Fiches analytiques

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CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

Exclusion et renvoi

Renvoi de réfugiés

Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

IMM-8537-03

2005 CF 355, juge Blanchard

11-3-05

66 p.

Contrôle judiciaire d'une décision rendue par la représentante du ministre selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à un risque s'il était renvoyé en Syrie et, subsidiairement, selon laquelle il constitue un danger pour la sécurité du Canada et peut être renvoyé suivant l'art. 115(2)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR)--Le demandeur, un ressortissant de la Syrie, est entré au Canada en utilisant un faux passeport des Émirats arabes unis et il a présenté une demande de statut de réfugié--La SSR a accueilli la demande--Le ministre et le solliciteur général du Canada ont signé une attestation de sécurité suivant l'art. 40.1 de l'ancienne Loi sur l'immigration--Leur opinion était fondée sur un rapport sur les renseignements de sécurité (RRS)--Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) croit que le demandeur appartient à une catégorie de personnes interdites de territoire--Il croit que le demandeur commettra des actes de terrorisme et qu'il appartient au réseau d'Oussama ben Laden--Le demandeur est détenu depuis le 19 octobre 2001--La juge déléguée Tremblay-Lamer a conclu que l'attestation (maintenant appelé un certificat dans la LIPR) était raisonnable--Le demandeur a été informé que le ministre demanderait un avis établissant qu'il constitue un danger pour la sécurité, ce qui permettrait son renvoi--Lors de l'enquête, il a été conclu que le demandeur était une personne interdite de territoire parce qu'il se livrait à des activités terroristes, et l'expulsion a été ordonnée--Le demandeur a été informé qu'un représentant du ministre avait rendu une décision prévoyant son refoulement vers la Syrie--Après un contrôle judiciaire, l'affaire a été renvoyée au ministre afin qu'elle soit examinée à nouveau--La représentante du ministre a par la suite conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de torture s'il était renvoyé en Syrie et, subsidiairement, que son renvoi vers un pays où il risque la torture était justifié en raison du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada--La date de renvoi a été établie, mais la date précise n'a pas été communiquée pour des raisons de sécurité--La Cour a ordonné un sursis au renvoi jusqu'à ce que la présente demande soit tranchée--Le ministre a présenté une demande suivant l'art. 87 de la LIPR en vue d'obtenir l'interdiction de divulgation des renseignements pris en compte par la représentante--La Cour a lu l'affidavit secret lors d'une audience tenue à huis clos--La demande présentée en vue d'obtenir l'interdiction de divulgation a été accueillie--Au cours d'une deuxième audience tenue à huis clos le juge a posé des questions à l'auteur de l'affidavit secret du SCRS et a conclu que les renseignements secrets, les seuls renseignements dont disposait la représentante du ministre qui n'étaient pas inclus dans le dossier du tribunal, consistaient seulement en l'exposé narratif du RRS initial et n'incluaient pas les annexes du RRS--La Cour a reçu des observations additionnelles à l'égard de nouveaux renseignements et à l'égard de nouveaux jugements très récents rendus par la Cour d'appel fédérale, la Chambre des lords et la Cour suprême de Nouvelle-Zélande--Lorsqu'elle a rendu la décision contestée, la représentante ne disposait pas des annexes secrètes--L'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, a guidé la représentante et elle a reconnu que le dossier du pays d'origine en matière des droits de la personne et que le risque auquel le réfugié est personnellement exposé sont des éléments à prendre en compte lors de l'application du critère de Suresh--La représentante a conclu que la torture était une pratique fréquente en Syrie, mais que les éléments de preuve se rapportant au risque auquel le demandeur était personnelle-ment exposé étaient moins concluants--Elle a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque sérieux s'il était renvoyé en Syrie--Elle a en outre conclu que le demandeur constituait un danger considérable pour la sécurité du Canada--Elle a conclu que le demandeur était totalement visé par les circonstances exceptionnelles imaginées par la C.S.C. dans lesquelles le danger pour le Canada surpasse le risque pour l'individu--Les conclusions de la représentante dépendent essentiellement des faits et sa décision ne doit être annulée que si elle est manifestement déraisonnable--Un examen détaillé des motifs de la représentante est nécessaire étant donné que l'affaire dépend des faits et de la décision particulière de la représentante--À l'égard de la prétention du demandeur selon laquelle il est exposé à un plus grand risque parce qu'il a été associé à une organisation terroriste, la représentante a déclaré qu'il y avait des éléments de preuve donnant à penser que la participation de la Syrie à la guerre contre le terrorisme est illusoire et que le traitement qu'elle réservait aux personnes soupçonnées de participer au terrorisme n'est pas clair--La lettre d'Amnesty International énonçant l'opinion selon laquelle le demandeur est exposé à un risque sérieux de détention et de torture s'il est renvoyé en Syrie exprime une préoccupation à l'égard des renvois vers la Syrie depuis que les États-Unis ont expulsé le citoyen canadien Maher Arar en Syrie où il aurait subi de la torture, ce qui a entraîné une enquête publique au Canada--Le rapport sur les conditions du pays en Syrie préparé par le département d'État des États-Unis et les documents fournis par trois professeurs (dont les noms de deux sont restés secrets pour des raisons de sécurité) qui ont été mentionnés concluaient que le demandeur était exposé à un risque sérieux de torture s'il était renvoyé--Cependant, les professeurs n'étaient pas qualifiés d'experts pouvant fournir une opinion d'expert--Bien que cette preuve ait moins de valeur probante, la représentante aurait dû en traiter expressément dans ses motifs et en mentionner l'importance, le cas échéant--La représentante a en outre omis de tenir compte de la lettre d'Amnesty International quoique cette omission n'était pas suffisante en soir pour annuler la décision--L'examen du risque fait dans la lettre était appuyé par une analyse détaillée d'éléments de preuve provenant de sources indépendantes--Cette preuve était particulière aux faits et était d'une valeur probante importante dans l'éventualité où elle était jugée digne de foi-- La simple déclaration d'un décideur selon laquelle l'ensemble de la preuve a été pris en compte n'est pas toujours suffisante: Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.)--La représentante était tenue d'expliquer pourquoi elle avait rejeté la lettre présentée en preuve par Amnesty International--La Cour ne pouvait que conclure que la représentante avait omis de prendre en compte cet important élément de preuve, commettant ainsi une erreur susceptible de contrôle--La décision de la représentante était fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive--Dans l'arrêt Suresh, la C.S.C. a statué qu'un réfugié ne peut être renvoyé dans un pays où il risque la torture que s'il est démontré que la sécurité nationale est gravement menacée--La C.S.C. a déclaré que des affaires ultérieures définiraient «[l]'étendue du pouvoir discrétionnaire exceptionnel d'expulser une personne risquant la torture dans le pays de destination, pour autant que ce pouvoir existe»--Une décision requiert que soient mises en balance la possibilité réelle d'un effet préjudiciable au Canada si l'individu y demeurait et l'injustice qui pourrait être causée à l'individu s'il était expulsé--La représentante a conclu que le demandeur constitue une menace directe et exceptionnelle pour le Canada--Elle a fondé sa décision sur la conclusion selon laquelle le demandeur a des liens avec Al-Qaida, une organisation qui a publiquement identifié le Canada comme cible, et sur celle selon laquelle il n'est pas un simple partisan passif, mais il a fourni des documents de voyage qui permettraient à des agents d'Al-Qaida de se déplacer dans le monde--La Cour a fait l'étude de la preuve de danger examinée par la représentante dans ses motifs--La représentante était convaincue qu'en raison des liens du demandeur avec le réseau de ben Laden, ses activités se rapportant à des faux documents de voyage constituaient une menace directe et sérieuse à la sécurité du Canada--Le demandeur prétend que le fait qu'une personne soit interdite de territoire pour raison de sécurité n'est pas suffisant et qu'il n'y a pas en l'espèce une preuve qu'il n'avait «pas uniquement» une simple association avec le réseau de ben Laden--Le demandeur prétend que la décision de la représentante est fondée sur une hypothèse discriminatoire selon laquelle étant donné qu'il a participé, alors qu'il était adolescent, au djihad contre l'Afghanistan, il constitue maintenant un danger pour la sécurité du Canada--Il prétend que la représentante a commis une erreur de droit lorsqu'elle a omis d'examiner la preuve secrète sur laquelle était fondé le risque pour la sécurité et de pondérer cette preuve avec le risque de torture--Les motifs de la représentante mentionnaient les motifs de la juge Tremblay-Lamer dans la décision Almrei (Re) (2001), 19 Imm. L.R. (3d) 297 (C.F. 1re inst.), qui justifiaient sa conclusion selon laquelle l'attestation de sécurité était raisonnable et la représentante n'a trouvé aucun motif permettant de tirer une conclusion différente de celle selon laquelle le demandeur constitue un danger pour la sécurité au Canada--Mais la juge Tremblay-Lamer a seulement conclu que l'attestation était raisonnable--Ni le RRS ni la décision de la juge Tremblay-Lamer ne visaient principalement l'évaluation de la nature et de l'étendue du risque que constituait le demandeur pour la sécurité nationale--La décision de la juge est la preuve qu'il existait des motifs raisonnables de croire certains faits, mais non que ces faits existent effectivement--Par conséquent, la représentante ne pouvait pas s'appuyer sur le RRS, sur l'attestation de sécurité qui en a résulté et sur la décision de la juge Tremblay-Lamer pour conclure que le demandeur constitue un danger pour le Canada--Dans l'arrêt Suresh, la C.S.C. a clairement statué que l'expression «danger pour la sécurité du Canada» ne s'entend pas uniquement d'une personne visée à l'art. 19(1) de la Loi sur l'immigration-- Étant donné que la représentante ne disposait pas des annexes secrètes du RRS, sa conclusion n'est pas fondée sur une évaluation indépendante de la preuve secrète sous-jacente du rapport--La représentante ne pouvait pas évaluer correctement le niveau de menace pour la sécurité nationale que constituait le demandeur--Bien que la représentante ait effectivement eu la note de service préparée par le directeur, examen sécuritaire, elle ne pouvait pas adopter les conclusions contenues dans la note de service sans avoir vu la preuve secrète sur laquelle ces conclusions étaient fondées--Le directeur de la sécurité n'est pas un décideur--Il appert que la représentante a fondé ses conclusions à l'égard des liens du demandeur avec le réseau de ben Laden sur des renseignements dont elle ne disposait pas--Une bonne quantité des renseignements sur lesquels s'est appuyée la représentante était fondée sur des renseignements secrets qu'elle n'a pas examinés--La représentante ne pouvait pas substituer à ses opinions, les opinions du Service, les recommandations du directeur et les opinions de la juge déléguée--La décision de la représentante a été rendue sans qu'elle ait pris en compte la preuve--Elle ne pouvait pas correctement établir un équilibre entre les intérêts opposés à l'étape finale de l'analyse--La décision de la représentante est manifestement déraisonnable et elle devait être annulée--Les questions constitutionnelles soulevées par le demandeur n'ont pas été traitées en l'absence d'un dossier de preuve approprié--L'arrêt Suresh devrait servir à informer le ministre lorsqu'il met en balance le danger pour la sécurité du Canada et l'injustice possible causée à l'individu s'il est expulsé: 1) bien que la Loi sur l'immigration n'écarte pas la possibilité d'expulser une personne vers un pays où elle risque la torture, le ministre doit refuser d'expulser le réfugié lorsque la preuve révèle l'existence d'un risque sérieux de torture; 2) bien que l'étendue du pouvoir discrétionnaire exceptionnel d'expulser une personne risquant la torture dans le pays de destination ne soit pas encore définie, la C.S.C. a prévu que le résultat du processus de pondération sera rarement favorable à l'expulsion; 3) une expulsion impliquant un risque de torture peut être justifiée, soit au terme du processus de pondération requis par l'art. 7 de la Charte soit au regard de l'art. premier de celle-ci, mais seulement dans les circonstances qui résultent de conditions exceptionnelles comme les désastres naturels, le déclenchement d'hostilités et les épidémies--Le ministre doit établir l'existence de telles circonstances exceptionnelles avant d'expulser un individu vers un pays où il y a un risque de torture--Il ne fait pas de doute que la C.S.C. envisageait qu'il y ait un critère préliminaire élevé avant que le Canada puisse constitutionnellement expulser un individu vers un pays où il risque la torture--Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 80(1), 84(2), 87, 115--Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 40.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; 1992, ch. 49, art. 31)--Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 327--Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C., (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7.

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