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T-275-96

President and Fellows of Harvard College (appelant)

c.

Commissaire aux brevets (intimé)

Répertorié: President and Fellows of Harvard Collegec. Canada (Commissaire aux brevets)(1re   inst.)

Section de première instance, juge Nadon"Ottawa, 17 novembre 1997 et 21 avril 1998.

Brevets L'appelant cherche à faire breveter une souris transgénique porteuse d'un gène introduit artificiellement dans ses chromosomes au stade embryonnaireLe gène qui a été introduit prédispose le mammifère à des tumeurs malignesLes formes de vie supérieures, en l'occurrence un mammifère, sont-elles brevetables?Examen de la jurisprudenceLes critères habituels de la brevetabilité s'appliquent: l'objet visé par le brevet doit être uneinventionet être nouveau, utile et non évidentLa Loi sur les brevets n'exige pas que toutes les caractéristiques soient sous le contrôle direct de l'inventeur, mais un élément de contrôle est quand même exigéHormis le transgène, tous les autres aspects de l'oncosouris existent indépendamment de toute intervention humaineLa création de l'oncosouris est le fruit de l'union de la nature et de l'intervention humainePour être brevetable, une invention doit être reproductibleLa souris n'est pas reproductible au sens de la Loi sur les brevets.

Animaux Le commissaire aux brevets a rejeté une demande visant à faire breveter une souris transgénique portant un gène introduit dans ses chromosomes au stade monocellulaireLes œufs fécondés sont transférés dans une souris femelle et la gestation se fait naturellementL'oncosouris sert à détecter la présence de substances cancérigènes et à tester des produits anticancéreuxL'oncosouris est-elle uneinventionau sens de l'art. 2 de la Loi sur les brevets?Une souris est un être vivant complexeElle ne constitue pas unematière premièreà qui l'inventeur a conféré de nouvelles qualitésLa caractéristique essentielle de la souris est la présence du transgèneLe transgène ne peut être présent sans une intervention humaineLe résultat du processus de gestation est variable et inconnuLa souris n'est pas reproductible au sens où l'entend la Loi sur les brevetsL'emplacement, la présence et la qualité du gène ne peuvent être contrôlésLes formes de vie complexes ne s'insèrent pas dans les paramètres actuels de la Loi sur les brevets.

Appel d'une décision par laquelle le commissaire aux brevets a rejeté la demande présentée par l'appelant en vue de faire breveter des souris transgéniques. La demande concerne un mammifère transgénique porteur d'un gène qui a été introduit artificiellement dans ses chromosomes au stade embryonnaire. Les œufs fécondés ont ensuite été transférés dans une souris femelle et la gestation s'est faite naturellement. Le gène introduit, qui est appelé oncogène ou gène myc, prédispose le mammifère à des tumeurs malignes. Une oncosouris peut être utilisée pour détecter la présence de substances cancérigènes et pour tester des produits anticancéreux. Le commissaire aux brevets a conclu que, comme la production des plasmides et du matériel unicellulaire transgénique était entièrement sous le contrôle de l'inventeur et était reproductible, il s'agissait d'une "fabrication" ou d'une "composition de matières" au sens de l'article 2 de la Loi sur les brevets . Il a toutefois conclu qu'on ne pouvait étendre la portée de ces termes pour inclure un mammifère non humain comme une souris qui, par conséquent, ne répond pas à la définition du terme "invention". La principale question à trancher était celle de savoir si les revendications 1 à 12 de la demande de brevet visaient un objet brevetable au sens de la définition du mot "invention" à l'article 2 de la Loi. Pour en venir à une conclusion au sujet de la principale question en litige, la Cour devait d'abord se prononcer sur quatre questions soulevées par les avocats, à savoir: 1) le degré de contrôle de l'inventeur sur la création de l'invention revendiquée; 2) la distinction entre l'intervention humaine et les lois de la nature; 3) la pertinence du critère de la reproductibilité et 4) l'opportunité de faire des distinctions entre les formes de vie supérieures et les formes de vie inférieures.

Jugement: l'appel doit être rejeté.

Bien que la question de la brevetabilité de certaines formes de vie ait déjà été examinée, c'est la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur la question de savoir si une forme de vie supérieure, en l'occurrence un mammifère, est brevetable. La jurisprudence canadienne permet la délivrance de brevets à l'égard de micro-organismes. En l'espèce, les critères habituels de brevetabilité doivent être appliqués: l'objet visé doit être une "invention" au sens de la définition que l'on trouve à l'article 2 et il doit être nouveau, utile et non évident. Il est évident que l'onco souris est nouvelle, utile et non évidente. La question qui se pose est celle de savoir si elle constitue une "invention" au sens de la Loi sur les brevets .

1) Une souris est un être vivant complexe qui possède de nombreuses caractéristiques sur lesquelles les inventeurs n'ont aucun contrôle. Ceux-ci ont mis au point une méthode permettant d'injecter un gène myc dans des œufs, mais ils n'ont pas inventé la souris. Il n'est pas nécessaire que l'inventeur contrôle directement tous les aspects du processus naturel conduisant à la création du produit final. Le produit final est inconnu et imprévisible. Le tribunal n'est pas l'instance la mieux placée pour fixer des limites en ce qui concerne le pourcentage des caractéristiques qui doivent être contrôlées pour qu'on puisse affirmer que la forme de vie entière constitue une invention. Une souris n'est pas une "matière première" à laquelle l'inventeur aurait conféré de nouvelles qualités. Même si la Loi sur les brevets n'exige pas que toutes les caractéristiques soient sous le contrôle direct de l'inventeur, un élément de contrôle est quand même exigé. Dans le cas de l'oncosouris, hormis le transgène, tous les autres aspects existent indépendamment de toute intervention humaine.

2) Les simples découvertes ne sont pas brevetables; il doit y avoir une activité inventive. La caractéristique essentielle de la souris est la présence du transgène et, bien que les lois de la nature jouent, le transgène ne serait pas présent sans une intervention humaine. L'inventeur pouvait obtenir un brevet pour la création du plasmide et la méthode d'injection du plasmide. Il est toutefois impossible de conclure que l'inventeur peut revendiquer un brevet sur tout descendant porteur du gène. L'oncosouris est le fruit de l'union de la nature et de l'intervention humaine. Ce dont il est question ici, c'est l'insertion du gène myc et l'accouplement, le croisement et le rétrocroisement subséquents d'une souris. Le produit issu du processus de gestation peut varier à l'infini et on ne possède aucun détail sur ce qu'il sera.

3) Pour être brevetable, une invention doit être reproductible. La souris n'est pas véritablement reproductible au sens que la Loi sur les brevets donne à ce terme, car trop est laissé au hasard et à la chance. L'emplacement et même la présence et la qualité du gène échappent à tout contrôle. Bien que le gène puisse être présent chez certaines souris, à un certain endroit, et avec certaines caractéristiques, la souris précise, l'endroit précis et la qualité précise du gène ne sont pas reproductibles. Les variations du gène sont créées et gouvernées par les lois de la nature et elles sont infinies.

4) Pour décider si un objet est brevetable, il y a lieu, pour des raisons de principe, de faire des distinctions entre les formes de vie supérieures et les formes de vie inférieures. Les formes de vie complexes ne s'insèrent pas dans les paramètres actuels de la Loi sur les brevets, à moins d'étirer le sens des mots à l'extrême limite.

lois et règlements

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 2 (mod. par L.C. 1993, ch. 2, art. 2), "invention", 27 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31).

Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4, art. 2, 4, 42.

Patent Act, 35 U.S.C. "101 .

Plant Patent Act, 35 U.S.C. "161.

Plant Variety Protection Act, 7 U.S.C. "2321.

jurisprudence

décisions appliquées:

Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1987] 3 C.F. 8; (1987), 11 C.I.P.R. 165; 14 C.P.R. (3d) 491; 77 N.R. 137 (C.A.); Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623; (1989), 60 D.L.R. (4th) 223; 25 C.I.P.R. 1; 25 C.P.R. (3d) 257; 97 N.R. 185.

décision non suivie:

Diamond, Commissioner of Patents and Trademarks v. Chakrabarty, 447 U.S. 303 (1980).

décisions examinées:

Application of Abitibi Co., Re (1982), 62 C.P.R. (2d) 81 (C.A.B.); Application for Patent of Connaught Laboratories, Re (1982), 82 C.P.R. (2d) 32 (C.A.B.).

décisions citées:

American Cyanamid Co. v. Charles E. Frosst & Co., [1965] 2 R.C.É. 355; (1965), 47 C.P.R. 215; 29 Fox Pat. C. 153; Hornblower v. Boulton (1799), 101 E.R. 1285 (K.B.); Rex v. Wheeler (1819), 106 E.R. 392 (K.B.); Merck & Co. c. Apotex Inc. (1994), 59 C.P.R. (3d) 133; 88 F.T.R. 260 (C.F. 1re inst.).

doctrine

Fox, H. G. The Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. Toronto: Carswell, 1969.

New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles. Oxford: Clarendon Press, 1993, "manufacture".

APPEL d'une décision par laquelle le commissaire aux brevets a refusé la demande présentée par l'appelant en vue de faire breveter une souris transgénique. Appel rejeté.

ont comparu:

A. David Morrow pour l'appelant.

Rick Woyiwada pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Smart & Biggar, Ottawa, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Nadon: La Cour est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le commissaire aux brevets le 4 août 1995. Le litige porte sur la demande de brevet no 484,723 (la demande 723) par laquelle l'appelant, President and Fellows of Harvard College (Harvard), cherche à faire breveter des mammifères transgéniques, en l'occurrence des souris.

La demande 723 a été déposée le 21 juin 1985. Dans cette demande, l'appelant a revendiqué l'antériorité en invoquant une demande de brevet correspondante (la demande 774), qui avait été déposée aux États-Unis le 22 juin 1984. Les inventeurs, Philip Leder et Timothy Stewart, ont cédé la demande à l'appelant. L'examinateur a, dans un premier temps, rejeté 18 des 24 revendications présentées. L'appelant a ensuite demandé la révision de cette décision et modifié sa demande en augmentant le nombre de revendications. En mars 1993, l'examinateur a confirmé le rejet des revendications 1 à 12 de la demande, mais a accepté les revendications 13 à 26. L'examinateur a déclaré que les revendications 1 à 12 portaient sur un objet non visé par la loi. L'appelant a ensuite demandé la tenue d'une audience devant la Commission d'appel des brevets. Une audience a eu lieu en juillet 1994 et la décision visée par le présent appel a été signée par le commissaire aux brevets (le commissaire) le 4 août 1995.

Les revendications 1 à 12 de la demande 723 ont trait à un mammifère transgénique, soit un mammifère qui contient un gène qui a été introduit artificiellement dans ses chromosomes ou dans ceux de son progéniteur au stade embryonnaire (de préférence au stade monocellulaire). Les œufs fécondés sont ensuite transférés dans une souris femelle (souris "porteuse") et la gestation se fait naturellement. Le gène introduit prédispose le mammifère aux tumeurs malignes. Ce gène est appelé oncogène ou gène myc. Des tests sont effectués chez les souris issues de cette technique (souris "fondatrices") pour déterminer si elles portent le gène myc. Parmi les 28 souris fondatrices qui ont été testées, on a trouvé deux mâles qui avaient conservé le gène introduit artificiellement. Ces deux souris mâles ont transmis ces gènes [traduction ] "dans une proportion correspondant aux lois mendéliennes de transmission d'un seul locus". Les descendants de ces deux mâles fondateurs ont été testés. Les gènes n'ont pas été détectés dans tous les organes prévus. Les inventeurs ont été capables d'effectuer des "rétrocroisements" et d'accoupler des sujets consanguins afin d'obtenir des descendants porteurs du nouveau gène myc sur des sites beaucoup plus variés, mais même cette génération présentait des [traduction ] "profils qualitativement différents pour les fragments d'hybridation myc moins importants."

Une oncosouris ou un oncomammifère peut être utilisé pour détecter la présence de substances cancérigènes et pour tester des produits anticancéreux. La méthode suivie pour produire l'oncosouris est décrite au paragraphe 11 du mémoire de l'appelant qui est reproduit ci-dessous:

[traduction] 11. L'exposé de l'invention décrit la méthode suivante de production du mammifère non humain transgénique:

(i) Un vecteur pour le transport de l'oncogène dans les chromosomes du mammifère est construit à l'aide d'un petit fragment d'ADN d'une bactérie appelée plasmide. Le plasmide est coupé et l'oncogène est introduit dans la séquence . . .

(ii) Le plasmide, contenant l'oncogène, est injecté dans un œuf fécondé à un site appelé pronoyau de la cellule sexuelle mâle. Le pronoyau de la cellule sexuelle mâle est le noyau du spermatozoïde et a une existence distincte de l'œuf pendant une courte période de temps après la fécondation . . .

(iii) Après l'injection, les œufs sont implantés dans un mammifère femelle hôte, la mère porteuse. Les œufs se développent durant la période normale de gestation et la mère porteuse met bas . . .

(iv) Après la mise bas, on vérifie chez les petits si le gène (le "transgène") est présent. Les petits qui sont porteurs du transgène sont désignés comme étant des animaux "fondateurs" . . .

(v) Un animal fondateur est accouplé avec un animal ordinaire et l'on vérifie si l'oncogène est présent chez les descendants. Comme l'a décrit le commissaire, "l'analyse de l'ADN du descendant transgénique résultant a révélé que l'oncogène injecté était transmis par la lignée germinale dans une proportion correspondant aux lois mendéliennes de la transmission de locus uniques". Autrement dit, le transgène sera transmis aux descendants suivant les règles normales de l'hérédité . . .

Voici les parties pertinentes (aux pages 6 et 7) de la décision du commissaire:

À mon avis, les termes "fabrication" et "composition de matières" utilisés à l'article 2 s'appliquent à quelque chose qui a été fabriqué sous le contrôle de l'inventeur . . .

Ce que les inventeurs ont fait dans la demande présente est de mettre au point par génie génétique un gène myc contenant des plasmides qui ont par la suite été injectés dans les œufs d'une souris, qui à leur tour ont été injectés dans la souris femelle et menés à terme. Il faut, d'après moi, distinguer deux étapes: 1) la préparation du plasmide obtenu par génie génétique et 2) le développement d'une souris obtenue par génie génétique dans l'utérus de la souris porteuse. Au cours de la première étape, c'est l'intervention humaine qui contrôle la production du plasmide par la sélection des enzymes et des conditions de traitement nécessaires pour obtenir les plasmides. Durant la deuxième étape, ce sont les lois de la nature qui interviennent pour permettre l'obtention du produit final. Selon moi, les considérations qui s'appliquent dans les revendications concernant des formes de vie inférieures dans la décision Abitibi diffèrent de celles touchant les formes de vie supérieures dans la demande présente.

Comme la production des plasmides et du matériel unicellulaire transgénique est entièrement sous le contrôle de l'inventeur et est reproductible, j'admets qu'il s'agit d'une "fabrication" ou d'une "composition de matières" au sens de l'article 2 de la Loi. Je note qu'aucune objection fondée sur l'article 2 n'a été soulevée eu égard à ces revendications dans la demande présente.

Toutefois, je ne peux étendre la portée des termes "fabrication" ou "composition de matières" pour inclure un mammifère non humain. Suivant le sens simple et ordinaire de ces mots"et ici je m'inspire assez fortement de la décision de la Cour fédérale d'appel dans l'affaire Pioneer Hi-Bred"je ne crois pas qu'un mammifère non humain comme une souris entre dans la définition du terme "invention". Les inventeurs n'exercent pas un contrôle complet sur toutes les caractéristiques de la souris résultante vu que l'intervention de l'homme n'assure la reproductibilité que du gène cancérigène.

Bien que la question de la brevetabilité de certaines formes de vie ait déjà été examinée, c'est la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur la question de savoir si une forme de vie supérieure, en l'occurrence un mammifère, est brevetable. Aux États-Unis, des formes de vie complexes ont été jugées brevetables depuis 1987. Au Canada, les procédés impliquant l'utilisation de micro-organismes sont brevetables depuis le prononcé du jugement American Cyanamid Co. v. Charles E. Frosst & Co., [1965] 2 R.C.É. 355, de la Cour de l'Échiquier. Il convient de donner un aperçu de l'état actuel du droit avant d'aborder les points litigieux particuliers que soulève la présente affaire.

La première décision canadienne pertinente est la décision Re Application of Abitibi Co. (1982), 62 C.P.R. (2d) 81, dans laquelle la Commission d'appel des brevets a estimé qu'une culture microbienne, qui pouvait être utilisée pour digérer les résidus liquides de sulfite provenant des usines de pâtes et papiers, était un objet brevetable. Les levures composant la culture en cause étaient d'origine naturelle et bien connues. C'était la combinaison et l'adaptation de la levure aux résidus liquides de sulfite qui étaient nouvelles. Pour conclure que la culture était effectivement brevetable, la Commission d'appel a déclaré, aux pages 89 et 90:

Nous pensons qu'il est important de reconnaître l'incidence véritable qu'aura notre recommandation, si elle est acceptée. Nous croyons également qu'il faudrait établir des lignes de conduite précises tant dans l'intérêt des demandeurs que dans l'intérêt des examinateurs. Cette décision va sans doute s'étendre à tous les micro-organismes, champignons, virus ou protozoaires, à toutes les levures, moisissures, bactéries, actinomycètes, algues unicellulaires, lignées cellulaires et, en fait, à toutes les nouvelles formes de vie qui seront produites en grande quantité, comme dans le cas de la production de composés chimiques, et en si grand nombre que toute quantité mesurable possédera des propriétés et des caractéristiques uniformes. C'est là par exemple le critère courant qu'utilise le bureau des brevets du Japon . . .

Nous ne voyons aucune raison valable d'établir des distinctions entre ces formes de vie pour ce qui est de leur caractère brevetable. Quant à savoir si ce critère peut être appliqué aux formes de vie supérieures comme les plantes (au sens courant) ou les animaux, c'est fort discutable. La Court of Customs and Patent Appeals et la Supreme Court des États-Unis ont sûrement voulu éviter que leur décision n'entraîne un pareil résultat. Ainsi, lors de la décision initiale rendue dans l'affaire Bergy et al., U.S.C. C.P.A., 6 octobre 1977 . . .

. . .

L'avis de la majorité s'exprimait ainsi (p. 18 de l'original):

[traduction] . . . De par leur nature et leurs usages commerciaux divers, les cultures pures de micro-organismes s'apparentent davantage aux composés chimiques inanimés, tels les réactifs et les catalyseurs, qu'aux chevaux et aux abeilles ou qu'aux framboises et aux roses . . . on s'en sert maintenant pour produire une vaste gamme de produits chimiques et pharmaceutiques tels que des alcools, des cétones, des acides gras, des acides aminés, des vitamines . . . et des enzymes . . . Bref, les micro-organismes sont devenus des outils importants dans l'industrie des produits chimiques . . . et lorsqu'un procédé industriel nouveau, utile, concret et non évident est inventé, suivant les critères essentiels à la délivrance d'un brevet . . . , il n'y a aucune raison de priver ce produit, son auteur ou son propriétaire de la protection ou des privilèges qui découlent de l'octroi d'un brevet . . . La Commission craint que notre décision n'entraîne nécessairement ou logiquement la brevetabilité de toute variété nouvelle, utile et non évidente de plantes, d'animaux et d'insectes créée par l'homme, mais nous estimons que cette crainte n'est pas réellement fondée.

Quant à nous, nous ne sommes pas convaincus que cette idée soit à ce point dénuée de fondement ou de logique. Si un inventeur crée une variété d'insecte nouvelle et non évidente qui n'existait pas auparavant (et qui, partant, n'est pas un produit de la nature) et s'il peut recréer ce produit de façon uniforme et à volonté et si ce produit a une fin utile (par exemple, s'il sert à détruire la tordeuse du bourgeon de l'épinette), on pourra le considérer, au même titre qu'un micro-organisme, comme un nouvel outil au service de l'homme. Dans le cas des formes de vie supérieure, il est bien entendu peu probable qu'un inventeur puisse recréer son produit de façon uniforme et à volonté, car les formes de vie plus complexes tendent à varier davantage d'un individu à l'autre. Mais si jamais il était possible d'en arriver à ce résultat, tout en respectant les autres exigences relatives à la brevetabilité, nous ne voyons aucune raison de traiter pareille réalisation différemment.

Ainsi, en 1982, la Commission d'appel des brevets a déclaré que le véritable critère est que l'invention doit être nouvelle, non évidente, uniformément reproductible et utile. La Commission d'appel a défini le critère préalable de la reproductibilité en précisant que toute quantité mesurable de l'objet revendiqué doit posséder des propriétés uniformes. La Commission a précisé que, dès qu'une forme de vie satisfait à ce critère préalable, il n'y a aucune raison d'établir des distinctions arbitraires fondées sur la supériorité ou l'infériorité de la forme de vie. Dans le même ordre d'idées, la Commission d'appel a qualifié la levure de forme de vie qui pouvait être produite "en masse" au même titre que tout autre composé chimique manifestement brevetable. De plus, la Commission d'appel a souligné que l'inventeur devait être capable de reproduire l'organisme "à volonté et de façon uniforme". Il convient de noter que la Commission s'est dite sceptique quant à la brevetabilité de formes de vie complexes en raison des variations généralement constatées d'un individu à l'autre. Cette réserve renforce la condition qui a été réitérée par la Commission et suivant laquelle l'uniformité de l'objet revendiqué est cruciale.

La Commission d'appel des brevets a cité de larges extraits de la décision Abitibi dans la décision Re Application for Patent of Connaught Laboratories (1982), 82 C.P.R. (2d) 32, pour conclure qu'une nouvelle lignée cellulaire bovine était brevetable. Plus précisément, la Commission a déclaré que les revendications portant sur de nouvelles formes de vie étaient admissibles et que l'article 42 [Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4] n'accordait pas à l'examinateur le droit de rejeter de telles revendications.

La décision qui mérite ensuite d'être signalée est l'arrêt Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1987] 3 C.F. 8, de la Cour d'appel fédérale, dans lequel le juge Marceau, J.C.A. a, avec l'appui du juge Lacombe, J.C.A. (le juge Pratte, a rédigé des motifs concourants distincts), déclaré, à la page 13:

La question à trancher est fondamentalement et simplement de savoir si, selon la bonne interprétation des termes utilisés dans cette définition, l'objet de la demande, c'est-à-dire une variété de soya obtenue par croisement, peut être considéré comme une invention au sens où le législateur a compris ce mot.

La Cour a ensuite cité les définitions des termes "fabrication" et "composition de matière" employées par la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Chakrabarty , infra, et a poursuivi en disant [aux pages 13 et 14]:

Je n'ai pas été convaincu. Même si l'on concluait que ces définitions peuvent s'appliquer à un micro-organisme obtenu grâce à un procédé de laboratoire, je ne puis aller plus loin et convenir qu'elles puissent également s'appliquer à une variété de plante produite par croisement. Une telle plante ne peut pas être vraiment considérée, autrement que sur le plan le plus métaphorique, comme ayant été produite à partir de matières premières ou comme étant une combinaison de deux substances ou plus unies par des moyens chimiques ou mécaniques. Il me semble que le sens commun et ordinaire des mots "fabrication" et "composition de matières" serait dénaturé si ceux-ci devaient s'étendre à une variété de soya unique, mais simple.

Ainsi, la Cour d'appel fédérale n'a pas conclu qu'une forme de plante complexe répondait véritablement aux définitions données par le législateur. Les expressions "matières premières" et "combinaison de deux substances ou plus unies par des moyens chimiques ou mécaniques" visaient des outils industriels au sens habituel, mais non les plantes obtenues par croisement. Le tribunal a de toute évidence estimé qu'interpréter ces expressions de manière à englober les plantes obtenues par croisement dénaturerait le sens de ces expressions.

Cet arrêt a été porté en appel devant la Cour suprême du Canada ([1989] 1 R.C.S. 1623), qui a statué que la description de la nouvelle variété de soya était insuffisante pour permettre à une personne versée dans la science du croisement de la reproduire. Ayant rejeté le pourvoi pour cause d'insuffisance de la description, la Cour n'était pas tenue de répondre à la question de savoir si le soya s'étendait aux termes "fabrication" ou "composition de matières" contenus à l'article 2 [S.R.C. 1970, ch. P-4]. Le juge Lamer (maintenant juge en chef) discute, aux pages 1632 et 1633, de deux méthodes de manipulation génétique. La première réside dans le croisement de différentes variétés par hybridation. Cette méthode permet de modifier la fréquence des gènes sur plusieurs générations et d'atteindre éventuellement le germoplasme désiré. Il qualifie la seconde méthode de manipulation génétique de changement moléculaire se traduisant par une modification du matériel génétique lui-même. Cette seconde méthode s'apparente beaucoup plus à celle qui est visée en l'espèce. Pour conclure sur la question de la brevetabilité, le juge Lamer déclare, à la page 1634:

. . . les tribunaux ont considéré les créations qui suivent les lois de la nature comme n'étant en somme que des simples découvertes dont l'homme ne peut que découvrir l'existence sans pour autant prétendre les avoir inventées. Hi-Bred nous demande en fait de renverser une position depuis toujours défendue par la jurisprudence. À cette fin, il nous faudrait, entre autres choses, considérer s'il existe une différence déterminante en regard de la brevetabilité entre la première et la deuxième sorte de manipulation génétique; ou encore s'il y a lieu de faire des distinctions à même la première sorte de manipulation, compte tenu de la nature de l'intervention. Nous aurions alors à statuer sur la brevetabilité de pareille invention pour la première fois. Or, il n'y a pas au dossier des témoignages scientifiques portant sur la distinction que commande l'usage d'une méthode de manipulation plutôt que l'autre ou encore sur la possibilité de faire des distinctions à même l'une ou l'autre méthode.

Compte tenu de la complexité que soulève la question de savoir dans quels cas le produit d'une manipulation génétique peut être breveté, du peu d'intérêt accordé par les parties dans leurs mémoires à cette problématique et puisque je partage l'avis du juge Pratte que Hi-Bred ne remplit pas les exigences du par. 36(1) de la Loi, je choisis de disposer de ce pourvoi uniquement sur ce dernier point.

Malgré le fait qu'il a choisi de ne pas aborder directement la question, le juge Lamer a déclaré que, comme il n'y avait pas de dispositions spéciales portant sur les inventions "biotechnicologiques", particulièrement en ce qui concerne les nouvelles formes de vie, les critères habituels de brevetabilité devaient être appliqués. Ainsi, dans la présente affaire, je dois appliquer les critères habituels de brevetabilité. Les critères pertinents en l'espèce sont les suivants: l'objet visé doit être une "invention" au sens de la définition que l'on trouve à l'article 2; l'objet doit être nouveau, utile et non évident. Il est acquis aux débats que l'oncosouris est nouvelle, utile et non évidente. La question qui se pose est celle de savoir si nous sommes en présence d'une "invention" visée par la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4].

Voilà donc l'état actuel du droit au Canada. L'appelant exhorte en l'espèce la Cour à suivre la jurisprudence américaine sur la question de la brevetabilité des formes de vie. Aux États-Unis, avant le prononcé de la décision Abitibi, la Cour suprême avait rendu l'arrêt Diamond, Commissioner of Patents and Trademarks v. Chakrabarty, 447 U.S. 303 (1980), dans lequel la Cour a, à cinq voix contre quatre, autorisé la délivrance d'un brevet portant sur une bactérie permettant la décomposition du pétrole brut. Les juges majoritaires ont déclaré dans les termes les plus nets que la bonne question à se poser n'est pas celle de savoir si l'objet de la demande de brevet est animé ou inanimé, mais plutôt celle de savoir s'il a été fabriqué par un humain ou s'il est d'origine naturelle. Les juges majoritaires ont passé en revue l'historique législatif de la Patent Act des États-Unis [35 U.S.C. "101] et ont conclu que le fait que deux lois portant expressément sur les plantes avaient été adoptées après l'entrée en vigueur de la Patent Act ne changeait rien à leur opinion suivant laquelle la délivrance de brevets concernant des plantes était déjà visée par la Patent Act. Les juges majoritaires ont conclu que ces lois supplémentaires étaient nécessaires pour résoudre le problème de décrire de façon acceptable par écrit la méthode à suivre pour créer de nouvelles variétés de plantes en conformité avec la loi sur les brevets américaine et pour corriger une décision judiciaire antérieure dans laquelle un tribunal avait posé le principe que les "produits naturels" n'étaient pas brevetables.

Les juges dissidents se sont toutefois dits d'avis que la Plant Patent Act de 1930 [35 U.S.C. "161] et la Plant Variety Protection Act de 1970 [7 U.S.C. " 2321] avaient été adoptées pour accorder, au moyen d'un brevet, une protection qui n'existait pas auparavant. Aux pages 319, 321 et 322, le juge Brennan écrit:

[traduction] . . . faute de directives précises dans la loi, les tribunaux devraient laisser au Congrès le soin de décider s'il y a lieu d'étendre le privilège du brevet à des objets qui, selon ce qui est généralement accepté, ne sont pas brevetables.

. . .

. . . la décision des juges majoritaires ne s'accorde pas avec les incidences inévitables du libellé de la loi. Elle élargit plutôt les dispositions relatives à l'octroi des brevets en rendant brevetables des matières vivantes alors que, dans l'esprit du Congrès, "101 de la Patent Act ne s'applique pas aux organismes vivants. C'est au Congrès, et non à la Cour suprême, qu'il appartient d'élargir ou de restreindre le champ d'application des lois relatives aux brevets. Cela est particulièrement vrai dans les cas où, comme en l'espèce, l'objet de la demande de brevets ne concerne que des questions d'intérêt public.

Je préfère l'opinion minoritaire. On élude la question si l'on dit, à l'instar des juges majoritaires, que les deux lois relatives aux plantes étaient nécessaires pour surmonter l'obstacle créé par la Patent Act et par une décision antérieure dans laquelle un tribunal avait conclu que les formes de vie n'étaient pas brevetables. Si la loi crée effectivement un obstacle, en disposant par exemple que l'objet n'est pas brevetable, le débat est clos. C'est alors au législateur qu'il appartient de décider s'il y a lieu de supprimer cet obstacle. En second lieu, si, d'après le sens courant et habituel des termes employés dans la Patent Act des États-Unis, les formes de vie ou les "produits naturels" ne peuvent être assimilés à des objets brevetables, la décision judiciaire antérieure précitée est bien fondée. Le Congrès était entièrement libre d'adopter de nouvelles dispositions législatives accordant une protection aux produits naturels. Le fait que ce changement de politique nécessitait l'adoption d'une nouvelle loi n'est pas pertinent. La question qui demeure est celle de savoir ce que le législateur avait déjà prévu. S'il veut dire quelque chose de nouveau, il lui est toujours loisible de le faire. Ainsi, en toute déférence pour les tenants de la position contraire, je ne suis pas disposé à adopter le raisonnement suivi par les juges majoritaires dans l'arrêt Chakrabarty , étant donné que je ne le trouve pas convaincant.

Je passe maintenant à l'examen de la Loi canadienne en litige en l'espèce. Voici les extraits pertinents de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 [art. 2 (mod. par L.C. 1993, ch. 2, art. 2), 27 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31)]:

2. Sauf disposition contraire, les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

"invention" Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

. . .

27. (1) Le commissaire accorde un brevet d'invention à l'inventeur ou à son représentant légal si la demande de brevet est déposée conformément à la présente loi et si les autres conditions de celle-ci sont remplies.

(2) L'inventeur ou son représentant légal doit déposer, en la forme réglementaire, une demande accompagnée d'une pétition et du mémoire descriptif de l'invention et payer les taxes réglementaires.

(3) Le mémoire descriptif doit:

a) décrire d'une façon exacte et complète l'invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

b) exposer clairement les diverses phases d'un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d'utilisation d'une machine, d'un objet manufacturé ou d'un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention, ou dans l'art ou la science qui s'en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l'invention;

. . .

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l'objet de l'invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

(5) Il est entendu que, pour l'application des articles 2, 28.1 à 28.3 et 78.3, si une revendication définit, par variantes, l'objet de l'invention, chacune d'elles constitue une revendication distincte.

La question qui se pose est celle de savoir ce que l'on entend par "fabrication" et par "composition de matière". L'avocat de l'appelant a soumis au tribunal de nombreuses définitions différentes de l'expression "fabrication" qui sont reproduites ici:

[traduction] . . . objet confectionné à la main; œuvre de la main de quelqu'un . . . objet ou matière produit manuellement ou mécaniquement, spéc. à grande échelle. [The New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles. Oxford: Clarendon, 1993, à la page 1691.]

. . . objet réalisé par la main de l'homme. [Hornblower v. Boulton (1799), 101 E.R. 1285 (K.B.), à la p. 1288, le juge en chef lord Kenyon.]

Seules les choses concrètes et tangibles que l'homme peut réaliser à partir des matières qu'il transforme par son art et son habileté . . . répondent à la définition de ce terme. [Rex v. Wheeler (1819), 106 E.R. 392 (K.B.), à la p. 395, le juge en chef Abbott.]

. . . production manuelle ou mécanique d'objets de consommation à partir de matières premières auxquelles on donne de nouvelles formes, qualités ou propriétés ou de nouveaux agencements. [Diamond, Commissioner of Patents and Trademarks v. Chakrabarty, 447 U.S. 303 (1980), à la p. 308.]

L'avocat de l'appelant soumet au tribunal les définitions suivantes de l'expression "composition de matières":

L'expression "composition de matières" peut être interprétée de façon large comme s'entendant des composés, compositions et substances chimiques. Dans la décision Electric Fireproofing Co. of Canada v. Electric Fireproofing Co. , le juge Archibald a défini l'expression "composition de matières" en statuant qu'elle visait notamment tous les composés, qu'ils soient le fruit d'une réaction chimique ou d'un mélange mécanique. [H. G. Fox, The Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions , 4e éd. (Toronto: Carswell, 1969), à la p. 18.]

. . . toute composition de deux ou de plusieurs substances et . . . tout objet composé, qu'ils résultent d'une combinaison chimique ou d'un mélange obtenu de façon mécanique ou qu'il s'agisse de gaz, de fluides, de poudres ou de solides. [Diamond, Commissioner of Patents and Trademarks v. Chakrabarty, 447 U.S. 303 (1980), à la p. 308.]

La question que je dois trancher est celle de savoir si les revendications 1 à 12 visent un objet brevetable au sens de la définition du mot "invention" à l'article 2 de la Loi sur les brevets . Les quatre autres "questions" que les avocats ont débattues donnent des indices au sujet de l'interprétation qu'il convient de donner à l'article 2. Par souci de commodité, j'analyserai chacune des questions distinctes qui ont été soulevées pour pouvoir tirer une conclusion sur la question principale.

Y a-t-il lieu d'examiner le degré de contrôle

    de l'inventeur sur la création de

    l'invention revendiquée?

La thèse de l'appelant est que le commissaire a ajouté une nouvelle condition en exigeant que l'inventeur exerce un contrôle sur "toutes les caractéristiques" de l'invention, même celles qui n'ont rien à voir avec l'invention revendiquée. L'appelant soutient que le produit final s'insère dans les paramètres de l'invention s'il est porteur du transgène, indépendamment de toutes les autres caractéristiques du mammifère. Finalement, l'appelant soutient que, comme la présence du gène peut être vérifiée avec certitude, il s'ensuit que l'inventeur exerce un "contrôle complet sur les caractéristiques pertinentes [du mammifère]".

Pour sa part, l'intimé affirme que les revendications précises qui ont été rédigées par l'appelant et qui sont en litige en l'espèce visent l'animal en entier et non seulement l'oncogène et qu'elles englobent donc toutes les propriétés et caractéristiques du mammifère (ainsi qu'il le soutient au paragraphe 20 de son mémoire):

[traduction] . . . des caractéristiques anatomiques distinctes (allant de la capacité habituelle de donner la vie, à des différences de taille, de couleur, etc.), comme l'intelligence, la mobilité, l'instinct de survie, les types de comportement, etc. Une seule caractéristique de cette liste pratiquement interminable est directement imputable à l'intervention de l'appelant:

Qui plus est, la revendication 1 vise tout mammifère porteur de l'oncogène, même une baleine. L'intimé soutient en conséquence que, lorsque l'invention revendiquée elle-même possède une foule d'attributs et de caractéristiques, il faut que le facteur de contrôle qui est inhérent aux définitions précitées s'applique à plusieurs attributs de l'animal pour que la revendication vaille pour l'ensemble.

La vérification de la présence du gène ne constitue pas un indice de contrôle. C'est une simple mise à l'essai faite après-coup dans le but de vérifier quelque chose qui existe déjà. Lorsque l'inventeur atteint cette étape de mise à l'essai, la question du contrôle ne se pose plus.

Au paragraphe 20 de son mémoire, l'appelant écrit:

[traduction] Un produit final mammifère qui est porteur du transgène s'insère dans les paramètres de l'invention indépendamment des autres caractéristiques du mammifère, tels que la couleur de ses yeux ou son poids à la naissance. Il n'est pas nécessaire que les inventeurs soient en mesure de contrôler ces autres caractéristiques pour que le produit final constitue une invention. La demande de brevet décrit une méthode permettant à des chercheurs d'introduire un gène déterminé dans la première cellule de l'animal fondateur.

C'est tout à fait vrai. Toutefois, il convient de remarquer que, ce que la demande décrit, c'est l'insertion du gène dans la première cellule, c'est-à-dire dans l'ovocyte. L'appelant a déjà fait breveter le procédé d'insertion. Une souris est un être vivant complexe qui possède de nombreuses caractéristiques sur lesquelles les inventeurs n'ont aucun contrôle. Les inventeurs ont mis au point une méthode permettant d'injecter un gène myc dans des œufs, mais ils n'ont pas inventé la souris. Il n'est pas nécessaire que l'inventeur contrôle directement tous les aspects du processus naturel conduisant à la création du produit final. Il suffit de penser aux réactions chimiques ou biochimiques qui permettent de créer plusieurs produits finaux brevetés pour se convaincre de la véracité de cette affirmation. Toutefois, le produit final qui découlera de ce processus est entièrement inconnu et ne peut être prédit. Qui plus est, il se peut qu'il existe une limite logique en ce qui concerne le pourcentage des caractéristiques devant être contrôlées pour qu'on puisse affirmer que la forme de vie entière constitue une invention. Toutefois, cette limite ne m'a pas été démontrée en l'espèce et la complexité de la question fait en sorte que le tribunal n'est probablement pas l'instance la mieux placée pour fixer des limites en la matière. Même en retenant l'interprétation la plus large possible, il m'est impossible de conclure qu'une souris est assimilable à une "matière première" à laquelle l'inventeur aurait conféré de nouvelles qualités. Certes, la présence du gène myc est nouvelle, mais la souris n'est pas nouvelle, et elle n'est pas une "matière première" au sens habituel de cette expression.

En résumé, le critère applicable n'exige pas que toutes les caractéristiques soient sous le contrôle direct de l'inventeur. La Loi sur les brevets ne prévoit manifestement pas une telle condition. Toutefois, chacune des définitions que les avocats des deux parties ont citées en l'espèce renferme un élément de contrôle. Comme il s'agit d'un mammifère, qui constitue une forme de vie fort complexe, il est plus difficile de faire des analogies avec des réactions chimiques, comme dans l'affaire Abitibi. La constitution génétique inhérente de la souris elle-même comporte une foule de caractéristiques. Si j'ai bien compris, ces autres caractéristiques sont, aux dires de l'appelant, dénuées de toute pertinence. Pour lui, seule la présence du transgène importe. Il est toutefois impossible de dissocier le transgène du reste de la souris, une fois que le transgène est introduit en elle, et tous les autres aspects de la souris existent de façon entièrement indépendante de toute intervention humaine.

Y a-t-il lieu d'établir une distinction entre

    l'intervention humaine et les lois de la nature?

En toute déférence pour les tenants de l'opinion contraire, il s'agit là d'une question tout à fait valable lorsqu'on examine la portée et la validité d'un brevet. De fait, le juge Lamer a discuté de cette distinction précise dans l'extrait précité de l'arrêt Hi-Bred. Les simples découvertes ne sont pas brevetables. Il doit y avoir une activité inventive. La question qu'il reste à résoudre est celle de la portée du brevet. Pour déterminer la portée du brevet, on doit se demander quelles activités sont suffisamment le fruit d'une intervention humaine pour que le nouveau produit puisse être considéré comme un objet brevetable.

La complexité de la forme de vie en litige fait qu'il est plus difficile de maintenir la distinction entre l'intervention humaine et les lois de la nature. Le principal problème est que le gène myc, qui est introduit par suite d'une intervention humaine, est implanté dans un mammifère. Suffit-il que l'inventeur ait introduit un nouveau plasmide dans ce mammifère ou dans l'un de ses géniteurs lorsque l'appelant cherche à faire breveter le mammifère en entier? Au paragraphe 23 de son mémoire, l'appelant écrit:

[traduction] La caractéristique essentielle de l'invention, la présence du transgène dans le produit final mammifère, est obtenue au moyen d'une intervention humaine, en l'occurrence l'introduction artificielle d'un transgène dans un œuf fécondé.

Je suis d'accord avec l'appelant pour dire que, pour lui, la caractéristique essentielle de la souris est la présence du transgène. C'est ce qui rend la souris utile pour la détection de substances cancérigènes, etc. Je conviens également avec lui que, bien que les lois de la nature jouent, le transgène ne serait pas présent sans une intervention humaine. Cela permet manifestement à l'inventeur d'obtenir un brevet pour la création du plasmide et pour la méthode d'injection du plasmide. Il m'est toutefois impossible de surmonter l'obstacle final et de conclure que l'appelant peut ipso facto revendiquer un brevet sur tout descendant d'une souris porteur du gène. L'oncosouris est le fruit de l'union de la nature et de l'intervention humaine. Voilà où se situe le cœur du débat. En effet, la question en litige est celle de savoir quels sont les aspects qui peuvent être attribués à l'intervention humaine et quels sont ceux pour lesquels on est forcé de laisser la nature suivre son cours.

Au paragraphe 24 de son mémoire, l'appelant écrit:

[traduction] Il est arbitraire d'établir une distinction entre les répercussions immédiates de l'intervention humaine dans la production des plasmides et de l'œuf transgénique fécondé et les répercussions subséquentes sur la production d'un mammifère transgénique à partir d'un tel œuf introduit par l'homme dans l'utérus d'un mammifère femelle. Les deux phases sont également régies par les lois de la nature et également causées par l'intervention humaine. Par analogie, il serait également arbitraire de dire, par exemple, que le produit d'un procédé dans lequel un catalyseur est utilisé n'est pas brevetable parce qu'une fois que l'homme a introduit le catalyseur, les lois de la nature prennent la relève et complètent la réaction, ou que le produit d'un procédé de fermentation utilisant de nouvelles cellules de levure n'est pas brevetable parce que, une fois que les cellules de levure ont été placées dans la cuve, les lois de la nature prennent la relève et provoquent les réactions nécessaires à la production du vin ou de la bière. Dans les cas où l'homme a, par son intervention délibérée, enclenché un processus physique ou chimique, il est arbitraire de dire que le résultat de ce processus n'est pas brevetable du simple fait qu'aucune autre intervention n'est nécessaire pour compléter le processus. [Mots soulignés dans l'original.]

Ces observations sont justes mais cette distinction n'a pas été faite en l'espèce. L'appelant a obtenu un brevet pour le plasmide et l'injection dans l'ovocyte, mais pas pour tous les effets subséquents de ce processus. Aucune distinction n'a été faite entre les effets à moyen terme et les effets immédiats. Cette question n'est donc pas pertinente.

Ce ne sont pas tous les souriceaux de la souris fondatrice qui portent le gène. Même au stade initial, le transgène n'est pas incorporé dans tous les œufs. L'alinéa 11v) du mémoire de l'appelant, reproduit ci-dessus, décrit comment un mammifère fondateur est accouplé avec un mammifère ordinaire et comment on vérifie la présence de l'oncogène dans les descendants. Les résultats positifs du test sont conformes aux lois "mendéliennes". C'est le taux naturel de transmission. L'appelant revendique tous les descendants de l'animal fondateur qui sont porteurs de l'oncogène, peu importe la façon dont ils ont acquis le gène, que ce soit par accouplement au hasard, par accouplement avec une souris ordinaire ou par accouplement entre deux souris fondatrices. D'après moi, ce processus d'accouplement d'une souris porteuse d'un trait désiré avec une souris ordinaire est tout à fait analogue au processus décrit dans la décision Hi-Bred . Je reprends les mots de la Cour d'appel fédérale dans cette affaire [à la page 13] pour conclure qu'une telle souris, "ne peut pas être vraiment considéré[e], autrement que sur le plan le plus métaphorique, comme ayant été produite à partir de matières premières ou comme étant une combinaison de deux substances ou plus unies par des moyens chimiques ou mécaniques". Il est vrai que, lorsque le gène apparaît, il résulte d'une intervention humaine antérieure. On ne retrouve pas d'oncosouris dans la nature.

Je me rends à l'argument de l'appelant en ce qui concerne les processus chimiques. Dans un processus chimique, l'équation A + B = C est toujours vraie. En revanche, dans la création de mammifères, A + B = C, D, E, F. . . N. La réaction chimique et ses produits sont connus (une fois découverts) et constants, alors que les caractéristiques du mammifère résultant restent grandement obscures et changent chaque fois. Ainsi, ce dont il est question ici, soit l'insertion du gène myc et l'accouplement, le croisement et le rétrocroisement subséquents, s'apparente davantage au processus en cause dans l'affaire Hi-Bred qu'à celui décrit dans la décision Abitibi. Le produit issu du processus de gestation peut varier à l'infini et on ne possède aucun détail sur ce qu'il sera.

Quelle est la pertinence du

     critère de la reproductibilité en l'espèce?

Dans sa décision, le commissaire a déclaré dans les termes les plus nets que la présence de l'oncogène était reproductible. Le problème qui se pose est que tous les autres aspects de la souris sont soustraits intentionnellement à tout contrôle. Or, il est incontestable que, pour être brevetable, une invention doit être reproductible (voir l'alinéa 27(3)b) de la Loi sur les brevets). Ce qui nous ramène donc à la même question, celle de la portée de l'invention de l'appelant. Suffit-il, pour obtenir un brevet portant sur la souris en entier qui s'avère posséder ce gène particulier, d'affirmer que l'oncogène est transmis dans une proportion correspondant aux lois "mendéliennes"? Comme il ne revendique pas seulement le transgène, mais le mammifère en entier, et qu'il n'a pas revendiqué le moindre contrôle sur quelque autre aspect du mammifère que la présence du transgène, l'appelant ne peut prétendre qu'il est capable de reproduire le mammifère à volonté par d'autres méthodes que la reproduction ordinaire. C'est selon moi insuffisant.

À mon avis, la souris n'est pas véritablement reproductible au sens que la Loi sur les brevets donne à ce terme, car trop est laissé au hasard et à la chance comme c'était le cas dans l'affaire Pioneer Hi-Bred. Si une personne versée dans l'art ou la science désirait produire une oncosouris dont un organe déterminé serait porteur du gène en question, elle ne pourrait réussir que par chance. L'emplacement et même la présence et la qualité du gène échappent à tout contrôle. Ainsi, bien que le gène puisse être présent chez certaines souris, à un certain endroit, et avec certaines caractéristiques, la souris précise, l'endroit précis et la qualité précise du gène ne sont pas reproductibles. Les variations du gène sont créées et gouvernées entièrement par les lois de la nature et elles sont infinies. (Voir, de façon générale, le jugement Merck & Co. c. Apotex Inc. (1994), 59 C.P.R. (3d) 133 (C.F. 1re inst.), à la page 178.)

Pour décider si un objet est brevetable, y a-t-il lieu

    de faire des distinctions entre les formes de vie

    supérieures et les formes de vie inférieures?

Dans la décision Abitibi, la Commission d'appel a estimé qu'il n'y avait pas de base légale permettant d'établir une distinction entre les formes de vie supérieures et les formes de vie inférieures à condition que l'invention soit "reproductible en masse". Même si je devais souscrire à cet avis, l'oncosouris ne satisfait pas à ce critère. Ainsi, dans l'arrêt Hi-Bred , le juge Marceau, J.C.A. déclare, aux pages 13 et 14:

Il me semble que le sens commun et ordinaire des mots "fabrication" et "composition de matières" serait dénaturé si ceux-ci devaient s'étendre à une variété de soya unique, mais simple.

Si le croisement du soya ne répond pas à la définition de ces termes, il est certain que le croisement des souris n'y répond pas non plus. En dernière analyse, une fois que le plasmide original a été injecté dans l'œuf fécondé, l'inventeur effectue uniquement du croisement.

Finalement, dans l'arrêt Hi-Bred, la Cour suprême a, sous la plume du juge Lamer, refusé d'aborder la question en déclarant qu'elle relevait davantage du législateur. Pour cette raison, bien que je n'aie pas à trancher la question, il me semble qu'il y a lieu de faire une telle distinction pour des raisons de principe.

Puisque j'ai conclu que la décision Abitibi ne s'applique pas au procédé en cause, il n'y a pas de jurisprudence canadienne qui appuie la thèse de l'appelant. Qui plus est, ainsi que je l'ai déjà précisé, non seulement je ne suis pas persuadé par la décision de la majorité dans l'affaire Chakrabarty, mais j'abonde tout à fait dans le sens de la minorité. En ce qui concerne la question des répercussions sociales nuisibles soulevée par l'avocat du commissaire au sujet de la politique permettant de breveter des formes de vie, les juges majoritaires ont déclaré, dans l'arrêt Chakrabarty, à la page 317:

[traduction] Ce qui est encore plus important, c'est que nous n'avons pas compétence pour statuer sur ces moyens en les jugeant bien fondés ou en les écartant du revers de la main en tant que fantaisies qui sont le fruit de la peur de l'inconnu. Le choix qu'on nous exhorte à faire est une question de principe fondamental qu'il appartient au législateur de résoudre après avoir procédé aux enquêtes, études et examens que seuls les corps législatifs, et non les tribunaux, peuvent entreprendre. Ce processus implique la mise en balance de valeurs et d'intérêts opposés, ce qui, dans notre régime démocratique, est le rôle des représentants élus. Indépendamment de leur bien-fondé, les arguments qui sont invoqués devant nous devraient être formulés devant les organes politiques du gouvernement, le Congrès et l'Exécutif, et non devant les tribunaux.

Les formes de vie complexes ne s'insèrent pas dans les paramètres actuels de la Loi sur les brevets, à moins d'étirer le sens des mots à l'extrême limite, ce que je ne suis pas prêt à faire. Toutefois, si le législateur fédéral le désire, il peut évidemment modifier la loi de manière à ce que les mammifères puissent être brevetés.

En conséquence, même si cette réflexion n'a pas d'incidence sur la présente décision, même si l'on jugeait qu'une souris relève du domaine des objets brevetables, cette conclusion ne conférerait aucune protection supplémentaire à l'inventeur dans le cas qui nous occupe. En effet, l'inventeur a déjà obtenu un brevet pour la création du plasmide et son injection dans l'ovocyte de la souris. L'appelant peut empêcher toute personne d'exercer quelque activité qui contreferait ce qui a déjà été breveté. Même en élargissant la portée de la définition du terme invention, on n'améliorerait pas la protection déjà accordée à l'appelant.

Pour ces motifs, le présent appel sera rejeté. En ce qui concerne les dépens, je suis prêt à entendre les parties sur la question si elles me soumettent une demande à cet effet.

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