord sur cet argument, car toutes les autres questions en litige concernent la méthode du profit différentiel. J’examinerai ensuite les appels incidents et, enfin, les appels.

Analyse

A. Norme de contrôle

[17]      En ce qui concerne les appels incidents, Monsanto fait valoir que la norme de contrôle applicable à la détermination et la formulation par le juge du critère juridique à appliquer aux faits est celle de la décision correcte (mémoire de Monsanto dans la décision Rivett, au paragraphe 53).

[18]      Les appelants soutiennent que leurs appels soulèvent des questions de droit ou des questions mixtes de faits et de droit. Quoique de nature législative, les réparations pécuniaires, disent-ils, tirent leur origine de l’equity. En rejetant certaines de leurs dépenses, le juge a commis une erreur de droit parce qu’il a appliqué incorrectement [traduction] « le principe d’equity ».

[19]      Je ne suis d’accord ni avec Monsanto ni avec les appelants. Quoique je convienne que la norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si le juge a appliqué le bon critère, le juge a choisi, en l’espèce, entre un certain nombre de critères juridiquement acceptables. Lorsqu’un juge choisit un critère parmi un ensemble de critères juridiquement acceptables, il convient de faire preuve de retenue à l’égard de son choix ainsi que du résultat de son application du critère.

[20]      La jurisprudence qui dicte la norme de contrôle applicable aux jugements accordant des dommages‑intérêts se fonde dans une grande mesure sur les propos du vicomte Simon dans l’arrêt Nance v. British Columbia Electric Ry. Co. Ld., [1951] A.C. 601 (H.L.), à la page 613 (Nance) :

[traduction] Que l’appréciation des dommages soit effectuée par un juge ou un jury, la cour d’appel n’est pas autorisée à remplacer le montant alloué par une cour d’instance inférieure par un montant calculé par elle, simplement parce qu’elle aurait elle‑même accordé un montant différent si elle avait jugé l’affaire en première instance. Même si le tribunal de première instance était constitué par un juge seul, la cour d’appel ne peut intervenir à bon droit que si elle est convaincue : soit que le juge, en évaluant les dommages, a appliqué un principe juridique erroné (en tenant compte par exemple d’un facteur non pertinent, ou en ne tenant pas compte d’un facteur pertinent), soit, si tel n’est pas le cas, que le montant accordé est si excessivement bas ou excessivement élevé qu’il doit constituer une estimation entièrement erronée des dommages […]

[21]      Cette règle a été appliquée à de nombreuses reprises par la Cour suprême (voir, par exemple, Naylor Group Inc. c. Ellis-Don Construction Ltd., 2001 CSC 58, [2001] 2 R.C.S. 943, au paragraphe 80; Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705, au paragraphe 280; Woelk c. Halvorson, [1980] 2 R.C.S. 430; Industrial Teletype Electronics Corp. et al. c. Ville de Montréal, [1977] 1 R.C.S. 629; Proctor v. Dyck, [1953] 1 R.C.S. 244) et par notre Cour (Northeast Marine Services Ltd. c. Administration de pilotage de l’Atlantique, [1995] 2 C.F. 132, à la page 160; R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129, à la page 173).

[22]      La norme applicable à une « erreur sérieuse dans l’évaluation » est quant à elle comparable à la norme sur l’« erreur manifeste et dominante » formulée par la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen). (Voir Moskaleva v. Laurie, 2009 BCCA 260, [2009] 8 W.W.R. 205, au paragraphe 117; Abbott v. Sharpe, 2007 NSCA 6, 250 N.S.R. (2d) 228, au paragraphe 110; Litwinenko v. Beaver Lumber Co. (2008), 237 O.A.C. 237 (C.S.J. Ont.), au paragraphe 57.)

[23]      Quoique l’arrêt Nance traite expressément des dommages-intérêts, la règle peut aussi s’appliquer à la restitution des bénéfices. Dans la présente affaire, il y aurait eu application d’un mauvais principe si le juge du procès avait utilisé une méthode inacceptable de calcul des profits qui sont imputables à la contrefaçon et qui doivent donc être restitués. Comme cela est analysé ci‑après, la jurisprudence n’indique pas qu’il n’existe qu’une seule méthode acceptée de calcul des profits découlant du préjudice; en fait, il y en a plusieurs. Il est vrai que la méthode du profit différentiel est la méthode privilégiée dans de nombreuses situations, mais ce n’est pas la seule méthode. Le calcul des profits, contrairement au calcul des dommages-intérêts, constitue une réparation en equity (Teledyne Industries Inc. c. Lido Industrial Products Ltd., [1979] A.C.F. no 1010 (1re inst.) (QL) (Teledyne); voir aussi Colburn v. Simms (1843), 12 L.J. Ch. 388). À ce titre, il convient de faire preuve de souplesse lors de la restitution des bénéfices pour rétablir la situation de la partie lésée. Par conséquent, dans la mesure où le juge du procès choisit une méthode acceptable et qu’il la suit, son calcul ne peut pas être infirmé sauf en cas d’« erreur sérieuse dans l’évaluation du dommage ».

B. Les appels incidents de Monsanto

[24]      La Cour est saisie des questions suivantes :

1) Le juge a-t-il commis une erreur en recourant à la méthode du profit différentiel pour le calcul des bénéfices devant être restitués?

2) Les fèves de soja conventionnelles constituaient-elles une solution de substitution non contrefaisante?

3) Les fèves de soja conventionnelles constituaient-elles une option pour M. Rivett en 2004?

1) La méthode du profit différentiel c. la méthode du coût différentiel

[25]      Malgré le fait que, dans l’arrêt Schmeiser, au paragraphe 102, la Cour suprême du Canada a qualifié la méthode du profit différentiel de « méthode privilégiée de calcul des profits », Monsanto soutient que les tribunaux canadiens ont constamment refusé d’appliquer cette méthode.

[26]      Fondamentalement, Monsanto s’appuie sur l’application par les tribunaux de la méthode du coût variable dans laquelle [traduction] « les revenus provenant des ventes sont d’abord déterminés et les seules déductions permises sont les frais variables directement attribuables aux produits contrefaisants et les augmentations des frais fixes directement attribuables aux produits contrefaisants » (mémoire de Monsanto dans la décision Rivett, au paragraphe 103). Elle cite les décisions Teledyne, Reading & Bates, Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc., [2001] 2 C.F. 618 (C.A.) (Wellcome), et Bayer Aktiengesellschaft v. Apotex Inc. (2002), 16 C.P.R. (4th) 417 (C.A. Ont.) (Bayer), quatre décisions antérieures à l’arrêt Schmeiser, et fait valoir que la méthode du coût variable est la méthode privilégiée dans les situations de contrefaçon délibérée et intentionnelle.

[27]      Selon cette méthode, ajoute Monsanto [traduction] « on ne peut considérer comme déductible aucune partie ou fraction d’une dépense qui aurait été engagée si la contrefaçon n’avait pas eu lieu » (mémoire de Monsanto dans la décision Rivett, au paragraphe 103). Par conséquent, le montant des profits à restituer aurait dû être de 129 477,21 $ pour M. Rivett, et non le 40 137,94 $ accordé par le juge. Dans le cas des Janssens, qui porte sur les années 2004 et 2005, ce montant aurait dû être 16 258,08 $ au lieu de 5 040 $ pour Lawrence Janssens, 14 379,04 $ au lieu de 4 457,50 $ pour Ronald Janssens et 16 258,08 $ au lieu de 5 040 $ pour Alan Kerkhof. (Voir les conclusions du mémoire de Monsanto.)

[28]      Comme l’a reconnu le juge, dans l’arrêt Schmeiser, la Cour suprême a approuvé la méthode du profit différentiel pour le calcul des profits à restituer dans cinq courts paragraphes (aux paragraphes 101 à 105) :

Il est bien établi que l’inventeur a seulement droit à la remise de la portion des profits réalisés par le contrefacteur, qui a un lien de causalité avec l’invention : Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, 1997] 2 C.F. 3 (C.A.); Celanese International Corp. c. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203 (Pat. Ct.), par. 37. Cela est conforme à la règle générale qui s’applique en matière de réparation non punitive : « il est essentiel que les pertes compensées soient seulement celles qui, selon une conception normale du lien de causalité, ont été causées par le manquement » (Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534, p. 556, la juge McLachlin (plus tard Juge en chef), cité et approuvé, au nom de la Cour, par le juge Binnie dans l’arrêt Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142, par. 93).

La méthode privilégiée de calcul des profits devant être remis est appelée méthode fondée sur la valeur ou méthode du « profit différentiel », qui consiste à calculer les profits en fonction de la valeur que le brevet a permis aux marchandises du défendeur d’acquérir : N. Siebrasse, « A Remedial Benefit-Based Approach to the Innocent-User Problem in the Patenting of Higher Life Forms » (2004), 20 C.I.P.R. 79. Il faut comparer le profit que l’invention a permis au défendeur de réaliser à celui que lui aurait permis de réaliser la meilleure solution non contrefaisante (Collette c. Lasnier (1886), 13 R.C.S. 563, p. 576, aussi mentionné avec approbation dans l’arrêt Colonial Fastener Co. c. Lightning Fastener Co., [1937] R.C.S. 36).

Le problème est que, en ordonnant la remise des profits, le juge de première instance n’a fait état d’aucun lien de causalité entre l’invention et les profits que, selon lui, les appelants ont tirés de la culture de canola Roundup Ready. D’après les faits constatés, les appelants [on fait référence à M. Schmeiser dans les présents motifs] n’ont réalisé aucun profit dû à l’invention.

Ils ont réalisé exactement les mêmes profits que s’ils avaient planté et récolté du canola ordinaire. Ils ont vendu, comme aliment pour animaux, le canola Roundup Ready cultivé en 1998 et n’ont donc pas obtenu un meilleur prix du fait qu’il s’agissait de canola Roundup Ready. Sur le plan agricole, les appelants n’ont également tiré aucun avantage de la résistance du canola à l’herbicide, vu l’absence de conclusion qu’ils ont pulvérisé de l’herbicide Roundup pour diminuer la présence des mauvaises herbes. Les profits des appelants découlaient uniquement des caractéristiques de leur récolte qui ne sont pas attribuables à l’invention.

Selon la preuve produite en l’espèce, les appelants n’ont tiré aucun profit de l’invention et Monsanto n’a droit à rien en ce qui concerne sa demande de remise. [Souligné dans l’original.]

[29]      Monsanto refuse de reconnaître toute valeur de précédent à l’arrêt Schmeiser et s’écarte de la méthode comparative qui y est préconisée, soutenant que la déclaration de la Cour suprême dans l’arrêt Schmeiser a été faite dans le contexte des faits particuliers de cette affaire. Elle voit des différences importantes entre l’affaire Schmeiser et les présentes espèces et fait ressortir les raisons pour lesquelles l’arrêt Schmeiser et les présentes espèces doivent être considérées comme distinctes et traitées différemment (mémoire de Monsanto dans la décision Rivett, aux paragraphes 104 à 107, 115 et 116) :

[traduction]

1. Schmeiser était une cause type dans laquelle M. Schmeiser, de bonne foi, attaquait également la validité du brevet '830;

2. Il a été conclu que M. Schmeiser était un « contrefacteur non intentionnel qui n’a tiré aucun bénéfice » parce que les semences de canola RR avaient été transportées à son insu sur ses terres;

3. M. Schmeiser n’a jamais tiré parti de l’invention parce qu’il n’a jamais pulvérisé l’herbicide ROUNDUP sur ses récoltes.

[30]      Monsanto fait valoir que [traduction] « la méthode du profit différentiel devrait être restreinte aux situations dans lesquelles l’on conclut que le contrefacteur est [...] un contrefacteur non intentionnel n’ayant tiré aucun bénéfice […] [qui] ne modifie pas ses pratiques agricoles afin de tirer parti de la technologie » (mémoire de Monsanto dans la décision Rivett, au paragraphe 116). Monsanto ajoute que la contrefaçon délibérée des appelants aurait dû mener le juge à écarter la méthode du profit différentiel, une méthode qui, à ses dires, ne constitue pas une dissuasion suffisante à la contrefaçon. (Voir l’arrêt Wellcome, au paragraphe 20, dans lequel il a été conclu que « l’adoption de la méthode comparative comporterait un autre désavantage, celui de ne pas inciter les personnes concernées à prendre des mesures pour éviter la contrefaçon des brevets d’autrui ».)

[31]      Après lecture objective de l’arrêt Schmeiser, je ne vois pas comment la matrice factuelle dans cette affaire est substantiellement différente de celle des présentes espèces. La déclaration de Monsanto sur l’utilisation innocente du brevet par M. Schmeiser n’est pas reflétée dans la preuve acceptée par les cours. Au contraire, il a été conclu que M. Schmeiser (au paragraphe 87) :

[…] [a] toutefois, dans le cadre de [ses] activités commerciales, réellement cultivé du canola contenant l’invention. Monsieur Schmeiser s’est plaint que les premières plantes s’étaient retrouvées sur ses terres sans aucune intervention de sa part. Cependant, il n’a absolument pas expliqué pourquoi il avait pulvérisé du Roundup pour isoler les plantes Roundup Ready trouvées sur sa terre, pourquoi il avait alors récolté ces plantes et en avait sélectionné les graines pour les conserver et les convertir en semences, pourquoi il les avait ensuite semées et pourquoi il a ainsi fini par cultiver 1 030 acres de canola Roundup Ready qui lui auraient par ailleurs coûté 15 000 $.

[32]      Comme l’a dit le juge, « les conclusions de fait tirées quant à M. Schmeiser et au canola [RR] cultivé sur sa ferme soustraient ce dernier de la catégorie des exploitants innocents. Il a ensemencé son terrain en connaissance de cause et il a pris des mesures pour s’assurer que la plus grande part de sa récolte proviendrait de graines [RR] » (motifs de la décision Rivett, au paragraphe 43).

[33]      Sur le fondement de ces faits, la Cour suprême a confirmé la conclusion de notre Cour selon laquelle M. Schmeiser a « “exploité” le gène et la cellule brevetés de Monsanto et, partant, contrevenu à la Loi sur les brevets » (Schmeiser, précité, au paragraphe 97). Par conséquent, la majorité de la Cour a examiné et rejeté l’argument selon lequel M. Schmeiser n’avait pas utilisé l’invention parce qu’il n’avait pas pulvérisé le ROUNDUP sur ses cultures et qu’il n’avait donc pas tiré un avantage commercial de l’utilité particulière de l’invention. L’argument considéré comme « une tentative de réfuter la présomption d’exploitation découlant de la possession » a été rejeté parce qu’il ne tenait pas compte de « l’utilité latente des propriétés des gènes et cellules brevetés. Qu’un agriculteur pulvérise ou non l’herbicide Roundup, la culture de canola possédant les gènes et cellules brevetés engendre une utilité latente. L’agriculteur profite de cet avantage dès le départ : il lui sera possible de recourir à la pulvérisation si jamais elle se révèle nécessaire » (Schmeiser, précité, aux paragraphes 83 et 84). En fin de compte, l’intention de M. Schmeiser, aussi décisive que Monsanto voudrait qu’elle soit, a été considérée comme non pertinente relativement à la conclusion de contrefaçon. Elle n’est entrée en jeu que relativement à la restitution des profits.

[34]      Par conséquent, qu’ils aient intentionnellement ou non récolté des plantes RR, les cours ont conclu, au terme d’un procès ou à la suite d’admissions, que M. Schmeiser et les appelants avaient tous contrefait un brevet fondé sur une biotechnologie. M. Schmeiser et les appelants ont tous satisfait à l’unique condition préalable à la restitution des profits : la contrefaçon du brevet '830.

[35]      Cela dit, j’estime que les faits des présentes affaires correspondent à ceux de l’arrêt Schmeiser. Premièrement, comme le juge l’a dit : « Sur ce fondement seul, il serait possible de rejeter la prétention [de Monsanto] selon laquelle il conviendrait de voir dans l’arrêt Schmeiser la conception par la Cour suprême d’une réparation en vue de soustraire le défendeur aux conséquences de son exploitation innocente de la semence brevetée » (Rivett, précité, au paragraphe 43).

[36]      La Cour suprême est par ailleurs très claire dans l’arrêt Schmeiser : la méthode privilégiée de calcul des profits (en anglais, « the preferred means of calculating an accounting of profits ») est la méthode du profit différentiel (non souligné dans l’original). À mon avis, le fait que le montant des profits dans la décision Schmeiser ait été nul ne porte pas atteinte au principe et ne réduit pas la portée de son application. L’absence de profits découlait simplement de ce qu’il n’avait été « fait état d’aucun lien de causalité entre l’invention et les profits que, selon [le juge], [M. Schmeiser a] tirés de la culture de canola [RR] » (Schmeiser, au paragraphe 103). Comme M. Schmeiser n’a pas pulvérisé le Roundup sur les cultures, il n’existait pas de lien de causalité entre l’invention et les profits. En conséquence, une répartition n’était ni nécessaire, ni possible, puisque la contrefaçon n’avait donné lieu à aucuns profits qui auraient pu être opposés à ceux sans lien de causalité avec la contrefaçon.

[37]      Comme le soulignent les appelants, Monsanto n’a pas inventé les fèves de soja. La méthode du profit différentiel permet de tenir dûment compte de ce fait en accordant à Monsanto [traduction] « la partie des profits de l’appelant qui égale le profit différentiel escompté des fèves de soja [RR] lorsqu’on les compare aux fèves de soja conventionnelles » (mémoire de réponse de Rivett, au paragraphe 22). Il s’agissait également de l’avis du juge, qui écrit au paragraphe 53 de ses motifs :

[L]a méthode du profit différentiel […] a pour effet de repérer et distinguer les profits générés par l’invention brevetée. En y recourant, en bref, on retient les profits qui résultent de l’invention protégée et on élimine ceux qui ont pu être gagnés mais qui n’ont pas de lien de causalité avec l’invention. Les profits réalisés mais non attribuables à l’invention peuvent être conservés par le transgresseur.

[38]      À mon avis, l’arrêt Schmeiser répond complètement au premier point des présents appels incidents de Monsanto. Une analyse approfondie des décisions Teledyne, Reading & Bates, Wellcome et Bayer n’est ni nécessaire ni utile.

[39]      Dans l’arrêt Schmeiser, la Cour suprême a qualifié la méthode du profit différentiel de « privilégiée », et non de « seule » méthode de calcul des profits. Par conséquent, je ne considère pas que l’arrêt Schmeiser ait fermé définitivement la porte à la possibilité qu’un juge de première instance utilise d’autres méthodes d’évaluation plus appropriées à un ensemble de faits différent.

[40]      Il se peut que les juges majoritaires aient voulu que cette méthode de calcul des profits s’applique dans le contexte des inventions fondées sur la biotechnologie, ou que les parties dans l’arrêt Schmeiser aient présenté leurs arguments en termes de répartition, comme certains auteurs l’ont affirmé. (Voir le commentaire rédigé par A. David Morrow et Colin B. Ingram : « Of Transgenic Mice and Roundup Ready Canola : The Decisions of the Supreme Court of Canada in Harvard College v. Canada and Monsanto v. Schmeiser » (2005), 38 U.B.C. L. Rev. 189.)

[41]      Il se peut aussi que les juges de la majorité, qui s’étaient déjà appuyés sur l’article du professeur Siebrasse [Siebrasse, Norman. « A Remedial Benefit-Based Approach to the Innocent-User Problem in the Patenting of Higher Life Forms » (2004), 20 C.I.P.R. 79], cité au paragraphe 102 de l’arrêt Schmeiser, convenaient également avec lui qu’on pourrait soutenir que les issues des arrêts Reading & Bates et Wellcome [traduction] « sont compatibles avec la méthode du profit différentiel » (dossier des sources invoquées de Rivett, vol. 2, onglet 19, à la page 16); ou que l’intention des juges de la majorité ait été [traduction] « de faire prendre une nouvelle direction au droit en matière de restitution des bénéfices » (Ronald E. Dimock, Intellectual Property Disputes : Resolutions & Remedies, vol. 2, feuilles mobiles (Toronto : Carswell, 2004, aux pages 18-29 et suivantes).

[42]      Quoi qu’il en soit, il convient de laisser toutes ces considérations pour une autre occasion. Vu les faits de l’espèce et le dossier, je conclus que la méthode suivie par le juge était correcte. Il a compris la position de Monsanto et a, dans ses motifs, analysé en détail les arguments de celle‑ci. Il ne fait pas de doute que le juge était au courant des autres méthodologies d’évaluation, de la jurisprudence qui en traite ainsi que du débat intellectuel parmi les spécialistes de la propriété intellectuelle quant à leur pertinence et à leur applicabilité. Il n’était pas convaincu que le fait que la Cour suprême ait déclaré privilégier la méthode du profit différentiel devait être interprété de manière aussi étroite que Monsanto le faisait valoir (motifs de la décision Rivett, au paragraphe 44). Se fondant sur la preuve factuelle qui lui était présentée ainsi que sur l’arrêt Schmeiser, le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire et a appliqué la méthode du profit différentiel dans des situations très similaires à celle de l’arrêt Schmeiser. Je ne suis pas convaincue que le juge a commis une erreur en appliquant la méthode du profit différentiel à MM. Rivett, Janssens et Kerkhof. Comme je l’ai dit précédemment, le juge était tenu de choisir une réparation acceptable. Je suis d’avis qu’il a établi la réparation pécuniaire la plus appropriée pour les affaires de contrefaçon dont il était saisi et qu’il n’a donc pas commis d’erreur susceptible de révision relativement à cette question.

2) Les fèves de soja conventionnelles comme solution de substitution non contrefaisante

[43]      Comme le juge l’a dit, « [l]a question va toujours se poser, lorsque sera appliquée la méthode du profit différentiel, de savoir s’il existe une solution de substitution non contrefaisante pouvant servir de comparateur » (motifs de la décision Rivett, au paragraphe 54). Dans les présentes espèces, le juge a statué que « [l]a comparaison est à établir avec les profits qu’on aurait réalisés en exploitant le meilleur produit possible après le produit breveté même, ce dernier devant servir de référence pour le calcul de la valeur ajoutée. Il en résulte une image fidèle des profits tirés de l’invention — le lien de causalité nécessaire » (Rivett, au paragraphe 56).

[44]      Le juge a ensuite conclu que les fèves de soja conventionnelles constituaient le comparateur approprié. Monsanto soutient que les conclusions du juge ne tiennent pas compte de la preuve non contestée portant sur les avantages durables du point de vue de l’agriculture, du mode de vie et de l’environnement que le caractère unique de la technologie brevetée procure aux agriculteurs. Ces mêmes attributs, ajoute-t-elle, font des semences de soja conventionnelles une solution de substitution non contrefaisante inappropriée parce que les semences ordinaires ne procurent aucun de ces avantages à leurs utilisateurs. (Voir les mémoires de Monsanto, au paragraphe 127 dans la décision Rivett, et au paragraphe 144 dans la décision Janssens.)

[45]      L’argument de Monsanto n’est pas convaincant. Dans ses motifs, le juge traite de la déposition de M. McGuire, témoin de Monsanto, qui a mis en évidence la valeur de l’invention du point de vue d’un agriculteur, présentant à l’appui un tableau élaboré par Monsanto et affiché sur le site Web de celle-ci. Le tableau montre comment un agriculteur [traduction] « peut potentiellement tirer des avantages équivalant à 40 $ l’acre en utilisant Roundup Ready plutôt que les fèves de soja “tout-venant” conventionnelles » (pièce P‑1, dossier d’appel de Rivett, vol. 1, onglet 9, aux pages 160 et suivantes).

[46]      Après avoir entendu la preuve, le juge a convenu avec les appelants que les agriculteurs choisissent les fèves de soja RR pour des raisons financières. On peut supposer, comme l’ont soutenu les appelants, que tout avantage agricole prétendument tiré par l’agriculteur se traduit par un bénéfice financier mesurable — tel qu’une augmentation de la production ou des économies quant au coût de production — dont le tribunal a dûment tenu compte pour évaluer le profit différentiel des fèves de soja RR (mémoire correspondant de Rivett, au paragraphe 31).

[47]      Si je comprends bien, Monsanto soutient que le juge a commis une erreur en concluant que les profits attribuables à l’invention provenaient de la production supplémentaire résultant du système RR. Néanmoins, ses actes de procédure et sa preuve établissent précisément cette dernière conclusion (voir le recueil de Monsanto (appel incident), onglet 7B, aux pages 97 et 98; dossier d’appel de Rivett, vol. 1, onglet 5, au paragraphe 12; voir aussi l’exposé conjoint des faits, à la page 156, au paragraphe 7).

[48]      De plus, dans l’arrêt Schmeiser, la Cour suprême a traité, comme nous le savons, du même brevet et d’une situation très semblable et a conclu que le canola ordinaire constituait un comparateur approprié pour le canola RR. Monsanto n’a pas expliqué en quoi cette conclusion était erronée.

[49]      Il ressort clairement du dossier qu’il existait une solution de remplacement non contrefaisante pouvant servir de comparateur : les semences de soja conventionnelles. Monsanto ne m’a pas convaincue que la conclusion du juge était erronée.

3) La disponibilité des fèves de soja traditionnelles pour M. Rivett en 2004

[50]      Cette dernière question ne concerne que M. Rivett. Selon son témoignage, au printemps de 2004, il y avait une pénurie de fèves de soja ordinaires. En contre-interrogatoire, il a déclaré (recueil de Monsanto (appel incident), onglet 8(B), aux pages 216 et 217) :

[traduction] « Nous avons vérifié auprès de notre coopérative locale et on nous a dit qu’il ne leur restait plus de fèves de soja habituelles. Notre coopérative à Alliston et Beeton — il s’agit de notre coopérative la plus proche — est propriétaire de sept ou huit succursales et tout ce qu’elle a à faire est de taper sur l’ordinateur pour savoir ce que chacune des succursales a en stock […] Nous avons d’abord utilisé nos propres fèves de soja « tout-venant » conventionnelles et, quand nous n’en avons plus eues, ces autres fèves RR étaient dans une remorque et nous avons décidé de les utiliser ».

[51]      Le juge a conclu que la disponibilité sur le marché de la solution de remplacement non contrefaisante n’était pas déterminante. Il était d’avis que « [s]i l’on recourait uniquement à un produit de comparaison qui soit véritablement disponible au plan matériel pour être exploité, mais qu’on ne le fasse pas lorsqu’il existe mais qu’il n’est pas ainsi disponible, l’on ferait abstraction du fait que la récolte obtenue a une valeur indépendante de celle de l’invention » (motifs de la décision Rivett, au paragraphe 62).

[52]      Monsanto soutient que ces propos sont clairement erronés et cite les pages 499 et 500 de l’arrêt Reading & Bates à l’appui de la proposition qu’il incombait à M. Rivett de démontrer la disponibilité des fèves de soja conventionnelles. Celui-ci ne l’ayant pas fait, le juge ne pouvait pas conclure qu’il existait une option non contrefaisante à laquelle M. Rivett aurait pu recourir.

[53]      Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec Monsanto. L’arrêt Reading & Bates doit être distingué de la décision Rivett. La restitution dans l’arrêt Reading & Bates concernait les profits tirés par l’appelant de la contrefaçon de la méthode brevetée par les intimées pour l’installation d’un gazoduc. L’avocat du contrefacteur a expressément soutenu que la méthode du profit différentiel devait être utilisée. Notre collègue, le juge Létourneau, a établi une distinction avec les affaires dans lesquelles la méthode du profit différentiel était appliquée en les qualifiant « du genre d’affaire où le brevet ne constitue qu’un élément de la production finale » [note en bas de page omise] tandis que dans l’affaire dont la cour était saisie, il fallait pour exécuter le contrat avoir recours à la méthode même élaborée par les intimées et le brevet visait la totalité de ce que vendait l’appelante (Reading & Bates, précité, à la page 499).

[54]      De plus, quoique la Cour ait estimé que les processus de substitution pour l’installation du gazoduc étaient théoriques et non disponibles, les faits sur lesquels elle s’appuie pour faire ce commentaire montrent qu’elle faisait davantage référence à l’existence du processus adéquat, ou à la valeur pratique de son utilisation pour le travail en question. À la note en bas de page 18, la Cour note :

La preuve a révélé que les intimées avaient déjà tenté sans succès d’employer la méthode A en essayant d’installer un pipeline. La méthode avait échoué et les intimées avaient subi une perte de 1,7 million de dollars. Voir la transcription des procédures, vol. I, aux p. 87 et 88 et 203 et 204. La méthode B n’avait été utilisée qu’une fois au cours de la centaine de travaux dont le témoin de l’appelante avait eu connaissance. Elle a été utilisée pour traverser une rivière, plus de cinq ans après l’installation du gazoduc sous le fleuve Saint-Laurent, dans des conditions très différentes et beaucoup plus favorables. Pourtant, l’entreprise avait subi des pertes de 200 000 $ à cette occasion. Voir la transcription des procédures, vol. II, aux p. 134 à 141. Quant à l’impossibilité de recourir à la méthode C sur une distance supérieure à 5 200 pieds, c’est‑à‑dire la distance à franchir pour traverser le Saint-Laurent, voir la transcription des procédures, vol. I, aux p. 206 et 207. Selon le témoin, la distance était trop grande et le tube d’un trop faible diamètre. La méthode D ne convenait pas dans le cas du projet du Saint-Laurent et aurait pu provoquer une rupture par torsion, ce qui aurait nécessité l’abandon du trou et un nouveau forage. Voir la transcription des procédures, vol. I, aux p. 208 à 210.

[55]      Dans la présente affaire, des fèves de soja conventionnelles existaient à ce moment pertinent et elles étaient adéquates comme semences pour les champs de M. Rivett. Il convient également de noter que, aux pages 499 et 500 de la décision Reading & Bates à laquelle renvoie Monsanto, la Cour ne dit pas qu’il faille montrer que le contrefacteur avait réellement accès au comparateur. Elle exige plutôt la preuve d’une disponibilité dans des conditions similaires.

En supposant que ces méthodes de substitution eussent pu être prises en considération dans la détermination des bénéfices, c’est à l’appelante qu’il incombait de prouver qu’elles étaient disponibles et qu’elles étaient utiles et fonctionnelles dans des conditions similaires à celles du travail qui a été accompli, et d’en établir le coût.

[56]      Il s’agit là d’une proposition très différente de celle que présente Monsanto. La disponibilité, l’utilité et l’exploitabilité des fèves de soja conventionnelles dans des conditions similaires à celles dans lesquelles M. Rivett a utilisé les fèves de soja RR sont établies dans la preuve de Monsanto, qui compare elle-même les deux.

[57]      De plus, comme M. Rivett le fait remarquer, on a démontré à la Cour que 40 p. 100 des fèves de soja cultivées en 2004 étaient des fèves de soja conventionnelles (dossier d’appel de Rivett, vol. 1, onglet 9, à la page 161). Le juge a d’ailleurs conclu, conformément à l’exposé conjoint des faits, que M. Rivett avait cultivé 811 acres de fèves de soja conventionnelles.

[58]      Par conséquent, il existait une preuve écrite et orale abondante sur laquelle le juge pouvait fonder sa conclusion. À mon avis, il n’a pas commis d’erreur.

[59]      Je me pencherai maintenant sur les appels.

C. Les appels

[60]      Quoique les deux dossiers comportent quelques questions similaires, les appels seront examinés séparément, car les conclusions factuelles du juge sont fondées sur la preuve originale présentée par chaque appelant.

1) L’appel de M. Rivett

[61]      M. Rivett a abandonné l’un de ses cinq moyens d’appel. Il reste donc les questions suivantes :

1. Le juge a-t-il commis une erreur en refusant d’inclure certains coûts associés à des activités précises et à la main‑d’œuvre dans les déductions?

2. Le juge a-t-il commis une erreur en ne permettant pas une déduction du loyer relativement à 319 acres de terre?

3. Le juge a-t-il commis une erreur en ne permettant pas des déductions d’autres dépenses ayant trait aux réparations du matériel et à l’entretien général?

4. Le pourcentage des profits différentiels était-il trop élevé?

[62]      Je suis d’avis qu’on doit répondre négativement aux deux premières questions. De façon générale, le juge a pris des décisions relatives à la preuve et a tiré des conclusions de faits afin de calculer les profits à restituer. Sous réserve bien entendu de leur admissibilité, le juge était disposé à accepter les éléments de preuve selon lesquels certaines dépenses liées aux activités agricoles avaient été engagées en partie relativement aux 947 acres de fèves de soja RR. En l’absence de preuve démontrant que certaines dépenses avaient été engagées pour une surface moindre que la superficie totale en acres, 26,9 p. 100 des dépenses déclarées pour l’ensemble des activités agricoles seraient allouées (947/3516 acres).

[63]      Dans chaque cas, la décision quant à l’admissibilité de la déduction était motivée, c’est‑à‑dire qu’elle reposait sur la preuve, ou l’absence de preuve, présentée par M. Rivett pour tenter de s’acquitter de son fardeau (Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2002 CAF 309, [2003] 2 C.F. 165, au paragraphe 85). L’appelant invoque la décision Alliedsignal Inc. c. du Pont Canada Inc., 1998 CanLII 7464 (C.F. 1re inst.) (Alliedsignal) et demande à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve auxquels le juge a accordé peu ou pas de poids, soit parce qu’ils étaient fondés sur le ouï-dire, soit parce qu’ils avaient été jugés non fiables. Il invoque la décision Alliedsignal, au paragraphe 144, à l’appui de la proposition que, bien qu’il puisse être difficile de calculer certains coûts, cela ne supprime pas « l’obligation qui incombe à la Cour d’en arriver à la meilleure estimation et de prendre en considération, en fin de compte, de tels coûts ».

[64]      Avec respect, j’estime que la décision Alliedsignal est de peu d’utilité dans le présent appel. Après un examen attentif des motifs du juge et des transcriptions, je ne suis pas convaincue que le juge a commis une erreur manifeste ou dominante. Le juge ne pouvait pas trouver d’éléments de preuve là où il n’y en avait pas. De plus, le juge ne pouvait pas faire une estimation « au jugé » des coûts découlant directement de la récolte de fèves de soja RR de M. Rivett. Comme le juge l’a dit, « il convient que le défendeur [M. Rivett] déduise ses dépenses prouvées et légitimes du revenu brut tiré de la vente de sa récolte » (motifs de Rivett, au paragraphe 66) (non souligné dans l’original).

a) Coûts associés à des activités précises et à la main-d’œuvre

[65]      L’appelant soutient que le juge a commis une erreur en ne permettant [traduction] « aucune déduction pour les activités de planter, cultiver, arroser, moissonner et transporter par camion des fèves de soja contrefaisantes récoltées », qui sont désignées comme les [traduction] « coûts associés à des activités précises » (mémoire de Rivett, au paragraphe 27). Dans l’exposé conjoint des faits, M. Rivett a fait un certain nombre d’admissions formelles selon lesquelles il n’a pas payé de tiers pour effecteur les activités de contrefaçon.

[66]      Néanmoins, pour obtenir une déduction pour son propre travail, M. Rivett a tenté de présenter une déclaration de revenus non vérifiée comparant son revenu et ses dépenses pour les années se terminant le 31 décembre 2004 et le 31 décembre 2005, qui n’avait pas été auparavant produite au dossier et dont l’auteur n’était pas sur la liste des témoins. Cet élément de preuve a été jugé inadmissible. L’appelant a également présenté un document manuscrit qu’il avait élaboré et qui devait essentiellement indiquer le coût moyen requis pour cultiver des fèves de soja (pièce D‑12, dossier d’appel de Rivett, vol. 2, onglet 26, à la page 499), ainsi qu’un tableau apparemment élaboré par la Fédération de l’agriculture de l’Ontario faisant état des taux moyens pour diverses activités agricoles en Ontario en 2003 (pièce D‑13, dossier d’appel de Rivett, vol. 2, onglet 27, à la page 500).

[67]      Le juge a statué que l’appelant pouvait parler des renseignements contenus dans la pièce D‑12, mais qu’il ne serait accordé aucun poids à tout renseignement contraire soit à la preuve directe des dépenses véritablement engagées, soit à l’un quelconque des faits exposés conjointement par les parties. De plus, il a été indiqué qu’il était probable qu’il serait accordé peu de poids aux éléments de preuve dans la mesure où ils s’appuyaient sur des renseignements obtenus de tiers. En fin de compte, vu sa décision finale sur la question, le juge n’a tenu aucun compte de la pièce D‑12.

[68]      De même, le juge n’a pas permis la déduction du coût du travail effectué par M. Rivett. Celui‑ci a fait valoir que, dans l’arrêt Schmeiser, le juge du procès avait réduit les revenus bruts d’un montant raisonnable pour tenir compte du travail de M. Schmeiser (Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2001 CFPI 256). Cependant, le juge a conclu que les faits en l’espèce sur ce point s’écartaient considérablement de ceux de l’arrêt Schmeiser. Dans cette affaire, la partie contrefaisante n’était pas M. Schmeiser, mais sa société. Les profits à restituer étaient ceux de la société, de laquelle M. Schmeiser aurait reçu un salaire pour son travail, au lieu des dividendes qu’il a effectivement touchés, et pour cette raison les profits ont été défalqués de 16 $ par acre. Ainsi, comme le juge l’a conclu au paragraphe 92 de ses motifs dans la décision Rivett :

Qu’il se verse à lui‑même un salaire ou qu’il empoche la totalité des profits annuels de l’exploitation agricole à la fin de l’exercice, le résultat est le même : tout cet argent, c’est son profit. Permettre dans ces circonstances qu’un montant soit déduit pour tenir compte de son travail, ce serait lui permettre de conserver plutôt que de restituer certains des bénéfices réalisés en raison de la contrefaçon. Cela n’est ni équitable ni juste. [Souligné dans l’original.]

[69]      À la lumière du dossier, il était loisible au juge de refuser les coûts associés à des activités précises et à la main‑d’œuvre. J’estime que ce moyen d’appel était mal fondé.

b) Les coûts de loyer pour 319 acres

[70]      En s’appuyant sur son interprétation de la preuve, Monsanto avait proposé de calculer le loyer de la terre en fonction d’un montant de 49 $ l’acre pour les 947 acres de fèves de soja RR. Le juge a estimé au paragraphe 79 de ses motifs dans la décision Rivett qu’il n’avait été tenu compte pour le loyer que de 628 acres sur le total de 947 acres. Il a permis une déduction de 44 795,62 $. Les dossiers relativement au reste étaient incomplets. Le loyer pour les 319 acres concernées restantes n’avait pas été payé, du moins en partie, par M. Rivett. Il avait fait l’objet d’un échange de biens et de services. Le juge écrit (aux paragraphes 80 et 81) :

[...] selon la prépondérance des probabilités […] tous les terrains consacrés à la récolte contrefaite en 2004 ont été loués moyennant contrepartie. Celle‑ci semble toutefois avoir été, pour large part, le propre travail de M. Rivett. Les avocats de Monsanto ont renvoyé la Cour à divers passages de l’interrogatoire préalable de M. Rivett d’où il ressort clairement que certains frais locatifs avaient été acquittés au propriétaire, du moins en partie, sous forme de biens et services tel du foin ou le travail du sol ou le déneigement.

J’en viens à la conclusion plus loin que M. Rivett ne peut rien déduire de son revenu brut au titre de son travail. Le même raisonnement est ici applicable. La Cour ne peut en outre de façon motivée établir la valeur des biens, tel le foin, que M. Rivett a donnés en échange de l’utilisation des terres qu’il a cultivées.

[71]      De nouveau, M. Rivett soutient que la tâche du juge était d’estimer de son mieux les coûts associés à la location de la terre puisqu’il avait conclu qu’il était clair que l’utilisation de 319 acres n’était pas gratuite. Comme il ne l’a pas fait, il a commis une erreur. Je ne partage pas cet avis.

[72]      Étant donné que les prix des loyers varient beaucoup (voir la transcription de Rivett du 12 janvier 2009, aux pages 118 à 130), l’absence de preuve précise quant à la valeur du marché des acres en question et le fait que, selon M. Rivett, le loyer était « payé » sous forme de biens et de services non quantifiables (transcription de Rivett, précitée, aux pages 157 et suivantes), le juge pouvait conclure comme il l’a fait.

c) Les dépenses non permises autrement, les réparations de matériel et l’entretien général

[73]      M. Rivett fait valoir que l’établissement du pourcentage général de 26,9 p. 100 à l’égard des autres coûts aurait dû s’appliquer aux 11 961,40 $ (le montant total versé selon la pièce D‑7) payés pour l’entretien général et les réparations de matériel dont la preuve fait état (pièce D‑7, dossier d’appel de Rivett, vol. 2, onglet 21, aux pages 383 à 417). Il en résulterait une nouvelle réduction des profits de 3 217,62 $. Monsanto répond que l’appelant n’a pas établi de corrélation entre ces coûts et les revenus tirés des activités de contrefaçon. Je suis d’accord avec M. Rivett.

[74]      La pièce D‑7 consiste en une série de factures de Midnight Excavation (généralement en rapport avec des réparations de matériel agricole) datées de février 2004 à juin 2004, dont chacune est accompagnée d’un chèque au montant correspondant dûment encaissé par son bénéficiaire. Le travail exécuté est décrit comme étant des « réparations générales » sur chacune d’elles, mais l’une mentionne le [traduction] « travail sur un chargeur à direction à glissement » requis pour [traduction] « nettoyer certaines rangées de clôture afin de repousser les arbres pour qu’ils n’étouffent pas les récoltes » (transcription de Rivett du 12 janvier 2009, à la page 169, lignes 15 à 20). Dans ses motifs, le juge n’a pas expressément traité de cet élément de preuve. Selon une interprétation objective et large de ses motifs, je ne pense pas que sa déclaration du paragraphe 69 visait ces coûts de réparations générales :

Il n’y a pas lieu selon moi de prendre en considération des dépenses additionnelles comme celles concernant, par exemple, l’assurance agricole générale, l’amortissement, l’eau et l’électricité, tel qu’il serait fait selon la méthode, dont j’ai traité précédemment, de la totalité des coûts. Ces dépenses sont trop indirectives pour être prises en considération. De toute façon, le défendeur n’a pas fait la preuve de ces dépenses.

[75]      Par ailleurs, cela ne tient pas compte des coûts découlant de l’entretien général et des réparations du matériel. Je suis d’avis que cette omission constitue une erreur. Une déduction de 3 217,62 $ aurait dû être permise pour les motifs suivants.

[76]      Comme cela est mentionné au paragraphe 62 des présents motifs, le juge a établi la règle générale qu’« [à] la condition qu’il y ait des éléments de preuve selon lesquels la dépense a été engagée, en partie, relativement aux 947 acres de soja [RR], une façon motivée d’accorder cette dépense consiste [dans le] pourcentage de la superficie totale de l’exploitation agricole que représente la superficie consacrée au soja [RR], à moins qu’il n’existe une preuve que la dépense n’a pas été engagée à l’égard de cette superficie totale » (motifs de la décision Rivett, au paragraphe 68) (non souligné dans l’original).

[77]      Un bon exemple de la façon dont le juge a appliqué cette règle concerne les frais de carburant, « [l]a déposition de M. Rivett associée à la preuve documentaire [ayant permis] d’établir le montant de ces frais selon la prépondérance des probabilités » (motifs de la décision Rivett, au paragraphe 83). En plus de fournir des comptes pour les frais de diésel pour les tracteurs et les moissonneuses-batteuses (pièce D‑6, dossier d’appel de Rivett, vol. 2, onglet 20, aux pages 328 à 381), M. Rivett a déclaré que [traduction] « les frais en carburant par acre étaient semblables pour les diverses récoltes, à l’exception de la récolte de blé à laquelle correspondent des frais de moissonnage‑battage légèrement plus élevés ou un besoin en carburant un peu différent par acre ». L’augmentation pour le blé étant marginale, le juge a statué que les coûts devaient « se réparti[r] également entre les diverses récoltes» (motifs de la décision Rivett, au paragraphe 85). Cet élément de preuve a permis au juge de conclure que la dépense de carburant était « engagée, en partie, relativement aux 947 acres de soja [RR] » [non souligné dans l’original] (Rivett, au paragraphe 68).

[78]      Lors de son interrogatoire principal, M. Rivett a déclaré que les factures déposées sous la cote D‑7, [traduction] « comme dans le cas du carburant » se rapportaient à la ferme de manière générale. Les réparations concernaient [traduction] « tout sur la ferme [...] Elles ne se rapportaient pas à seulement une chose. Elles se rapportaient de manière générale [...] à des semoirs de grains, des calibrateurs, des tracteurs » (transcription de Rivett du 12 janvier 2009, à la page 165, lignes 13 et suivantes). Une fois que le juge a décidé de répartir les coûts de carburant également sur les diverses récoltes, il semblait tout à fait logique, sur la même base, de permettre également les coûts de l’entretien et des réparations de la machinerie dans laquelle le carburant est consommé. Après avoir examiné attentivement la preuve et les transcriptions disponibles pour l’appel, je conclus que ces coûts ont été engagés en partie pour la culture des récoltes contrefaisantes.

d) Le pourcentage du profit différentiel : 31 p. 100 ou 18 p. 100

[79]      Reste enfin la question de savoir si le pourcentage du profit différentiel appliqué par le juge était trop élevé. Je crois qu’il l’était.

[80]      Le juge a conclu que le différentiel était de 31 p. 100 en se fondant sur un tableau élaboré par Monsanto, qui fait état dans sa publicité d’un profit différentiel de 18 p. 100.
[81]      Si l’on interprète les chiffres du tableau élaboré par Monsanto à la lumière de l’admission de M. Rivett selon laquelle il n’a pas payé pour les semences RR parce qu’il en avait héritées, le juge a estimé le profit différentiel à 31 p. 100.

[82]      Voici les parties pertinentes du tableau :

Semences Roundup Ready mises en vrac

Semences tout-venant conventionnelles

Rendement (boisseau)

39,0

32,9

Prix par boisseau

8,75 $

8,75 $

Recettes totales

341,25 $

287,88 $

Semences

51,32 $

18,46 $

Désherbage

1re application

(application de contact avant semailles)

14,69 $

14,69 $

2e application

9,79 $

37,23 $

Total — Semences et désherbage

75,79 $

70,38 $

Ratio rendement-bénéfice/autre

265,46 $

217,50 $

[83]      Le tableau de Monsanto vise à montrer que l’utilisation de fèves de soja RR peut se traduire par une augmentation de la valeur des activités d’une entreprise agricole. Il fait état d’un gain potentiel de 40 $ l’acre. Même si les semences sont plus chères (51,32 $ plutôt que 18,46 $), la récolte est bien supérieure (39 boisseaux plutôt que 32,9) et les coûts totaux de la lutte contre les mauvaises herbes sont bien inférieurs (24,48 $ plutôt que 51,92 $), de sorte que les profits nets escomptés augmentent de 217,50 $ à 265,46 $ (une différence de 47,96 $ ou de 18 p. 100).

[84]      Le juge a reconnu que le tableau faisait état du profit différentiel que l’on peut espérer tirer de l’utilisation des semences de soja RR plutôt que de celle des fèves de soja conventionnelles, mais, en appliquant les renseignements sur le tableau aux faits de l’affaire de M. Rivett, il a exclu 51,32 $, ce qui représentait le coût des semences RR, car cette dépense n’avait pas été engagée par M. Rivett (il avait hérité des semences RR qu’il a semées). Si l’on ajoute 51,32 $ au montant du ratio rendement-bénéfice dans la colonne « Semences RR mises en vrac », le résultat final de 265,46 $ devient 316,78 $. Sur ce fondement, le juge a calculé que la différence de profit entre les semences RR mises en vrac et les semences tout-venant conventionnelles était de 31 p. 100.

[85]      À mon avis, il était raisonnablement loisible au juge de traiter le tableau de Monsanto comme la meilleure preuve disponible pour estimer le profit attribuable au brevet de Monsanto. Monsanto illustre, dans ce tableau, le profit accru qu’un agriculteur hypothétique pourrait espérer tirer de l’utilisation des semences de soja RR (achetées en vrac) plutôt que des semences de soja conventionnelles. Par conséquent, le tableau constitue un point de référence pour l’élément différentiel dans le calcul du profit différentiel.

[86]      Cependant, le juge aurait dû reconnaître que le tableau ne vise pas à établir les coûts réels de l’agriculture de M. Rivett, pas plus que les coûts réels de l’agriculture de qui que ce soit. Le fait de modifier le tableau pour en enlever le coûts des semences, comme le juge l’a fait, est problématique parce qu’il ne rajuste qu’un seul élément du tableau pour tenir compte de la situation réelle de M. Rivett, mais il ne tient aucunement compte du fait que les autres éléments ne représentent pas non plus sa situation.

[87]      Selon le tableau de Monsanto, le bénéfice que peut tirer un agriculteur hypothétique de l’utilisation de l’invention brevetée est la différence entre 265,46 $ et 217,50 $, soit une différence de 18 p. 100. Je conviens avec M. Rivett que la partie de ses profits qu’il doit restituer à Monsanto devrait suivre la preuve que Monsanto a elle-même présentée et que personne ne conteste, soit 18 p. 100 (mémoire de Rivett, au paragraphe 53).

[88]      Cela dit, j’examinerai maintenant le dossier des Janssens. Bien entendu, lorsque certaines questions auront déjà été traitées dans l’appel de Rivett, j’adopterai mon raisonnement antérieur et je renverrai simplement aux paragraphes pertinents des présents motifs.

2) L’appel des Janssens

[89]      Lawrence et Ronald Janssens sont des frères. Ils sont propriétaires, avec Alan Kerkhof, d’une entreprise agricole et font de l’agriculture ensemble selon un arrangement informel. Comme nous l’avons indiqué précédemment, la contrefaçon, qui a été pleinement admise, a trait à deux ans de culture de fèves de soja RR. Collectivement, ils ont semé 50 acres de semences de soja en 2004 à partir de la récolte de l’année précédente et, à partir des semences conservées de la récole de 2004, 250 acres en 2005.

[90]      Les questions en litige sont les suivantes :

1. Le juge a-t-il commis une erreur en refusant de reconnaître les coûts de la culture pour l’année 2004?

2. Le juge a-t-il commis une erreur en refusant de tenir compte des coûts associés à des activités précises et à la main-d’oeuvre pour les déductions?

3. Le juge a-t-il commis une erreur en ne permettant pas à Ronald Janssens de déduire les coûts associés à la terre?

4. Le juge a-t-il commis une erreur en ne permettant pas la déduction des autres dépenses ayant trait aux coûts de commercialisation et aux intérêts?

5. Le juge a-t-il commis une erreur en attribuant les profits de Aldy Farms Inc. à Alan Kerkhof personnellement?

6. Le pourcentage du profit différentiel était-il trop élevé?

[91]      Je suis d’avis que l’appel des Janssens doit échouer relativement à toutes les questions, sauf la sixième. Le dossier de la preuve étaye amplement les conclusions du juge quant aux questions 1 à 5.

a) Les coûts des cultures pour l’année 2004

[92]      Les Janssens soutiennent que le juge a commis une erreur en leur refusant toute déduction quelle qu’elle soit pour l’année 2004. La meilleure preuve qu’ils ont pu présenter pour 2004 était celle de l’année 2005. S’appuyant sur le même argument présenté par M. Rivett, ils soutiennent que [traduction] « la Cour a l’obligation de procéder à la meilleure estimation » (mémoire de Janssens, au paragraphe 50). J’accepte le paragraphe 33 des motifs modifiés du juge dans la décision Janssens comme une réponse complète à ce moyen d’appel :

L’avocat des défendeurs a fait remarquer qu’il est évident que le soja ne se sème pas, ne se cultive pas et ne se récolte pas de lui-même et que, par conséquent, certaines dépenses doivent avoir été engagées à l’égard de ce processus. Les défendeurs n’ont toutefois présenté aucun élément de preuve à l’égard duquel la Cour, de façon motivée, pourrait conclure que les dépenses de 2004 seraient du même ordre que celles de 2005. La récolte de 2004 a été semée selon un régime de métayage avec un tiers qui n’est pas devant la Cour dans la présente instance. En conséquence, la Cour conclut qu’il n’existe aucun fondement en vertu duquel elle peut créditer aux défendeurs des dépenses à l’encontre des recettes brutes tirées de la récolte de 2004.

b) Coûts associés à des activités précises et à la main-d’œuvre

[93]      Il peut en être dit de même de ce moyen d’appel. Le paragraphe 43 des motifs modifiés de la décision Janssens répond complètement à ce moyen d’appel :

Cette prétention soulève des difficultés. En effet, les dépenses alléguées réunissent une variété d’éléments distincts, comme les coûts relatifs à l’essence et à la main-d’œuvre, qui ne peuvent être démêlés, selon la preuve dont la Cour est saisie. De plus, comme les avocats des demanderesses l’on fait dire à M. Kerhhof lors de son contre-interrogatoire, les travaux à forfait sur lesquels s’appuyaient les défendeurs pour estimer les coûts de vaporisation et de camionnage, par exemple, ne tiennent pas compte du fait que la valeur marchande de ces services est déterminée en fonction de facteurs tels que les taux de salaires, les primes d’assurance et les frais de permis que les défendeurs n’auraient pas engagés. Pour cette raison, les chiffres fournis par les défendeurs ne sont pas fiables et la Cour n’accordera aucune déduction des recettes brutes à l’égard de ces dépenses. De plus, pour les motifs fournis dans Rivett, les défendeurs n’ont droit à aucune déduction pour leur propre travail.

c) Les coûts associés à la terre de Ronald Janssens

[94]      Ce moyen d’appel découle du paragraphe 52 des motifs modifiés de la décision Janssens où le juge a statué que :

Ronald Janssens est tenu de restituer un montant de profit un peu plus élevé que les autres défendeurs à l’égard de la récolte de 2005, malgré le fait que sa récolte ne représentait que la moitié de la leur. Cela est dû au fait qu’il a cultivé la récolte de soja sur une terre qui lui appartenait, plutôt que sur une terre louée. En conséquence, alors que les autres défendeurs se sont vus créditer le loyer foncier, cela n’a pas été le cas pour lui. Aucun autre élément de preuve n’a été présenté concernant des coûts semblables, telles les taxes foncières, que Ronald Janssens aurait pu engager à l’égard de sa terre. J’ai examiné la question de savoir s’il existe un fondement selon [lequel] la Cour devrait prévoir une déduction pour Ronald Janssens, mais j’ai conclu qu’en l’absence de preuve, une déduction accordée par la Cour serait arbitraire et il ne serait pas possible de dire qu’elle a été accordée de façon motivée.

[95]      Pour Ronald Janssens, la terre comporte des coûts réels et directs, notamment des impôts, des assurances, des intérêts hypothécaires, des frais d’entretien et une valeur d’usage, qui seraient autrement engagés pour d’autres cultures. De tels coûts sont difficiles à évaluer, mais ils ont certainement été engagés. Comme le juge a accepté la preuve relative aux coûts de la location de la terre par les autres appelants, Ronald Janssens soutient que l’équité exigeait que le juge se serve du loyer de la terre pour déterminer les coûts déductibles associés à sa propre terre (mémoire de Janssens, au paragraphe 57).

[96]      Franchement, je ne vois pas quelle difficulté pose la démonstration ou l’évaluation des coûts associés à la terre dans le présent contexte. C’est M. Janssens qui ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve, et non le juge qui a failli à sa tâche. De plus, il n’y a pas de raison de supposer que les coûts de la terre de M. Janssens avoisinaient les coûts de location de ses partenaires. En l’absence de preuve, le juge n’a pas commis d’erreur en refusant la déduction.

d) La commercialisation et les coûts des intérêts

[97]      Les Janssens soutiennent aux paragraphes 73 à 77 de leur mémoire des faits et du droit que le juge a commis une erreur en ne permettant pas la déduction des coûts de commercialisation et des intérêts sur les prêts relativement aux coûts des intrants. Selon le témoignage de M. Kerkhof, ces coûts se seraient élevés à [traduction] « environ 1 000 $ en 2004 et 5 000 $ en 2005, pour une moyenne d’environ 20 $ l’acre » (mémoire des faits et du droit des Janssens, au paragraphe 75). Les transcriptions montrent qu’il a été concédé que ces chiffres n’étaient que des estimations de coûts, qui comprenaient diverses dépenses. Contre-interrogé sur cette question, M. Kerkhof a répondu ce qui suit :

[traduction]
Q. Vos intérêts relatifs aux coûts de commercialisation dont vous parlez?

R. Oui.

Q. Vous n’avez aucune documentation pour étayer cela?

R. Non, je n’en ai pas.

Q. Vous avez dit que ces chiffres comprennent la comptabilité, le ménage et le bureau?

R. C’est exact.

Q. Et ces dépenses, vous les engageriez quelle que soit la récolte dans vos champs?

R. C’est exact.

[98]      En ce qui concerne ce témoignage, le juge était certainement fondé à conclure que les chiffres fournis n’étaient « pas fiables » (voir le paragraphe 43 des motifs modifiés du juge dans la décision Janssens reproduits au paragraphe 93 des présents motifs).

e) M. Kerkhof et Aldy Farms Inc.

[99]      Pour éviter de restituer des profits, M. Kerkhof fait valoir que toutes les activités agricoles faites ou gérées par lui l’ont été pour le compte de son entreprise Aldy Farms Inc. En conséquence, c’est Aldy Farms, et non lui-même, qui a réalisé les profits provenant des récoltes contrefaisantes cultivées en 2004 et 2005.

[100]   Le dossier n’étaye pas ce moyen de défense. Premièrement, le mémoire de défense de M. Kerkhof ne mentionne tout simplement pas Aldy Farms. Deuxièmement, M. Kerkhof, qui s’est fait représenter par un avocat tout au long des procédures, admet, à titre personnel, la contrefaçon et convient de restituer les profits. Troisièmement, aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que Aldy Farms était la bénéficiaire des revenus et des services de M. Kerkhof. La seule mention de cette entité a été faite lors de l’interrogatoire principal. Enfin, l’exposé conjoint des faits révèle que M. Kerkhof a semé, récolté et vendu les semences à titre personnel.

[101]   Par conséquent, je conviens avec Monsanto qu’il n’y a pas de raison que le juge prenne en compte la prétendue participation d’Aldy Farms Inc. dans les activités de contrefaçon de M. Kerkhof.

f) Pourcentage du profit différentiel : 31 p. 100 ou 18 p. 100

[102]   Pour les motifs exposés précédemment aux paragraphes 79 et suivants, j’accueillerais ce motif d’appel.

Conclusions

Les appels incidents de Monsanto

[103]   Les appels incidents de Monsanto devraient être rejetés.

Les appels de M. Rivett (A‑314‑09) et de MM. Janssens et Kerkhof (A‑315‑09)

[104]   Je propose d’accueillir en partie les appels.

[105]   Le juge de la Cour fédérale a établi les montants précis que les appelants doivent verser à Monsanto. Ces montants se rapportent a) aux bénéfices ou profits qui doivent être restitués; b) aux intérêts avant jugement calculés conformément au paragraphe 36(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 36] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod., idem, art. 14)]; c) aux intérêts après jugement calculés conformément au paragraphe 37(1) [mod., idem, art. 37] de la même Loi; d) aux dépens, comprenant les intérêts après jugement sur ces dépens.

[106]   Étant donné ma conclusion relativement aux présents appels, ces montants précis devront être recalculés. La Cour espère que, grâce aux indications données dans les présents motifs, les parties en viendront à une entente sur les nouveaux montants qui remplaceront ceux apparaissant aux paragraphes 1 à 4 inclusivement du jugement de la Cour fédérale dans le dossier A-314‑09 et aux paragraphes 2 à 17 inclusivement dans le dossier A-315‑09.

[107]   Si elles parviennent à une entente et souhaitent que des ordonnances soient rendues pour donner effet à ces nouveaux montants, les parties pourront rédiger un projet d’ordonnance donnant effet à la décision de la Cour.

[108]   Si elles ne parviennent pas à une entente, l’une ou l’autre partie peut présenter une requête en jugement supplémentaire conformément à la règle 369 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)].

[109]   Une copie des présents motifs sera déposée au greffe pour chaque appel.

Dépens : appels et appels incidents

[110]   Comme chacune des parties obtient en partie gain de cause, je n’adjugerais pas de dépens relativement aux appels ou aux appels incidents.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

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