Fiches analytiques

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PEUPLES AUTOCHTONES

Élections

Ballantyne c. Première nation de Grand Rapids

T-679-00

juge Muldoon

22-11-00

31 p.

Requête visant à obtenir un bref de certiorari annulant la décision des conseillers intimés de suspendre le requérant de son poste de chef de la Première Nation de Grand Rapids, la décision de l'agent d'élection de tenir un référendum et les résultats du référendum, et un bref de mandamus exigeant la réintégration du chef et un jugement déclarant le requérant chef--Le requérant a été élu chef en juin 1999--Le 20 mars 2000, une pétition a été soumise à l'agent d'élection de la bande: elle renfermait le nom de 51,7 % des membres de la bande ayant le droit de voter et demandait la tenue d'un référendum en vue de destituer le requérant--Les conseillers intimés ont donné suite à la pétition et ont suspendu le requérant de ses fonctions--Le 30 mars 2000, l'agent d'élection a informé le requérant de la tenue d'un référendum en vertu des art. 910d) et 1510 de la politique électorale de la bande--Un référendum a eu lieu six jours plus tard: 157 personnes se sont prononcées en faveur de la destitution du requérant et 153 ont voté pour qu'il demeure en fonction--Questions préliminaires: 1) Le conseil d'une bande indienne constitue un office fédéral au sens de l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale (Sparvier c. Bande indienne de Cowessess), [1993] 3 C.F. 142 (1re inst.)--Par analogie, l'agent d'élection nommé par un conseil de bande conformément à la constitution de la bande constitue également un office fédéral (Parisier c. Première Nation d'Ocean Man, (1996), 108 F.T.R. 297 (C.F. 1re inst.)--Les décisions d'un agent d'élection peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire, même si l'élection a été tenue conformément aux coutumes de la bande indienne et non en conformité avec la Loi sur les Indiens--Il est possible que le nom de plusieurs signataires de la pétition ait été inscrit deux fois--Si l'on retranche les noms suspects, le nombre de signataires était insuffisant pour permettre à l'agent d'élection d'agir--Suivant le jugement Bande indienne de Sucker Creek c. Calliou (1999), 171 F.T.R. 275 (C.F. 1re inst.), la Cour a examiné la demande au fond malgré le fait que la pétition était entachée d'irrégularités--Questions en litige: 1) Interprétation de l'art. 1510--Sous la rubrique «second dépouillement», l'art. 1510 prévoit que, sur réception d'une pétition signée par au moins 51 % des personnes qui avaient le droit de voter lors du premier scrutin en vue d'obtenir la tenue d'un second scrutin, l'agent d'élection peut prendre les mesures nécessaires en vue de la tenue d'un scrutin--L'art. 1510 s'applique uniquement aux nouveaux dépouillements de scrutin--La Cour a signalé des cas dans lesquels la politique électorale n'a de sens que si l'on recourt aux intertitres--Bien que l'art. 11 de la Loi d'interprétation du Manitoba déclare que les intertitres renfermés dans le corps du texte de la loi ne font pas partie du texte de la loi, la politique électorale de la bande ne semble pas avoir été rédigée à la lumière de cette loi--Dans son ouvrage Statutory Interpretation (Concord (Ontario), Irwin Law, 1997), Ruth Sullivan souligne que les tribunaux canadiens ont adopté un seul principe général suivant lequel on considère que tous les éléments du texte de loi font partie du contexte de la loi et qu'on peut en tenir compte pour interpréter le texte--2) Allégations d'agissements répréhensibles dans la pétition--La politique électorale de la bande permet la destitution du chef lorsqu'un vote a eu lieu conformément à l'art. 910 et qu'il a été déclaré que la personne qui occupe ce poste a fait preuve d'une grave malhonnêteté--Suivant la pétition, le requérant aurait détourné des fonds de la bande et aurait menti aux membres de la bande au sujet de ce vol--a) Équité procédurale--Une décision administrative qui touche les droits, privilèges ou biens d'une personne suffit pour entraîner l'application de l'obligation d'équité--Application des facteurs énumérés dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au motif qu'ils sont utiles pour déterminer le contenu de l'obligation d'agir avec équité--(i) Nature de la décision recherchée et processus suivi pour y parvenir--L'agent d'élection n'est pas tenu de consulter autrui avant de prendre une décision et il est tenu d'agir dans les limites de la politique--En décidant d'accepter la pétition et d'ordonner la tenue d'un référendum, l'agent d'élection agissait en une qualité analogue à celle d'un officier de justice et il a appliqué une série de faits à la politique électorale, ce qui justifie une plus grande protection procédurale en faveur du requérant--(ii) Nature du régime législatif--Comme la politique ne prévoit en l'espèce aucun droit d'appel des décisions de l'agent d'élection, une plus grande protection procédurale devrait être accordée au requérant--(iii) Importance de la décision pour la personne visée--Une norme de justice élevée est exigée lorsque le droit de conserver son emploi ou de continuer à occuper une charge élective est en jeu--Cette norme impose une obligation d'équité élevée--(iv) Le principe des attentes légitimes ne s'applique pas en l'espèce parce que le requérant ne s'attendait pas à ce que l'agent d'élections suive une procédure déterminée--(v) Choix de la procédure--Comme c'est la politique électorale qui impose la procédure à suivre, l'agent d'élections ne disposait pas d'une marge de manoeuvre au sujet du choix de la procédure à suivre--Degré élevé d'équité procédurale exigé--Conclusion: le décideur était assujetti à une obligation d'agir avec équité envers le requérant--b) Contenu de l'obligation d'agir avec équité--Les exigences fondamentales des principes de justice naturelle comprennent l'impartialité du tribunal, la nécessité d'un avis et la possibilité de faire valoir son point de vue--(i) Le requérant a reçu trois lettres: la première était censée le suspendre de son poste avec traitement et les deux lettres suivantes provenaient de l'agent d'élection et l'informaient de la tenue prochaine d'un référendum--Les lettres ont été reçues après coup--Le requérant n'a pas reçu de préavis--(ii) Le requérant n'a pas eu la possibilité de faire valoir son point de vue--(iii) Application du critère de la crainte raisonnable de partialité énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369: à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique--Le défaut presque complet de lui accorder la possibilité de répondre aux allégations contenues dans la pétition constitue une lacune importante, parce que la pétition était incendiaire, voire même diffamatoire--La pétition n'avait recueilli l'appui que de 0,7 % d'électeurs de plus que le pourcentage minimal requis pour pouvoir tenir un référendum--On a fait circuler la pétition pendant sept mois avant de la soumettre à l'agent d'élection--Le référendum a eu lieu une semaine plus tard --Il est injuste de s'attendre à ce que le requérant monte une campagne raisonnable pour rebâtir sa réputation en une semaine alors que ces détracteurs ont eu plus de six mois pour la détruire--L'agent d'élection était manifestement d'avis que le requérant était malhonnête--Une personne raisonnable n'ayant pas d'idées préconçues aurait perçu que l'agent d'élection avait un parti pris contre le requérant--Ce parti pris a pu influencer sa décision d'accepter la pétition et de tenir le vote avec autant d'empressement--3) Étendue des pouvoirs de l'agent d'élection--Examen des facteurs régissant la norme de contrôle applicable énoncés dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982--La politique électorale ne renferme pas de clause privative, l'agent d'élection est désigné au cours d'une assemblée publique et ne possède pas d'expertise particulière, la politique électorale ne s'inspire pas de l'application de principes juridiques non limitatifs et la décision de l'agent d'élection implique une interprétation de la politique électorale qui s'apparente à une décision sur une question de droit--Les décisions de l'agent d'élection justifient seulement un degré peu élevé de retenue et la norme de contrôle appropriée est celle du bien-fondé de la décision--L'agent d'élection a eu tort d'accepter une pétition qu'il savait entachée d'irrégularités--Le fait que la politique électorale ne prévoit aucun motif permettant de rejeter une pétition ne l'excusait pas de refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'une manière juste et raisonnable pour rejeter une pétition qu'il savait entachée d'irrégularités --4) La Cour souscrit au jugement Sparvier dans lequel la Cour a déclaré que les membres des bandes indiennes sont des personnes qui ont droit à ce que les tribunaux suivent une procédure équitable dans les instances qui les concernent--Ils ont droit à l'égalité au même titre que tous les autres êtres humains du Canada en ce qui concerne leurs droits civils et constitutionnels--Distinction faite avec le jugement Crow c. Bande indienne de Blood (1996), 107 F.T.R. 270 (C.F. 1re inst.)--Le requérant n'a pas accepté les résultats du référendum--Il n'y a pas eu de large consensus en faveur de la destitution du requérant--Examen de décisions illustrant les réparations que la Cour peut accorder dans des affaires portant sur la contestation d'élections au sein de bandes indiennes--Il ressort de la jurisprudence que la Cour peut élaborer une réparation adaptée aux circonstances de l'espèce--La pétition est annulée au motif qu'elle n'est pas conforme à la politique électorale et que l'équité procédurale à laquelle le requérant avait droit n'a pas été respectée--Annulation de la décision par laquelle le conseil a destitué le requérant de son poste de chef au motif que cette décision reposait sur une pétition entachée d'irrégularités--Annulation des résultats du référendum qui a par la suite eu lieu au motif qu'il reposait sur une pétition entachée d'irrégularités--Annulation de la décision par laquelle l'agent d'élection a déclaré le requérant inéligible lors de tout scrutin ultérieur--Le requérant est déclaré chef de la bande--Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1)--Loi d'interprétation, C.P.L.M., ch. 1-80, art. 11--Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

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