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[1994] 1 C.F. 710

A-33-93

Michel J. Murphy (appelant) (requérant)

c.

L’arbitre Martin Teplitsky, c.r. et Purolator Courier Ltd. (intimés) (intimés)

Répertorié : Murphy c. Canada (arbitre désigné en vertu du Code du travail) (C.A.)

Cour d’appel, juges MacGuigan, Linden et McDonald, J.C.A.—Toronto, 1er novembre; Ottawa, 26 novembre 1993.

Relations du travail — L’arbitre a ordonné la réintégration d’un employé dans son emploi à condition que, pendant trois ans, l’employé subisse, après une absence de trois jours, un examen médical sur demande à cet effet et que l’employeur puisse demander une ordonnance de congédiement de l’employé si l’employeur estimait que l’employé n’était pas physiquement en mesure de faire le travail — L’arbitre a estimé qu’il serait injuste d’exiger de l’employeur qu’il paye une indemnité — Le juge de première instance a annulé la partie de la décision dans laquelle des conditions étaient imposées — Le juge de première instance a commis une erreur en présumant que les conditions étaient imposées à l’employé — Les conditions s’appliquaient à l’employeur — L’art. 242(4)c) du Code canadien du travail ne limite pas les pouvoirs conférés à l’arbitre en ne lui permettant de rendre que des ordonnances similaires à celles qui sont prévues aux art. 242(4)a) et b) — L’arbitre n’est dessaisi que lorsqu’il a tranché définitivement la plainte qui lui a été soumise — Le principe que sous-tend l’art. 242(4) est un principe réparateur qui permet à l’arbitre d’adapter la réparation aux circonstances de chaque cas — Le fait que l’arbitre se soit fondé sur l’équité ne justifie pas le contrôle de sa décision mais constitue la justification finale de sa décision.

Interprétation des lois — L’art. 242(4)c) du Code canadien du travail permet à l’arbitre d’enjoindre à l’employeur « de prendre toute autre mesure » pour remédier aux effets d’un congédiement injuste — Les alinéas a) et b) permettent de prononcer une ordonnance de paiement d’une indemnité et une ordonnance de réintégration — En tant que disposition réparatrice, l’art. 242(4)c) doit recevoir une interprétation large — La présence du mot « like » dans la version anglaise ne limite pas les pouvoirs conférés à l’arbitre en ne lui permettant de rendre que des ordonnances similaires à celles qui sont prévues aux art. 242(4)a) et b).

Il s’agit d’un appel du jugement par lequel le juge de première instance a confirmé la décision de l’arbitre d’ordonner la réintégration sans indemnisation, mais a annulé la partie de la décision dans laquelle des conditions étaient imposées. L’appelant a été renvoyé de son emploi de messager parce que la Commission d’indemnisation des accidents du travail avait précisé qu’il n’était « pas en mesure de reprendre son travail de messager » et que l’intimée n’avait pas d’autre travail à lui offrir. L’alinéa 242(4)a ) du Code canadien du travail permet à l’arbitre d’enjoindre à un employeur de payer une indemnité à un employé qui a été congédié injustement; 242(4)b) permet d’ordonner la réintégration de l’employé dans son emploi et 242(4)c) permet à l’arbitre d’enjoindre à l’employeur de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à remédier aux effets du congédiement injuste. L’arbitre a enjoint à l’employeur de réintégrer l’employé dans son emploi, mais a imposé les conditions suivantes pour une période de trois ans : après une absence de plus de trois jours, l’appelant devait subir un examen médical à la demande de l’employeur. Si l’employeur estimait que le dos de l’appelant ne pouvait supporter les efforts que requérait son travail, l’employeur pouvait demander une ordonnance de congédiement de l’appelant. L’arbitre a statué qu’eu égard aux circonstances de l’affaire, il serait injuste d’exiger de l’employeur qu’il paye une indemnité. Saisi d’une demande de contrôle judiciaire, le juge de première instance a statué que l’arbitre n’avait pas compétence pour imposer des conditions pendant trois ans et pour demeurer saisi de l’affaire durant cette période. Il a statué que l’alinéa 242(4)c) ne fait référence qu’à ce que l’arbitre peut exiger de l’employeur et que l’arbitre est « dessaisi » après avoir réglé les questions de réintégration et d’indemnité. Sur la question de l’indemnité, l’appelant a fait valoir que la considération d’équité était hors de propos. L’intimée a formé un appel incident dans lequel elle a affirmé que le juge de première instance avait commis une erreur en statuant que l’arbitre n’avait pas compétence pour réintégrer l’appelant dans son emploi à certaines conditions. Le point litigieux porte sur le moment où l’arbitre est dessaisi, perdant ainsi tout pouvoir de réparation.

Arrêt : l’appel doit être rejeté, l’appel incident devrait être accueilli, le jugement de première instance devrait être annulé dans la mesure où il annule une partie de la décision de l’arbitre, et la décision de l’arbitre devrait être rétablie.

Le juge de première instance a eu raison de dire que l’alinéa 242(4)c) ne fait référence qu’à ce que l’arbitre peut exiger de l’employeur. Il semble toutefois qu’il a considéré comme allant de soi que les conditions étaient imposées à l’employé et non à l’employeur. Bien que l’arbitre n’ait pas déclaré expressément à qui les conditions étaient imposées, il ressort de la disposition permettant à l’employeur de demander le congédiement de l’appelant que les conditions s’appliquaient à l’employeur. L’employeur était tenu de reprendre l’appelant de façon conditionnelle, mais si l’appelant ne réussissait pas à se montrer à la hauteur de la tâche, l’ordonnance elle-même—et non les conditions—pouvait être abrogée.

L’alinéa 242(4)c) fait partie d’une disposition réparatrice et doit être interprété largement. La présence du mot « like » dans la version anglaise de l’alinéa 242(4)c) n’a pas pour effet de limiter les pouvoirs conférés à l’arbitre en ne lui permettant de rendre que des ordonnances similaires à celles qui sont expressément mentionnées aux alinéas 242(4)a) et b).

Le critère permettant de savoir quand l’arbitre est dessaisi de l’affaire ne porte pas sur la façon dont l’ordonnance est libellée, mais sur la question de savoir si l’arbitre a tranché de façon définitive la plainte dont il est saisi. Le principe que sous-tend le paragraphe 242(4) est un principe réparateur qui permet à l’arbitre d’adapter la réparation aux circonstances particulières de chaque cas. Le fait que l’arbitre se soit fondé sur l’équité ne justifie pas le contrôle de sa décision mais, à titre réparateur, cette considération d’équité constitue la justification finale de la décision de l’arbitre en ce qui concerne cette disposition législative.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 242 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16), 243.

Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, art. 61.5(9).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), c. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

JURISPRUDENCE

DECISIONS APPLIQUEES :

Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 93 N.R. 183; Heustis c. Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768; (1979), 25 R.N.-B. (2d) 613; 51 A.P.R. 613; 79 CLLC 14,200; NBLLC 24273; 27 N.R. 103; Huneault c. Société canadienne d’hypothèques et de logement (1981), 41 N.R. 214 (C.A.F.); Blanchard c. Control Data Canada Ltée et autre, [1984] 2 R.C.S. 476; (1984), 14 D.L.R. (4th) 289; 14 Admin. L.R. 133; 84 CLLC 14,070; 55 N.R. 194.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412; (1984), 14 D.L.R. (4th) 457; 55 N.R. 321; 14 Admin. L.R. 72; 84 C.L.L.C. 14,069; Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et autres, [1975] 1 R.C.S. 382; (1973), 41 D.L.R. (3d) 6; [1974] 1 W.W.R. 653.

DOCTRINE

Grossman, Norman. Federal Employment Law in Canada, Toronto : Carswell, 1990.

Levitt, Howard A. The Law of Dismissal in Canada, 2nd ed., Aurora, Ont. : Canada Law Books Inc., 1992.

APPEL et appel incident du jugement de première instance ((1992), 59 F.T.R. 1) qui confirmait la décision de l’arbitre ordonnant la réintégration de l’appelant sans indemnité, mais infirmait la partie de l’ordonnance qui imposait des conditions. L’appel concernant l’indemnité est rejeté; l’appel incident concernant le pouvoir d’imposer des conditions est accueilli.

AVOCATS :

Timothy J. Law pour l’appelant (requérant).

Carl W. Peterson pour les intimés (intimés).

PROCUREURS :

David S. Wilson, Toronto, pour l’appelant (requérant).

Winkler, Filion & Wakely, Toronto, pour les intimés (intimés).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge MacGuigan, J.C.A. : La principale question en litige dans le présent appel est l’étendue du pouvoir de réparation dont les arbitres sont investis en vertu des pouvoirs que leur confère l’alinéa 242(4)c) du Code canadien du travail (le Code), L.R.C. (1985), ch. L-2, modifié. Voici le texte intégral de l’article 242 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16] :

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations du travail par les alinéas 16a), b) et c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

La disposition suivante du Code, l’article 243, est une disposition privative qui limite le contrôle judiciaire des ordonnances prononcées en vertu de l’article 242. En voici le libellé :

243. (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire—notamment par voie d’injonction, de certiorari , de prohibition ou de quo warranto—visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.

I

L’appelant a été engagé en 1981 par l’intimée Purolator Courier (l’intimée) à titre de trieur de marchandises. Il a été promu aux messageries en 1985. Il s’était déjà blessé au dos alors qu’il travaillait comme trieur de marchandises et avait subi une discectomie pour cette blessure en 1983. À son retour au travail, il s’est blessé à nouveau au dos, et le problème a empiré après sa promotion aux messageries, parce que le travail de messager l’obligeait à soulever de façon répétée des colis pouvant peser jusqu’à soixante-dix livres. En 1988, la Commission d’indemnisation des accidents du travail de l’Ontario (la Commission) a évalué à 15 % l’invalidité partielle permanente dont il était atteint. Cela ne l’a pas empêché de demander d’être réintégré dans ses fonctions comme messager auprès de l’intimée le 19 juin 1989, muni d’une lettre d’un chirurgien orthopédiste qui affirmait qu’il pouvait reprendre le travail à compter de cette date. Il a été renvoyé le lendemain par l’intimée au motif que la Commission avait précisé qu’il n’était [traduction] « pas en mesure de reprendre son travail de messager » (dossier d’appel, à la page 14), et que l’intimée n’avait pas d’autre travail à lui offrir.

L’appelant a porté plainte auprès de Travail Canada en alléguant qu’il avait été congédié injustement. L’arbitre Martin Teplitsky a, par conséquent, été désigné en qualité d’arbitre en vertu du paragraphe 242(1) pour entendre et trancher la plainte. Le 19 février 1992, à la suite d’une série d’auditions qui se sont échelonnées sur un an et dont je n’estime pas nécessaire d’exposer les détails, l’arbitre a rendu une décision par laquelle il a ordonné que l’appelant soit réintégré dans son emploi à compter du 6 avril 1992.

Cependant, la reste de la décision de l’arbitre Teplitsky n’a pas autant fait plaisir à l’appelant. Je reproduis le texte intégral du reste de la décision (dossier d’appel, aux pages 71 et 72) :

[traduction] Les conditions suivantes sont imposées pour une période de trois ans :

1) M. Murphy fera preuve d’une assiduité raisonnable;

2) Après une absence de plus de trois jours, M. Murphy subira un examen médical, sur demande et aux frais de l’employeur, chez un médecin que l’employeur aura choisi. Une copie de tout rapport médical sera remise à M. Murphy;

3) Je demeurerai saisi de l’affaire au cas où ces conditions posent des difficultés quelconques.

Si, durant ladite période de trois ans, l’employeur estime que le dos de M. Murphy ne peut supporter les efforts que requiert le travail, il peut demander, en m’en donnant avis, une ordonnance de congédiement du plaignant.

Le dernier point est la demande d’indemnité de M. Murphy. Celui-ci a sans nul doute perdu de l’argent. Il n’a fourni aucune preuve quant au montant en cause. Quoiqu’il en soit, je ne crois pas qu’il convienne en l’espèce d’adjuger une indemnité. Au vu de la preuve médicale, la décision de l’employeur était entièrement justifiée. La difficulté qu’il y a eue par la suite à obtenir un certificat médical « clair » n’était pas la faute de l’employeur. En outre, par cette ordonnance, j’expose l’employeur au risque d’avoir des difficultés avec la Commission des accidents du travail. Dans ces circonstances, il serait injuste d’exiger de l’employeur qu’il paye une indemnité.

L’appelant a ensuite demandé en vertu de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, le contrôle judiciaire de l’ordonnance. Il a plus particulièrement demandé : (1) que la Cour déclare invalides les conditions énoncées dans l’ordonnance susmentionnée au motif que l’arbitre n’avait pas compétence en vertu de l’article 242 pour fixer des conditions; (2) que la Cour déclare nulle la partie de la décision dans laquelle l’arbitre avait refusé d’accorder une indemnité à l’appelant pour plusieurs motifs.

Le juge de première instance en est venu à la conclusion suivante ((1992), 59 F.T.R. 1, à la page 11) :

L’appelant ne demande pas l’annulation de la décision toute entière de l’arbitre, mais une conclusion qu’il aurait fallu ordonner l’octroi d’une indemnité. À mon sens, le poids de la jurisprudence indique qu’un arbitre agissant en vertu du par. 242(4) du Code canadien du travail peut ordonner la réintégration d’une personne dans son emploi, sans indemnité pour les gains perdus entre le moment du congédiement et celui de la réintégration. Le mot « peut » audit paragraphe donne à un arbitre assez de latitude pour le faire. Par conséquent, en ce qui concerne la question de l’indemnité, il ne convient pas de modifier la décision rendue.

Cependant, je ne considère pas que l’al. c) donne à l’arbitre assez de latitude pour qu’il puisse ordonner la réintégration du requérant dans son emploi sous réserve d’une période probatoire de trois ans et se considérer toujours saisi de l’affaire durant cette période. Cette disposition ne fait référence qu’à ce que l’arbitre peut exiger de l’« employeur », et il est « dessaisi » après avoir réglé les questions de la réintégration et de l’indemnité (voir l’affaire Huneault précitée).

Le dernier paragraphe de la décision (précitée) est davantage une explication des motifs pour lesquels l’arbitre a décidé de ne pas adjuger une indemnité. Si l’on excepte la non-adjudication d’une indemnité qui, selon moi, entre dans les limites de la compétence de l’arbitre, les observations relatives à l’absence de faute de la part de l’employeur et au risque possible d’exposer l’employeur à des difficultés avec la Commission des accidents du travail sont gratuits et superflus.

Sur ce, le juge de première instance a annulé la partie de la décision de l’arbitre dans lesquelles les conditions étaient énoncées.

II

En appel, l’appelant a soulevé des questions au sujet des conclusions que l’arbitre a tirées de la preuve et que je ne me suis pas donné la peine de reproduire, étant donné que ce moyen de contestation m’apparaît mal fondé.

Sur cette question, l’appelant reconnaît que la norme de contrôle applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable, mais il affirme que l’erreur que l’arbitre aurait commise en l’espèce est de la nature d’une erreur de compétence plutôt que de la nature d’une simple erreur de droit (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412), et qu’en outre, cette erreur fait partie des exemples d’erreurs de compétence qui échappent à la protection des dispositions privatives (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et autres, [1975] 1 R.C.S. 382, à la page 389, le juge Dickson [tel était alors son titre]). Toutefois, dans l’arrêt Blanchard c. Control Data Canada Ltée et autre, [1984] 2 R.C.S. 476, à la page 479, le juge Beetz a écrit, pour la majorité de la Cour, au sujet d’une disposition d’une loi québécoise analogue à l’article 242 que « l’existence d’une cause juste et suffisante de congédiement n’est pas une condition préliminaire à l’exercice de la compétence de l’arbitre mais qu’il s’agit de l’objet même de son enquête et que c’est la question principale que l’arbitre doit décider avant de rendre toute autre ordonnance qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances ». Ces questions relèvent donc de la compétence de l’arbitre et, si elles font l’objet d’une décision erronée, elles ne sont pas manifestement déraisonnables de façon automatique, à moins que l’on démontre le bien-fondé d’une prétention en ce sens sur le fondement des faits, ce que l’appelant n’a pas réussi à faire en l’espèce. Le juge de première instance a donc eu raison de statuer, en ce qui concerne les divers éléments de preuve soumis à l’arbitre, qu’il « appartenait à ce dernier de déterminer quel poids, s’il y en avait un, il fallait leur accorder » (à la page 5) et qu’« il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire dans laquelle aucune preuve n’a été soumise à l’arbitre sur l’un quelconque des faits en cause » (ibidem).

En ce qui concerne la question de l’indemnité, il faut bien reconnaître que l’allusion du juge de première instance au fait que [à la page 3] « par cette ordonnance, j’expose l’employeur au risque d’avoir des difficultés avec la Commission des accidents du travail » est purement gratuite et qu’elle n’a rien à voir avec la question à trancher. Il a toutefois avancé de nombreux autres motifs pour justifier sa conclusion, qui est résumée dans sa conclusion finale suivant laquelle « il serait injuste d’obliger l’employeur à verser une indemnité dans ces circonstances ». L’appelant fait valoir que cette considération d’équité est hors de propos et qu’il serait préférable d’aborder cette question dans le cadre de l’appel incident.

Dans son appel incident, l’intimée affirme que le juge de première instance a commis une erreur en statuant que l’arbitre Teplitsky ne possédait pas suffisamment de pouvoirs pour réintégrer l’appelant dans son emploi à certaines conditions. Cette question exige une interprétation de l’alinéa 242(4)c).

Le juge de première instance a de toute évidence eu raison d’affirmer [à la page 11] que cette disposition « ne fait référence qu’à ce que l’arbitre peut exiger de l’“employeur” ». Il semble toutefois qu’il a considéré comme allant de soi que les conditions étaient en l’espèce imposées à l’employé et non à l’employeur. Mais ce n’est là que l’interprétation apparente de l’ordonnance de l’arbitre. Il faut reconnaître que l’arbitre ne déclare pas expressément à qui les conditions sont imposées. À mon sens, il ressort toutefois du paragraphe qui suit immédiatement ces trois conditions que celles-ci s’appliquent à l’employeur. Si l’« employeur » devient convaincu que l’employé n’est pas à la hauteur des tâches qui lui sont confiées [à la page 11], « il peut demander … une ordonnance de congédiement du plaignant ». En d’autres termes, l’employeur est tenu de reprendre l’appelant de façon conditionnelle, mais si l’appelant ne réussit pas à se montrer à la hauteur de la tâche, l’ordonnance elle-même—et non les conditions—peut être abrogée. Il aurait évidemment été plus utile que l’arbitre exprime sa pensée du début à la fin en recourant à des concepts moins abrégés, mais je ne doute pas qu’il pensait qu’il imposait des conditions à l’employeur, comme la disposition législative l’exige.

Il nous reste à savoir si l’alinéa 242(4)c) peut être interprété implicitement comme autorisant le prononcé d’une telle ordonnance conditionnelle, compte tenu spécialement du fait que la version anglaise précise que l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur « to do any other like thing » (de prendre tout autre mesure) [mot souligné par nos soins], comme par exemple, soutient-on, le paiement d’une indemnité et la réintégration qui sont mentionnés aux deux alinéas précédents.

J’estime que la question a été réglée par le juge Lamer (maintenant juge en chef) qui s’exprimait au nom de la Cour sur ce point et qui interprétait la même disposition législative dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, aux pages 1071 et 1072 :

En l’espèce, je suis d’avis, comme l’étaient les juges de la Cour d’appel fédérale, que la présence du mot « like » dans l’al. c) de la version anglaise n’a pas pour but et n’a pas comme conséquence de limiter les pouvoirs conférés à l’arbitre en ne lui permettant de rendre que des ordonnances similaires aux ordonnances expressément mentionnées aux al. a) et b) du même paragraphe. Interpréter ainsi cette disposition signifierait en l’effet l’application de la règle ejusdem generis. Or, il me semble impossible d’appliquer cette règle en l’espèce puisqu’une des conditions essentielles à son application n’est pas remplie. Il faut en effet que les termes spécifiques (en l’espèce les ordonnances énoncées aux al. a) et b)) qui précèdent le terme général (le pouvoir conféré à l’arbitre à l’al. c) de rendre toute ordonnance qu’il juge équitable) aient une caractéristique commune, un genre commun. Comme l’a écrit Maxwell dans Maxwell on the Interpretation of Statutes (12e éd. 1969), à la p. 299 :

[traduction] S’il n’y a pas de genre, de classe ou de catégorie, la doctrine ejusdem generis ne peut s’appliquer.

Le professeur Côté souligne également cette nécessité lorsqu’il écrit dans son volume intitulé Interprétation des lois (1982), à la p. 266 :

Troisième condition d’application : il faut que les termes spécifiques aient en commun une caractéristique significative, qu’on puisse les considérer comme des espèces d’une catégorie de choses. Sans caractéristique commune, le règle ejusdem generis est inapplicable.

En l’espèce, je ne vois pas quelle caractéristique pourrait être qualifiée de commune à une ordonnance de compensation et à une ordonnance de réintégration. La seule « caractéristique » qui me semble commune à ces deux ordonnances dans le contexte du par. 61.5(9) c’est le fait que ces ordonnances visent toutes deux à remédier ou à contrebalancer les effets du congédiement qualifié d’injuste par l’arbitre. L’alinéa c ) stipule toutefois expressément que l’ordonnance rendue en vertu de cet alinéa doit viser à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier. Cette « caractéristique commune » ne peut donc être utile dans le cadre de l’application de la règle ejusdem generis puisque le législateur a déjà expressément stipulé que les ordonnances que l’arbitre a le pouvoir de rendre doivent posséder cette caractéristique. Alors même si je devais admettre que la version anglaise devrait prévaloir sur la version française, ce que je n’admets pas, je serais néanmoins d’avis que cette disposition est ambiguë et que la façon la plus rationnelle de l’interpréter consiste à dire que la présence du mot « like » dans cette version n’a pas pour effet de limiter le pouvoir général conféré à l’arbitre. Cette interprétation est d’ailleurs beaucoup plus conforme à l’économie générale du Code et en particulier au but de la division V.7 qui est d’offrir à l’employé non syndiqué un moyen de contester un congédiement qu’il juge injuste et parallèlement d’offrir à l’arbitre les pouvoirs nécessaires pour remédier aux effets d’un tel congédiement. L’article 61.5[1] est une disposition clairement réparatrice qui, de ce fait, doit être interprétée largement. Interpréter l’al. c) de la façon dont le suggère l’appelante aurait pour conséquence de limiter considérablement le type d’ordonnance que pourrait rendre l’arbitre. Il serait en effet très difficile de trouver des remèdes semblables aux remèdes prévus aux al. a) et b). L’étendue de la compensation qui peut être ordonnée a été soigneusement limitée par le législateur tandis que la réintégration n’a pas vraiment de ressemblance avec une quelconque autre mesure. Or, je crois que le législateur, en édictant l’al. 61.5(9)c), a au contraire voulu investir l’arbitre de pouvoirs suffisamment larges et suffisamment souples pour que ce dernier puisse s’acquitter adéquatement des fonctions qui lui sont confiées et ce à l’égard de chacun des cas qui se présentent à lui. Je suis donc d’avis que le sens qui doit être donné aux deux versions est celui qui apparaît nettement à la face de la version française et qu’en conséquence l’on ne saurait limiter le type d’ordonnances que l’arbitre peut rendre aux ordonnances du genre de celles expressément autorisées aux al. a) et b).

Pour reprendre les paroles du juge Lamer, la disposition législative à l’étude dans le cas qui nous occupe fait partie d’une « disposition … réparatrice qui, de ce fait, doit être interprétée largement ». Si l’on avait besoin d’un autre précédent, on pourrait citer l’arrêt Heustis c. Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768, aux pages 780 et 782, dans lequel le juge Dickson a déclaré au sujet d’une disposition semblable qu’une gradation des peines à partir de la peine pécuniaire, en passant par la suspension, pour aboutir au congédiement était inhérent à l’exercice des pouvoirs de l’arbitre. Dans l’arrêt Heustis, la conclusion de la Cour reposait sur le fait que rien dans la convention collective ou la loi n’empêchait expressément l’exercice par l’arbitre de son pouvoir de réparation, et l’appelant soutient qu’en l’espèce ce qui « limite l’action de l’arbitre », c’est le fait que son ordonnance de réparation doit être prononcée contre l’employeur. J’estime malgré tout, comme je l’ai déjà dit, que l’ordonnance rendue en l’espèce a été effectivement prononcée contre l’employeur.

La dernière question porte sur le moment où l’arbitre est dessaisi, perdant ainsi tout pouvoir de réparation. En l’espèce, le juge de première instance a statué [à la page 11] que l’arbitre est — dessaisi après avoir réglé les questions de la réintégration et de l’indemnité ».

Howard A. Levitt adopte un point de vue contraire au sujet des pouvoirs de l’arbitre dans son ouvrage intitulé The Law of Dismissal in Canada, 2e éd., aux pages 53 et 54, 203.9 :

[traduction] L’arbitre a pour tâche de trouver un redressement propice à la situation dont il est question. Contrairement à ce qui se fait dans une action pour congédiement illégal, l’arbitre a le droit de réintégrer l’employé dans son emploi, avec ou sans traitement rétroactif. De plus, les dommages-intérêts qui peuvent être adjugés ne se limitent pas à ceux qui seraient appropriés dans le cadre d’une action en congédiement injustifié.

Un arbitre peut ordonner que l’employé soit non seulement réintégré dans son emploi mais aussi soumis à une période probatoire d’une certaine durée qui permette de juger si sa réadaptation lui permet de reprendre le travail de façon permanente.

Pour appuyer son affirmation qu’un employé peut être soumis à une période probatoire, Levitt cite l’arrêt Huneault c. Société canadienne d’hypothèques et de logement (1981), 41 N.R. 214 (C.A.F.) dans lequel il a été jugé que l’arbitre avait agi après avoir été dessaisi de l’affaire. En l’espèce, le juge de première instance a eu raison de déclarer que l’affaire Huneault « ne traite pas expressément » (à la page 9) de la question de la période probatoire, mais, à mon sens, elle comporte effectivement une réponse.

Dans cette affaire, l’ordonnance initiale prononcée par l’arbitre en vertu de la même disposition du Code [S.R.C. 1970, ch. L-1, art. 61.5] prévoyait la réintégration conditionnelle du plaignant dans ses fonctions pour une période de quatre mois, après quoi la question serait réexaminée par l’arbitre. À la suite de ce réexamen, l’arbitre a ordonné que le plaignant soit réintégré de façon permanente dans ses fonctions et a ordonné son reclassement et une augmentation de son salaire en concluant que [traduction] « l’ordonnance qui précède tranche de façon complète et définitive la présente plainte ». L’arbitre a cependant continué en demandant qu’on lui soumette des observations au sujet de la retenue et du remboursement des prestations d’assurance-chômage. C’est au sujet de cette condition finale que la question du dessaisissement a été soulevée, ce qui a amené le juge en chef Thurlow à déclarer, au nom de la Cour (à la page 217) :

À notre avis, les première et seconde ordonnances rendues par l’arbitre ont épuisé les pouvoirs qu’il détenait du paragraphe 61.5(9) [maintenant le paragraphe 242(4)], après quoi il y eut désaisissement, l’arbitre s’étant acquitté de sa charge. Il avait ordonné la réintégration. Il avait ordonné le paiement d’une indemnité. Il n’avait ordonné rien de ce qui est prévu à l’alinéa 61.5(9)c), mais il avait tranché définitivement la plainte dont il était saisi. Il n’avait plus aucun pouvoir, que ce soit par la loi ou autrement, pour réexaminer, retirer ou modifier l’une ou l’autre des ordonnances. De plus, le fait qu’il s’est réservé le pouvoir de rendre, le cas échéant, toute autre ordonnance qu’il jugerait appropriée et nécessaire après réception de l’argumentation sur la question du remboursement des prestations d’assurance-chômage ne saurait influer sur notre conclusion.

À notre avis, il découle de notre conclusion que Cohen, s’étant acquitté de sa charge, était dessaisi de l’affaire, qu’il n’avait pas le pouvoir de renvoyer la question devant la Cour, et que la présente action devrait être rejetée.

On ne pourrait guère douter que l’arbitre « avait tranché définitivement la plainte dont il était saisi » par sa seconde ordonnance avant d’ajouter ses conclusions au sujet des prestations d’assurance-chômage, d’autant plus qu’il l’avait lui-même précisé. Mais ce qui nous importe en l’espèce, c’est que la Cour a vraisemblablement accepté sans sourciller le caractère conditionnel de la première ordonnance. D’ailleurs, tant que la condition demeurait valable, on pouvait prétendre que l’arbitre n’avait pas tranché de façon définitive la plainte dont il était saisi. À mon avis, le critère ne porte pas sur la façon dont l’ordonnance est libellée. Le critère—et le seul critère—est celui de savoir si l’on peut dire que l’arbitre avait tranché de façon définitive la plainte dont il était saisi.

Cette façon de voir cadre avec l’opinion formulée par M. Norman Grossman dans son ouvrage Federal Employment Law in Canada, 1990, à la page 180, suivant laquelle [traduction] « le principe que sous-tend le paragraphe 242(4) est un principe réparateur ». Et l’auteur d’ajouter (à la page 179) :

[traduction] Dans cette disposition de la Loi [le paragraphe 42(4)], le mot « peut »—qui accorde une faculté—laisse à l’arbitre suffisamment de latitude pour adapter essentiellement la réparation aux circonstances particulières de chaque cas.

En l’espèce, le fait que l’arbitre se soit en définitive fondé sur l’équité ne justifie pas le contrôle de sa décision, contrairement à ce que l’appelant souhaiterait, mais, à titre de concept réparateur, cette considération d’équité constitue plutôt la justification finale de la décision de l’arbitre en ce qui concerne cette disposition législative.

III

En conséquence, l’appel doit être rejeté avec dépens tant en appel qu’en première instance; l’appel incident doit être accueilli; la décision du juge de première instance doit être annulée dans la mesure où elle annule une partie de la décision de l’arbitre Teplitsky; et la décision de l’arbitre doit être rétablie.

Le juge Linden, J.C.A. : Je suis du même avis.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je suis du même avis.



[1] À l’époque, l’art. 61.5 comprenait en son entier la partie V.7 du Code relative au congédiement injuste. Dans la version actuelle du Code, les mêmes dispositions se trouvent aux art. 240 à 246.

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