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[2002] 1 C.F. 559

IMM-601-00

2001 CFPI 1043

Mohamed Zrig (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer— Montréal, 12, 13, 14, 15, 18, 19 juin; Ottawa, 24 septembre 2001.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Contrôle judiciaire d’une décision de la CISR selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au motif qu’il est exclu en vertu de l’art. 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés — Le demandeur devient membre du MTI/ Ennahda en Tunisie en 1988, responsable du bureau politique de Gabès de 1990 à 1991 — La Commission avait des raisons sérieuses de penser qu’il avait commis des crimes graves de droit commun, notamment un incendie criminel ayant entraîné mort d’homme — Demande rejetée — La norme de preuve comprise dans l’expression « raisons sérieuses de penser » demande davantage que la suspicion ou la conjecture mais sans atteindre la norme de prépondérance de preuve — Compte tenu des conséquences graves pour les intéressés, les clauses d’exclusion doivent être interprétées restrictivement — Le critère permettant de déterminer si une infraction a un caractère politique fait intervenir la notion d’objectif politique et nécessite un lien entre l’objectif et le crime reproché — Le caractère politique d’un crime est difficilement acceptable lorsqu’il s’agit d’un acte atroce ou barbare ou qu’il est complètement disproportionné à l’objectif visé — Quant au sens du mot « grave », il qualifie des crimes qui comportent une peine particulièrement sévère — Les principes dégagés par la jurisprudence en vertu des art. 1Fa) et 1Fc) s’appliquent à l’art. 1Fb) — L’association avec une personne ou une organisation responsable de crimes peut emporter complicité si l’intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés — Plus l’intéressé occupe les échelons de direction ou de commandement au sein de l’organisation, plus on peut conclure qu’il était au courant des crimes et y a participé — Seul l’incendie criminel de 1991 est pris en considération, puisqu’un seul crime grave de droit commun suffit pour que le demandeur soit exclu et que la preuve concernant ce crime est particulièrement crédible — La conclusion de la CISR que le crime fut perpétré par le MTI/Ennahda n’est pas manifestement déraisonnable — Incendie criminel qualifié de barbare et atroce — Le caractère politique du crime est difficilement admissible — Il n’y a aucun lien de causalité direct et étroit entre l’incendie criminel et l’objectif politique d’Ennahda d’instaurer un État islamiste en Tunisie — Acte de violence totalement hors de proportion avec tout objectif politique légitime — Ne peut représenter une forme acceptable de protestation politique— L’inférence de la CISR selon laquelle le demandeur ne pouvait pas ne pas connaître l’existence des actes de violence s’appuie sur la preuve — Vu que le demandeur n’a pas quitté le mouvement au contraire de trois autres membres importants, il était correct de conclure qu’il a sciemment toléré ce crime et qu’il était complice par association d’un crime grave de droit commun — Questions certifiées : 1) Les principes énoncés dans l’arrêt Sivakumar c. Canada quant à la complicité par association pour les fins de l’application de l’art. 1Fa) sont-ils applicables aux fins d’une exclusion en vertu de l’art. 1Fb); 2) l’association avec une organisation responsable de la perpétration de crimes graves de droit commun au sens de cette expression figurant à l’alinéa 1Fb) de la Convention, peut-elle emporter complicité du revendicateur du simple fait qu’il a sciemment toléré ces crimes, que ceux-ci aient été commis pendant ou avant son association avec l’organisation en cause?

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Contrôle judiciaire d’une décision de la CISR selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au motif qu’il est exclu en vertu de l’art. 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés — Décision du premier tribunal annulée lors d’un contrôle judiciaire — Affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué — Le demandeur soutient qu’il n’a pas été entendu par un tribunal indépendant et impartial — Les nominations au second tribunal faites par le membre coordonnateur du premier tribunal ont été faites dans le cours normal de ses fonctions — Il n’a pas participé à la décision ni exercé de contrôle sur la décision au mérite du tribunal, celui-ci n’ayant aucun compte à rendre au membre coordonnateur — Rejet de la prétention selon laquelle les membres auraient été choisis parce qu’ils ont une « moyenne » d’acceptation inférieure à l’égard des revendications du Maghred — Un simple soupçon basé sur « des moyennes » ne rencontre pas le critère applicable de la personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique — Le fait que le mandat de l’un des membres du tribunal s’est terminé en cours d’instance et qu’il fut renouvelé par le gouverneur en conseil ne compromet pas l’indépendance — La C.S.C. a statué que les exigences d’indépendance des tribunaux administratifs ne requièrent pas à l’instar des juges qu’ils occupent leurs fonctions à titre inamovible — Les mandats à durée déterminée sont acceptables — Le concept d’impartialité désigne l’état d’esprit ou l’attitude des décideurs et non du personnel ou employés d’un tribunal — Les employés de la CISR ne font pas partie du tribunal et ne participent pas au processus décisionnel — Les actes du personnel, c.-à-d. le paiement sur une base temporaire des frais liés à la sécurité de deux témoins experts du ministre, ont été accomplis à l’insu des membres du tribunal, et ne les ont pas influencés — Les deux témoins experts ayant fait défaut de se présenter pour leur contre-interrogatoire, le tribunal n’a accordé aucune valeur probante à leur témoignage — La neutralité de la CISR n’a pas été compromise par des actes dont elle n’était pas au courant et dont elle n’a retiré aucun avantage — Les décisions prises par le tribunal relatives à l’administration et l’appréciation de la preuve ne donnaient pas lieu à une crainte raisonnable de partialité.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, au motif qu’il est exclu de la définition du statut de réfugié sur la base des alinéas 1Fb) et 1Fc) de la Convention. La définition de « réfugié au sens de la Convention » contenue au paragraphe 2(1) exclut les personnes qui tombent sous le coup de la section F de l’Article premier de la Convention, qui prévoit que la Convention ne sera pas applicable aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun et c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Le demandeur est citoyen de Tunisie. Il devient membre du Mouvement de la tendance islamique (MTI) en 1988, qui est devenue le Ennahda. En 1990, il est appelé à prendre la responsabilité du bureau politique de Gabès. En 1991, après que la police eut perquisitionné chez lui, il se cache et cesse ses activités pour le compte du Ennahda. En 1992, il quitte la Tunisie et arrive au Canada en octobre. Il réclame alors le statut de réfugié. Entre-temps, il avait été condamné par contumace pour appartenance à une association de malfaiteurs, soutien à une telle organisation, participation à une organisation non autorisée, fabrication d’explosifs, détention d’armes sans permis et collecte de fonds sans autorisation. S’il devait retourner en Tunisie, le demandeur dit craindre d’être torturé et tué. Un premier tribunal de la section du statut excluait le revendicateur de la définition de réfugié au sens de la Convention. Cette décision a été annulée lors d’un contrôle judiciaire et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle audition. Le second tribunal a conclu que, malgré le fait qu’il ait une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques, le demandeur devait être exclu étant visé par l’alinéa 1Fb) de la Convention. Le tribunal a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le revendicateur avait commis à titre de complice des crimes graves de droit commun, en l’occurrence l’utilisation de cocktails molotov, l’utilisation d’acide projeté aux visages d’individus, les agressions physiques commises dans des lycées et universités, les incendies de voitures, les complots de meurtre, les incendies où il y a eu mort d’homme, le complot en vue de déposer par les armes l’ancien président. La section du statut concluait également que le demandeur devait être exclu en vertu de l’alinéa 1Fc) de la Convention, parce qu’elle avait des raisons sérieuses de penser qu’il avait été impliqué dans un mouvement terroriste, dirigé par un leader terroriste qui utilise des méthodes terroristes, faisant la promotion contre les droits de la personne, contre l’égalité des sexes et contre la liberté de religion.

Le demandeur soutient qu’il n’a pas été entendu par un tribunal indépendant et impartial et ce pour différentes raisons. Premièrement, les membres du second tribunal ont été désignés par le membre coordinateur du premier tribunal et, selon l’allégation du demandeur, ces membres ont une moyenne d’acceptation à l’égard des revendicateurs du Maghreb inférieure à celles des autres membres du tribunal. Deuxièmement, le demandeur invoque le fait que le mandat de l’un des ces membres s’est terminé en cours d’instance et qu’il fut renouvelé par le gouverneur en conseil. Troisièmement, les actes des membres du personnel administratif de la CISR ont irrémédiablement porté atteinte à l’indépendance et à la neutralité du tribunal. Par exemple, ils ont payé temporairement les frais relatifs à la sécurité de deux des témoins experts de la ministre. Le demandeur soutient également que le tribunal a commis des erreurs de fait en tirant des conclusions erronées, tirées de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait et qu’il a erré en droit quant à l’appréciation et à l’application de la Convention en matière de crimes graves de droit commun et d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

Les questions en litige étaient les suivantes : 1) Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour relativement à l’exclusion du demandeur; 2) les faits de l’affaire suscitaient-ils une crainte raisonnable de partialité ou de manque d’indépendance de la part du tribunal?

Jugement : la demande doit être rejetée.

La norme de preuve comprise dans l’expression « raisons sérieuses de penser » demande davantage que la suspicion ou la conjecture mais sans atteindre la norme de prépondérance de preuve. Cependant, compte tenu des conséquences graves pour les intéressés, les clauses d’exclusion doivent être interprétées restrictivement.

Le critère permettant de déterminer si une infraction a un caractère politique fait intervenir la notion d’objectif politique et nécessite un lien entre l’objectif et le crime reproché. Le caractère politique d’un crime est difficilement acceptable lorsqu’il s’agit d’un acte atroce ou barbare ou qu’il est complètement disproportionné à l’objectif visé. Quant au sens du mot « grave », il qualifie des crimes qui comportent une peine particulièrement sévère.

Il n’y a pas de précédent canadien sur la notion de complicité par association dans le cadre de l’application de l’alinéa 1Fb). Cependant, les principes dégagés par la jurisprudence relativement aux alinéas 1Fa) et 1Fc) peuvent tout aussi bien trouver application dans le cadre de l’application de l’alinéa 1Fb). L’association avec une personne ou une organisation responsable de crimes peut emporter complicité si l’intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés. La simple appartenance à un groupe responsable de crimes internationaux ne suffit pas, à moins que cette organisation ne poursuive des « fins limitées et brutales ». Plus l’intéressé occupe les échelons de direction ou de commandement au sein de l’organisation, plus on peut conclure qu’il était au courant des crimes et a participé au plan élaboré pour les commettre. Il est possible d’être tenu responsable de ces crimes, de les commettre à titre de complice sans avoir personnellement commis l’acte constituant le crime.

Vu les conséquences graves pour le demandeur et l’interprétation restrictive qu’il faut donner aux clauses d’exclusion, la Cour n’a pas donné à la notion de complicité par association un effet rétroactif de sorte que le demandeur pourrait être exclu pour des crimes commis avant son entrée au mouvement Ennahda. La Cour ne retient donc que les crimes graves de droit commun commis après la période de 1988 et plus particulièrement l’incendie criminel de Bab Souika en 1991 puisqu’un seul crime grave de droit commun suffit pour que le demandeur soit exclu et que la preuve concernant ce crime est particulièrement importante et crédible quant à la paternité de l’acte et l’implication du demandeur à la direction du mouvement Ennahda.

À l’égard des conclusions de fait tirées par la section du statut, la Cour ne peut intervenir que si ses conclusions sont manifestement déraisonnables, c.-à-d. lorsque les éléments de preuve perçus de façon raisonnable ne peuvent étayer une conclusion de fait. La section du statut a conclu, vu une preuve abondante et crédible à cet effet, que l’incendie de Bab Souika fut perpétré par le MTI/Ennahda. La conclusion de fait du tribunal n’est pas manifestement déraisonnable puisqu’il ne fait aucun doute que les éléments de preuve examinés peuvent lui servir de fondement. Une preuve abondante et convaincante démontre clairement que suite à cet attentat crapuleux, trois membres importants d’Ennahda ont publié un communiqué dans lequel ils se désolidarisaient de cette action. La section du statut a déterminé que les dirigeants ont quitté le MTI/Ennahda dû à la violence du mouvement. Cette conclusion de fait reposant sur une preuve crédible, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir. L’incendie criminel de Bab Souika peut être qualifié de barbare et atroce de sorte que le caractère politique du crime est plus difficilement admissible. Il n’y a aucun lien de causalité direct et étroit entre l’incendie criminel de Bab Souika et l’objectif politique d’Ennahda d’instaurer un État islamiste en Tunisie. Cet acte de violence est totalement hors de proportion avec tout objectif politique légitime. Il ne peut représenter une forme acceptable de protestation politique.

Vu son implication importante au sein du mouvement, la section du statut a conclu que le demandeur ne pouvait pas ne pas connaître l’existence des actes de violence. Cette inférence pouvait raisonnablement découler de la preuve et ne donne pas ouverture à une intervention de la Cour. Le demandeur n’a pas quitté le mouvement à ce moment et a continué d’occuper des fonctions de dirigeant. Il était correct pour le tribunal de conclure qu’il a sciemment toléré ce crime. La complicité par association du demandeur pouvait donc être retenue par le tribunal sur la base de ce crime uniquement.

Vu la conclusion de la Cour à l’effet que le demandeur est une personne visée par l’alinéa 1Fb), il n’était pas nécessaire de trancher la question de savoir si le demandeur pouvait être exclu en vertu de l’alinéa 1Fc).

2) Les nominations au second tribunal faites par le membre coordonnateur du premier tribunal ont été faites dans le cours normal de ses fonctions à titre de membre coordonnateur. Il n’a pas participé à la décision ni exercé de contrôle sur la décision au mérite du tribunal, celui-ci n’ayant aucun compte à rendre au membre coordonnateur. La Cour n’accepte pas la prétention du demandeur selon laquelle les membres auraient été choisis parce qu’ils ont une « moyenne » d’acceptation inférieure à l’égard des revendications du Maghred à celle des autres membres de la section du statut. Une telle assertion affecte directement l’intégrité des membres en cause et ne peut être retenue sans une preuve sérieuse. Un simple soupçon basé sur « des moyennes » ne rencontre pas le critère applicable de la personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique.

La Cour suprême du Canada a statué que les exigences d’indépendance des tribunaux administratifs ne requièrent pas à l’instar des juges qu’ils occupent leur fonction à titre inamovible. Les mandats à durée déterminée sont acceptables. Par contre, la destitution en cours de mandat ne doit pas être laissée au bon plaisir de l’exécutif. Les membres de la section du statut sont nommés à titre inamovible pour une durée maximale de sept ans.

Le concept d’impartialité désigne l’état d’esprit ou l’attitude des décideurs et non du personnel ou employés d’un tribunal. La Commission est composée du Président et des membres de chacune des sections. Les employés de la Commission sont nommés en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Ils ne font aucunement partie du tribunal. De par leurs fonctions, ils n’entrent aucunement dans le processus décisionnel. La preuve démontre que les gestes reprochés par le demandeur l’ont été à l’insu des membres du tribunal. Un geste posé par le personnel ne peut pas influencer l’état d’esprit ou l’attitude des membres du tribunal qui n’étaient pas au courant. Les frais ne furent payés que temporairement puisqu’il avait été convenu que le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration rembourserait ces frais à la Commission. Le ministère n’en a donc retiré aucun avantage financier. Les deux témoins experts ont fait défaut de se présenter pour leur contre-interrogatoire, ce qui a entraîné le tribunal à n’accorder aucune valeur probante à leur témoignage. Une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique n’aurait pas une crainte raisonnable que la section du statut ait manqué d’impartialité du fait que le personnel administratif de la Commission ait à son insu payé temporairement les frais relatifs à la sécurité de deux témoins experts de la ministre, dont le tribunal n’a pas retenu le témoignage.

En ce qui concerne les décisions prises par le tribunal relativement à l’administration et l’appréciation de la preuve, il n’y avait pas crainte raisonnable de partialité.

La Cour a certifié les questions suivantes pour considération par la Cour d’appel fédérale : 1) Les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sivakumar c. Canada quant à la complicité par association pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fa) de la Convention sont-ils applicables aux fins d’une exclusion en vertu de l’alinéa 1Fb) de cette même Convention; dans l’affirmative, 2) l’association d’un revendicateur du statut de réfugié avec une organisation responsable de la perpétration de crimes graves de droit commun au sens de cette expression figurant à l’alinéa 1Fb) de la Convention, peut-elle emporter complicité de ce revendicateur pour les fins de l’application de cette même disposition, du simple fait qu’il a sciemment toléré ces crimes, que ceux-ci aient été commis pendant ou avant son association avec l’organisation en cause?

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa),b),c).

Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 18 décembre 1979, [1982] R.T. Can. no 31.

Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. Off. AGNU, 10 décembre 1948, art. 18.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) « réfugié au sens de la Convention » (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 57(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 61(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 50), (3) (mod., idem).

Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, règle 37(3).

JURISPRUDENCE

décisions appliquées :

Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (1993), 163 N.R. 197 (C.A.); 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; (1996), 140 D.L.R. (4th) 577; 42 Admin. L.R. (2d) 1; 205 N.R. 1; In the matter of B, [1997] E.W.J. no 700 (C.A.) (QL); Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 115 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Van Rassel c. Canada (Surintendant de la GRC), [1987] 1 C.F. 473 (1986), 31 C.C.C. (3d) 10; 7 F.T.R. 187 (1re inst.); Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 277(1re inst.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

distinction faite d’avec :

MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (1985), 22 D.L.R. (4th) 119; 16 Admin. L.R. 109; 6 C.H.R.R. D/3064; 85 CLLC 17,023; 18 C.R.R. 165; 62 N.R. 117 (C.A.).

décisions examinées :

Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1037 (1re inst.) (QL); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Gil c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 508 (1994), 119 D.L.R. (4th) 497; 25 Imm. L.R. (2d) 209; 174 N.R. 292 (C.A.); T. v. Secretary of State for the Home Department, [1996] 2 All E.R. 865 (H.L.); Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985), 52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. 3d) 193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64 N.R. 1; 14 O.A.C. 79.

décisions citées :

Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.); Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793; (1997), 144 D.L.R. (4th) 577; 8 Admin. L.R. (3d) 89; 210 N.R. 101.

DOCTRINE

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status. Toronto : Butterworths, 1991.

Nations Unies. Haut commisariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, réédition janvier 1992.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la section du statut de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié, au motif qu’il est exclu de la définition de « réfugié au sens de la Convention » parce qu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’il a été complice de la perpétration de crimes graves de droit commun, notamment un incendie criminel qui a entraîné mort d’homme, conformément à la section Fb) de l’article premier de la Conventions des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Y.C.F. (Re), [2000] D.S.S.R. no 7 (QL)). Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Daniel Paquin et Mathieu Roy pour le demandeur.

Normand Lemyre et François Joyal pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alarie Legault Beauchemin Paquin Jobin Brisson & Philpot, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus en français par

[1]        Le juge Tremblay-Lamer J. : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du 27 janvier 2000 de la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la section du statut) [Y.C.F. (Re), [2000] D.S.S.R. no 7 (QL)], selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention), tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1], au motif qu’il est exclu de la définition du statut de réfugié sur la base des sections Fb) et Fc) de l’article premier de la Convention.

FAITS

[2]        Le demandeur est né le 29 août 1957 à Gabès en Tunisie.

[3]        En octobre 1979, il commence ses études à la Faculté des sciences de l’Université de Tunis. C’est à ce moment qu’il débute ses activités syndicales et politiques.

[4]        Selon son témoignage, c’est en 1980 qu’il devient sympathisant du Mouvement de la tendance islamique (MTI) sans occuper cependant de fonctions particulières au sein du mouvement. Il devient membre du mouvement MTI (devenu le Ennahda) en janvier 1988.

[5]        En 1981, le demandeur abandonne ses études. Il retourne à Gabès où il trouve un emploi au sein de la Société Arabe des Engrais Phosphatés et Azotés (usine 2) dans la zone industrielle de Gabès. Il débute donc son emploi le 16 novembre 1981 à titre de chef de poste de production.

[6]        Pendant qu’il était à l’emploi de cette société, le demandeur se serait impliqué dans le syndicat Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) à la fin de 1982.

[7]        En janvier 1988, il est élu secrétaire général du syndicat de base de la société à l’usine 2.

[8]        Durant cette même année, le demandeur s’implique au sein du comité culturel et du comité syndical du bureau exécutif régional de Gabès d’Ennahda.

[9]        À la fin novembre début décembre 1990, le demandeur est appelé à prendre la responsabilité du bureau politique de Gabès après que l’organisation et que la structure organisationnelle d’Ennahda furent détruites suite à des vagues d’arrestations parmi la direction d’Ennahda.

[10]      Le 9 avril 1991, la police tunisienne aurait fait une perquisition chez celui-ci. À partir de ce moment, il cesse son travail à la Société Arabe des Engrais Phosphatés et Azotés et vit en clandestinité.

[11]      Il se cache dans la ville de Gabès jusqu’au 30 octobre 1991. Par la suite il aurait quitté pour se réfugier dans la ville de Kibili. Par le fait même, il aurait cessé ses activités au sein d’Ennahda.

[12]      En février 1992, un juge d’instruction de Gabès cite à procès le demandeur ainsi que 143 co-accusés liés de près ou de loin à Ennahda.

[13]      Le 10 mars 1992, le demandeur quitte la Tunisie avec l’intention de venir au Canada. Il séjourne en Libye du 10 au 30 mars 1992. Par la suite, il séjourne au Soudan jusqu’au 20 avril 1992, date où il retourne en Libye. Il quitte la Libye le 16 juin 1992, transite à Malte et en Autriche pour arriver en Allemagne le 23 juin 1992. Le 2 octobre 1992, il quitte l’Allemagne pour le Canada où il y réclame le statut de réfugié.

[14]      Le 20 mai 1992, le demandeur est condamné par contumace à 21 ans et demi de prison par la Cour d’appel de Gabès. La condamnation se détaille comme suit :

— 8 ans de prison pour appartenance à une association de malfaiteurs;

— 8 ans pour soutien à une telle association;

— 2 ans pour participation à une organisation non autorisée;

— 2 ans pour fabrication d’explosifs;

— 1 an pour détention d’armes sans permis;

— 4 mois pour port d’armes sans permis;

— 2 mois pour collecte de fonds sans autorisation.

[15]      S’il devait retourner en Tunisie, le demandeur dit craindre de mourir, d’être torturé par le régime tunisien, le système judiciaire, le système policier et ce dû au fait qu’il n’a pas été arrêté parce qu’il a pris la fuite, qu’il aurait franchi la frontière illégalement, qu’il a passé plusieurs années à l’étranger, qu’il est connu comme membre d’Ennahda et qu’il croit que sa revendication du statut de réfugié au Canada est connue par les autorités tunisiennes.

[16]      Le 30 juin 1994 la section du statut excluait le revendicateur de la définition de « réfugié au sens de la Convention ».

[17]      Cette décision fit l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant cette Cour. Le 6 juillet 1995, la Cour a accordé la demande pour les motifs suivants (Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1037 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 3 et 4) :

Les nombreux extraits de la preuve documentaire reproduits dans la décision du tribunal constituent la preuve principale qui a amené ce dernier à douter de la crédibilité du requérant et à condamner les activités du groupe ElNahdha au sein duquel il exerçait d’importantes responsabilités. Ainsi, il est évident que le contenu de ces extraits a eu une influence déterminante sur l’entière décision.

Or, une comparaison entre les documents complets et leurs passages cités dans la décision permet de déceler d’importantes omissions, qu’il s’agisse de ponctuation, de mots ou de phrases complètes, qui ont pour effet de confondre le lecteur ou même de l’induire en erreur quant à la véritable source de l’information, quant à l’identité de l’auteur de certaines paroles et quant à l’existence même de vues opposées à celles reproduites. Compte tenu, par ailleurs, de l’abondante et sérieuse documentation présentée au tribunal sur la situation générale des droits humains en Tunisie, notamment les pièces P-8, P-10, P-11, P-13, P-17, P-19, P-20, P-21 et A-12, la sélection et la reproduction de la preuve documentaire ainsi faites par le tribunal m’amènent à conclure que ce dernier n’a entendu présenter que la position des autorités tunisiennes et qu’il a ignoré d’importants éléments de preuve de positions opposées contenus au dossier.

[18]      L’affaire fut renvoyée devant un panel différemment constitué pour nouvelle audition qui a débuté au mois de mai 1996 pour se terminer au mois de mai 1999.

[19]      Le 27 janvier 2000, le tribunal décidait que le demandeur n’était pas « un réfugié au sens de la Convention ». Dans ses motifs, le tribunal a conclu que, malgré le fait qu’il ait une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques, le demandeur devait être exclu étant visé par les sections Fb) et Fc) de l’article premier de la Convention.

[20]      Le tribunal résumait comme suit les motifs pour lesquels le demandeur devait être exclu en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention (au paragraphe 454 des motifs de la décision du 27 janvier 2000) :

[…] nous avons des raisons sérieuses de penser que le revendicateur a commis à titre de complice des crimes graves de droit commun, en l’occurence [sic] l’utilisation de cocktails molotov, l’acide projeté aux visages d’individus, les agressions physiques dans des lycées et universités, les incendies de voitures, les lettres de menaces, complot en vue d’assassiner des personnalités du gouvernement tunisien, tentatives d’incendies dans des facultés, l’attentat à la bombe de Sousse et Monastir le 2 août 1987, incendies criminelles [sic] de Bab Souika en février 1991 où il y a eu mort d’homme, attentat à la bombe en France en 1986, trafic d’armes dès 1987 et complot en vue de déposer par les armes l’ancien président Habib Bourguiba […]

[21]      La section du statut concluait également que le demandeur devait être exclu en vertu de la section Fc) de l’article premier de la Convention, pour les raisons suivantes (au paragraphe 455 des motifs de la décision du 27 janvier 2000) :

[…] nous avons […] des raisons sérieuses de penser que le revendicateur s’est rendu coupable « d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies », en l’occurence [sic] étant impliqué dans un mouvement terroriste, dirigé par un leader terroriste et qui utilise de [sic] méthodes terroristes et en faisant la promotion contre les droits de la personne, contre l’égalité des sexes et contre la liberté de religion.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le demandeur

1.    La partialité et le manque d’indépendance du tribunal

[22]      Le demandeur soutient qu’il n’a pas été entendu par un tribunal indépendant et impartial et ce pour les raisons suivantes :

[23]      Le demandeur reproche en premier lieu à Me Shore, membre coordonnateur du tribunal siégeant durant la première audience de cette affaire, d’avoir désigné Me Handfield et M. Ndejuru pour entendre la nouvelle audition de l’affaire et pour disposer de la requête pour précisions du demandeur, le tout en violation de la décision de cette Cour, en date du 6 juillet 1995.

[24]      Le demandeur invoque aussi le fait que le mandat de M. Ndejuru s’est terminé en août 1996 en cours d’instance et qu’il fut renouvelé par le gouverneur en conseil. La procédure de renouvellement d’un membre relève du cabinet lequel est constitué notamment de la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration qui était une partie devant le tribunal.

[25]      De plus, le demandeur souligne que Me Handfield et M. Ndejuru, les membres choisis par Me Shore, ont une moyenne d’acceptation à l’égard des revendicateurs du Maghreb inférieure à celles des autres membres du tribunal.

[26]      Deuxièmement, le demandeur reproche à la Commission d’avoir contribué au financement de la cause de la ministre par des services et fournitures aux témoins experts de la ministre à l’insu du demandeur et de ses procureurs et en violation au devoir du tribunal de neutralité, d’indépendance et d’impartialité à l’égard des parties.

[27]      Troisièmement, il reproche au tribunal certaines décisions qu’il a prises relativement à l’administration et l’appréciation de la preuve. Par exemple, d’avoir accepté d’assurer la traduction simultanée de l’anglais au français pour deux témoins experts de la ministre. Le demandeur prétend qu’il n’a pas eu droit au même traitement lorsqu’il a demandé au tribunal qu’un interprète allemand soit disponible pour la traduction de l’arabe au français du témoignage de son épouse, assignée comme témoin à l’initiative des membres.

[28]      Le demandeur se plaint également de la complaisance du tribunal en faveur de la ministre et de ses témoins experts, MM. Khalid Duran et Abdelwahab Héchiche, et du fait que le tribunal n’a pas rejeté les témoignages de M. Abdelwahab Héchiche.

[29]      Finalement, le demandeur s’en prend au tribunal pour avoir fondé ses motifs concernant la section Fc) de l’article premier de la Convention sur l’avis de droit de l’Institut suisse de droit comparé, bien que le tribunal ait rejeté le témoignage de M. Raphaël Tinkley Abiem au motif que sa déposition n’est que pure spéculation, alors que l’avis de droit est en quelque sorte au même effet que les rapports et témoignage de M. Abiem.

2.    L’absence d’appréciation objective de la preuve par le tribunal

[30]      Le demandeur soutient que le tribunal a commis des erreurs de fait en tirant des conclusions erronées, tirées de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait et qu’il a erré en droit quant à l’appréciation et l’application de la Convention en matière de crimes graves de droit commun et d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

[31]      En résumé, le demandeur soutient que le poids de la preuve favorable au demandeur et au mouvement Ennahda ne fut pas évalué par le tribunal qui a préféré choisir des éléments de preuve qui, hors contexte, pouvaient soutenir la thèse pré-constituée du tribunal. Une telle façon de procéder de la part du tribunal est illégale et constitue une erreur de droit.

[32]      Le demandeur souligne que le tribunal a poursuivi le même exercice quant à l’existence d’une branche armée au sein du mouvement Ennahda et à sa responsabilité dans la commission d’actes de violence. Il n’existe aucune preuve matérielle de nature à soutenir les conclusions du tribunal quant au lien entre le MTI/Ennahda et le Jihad islamique.

[33]      Le demandeur critique également le tribunal d’avoir préféré la preuve inculpatoire à la preuve disculpatoire en expliquant l’existence d’une preuve documentaire contradictoire par l’utilisation par Ennahda de la stratégie du double langage lequel a pour but de semer la confusion et de tenter de berner les observateurs. Pour le demandeur, cette théorie ne repose sur aucun élément sérieux et n’aurait pas dû être retenue par le tribunal.

[34]      En ce qui concerne la période 1990-91, le demandeur souligne que le mouvement Ennahda n’a cherché qu’à exercer sa liberté d’expression par des manifestations urbaines n’ayant d’autre choix à cause de l’oppression du régime tunisien.

[35]      Le procureur du demandeur reconnaît à l’audience que l’incident de Bab Souika de février 1991, à savoir l’incendie du local du RCD qui entraîna la mort d’un gardien, est un crime grave de droit commun mais souligne que cet événement fut immédiatement condamné par le mouvement Ennahda et qu’il n’existe aucune preuve crédible que l’incendie fut commandé par la direction du mouvement.

[36]      Quant au demandeur, il n’a jamais été à la direction nationale, celui-ci ne s’occupant que des activités à Gabès. Il n’y a pas d’éléments de preuve qui permettent d’imputer la connaissance préalable de M. Zrig aux événements de Bab Souika.

3.    Erreur de droit dans l’application de la Convention en matière de crimes graves de droit commun et d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unis

[37]      Le demandeur soumet qu’il n’existe aucun élément de preuve digne de foi établissant que le mouvement Ennahda a cherché à commettre des crimes graves de droit commun sur une base régulière et que M. Zrig par son appartenance et son association au mouvement ait pu cautionner de telles activités.

[38]      La preuve documentaire ne peut également établir que le mouvement Ennahda ait pu poursuivre des fins limitées et brutales au sens de l’arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.).

[39]      Quant à l’appréciation de la section Fc) de l’article premier de la Convention, la Cour Suprême du Canada a clairement établi dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, qu’il est nécessaire d’établir l’existence d’un consensus en droit international sur des agissements particuliers qui sont tenus pour être des violations suffisamment graves et soutenues des droits fondamentaux de la personne pour constituer une persécution ou qui sont explicitement reconnues comme contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

[40]      La preuve au dossier ne peut supporter une telle conclusion de la part du tribunal.

[41]      Pour le demandeur, il est dangereux et contraire aux buts et à la raison d’être de la section Fc) de l’article premier de la Convention, que d’exclure un individu de la protection internationale sur la base d’une analyse théorique d’une pensée politique et qu’un tel procédé risque de détourner la raison d’être de la section Fc) de l’article premier de la Convention, au profit du procès d’opinion à l’égard d’un courant politique, philosophique ou social. Un tel exercice n’est pas le rôle d’un tribunal exerçant des fonctions judiciaires dont la fonction essentielle est d’apprécier les faits objectifs, d’appliquer le droit et de sanctionner la violation d’un droit ou d’une obligation qui a été violée ou transgressée.

Le défendeur

1.    L’exclusion en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention

[42]      Le défendeur expose en premier lieu la preuve concernant les 12 chefs d’exclusion retenus par la section du statut pour démontrer que ces infractions sont des crimes graves de droit commun pour lesquels le tribunal était justifié de retenir la complicité par association du demandeur. Il note cependant qu’aux termes de la section Fb) de l’article premier, un seul de ces 12 chefs suffit pour que le demandeur soit exclu.

[43]      Le défendeur prétend quant à sept des chefs d’exclusion à savoir : (1) les attentats à la bombe en France en 1986; (2) ceux à Sousse et Monastir; (3) celui à Bab Souika et autres similaires à la même époque; (4) les incendies de voiture; (5) la tentative d’incendie d’un édifice universitaire; (6) les agressions physiques dans les lycées et universités; et (7) l’acide jeté au visage de certains individus, qu’il n’y a aucun lien de causalité direct et étroit entre ces crimes et l’objectif politique d’Ennahda d’instaurer un État islamiste en Tunisie.

[44]      De plus, concernant huit chefs d’exclusion à savoir : (1) les attentats à la bombe en France en 1986; (2) ceux à Sousse et Monastir; (3) celui de Bab Souika et autres similaires à la même époque; (4) les incendies de voiture; (5) la tentative d’incendie d’un édifice universitaire; (6) les agressions physiques dans les lycées et universités; (7) l’utilisation des cocktails molotov; (8) l’acide jeté au visage de certains individus, il soutient que les auteurs de ces crimes ne pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que ces infractions produisent, séparément ou ensemble, un résultat qui soit directement lié au but politique ultime susmentionné.

[45]      Par ailleurs, quatre chefs d’exclusion concernent des crimes que l’on peut aisément qualifier comme étant barbares et atroces, ainsi : les attentats à la bombe en France en 1986, ceux à Sousse et Monastir, celui de Bab Souika et autres similaires en 1990-91, ainsi que les cas d’acide jeté au visage de certains individus.

[46]      Concernant les tentatives de coup d’État contre les régimes Bourguiba et Ben Ali, il est bien entendu que dans certaines circonstances, un coup d’État pourrait être considéré comme un crime politique au sens de la section Fb) de l’article premier de la Convention.

[47]      Le défendeur soutient toutefois qu’étant donné que l’objectif visé à long terme en voulant renverser Bourguiba et Ben Ali n’était pas conforme aux droits fondamentaux, le complot en vue d’assassiner des personnalités du gouvernement tunisien était un crime grave de droit commun.

[48]      Quant au trafic d’armes du Ennahda, le défendeur soutient que la fourniture d’armes de ce mouvement au FIS (Front islamique du salut) rend le Ennahda complice des actes criminels commis par le FIS.

[49]      Quant à ces crimes, le défendeur soutient qu’il n’était pas déraisonnable pour le tribunal de conclure qu’il avait des motifs sérieux de croire que le demandeur a commis à titre de complice par association plusieurs crimes graves de droit commun et de ce fait qu’il était une personne visée par la section Fb) de l’article premier de la Convention.

[50]      D’après le défendeur, il n’est pas nécessaire pour conclure à la complicité par association de relier le demandeur personnellement à un crime spécifique commis par le mouvement auquel il appartenait. La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), a retenu que peut être jugé complice celui qui demeure à un poste de direction de l’organisation tout en sachant que celle-ci a été responsable de crimes.

[51]      Le défendeur rappelle de plus que la simple appartenance suffit lorsque l’existence même de l’organisation repose sur l’atteinte d’objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire.

[52]      En tant que membre, le demandeur a prêté serment qu’il respecterait les objectifs poursuivis. Le demandeur a lui-même déclaré qu’il n’imagine pas qu’il puisse arriver des choses à l’intérieur de l’Ennahda dont il n’était pas au courant. Entre décembre 1990 et octobre 1991, il préside aux réunions du bureau politique d’Ennahda à Gabès. Le 26 novembre 1998, le demandeur était toujours membre d’Ennahda.

[53]      Compte tenu des fonctions importantes qu’il a occupé, il connaissait les crimes graves de droit commun commis par son mouvement et n’a jamais quitté le mouvement quant il aurait pu le faire.

2.    L’exclusion du demandeur en vertu de la section Fc) de l’article premier de la Convention

[54]      Le demandeur soutient qu’à la lumière de la preuve et du droit applicable, il n’était pas déraisonnable pour la section du statut d’avoir des raisons sérieuses de penser que le demandeur s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies en raison de sa complicité par association de crimes terroristes et de la promotion du non-respect de certains droits de la personne.

[55]      Concernant le terrorisme du MTI/Ennahda, le défendeur renvoie aux crimes suivants commis par le MTI/Ennahda : utilisation de cocktails molotov, acide projeté au visage d’individus, agressions physiques dans les lycées et les universités, lettres de menaces, attentats à la bombe en France en 1986, à Sousse et Monastir, ainsi que ceux en 1990-91, incluant celui à Bab Souika.

[56]      Pour ce qui est de la promotion du non-respect de certains droits de la personne, la section du statut a retenu deux motifs, soit la promotion du MTI/ Ennahda contre l’égalité des sexes en violation des droits de la femme et sa promotion de la violation du droit à la liberté religieuse.

[57]      En résumé, le défendeur soutient qu’il est indéniable que la promotion et le respect effectif des droits de la personne sans distinction figurent au nombre des buts et principes des Nations Unies, de sorte que ceux qui entendent priver ou incitent à priver d’autres personnes de ces droits sont visées par la section Fc) de l’article premier, pourvu que ces droits soient fondamentaux et que leur violation soit grave, soutenue ou systématique et qu’elle constitue de la persécution dans un contexte qui n’est pas celui de la guerre.

[58]      Le MTI/Ennahda est un mouvement islamiste, i.e. un mouvement politico-religieux préconisant l’islamisation complète, radicale du droit, des institutions et du gouvernement en Tunisie.

[59]      Selon le MTI en 1985, une femme musulmane n’a pas le droit sous peine de mort d’épouser un non musulman.

[60]      La charia, telle qu’interprétée par les islamistes, va clairement à l’encontre de la Déclaration universelle des droits de l’homme [Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AGNu, 10 décembre 1948], ainsi que de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes [18 décembre 1979, [1982] R.T. Can. no 31], qui garantissent la liberté d’une femme de choisir son époux sans aucune restriction quant à la religion.

[61]      Le défendeur prétend que le fait pour Ennahda d’interdire sous peine de mort aux femmes musulmanes de marier un non musulman constitue une violation grave, soutenue et systématique d’un droit fondamental de la personne, constituant de la persécution.

[62]      Quant au deuxième motif fondé sur la promotion du non-respect de la liberté religieuse, le défendeur soutient que la preuve démontre que l’Ennahda prône la peine de mort pour le délit d’apostasie.

[63]      La norme islamique qui punit de mort l’apostat est particulièrement choquante du fait qu’elle porte gravement atteinte à la liberté religieuse. La charia, telle qu’interprétée par les islamistes, va clairement à l’encontre de l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui garantit la liberté de choisir sa religion.

[64]      En fait, le demandeur en tant que leader régional d’Ennahda, de concert avec d’autres dirigeants de ce mouvement, a énergiquement travaillé pour l’avènement d’un État islamiste en Tunisie qui aurait violé le droit de la femme musulmane de se marier avec un non musulman, ainsi que le droit à la liberté religieuse.

[65]      En apportant ainsi son soutien pendant au moins trois ans et demi à ce projet d’un État islamiste qui, lorsque mis à exécution, ne pouvait que générer plusieurs violations de droits fondamentaux de la personne constituant de la persécution, le demandeur s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

3.    Les erreurs de faits soulevés par le demandeur

[66]      Le défendeur soumet que le tribunal a pleine compétence pour évaluer la preuve offerte et, à ce titre, il peut soupeser la valeur probante de chacun des documents ou témoignages. Devant des éléments de preuve contradictoires, il lui appartient de retenir ceux qui lui semblent conjuguer le mieux avec la réalité.

[67]      Quoi qu’il en soit, le tribunal a reconnu expressément la nature peu contradictoire de la preuve quant à la nature du mouvement MTI/Ennahda et a cité quelques documents selon lesquels ce mouvement est modéré et rejette la violence. Cependant, le tribunal a préféré retenir d’autres éléments de preuve, plus nombreux et davantage probants, selon lesquels il s’agit d’un mouvement radical, violent et terroriste.

[68]      Le défendeur rappelle que le tribunal a écarté les témoignages de MM. François Burgat et E. G. H. Joffé, parce qu’ils avaient fait preuve d’une partialité évidente envers le demandeur et que leurs déclarations étaient, à plusieurs égards, incompatibles avec leurs écrits antérieurs. Dans les circonstances, il n’était pas déraisonnable pour la section du statut de s’appuyer sur ces textes, puisque au moment de les écrire, ces auteurs ne pouvaient avoir intérêt à favoriser le demandeur.

[69]      Relativement aux documents cautionnant la position des autorités gouvernementales tunisiennes, le défendeur note qu’aucun des documents cités par le tribunal à l’appui de sa décision n’émane spécifiquement des autorités tunisiennes. D’ailleurs, le tribunal a dit expressément dans ses motifs qu’il n’accordait aucun poids aux documents émanant des acteurs dans ce conflit, c’est-à-dire le gouvernement tunisien et le MTI/Ennahda.

4.    Partialité et manque d’indépendance du tribunal

[70]      Le défendeur soumet en premier lieu que les décisions prises par Me Shore, à titre de membre coordonnateur, ne vont pas à l’encontre de la décision de cette Cour datée du 6 juillet 1995, par laquelle elle ne faisait que casser la décision du tribunal et renvoyer l’affaire devant un panel différemment constitué, ce qui a été le cas en l’espèce.

[71]      Les décisions de Me Shore quant à la désignation des membres pour siéger lors de la nouvelle audition de l’affaire et pour disposer de la requête pour précisions du demandeur ont été prises dans le cours normal de ses fonctions de membre coordonnateur. De plus, les fonctions de membre coordonnateur de Me Shore ne lui permettait pas d’exercer un contrôle sur la décision des membres désignés.

[72]      Le défendeur prétend que l’argument soulevé par le demandeur quant à la moyenne d’acceptation inférieure à l’égard des revendicateurs du Maghreb des membres choisis par Me Shore remet directement en cause l’intégrité de ces membres et n’est fondé sur aucune preuve. De plus, ces « moyennes » ne démontrent pas que ces membres ont un préjugé négatif, pas plus qu’elles ne démontrent que les autres membres du tribunal ont un préjugé positif à l’égard des revendicateurs du Maghreb. Toute revendication est un cas d’espèce et les membres de la section du statut apprécient chaque cas au meilleur de leur capacité, à la lumière de la preuve et du droit.

[73]      Le défendeur soutient que l’indépendance de M. Ndejuru n’a nullement été compromise du fait que son mandat s’est terminé en cours d’instance et que son renouvellement relevait du cabinet fédéral.

[74]      Étant donné que les membres du tribunal sont nommés à titre inamovible pour une durée maximale de sept ans, il est clair que leurs conditions d’emploi sont conformes aux exigences minimales d’indépendance administrative, telles que reconnues dans l’arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919. Le fait que le renouvellement du mandat d’un membre du tribunal relève du cabinet n’est donc pas de nature à porter atteint aux exigences de l’indépendance administrative.

[75]      En second lieu, le défendeur soutient que les gestes du personnel administratif de la Commission n’ont d’aucune façon atteint l’impartialité et l’indépendance des membres du tribunal.

[76]      Pour ce qui est de l’administration et l’appréciation de la preuve, le défendeur soutient que la décision d’offrir de la traduction simultanée à son témoin expert M. Duran n’était nullement empreinte de partialité, puisqu’elle fut prise en vue d’accélérer le déroulement de l’audience déjà longue. Cette traduction simultanée a avantagé toutes les parties.

[77]      De plus, le défendeur prétend que le demandeur ne saurait reprocher au tribunal de ne pas avoir mis à sa disposition un interprète allemand afin de traduire un document de l’arabe au français.

[78]      Le paragraphe 37(3) des Règles de la section du statut du réfugié, DORS/93-45, est clair : le tribunal ne peut accepter un document dans une langue autre que le français ou l’anglais, à moins qu’il ne soit accompagné d’une traduction officielle dont les frais sont à la charge de la partie.

[79]      En ce qui concerne les témoignages de MM. Duran et Héchiche, le défendeur souligne que le tribunal a expliqué de façon non équivoque pourquoi il n’a pas retenu les témoignages de ces experts. Par conséquent le reproche du demandeur à cet égard est sans objet.

[80]      Quant à l’acceptation de l’avis de droit de l’Institut suisse de droit comparé et du rejet du témoignage de M. Abiem, le défendeur note que le reproche du demandeur a trait à la valeur probante de cet élément de preuve.

[81]      De plus, le défendeur tient à souligner que le tribunal n’a pas fondé ses motifs concernant la section Fc) de l’article premier de la Convention sur la partie soi-disant spéculative de l’avis de droit mais plutôt sur la promotion déjà faite par le demandeur d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies. Il n’y a donc pas de contradiction entre les motifs invoqués par le tribunal pour rejeter le témoignage de M. Abiem et ceux qu’il a énoncés pour s’appuyer sur l’avis de droit.

QUESTIONS EN LITIGE

Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour relativement à l’exclusion du demandeur?

Est-ce que certains faits de cette affaire peuvent susciter une crainte raisonnable de partialité ou d’un manque d’indépendance de la part du tribunal?

ANALYSE

1.    L’exclusion du demandeur

[82]      La définition de « réfugié au sens de la Convention » contenue au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, exclut les personnes qui tombent sous le coup des sections E et F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés.

[83]      Dans le présent dossier le demandeur a été exclu conformément aux sections Fb) et Fc) de l’article premier de la Convention. Les sections Fb) et Fc) de l’article premier de la Convention se lisent ainsi :

Article premier

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[…]

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

[84]      Il est important de rappeler tout d’abord que la norme de preuve comprise dans l’expression « raisons sérieuses de penser » en est une bien inférieure à celle qui est requise dans le cadre du droit criminel (« hors de tout doute raisonnable ») ou du droit civil (« selon la prépondérance des probabilités ou prépondérance de preuve ») (Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.)).

[85]      Comme l’indique le juge Linden dans Sivakumar, supra, cette norme demande davantage que la suspicion ou la conjecture mais sans atteindre la norme de prépondérance de preuve. Cependant, je rappelle que compte tenu des conséquences graves pour les intéressés, les clauses d’exclusion doivent être interprétées restrictivement. (Moreno, supra.)

A)   L’exclusion du demandeur en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention

(i)    Sens de « crime grave de droit commun »

[86]      La Cour d’appel fédérale dans la décision Gil c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 508 (C.A.), s’appuyant sur la jurisprudence émanant du Royaume-Uni, des États-Unis et d’autres sources, retenait le critère dit du « caractère accessoire » pour déterminer si l’infraction avait ou non un caractère politique. Ce critère est axé sur deux volets : le premier axé sur l’objectif politique, le second sur le lien entre l’objectif et le crime reproché. L’arrêtiste résume avec concision la décision de la Cour à la page 509 sur ce point :

Le premier volet de ce critère exige que les crimes reprochés aient été commis dans le cours de troubles politiques violents, comme une guerre, une révolution ou une rébellion, ou qu’ils leur soient accessoires. L’exception liée au « caractère politique » de l’infraction ne s’applique donc que lorsque la violence atteint un certain niveau et que ceux qui s’y livrent cherchent à atteindre un objectif précis comme réaliser un changement politique ou réprimer l’opposition politique violente. Le deuxième volet du critère est axé sur l’existence d’un lien entre le crime et l’objectif politique poursuivi. Il faut examiner la nature et le but de l’infraction, et notamment vérifier si elle a été commise pour des motifs véritablement politiques ou pour des raisons personnelles ou des considérations de profit, si elle visait une modification de l’organisation politique ou de la structure même de l’État et s’il existe un lien de causalité direct et étroit entre le crime commis et le but et l’objectif politique invoqué. L’élément politique doit en principe avoir prépondérance sur le caractère de droit commun de l’infraction, ce qui risque de ne pas être le cas lorsque les actes commis sont complètement disproportionnés par rapport à l’objectif visé, ou lorsqu’ils sont de nature atroce ou barbare.

[87]      Je remarque également de cet extrait que la Cour d’appel fédérale reconnaissait que le caractère politique d’un crime est difficilement acceptable lorsqu’il s’agit d’un acte atroce ou barbare ou qu’il est complètement disproportionné à l’objectif visé.

[88]      Plus récemment la majorité des juges de la Chambre des lords dans l’affaire T. v. Secretary of State for the Home Department, [1996] 2 All E.R. 865, après avoir cité avec approbation la décision de la Cour fédérale d’appel dans l’arrêt Gil, supra, définissait le crime de droit commun pour les fins de l’alinéa (b) comme suit à la page 899 :

[traduction] Un crime est de nature politique pour l’application de la section 1Fb) de la Convention de 1951 si, et seulement si :

(1) il est commis dans un but politique, c’est-à-dire avec comme objet de renverser ou de changer la gouvernement d’un État ou de l’induire à modifier sa politique;

(2) il y a un lien suffisamment étroit et direct entre le crime et le but politique invoqué. Pour déterminer si un tel lien existe, le tribunal doit tenir compte des moyens utilisés en vue d’atteindre le but politique et, en particulier, il doit déterminer si le crime visant une cible militaire ou gouvernementale, d’une part, ou une cible civile, d’autre part, et, dans un cas ou l’autre, si la perpétration de ce crime était susceptible de causer indistinctement des décès ou des blessures parmi les membres du public.

[89]      Quant au sens du mot « grave » James Hathaway dans Law of Refugee Status, Toronto : Butterworths, 1991, à la page 222, mentionne qu’il s’agit de crimes qui comportent une peine particulièrement sévère, faisant ressortir la volonté des signataires de la Convention de refuser la protection à ceux qui ont commis des délits répugnants. Le passage suivant à la page 224 de son ouvrage est pertinent :

[traduction] Atle Grahl-Madsen interprète ce terme comme signifiant que seuls les crimes passibles de plusieurs années d’emprisonnement sont suffisamment graves pour l’emporter sur la crainte de persécution. Le HCNUR définit la gravité par référence aux crimes qui comportent un degré élevé de violence contre les personnes, comme l’homicide, le viol, l’agression d’enfants, les voies de fait avec lésions, l’incendie criminel, le trafic de drogues et le vol qualifié. Il s’agit de crimes qui entraînent généralement l’imposition d’une peine sévère, ce qui exprime clairement l’engagement de la Convention selon lequel seuls ceux qui ont commis des actes particulièrement répugnants sont soustraits à la protection de celle-ci.

[90]      Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, (Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, réédition Genève, janvier 1992) donne la définition suivante de ce qui constitue un crime « grave » de droit commun [à la page 40] :

155. Il est difficile de définir ce qui constitue un crime « grave » de droit commun aux fins de la clause d’exclusion à l’examen, d’autant que le mot « crime » revêt des acceptions différentes selon les systèmes juridiques. Dans certains pays, le mot « crime » ne vise que les délits d’un caractère grave; dans d’autres pays, il peut désigner toute une catégorie d’infractions allant du simple larcin jusqu’au meurtre. Dans le présent contexte, cependant, un crime « grave » doit être un meurtre ou une autre infraction que la loi punit d’une peine très grave. Des infractions mineures pour lesquelles sont prévues des peines modérées ne sont pas des causes d’exclusion en vertu de la section Fb) de l’article premier, même si elles sont techniquement qualifiées de « crimes » dans le droit pénal du pays considéré.

[91]      Dans l’arrêt Pushpanathan, supra, le juge Bastarache précisait au paragraphe 73 que « la section Fb) de l’article premier renferme un mécanisme de pondération dans la mesure où il faut que soient remplies les conditions exprimées par les termesgrave” etde droit commun” ». Il ajoutait que les crimes graves de « droit commun » dans la section Fb) de l’article premier sont ceux qui peuvent donner lieu à l’extradition en vertu d’un traité :

De toute évidence, la section Fb) est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d’extradition en vertu d’un traité puissent revendiquer le statut de réfugié, mais cette exclusion est limitée aux crimes graves commis avant l’entrée dans le pays d’accueil.

[92]      Je retiens de ce passage qu’il offre une indication générale sur la nature des crimes qui peuvent être l’objet d’une exclusion en vertu de la section Fb) de l’article premier. Je ne crois pas que le juge Bastarache avait l’intention de limiter les crimes de droit commun à ceux susceptibles d’extradition en vertu d’un traité puisqu’une telle approche aurait pour effet d’exclure de la section Fb) de l’article premier les pays avec lesquels il n’existe pas de traité d’extradition.

[93]      Je note également la distinction offerte par la Cour d’appel dans Gil, supra, à la page 518, « L’exception applicable au statut de réfugié se limite aux crimesgraves”; le droit de l’extradition ne tient pas compte de cette caractéristique. » (C’est moi qui souligne.) C’est donc avec circonspection, à mon avis, qu’il faut comparer les crimes graves de droit commun avec ceux susceptibles d’extradition.

(ii)   Le droit concernant la complicité par association

[94]      La Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur la notion de complicité par association dans le cadre de l’application des sections Fa) et Fc) de l’article premier. Par contre, il n’existe pas de jurisprudence canadienne eu égard à l’application de la section Fb) de l’article premier.

[95]      Le procureur du défendeur a soumis à la Cour une décision de la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles dans l’arrêt In the matter of B, [1997] E.W.J. no 700 (C.A.) (QL), où la Cour a refusé d’intervenir concernant une décision d’un tribunal qui avait invoqué la notion de complicité par association pour appliquer la section Fb) de l’article premier. La Cour d’appel a particulièrement insisté sur le fait que dans ce contexte, il n’était pas nécessaire pour conclure à la complicité par association du revendicateur de le relier personnellement à un crime spécifique commis par le mouvement auquel il appartenait.

[96]      J’abonde en ce sens. Je conclue que les principes dégagés par la jurisprudence en vertu des sections Fa) et Fc) de l’article premier peuvent tout aussi bien trouver application dans le cadre de l’application de la section Fb) de l’article premier.

[97]      Le juge Linden résume bien la notion de complicité par association dans Sivakumar, supra. Il s’exprime ainsi à la page 442 :

En bref, l’association avec une personne ou une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l’intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés. La simple appartenance à un groupe responsable de crimes internationaux ne suffit pas, à moins que cette organisation ne poursuive des « fins limitées et brutales » (Ramirez, supra, à la page 317). D’autre part, plus l’intéressé occupe les échelons de direction ou de commandement au sein de l’organisation, plus on peut conclure qu’il était au courant des crimes et a participé au plan élaboré pour les commettre.

[98]      Il rappelle les conclusions du juge MacGuigan dans Ramirez, supra, à la page 438, à l’effet qu’il est possible d’être tenu responsable de ces crimes, de les commettre à titre de complice sans avoir personnellement commis l’acte constituant le crime.

[99]      Plus récemment, le juge Nadon dans l’affaire Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) (1995), 115 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), dégageait avec concision des propos du juge Linden les principes suivants à la page 178 :

 1.   La personne qui commet le crime doit être tenue responsable de ce crime.

 2.   Une personne peut-être tenue responsable d’un crime sans l’avoir commis personnellement, à savoir à titre de complice.

 3.   L’élément requis pour qu’il y ait complicité est la « participation personnelle et consciente » de la personne en question.

 4.   Le seul fait d’être présent sur les lieux d’un crime n’équivaut pas à complicité.

 5.   Celui qui aide ou encourage la perpétration d’un crime pourra être tenu responsable de ce crime.

 6.   Un supérieur pourra être tenu responsable de crimes commis par ses subordonnés dans la mesure où le supérieur en avait connaissance.

 7.   Une personne pourra être tenue responsable de crime commis par d’autres personnes en raison de son association étroite avec les auteurs de ce crime.

 8.   Plus la personne occupe une fonction importante au sein d’une organisation qui a commis un ou des crimes, plus sa complicité sera probable.

 9.   Pourra être tenue complice une personne qui continue à occuper un poste de direction dans une telle organisation alors qu’elle a pleine connaissance que l’organisation est responsable de crimes.

10.  Pour déterminer la responsabilité d’une personne, doit être pris en considération le fait que la personne s’est opposée au crime ou a tenté d’empêcher la perpétration du ou des crimes ou de se retirer de l’organisation. [C’est moi qui souligne.]

(iii)  Les crimes graves de droit commun du MTI/Ennahda retenus par la section du statut

[100]   La section du statut a retenu 12 crimes de droit commun, en l’occurrence l’utilisation de cocktails molotov, l’acide projeté aux visages d’individus, les agressions physiques dans des lycées et universités, les incendies de voitures, les lettres de menaces, complot en vue d’assassiner des personnalités du gouvernement tunisien, tentatives d’incendies dans des facultés, l’attentat à la bombe de Sousse et de Monastir le 2 août 1987, incendies criminels de Bab Souika en février 1991 où il y a eu mort d’homme, attentat à la bombe en France en 1986, trafic d’armes dès 1987 et complot en vue de déposer par les armes l’ancien président Habib Bourguiba.

[101]   Plusieurs de ces crimes reprochés au mouvement MTI/Ennahda se situent dans une période qui est antérieure au moment où la preuve établit clairement que le demandeur est devenu membre du Ennahda. En effet, bien que l’implication du demandeur se situe entre les années 1980-1988, celui-ci affirme qu’il n’était que sympathisant, et qu’il n’est devenu membre du mouvement qu’en 1988.

[102]   Vu les conséquences graves pour le demandeur et l’interprétation restrictive qu’il faut donner aux clauses d’exclusion, je ne suis pas prête à donner à la notion de complicité par association un effet rétroactif de sorte que le demandeur pourrait être exclu pour des crimes commis avant son entrée au mouvement Ennahda. Je ne retiendrai donc que les crimes graves de droit commun commis après la période de 1988 et plus particulièrement l’incendie criminel de Bab Souika en 1991 puisqu’un seul crime grave de droit commun suffit pour que le demandeur soit exclu et que la preuve concernant ce crime est particulièrement importante et crédible quant à la paternité de l’acte et l’implication du demandeur à la direction du mouvement Ennahda.

[103]   Avant de me pencher sur l’analyse de la preuve au dossier, j’aimerais faire la remarque préliminaire suivante. Je note que la section du statut a examiné avec beaucoup de soin la preuve testimoniale et documentaire pour déterminer le poids à accorder aux différents témoignages ainsi que la valeur probante de certains documents excluant, par exemple, les sources qui proviennent du gouvernement tunisien. Elle s’est attardée sur la crédibilité de certains témoins justifiant avec clarté les motifs pour lesquels elle a retenu ou non les témoignages en question.

[104]   Je rappelle qu’à l’égard des conclusions de fait tirées par la section du statut, cette Cour ne peut intervenir que si ses conclusions sont manifestement déraisonnables. Ce critère est très exigeant. Ce n’est que lorsque les éléments de preuve perçus de façon raisonnable ne peuvent étayer une conclusion de fait qu’elle sera manifestement déraisonnable (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, aux pages 828 et 829).

[105]   La preuve appuyait-elle la décision de la section du statut à l’effet que l’incendie criminel de Bab Souika constituait un crime grave de droit commun commis par le MTI/Ennahda?

[106]   La preuve démontre clairement que le 17 février 1991 un commando d’une trentaine de personnes attaque la permanence du RCD dans le quartier de Bab Souika à Tunis. Au cours de cette attaque les deux gardiens furent ligotés, aspergés d’essence et brûlés après que les assaillants eurent mis le feu. Un des gardiens succomba à ses brûlures et l’autre dut être amputé et devient invalide à vie.

[107]  La section du statut a conclu, vu une preuve abondante et crédible à cet effet, que ce crime fut perpétré par le MTI/Ennahda. Le tribunal s’est appuyé sur la preuve suivante [au paragraphe 249] :

[traduction] « Trois membres d’al-Nahda qui ont participé en février 1991 à un attentat contre des bureaux du RCD à Tunis, au cours duquel un gardien de nuit a été brûlé à mort, ont été condamnés à la peine capitale et ont été pendus en octobre 1991. » (Pièce P-6, Supra note 98, page 248.)

[traduction] « Il n’y a pas eu d’autres attentats comme celui dirigé contre le bureau central du RCD (Rassemblement Constitutionnelle [sic] Démocratique, le parti au pouvoir) à Bab Souika (Tunis) en février 1991, qui a causé la mort d’un gardien de sécurité et en a blessé gravement d’autres. » (Pièce P-1, supra note 180, page 4.)

« Le spectre de la guerre civile qui plane sur ce pays, les attentats, et surtout le crime de Bab Souika, à Tunis, commis par des membres de la Nahdha le 17 février 1991,—trois gardiens de nuit, dans une permanence du RCD, la parti au pouvoir, ligotés, arrosés d’essence et brûlés—privent désormais le mouvement islamiste de tout soutien populaire. » (Pièce A-16, Articles de journaux en liasse, Le Point, no 1041, 29/8/92, page 39.)

Un groupe d’étudiants met le feu à un poste de police et ainsi de suite jusqu’à l’attentat du 17 février 1991 contre le local du RCD à Bab Souika, au centre de Tunis. Un gardien est tué et un autre gravement blessé. Les auteurs, militants d’Ennahda, sont arrêtés, condamnés à mort et exécutés. (Pièce A-16, Articles de journaux en liasse, Jeune Afrique, no 1652, du 3 au 9 septembre 1992, page 14, déposée également sous M-7, Supra note 334.)

« Agression physique, violence dans les lycées, manifestations sporadiques dans les rues, lettres d’indimidations [sic] et de menaces et, enfin, l’attentat contre une permanence du RCD à Bab Souika, où l’un des vigiles a trouvé la mort (brûlé vif) décident le gouvernement tunisien à choisir la voie de la répression. » (Pièce M-2, Supra note 201, pages 91-92.)

« Mais le 17 février, c’est l’escalade : une trentaine de personnes se réclamant de la Nahda attaquent le siège du comité de coordination du RCD à Bab Souika, deux gardiens sont aspergés d’essence, l’un en meurt, et les assaillants ont 3 blessés. Cet attentat est vivement condamné par toute la classe politique, y compris la Nahda qui dément toute participation. [Stratégie d’usage]. Mais les auteurs de l’attaque sont arrêtés et passent aux aveux. N. Bihri, membre de la direction de la Nahda est arrêté. » (Pièce M-4, Supra note 123, pages 942-943.)

« Pour le commun des Tunisiens, les excès des militants de la « Renaissance » ont été trop nombreux ces derniers temps : agressions physiques, violence dans les lycées et les universités, manifestations sporadiques sauvages dans les rues, lettres d’indimidation [sic] et de menaces. Le déclic psychologique étant constitué par l’attentat contre la permanence du RCD à Bab Souika, où l’un des vigiles, un viel homme, a trouvé la mort. Brûlé vif. » (Pièce M-6, Supra note 256, 2e page.)

« Sentant qu’ils étaient en train de perdre la partie sur le terrain intellectuel, les intégristes, à qui les élections n’avaient apporté (officiellement) que 17% des voix, tentèrent l’épreuve de force. Un local du parti gouvernemental fut incendié au centre de la vieille ville. » (Pièce M-13, Guy Sitbon, Comment la Tunisie a triomphé des barbus, quand les voiles tombent, Le Nouvel Observateur, du 8 au 14 décembre 1994, page 16.)

[traduction] « La publication en mai de renseignements sur un complot visant la réalisation d’un coup d’État a amplifié l’effet de l’attaque armée menée par de jeunes extrémistes d’Ennahda contre le bureau principal du RCD en février. » (Pièce M-153, Extraits de Claire Spencer, The Maghreb in the 1990s, Political and economic developments in Algeria, Morocco and Tunisia, Adelphi Paper 274, Londres, The International Institute for Strategic Studies, février 1993, page 29.)

[traduction] « Le mouvement An Nahdha a perdu tout l’appui qu’il pouvait avoir auprès des Tunisiens ordinaires en février 1991 lorsqu’au cours des troubles provoqués par la guerre du Golfe persique, ses partisans ont ligoté et brûlé des gardiens dans une attaque à la bombe incendiaire contre un local du principal parti politique de la Tunisie. » (Pièce M-179, David Lamb, A Nice Place in a Bad Neighborhood? Los Angeles Times, 28/8/95, 3ième page.)

[traduction] « Son chef en exil, Rachid Ghannouchi, a fortement appuyé l’Irak, et certains de ses membres les plus extrémistes ont attaqué les bureaux du parti au pouvoir, le Rassemblement Constitutionnel Démocratique. » (Pièce M-245, The Maghreb; whatever he did, they love him, The Economist, 30/3/91.)

[108]   Après avoir examiné soigneusement la preuve sur laquelle s’est fondée la section du statut, je ne peux conclure que la conclusion de fait du tribunal concernant l’implication du Ennahda dans l’incendie de Bab Souika soit manifestement déraisonnable puisqu’il ne fait aucun doute que les éléments de preuve examinés peuvent lui servir de fondement.

[109]   Je note également une preuve abondante et convaincante qui démontre clairement que suite à cet attentat, Fadhel Beldi, président du conseil consultatif d’Ennahda avec deux autres membres du bureau exécutif soit Abdel Fattah Mourou et Ben Aissa Semni publiait un communiqué dans lequel il se désolidarisa de cette action. Le 7 mars 1991, les trois signèrent un second communiqué qualifiant ces actes « d’actes irresponsables » accomplis « avec l’accord de certains dirigeants de notre mouvement ». Ils proclamèrent « le gel » de leur qualité de membre et de leurs activités au sein du mouvement Ennahda [au paragraphe 251].

[traduction] « Le mouvement islamiste de la Tunisie, Nahdha, la deuxième plus importante force politique du pays, se trouve dans un état d’effondrement de fait après la guerre du Golfe.

[traduction] Abdelfattah Mourou, la deuxième personne la plus importante du mouvement, ainsi que deux autres membres du conseil exécutif ont annoncé qu’ils avaient « gelé » leur qualité de membre. Les membres de certains comités exécutifs locaux ont fait de même.

[…]

[traduction] Nahdha (Renaissance) s’est retrouvée divisée après la récente guerre en Irak.

[…]

[traduction] La scission s’est accentuée après l’attentat commis le 17 février contre les bureaux du Rassemblement Constitutionnel Démocratique, qui détient le pouvoir. Mourou et les autres membres qui ont « gelé » leur qualité de membre ont affirmé qu’il y avait des éléments de preuve démontrant que certains jeunes membres de Nahdha avaient participé à l’attentat. » (Pièce M-246, Supra note 372.)

[traduction] « En mars 1991, la scission parmi les islamistes a éclaté au grand jours lorsque trois représentants importants d’an-Nahdah qui étaient toujours en liberté se sont dissociés des actes de violence qu’auraient commis certains membres de l’organisation. Ils ont notamment déploré un récent attentat contre les bureaux du RCD, qui a tué une personne et blessé plusieurs autres. » (Pièce A-2, The Europa World Year Book, 1995, page 3028.)

[traduction] « La violence n’a pas eu comme seul effet de choquer l’opinion publique. Trois semaines plus tard, le 7 mars 1991, `abd-Fathah [sic] Mourou a fait une déclaration selon laquelle lui-même. Fadhel Beldi (un ancien chef intérimaire du mouvement) et Benaissa Demni « gelaient » leur qualité de membre d’Al-Hahda en raison de l’usage de la violence dans l’attentat de Bab Souika. Mourou a annoncé qu’il recherchait toujours le dialogue avec le gouvernement et a critiqué Ghannouchi et la direction de l’organisation au pays pour avoir choisi le chemin de la violence. Il est vrai que l’ampleur de l’attentat de Bab Souika était faible comparativement à d’autres attentats menés par des islamistes dans d’autres pays, mais dans la culture politique généralement non violente de la Tunisie, cet attentat a constitué un point tournant. La scission initiée par Mourou indiquait fortement que le mouvement avait décidé de s’engager dans l’affrontement violent. C’est ce que le gouvernement allait bientôt tenter de prouver. » (Pièce M-147, Michael Collins Dunn, The Al-Hahda Movement in Tunisia : From Renaissance to Revolution, in Islamism and Secularism in North Africa, New York, St. Martin’s Press, 1994, page 160.)

[traduction] « En février, des islamistes ont attaqué un bureau du RCD à Bab Souika (Tunis), tuant un gardien et en blessant un autre. Comme conséquence, le secrétaire général d’An Nahda et trois autres membres de con conseil exécutif ont suspendu leur participation à ce mouvement en signe de protestation. » (Pièce M-166, 1991, Human Rights Report, février 1992, 1re page, déposée aussi sous M-263.)

« L’ensemble de la classe politique avait, à l’époque, fermement condamné l’attentat de Bab Souika. Certains dirigeants d’Ennahda, parmi lesquels le plus en vue de ses fondateurs, M. Abdelfattah Mourou, s’étaient éloignés de ce mouvement dont ils avaient dénoncé le “glissement vers des actions terroristes” » (Pièce M-411, Jacques de Barrin, Tunisie : leur grâce ayant été rejetée par le président Ben Ali, trois islamistes ont été exécutés, Le Monde 11/10/91.)

« tandis que les Saoudiens coupaient évidemment les vivres aux mouvements islamistes qui les avaient condamnés, entraînant quelques scissions, comme celle qui, en Tunisie, partagea An Nahda entre modérés plus proches de l’Arabie Saoudite (Abdel Fatah Mouro [sic]) et radicaux (Ghannouchi). » (Pièce M-45, supra note 295, page 155.)

[traduction] « Cette scission au sein de l’organisation révèle aussi les tensions entre les extrémistes et les traditionalistes sur les questions de la pratique de l’Islam et du nationalisme islamique (ibid). Selon Radio France International, Abdel Fattah Mourou et un groupe de partisans se sont dissociés du mouvement Al-Nahdha pour fonder un nouveau groupe politique qui plaiderait en faveur d’une vision plus modérée de l’Islam (27 octobre 1991). D’autre part, un rapport du Comité d’avocats pour les droits de la personne (CADP) indique que le chef en exil d’Al-Nahdha, Rachid Ghannouchi, a forgé des liens de plus en plus étroits avec des dirigeants islamiques extrémistes de l’Iran, du Soudan et d’autres pays connus pour leurs violations des droits de la personne (Oct. 1993, 6). » (Pièce A-14, supra note 113, page 2.)

[traduction] « Un autre dirigeant important, Abdelfattah Mourou, a quitté Ennahda pour tenter de former un mouvement plus modéré et plus acceptable politiquement. » (Pièce M-153, supra note 388, page 24.)

[traduction] « Lorsqu’on a refusé à Hizb al-Nahda (le Partie de la Renaissance) l’autorisation de présenter des candidats aux élections nationales de 1989 et aux élections locales de 1990, les relations entre ce parti et l’État se sont envenimées de nouveau et le mouvement est redevenu clandestin et voué à l’affrontement violent avec les autorités, particulièrement dans le domaine de la politique dans les milieux étudiants (dans lesquels il constitue une faction dominante) : lorsqu’il a provoqué des troubles sur les campus, des attaques à la bombe en milieu urbain et une tentative de coup d’État dans la première moitié de l’année 1991, il a de nouveau été visé par des arrestations massives et s’est scindé une seconde fois, Mourou examinant la possibilité de créer un parti légal et Ghannouchi, en exil, plaidant en faveur des militants aguerris. » (Pièce M-138, Supra note 106, page 116.)

[traduction] « Néanmoins, certains dirigeants du Parti de la Renaissance, dont Abdul Fattah Moro [sic], IBN’Issa Al Dumny et Fadel Al Balady, ont condamné la flambée de violence. Ils ont gelé leur qualité de membre du mouvement en raison de ce qu’ils considéraient être un militantisme accru “en contradiction flagrante avec les valeurs religieuses” ».

[…]

[traduction] Le désaccord séparait les deux plus importants dirigeants du mouvement, à savoir Ghanushy et Mourou. Une telle différence d’opinions comporte une dimension historique et a trait à un certain nombre de cas, quoique dans les années 90, elle portant essentiellement sur la question de la violence. Mourou hésitait à utiliser la violence et à attaquer les autorités puisque cela constituait une violation de la déclaration politique du mouvement, qui condamnait publiquement le militantisme. Fait intéressant, à la fin des années 80, Mourou partageait l’acceptation de la violence de Ghanushy dans le cadre de la résistance aux campagnes de répression croissantes du régime. Mais s’il a changé d’avis à cet égard, Ghanushy, lui, ne l’a pas fait. » (Pièce M-268, Extraits de Hoda Mitkis, The religious trends in the Arab Maghreb, a comparative analysis, Kurasat Istratijiya, no. 34, Al-Ahram Centre for Political and Strategic Studies, Le Caire, Égypte, 1995, page 42.)

« Fouad Mansour Qassen, membre du bureau politique du mouvement islamiste interdit Ennahda, résidant à l’étranger, et candidat aux élections législatives d’avril 1989 dans la région de Tunis, a démissionné dimanche dernier de la direction de ce mouvement, a annoncé, mardi 9 août, le quotidien saoudien el Hayat. Dans un communiqué, M. Qassen reproche à son chef, Rached Ghannouchi, de manquer de méthode claire « de préférer la force à la raison », de tenir des discours emflammés [sic], irresponsables et non réalistes dont l’affrontement avec le pouvoir ayant entraîné l’emprisonnement et l’exil de beaucoup d’autres. » (Pièce M-319, « Selon un quotidien saoudien. Démission d’un responsable du mouvement islamiste tunisien », Le Monde, 11/8/94.)

[110]   À cet égard, la section du statut a déterminé que les dirigeants ont quitté le MTI/Ennahda dû à la violence du mouvement. Là encore, cette conclusion de fait reposant sur une preuve crédible, il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir.

[111]   En résumé, la preuve examinée raisonnablement pouvait servir de fondement à la conclusion du tribunal quant à l’implication du mouvement Ennahda dans l’affaire de Bab Souika.

[112]   Ce crime constitue-t-il un crime grave de droit commun au sens de la section Fb) de l’article premier?

[113]   En premier lieu, je suis d’avis que l’incendie criminel de Bab Souika peut se qualifier de barbare et atroce de sorte que le caractère politique du crime est plus difficilement admissible, Gil, supra.

[114]   De plus, bien que je reconnaisse la nature répressive du régime en place, il ne fait aucun doute qu’il n’y a aucun lien de causalité direct et étroit entre l’incendie criminel de Bab Souika et l’objectif politique d’Ennahda d’instaurer un État islamiste en Tunisie. Cet acte de violence est totalement hors de proportion avec tout objectif politique légitime. Il ne peut représenter une forme acceptable de protestation politique.

(iv)  Complicité par association du demandeur

[115]   La section du statut s’appuyant entre autres du FRP et du témoignage du demandeur, a déterminé que la direction d’Ennahda a confié au demandeur de prendre la responsabilité du bureau à Gabès à compter de novembre/décembre 1990. Il était au niveau hiérarchique le plus haut à Gabès.

[116]   Entre décembre 1990 et le 30 octobre 1991 il préside aux réunions du bureau politique d’Ennahda à Gabès et transmet les directives et prises de position du mouvement concernant les événements en Tunisie ou ailleurs dans le monde. Dans sa décision, la section du statut retient un fait important du témoignage du demandeur, c’est qu’il était au courant de tout ce qui se passait au niveau de son mouvement MTI/Ennahda (motifs à la page 119 [paragraphe 323]) « Je ne pense pas, je n’imagine pas qu’il puisse y arriver des choses à l’intérieur de l’Ennahda dont je ne suis pas au courant, dont je n’étais pas au courant ».

[117]   Plusieurs contradictions ont été retenues par la section du statut entourant ses responsabilités et son importance au sein du mouvement, ce qui a affecté la crédibilité du demandeur. Le tribunal en a inféré que celui-ci avait tenté de minimiser son rôle et son importance afin de se mettre à l’abri des actes qui sont reprochés à l’ensemble du mouvement. Vu son implication importante au sein du mouvement, la section du statut a conclu que le demandeur ne pouvait ne pas connaître l’existence des actes de violence.

[118]   Cette inférence pouvait raisonnablement s’inférer de la preuve et ne donne pas ouverture à une intervention de cette Cour.

[119]   Fait important, le demandeur n’a pas quitté le mouvement à ce moment et a continué d’occuper des fonctions de dirigeant. Il ne s’est pas dissocié du mouvement et de son chef M. Ghannouchi comme l’ont fait d’autres membres du mouvement. De ce fait, il était correct pour le tribunal de conclure qu’il a sciemment toléré ce crime. La complicité par association du demandeur pouvait donc être retenue par le tribunal sur la base de ce crime uniquement.

[120]   Il n’y a pas lieu dans les circonstances d’examiner la conclusion du tribunal sur les fins limitées et brutales du mouvement MTI/Ennahda puisque l’exception prévue dans l’arrêt Ramirez, supra, dans un tel cas (laquelle permet de retenir la complicité de la simple appartenance au mouvement) ne s’applique pas compte tenu de l’implication ainsi que du rôle de dirigeant du demandeur à ce moment-là.

[121]   Il me suffit de rappeler les propos du juge Nadon dans l’affaire Mohammad, supra [au paragraphe 38] :

9.    Pourra être tenue complice une personne qui continue à occuper un poste de direction dans une telle organisation alors qu’elle a pleine connaissance que l’organisation est responsable de crimes.

10.  Pour déterminer la responsabilité d’une personne, doit être pris en considération le fait que la personne s’est opposée au crime ou a tenté d’empêcher la perpétration du ou des crimes ou de se retirer de l’organisation. [Soulignement ajouté.]

[122]   Alors qu’il eût été facile de le faire, le demandeur ne s’est pas retiré de l’organisation comme l’ont fait trois membres influents d’Ennahda.

[123]   Pour ces motifs il n’était pas déraisonnable pour la section du statut de conclure avoir des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis à titre de complice par association le crime de droit commun ci-haut relaté.

[124]   Comme je l’ai dit précédemment, puisqu’un seul crime grave de droit commun suffit pour que le demandeur soit exclu, il est inutile d’examiner le bien-fondé de la décision du tribunal quant aux autres chefs d’exclusion.

B)   L’exclusion du demandeur en vertu de la section Fc) de l’article premier de la Convention

[125]   Vu ma conclusion à l’effet que le demandeur est une personne visée par la section Fb) de l’article premier, et vu les conséquences sérieuses d’un tel prononcement, je ne crois pas qu’il serait opportun de me prononcer sur cette question puisqu’un tel exercice n’est pas requis pour déterminer si le demandeur est exclu de la protection de la Convention.

2.    Impartialité et indépendance du tribunal

A)   Indépendance du tribunal

[126]   Le demandeur soutient d’abord que les décisions de Me Shore à titre de membre coordonnateur vont à l’encontre d’une ordonnance de la Cour qui cassait la décision de la section du statut et renvoyait l’affaire devant un panel différemment constitué. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une interprétation raisonnable de l’ordonnance de la Cour.

[127]   Les décisions de Me Shore ont été prises dans le cours normal de ses fonctions à titre de membre coordonnateur. Il n’a jamais été impliqué ou exercé aucun contrôle dans la décision au mérite du tribunal celui-ci n’ayant aucun compte à rendre au membre coordonnateur.

[128]   Voir, par exemple, Van Rassel c. Canada (Surintendant de la GRC), [1987] 1 C.F. 473 (1re inst.), où la Cour fédérale a rejeté une allégation semblable; dans cette affaire le demandeur alléguait une crainte de partialité à l’égard des membres d’un tribunal disciplinaire parce qu’ils avaient été nommés par le commissaire, qu’il soupçonnait d’avoir exprimé des propos négatifs à son égard. Le juge Joyal concluait (à la page 487) :

Le commissaire de la G.R.C. n’est pas le tribunal. Il est vrai qu’il a désigné le tribunal mais, une fois désigné, celui-ci est aussi indépendant et apparemment aussi impartial que tout tribunal qui traiterait d’une infraction ressortissant au service. On ne peut pas raisonnablement conclure que les préventions du commissaire, le cas échéant, sont nécessairement partagées par le tribunal et que, par conséquent, le requérant n’obtiendrait pas un procès équitable.

[129]   Je n’accepte pas non plus la prétention du demandeur selon laquelle les membres auraient été choisis parce qu’ils ont une « moyenne » d’acceptation inférieure à l’égard des revendications du Maghred à celle des autres membres de la section du statut.

[130]   Chaque revendication est un cas d’espèce et les membres de la section du statut doivent apprécier chaque dossier à la lumière de la preuve et du droit applicable. Une telle assertion affecte directement l’intégrité des membres en cause et ne peut être retenue sans aucune preuve sérieuse. Un simple soupçon basé sur « des moyennes » ne rencontre pas le critère applicable de la personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique. Je rejette donc cette objection.

[131]   Le demandeur soutient également que l’indépendance de M. Ndejuru a été compromise du fait qu’un mandat s’est terminé en cours d’instance et que son renouvellement relevait du cabinet fédéral.

[132]   La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, que l’inamovibilité était une des conditions essentielles de l’indépendance judiciaire.

[133]   Cependant, en ce qui concerne les tribunaux administratifs exerçant des fonctions juridictionnelles, elle a reconnu dans l’affaire 2747-3174 Québec Inc., supra, que les exigences d’indépendance des tribunaux administratifs ne requièrent pas à l’instar des juges qu’ils occupent leur fonction à titre inamovible. Les mandats à durée déterminée sont acceptables. Par contre, la destitution en cours de mandat ne doit pas être laissée au bon plaisir de l’exécutif.

[134]   En l’espèce, les membres de la section du statut sont nommés à titre inamovible pour une durée maximale de sept ans. En vertu des paragraphes 61(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 50] et 61(3) [mod., idem] de la Loi sur l’immigration, le mandat ainsi que la reconduction de mandat se fait par le gouverneur en conseil et non par la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[135]   Les circonstances diffèrent de l’affaire MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.), où le poursuivant constituait le tribunal. Il n’y a pas ici la même proximité entre une partie et l’instance décisionnelle.

B)   Faits et gestes du personnel administratif de la CISR

[136]   Le demandeur prétend que les faits et gestes du personnel administratif de la CISR ont eu pour effet d’atteindre irrémédiablement le tribunal dans son indépendance, sa neutralité et son impartialité et de favoriser les intérêts de la ministre au détriment de ceux du demandeur.

[137]   En effet le personnel administratif de la CISR a défrayé temporairement les frais relatifs à la sécurité de deux des témoins de la ministre.

[138]   Pour sa part, le défendeur soutient qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, n’aurait pas une crainte raisonnable que le tribunal ait manqué d’impartialité ou d’indépendance du fait que le personnel administratif de la Commission ait défrayé temporairement les frais relatifs à la sécurité de deux témoins de la ministre. La Commission a le devoir de veiller à la sécurité de toutes les personnes qui se présentent devant elle, qu’il s’agisse des représentants des parties, de leurs témoins, ou des parties elles-mêmes. Dans la présente affaire, les témoins de la ministre n’ont reçu aucun service de la Commission auxquels les témoins du demandeur n’auraient pas eu droit s’ils en avaient fait la demande.

[139]   Le défendeur fait remarquer que c’est en raison de l’urgence de la situation et de la familiarité du personnel administratif avec ce genre de mesure que la Commission a accepté d’engager temporairement les dépenses en cause. Plus particulièrement, il a été convenu que le ministère rembourserait à la Commission ces frais, ce qui a été fait en l’espèce.

[140]   En aucun temps les membres du tribunal n’ont pris part aux discussions. En fait, ce n’est que lorsque l’avocat du demandeur a transmis au tribunal une demande d’enquête publique que les membres en ont été informés.

[141]   Le juge de Grandpré, dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, a développé le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité à la page 394 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[142]   La Cour suprême du Canada note également que les motifs de crainte doivent être sérieux et qu’il ne s’agit pas du critère d’une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne.

[143]   C’est à la lumière de ce critère que j’ai étudié les allégations du demandeur quant à l’apparence de partialité du tribunal.

[144]   Bien qu’il eût été avisé de la part du personnel administratif de ne pas défrayer même temporairement les frais reliés à la sécurité des deux témoins experts et d’en laisser le soin à la partie elle-même, je suis d’avis qu’un tel geste, plus particulièrement du fait qu’il s’est déroulé à l’insu des membres « décideurs », ne peut soulever une apparence de partialité.

[145]   D’abord, il est important de rappeler que le concept d’impartialité désigne l’état d’esprit ou l’attitude des décideurs et non du personnel ou employés d’un tribunal (Valente, supra, à la page 685).

L’impartialité désigne un état d’esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée.

[146]   En l’espèce, le paragraphe 57(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi sur l’immigration prévoit que la Commission est composée du président et des membres de chacune des sections.

57. […]

2) La Commission se compose du président et des membres de chacune des sections.

[147]   Les employés de la Commission sont nommés en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-33]. Ils ne font aucunement partie du tribunal. De par leurs fonctions, ils n’entrent aucunement dans le processus décisionnel. La preuve démontre que les gestes reprochés par le demandeur l’ont été à l’insu des membres du tribunal. Comme je l’ai dit précédemment, ce n’est que lorsque l’avocat du demandeur a transmis à la section du statut une demande d’enquête publique que le tribunal en a pris connaissance. Il n’est pas possible de prétendre qu’un geste posé par le personnel puisse influencer l’état d’esprit ou l’attitude des membres du tribunal qui n’étaient pas au courant et qui n’ont pas participé aux discussions à ce sujet.

[148]   De plus, comme le souligne le défendeur, les frais ne furent défrayés que temporairement puisqu’il avait été convenu que le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration rembourserait ces frais à la Commission. Le Ministère n’en a donc retiré aucun avantage financier.

[149]   Je constate également qu’il s’agissait de la sécurité de deux témoins experts MM. Duran et Héchiche, lesquels ont fait défaut de se présenter pour leur contre-interrogatoire, ce qui a entraîné le tribunal à n’accorder aucune valeur probante à leur témoignage.

[150]   À mon avis, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique n’aurait pas une crainte raisonnable que la section du statut ait manqué d’impartialité du fait que le personnel administratif de la Commission ait à son insu défrayé temporairement les frais relatifs à la sécurité de deux témoins experts de la ministre, dont le tribunal n’a pas retenu le témoignage.

[151]   Croirait-elle que l’indépendance et la neutralité du tribunal puissent être affectées par une mesure dont il n’est pas au courant et qui ne lui procure aucun avantage directement ou indirectement et croirait-elle en toute vraisemblance que le tribunal ne rendrait pas une décision juste? Je ne le crois pas.

C)   Administration de la preuve

[152]   En ce qui concerne les décisions prises par le tribunal relatives à l’administration et l’appréciation de la preuve, je suis d’avis qu’on ne peut reprocher au tribunal d’avoir décidé d’offrir de la traduction simultanée au témoin expert de la ministre puisque cette mesure à eu pour effet d’accélérer le témoignage de cette partie dans une audience qui était déjà très longue. Je suis également d’avis que le refus du tribunal d’offrir au demandeur les services de traduction demandés était justifié par le paragraphe 37(3) des Règles (document en allemand) et en raison de la courte durée du témoignage de l’épouse du demandeur (traduction simultanée de l’arabe au français).

[153]   Quant aux témoignages de MM. Duran et Héchiche, comme je l’ai mentionné précédemment, le tribunal ne leur a donné aucun poids. En ce qui a trait à l’avis de droit de l’Institut suisse de droit comparé, il appartenait au tribunal d’évaluer la valeur probante des éléments de preuve soumis et de retenir ceux qui lui semblent se conjuguer le mieux avec la réalité. De plus, il appert des motifs de la décision que le tribunal a fondé sa décision concernant la section Fc) de l’article premier de la Convention sur la promotion déjà faite par le demandeur d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

[154]   Pour ce qui est des notes de service émanant de fonctionnaires du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration se prononçant sur les chances de succès du présent dossier, le demandeur a cherché à les produire en preuve devant le tribunal sans succès. La section du statut s’objecta à leur production au motif que ces documents étaient frivoles et sans pertinence.

[155]   À mon avis c’est à bon droit que la section du statut a refusé leur production puisque la ministre n’a pas retenu l’opinion des fonctionnaires qui les ont rédigés. L’opinion de fonctionnaires sur les chances de succès d’une revendication ne lie aucunement la ministre et n’a aucune pertinence sur le bien-fondé d’un dossier. La ministre a adopté une opinion contraire et a défendu sa position devant le tribunal sur la base d’une preuve abondante et crédible.

[156]   En résumé, je suis donc d’avis qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne craindrait pas que le tribunal ait été partial soit en raison des gestes du personnel administratif, des décisions prises par Me Shore à titre de coordonnateur, du renouvellement du terme de M. Ndejuru, ou des décisions du tribunal portant sur l’administration et l’appréciation de la preuve.

[157]   Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[158]   Le demandeur demande que les questions suivantes soient certifiées :

 1.   À la lumière des principes énoncés par la Cour d’Appel fédérale dans l’arrêt MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 plus particulièrement quant à l’indépendance décisionnelle comme composante de l’indépendance judiciaire, est-ce que la désignation des membres audienciers par un membre coordonnateur ayant siégé comme membre audiencier lors d’une première décision, annulée par la Cour fédérale section de première instance qui a ordonné un procès de novo, est susceptible de créer une crainte raisonnable de partialité chez une personne raisonnablement bien informé du dossier?

 2.   Est-ce que la reconduction du mandat d’un membre audiencier par le gouvernement, sur recommandation du ministre de la citoyenneté et de l’immigration, faite alors que ce même ministre agit comme partie dans un litige devant ce membre, est de nature à créer une crainte raisonnable de partialité dans l’esprit d’une personne bien informée, à la lumière des principes énoncés dans les arrêts R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259 et Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3?

 3.   Le fait pour un tribunal administratif, ayant à disposer des allégations inculpatoires d’une partie, de s’impliquer financièrement pour le bénéfice de cette même partie à l’insu de la partie adverse viole-t-il les principes d’indépendance judiciaire?

 4.   Si à chacun de ces questions, prise isolément, une réponse négative était donnée, est-ce que, par ailleurs, le cumul de celles-ci dans une même instance est susceptible de porter atteinte à l’indépendance judiciaire au point de rendre nulle et de nuls effets la décision rendue?

[159]   Le défendeur demande que les questions suivantes soient certifiées :

 1.   Pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, le caractère atroce d’un crime constitue-t-il une indication claire qu’il s’agit d’un crime de droit commun?

 2.   Pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, les crimes les plus graves, tels que l’assassinat, le meurtre, les blessures graves, les attentats aux propriétés par incendie ou explosion, doivent-ils, dans tous les cas, être considérés comme des crimes de droit commun?

 3.   Pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, le fait que l’objectif politique poursuivi par l’auteur ou les auteurs du crime en cause consiste en l’établissement d’un État, dont le programme politique comporte plusieurs violations graves, soutenues ou systémiques de certains droits fondamentaux de la personne, a-t-il pour conséquence que ce crime ne peut être considéré comme étant une infraction à caractère politique?

 4.   Pour que le meurtre d’un chef d’État puisse être considéré comme une infraction à caractère politique aux fins de l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, faut-il que l’auteur de ce crime, qui tue par conviction politique, ait pu raisonnablement espérer que cet acte aurait pour conséquence, au-delà du résultat immédiat, une modification de l’organisation politique ou sociale de l’État?

 5.   Les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sivakumar c. Canada, [1994] 1 C.F. 433quant à la complicité par association pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fa) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés sont-ils applicables aux fins d’une exclusion en vertu de l’alinéa 1Fb) de cette même Convention?

 6.   Dans l’affirmative, l’association d’un revendicateur du statut de réfugié avec une organisation responsable de la perpétration de « crimes graves de droit commun », au sens de cette expression figurant à l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, peut-elle emporter complicité de ce revendicateur pour les fins de l’application de cette même disposition, du simple fait qu’il a sciemment toléré ces crimes, que ceux-ci aient été commis pendant ou avant son association avec l’organisation en cause?

 7.   Pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fc) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, est-ce que le fait d’avoir promu pendant plusieurs années la commission d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies peut être considéré comme étant en soi des agissements contraires aux buts et principes des Nations unies?

 8.   Pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fc) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, s’est-il rendu coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies celui qui a travaillé énergiquement pendant plusieurs années pour l’arrivée au pouvoir d’un mouvement politique, dont le programme comporte plusieurs violations graves, soutenues ou systémiques des droits fondamentaux de la personne qui constituent une persécution?

 9.   Pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fc) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, s’est-il rendu coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies celui qui a promu activement pendant plusieurs années la mise en application d’un programme politique dont l’application créerait vraisemblablement des réfugiés au sens de la Convention?

[160]   Comme le soulignait le juge Nadon dans Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 277 (1re inst.), la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, a indiqué que lorsqu’une question d’importance générale est certifiée, la Cour d’appel n’est pas limitée à cette seule question et peut considérer toutes les question soulevées par le litige. Il me suffit donc de certifier les questions suivantes, lesquelles sont déterminantes dans le présent dossier :

Les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sivakumar c. Canada, [1994] 1 C.F. 433quant à la complicité par association pour les fins de l’application de la section Fa) de l’article premier de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés sont-ils applicables aux fins d’une exclusion en vertu de la section Fb) de l’article premier de cette même Convention?

Dans l’affirmative, l’association d’un revendicateur du statut de réfugié avec une organisation responsable de la perpétration de « crimes graves de droit commun », au sens de cette expression figurant à la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, peut-elle emporter complicité de ce revendicateur pour les fins de l’application de cette même disposition, du simple fait qu’il a sciemment toléré ces crimes, que ceux-ci aient été commis pendant ou avant son association avec l’organisation en cause?

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