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JUSTICE CRIMINELLE ET PÉNALE

Contrôle judiciaire de la décision du procureur général de suspendre les poursuites engagées par un dénonciateur privé, M. Russell, membre de la Nation métisse du Labrador (NML)—L’affaire portait sur la route trans-labradorienne à l’intérieur des terres traditionnellement utilisées par la NML—Des études effectuées sur la phase II ont montré que des ponceaux faisaient obstacle au mouvement du poisson et contribuaient à la destruction de leur habitat—Au cours de la phase II, un pont a été construit sur la rivière Paradise, et un pont avec chaussée surélevée a été construit sur la rivière St. Lewis—Les deux rivières sont désignées comme rivières à saumon en vertu de la Loi sur les pêches et du règlement provincial—Le demandeur allègue que le pont de la rivière Paradise a entraîné la perturbation ou la destruction de l’habitat du poisson en contravention de l’art. 35 de la Loi sur les pêches, étant donné qu’on avait sans autorisation utilisé un enrochement posé directement dans le lit de la rivière pour construire un pont temporaire—Il allègue de plus que les ponts ont entraîné la réduction de plus des deux tiers de la largeur des rivières en contravention de l’art. 26 de la Loi—Le demandeur a déposé sous serment des dénonciations privées contre la province et contre un entrepreneur—Le procureur général a par la suite décidé de ne pas intervenir et de suspendre les poursuites en application de l’art. 579.1 du Code criminel—La position du procureur général était qu’après avoir pris en compte la preuve et l’intérêt public, il ne serait pas opportun de continuer les poursuites—La lettre envoyée au nom du procureur général était signée par Paul Adams, qui était l’avocat du procureur général devant la Cour—Un tribunal administratif ne peut pas défendre sa décision dans une procédure de contrôle judiciaire—La personne qui a signé la décision ne devrait pas être autorisée à présenter des conclusions écrites ou orales—S’agissant du pont de la rivière St. Lewis, le procureur général dit que l’accusation portée en vertu de l’art. 26 devrait être suspendue étant donné qu’un accès suffisant serait préservé pour les poissons migrateurs—S’agissant de la rivière Paradise, la construction permanente avait été autorisée en vertu de exception prévue à l’art. 35(2) (la destruction de l’habitat du poisson pouvait se faire dans la mesure où le préjudice était minimisé et où une entente de restauration était conclue)—La première question en litige était de savoir si le procureur général avait une obligation de consultation et d’accommodement compte tenu des droits ancestraux de la demanderesse, de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle, de l’Accord sur la gestion des pêches ou des attentes légitimes—R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, est l’arrêt de principe selon lequel le simple exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au procureur général ne porte pas atteinte aux principes de justice naturelle étant donné que le pouvoir discrétionnaire est une caractéristique essentielle de la justice criminelle et que l’application de la loi dépend de l’exercice du pouvoir discrétionnaire—Le libellé de l’Accord sur la gestion des pêches n’oblige pas le procureur général à engager des consultations avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de poursuivre—Une telle interprétation signifierait que le procureur général délègue implicitement un pouvoir discrétionnaire dont lui seul est investi—Les arrêts Nation Haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, et Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), [2004] 3 R.C.S. 550, ne sont pas applicables lorsque le procureur général exerce son pouvoir discrétionnaire de suspendre des poursuites pénales—Le principe de l’honneur de la Couronne ne saurait être interprété d’une manière étroite ou technique, mais la décision du procureur général en l’espèce n’a pas d’effet préjudiciable sur les droits ancestraux ou le titre ancestral de la NML—Dans le cas du pouvoir discrétionnaire de poursuivre, rien ni personne ne devrait être en mesure d’exercer des pressions afin d’infléchir la décision du procureur général étant donné que cela aurait pour effet de miner son indépendance—Dans R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, à la p. 622, on a cité en l’approuvant ce que l’auteure Donna C. Morgan a écrit à l’égard du procureur général à savoir que lorsqu’il « exerce son pouvoir discrétionnaire “solennel” en matière de poursuites [. . .] il se retrouve seul, agissant indépendamment des influences politiques ou autres influences extérieures. Il ne doit ni recevoir des ordres ni être restreint, sauf par son obligation ultime de rendre compte au législateur »—Dans R. c. Saikaly (1979), 48 C.C.C. (2d) 192, la Cour d’appel de l’Ontario a fait observer que si le procureur général devait accorder une audience à quiconque est susceptible d’être concerné chaque fois qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire, l’administration de la justice pénale serait paralysée—Le procureur général n’a pas commis d’erreur en ne consultant pas officiellement la NML avant de suspendre les poursuites—Le pouvoir discrétionnaire du procureur général de décider unilatéralement tout point se rapportant à des poursuites pénales est un pouvoir pour lequel il doit rendre compte au Parlement seulement et non à une cour de justice : Ex parte Newton, [1855] 119 E.R. 323; London City Council v. Attorney General, [1902] A.C. 165 (H.L.)—Cette jurisprudence très ancienne a été confirmée à maintes reprises, notamment dans l’arrêt de la C.S.C. Krieger c. Law Society of Alberta, [2002] 3 R.C.S. 372 aux paragraphes 30 et 31, qui établit qu’il est nécessaire que « le procureur général agisse indépendamment de toute considération partisane lorsqu’il supervise les décisions d’un procureur du ministère public [. . .] les tribunaux n’interviennent pas dans la façon dont celui‑ci exerce son pouvoir exécutif [. . .]. Cela paraît claire-ment aller de pair avec le respect du partage des pouvoirs et de la primauté du droit »—À maintes reprises, les cours de justice ont statué qu’une décision de ne pas engager de poursuites « se prête particulièrement mal au contrôle judiciaire »—Dans R. c. Power, à la p. 624 la juge L’Heureux-Dubé, au nom des juges majoritaires, a cité en l’approuvant l’opinion suivante du juge en chef Monnin dans Re Balderstone and The Queen (1983), 8 C.C.C. (3d) 532 (C.A. Man.) : [traduction] « Si un juge tente d’examiner les actions ou le comportement du procureur général—sauf en cas de conduite répréhensible flagrante—il se peut qu’il outrepasse sa compétence et empêche le procureur général ou ses représentants d’exercer leur fonction administrative et accusatoire, ce qu’un juge ne doit pas faire »—Le vicomte Dilhorne a dit ce qui suit dans Director of Public Prosecutions v. Humphrys, [1976] 2 All E.R. 497 (H.L.): « Un juge ne doit pas descendre dans l’arène. Il ne doit avoir ni sembler avoir aucune responsabilité dans l’institution d’une poursuite. Les rôles du ministère public et des juges doivent être nettement délimités. »—Il n’y avait aucun indice de conduite répréhensible flagrante en l’espèce qui puisse conduire la Cour à exercer son pouvoir de contrôle judiciaire —Le point à décider par la Cour n’était pas celui de savoir si la construction a été exécutée dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, mais celui de savoir si le procureur général a convenablement exercé son pouvoir de suspendre les poursuites—Demande rejetée, mais sans dépens vu les circonstances particulières—Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14, art. 26 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 7), 35—Règlement de pêche de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, DORS/78-443—Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 579.1 (édicté par L.C. 1994, ch. 44, art. 60)—Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

La Nation métisse du Labrador c. Canada (Procureur général) (T-1281-04, 2005 CF 939, juge Blais, ordonnance en date du 8‑7‑05, 22 p.)

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