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PÊCHES

Jose Pereira E. Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général)

T-1602-95

2005 CF 1011, juge Gibson

26-7-05

137 p.

Le 9 mars 1995, des groupes tactiques dépêchés depuis des navires canadiens arraisonnaient l'Estai, chalutier congélateur espagnol de grande pêche, à l'intérieur de la Zone de réglementation de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest (OPANO), c'est-à-dire à l'extérieur des eaux de pêche canadiennes, ou, autrement dit, en haute mer--Après sa saisie, l'Estai s'est dirigé vers St. John's (Terre-Neuve)-- Action en dommages-intérêts spéciaux, généraux, exemplaires et majorés--Le point de droit, de portée étroite, qui était soulevé était celui de savoir si le gouvernement du Canada avait le droit d'arraisonner et de saisir l'Estai dans les eaux internationales le 9 mars 1995--Les questions accessoires concernaient la conduite prétendument «téméraire» des navires canadiens engagés dans la poursuite de l'Estai, l'utilisation d'un canon à eau et d'une artillerie au cours de cette poursuite, enfin le recours à des groupes tactiques--Les art. 5.1 et 5.2 de la Loi sur la protection des pêches côtières reconnaît que les stocks chevauchants des grands bancs de Terre-Neuve sont menacés d'extinction, et elle interdit aux bateaux de pêche étrangers de la catégorie déterminée de pêcher des stocks chevauchants--L'expression «stock chevauchant» est définie comme un «stock déterminé de poisson», c'est-à-dire tout stock de poisson déterminé par un règlement du gouverneur en conseil--Les modifications apportées le 3 mars 1995 au Règlement sur la protection des pêches côtières incluaient, parmi les catégories de bateaux de pêche étrangers qui étaient des catégories déterminées, les bateaux qui arboraient les pavillons du Portugal et de l'Espagne--Les modifications devaient entrer en vigueur avant leur publication dans la Gazette du Canada--Le Règlement modificateur n'a été publié qu'à une date postérieure au 9 mars 1995--1) Les demandeurs ont fait valoir que le Règlement en cause était illégal, pour quatre motifs: il n'avait pas été pris en tant que mesure effective de conservation et de gestion pour les stocks chevauchants, mais plutôt pour défendre les intérêts économiques du Canada; les navires de l'Espagne et du Portugal n'étaient pas une catégorie de bateaux de pêche étrangers aux fins de l'art. 5.2; le Règlement était discriminatoire et donc contraire à la Charte; et il n'avait été publié dans la Gazette du Canada qu'après le 9 mars 1995--Le défendeur, agissant au nom du ministre des Pêches et des Océans ainsi que de ses employés et mandataires, avait le droit de saisir l'Estai et d'arrêter son capitaine dans les eaux internationales le 9 mars 1995--Les modifications apportées à la Loi sur la protection des pêches côtières et promulguées en mai 1994 définissaient la Zone de réglementation de l'OPANO, autorisaient la définition par règlement des «stocks chevauchants» de poisson, ainsi que des bateaux de pêche étrangers constituant une catégorie et déclaraient que l'objet du nouvel art. 5.2 était de permettre au Canada de prendre les mesures d'urgence nécessaires pour mettre un terme à la destruction de ces stocks--Le Règlement du 3 mars 1995 faisait du flétan du Groenland un stock chevauchant, il ajoutait les bateaux arborant les pavillons de l'Espagne et du Portugal comme catégorie déterminée, et il interdisait absolument la pêche du flétan du Groenland dans la Zone de réglementation de l'OPANO--Rien ne permettait de dire que l'objectif du gouverneur en conseil lorsqu'il a pris le règlement modificateur du 3 mars 1995 n'était pas la conservation et la gestion d'un stock chevauchant, à savoir le flétan du Groenland--Il n'y avait aucune raison de conclure que les bateaux de pêche de l'Espagne et du Portugal ne pouvaient pas constituer une catégorie déterminée--Aucune preuve n'a été présentée qui permette d'interpréter le pouvoir réglementaire de telle sorte qu'une «catégorie» ne devrait s'entendre que de la taille, du tonnage, de la construction, des équipements de pêche employés, des espèces convoitées et du mode de propulsion--La preuve montrait que les espèces de stocks chevauchants menacées d'extinction dans la Zone de réglementation de l'OPANO étaient mises en péril par les bateaux de pêche sans nationalité, les bateaux de pêche étrangers arborant des «pavillons de complaisance» et, si l'on s'en tenait aux circonstances particulières de cette affaire, les bateaux de pêche étrangers arborant les pavillons de l'Espagne et du Portugal--Il n'y avait aucune raison de conclure que le fait de classer les bateaux arborant les pavillons de l'Espagne et du Portugal dans une «catégorie» de bateaux aux fins de l'art. 5.2 contrevenait à l'art. 15 de la Charte--La Charte parle de la protection des droits à l'égalité contre la discrimination--Les distinctions ici en cause n'étaient pas dirigées contre des Espagnols à partir de stéréotypes et de préjugés--S'agissant de la légalité du Règlement en cause, l'art. 11(2) de la Loi sur les textes réglementaires prévoit qu'un règlement n'est pas invalide au seul motif qu'il n'a pas été publié dans la Gazette du Canada--Par ailleurs, le texte réglementaire édictant les modifications du 3 mars 1995 apportées au Règlement prévoyait expressément que ces modifications entreraient en vigueur avant leur publication dans la Gazette du Canada--Le pouvoir d'ajouter cette disposition n'a pas été contesté--Finalement, un avis préalable avait été signifié à l'Union européenne de l'intention du gouvernement du Canada d'agir comme il l'a fait--L'Estai et d'autres navires s'étaient retirés de la Zone de réglementation de l'OPANO après avoir reçu cet avis, mais y étaient retournés--On pouvait imaginer que les propriétaires des navires étaient au courant des intentions du gouvernement du Canada--2) Les demandeurs ont fait valoir que les agissements du défendeur, lorsqu'il avait utilisé des «canonnières» contre l'Estai et lorsqu'il avait harcelé et terrorisé son capitaine et son équipage en haute mer, étaient illicites et délictueux et que l'arraisonnement de l'Estai était une violation de propriété--Les personnes qui étaient montées à bord de l'Estai étaient des garde-pêche--La première tentative d'arraisonnement de l'Estai s'était heurtée à une forte résistance--Les personnes à son bord avaient jeté en mer l'échelle d'arraisonnement et sectionné les filins de l'Estai, et l'Estai avait commencé de dériver vers les eaux internationales--Selon la Cour, les navires engagés dans la poursuite avaient utilisé des signaux flottants adéquats pour signifier à l'Estai leur intention de tirer des coups de semonce et de l'arraisonner, mais l'Estai avait continué sa fuite-- L'Estai avait continué d'empêcher toute possibilité d'arraisonnement, jusqu'à ce que soient tirés des coups de semonce--Les gens à bord des navires canadiens avaient le droit d'armer les membres des groupes tactiques--On ne pouvait pas prétendre que la conduite des navires engagés dans la poursuite avait été téméraire ou qu'une force excessive avait été employée--3) L'Estai avait subi des dommages à sa coque durant le voyage--Mais les demandeurs n'ont pas réussi à établir, selon la preuve la prépondérante, que les dommages à la coque de l'Estai qui avaient été constatés après le retour de l'Estai en Espagne étaient imputables en totalité ou en partie au voyage de l'Estai depuis le point de saisie jusqu'à St. John's--La Cour a considéré défavorablement la décision du capitaine du navire de ne pas témoigner--4) Les demandeurs réclamaient les commissions de gestion du navire et les frais d'hébergement dans un hôtel de St. John's pour les membres de l'équipage, forcés de quitter le navire, ainsi que les frais de cautionnement engagés pour obtenir la mainlevée de la saisie de l'Estai, enfin les honoraires et débours de leurs avocats--Les circonstances de la saisie de l'Estai et de l'arrestation de son capitaine, les accusations déposées contre eux et finalement le retrait de toutes ces accusations suffisaient à faire de telles accusations un dossier «exceptionnel» à l'endroit des accusés (les demandeurs)--Il n'a pas été établi que la conduite de la Couronne lors de la saisie du navire et de l'arrestation de son capitaine, et durant les premières étapes des accusations, était empreinte d'un caractère oppressif ou injuste, mais la Cour était néanmoins d'avis que les demandeurs étaient fondés à recouvrer leurs frais de justice et débours divers et leurs commissions de gestion du navire, jusqu'au moment où l'Estai avait quitté St. John's--Les demandeurs réclamaient un manque à gagner net de 4 000 $ par jour pour 81 jours--Par analogie avec les frais de justice et débours divers et avec les commissions de gestion du navire, les demandeurs devraient recevoir un dédommagement pour le temps de pêche perdu--La responsabilité se limite à 11,5 jours, c'est-à-dire les jours durant lesquels l'Estai était en état de saisie, et le temps qui lui aurait été nécessaire pour qu'il retourne de St. John's vers les lieux de pêche--Compte tenu du même raisonnement, les demandeurs ont été indemnisés pour le supplément de soutes et de lubrifiants, pour un total de 8,5 jours représentant le déroutement depuis le lieu de saisie jusqu'à St. John's, les jours durant lesquels l'Estai avait été amarré à St. John's et le délai qu'il aurait fallu à l'Estai pour retourner vers les lieux de pêche--Il n'y a pas eu de dommages-intérêts accordés pour la quantité manquante de poisson congelé, entre la date d'arrivée de l'Estai à St. John's et la date de la mainlevée de sa saisie, puisqu'aucune preuve n'avait été présentée attestant la quantité de poisson congelé qui se trouvait à bord de l'Estai lorsqu'il était arrivé au port de St. John's--Comme la preuve ne permettait pas d'établir que la société demanderesse n'avait pas été adéquatement indemnisée pour les frais de rapatriement du poisson congelé qui avait été saisi, il n'y a pas eu de dommages-intérêts accordés sur ce chef--Rien ne justifiait l'attribution de dommages-intérêts généraux, exemplaires ou majorés-- Action rejetée à tous autres égards--Chacune des parties devait supporter ses propres dépens--Loi sur la protection des pêches côtières, L.R.C. (1985), ch. C-33, art. 5.1 (édicté par L.C. 1994, ch. 14, art. 2), 5.2 (édicté, idem)-- Règlement sur la protection des pêches côtières, C.R.C. Vol. IV, ch. 413--Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S-22, art. 11(2)--Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15.

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