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[1997] 1 C.F. 32

A-173-96 (T-2541-95)

ICN Pharmaceuticals, Inc. et ICN Canada Limited (appelantes) (requérantes)

c.

Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, procureur général du Canada et ministre de la Consommation et des Affaires commerciales (intimés) (intimés)

et

Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (intimé) (intervenant)

Répertorié : ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés) (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone et Robertson, J.C.A. et juge suppléant Gray—Toronto, 21 mai; Ottawa, 7 août 1996.

Brevets Appel du rejet de la demande de contrôle judiciaire visant la décision du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés selon laquelle ce dernier avait compétence pour déterminer si le prix exigé pour le Virazole au Canada par ICN était excessifLa ribavirine est le seul ingrédient actif du VirazoleICN est titulaire de trois brevets afférents à la ribavirineL’art. 83(1) de la Loi sur les brevets prévoit que, lorsqu’il estime que le breveté vend le médicament sur un marché canadien à un prix qu’il juge excessif, le Conseil peut lui ordonner d’en baisser le prixL’art. 79(2) prévoit qu’une invention est liée à un médicament si elle est destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d’être utilisée à de telles finsLes conditions préalables à la compétence du Conseil énoncées à l’art. 83(1) sont remplies : (1) ICN est le breveté, (2) les inventions sont liées à un médicament et (3) ICN vend le médicament au CanadaLa deuxième condition comporte deux volets : le produit pharmaceutique final constitue un médicament et il existe un lien logique entre l’invention et le médicamentVu son utilisation pour le traitement des cas graves d’infection respiratoire chez les nourrissons et les jeunes enfants, la ribavirine ou le Virazole est un médicamentNul besoin d’interpréter le brevet pour établir le lienLes termes généraux employés aux art. 83(1) et 79(2) indiquent que le lien requis peut être le plus ténuLa formule chimique de la ribavirine et celle du Virazole sont identiquesLien établiLe Conseil avait compétence pour examiner le prix du Virazole jusqu’au dépôt de la renonciation.

Pratique Parties Qualité pour agir La Loi sur les brevets autorise le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés à engager du personnelElle ne confère pas au personnel du Conseil une qualité pour agir distincte, contrairement aux ministres fédéral et provinciaux de la Santé auxquels la qualité de partie est accordéeLe Conseil a, dans les faits, décidé d’agir indépendamment de son personnel, lequel a pris à sa charge la conduite des affairesLe Conseil est tenu d’agir en tant que poursuivant et en tant que juge pour s’acquitter de son mandat légal.

Il s’agit d’un appel du rejet d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés selon laquelle ce dernier avait compétence pour déterminer si le prix exigé pour le médicament Virazole au Canada par ICN était excessif. Le paragraphe 83(1) de la Loi sur les brevets prévoit que, s’il estime que le titulaire d’une invention liée à un médicament vend le médicament au Canada à un prix excessif, le Conseil peut lui enjoindre d’en baisser le prix. Le paragraphe 79(2) prévoit qu’une invention est liée à un médicament si elle est destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d’être utilisée à de telles fins.

Le seul ingrédient actif du Virazole est la « ribavirine ». Le Virazole est utilisé pour le traitement des nouveaux-nés et des jeunes enfants qui souffrent d’une grave infection des voies respiratoires. ICN était titulaire de trois brevets canadiens liés à la ribavirine. Les deux premiers, qui ont expiré avant que l’audience n’ait lieu devant le Conseil, décrivent des procédés permettant la production de la ribavirine. ICN continue de fabriquer la ribavirine à l’aide de l’un des procédés décrits dans le premier brevet. Le procédé décrit dans le deuxième brevet ne permet pas de fabriquer de la ribavirine en quantité suffisante à des fins pharmaceutiques. Le Conseil a donné un avis relatif à la tenue d’une audience en vue de déterminer si ICN, pendant qu’elle était titulaire des deux premiers brevets, avait vendu le Virazole à un prix excessif et, le cas échéant, quelle mesure correctrice s’imposait. ICN a présenté une requête soulevant la question de savoir si le Conseil avait compétence pour entendre l’affaire. La veille de l’audition de la requête, le Conseil a appris l’existence du troisième brevet, lequel décrivait une méthode d’utilisation de la ribavirine pour le traitement de diverses maladies virales. ICN avait auparavant nié l’existence de tout autre brevet lié au Virazole. L’avis d’audition a été modifié afin d’inclure le troisième brevet. Le Conseil a conclu qu’il avait la compétence voulue. ICN a ensuite produit relativement au troisième brevet une renonciation visant l’utilisation pour laquelle la vente du Virazole était autorisée au Canada. Le paragraphe 48(1) permet le dépôt d’une renonciation lorsque, par erreur ou inadvertance, le mémoire descriptif a été rédigé de façon trop générale, pourvu que ce ne soit pas dans le but de frauder ou de tromper le public. Le paragraphe 48(4) dit que « [d]ans toute action pendante au moment où elle est faite, aucune renonciation n’a d’effet ». L’avocat du Conseil a indiqué à ICN que la renonciation ne privait pas le Conseil de sa compétence. ICN a demandé le contrôle judiciaire de la décision du Conseil et a présenté un avis de requête introductive d’instance en vue d’obtenir un jugement déclaratoire concernant l’effet de la renonciation. Le juge de première instance a conclu que (i) le mot « susceptible » employé au paragraphe 79(2) de la Loi devait être interprété suivant son sens ordinaire, de sorte que le procédé décrit dans le deuxième brevet était susceptible d’être utilisé pour la préparation ou la production de la ribavirine, (ii) le mot « médicament » employé au paragraphe 79(2) n’englobait pas que les médicaments à l’égard desquels un avis de conformité avait été délivré, de sorte que le troisième brevet était destiné à la préparation ou à la production de la ribavirine et (iii) le Conseil est demeuré investi de sa compétence malgré la renonciation, car l’invention décrite dans le troisième brevet demeurait liée à la ribavirine au sens du paragraphe 79(2).

Les questions en litige étaient les suivantes : (1) le Conseil avait-il compétence pour déterminer si le prix exigé par les appelantes au Canada pour le médicament « Virazole » était excessif; (2) la renonciation était-elle valide; et (3) le personnel du Conseil avait-il une qualité pour agir distincte?

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Les trois conditions préalables à la compétence du Conseil suivant le paragraphe 83(1) étaient remplies : (1) ICN était le breveté à l’égard des deux inventions; (2) ces inventions étaient liées à un médicament; et (3) ICN vendait le médicament au Canada. Pour ce qui concerne la première condition, lorsqu’un brevet expire, le Conseil demeure habilité à déterminer si un prix excessif a été exigé pour le médicament avant la date d’expiration. La deuxième condition comporte deux volets : (i) le produit pharmaceutique final, qu’il s’agisse de la ribavirine ou du Virazole, doit constituer un médicament et (ii) il doit y avoir un lien logique entre l’invention et le produit pharmaceutique final, c.-à-d. entre l’invention et le médicament vendu au Canada. En ce qui concerne le premier volet, le mot « médicament » employé au paragraphe 83(1) doit être interprété comme il l’était dans l’ancien article 39, c.-à-d. de façon extensive, suivant son sens ordinaire. L’interprétation du terme « médicament » et des mots « destinée à servir ou pouvant servir » employés dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) n’est pas pertinente aux fins de leur interprétation aux paragraphes 79(2) et 83(1) de la Loi. Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) appartient à un régime distinct dont l’objet est différent. Par conséquent, le mot « médicament » ne peut viser uniquement les produits à l’égard desquels un avis de conformité a été délivré. La ribavirine ou le Virazole est un médicament au sens du paragraphe 83(1) du fait que cette substance est utilisée pour le traitement des cas graves d’infection respiratoire chez les nourrissons et les jeunes enfants. Les deux brevets en cause sont liés à une substance qui est un médicament. L’exigence d’un lien logique entre l’invention décrite dans le brevet et le médicament vendu au Canada était nécessaire pour que le Parlement ait le pouvoir constitutionnel d’adopter des dispositions législatives prévoyant le contrôle des prix. La compétence du Parlement de légiférer dans ce domaine découle de son pouvoir de légiférer en matière de brevets. Les termes généraux employés aux paragraphes 83(1) et 79(2) traduisent clairement l’intention du législateur de faire en sorte que l’existence du lien requis puisse être prouvée sans qu’il soit nécessaire d’interpréter le brevet, ce qui est confirmé par le fait que le mandat légal du Conseil n’a pour objet que l’établissement du prix des médicaments brevetés. Les membres du Conseil n’ont ni l’expérience ni l’expertise voulues pour se livrer à l’interprétation des brevets. En outre, l’exigence d’un lien logique étroit fondée sur l’interprétation du brevet ne tient pas compte du fait que l’interprétation d’un brevet ou d’une revendication est une question de droit qui doit être tranchée par la Cour. Comme il incombe au Conseil de mener à bien la poursuite (par l’entremise de son personnel) et de rendre une décision dans chacun des cas, par opposition à un rôle neutre d’arbitre vis-à-vis de la preuve présentée par les deux parties en présence, un tel critère serait irréaliste. Cela ne tient pas compte non plus de la distinction entre la tâche qui consiste à interpréter les revendications d’un brevet et celle qui consiste à se prononcer sur la validité d’un brevet. En raison de la grande portée des mots « est liée » et « liée » employés aux paragraphes 83(1) et 79(2), le lien en cause peut être le plus ténu. Une fois établi qu’il ne convient pas d’interpréter le brevet pour établir l’existence du lien requis, la question de savoir s’il est déterminant que le médicament soit décrit comme étant la ribavirine et non le Virazole est sans objet. Les brevets sont destinés à la production et à l’utilisation de la ribavirine. La ribavirine est manifestement destinée à des médicaments ou susceptible d’être utilisée dans les faits comme médicament, peu importe la façon dont le produit final est appelé. Il n’y a aucune différence formelle entre le Virazole et la ribavirine. La formule chimique décrite dans les brevets et les noms ribavirine et Virazole sont synonymes et interchangeables, de sorte que le lien établi entre les deuxième et troisième brevets et le médicament vendu au Canada, c.-à-d. la ribavirine, est le lien logique.

Pour ce qui concerne la requête relative à la validité de la renonciation, il aurait été préférable qu’ICN demande au Conseil de rendre une décision formelle, plutôt que d’accepter l’avis de l’avocat du Conseil. Suivant l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, une demande de contrôle judiciaire peut viser une décision, une ordonnance, un acte ou une omission d’un office fédéral. La Cour a de sérieuses réserves quant à savoir si le juge de première instance aurait dû entendre la demande de contrôle judiciaire se rapportant à la question de la renonciation. La preuve ne révélant l’existence d’aucune erreur ou inadvertance, bien qu’aucune conclusion de fait en ce sens n’ait été tirée par le Conseil ou le juge de première instance, la Cour refuse de trancher la question de savoir si le paragraphe 48(1) s’applique ou non. L’objet du paragraphe 48(4) n’est pas de rendre une renonciation invalide, mais plutôt de confirmer qu’une renonciation ne peut avoir d’effet rétroactif à l’égard de procédures déjà engagées. Le Conseil est demeuré compétent pour examiner le prix du Virazole jusqu’à la date du dépôt de la renonciation, mais celle-ci l’a privé de sa compétence par la suite. Le simple fait que le brevet ne soit pas lié à l’utilisation pour laquelle un médicament est actuellement vendu au Canada ne permet pas de supposer que son existence n’aura pas un effet dissuasif sur les concurrents éventuels. Et c’est ce risque d’effet dissuasif qui fonde la compétence du Conseil.

L’omission d’ICN de révéler l’existence du brevet 265 n’a pas d’incidence sur la question de la compétence, mais entache plutôt la bonne foi d’ICN. Une société pharmaceutique risque de miner sa crédibilité et celle de ses témoins devant le Conseil, sans mentionner le risque de manquer à ses obligations aux termes de la Loi et de son règlement d’application lorsqu’elle prend une décision unilatérale quant à la pertinence d’un brevet et à son effet sur la compétence du Conseil. Une conclusion défavorable du Conseil quant à la crédibilité ne peut facilement être repoussée, que ce soit dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou d’un appel.

La Loi sur les brevets autorise le Conseil à retenir les services du personnel nécessaire. Elle ne confère pas au personnel du Conseil une qualité pour agir distincte de celle du Conseil, contrairement aux ministres fédéral et provinciaux de la Santé auxquels la qualité de partie est accordée. Le Conseil a, dans les faits, décidé d’agir indépendamment de son personnel, lequel a pris à sa charge la conduite des affaires. La loi habilitante du Conseil n’accorde toutefois pas au personnel de ce dernier une qualité pour agir indépendante de celle du Conseil. Le Conseil est tenu d’agir en tant que poursuivant et en tant que juge afin de s’acquitter de son mandat légal.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi modifiant la Loi de 1992 sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2.

Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.C. 1987, ch. 41.

Loi modifiant la Loi sur les brevets, la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur les aliments et drogues, S.C. 1968-69, ch. 49, art. 41(4).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33.

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 39(4), 44 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 48(1) (mod., idem, art. 17), (4), 79 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7), 80 (édicté, idem), 81 (édicté, idem), 82 (édicté, idem), 83 (édicté, idem), 84 (édicté, idem), 85 (édicté, idem), 86 (édicté, idem; L.C.. 1995, ch. 1, art. 62), 87 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7; 1995, ch. 1, art. 62), 88 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7), 89 (édicté, idem), 90 (édicté, idem), 91 (édicté, idem), 92 (édicté, idem), 93 (édicté, idem), 94 (édicté, idem), 95 (édicté, idem), 96 (édicté, idem), 97 (édicté, idem), 98 (édicté, idem), 99 (édicté, idem), 100 (édicté, idem), 101 (édicté, idem), 102 (édicté, idem), 103 (édicté, idem).

Loi sur les brevets, S.C. 1923, ch. 23, art. 17.

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS 93-133, art. 2 « médicament », 4(2)a).

Règlement sur les médicaments brevetés, DORS/88-474.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; [1994] 7 W.W.R. 1; (1994), 92 B.C.L.R. (2d) 145; 4 C.C.L.S. 117; Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 245 (C.F. 1re inst.); conf. par Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., [1996] A.C.F. no 638 (C.A.) (QL); Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751(C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Genentech Canada Inc. (Re) (1992), 44 C.P.R. (3d) 317 (C.E.P.M.B.); Can. Celanese Ltd. v. B.V.D. Co., [1939] 2 D.L.R. 289; (1939), 56 R.P.C. 122; [1939] 1 All E.R. 140 (P.C.).

DÉCISIONS CITÉES :

Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 289; 47 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.); inf. par Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 135; 187 N.R. 284 (C.A.F.); Parke, Davis & Co. v. Fine Chemicals of Canada Ltd., [1959] R.C.S. 219; (1959), 17 D.L.R. (2d) 153; 30 C.P.R. 59; 18 Fox Pat. C. 125; Merck & Co. Inc. v. S. & U Chemicals Ltd., Attorney General of Canada, Intervenant (1971), 65 C.P.R. 99 (C. de l’É.); Novocol Chemical Mfg. Co. of Canada Ltd. v. Aktiebolaget Astra, Apotekarnes Kemiska Fabriker (1963), 41 C.P.R. 117; 24 Fox Pat. C. 172 (Comm. des brevets); conf. par Aktiebolaget Astra, Apotekarnes Kemiska Fabriker v. Novocol Chemical Mfg. Co. of Canada Ltd., [1964] R.C.É. 955; (1964), 45 D.L.R. (2d) 662; 44 C.P.R. 15; 27 Fox Pat. C. 156; Imperial Chemical Industries Ltd. v. The Commissioner of Patents, [1967] 1 R.C.É. 57; (1966), 51 C.P.R. 102; 33 Fox Pat. C. 153; Manitoba Society of Seniors Inc. v. Canada (Attorney-General) (1991), 77 D.L.R. (4th) 485; 70 Man. R. (2d) 141; 35 C.P.R. (3d) 66 (B.R.); conf. par Manitoba Society of Seniors Inc. v. Canada (Attorney-General) (1992), 96 D.L.R. (4th) 606; 81 Man. R. (2d) 159; 45 C.P.R. (3d) 194; 30 W.A.C. 159 (C.A.); Northern Elec. Co. Ltd. et al. v. Brown’s Theatres Ltd., [1940] R.C.É. 36; [1939] 3 D.L.R. 729; (1939), 1 C.P.R. 180; conf. par Northern Electric Co. Ltd. v. Brown’s Theatres Ltd., [1941] R.C.S. 224; [1941] 2 D.L.R. 105; (1940), 1 C.P.R. 203; 2 Fox Pat. C. 22; TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 176; 132 N.R. 161 (C.A.F.); Monsanto Company c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108; (1979), 100 D.L.R. (3d) 385; 42 C.P.R. (2d) 161; 28 N.R. 181; Monsanto Inc. c. Commissaire des brevets, [1976] 2 C.F. 476 (1976), 28 C.P.R. (2d) 118; 13 N.R. 56 (C.A.); Trubenizing Process Corporation v. John Forsyth Ltd., [1942] O.R. 271; [1942] 2 D.L.R. 539; (1941), 2 C.P.R. 89; 2 Fox Pat. C. 128 (C.A.); Eli Lilly and Co. c. Nu-Pharm Inc., [1997] 1 C.F. 3(C.A.).

DOCTRINE

Canada. Commission d’enquête sur l’industrie pharmaceutique. Le rapport de la Commission d’enquête sur l’industrie pharmaceutique. Toronto : Ministre des Approvisionnements et Services, 1985. (Commissaire : H. C. Eastman).

Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. Toronto : Carswell, 1969.

Gallini, N. T. and M. Trebilcock. « Intellectual Property Rights and Competition Policy : An Overview of the Legal and Economic Issues », April 1996. (Encore inédit)

Gouvernement du Canada, Communiqué, C.P.-10770/92-21.

Horton, J. « Pharmaceuticals, Patents and Bill C-91 : The Historical Perspective » (1993), 10 Can. Intell. Prop. Rev. 145.

Kuharchuk, T. N. « Compulsory Licensing of Medicines in Canada : Bill C-91 » (1993), 17 Law Now 1.

Marusyk, R. and M. Swain. « Price Control of Patented Medicines in Canada » (1993), 10 Can. Intell. Prop. Rev. 159.

Mathewson, F. et al. The Law and Economics of Competition Policy, Vancouver : The Fraser Institute, 1990.

Takach, G. F. Patents : A Canadian Compendium of Law and Practice. Edmonton : Juriliber, 1993.

APPEL d’une décision rendue par la Section de première instance (ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1996] A.C.F. no 206 (1re inst.) (QL)) selon laquelle le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés avait la compétence voulue pour déterminer si le prix exigé par les appelantes au Canada pour le médicament « Virazole » était excessif. Appel rejeté.

AVOCATS :

Alfred S. Schorr et Joseph I. Etigson pour les appelantes (requérantes).

Donald B. Houston et Michael Meredith pour les intimés (intimés).

Gordon K. Cameron pour l’intervenant (intimé).

PROCUREURS :

Alfred S. Schorr, Markham (Ontario) et Hughes, Etigson, Thornhill (Ontario), pour les appelantes (requérantes).

Stikeman, Elliott, Toronto, pour les intimés (intimés).

Blake, Cassels & Graydon, Ottawa, pour l’intervenant (intervenant).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : Le présent appel est le premier en son genre et ne sera vraisemblablement pas le dernier. Il a pour objet un jugement de la Section de première instance [[1996] A.C.F. no 206 (QL)] rejetant une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision rendue par le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) en date du 30 novembre 1995. Essentiellement, la question en litige est de savoir si le Conseil a la compétence voulue pour déterminer si le prix exigé par les appelantes (ICN), pour le médicament « Virazole », est excessif. La réponse à cette question dépend dans une large mesure de la juste interprétation des paragraphes 83(1) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7] et 79(2) [édicté, idem] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée (la Loi), dont voici le libellé :

79.

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et des articles 80 à 101, une invention est liée à un médicament si elle est destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d’être utilisée à de telles fins.

83. (1) Lorsqu’il estime que le breveté vend sur un marché canadien le médicament à un prix qu’il juge être excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de baisser le prix de vente maximal du médicament dans ce marché au niveau précisé dans l’ordonnance et de façon qu’il ne puisse pas être excessif.

ICN soutient que le Conseil et le juge de première instance ont commis une erreur en concluant que le Conseil avait la compétence voulue. Aucune des parties ne conteste, toutefois, que le critère applicable en appel est celui de la décision correcte. Cette conclusion, selon moi, est compatible avec les principes dégagés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557. Il convient de faire précéder l’analyse d’un aperçu historique des mesures prises par le législateur pour que le prix des « médicaments brevetés » vendus au Canada soit raisonnable.

I           L’ÉVOLUTION LÉGISLATIVE

La protection accordée aux médicaments par l’octroi de brevets vise à récompenser l’innovation et à inciter les entreprises pharmaceutiques à consacrer davantage de ressources à la recherche et au développement de nouveaux médicaments. Cependant, cet objectif ne doit pas l’emporter sur la nécessité de faire en sorte que les Canadiens puissent se procurer des médicaments brevetés à prix raisonnable. Depuis le début du siècle, deux cadres législatifs ont tenté, au Canada, de réaliser un tel équilibre. Le premier a mis sur pied un système d’octroi de licences obligatoires, et le second a établi un contrôle des prix.

L’article 17 de la Loi des brevets, S.C. 1923, ch. 23 mentionne pour la première fois les médicaments et prévoit l’octroi d’une licence obligatoire pour la fabrication, l’emploi ou la vente d’un procédé breveté destiné à l’alimentation ou à la médication. Le titulaire de licence indemnise le breveté, pour la diminution consécutive de sa part de marché, en lui versant une redevance. Cependant, les dispositions en cause ne permettent pas au titulaire d’une licence obligatoire d’importer une substance brevetée. Ainsi, l’utilité d’une licence obligatoire s’est révélée restreinte, ce qu’atteste le nombre minime de demandes déposées avant 1969. Voir Le rapport de la Commission d’enquête sur l’industrie pharmaceutique, H. C. Eastman, commissaire, (Ottawa, ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1985), aux pages 1 et 2 (le rapport Eastman); et J. Horton, « Pharmaceuticals, Patents and Bill C-91 : The Historical Perspective » (1993), 10 Can. Intell. Prop. Rev. 145, à la page 146 (Horton).

En 1969, la Loi sur les brevets a été modifiée (S.C. 1968-69, ch. 49 [Loi modifiant la Loi sur les brevets, la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur les aliments et drogues]. Le législateur estimait alors que le prix des médicaments était trop élevé au Canada, du moins en comparaison avec d’autres pays (voir le rapport Eastman, à la page 2; et Horton, à la page 146). La modification la plus cruciale a été, selon certains, l’ajout du paragraphe 41(4) (devenu ultérieurement le paragraphe 39(4) dans L.R.C. (1985), disposition à laquelle il est renvoyé ci-après par souci de conformité aux motifs du juge de première instance). Ce paragraphe a fait en sorte que la licence obligatoire confère le droit d’importer des ingrédients. Les tribunaux ont accru la portée des dispositions relatives à l’octroi de licence de façon à englober les intermédiaires, lesquels sont des substances destinées et nécessaires à la synthèse et à la production de médicaments, mais ne sont pas des médicaments en eux-mêmes. Voir généralement Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.); Parke, Davis & Co. v. Fine Chemicals of Canada Ltd., [1959] R.C.S. 219; et Merck& Co. Inc. v. S & U Chemicals Ltd., Attorney General of Canada, Intervenant (1971), 65 C.P.R. 99 (C. de l’É.). En outre, suivant les modifications, une licence obligatoire ne pouvait être refusée que si le commissaire des brevets avait de « bonnes raisons » de ne pas l’accorder. Il semble que les refus aient été rares (voir Horton, à la page 147; et T. N. Kuharchuk, « Compulsory Licensing of Medicines in Canada : Bill C-91 » (1993), 17 Law Now 16, à la page 17 (Kuharchuk)). Par conséquent, le nombre de demandes de licences obligatoires a augmenté considérablement (Horton, à la page 146). La délivrance de licences obligatoires a eu pour effet de stimuler la concurrence entre les concédants et les titulaires de licences alors que, autrement, les brevetés auraient joui d’un monopole. On reconnaît généralement que le système d’octroi de licences obligatoires a entraîné la croissance de l’industrie des médicaments génériques au Canada (voir G. F. Takach, Patents : A Canadian Compendium of Law and Practice, Edmonton : Juriliber, 1993, à la page 114). La présence des sociétés de produits génériques sur le marché a favorisé la concurrence et ainsi contribué à la baisse du prix des médicaments (rapport Eastman, à la page xviii).

Dès 1987, l’État a remis en question le régime d’octroi de licences obligatoires comme moyen d’assurer le caractère raisonnable du prix des médicaments au Canada. Le législateur a estimé que ce régime avait trop empiété sur le droit des brevetés à l’exclusivité, entraînant ainsi une diminution de la recherche et du développement afférents à de nouveaux médicaments au Canada. Les sociétés de produits génériques pouvaient accéder au marché presque immédiatement et offrir un médicament moins cher et équivalent. En outre, la redevance de 4 % habituellement versée était jugée insuffisante pour indemniser le titulaire de brevet. Afin de remédier à la situation et de favoriser la recherche et le développement dans le domaine pharmaceutique, la Loi sur les brevets a été modifiée par la Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.C. 1987, ch. 41; voir R. Marusyk et M. Swain, « Price Control of Patented Medicines in Canada » (1993), 10 Can. Intell. Prop. Rev. 159, à la page 160 (Marusyk).

L’un des changements les plus pertinents découlant de ces modifications faisait en sorte que, même si une licence obligatoire pouvait être délivrée immédiatement, son utilisation par la société de produits génériques était différée de 7 à 20 ans à partir de la délivrance du brevet. Le breveté jouissait ainsi d’une importante période d’exclusivité sur le marché pendant laquelle il pouvait vendre ses médicaments à un prix suffisamment élevé pour amortir ses dépenses de recherche, de développement et de mise en marché. Une autre modification cruciale a été la mise sur pied du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés. Entre 1987 et 1993, le rôle du Conseil a été de veiller à ce que le breveté n’exige pas un prix excessif pendant la période où le titulaire de licence ne peut bénéficier des effets de celle-ci (voir Kuharchuk, à la page 18; et Marusyk, à la page 160). Le Conseil devait également recueillir auprès des sociétés pharmaceutiques des renseignements relatifs à leurs dépenses de recherche et de développement, afin de savoir dans quelle mesure l’industrie investissait au Canada (Horton, à la page 148). Avec le temps, toutefois, ces modifications se sont elles aussi révélées inadéquates.

Les dispositions les plus récentes touchant les médicaments brevetés ont été adoptées en 1993. Il s’agit de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2 et du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement). Ces modifications s’imposaient surtout en raison de la participation du Canada aux négociations relatives au GATT et à l’ALÉNA (voir Horton, aux pages 150 à 153; et Marusyk, à la page 162). Comme le Canada était le seul des principaux pays industrialisés à être doté d’un régime d’octroi de licences obligatoires, on estimait que ses dispositions régissant les brevets devaient être harmonisées avec celles des autres pays industrialisés (voir Horton, à la page 153; et Communiqué, Gouvernement du Canada, CP-10771/92-21, à la page 3).

Les modifications apportées à la Loi en 1993 et l’adoption du Règlement comportent trois volets principaux. Les deux premiers correspondent au renforcement de la position et des droits des brevetés, et le troisième, à la protection des intérêts des consommateurs canadiens.

Premièrement, le régime d’octroi de licences obligatoires a été aboli, éliminant ainsi la possibilité de contrôler les prix grâce à la concurrence sur le marché. Désormais, le breveté jouit d’une exclusivité sur le marché pendant toute la période de validité de son brevet, soit vingt ans à partir de la date de la demande (voir l’article 44 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16] de la Loi). Toutefois, les sociétés de produits génériques peuvent développer un produit avant l’expiration du brevet à la seule fin de pouvoir accéder au marché dès l’expiration du brevet en cause.

Deuxièmement, aux termes du nouveau Règlement, une procédure est établie afin d’éviter qu’un fabricant de médicaments génériques obtienne un avis de conformité à l’égard d’un médicament qui pourrait emporter la contrefaçon d’un brevet détenu par un fabricant de médicaments d’origine. À défaut d’un tel avis, un médicament ne peut être commercialisé au Canada; voir la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 (la Loi sur les aliments et drogues). En vertu de ce régime, les droits du breveté sont consolidés, mais leur portée est réduite. D’une part, les dispositions pertinentes permettent l’inscription des brevets sur une « liste de brevets », mais seulement s’ils comportent une revendication pour un médicament ou une revendication pour son utilisation (alinéa 4(2)a) du Règlement). Lorsqu’une société de produits génériques demande un avis de conformité relativement à un médicament et qu’une comparaison est établie avec un médicament inscrit sur une liste de brevets, le breveté en est informé. Ce dernier peut alors demander à la Cour de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Santé et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à la société de produits génériques. Il s’agit d’un recours extraordinaire, le breveté n’ayant pas à intenter une action en contrefaçon de brevet ni à obtenir une injonction applicable pendant la période de validité du brevet en cause. Par conséquent, si une ordonnance d’interdiction est rendue, la société de produits génériques ne peut obtenir un avis de conformité et ne peut donc commercialiser son produit avant l’expiration du brevet. Le droit du breveté à une période d’exclusivité est ainsi préservé. Cependant, comme signalé, les modifications ont également pour effet de restreindre la portée des brevets auxquels s’applique ce recours extraordinaire. Seul le brevet visant un médicament ou l’utilisation d’un médicament bénéficie de la protection. Le terme « médicament » est défini à l’article 2 du Règlement comme étant une « [s]ubstance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie », ce qui exclut notamment les intermédiaires; voir Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1995), 63 C.P.R. (3d) 245 (C.F. 1re inst.); conf. par [1996] A.C.F. no 638 (C.A.) (QL). Il ressort de ce qui précède que le Règlement vise deux objectifs opposés. L’un est d’accorder une protection complète au breveté en empêchant les fabricants de médicaments génériques de commercialiser des médicaments qui pourraient emporter la contrefaçon de ses brevets et l’autre est de limiter cette protection à une catégorie restreinte de médicaments.

Troisièmement, les modifications apportées à la Loi consolident les pouvoirs du Conseil au chapitre des redressements et des sanctions. Sans doute en est-il ainsi afin de combler le vide créé par la suppression du régime d’octroi de licences obligatoires. Le Conseil est désormais habilité, notamment, à infliger des amendes ou des réductions de prix lorsque le prix d’un médicament est excessif, à mieux contrôler le prix de lancement d’un nouveau médicament breveté et à infliger une amende ou une peine d’emprisonnement advenant le non-respect de l’une de ses ordonnances, lesquelles sont exécutoires comme s’il s’agissait d’ordonnances de la Cour fédérale. Pour résumer, les modifications visent à permettre au Conseil d’infléchir l’établissement du prix des médicaments brevetés à l’instar de la concurrence que favorisait l’octroi de licences obligatoires (Communiqué, Gouvernement du Canada, CP-10771/92-21, à la page 1).

II          LES FAITS

Le Virazole est la marque d’un médicament vendu au Canada par ICN. Il se compose d’un seul ingrédient, la « ribavirine », qui en est le principe actif. Le Virazole est utilisé dans le traitement des nouveaux-nés et des nourrissons dangereusement malades et des jeunes enfants qui souffrent d’une grave infection des voies respiratoires. Il n’existe aucun substitut aux fins de cette utilisation particulière. Le Virazole est offert en flacons de verre de 100 ml sous forme de poudre stérile lyophilisée renfermant 6 grammes de ribavirine. Il est également offert en capsules aux termes du Programme de médicaments d’urgence (le PMU). Dans le cadre de ce programme, Santé Canada peut autoriser l’utilisation et la vente d’une certaine quantité d’un médicament pour lequel aucun avis de conformité n’a été délivré en vertu de la Loi sur les aliments et drogues ou, dans le cas d’un médicament pour lequel un avis de conformité a été délivré, une utilisation qui n’y est pas autorisée.

ICN est, ou était, titulaire de trois brevets canadiens liés à la ribavirine. Le brevet canadien no 997756 (le brevet 756) décrit plusieurs procédés chimiques permettant la production de la ribavirine. Le brevet 756 a expiré le 28 septembre 1993, mais ICN continue de produire de la ribavirine à partir de l’un des procédés décrits dans ce brevet. Le procédé en cause fait toujours l’objet d’une ordonnance de non-divulgation. Le brevet canadien no 1028264 (le brevet 264) porte sur un procédé enzymatique (biochimique) permettant la production de la ribavirine. Ce brevet a expiré le 21 mars 1995. Le troisième brevet canadien, portant le no 1261265 (le brevet 265), décrit une méthode d’utilisation de la ribavirine pour le traitement de diverses maladies virales. Le brevet 265 n’expire que le 26 septembre 2006.

Le 4 août 1988, conformément au Règlement sur les médicaments brevetés, DORS/88-474, ICN a remis au Conseil un formulaire précisant que les brevets 756 et 264 étaient liés au Virazole. À ce moment, le brevet 265 n’avait pas encore été délivré. Conformément à ce règlement, ICN a ensuite produit, relativement au Virazole, des renseignements sur le prix et les ventes pour la période comprise entre le 14 novembre 1988 et le 28 septembre 1993, soit la date d’expiration du brevet 756. En février 1994, ICN a informé le Conseil qu’elle ne produirait plus de renseignements sur le prix et les ventes du médicament, comme l’exigeait le Règlement, en raison de l’expiration du brevet 756 et parce que, selon elle, le brevet 264 n’était [traduction] « pas lié au médicament Virazole commercialisé par elle au Canada ». ICN n’a alors fait aucune mention de l’existence ou de la pertinence du brevet 265.

En 1992, le Virazole était vendu au prix plancher de 365 $ le flacon. En septembre 1993, le prix a grimpé à 409 $. Un traitement exige un minimum de six flacons de ribavirine. Ainsi, dès septembre 1993, le coût d’un traitement de base était de 2 454 $. À la fin de 1994, le prix de la ribavirine a atteint 1 540 $ le flacon et, conséquemment, le coût du même traitement passait à 9 240 $.

Entre février 1994 et juin 1995, le Conseil a reçu des plaintes de la part de pharmaciens d’hôpitaux et d’autres acheteurs relativement au prix exigé par ICN pour le Virazole. En réponse à ces plaintes, et compte tenu du refus d’ICN de fournir, dorénavant, des renseignements sur le prix et les ventes du médicament, le Conseil a donné un avis d’audition daté du 15 août 1995. L’audience avait pour but de déterminer si ICN, pendant qu’elle était titulaire des brevets 756 et 264, avait vendu le Virazole sur un marché canadien à un prix qui, de l’avis du Conseil, était excessif et, le cas échéant, de déterminer quelle mesure correctrice s’imposait. Cependant, avant l’audience sur le fond, ICN a saisi le Conseil d’une requête, présentable le 27 septembre 1995, soulevant la question de sa compétence pour entendre l’affaire.

Le 26 septembre 1995, soit un jour avant l’audience prévue pour l’examen de questions préliminaires, y compris la requête d’ICN, le Conseil a appris l’existence du brevet 265, un membre de son personnel en ayant obtenu un exemplaire au Bureau des brevets. Cette découverte a eu l’effet d’une surprise pour le Conseil et son personnel. À une rencontre avec des représentants d’ICN tenue le 26 juin 1995, le personnel du Conseil avait demandé à ICN si elle était titulaire d’un autre brevet se rapportant au Virazole. La réponse avait été négative. Une fois connue l’existence du brevet 265, ICN a indiqué qu’elle n’en avait pas informé le personnel du Conseil parce que, selon elle, le brevet n’était pas lié au Virazole au sens de la Loi (motifs du Conseil, à la page 15, version anglaise).

L’audition de la requête d’ICN a donc été ajournée, et l’avis d’audition du Conseil a été modifié de façon à faire également mention du brevet 265. La requête d’ICN a été entendue en novembre 1995 et, le 30 du même mois, le Conseil a rendu sa décision et rejeté la prétention d’ICN selon laquelle le Conseil n’avait pas compétence. Dans ses motifs, le Conseil fait allusion à ce que, en ce qui concerne le brevet 265, ICN n’a pas « renoncé » à ce brevet. Par la suite, mais avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire, ICN a déposé un acte de renonciation au Bureau des brevets en liaison avec le brevet 265 et a renoncé expressément à l’utilisation pour laquelle la vente du Virazole était autorisée au Canada. Elle en a fait parvenir une copie à l’avocat du Conseil en lui demandant si, à son avis, à partir de la date de la renonciation, le Conseil serait privé de compétence. La réponse a été négative. Le Bureau des brevets a confirmé le dépôt de l’acte de renonciation le 15 décembre 1995.

En janvier 1996, ICN a demandé le contrôle judiciaire de la décision rendue par le Conseil. Aussi, elle a saisi la Section de première instance d’un avis de requête introductive d’instance en vue d’obtenir un jugement déclaratoire concernant l’effet de la renonciation. La demande de contrôle judiciaire et la requête d’ICN ont été entendues simultanément. Le 12 janvier 1996, ICN a transmis au Conseil, « sous toute réserve », de nouveaux renseignements sur les ventes et le prix du médicament. La demande de contrôle judiciaire a été entendue les trois derniers jours de janvier 1996, et le juge de première instance a rendu sa décision le 15 février suivant.

Comme le présent appel est un cas sans précédent et que les arguments d’ICN ont été épurés à chaque étape de la procédure judiciaire, il est opportun de faire état des questions soulevées devant le Conseil, puis devant le juge de première instance.

III         LES DÉCISIONS DES TRIBUNAUX D’INSTANCE INFÉRIEURE

Devant le Conseil et le juge de première instance, ICN a fait valoir que le Conseil n’avait pas compétence pour rendre une ordonnance concernant le Virazole, parce que ni le brevet 264 ni le brevet 265 n’étaient liés au Virazole au sens de la Loi. À l’appui de sa thèse, ICN a formulé deux arguments se rapportant au sens du mot « médicament » employé au paragraphe 83(1) de la Loi.

ICN a tout d’abord soutenu que le paragraphe 79(2) ne visait que les médicaments à l’égard desquels un avis de conformité avait été délivré. Comme mentionné précédemment, aux termes de la Loi sur les aliments et drogues, un avis de conformité, qui comprend une « monographie de produit », doit être délivré avant qu’un médicament puisse être vendu au Canada. La monographie de produit donne les caractéristiques essentielles du médicament, comme les composants chimiques de celui-ci, les maladies qu’il permet de traiter, la posologie, le mode d’administration au patient et les effets secondaires. Bref, ICN a prétendu que la ribavirine n’était un « médicament » aux fins des articles 79 à 100 [les articles 79 à 100 édictés par L.C. 1993, ch. 2, art. 7] de la Loi que lorsqu’il était fourni sous la forme et suivant la quantité expressément prévues dans l’avis de conformité afférent au Virazole. Dans ce contexte, elle a ajouté que les brevets 264 et 265 devaient être liés à une invention destinée à une poudre lyophilisée renfermant 6 grammes de ribavirine pure, ou à sa préparation ou susceptible d’être utilisée à de telles fins, devant être administrée de la manière indiquée dans l’avis de conformité.

Le Conseil a rejeté cet argument pour plusieurs motifs. Premièrement, le libellé du paragraphe 79(2) n’est pas aussi restrictif que le soutient ICN. La seule limitation que prévoit cette disposition est que l’invention doit être destinée à des médicaments ou à leur production, ou susceptible d’être utilisée à de telles fins. Le juge de première instance en a convenu également.

Deuxièmement, le Conseil a signalé qu’une telle interprétation serait un obstacle majeur à l’exécution de son mandat. Plus précisément, elle aurait pour effet de soustraire à son examen le prix des médicaments vendus en application du PMU. Le juge de première instance a conclu, compte tenu des faits de l’espèce, que la question relative au PMU brouillait les pistes.

Troisièmement, ICN a fait valoir qu’une invention n’était liée à un médicament au sens du paragraphe 79(2) de la Loi que si le médicament en question est une substance qui, en elle-même, a une valeur thérapeutique. Le Conseil a simplement rétorqué que le Virazole se composait exclusivement d’une substance dotée d’une valeur thérapeutique. Il a ajouté, toutefois, que dans de nombreux cas, l’invention brevetée se rapporte à un seul des principes actifs, et dans d’autres, l’invention vise uniquement le procédé d’administration du médicament au patient, ou encore, une partie du procédé de fabrication du médicament. Le Conseil a fait remarquer que, dans chacun des cas, le breveté pouvait produire un élément central d’un médicament, ou en empêcher la production mais que, suivant l’argument d’ICN, le Conseil ne pourrait prendre de mesures à l’égard de prix jugés excessifs.

À cette étape, le Conseil a conclu que, aux fins du paragraphe 79(2), le mot « médicaments », employé dans l’énoncé « destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d’être utilisée à de telles fins », désignait la ribavirine. Le juge de première instance est arrivé à la conclusion que le terme « médicaments » devait avoir le même sens qu’aux fins des anciennes dispositions relatives à l’octroi de licences obligatoires, le texte du paragraphe 79(2) étant « tiré » du paragraphe 39(4) [abrogé par L.C. 1993, ch. 2, art. 3] de l’ancienne Loi sur les brevets .

À ce tournant de leurs analyses, tant le Conseil que le juge de première instance ont examiné les arguments se rapportant aux brevets 264 et 265 respectivement. En ce qui concerne le brevet 264, ICN soutenait que le Conseil n’avait pas compétence du fait qu’elle n’utilisait pas le procédé décrit dans ce brevet pour fabriquer la ribavirine. ICN utilisait plutôt l’un des procédés indiqués dans le brevet 756, lequel avait expiré. Les affidavits de Robert Orr et de M. Cottam ont été présentés à l’appui de sa prétention selon laquelle il n’était pas possible d’utiliser le procédé décrit dans le brevet 264 pour fabriquer de la ribavirine en quantité suffisante à des fins pharmaceutiques. M. Orr a témoigné que l’approvisionnement mondial en l’une des substances chimiques nécessaires à la production de la ribavirine était insuffisant pour produire une seule dose de Virazole. Il a ajouté que, même si cette substance chimique devenait disponible en quantité suffisante, son coût serait prohibitif. Selon le M. Cottam, le procédé décrit dans le brevet 264 ne permettait la production de ribavirine qu’à des fins de recherche. En outre, cette substance chimique serait trop difficile et coûteuse à entreposer même si elle pouvait être obtenue en quantité suffisante. À partir de cette preuve, ICN a soutenu que le brevet 264 ne pouvait être considéré comme lié au Virazole au sens de la Loi.

Le Conseil et le juge de première instance ont conclu que la question de savoir si le breveté utilisait le brevet en cause n’était pas pertinente pour déterminer, sur le plan juridique, si le brevet est lié à un médicament au sens de la Loi. Faisant remarquer que le critère établi au paragraphe 79(2) est de savoir si l’invention visée par le brevet est « destinée » à des médicaments ou est « susceptible » d’être ainsi utilisée (intended or capable of being used for medecine), le Conseil a opiné que l’emploi de ces mots élargissait clairement leur portée au-delà de l’utilisation réelle. L’intimé, le personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le personnel du Conseil), n’a pas présenté d’élément de preuve pour contrer la preuve par affidavit d’ICN quant à l’efficacité du brevet 264 parce qu’il ne jugeait pas la question pertinente. Le juge de première instance a indiqué que le Conseil n’avait pas le pouvoir d’enquêter et de déterminer si un brevet était utilisé dans les faits et que l’interprétation proposée par ICN, s’il y était fait droit, pouvait permettre à un breveté de se soustraire facilement à la compétence du Conseil en déclarant qu’il n’utilise pas un brevet en particulier. Pour les mêmes motifs, le Conseil et le juge de première instance ont estimé que l’efficacité relative d’un brevet aux fins de la production de quantités commerciales d’un médicament n’était pas pertinente pour trancher la question de savoir si un brevet est lié à un médicament au sens de la Loi.

Relativement au brevet 265, ICN a fait valoir que les utilisations revendiquées dans ce brevet ne pouvaient englober l’utilisation pour laquelle l’avis de conformité autorisait la vente du Virazole au Canada. S’appuyant sur l’affidavit de M. Biedermann, ICN a prétendu que l’utilisation de la ribavirine pour le traitement des cas graves d’infection attribuable au virus respiratoire syncytial chez les nouveaux-nés et les nourrissons, comme indiqué dans le brevet 265 et décrit dans l’avis de conformité afférent au Virazole, faisait partie de l’« antériorité » relative au brevet 265, de sorte que les revendications que renferme celui-ci devaient être interprétées de façon à exclure cette utilisation. Sinon, la validité du brevet 265 pouvait être contestée sur la base de l’antériorité. En ce qui concerne ce brevet, le personnel du Conseil a produit les affidavits des MM. Corrin et Cooper. Selon cette preuve, les revendications afférentes aux utilisations de la ribavirine figurant dans le brevet 265 sont les mêmes que celles décrites dans l’avis de conformité relatif au Virazole, ou les englobent.

À cet égard, le Conseil a conclu qu’il n’était pas opportun de s’engager dans l’interprétation des revendications. Il a fait observer que son mandat légal lui imposait d’avoir de l’expérience dans l’établissement du prix de « médicaments brevetés ». À son avis, il ne lui incombait pas en outre de se livrer au genre d’analyse préconisé par ICN, et il n’avait pas non plus l’expérience et l’expertise nécessaires pour le faire. Le juge de première instance a conclu que le Conseil avait eu raison de s’en tenir à la portée manifeste du brevet et de s’abstenir d’interpréter les utilisations revendiquées pour déterminer si celles-ci correspondaient à celles décrites dans l’avis de conformité afférent au Virazole. À première vue, le brevet 265 est destiné à la préparation ou à la production d’un médicament, la ribavirine, et cette seule conclusion suffit à conférer au Conseil la compétence voulue.

À titre subsidiaire, le Conseil est arrivé à la conclusion que les utilisations de la ribavirine décrites dans l’avis de conformité afférent au Virazole ne faisaient pas partie de l’antériorité relative au brevet 265. Par conséquent, si le Conseil avait dû se prononcer sur la question, il aurait interprété les revendications du brevet 265 sans tenir compte de cette antériorité. Partant, le Conseil conclut (à la page 18) que le brevet 265 est lié au Virazole, car il décrit des utilisations de la ribavirine, le principe actif et seul ingrédient du Virazole. Après avoir signalé qu’il y avait désaccord quant aux dates de publication de la prétendue antériorité, le juge de première instance a refusé de trancher la question, vu les autres conclusions qu’il avait tirées.

La dernière question abordée par le juge de première instance, et dont le Conseil n’a pas été saisi, porte sur la validité de la renonciation produite par ICN au Bureau des brevets le 6 décembre 1995. Devant le juge de première instance, ICN a soutenu que, depuis cette date, le Conseil n’avait plus compétence pour se prononcer relativement au brevet 265, la renonciation visant les utilisations pour lesquelles la vente du Virazole est autorisée au Canada, de sorte qu’il n’y a plus de lien entre ce brevet et le médicament vendu au Canada. En réponse, le personnel du Conseil a opposé trois arguments.

Premièrement, il a soutenu que, même si la renonciation était valide, le Conseil avait toujours compétence, car les revendications du brevet 265 auxquelles ICN n’avait pas renoncé demeuraient liées à la ribavirine au sens du paragraphe 79(2) de la Loi. Le juge de première instance a fait droit à cette prétention, mais il a examiné les autres motifs avancés.

Deuxièmement, le personnel du Conseil a soutenu que la renonciation était invalide parce qu’elle n’était pas conforme au paragraphe 48(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 17] de la Loi. Cette disposition ne permet le dépôt d’une renonciation que dans le cas où le breveté a donné trop d’étendue à son mémoire descriptif « par erreur, accident ou inadvertance, et sans intention de frauder ou tromper le public ». Le personnel du Conseil a fait valoir qu’ICN avait déposé la renonciation à la seule fin de se soustraire à sa compétence, mais le juge de première instance a dit ne rien voir d’inacceptable dans ce geste, le breveté étant libre d’organiser ses affaires de façon à se soustraire à la réglementation des prix par le Conseil. Le juge de première instance a ajouté que, de toute façon, la renonciation ne changeait rien au fait que le brevet 265 [à la page 46] « demeur[ait] une invention destinée à des médicaments et … par conséquent, il continu[ait] de relever de la compétence du Conseil ».

Troisièmement, le personnel du Conseil a prétendu que, la renonciation n’ayant été déposée qu’après que le Conseil eut donné un avis d’audition et eut rejeté la requête contestant sa compétence, la renonciation ne pouvait avoir d’effet. Il s’appuyait sur le paragraphe 48(4) de la Loi qui prévoit notamment que « [d]ans toute action pendante au moment où elle est faite, aucune renonciation n’a d’effet ». Le juge de première instance a fait droit à cette prétention, mais s’est refusé à approfondir la question vu ses conclusions précédentes.

En résumé, le Conseil a conclu, en ce qui concerne les brevets 264 et 265, qu’ICN est un breveté à l’égard d’inventions liées à la « ribavirine », le médicament qui compose le « Virazole ». Par conséquent, il a estimé avoir la compétence voulue. Dans ses motifs, le juge de première instance a tiré trois conclusions principales. Premièrement, le mot « susceptible » employé au paragraphe 79(2) de la Loi doit être interprété suivant son sens ordinaire, de sorte que le brevet 264 est susceptible d’être utilisé pour la préparation ou la production de la ribavirine. Deuxièmement, le mot « médicament » employé au paragraphe 79(2) de la Loi n’englobe pas que les médicaments à l’égard desquels un avis de conformité a été délivré, de sorte que le brevet 265 est destiné à la préparation ou à la production de la ribavirine. Enfin, le Conseil est demeuré investi de sa compétence malgré la renonciation déposée le 6 décembre 1995, car l’invention décrite dans le brevet 265 demeure liée à la ribavirine au sens du paragraphe 79(2) de la Loi. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire, de même que la requête relative à la validité de la renonciation, ont été rejetées.

IV        L’ARGUMENTATION D’ICN EN APPEL

En appel, ICN a épuré ses arguments et ses allégations d’erreurs commises tant par le Conseil que par le juge de première instance et elle a mis l’accent sur les brevets 264 et 265 respectivement. Pendant l’audition, deux questions connexes ont été abordées, soit la pertinence de l’omission d’ICN de révéler l’existence du brevet 265 et la qualité pour agir de l’un des intimés, le personnel du Conseil. Bien qu’aucune de ces questions n’ait d’incidence sur l’issue du recours, elles seront examinées après l’analyse au fond des principales questions en litige aux fins de l’appel. Il convient maintenant de se pencher sur les arguments avancés par ICN.

Pour ce qui est du brevet 264, ICN soutient que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que le mot « médicament », au paragraphe 83(1) de la Loi, désigne la ribavirine, et non le Virazole. Comme les dispositions du Règlement et celles de la Loi qui touchent les médicaments brevetés ont le même cadre d’application et le même objet, de sorte qu’elles sont présumées avoir été rédigées les unes en fonction des autres, ICN prétend qu’il convient de les appliquer de façon cohérente et uniforme. Au paragraphe 83(1) de la Loi, le mot « médicament » renvoie au médicament vendu au Canada. Il s’agit du même médicament auquel le Règlement ainsi que la Loi sur les aliments et drogues et son règlement d’application [Règlement sur les aliments et drogues], C.R.C., 1978, ch. 870, et leurs modifications, s’appliquent, en sorte que la définition de « médicament » prévue dans le Règlement devrait être la même aux fins de la Loi. Ainsi, « médicament » devrait s’entendre du Virazole. (Voir l’exposé des faits et du droit de l’appelante, aux paragraphes 78 et 79.)

ICN fait aussi valoir que la compétence du Conseil d’examiner et de réglementer les prix doit se fonder sur un lien logique entre le brevet en cause et le médicament vendu au Canada. Selon elle, il incombe au Conseil d’établir qu’un brevet porte sur une invention liée à un médicament. Elle ajoute que le seul moyen valable d’établir ce lien consiste à comparer les revendications du brevet, après les avoir correctement interprétées, et le médicament Virazole. L’existence d’un tel lien n’est établie que si le comportement de la partie défenderesse dans la production et la commercialisation du médicament relève des revendications du brevet, une fois celles-ci correctement interprétées. (Voir l’exposé des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 81.)

Dans le cas du brevet 264, ICN soutient que, suivant la preuve, la méthode décrite dans le brevet 264 n’est pas « destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments » au sens du paragraphe 79(2) de la Loi, parce qu’il s’agit d’un procédé de recherche et de développement. En outre, le procédé décrit dans ce brevet n’est pas « susceptible d’être utilisé … à de telles fins », relativement au médicament Virazole vendu au Canada, parce qu’il ne permet de produire que 1/1 000 000 de dose individuelle. De l’avis d’ICN, aucun « droit exclusif » ne découle des revendications du brevet 264 qui puisse théoriquement lui permettre d’établir un prix excessif. En conséquence, elle allègue qu’il n’existe aucun lien logique entre les revendications du brevet 264, une fois celles-ci correctement interprétées, et le médicament Virazole vendu au Canada, en sorte que le Conseil ne saurait fonder sa compétence sur ce brevet.

Je signale en passant qu’ICN n’a pas repris l’argument selon lequel le titulaire du brevet doit utiliser le procédé breveté pour que le Conseil ait compétence. Selon moi, ICN a bien fait de renoncer à cet argument et ce, pour les motifs rendus par le Conseil et le juge de première instance. ICN prétend maintenant que le procédé breveté doit être « destiné » à la fabrication du médicament en cause ou être « susceptible » d’être utilisé à cette fin pour que le Conseil ait la compétence voulue. Ce n’est pas dans l’éventualité où ICN n’utiliserait pas le procédé décrit dans le brevet 264 que le Conseil perdrait toute sa compétence, mais bien s’il lui était impossible d’utiliser ce procédé pour fabriquer le Virazole. (Voir l’exposé des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 39.)

En ce qui a trait au brevet 265, l’argumentation d’ICN repose à nouveau sur le postulat que le médicament visé à l’article 83 de la Loi est le Virazole, et non la ribavirine, et que les revendications de ce brevet, une fois correctement interprétées, n’ont aucun lien logique avec le médicament Virazole qui est vendu au Canada. Voici comment, selon moi, la position défendue par ICN peut être résumée. Avant le dépôt de la renonciation, le brevet 265 renfermait une revendication afférente à l’utilisation pour laquelle le Virazole était vendu au Canada et l’est toujours. Cependant, comme cette utilisation particulière était déjà connue au moment de la demande de brevet, la revendication aurait pu être jugée invalide sur la base de l’antériorité. Le recours à la ribavirine pour le traitement des cas graves d’infection virale chez les jeunes enfants et les nourrissons aurait déjà été mentionné dans deux publications plus de deux ans avant la demande relative au brevet 265. ICN fait donc valoir que les revendications du brevet 265 doivent être interprétées de façon à exclure l’utilisation déjà connue, c’est-à-dire l’utilisation pour laquelle le Virazole est vendu au Canada. Une fois le brevet 265 ainsi interprété, il n’a aucun lien logique avec le médicament Virazole. Bref, le Virazole est utilisé pour le traitement des cas graves d’infection virale chez les nourrissons et les jeunes enfants, alors que le brevet 265, correctement interprété, n’engloberait pas cette utilisation.

Enfin, à titre subsidiaire, ICN invoque la renonciation déposée le 6 décembre 1995. Comme mentionné précédemment, cette renonciation vise l’utilisation pour laquelle la vente du Virazole est autorisée au Canada. Compte tenu du critère de l’interprétation du brevet qu’elle met de l’avant pour l’évaluation du lien requis, ICN prétend que, si la renonciation est valide, le brevet 265 ne peut plus être considéré comme lié au Virazole puisqu’il n’englobe pas l’utilisation pour laquelle le Virazole est vendu au Canada. Cet argument s’apparente assez à celui formulé à l’égard de la prétendue antériorité.

V         L’ANALYSE

L’argument d’ICN est axé sur la proposition selon laquelle il doit y avoir un lien logique entre le brevet et le médicament en cause pour que le Conseil ait compétence. Qui plus est, ICN estime que la question à trancher est celle de savoir si le « médicament » visé au paragraphe 83(1) de la Loi est la ribavirine, comme l’ont estimé le Conseil et le juge de première instance, ou le Virazole, qui est toujours en vente sur le marché canadien. D’autant que je puisse en juger, ICN est d’avis que cette question a une importance capitale, car si le médicament est réputé être la substance chimique, la ribavirine, à laquelle les brevets sont clairement liés, alors il ne serait pas nécessaire d’interpréter les revendications de chacun des brevets et de les comparer au médicament Virazole vendu au Canada en application de l’avis de conformité et de la monographie de produit délivrés en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et du Règlement sur les aliments et drogues. Par contre, si le médicament est réputé être le Virazole, ICN nous invite à conclure qu’il n’y a aucun lien logique entre ce médicament et le brevet 264, car il est impossible d’utiliser le procédé décrit dans ce brevet pour fabriquer le Virazole, de sorte que les concurrents ne sont pas exclus du marché. De même, en ce qui concerne le brevet 265, ICN fait valoir qu’il n’y a aucun lien logique entre le brevet et le médicament Virazole, parce que le brevet n’a plus pour effet de conférer un monopole quant à l’utilisation pour laquelle le Virazole est vendu au Canada. Le fondement véritable de l’argumentation d’ICN est qu’aucun des brevets n’empêche les concurrents d’accéder au marché de la vente du Virazole au Canada. Ni l’un ni l’autre des brevets ne confèrent à ICN un « droit exclusif » qui lui permet d’exercer une puissance commerciale aux fins d’établir des prix non concurrentiels ou excessifs.

Je concède à l’avocat d’ICN qu’il doit y avoir un lien logique entre un brevet et le médicament en cause pour que le Conseil ait compétence. La véritable question en litige est de savoir quel critère doit être appliqué à cet égard. Je ne suis pas d’accord avec celui prôné par ICN, qui implique une définition restrictive de « médicament » et l’obligation de se livrer à une interprétation du brevet ou des revendications. Selon moi, ce critère n’est pas conforme à celui énoncé aux paragraphes 83(1) et 79(2) de la Loi, à partir desquels je tire deux conclusions principales. Premièrement, il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’interpréter un brevet pour établir le lien requis. Deuxièmement, en raison de la grande portée des mots « est liée » et « liée » (dans la définition du terme « breveté » au paragraphe 79(1)) qui sont employés dans ces dispositions, le lien peut être le plus ténu qui soit. Compte tenu des faits de l’espèce, le lien logique entre les brevets 264 et 265 et le médicament vendu au Canada, c.-à-d. le Virazole, est la ribavirine. En conséquence, la compétence du Conseil est clairement établie. J’entreprends maintenant la tâche plus difficile de justifier les conclusions qui précèdent sur les plans juridique et logique.

Tout d’abord, trois conditions préalables doivent être remplies pour que le Conseil ait la compétence voulue. En premier lieu, le Conseil doit déterminer qu’une partie, comme ICN, est un breveté à l’égard d’une invention. En deuxième lieu, l’invention du breveté doit être liée à un médicament. Cette condition préalable comporte à son tour deux volets auxquels nous reviendrons. En troisième lieu, le breveté doit vendre le médicament sur un marché canadien. C’est ce qui ressort du paragraphe 83(1) de la Loi, dont voici à nouveau le libellé :

83. (1) Lorsqu’il estime que le breveté vend sur un marché canadien le médicament à un prix qu’il juge être excessif, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de baisser le prix de vente maximal du médicament dans ce marché au niveau précisé dans l’ordonnance et de façon qu’il ne puisse pas être excessif. [Non souligné dans le texte de loi.]

L’application de la première condition n’est pas contestée. J’en fais mention, car elle est pertinente quant à la compétence du Conseil. Il convient de signaler que, même si le paragraphe 83(1) renvoie à un brevet existant, le Conseil ne cesse pas d’avoir compétence simplement parce que le brevet expire. En pareil cas, le Conseil demeure habilité à déterminer si un prix excessif a été exigé pour le médicament avant la date d’expiration. Sa compétence demeure grâce à l’application du paragraphe 83(3) de la Loi, sous réserve du paragraphe 83(7) qui prévoit que le Conseil doit engager des procédures au cours des trois années qui suivent le moment où l’ancien breveté cesse d’avoir droit aux avantages du brevet.

Dans la présente affaire, nul ne conteste que le Conseil était habilité à surveiller les ventes et les prix d’ICN jusqu’au 28 septembre 1993, soit la date à laquelle le brevet 756 a expiré. ICN soutient que, après cette date, le Conseil n’avait plus compétence, aucun des brevets 264 et 265 n’étant lié au médicament Virazole au sens de la Loi. En supposant que cet argument soit rejeté, ICN affirme, à titre subsidiaire, que si la renonciation déposée relativement au brevet 265 est tenue pour valide, alors la compétence du Conseil aux fins de surveiller les ventes et les prix d’ICN afférents au Virazole a cessé d’exister le 6 décembre 1995, soit la date où la renonciation a pris effet. S’il n’est pas fait droit à cet argument subsidiaire, le Conseil conserve alors sa compétence jusqu’au 26 septembre 2006, c.-à-d. jusqu’à l’expiration du brevet 265. Telle est évidemment la position défendue par le Conseil. Par conséquent, il ne fait aucun doute qu’ICN est ou a été le breveté d’une invention. Il s’agit simplement de déterminer la date à laquelle le Conseil a perdu ou perdra sa compétence.

Aux termes du paragraphe 83(1) de la Loi auquel s’applique la définition de « breveté », la deuxième condition préalable veut que l’invention soit liée à un médicament. Cette condition comporte à son tour deux volets. Premièrement, le produit pharmaceutique final en cause, qu’il s’agisse de la ribavirine ou du Virazole, doit constituer un médicament. Deuxièmement, il doit y avoir un lien logique entre l’invention et le produit pharmaceutique final, c’est-à-dire entre l’invention et le médicament vendu au Canada. Il est opportun, à ce stade, de mettre l’accent sur le premier volet. Je tiens pour acquis que tout article que vend, par exemple, un pharmacien n’est pas nécessairement un médicament même s’il peut s’agir d’un produit breveté.

En ce qui concerne les dispositions de la Loi relatives aux médicaments brevetés (articles 79 à 103), le terme « médicament » demeure non défini. Il en était de même pour l’article 39 de l’ancienne Loi sur les brevets qui, jusqu’à son abrogation, autorisait la délivrance de licences obligatoires (voir l’analyse qui figure à la page 65 des présents motifs). Il ressort de la jurisprudence afférente à l’article 39 que le mot « médicament » ne devait pas être interprété de façon technique, mais de façon extensive, suivant son sens ordinaire; voir de façon générale H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions , 4e éd., Toronto, Carswell, 1969, à la page 49; Parke, Davis, précité; Novocol Chemical Mfg. Co. of Canada Ltd. v. Aktiebolaget Astra, Apotekarnes Kemiska Fabriker (1963), 41 C.P.R. 117 (Comm. des brevets); conf. dans [1964] R.C.É. 955; et Imperial Chemical Industries Ltd. v. The Commissioner of Patents, [1967] 1 R.C.É. 57.

Vu la jurisprudence antérieure, et comme les dispositions relatives à l’octroi de licences obligatoires avaient le même objet que celles afférentes au Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, il m’apparaît évident que le mot « médicament » employé au paragraphe 83(1) devrait être interprété de la même façon qu’il l’était dans le contexte de l’ancien article 39, c.-à-d. de façon extensive, et non pas restrictive comme le propose ICN. Bien que les modifications apportées à la Loi sur les brevets en 1993 et le Règlement aient été adoptés en même temps et que les deux systèmes aient une incidence sur les « médicaments », leur objet et leur application sont très différents. ICN laisse cependant entendre que la ressemblance au chapitre du libellé et de l’objet exige que le terme « médicament » soit interprété de la même façon. Un argument semblable a été formulé dans Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., précité. Dans cette affaire, il était allégué que le mot « médicament » employé à l’article 2 du Règlement devait être interprété comme au paragraphe 41(4), puis au paragraphe 39(4), de la Loi sur les brevets. Le juge Simpson de la Section de première instance, puis la Cour d’appel, ont rejeté cette prétention. Le juge Simpson dit ce qui suit à ce sujet, aux pages 249 et 250 :

Au paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets, il est question d’une « invention destinée à des médicaments » alors que l’art. 2 du Règlement vise une « [s]ubstance » « destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie ». Les fins auxquelles doivent servir l’invention et la substance sont entièrement différentes. Le paragraphe 41(4) exige que l’invention serve à des médicaments, alors que l’article 2 exige que la substance serve au traitement, etc. Bien que les mots anglais « intended or capable of being used for » soient répétés, ils figurent dans le Règlement dans un contexte tout à fait différent et y acquièrent donc un sens nouveau.

À mon avis, ce raisonnement s’applique également en l’espèce. L’interprétation du terme « médicament » et des mots « destinée à servir ou pouvant servir » employés à l’article 2 du Règlement n’est pas pertinente aux fins de leur interprétation en vertu des paragraphes 79(2) et 83(1) de la Loi. Le Règlement appartient à un régime distinct dont l’objet est différent. Par conséquent, le mot « médicament » ne peut, par exemple, viser uniquement les produits à l’égard desquels un avis de conformité a été délivré. Une interprétation aussi restrictive priverait le Conseil de toute compétence à l’égard des produits mis en marché dans le cadre du PMU et, notamment, des produits intermédiaires vendus par un breveté à un grossiste en vue de leur incorporation à un médicament composé. Le texte des paragraphes 83(1) et 79(2) n’étaye pas une telle interprétation. La question de savoir ce qu’est un médicament demeure toutefois sans réponse. À la page 35 de son huitième rapport annuel (pour l’exercice terminé le 31 décembre 1995), le Conseil définit comme suit un « médicament » :

Toute substance ou tout mélange de substances qui est appliqué ou administré in vivo pour faciliter le diagnostic, le traitement, l’atténuation ou la prévention d’une maladie, de symptômes, de troubles ou d’états physiques anormaux, ou pour modifier des fonctions organiques chez les humains ou les animaux. Cette substance ou ce mélange de substances peut avoir été produit biologiquement, chimiquement ou autrement.

Pour être plus précis, cette définition comprend les vaccins, les préparations topiques, les anesthésiques et les produits diagnostiques utilisés in vivo, quel que soit le mode d’administration … Cette définition exclut toutefois les appareils médicaux, les produits diagnostiques in vitro et les désinfectants qui ne sont pas utilisés in vivo …

Même si cette définition ne lie ni le Conseil ni la Cour, elle englobe clairement les produits que l’on considère habituellement comme des « médicaments » au sens le plus répandu, ce qui comprend la ribavirine et le Virazole. À mon avis, il ne fait aucun doute que la ribavirine ou le Virazole est un médicament au sens du paragraphe 83(1). Cette assertion se justifie facilement par le fait que cette substance est utilisée pour le traitement des cas graves d’infection respiratoire chez les nourrissons et les jeunes enfants. Ainsi donc, les deux brevets en cause sont liés à une substance ou à un produit qui est, à juste titre, considéré comme un médicament. Ce qui nous amène à examiner la question du lien logique exigé.

Nul ne saurait douter qu’il doit y avoir un lien logique entre l’invention décrite dans le brevet et le médicament vendu au Canada. Sans une telle exigence légale, le pouvoir constitutionnel du Parlement d’adopter des dispositions législatives prévoyant le contrôle des prix serait contestable. La compétence du Parlement d’adopter, afin de réglementer le prix de marchandises, des dispositions législatives qui, en l’absence d’une telle exigence, empiéteraient sur la compétence législative des provinces en matière de propriété et de droits civil, découle du pouvoir qu’a le Parlement de légiférer en matière de brevets; voir Manitoba Society of Seniors Inc. v. Canada (Attorney General) (1991), 77 D.L.R. (4th) 485 (B.R. Man.); conf. dans (1992), 96 D.L.R. (4th) 606 (C.A. Man.). La question que la Cour doit trancher est de savoir quel est le lien logique exigé et, plus particulièrement, si ce lien doit être établi en se livrant ou non à l’interprétation des brevets 264 et 265. Selon moi, la réponse dépend du sens ou de la portée du mot « liée » employé dans la définition du terme « breveté » [au paragraphe 79(1)] qui s’applique au paragraphe 83(1) de la Loi et du sens étendu qui lui est donné au paragraphe 79(2).

Si, momentanément, l’on met de côté l’argumentation juridique, il me semble se dégager deux points de vue opposés quant à l’incidence d’un brevet sur la concurrence dans le marché. L’un se fonde sur le postulat selon lequel, lorsqu’un brevet semble attribuer une exclusivité quant à une partie du marché relatif au médicament vendu au Canada, il est présumé que la seule existence du brevet confère une puissance commerciale en portant atteinte à la concurrence. Les concurrents sont dissuadés de s’amener sur le marché à cause de la perspective peu reluisante d’engager d’importantes dépenses de recherche pour finalement se heurter au brevet existant. Il en résulte que le breveté jouit d’une relative exclusivité sur le marché. Cette puissance commerciale se traduit dès lors par la capacité d’accroître les prix, peut-être de façon excessive, ce qui fonde la compétence du Conseil en matière de contrôle des prix. L’autre point de vue est compatible avec la position défendue par ICN. Il écarte la présomption susmentionnée et en propose une autre qui permet de présenter des éléments de preuve afin d’établir que le brevet ne peut raisonnablement être considéré comme conférant une puissance commerciale au breveté, en sorte qu’il n’existe aucun fondement à l’exercice de la compétence du Conseil ni aucun besoin qui justifie celui-ci; voir de façon générale F. Mathewson et al., The Law and Economics of Competition Policy, Vancouver, The Fraser Institute, 1990, aux pages 46 à 50 et N. T. Gallini et M. Trebilcock, « Intellectual Property Rights and Competition Policy : An Overview of the Legal and Economic Issues », avril 1996, encore inédit.

Quelle que soit l’issue de ce débat théorique, il m’apparaît clairement que la position défendue par ICN est incompatible avec l’intention du législateur. À mon avis, aux fins du paragraphe 83(1) de la Loi, ce n’est que l’existence d’un brevet lié qui est en cause et non l’effet possible ou réel de celui-ci sur la capacité de concurrents éventuels d’accéder à un marché ou, en fait, la capacité du titulaire de brevet d’exercer une puissance commerciale. Selon moi, les mots « une invention liée à un médicament » [soulignement ajouté] (dans la définition de « breveté »), et en particulier le terme « liée », font ressortir la volonté du législateur que le lien entre le brevet et le médicament revête un caractère général. Par exemple, il n’est pas nécessaire que le brevet serve effectivement à la production du médicament. Le paragraphe 83(1) ne saurait raisonnablement être interprété en ce sens. En outre, le Conseil a compétence à l’égard non seulement des brevets qui renferment une revendication de produit (une revendication du médicament en soi), mais également de ceux qui renferment une revendication de « procédé » et d’« utilisation ». Le droit applicable aurait pu être différent si le législateur avait employé les mots « une invention en vue d’un médicament ». L’interprétation extensive du mot « liée » se justifie en outre par le libellé du paragraphe 79(2) qui élargit la notion de brevet lié à un médicament. Voici le texte de cette disposition :

79.

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et des articles 80 à 101, une invention est liée à un médicament si elle est destinée à des médicaments ou à la préparation ou la production de médicaments, ou susceptible d’être utilisée à de telles fins.

On ne peut nier que le libellé du paragraphe 79(2) reprend celui de l’ancien paragraphe 39(4) :

39.

(4) Si, dans le cas d’un brevet portant sur une invention destinée à des médicaments ou à la préparation ou à la production de médicaments, ou susceptible d’être utilisée à de telles fins, une personne présente une demande pour obtenir une licence en vue de faire l’une ou plusieurs des choses suivantes comme le spécifie la demande :

le commissaire accorde au demandeur une licence pour faire les choses spécifiées dans la demande à l’exception de celles pour lesquelles il a, le cas échéant, de bonnes raisons de ne pas accorder une telle licence. [Non souligné dans le texte de loi.]

L’objet de la disposition précédente était de soumettre les brevetés à la concurrence par l’octroi de licences obligatoires. L’intention du législateur était de faire en sorte que le prix des médicaments soit raisonnable. Les dispositions relatives aux licences obligatoires ont cessé de s’appliquer en 1993, mais il importe de signaler qu’elles ont été remplacées par un régime de surveillance du prix des médicaments et que le texte de portée générale qui figurait dans l’ancien paragraphe 39(4) est repris au paragraphe 79(2). Sur le plan juridique, cette dernière disposition a pour effet de clarifier le paragraphe 83(1) et d’en accroître la portée, ainsi que de rendre plus souple, et non plus strict, le lien exigé entre le brevet et le médicament vendu. Comme indiqué ci-après, j’estime que la jurisprudence relative à l’ancien paragraphe 39(4) s’applique directement à l’interprétation du paragraphe 79(2), ainsi que du paragraphe 83(1).

La portée de l’ancien paragraphe 39(4) a fait l’objet de nombreux jugements. Dans Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Frank W. Horner (1983), 1 C.I.P.R. 183 (C.A.F.), le tribunal tranche que le seul objet de cette disposition est de réduire le prix des médicaments en soumettant les brevetés à la concurrence et que la réalisation de cet objet par l’octroi de licences obligatoires n’est assujettie qu’au versement, au breveté, d’une « juste rémunération » pour les recherches qui ont conduit à l’invention. Il a donc été jugé nécessaire d’interpréter la disposition de façon extensive, de façon à englober le plus grand nombre possible des éléments brevetés nécessaires au développement et à la commercialisation de médicaments. C’est dans ce contexte que les tribunaux se sont montrés disposés à reconnaître que les intermédiaires, même s’ils ne sont pas en eux-mêmes aptes à être utilisés comme médicaments à des fins thérapeutiques ou cliniques, peuvent être « destinés » à la préparation ou à la production de médicaments ou « susceptibles » d’être utilisés à de telles fins; voir Wellcome Foundation Ltd., précité, aux pages 318 à 325, appel accueilli relativement à une autre question dans (1995), 60 C.P.R. (3d) 135 (C.A.F.). Aux termes des modifications apportées à la Loi sur les brevets en 1993, le pouvoir d’examen des prix dont est investi le Conseil vise l’obtention du même résultat relativement à la même gamme d’inventions. En conséquence, l’interprétation extensive du paragraphe 39(4) à laquelle se sont livrés les tribunaux s’applique également à l’actuel paragraphe 79(2). Rien n’indique que cette disposition doive être interprétée restrictivement, comme le laisse entendre ICN. Il ne doit y avoir qu’un lien, aussi ténu soit-il, entre l’invention brevetée et le médicament vendu au Canada pour que le critère soit respecté. La raison d’ordre législatif en est simple. Exiger un lien plus étroit offrirait aux sociétés pharmaceutiques une ouverture à se soustraire à la compétence du Conseil et compromettrait le pouvoir de ce dernier de protéger les consommateurs canadiens contre l’établissement de prix excessifs.

Pour conclure, je suis d’avis que les termes généraux employés aux paragraphes 83(1) et 79(2) de la Loi traduisent clairement l’intention du législateur de faire en sorte que l’existence du lien requis puisse être prouvée sans qu’il soit nécessaire d’interpréter le brevet. À l’appui de cette thèse, mentionnons que le mandat légal du Conseil n’a pour objet que l’établissement du prix des médicaments brevetés. Les membres du Conseil n’ont ni l’expérience ni l’expertise voulues pour se livrer à l’interprétation de brevets. De plus, l’argument d’ICN ne tient pas compte du fait que l’interprétation d’un brevet ou d’une revendication est une question de droit qui doit être tranchée par la Cour. Il ne serait tout simplement pas réaliste de s’attendre à ce que le Conseil retienne les services de témoins experts afin d’évaluer la preuve offerte par des parties comme ICN, puis évalue lui-même la preuve d’expert divergente. Comme il incombe au Conseil de mener à bien la poursuite (par l’entremise de son personnel) et de rendre une décision dans chacun des cas, par opposition à un rôle neutre d’arbitre vis-à-vis de la preuve présentée par les deux parties en présence, le critère du lien logique proposé par ICN (fondé sur l’interprétation des brevets) est irréaliste. L’argument d’ICN comporte une autre lacune importante.

À mon avis, ICN omet de faire une distinction entre la tâche qui consiste à interpréter les revendications d’un brevet afin de déterminer si les activités d’une partie défenderesse emportent la contrefaçon des revendications du brevet et celle qui consiste à se prononcer sur la validité d’un brevet. Il s’agit de deux démarches tout à fait différentes. En effet, ICN conteste la validité du brevet 264 pour le motif de l’inutilité et celle du brevet 265, sur la base de l’antériorité. À strictement parler, il est superflu d’examiner les arguments d’ICN qui se fondent sur l’interprétation du brevet ou des revendications. Je le fais non seulement pour montrer que ses arguments comportent des lacunes fondamentales, mais également pour établir que le législateur a choisi le mot « liée » avec soin, dans le but d’éviter le genre d’analyse dans lequel je suis sur le point de m’engager. Bref, il est à espérer que cette analyse fera ressortir la validité du critère du « lien le plus ténu » mentionné précédemment. J’examinerai successivement chacun des brevets.

De prime abord, le brevet 264 n’indique pas qu’il est destiné à servir uniquement de procédé de recherche et de développement ou qu’il est seulement susceptible de permettre la production d’infimes quantités de ribavirine. Il suffit de lire les affidavits de MM. Orr et Cottam pour constater que l’objet de cette preuve était d’établir que le brevet 264 ne pouvait être utilisé pour fabriquer des quantités commerciales de ribavirine. Plus particulièrement, les conclusions selon lesquelles l’approvisionnement mondial en l’une des substances chimiques nécessaires à la production de la ribavirine est insuffisant pour fabriquer ne serait-ce qu’une seule dose de Virazole, le coût de cette substance rare est prohibitif et, de toute manière, son entreposage est trop difficile et coûteux, ne reposent pas sur l’interprétation correcte des revendications du brevet 264. Il s’agit de conclusions qui, entre les mains de concurrents d’ICN, pourraient être invoquées, en droit, afin que le brevet soit déclaré invalide parce qu’inutile; voir généralement Northern Elec. Co. Ltd. et al. v. Brown’s Theatres Ltd., [1940] R.C.É. 36; conf. dans [1941] R.C.S. 224; TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 176 (C.A.F.); Monsanto Company c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108. À mon avis, le personnel du Conseil a eu raison de s’abstenir de produire des affidavits pour réfuter ceux des témoins d’ICN. De prime abord, le brevet 264 décrit un procédé enzymatique qui est « destiné » à la production de ribavirine. Suivant le paragraphe 79(2), il n’est pas nécessaire qu’un brevet soit « apte » à être utilisé pour la production de cette substance chimique, pourvu qu’il s’agisse du résultat recherché.

En ce qui concerne le brevet 265, ICN prétend que les revendications de ce brevet doivent être interprétées restrictivement de façon à exclure l’utilisation de la ribavirine dans le traitement des cas graves d’infection respiratoire chez les nouveaux-nés, à défaut de quoi ce brevet serait réputé invalide. Si le brevet était ainsi interprété, la position d’ICN serait alors qu’il n’existe aucun lien logique entre ce brevet et l’utilisation de la ribavirine décrite dans l’avis de conformité relatif au Virazole. À mon avis, cet argument n’est pas plus valable que celui avancé relativement au brevet 264. À nouveau, ICN ne tient pas compte du fait que l’interprétation des revendications d’un brevet ne peut être confondue avec l’appréciation de sa validité. Par-dessus tout, on ne peut interpréter une revendication en tenant compte de la possibilité que celle-ci (ou le brevet) puisse être réputée invalide si une interprétation en particulier n’est pas privilégiée. Il est bien établi que la revendication d’un brevet ne peut être reformulée par la Cour pour en garantir la validité. Plus récemment, dans l’arrêt Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751 (C.A.), aux pages 773 et 774, la Cour a dit ce qui suit :

L’appelant prétend qu’en interprétant la revendication 1 par référence à l’antériorité et à la notion d’évidence, le juge de première instance a confondu la tâche consistant à déterminer la validité d’un brevet avec celle de l’interprétation des revendications. Nous sommes d’accord. Qu’une revendication soit ou non invalide pour cause d’évidence ou d’absence de nouveauté est sans pertinence en ce qui a trait à son interprétation. L’interprétation des revendications doit précéder en toute indépendance l’étape où il faudra déterminer si la défense de l’invalidité est fondée. Ainsi qu’il a été dit dans la décision American Cyanamid Co. c. Berk Pharmaceuticals Ltd. :

L’étude des revendications doit se faire sans référence aux conséquences que le fait d’attribuer une signification particulière pourrait avoir sur une question de contrefaçon, sans référence au résultat dans la mesure où la validité du brevet est attaquée. [Non souligné dans l’original. Notes en bas de page omises.]

Cette analyse ne s’applique pas directement à l’argument d’ICN selon lequel le mot « médicament », au paragraphe 83(1) de la Loi, renvoie au Virazole, et non à la ribavirine. Selon moi, cet argument ne fait que brouiller les pistes. De toute évidence, le médicament vendu au Canada est le Virazole. Il ne fait aucun doute que Virazole est l’appellation par laquelle les pharmaciens d’hôpitaux désignaient le médicament au moment où le Conseil a été saisi de leurs plaintes. Tout au long de ses motifs, le Conseil se penche sur la question de savoir si les brevets sont liés ou non au Virazole, de sorte qu’il suppose que le médicament en cause est le Virazole. Il est normal qu’il en soit ainsi, car Virazole est simplement l’appellation commerciale d’une formule chimique qui, elle-même, devait être appelée ribavirine (voir l’analyse ci-dessous). Or, la véritable question à trancher est celle de savoir s’il est déterminant que le médicament soit décrit comme la ribavirine et non comme le Virazole. Selon moi, la réponse à cette question est assurément non. Une fois établi qu’il ne convient pas d’interpréter le brevet pour établir l’existence du lien requis, cet argument est sans objet. Les brevets sont destinés à la production et à l’utilisation de la ribavirine. La ribavirine est manifestement destinée à des médicaments ou susceptible d’être utilisée dans les faits comme médicament, que le produit final soit appelé ribavirine ou désigné par son appellation commerciale, Virazole. Quoi qu’il en soit, il se trouve que, en l’espèce, il n’y a aucune différence formelle entre le Virazole et la ribavirine. Il s’agit dans les deux cas de la même substance.

Tous les arguments d’ICN ayant été rejetés, sauf en ce qui a trait à l’effet juridique de la renonciation, il demeure nécessaire d’établir l’existence du lien requis entre les brevets 264 et 265 et le médicament vendu au Canada. Je reconnais qu’il s’agit d’un exercice quelque peu doctoral, du moins du point de vue du Conseil, mais c’est ce qu’exige la loi.

Le brevet 756, qui a expiré le 28 septembre 1993, décrit plusieurs procédés chimiques permettant de produire une substance dont la formule chimique est 1-8-D-ribofuranosyl-1,2,4-triazole-3-carboxamide. Il indique également que cette formule correspond au nucléoside privilégié de l’invention en cause. Le brevet 264 décrit une méthode permettant la synthèse enzymatique de la même formule et renvoie explicitement au brevet 756. Cependant, ni l’un ni l’autre des brevets n’emploient le mot « ribavirine ». Toutefois, le brevet 265 fait état de plusieurs utilisations de la même formule chimique, qu’il appelle « ribavirine (appellation non exclusive adoptée par le United States Adopted Names Council) » (voir le dossier d’appel, vol. 1, à la page 81). Examinons maintenant l’avis de conformité et la monographie de produit. Les deux mentionnent le Virazole comme la marque déposée pour la ribavirine. De toute évidence, il n’est pas difficile d’établir un lien entre les deux brevets et le médicament vendu au Canada. À toutes fins utiles, la formule chimique décrite dans les brevets et les noms ribavirine et Virazole sont synonymes et interchangeables. Partant, les trois conditions préalables mentionnées précédemment sont remplies : ICN est le breveté à l’égard des deux inventions, ces inventions sont liées à un médicament et ICN vend ce médicament au Canada.

Le dernier argument avancé par ICN porte sur la validité et l’effet de la renonciation produite le 6 décembre 1995. Je dois avouer que j’ai de sérieuses réserves quant à savoir si le juge de première instance aurait dû entendre la requête d’ICN (demande de contrôle judiciaire) se rapportant à cette question. Avec égards, il aurait été préférable qu’ICN demande au Conseil de rendre une décision formelle, plutôt que d’accepter l’avis de l’avocat du Conseil. Bien que la Cour n’ait pas à faire preuve de retenue judiciaire vis-à-vis des décisions du Conseil relatives à sa compétence, il ne s’ensuit pas que son avis ne mérite aucune considération. La décision d’un tribunal peut faire l’objet de retenue judiciaire, non seulement parce que la Cour suprême l’a dit, mais également parce qu’elle le mérite. En outre, suivant l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4], un jugement déclaratoire ne peut être rendu contre un office fédéral que dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Aux termes de l’article 18.1 [édicté, idem, art. 5], une demande de contrôle judiciaire peut viser une décision, une ordonnance, un acte ou une omission d’un tel office. Comme signalé, aucune décision ou ordonnance n’a été rendue concernant la validité et l’effet de la renonciation avant que le juge de première instance ne se penche sur la question. Il n’y a pas eu non plus d’ »omission » de la part du Conseil, puisque celui-ci n’a pas été appelé à rendre une décision au sujet de la validité ou de l’effet de la renonciation. Néanmoins, le juge de première instance n’ayant pas partagé mes préoccupations, je m’estime tenu d’examiner la question soulevée par les parties. Dans les circonstances, je tiens pour acquis que les arguments avancés par l’avocat du personnel du Conseil traduisent bien la position qu’aurait adoptée le Conseil si on lui avait demandé de rendre une décision à ce sujet.

Deux éléments fondent la position du personnel du Conseil selon laquelle la renonciation ne prive pas le Conseil de sa compétence pour déterminer si ICN a établi des prix excessifs à l’égard de son médicament Virazole. Premièrement, la renonciation serait invalide parce qu’elle contrevient au paragraphe 48(1) de la Loi et, même si elle était valide, elle ne pourrait avoir aucun effet sur la compétence du Conseil en raison du paragraphe 48(4). À titre subsidiaire, le personnel du Conseil soutient que, même si les dispositions susmentionnées étaient inapplicables et que la renonciation était valide et avait pour effet de restreindre la portée de l’invention visée par le brevet 265, les autres revendications du brevet demeureraient liées à la ribavirine au sens de la Loi. Voici le texte des paragraphes 48(1) et (4) :

48. (1) Le breveté peut, en acquittant la taxe réglementaire, renoncer à tel des éléments qu’il ne prétend pas retenir au titre du brevet, ou d’une cession de celui-ci, si, par erreur, accident ou inadvertance, et sans intention de frauder ou tromper le public, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) il a donné trop d’étendue à son mémoire descriptif, en revendiquant plus que la chose dont lui-même, ou son mandataire, est l’inventeur;

b) il s’est représenté dans le mémoire descriptif, ou a représenté son mandataire, comme étant l’inventeur d’un élément matériel ou substantiel de l’invention brevetée, alors qu’il n’en était pas l’inventeur et qu’il n’y avait aucun droit.

(4) Dans toute action pendante au moment où elle est faite, aucune renonciation n’a d’effet, sauf à l’égard de la négligence ou du retard inexcusable à la faire.

Le paragraphe 48(1) permet le dépôt d’une renonciation lorsque, par erreur ou inadvertance, le mémoire descriptif a été rédigé de façon trop générale, pourvu que ce ne soit pas dans l’intention de frauder ou de tromper le public. Cependant, l’acceptation de la renonciation par le Bureau des brevets n’est pas déterminante quant à savoir si ces conditions sont remplies; voir, de façon générale Monsanto Company c. Commissaire des brevets, [1976] 2 C.F. 476(C.A.); et Trubenizing Process Corporation v. John Forsyth Ltd., [1942] O.R. 271 (C.A.).

Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, le personnel du Conseil a allégué qu’ICN avait été en mesure de persuader le Bureau des brevets, au moment où le brevet 265 faisait l’objet d’un examen, que les publications antérieures ne constituaient pas une antériorité et ne rendaient pas le brevet invalide pour ce motif; voir le dossier d’appel, vol. VI, aux pages 762 à 865. Évolution du dossier de la poursuite relative au brevet canadien no 1261265. Par conséquent, le personnel du Conseil a du mal à s’expliquer pourquoi ICN prétendrait que l’inclusion de la revendication d’utilisation qui est en cause est le fruit d’une erreur ou d’une inadvertance. Partant, le personnel du Conseil soutient que la seule conclusion qui puisse raisonnablement être tirée de la preuve est qu’ICN a déposé la renonciation à la seule fin de se soustraire à la compétence du Conseil. Le juge de première instance a estimé qu’il n’y avait rien d’inacceptable dans le fait qu’un breveté organise ses affaires de façon à se soustraire à la compétence du Conseil. Avec égards, cette conclusion m’apparaît embarrassante pour deux raisons.

Premièrement, l’observation du juge de première instance selon laquelle un breveté peut organiser ses affaires comme il le souhaite afin de se soustraire à la compétence du Conseil est embarrassante dans la mesure où elle peut avoir une incidence sur une question dont la Cour n’est pas saisie, soit l’effet juridique de l’abandon du brevet, par le breveté, au domaine public. Au cours des dernières années, le Conseil a assisté à un revirement de la part des fabricants canadiens de médicaments, lesquels se sont montrés désireux d’abandonner leurs brevets au domaine public, et à l’insistance dont ils ont fait preuve par la suite pour ne plus être soumis à la compétence du Conseil en ce qui concerne les ventes et les prix. Je remarque que le Conseil a adopté la position selon laquelle l’abandon d’un brevet au domaine public ne le prive pas de sa compétence aux fins de la surveillance du prix des médicaments; voir Genentech Canada Inc. (Re) (1992), 44 C.P.R. (3d) 316 (C.E.P.M.B.), à la page 327. Bien que la Cour ne soit pas saisie de la question, les propos du juge de première instance ne devraient pas être considérés comme un rejet tacite de cette conclusion. L’absence, dans la Loi, de dispositions prévoyant expressément la possibilité de l’abandon d’un brevet au domaine public constitue à tout le moins un autre élément de complication sur lequel il faudra statuer un jour.

Deuxièmement, le paragraphe 48(1) de la Loi prévoit expressément que la description du brevet à laquelle il est renoncé doit avoir été inscrite par erreur ou inadvertance. Cette condition limite clairement les circonstances dans lesquelles le breveté peut avoir recours à la renonciation. La preuve ne révèle l’existence d’aucune erreur ou inadvertance, mais aucune conclusion de fait en ce sens n’a été tirée par le Conseil ou le juge de première instance. Partant, je ne suis pas disposé à trancher la question de savoir si le paragraphe 48(1) s’applique ou non.

L’autre moyen invoqué à l’encontre de la validité de la renonciation se fonde sur le paragraphe 48(4) de la Loi, qui dit notamment que « [d]ans toute action pendante au moment où elle est faite, aucune renonciation n’a d’effet ». La portée de cette disposition a fait l’objet de décisions judiciaires. Dans Can. Celanese Ltd. v. B.V.D. Co. , [1939] 2 D.L.R. 289 (P.C.), il a été statué que les droits et les obligations des parties à une action pendante devaient être déterminés en tenant pour acquis que le dépôt d’une renonciation ne confère aucun avantage à la partie qui l’effectue.

À première vue, il m’a semblé douteux que le mot « action » employé au paragraphe 48(4) de la Loi puisse englober la procédure engagée devant le Conseil; voir Eli Lilly and Co c. Nu-Pharm Inc., [1997] 1 C.F. 3(C.A.). Après réflexion, je ne crois pas que cette disposition pourrait étayer de quelque manière la position du Conseil si j’arrivais à la conclusion contraire. L’objet du paragraphe 48(4) n’est pas de rendre une renonciation invalide. Il ne fait que confirmer qu’une renonciation ne peut avoir d’effet rétroactif à l’égard de procédures déjà engagées. Cette conclusion est compatible avec la position d’ICN, celle-ci concédant que le Conseil est demeuré compétent pour examiner le prix du Virazole au moins jusqu’au 6 décembre 1995, soit la date du dépôt de la renonciation. Par contre, ICN fait valoir que la renonciation prive le Conseil de sa compétence par la suite. À mon avis, cette position est compatible avec l’esprit du paragraphe 48(4). Ce qui m’amène au dernier argument afférent à cette question.

En supposant que la renonciation soit valide, ICN soutient que le brevet 265 n’est pas lié au Virazole, parce qu’il ne comprend plus de revendication quant à l’utilisation pour laquelle ce médicament est vendu au Canada. Le personnel du Conseil prétend pour sa part que même si la renonciation est valide, elle n’a pas pour effet de priver le Conseil de sa compétence. À première vue, les autres revendications de l’invention décrite dans le brevet 265 demeurent liées à la ribavirine au sens de la Loi. Le personnel du Conseil ajoute qu’ICN conserve le droit exclusif de vendre le Virazole au Canada pour toutes les utilisations visées par le brevet 265, sauf une. Cela établit selon lui un lien suffisant. J’en conviens. De prime abord, le brevet demeure lié au médicament vendu sous l’appellation commerciale Virazole. Contrairement à ce que prétend ICN, le simple fait que le brevet ne soit pas lié à l’utilisation pour laquelle un médicament est actuellement vendu au Canada ne permet pas de supposer que son existence n’aura pas un effet dissuasif sur les concurrents éventuels. Peu importe son incidence actuelle ou future sur la puissance commerciale, ce risque d’effet dissuasif fonde la compétence du Conseil. Comme mentionné précédemment, les termes généraux employés aux paragraphes 83(1) et 79(2) ne militent pas en faveur du critère du lien logique strict proposé par ICN.

VI        LES QUESTIONS CONNEXES

Pendant l’audition de l’appel, deux questions ont été soulevées et, même si aucune n’est déterminante quant à l’issue du recours, elles doivent néanmoins être examinées. L’une d’elles découle de l’omission d’ICN de révéler au Conseil l’existence du brevet 265. L’autre est liée à la qualité pour agir de l’intimé, le « personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés », appelé tout au long des présents motifs le « personnel du Conseil ».

Évidemment, l’omission d’ICN de révéler l’existence du brevet 265, lorsque le Conseil lui a demandé si elle détenait un autre brevet lié à la ribavirine, ne peut avoir d’incidence sur la question de compétence dont la Cour est saisie dans le cadre du présent appel. Cet élément entache plutôt la bonne foi d’ICN dans ses démarches. C’est une chose, pour un fabricant de médicaments, que de révéler l’existence d’un brevet tout en refusant de fournir des renseignements sur les ventes pour le motif que le Conseil n’a pas compétence, mais c’est une toute autre chose que de prendre une décision unilatérale quant à la pertinence d’un brevet et à son effet sur la compétence du Conseil. Quels que soient les pouvoirs du Conseil, il m’apparaît que, en agissant ainsi, une société pharmaceutique risque à tout le moins de miner sa crédibilité et celle de ses témoins devant le Conseil, sans mentionner le risque de manquer à ses obligations aux termes de la Loi et de son règlement d’application. Dans la mesure où déterminer si un prix exigé actuellement ou par le passé à l’égard d’un médicament est considéré comme une question de fait, il s’ensuit qu’une conclusion défavorable du Conseil quant à la crédibilité ne peut facilement être repoussée, que ce soit dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou d’un appel. L’industrie pharmaceutique doit, à mon avis, offrir un minimum de collaboration et faire preuve de bon sens, à défaut de quoi le Conseil ne sera pas en mesure de s’acquitter de son mandat légal. Je ne conclus pas pour autant qu’ICN n’a pas fait preuve de bonne foi. D’ordinaire, le Conseil, en sa qualité de juge des faits, est mieux placé pour tirer une telle conclusion. J’espère seulement que, à l’avenir, l’industrie pharmaceutique en tiendra dûment compte. J’aborde maintenant la deuxième question, soit celle de la qualité pour agir du personnel du Conseil.

Avec le consentement des parties, le juge de première instance a modifié l’intitulé de la cause pour y ajouter le personnel du Conseil à titre d’intimé et pour faire du Conseil un intervenant au lieu d’un intimé. En appel, la Cour s’est interrogée sur la qualité pour agir du personnel du Conseil et elle a été invitée à consulter les Règles du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (les Règles) adoptées en vertu du paragraphe 96(2) de la Loi. Cette disposition prévoit que, avec l’agrément du gouverneur en conseil, le Conseil peut établir des règles régissant le quorum, ainsi que les pratiques et procédures à suivre dans l’exercice de son activité. Suivant l’article 2 des Règles, une « partie » désigne « le personnel ou les experts nommés conformément aux paragraphes 94(1) ou (3) de la Loi ». Le paragraphe 94(1) prévoit que le personnel nécessaire à l’exercice des activités du Conseil est nommé conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33. Le paragraphe 94(3) autorise le Conseil à retenir, à titre temporaire, les services d’« experts ». Suivant les Règles, une partie s’entend également du ministre visé au paragraphe 86(2) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7; 1995, ch. 1, art. 62] et d’une personne à qui l’autorisation d’intervenir a été accordée en vertu de l’article 19 [mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 191] de la Loi. Le paragraphe 86(2) confère la qualité pour agir au ministre de l’Industrie (ou à tout autre ministre désigné par règlement) et aux ministres provinciaux de la Santé. C’est sur ces dispositions législatives que le personnel du Conseil fonde son droit d’être constitué partie intimée à la demande de contrôle judiciaire. Je ne puis faire droit à cette prétention.

En termes simples, la loi habilitante autorise le Conseil à retenir les services du personnel nécessaire. Elle ne confère pas au personnel du Conseil une qualité pour agir distincte de celle du Conseil. À l’opposé, la Loi confère expressément la qualité de partie aux ministres fédéral et provinciaux de la Santé. Il ressort des documents dont la Cour est saisie que le Conseil a, dans les faits, décidé d’agir indépendamment de son personnel, lequel a pris à sa charge la conduite des affaires, de la même façon, par exemple, que le directeur des enquêtes et recherches se pourvoit devant le Tribunal de la concurrence. Les rapports entre le Conseil et son personnel sont décrits comme suit par la majorité des membres du Conseil dans la décision Genentech, précitée, à la page 320 :

[traduction] Lorsqu’il tient une audience relativement au prix d’un médicament breveté, le personnel du Conseil agit indépendamment du Conseil. Par l’entremise de son propre avocat, le personnel du Conseil présente des éléments de preuve, analyse la preuve des autres parties et formule des observations sur des questions de procédure, de compétence, de droit et de fond pendant le déroulement de la procédure.

Il demeure néanmoins que la loi habilitante du Conseil n’est pas rédigée de façon à accorder au personnel du Conseil, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la même qualité indépendante que celle dont jouit, par exemple, le directeur des enquêtes et recherches dans le domaine de la concurrence. Je ne laisse pas entendre que les rôles distincts joués par le Conseil et par son personnel ne sont pas fondés sur le plan juridique. Non plus que le Conseil a en quelque sorte délégué ses obligations légales ou omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Je suis convaincu que le régime actuel est efficient du point de vue administratif. J’estime cependant que le personnel du Conseil ne jouit pas d’une qualité pour agir indépendante de celle du Conseil. Dans les faits, le Conseil est tenu d’agir en tant que poursuivant et en tant que juge afin de s’acquitter de son mandat légal.

VII       CONCLUSION

L’appel est rejeté avec dépens.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris.

Le juge suppléant Gray : Je souscris.

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