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ASSURANCE-EMPLOI

Canada (Procureur général) c. Roch

A-685-01, A-684-01, A-686-01, A-687-01, A-688-01, A-689-01, A-690-01, A-691-01

2003 CAF 356, juge Desjardins, J.C.A.

26-9-03

32 p.

Le présent dossier concerne sept demandes de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision, identique dans chaque dossier, rendue par un juge-arbitre--Celui-ci a rejeté les appels de la Commission d'assurance-emploi (la Commission) et a maintenu la décision du conseil arbitral, selon laquelle les sommes reçues par les défendeurs ne constituaient pas de la rénumération au sens de l'art. 35(2) du Règlement sur l'assurance-emploi (le Règlement)--Les autres demandes de contrôle judicaire sont jointes au dossier A-685-01, celui de Gaston Roch, lequel constitue le dossier maître--La Laiterie Dallaire (division de «Les aliments Parmalat Inc.»), l'employeur des défendeurs, décida en 1998 de réajuster sa production et d'abandonner la production de lait de consommation et de lait industriel--Pour ce faire, l'employeur mit en place un programme de compression de personnel-- Afin de minimiser les impacts négatifs de cette restructuration et avec l'accord du syndicat représentant les défendeurs, il obtint d'Emploi-Québec une aide-financière dans le cadre du programme dénommé «Plan d'aménagement et de réduction du temps de travail» (le plan ou le plan d'ARTT)--Par suite de leurs cessations d'emploi, les défendeurs ont reçu différentes primes, dont des paies de vacances, des crédits de congé de maladie et des indemnités de départ, d'une valeur de 24 177 $, lesquelles ont été réparties et dont la répartition n'est pas contestée--Les montant visés dans les présentes demandes de contrôle judiciaire sont ceux qui ont été versés dans le cadre du plan d'ARTT--Le défendeur, pour sa part, a reçu un montant total de 12 000 $ échelonné sur une période de 36 mois--Le 26 octobre 1998, le défendeur formulait une demande de prestations d'assurance-emploi indiquant avoir quitté son emploi le 14 octobre 1998--Une période de prestations a été établie à son profit à compter du 18 octobre 1998--Dans une seconde lettre en date du 25 mai 2000, la Commission informait le défendeur que la réception de la somme de 12 000 $ du plan d'ARTT venait modifier la répartition calculée antérieurement--Le revenu global passait de 24 177 $ à 36 177 $--En conséquence, aucune prestation ne lui serait payée du 18 octobre au 13 novembre 1999--Sa période de prestation allait être prolongée de 52 semaines et prendrait fin le 14 octobre 2000--Le défendeur contesta cette décision, alléguant que la somme de 12 000 $ n'avait pas valeur de rénumération parce que l'argent ne provenait pas de son employeur--Le 17 novembre 2000, le conseil arbitral rescindait la décision de la Commission--Le Conseil fit droit à l'appel du défendeur et conclut que la somme reçue n'avait aucune valeur de rénumération mais constituait plutôt une allocation de secours selon l'art. 35(7)c) du Règlement--La Commission interjeta appel de cette décision devant le juge- arbitre--Ce dernier rejeta la conclusion du conseil arbitral selon laquelle les primes étaient une allocation de secours--Il conclut que le montant reçu dans le cadre du plan ne constituait pas une rénumération aux termes de l'art. 35(2) du Règlement parce que le bénéfice reçu n'avait aucune relation avec le travail présent ou passé des défendeurs--Tout d'abord, il s'agit de déterminer si la somme reçue par le défendeur en vertu du plan d'ARTT a valeur de rénumération au sens des art. 19 et 54s) de la Loi sur l'assurance-emploi et de l'art. 35 du Règlement--L'art. 19 de la Loi prévoit que si le prestataire reçoit une rénumération alors qu'il demande des prestations, une somme doit être déduite de ces prestations--Il s'agit en l'espèce de déterminer si la somme de 12 000 $ est une rénumération au sens de l'art. 35 du Règlement--En se basant sur la jurisprudence, on retient que la rénumération au sens de la Loi et du Règlement correspond à tout ce qui est gagné par un travailleur grâce à son travail, c'est-à-dire en contrepartie de son travail--Une somme qui n'est pas en contrepartie d'un travail accompli au sens traditionnel peut être de la rénumération au sens de la Loi et du Règlement à la condition que cette somme soit assimilable à une rénumération et qu'il existe un «rapport certain» ou un «lien suffisant» entre l'emploi du prestataire et la somme reçue--En l'espèce, l'argent reçu origine d'un tiers et non de l'employeur, quoiqu'il ait été versé par l'employeur--Ce facteur n'atténue cependant pas la relation d'emploi puisque l'art. 35(1) du Règlement prévoit que l'argent peut être reçu «d'un employeur ou de toute autre personne» (définition de «revenu»)--L'employeur qui recevait cet argent d'Emploi-Québec était tenu de le verser en conformité avec le plan, c'est-à-dire, à ceux des employés qui consentaient à libérer des heures de travail au profit d'autres employés--L'argent fut reçu à titre incitatif afin d'encourager ceux qui le recevaient à renoncer à leurs heures de travail-- Même s'il n'y a pas d'équivalence spécifique entre la somme reçue et le salaire antérieur, et même si elle a été touchée alors que les défendeurs avaient déjà quitté leur emploi, la somme de 12 000 $ avait toutes les caractéristiques d'une rénumération--La rénumération comprend tout gain ou contrepartie reçue pour le travail accompli--Si, par suite des conditions variables du marché, un travailleur reçoit une somme d'argent à la condition qu'il renonce à travailler ou qu'il cède ses heures d'emploi à un autre employé, la somme qu'il reçoit a pour effet d'atténuer son manque à gagner--La somme reçue représente une compensation par suite de l'engagement à ne pas travailler--Elle permet ainsi d'adoucir la situation dans laquelle se retrouve le travailleur qui ne reçoit plus de rénumération--Cette somme devient la contrepartie d'un non-travail--Elle ne correspond pas nécessairement au même montant que le salaire, mais elle supplée à son absence--En même temps, cette somme fait partie des conditions de cessation d'emploi et possède toutes les caractéristiques d'une rénumération même si, en un sens, elle n'est pas une rénumération au sens traditionnel puisqu'il n'y a pas de travail accompli en contrepartie de la somme reçue--Rien ne s'oppose à ce que la notion de rénumération puisse s'adapter aux conditions du marché du travail s'il est établi qu'une somme reçue, même d'un tiers, est assimilable à une contrepartie pour la libération d'un poste--Le juge-arbitre avait raison d'affirmer que la somme reçue était «un bénéfice fondé sur un engagement de ne plus réintégrer un poste»--Il lui était par contre incorrect d'affirmer que ce «bénéfice n'a aucune relation avec le travail présent ou passé du bénéficiaire»--En l'espèce, le défendeur a renoncé à ses heures de travail au profit de quelqu'un d'autre--Il ne renonçait pas à un droit de réintégrer son poste--Il renonçait à son emploi--Il est vrai qu'en renonçant à ses heures de travail, le défendeur renonçait à son ancienneté, et que cette ancienneté était un droit reconnu par la convention collective laquelle est chapeautée par une législation--On ne pourrait prétendre que les sommes reçues conditionnellement à une renonciation des droits de la convention collective ne sont pas reçues «grâce» à l'emploi du défendeur--La convention collective est l'oeuvre d'une négotiation--Ainsi, lorsqu'un prestataire renonce à un avantage y figurant, on peut dire qu'il renonce à un droit qui relève de ses conditions de travail mais non à un droit que lui donne la loi--En somme, la somme versée en vertu du plan d'ARTT a valeur de rénumération puisqu'elle en a toutes les caractéristiques compte tenu des conditions variables du marché du travail--Subsidiairement, le défendeur soumet que la décision du conseil arbitral à l'effet que la somme reçue correspondait à une allocation de secours au sens du paragraphe 35(7)c) du Règlement était raisonnable et que le juge-arbitre a eu tort de la renverser--La jurisprudence de cette Cour reconnaît que pour qu'il y ait allocation de secours, trois éléments doivent être analysés; 1) la situation dans laquelle la perte a été subie, 2) le type de perte donnant lieu à l'indemnisation et 3) la nature du programme d'indemnisation (Canada (Procureur général) c. King, [1996] 2 F.C. 940 (C.A.))--Relativement au premier critère, il est vrai que, comme le plaide le défendeur, l'interruption définitive d'une partie de la production de l'entreprise pour laquelle le défendeur travaillait pouvait constituer une situation inhabituelle ou irrégulière--Or, relativement au deuxième critère, le type de perte subi par les défendeurs était essentiellement volontaire--Ceux-ci ont consenti à la réduction de leurs heures de travail et à leur congédiement--Il ne s'agissait pas d'une perte fortuite et soudaine par exemple--Mais relativement au troisième critère, le juge-arbitre a correctement déduit des termes du protocole d'entente que «l'objectif primordial du plan d'ARTT n'était pas d'indemniser une perte subie par le bénéficiaire mais plutôt d'assurer que les heures qu'il libérait serviraient à procurer de l'emploi à un autre travailleur et que le bénéficiaire ne tenterait pas de reprendre un emploi chez l'employeur»--Le juge- arbitre a écarté la décision du conseil arbitral selon laquelle la somme reçue constituait une allocation de secours--Il s'agissait d'une erreur de droit de la part du conseil arbitral de qualifer ainsi la somme reçue, et le juge-arbitre était justifié d'intervenir--Si la somme en question a valeur de rénumération, laquelle des mesures de répartition est applicable?--Compte tenu de la conclusion à laquelle en sont venus le conseil arbitral et le juge-arbitre, leurs décisions sont muettes quant à la façon dont la répartition devrait être faite--Il n'y a donc pas lieu d'y référer--Il est vrai que la somme de 12 000 $ a été remise au défendeur en trois versements échelonnés sur trois ans--Compte tenu cependant de la conclusion antérieure à l'effet qu'elle est une «rénumération payée ou payable [. . .] en raison de la cessation de son emploi», la répartition doit se faire conformément à l'art. 36(9), lequel s'applique «abstractation faite [. . .] de la période pour laquelle la rénu-mération est présentée comme étant payée ou payable»--Les demandes de contrôle judicaire devraient être accueillies avec dépens et les dossiers doivent être retournés à la Commission pour que la répartition des sommes reçues soit faite conformément à l'art. 36(9) du Règlement--Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332, art. 35 (mod. par DORS/97-31, art. 18)--Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 19, 54.

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