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PRATIQUE

Outrage au tribunal

Merck & Co. c. Apotex Inc.

A-226-00, A-410-01

2003 CAF 234, juge Sexton, J.C.A.

26-5-03

55 p.

Il s'agit d'un appel et d'un appel incident à l'encontre du jugement du juge MacKay dans Merck & Co. c. Apotex Inc. (2000), 5 C.P.R. (4th) 1 (C.F. 1re inst.), qui a statué qu'Apotex Inc. et Bernard Sherman, pdg d'Apotex Inc., (défendeurs) avaient tous deux commis un outrage au tribunal, et à l'encontre du jugement supplémentaire imposant des amendes pour outrage au tribunal--Merck & Co., Inc. (Merck) a allégué la contrefaçon et le juge MacKay a déposé, le 14 décembre 1994, les motifs d'un jugement aux termes duquel il concluait à la contrefaçon et concluait que Merck avait droit à une injonction permanente interdisant toute contrefaçon ultérieure de la part d'Apotex--Le juge MacKay demandait également aux avocats des parties de présenter à l'examen de la Cour un projet de jugement--En décembre 1994, avant même que les avocats aient commencé à discuter des termes du jugement, Apotex vendait pour 9 millions de dollars du médicament--La question est de savoir si les actes d'Apotex constituent un outrage au tribunal --M. Sherman a témoigné qu'il avait donné instruction au vice-président exécutif d'Apotex d'«interrompre les ventes»-- Selon M. Sherman, «interrompre les ventes» signifiait geler les stocks à l'ordinateur, en pareil cas, on ne produit pas de factures pour les commandes des clients--Cependant, le traitement des factures déjà produites se poursuit, ce qui signifie que le produit continuait d'être encore collecté, emballé et livré--Aucune instruction de M. Sherman n'a indiqué d'arrêter le traitement des commandes déjà reçues-- Malgré l'instruction donnée par M. Sherman d'«interrompre les ventes», les ventes d'Apotex ont continué jusque tard dans l'après-midi du 15 décembre 1994--En un seul jour, ce chiffre de ventes a dépassé la moyenne mensuelle des ventes et a été 7,5 fois plus élevé que le record antérieur des ventes quotidiennes--L'avocat des défendeurs a appelé M. Sherman et l'a informé que «la Cour avait confirmé que nous avions raison, qu'il n'y avait pas d'injonction et que nous étions libres de continuer à vendre le produit»--Il est clair qu'on n'a pas demandé au juge MacKay si les défendeurs étaient «libres de vendre le produit» et que le juge ne s'est pas prononcé sur cette question--Les ventes d'apo-enalapril ont alors repris sur instruction de M. Sherman--Le juge MacKay a donné d'autres directives, faisant spécifiquement mention de l'arrêt Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. et al. c. Cutter (Canada) Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388, dans lequel la Cour suprême du Canada a décidé «qu'une partie à une action ayant été avisée, dans les motifs du jugement, que la Cour a décidé de délivrer une injonction en vue de faire cesser des activités jugées contraires aux droits de brevet peut être déclarée coupable d'outrage au tribunal si elle poursuit les activités qui seront visées par l'injonction quand la minute de l'ordonnance de la Cour aura été signée et déposée»--En conséquence, sur les instructions de M. Sherman, les défendeurs ont de nouveau gelé leurs stocks--Toutefois, les factures déjà produites ont continué d'être traitées et les expéditions ou livraisons d'apo-enalapril se sont poursuivies longtemps après le 16 décembre --Le juge MacKay a rejeté le 9 janvier 1995 la requête d'Apotex de sursis à l'exécution du jugement; par conséquent, l'injonction avait pleinement effet à la fermeture des bureaux le 9 janvier 1995--Le 19 avril 1995, la Cour d'appel fédérale a rendu son jugement dans l'appel d'Apotex à l'encontre du jugement du juge MacKay en première instance--La Cour a accueilli l'appel en partie, indiquant que «[l]a majeure partie du maléate d'énalapril acquis par l'appelante lui a été expédiée par le fournisseur avant l'octroi du brevet» et, par conséquent, qu'elle ne constituait pas de la contrefaçon--Le juge de première instance a conclu qu'Apotex, par l'entremise de ses dirigeants, et M. Sherman à titre personnel, avaient tous deux commis un outrage au tribunal en poursuivant les ventes d'apo-enalapril en décembre après que M. Sherman eut lu les motifs du jugement daté du 14 décembre 1994--Le juge MacKay a infligé une amende de 250 000 $ à Apotex et une amende de 4 500 $ à M. Sherman à titre personnel--Il a décidé que Merck avait droit aux dépens sous la forme d'une somme globale fixe de 1 500 000 $--L'appel soulève cinq questions--1) La question de savoir si le juge MacKay a commis une erreur en appliquant le critère de l'outrage au tribunal--La question devrait être de savoir si l'ordonnance ou les motifs du jugement étaient clairs; dans l'affirmative, l'intention de commettre l'acte suffit--Il était manifeste dans les motifs du juge MacKay qu'Apotex avait contrefait le brevet de Merck par la fabrication et la vente de l'apo-enalapril et que toute injonction, pour avoir son effet, devrait interdire la fabrication et la vente de manière à empêcher toute contrefaçon ultérieure--En l'espèce, les défendeurs connaissaient les motifs du jugement du juge MacKay et ils ont commis des actes qui contrevenaient à ces motifs-- L'absence d'intention d'entraver la bonne administration de la justice ou de commettre un outrage au tribunal n'est pertinente qu'à l'égard de la question de la peine et elle peut être un facteur atténuant dans la détermination de la peine-- La jurisprudence établit qu'il n'est pas nécessaire de prouver que l'auteur allégué de l'outrage au tribunal avait l'intention, en commettant son acte, d'entraver la bonne administration de la justice ou de porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour--Ce degré d'intention est trop exigeant pour les affaires d'outrage au tribunal de nature civile--Il suffit plutôt que les motifs de la Cour aient été clairs et que l'auteur de l'outrage au tribunal ait commis l'acte interdit en connaissance de cause --L'intention de contrecarrer le processus judiciaire n'est pas exigée pour établir l'outrage au tribunal, mais n'entre en compte que pour l'atténuation de la peine--Les actes d'Apotex répondent au critère approprié pour conclure à l'outrage au tribunal--Le critère applicable comporte les deux questions suivantes: (i) l'auteur allégué de l'outrage au tribunal était-il au courant des interdictions figurant dans les motifs du jugement?; (ii) Apotex a-t-elle commis un acte qui constituait une violation d'une interdiction énoncée dans les motifs?--Les motifs du juge MacKay étaient clairs et sans ambiguïté et Apotex les avait lus, commettant l'acte interdit en connaissance de cause--Par conséquent, le juge MacKay n'a pas commis une erreur en appliquant le critère de l'outrage au tribunal--2) La question de savoir si le juge MacKay a commis une erreur en concluant qu'Apotex avait commis un outrage au tribunal en «aidant» ses clients tiers à transférer l'apo-enalapril--L'aide accordée par Apotex à ces tiers, financière ou d'autre nature, ne constitue pas un outrage au tribunal--Si les ventes effectuées par des tiers n'étaient pas interdites, il n'y a sûrement rien de mal à fournir de l'aide à des opérations licites--Par conséquent, le juge des faits a commis une erreur en concluant qu'en aidant des tiers à vendre et à distribuer le produit visé, Apotex avait entravé la bonne administration de la justice--L'ordonnance du 9 janvier 1995 autorisait expressément ces ventes et ces opérations de distribution--Le simple fait de fournir de l'aide ne rend pas Apotex coupable d'outrage au tribunal--3) La question de savoir si le juge MacKay a commis une erreur en ne jugeant pas Merck coupable de conduite blâmable de la poursuite au cours de la procédure d'outrage au tribunal, ce qui aurait entraîné la suspension de la procédure d'outrage au tribunal--Il n'y a aucune raison d'infirmer les conclusions du juge MacKay sur la question--Le rejet ou le sursis motivé par un abus de la procédure est une réparation extraordinaire qui exige d'établir que l'abus de la procédure a causé un préjudice réel d'une telle ampleur qu'il heurte le sens de la justice et de la décence du public--Le juge MacKay a conclu qu'aucune des plaintes des appelants ne justifiait de rejeter ou de suspendre la procédure, comme ils n'avaient pas été lésés dans leur droit de présenter une défense pleine et entière--Le juge n'a donc pas erré quant à cette question--4) La question de savoir si la Cour d'appel devrait intervenir en réduisant ou en augmentant l'amende infligée aux défendeurs--Pour fixer une peine adéquate, le juge MacKay n'aurait pas dû atténuer l'importance de la dissuasion, compte tenu de la valeur des ventes en contrefaçon en l'espèce et du fait qu'elles impliquaient une société--L'effet dissuasif est un facteur particulièrement important dans la détermination de la peine dans les cas d'outrage au tribunal--En outre, la dissuasion est un facteur qui ne doit pas être minimisé dans le domaine de la propriété intellectuelle--Si une société a commis un outrage au tribunal dans une affaire de propriété intellectuelle, la dissuasion est un facteur auquel il faut accorder une grande attention--Une société ne pouvant être condamnée à l'emprisonnement, la seule peine qui reste est une amende-- L'amende ne doit pas être si minime qu'elle revienne à une simple redevance de licence--Compte tenu de l'ensemble des considérations pertinentes, la Cour réduit l'amende infligée à Apotex, mais ne modifie pas l'amende de M. Sherman--5) La question de savoir si le juge MacKay a commis une erreur en adjugeant les dépens--Il n'était pas inapproprié pour le juge MacKay d'adjuger les dépens à l'encontre des appelantes sur une base avocat-client--Toutefois, considérant le fait que Merck n'a pas obtenu gain de cause pour la seconde période d'outrage au tribunal relative à l'aide aux ventes de tiers en janvier, l'attribution des dépens doit refléter ce demi-succès-- Les dépens sont adjugés aux intimées pour le procès et l'appel sur toutes les questions, sauf pour la seconde période d'outrage au tribunal--L'appel est être accueilli en partie par l'annulation de la condamnation pour outrage au tribunal pour la période postérieure au 9 janvier 1995, par la réduction de l'amende d'Apotex à la somme de 125 000 $--L'appel incident est rejeté sans dépens.

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