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ENVIRONNEMENT

Appel d’une décision de la Cour fédérale (2004 CF 1150) annulant le renvoi du projet d’oxydeur thermique à haute température de Bennett (OTHT), situé à Belledune, au Nouveau‑Brunswick, à une commission d’examen en application des art. 46 et 48 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCÉE)—Un OTHT expose des matières contaminées à une température élevée dans le but d’extraire, d’enlever et de détruire les polluants—Les gaz éjectés sont soumis à un processus d’épuration et de filtrage avant d’être rejetés dans l’atmosphère—L’OTHT est situé sur un terrain de 20 acres, dans un parc industriel à proximité de la zone portuaire de Belledune, où on trouve aussi une fonderie de plomb‑zinc, ainsi qu’une centrale électrique alimentée au charbon—L’installation est située à 1,3 kilomètres de la baie des Chaleurs et à 32 kilomètres de la réserve indienne la plus proche—L’installation doit être utilisée pour traiter jusqu’à 100 000 tonnes par année de sols provenant de projets d’assainissement de sites contaminés en Amérique du Nord—Elle ne doit pas être utilisée pour traiter des matières contaminées par les BPC—Une approbation provinciale environnementale (certificat de décision) a été donnée le 17 janvier 2003, sous réserve de 24 conditions— Parmi ces conditions, il y a notamment les suivantes : effectuer une évaluation des risques pour la santé humaine (ÉRSH), installer un système de suivi en continu des émissions, installer l’équipement de contrôle de la pollution, établir un programme de surveillance des sols ainsi qu’un programme de surveillance des eaux souterraines, préparer un plan de protection de l’environnement—Il n’a pas été allégué que l’intimée a manqué à une quelconque condition prévue dans le certificat de décision—L’ÉRSH a permis de conclure que l’installation n’augmenterait pas de façon importante le niveau actuel de polluants dans la région de Belledune—On ne s’attendait à aucun effet aigu ou chronique sur la santé humaine—L’agrément de construction a été délivré par la province le 9 septembre 2003 et la construction a commencé le 15 septembre 2003—L’agrément autorisait uniquement l’exploitation aux fins d’une mise en service et d’un essai de rendement, et un agrément d’exploitation était requis avant l’exploitation commerciale—De nombreuses autres conditions ont été imposées—Le processus d’obtention de l’agrément d’exploitation exigeait un processus d’examen public de 180 jours—Une ébauche de l’agrément d’exploitation a été mise à la disposition du public le 18 février 2004—L’ébauche établissait en détail les conditions et les normes relatives au transport des matières contaminées, au stockage, aux limites des émissions, aux assurances, à la surveillance, ainsi que celles relatives aux rapports—En octobre 2003, le ministre fédéral de l’Environnement a reçu deux lettres dans lesquelles on demandait son intervention parce qu’on craignait que le projet cause des effets environnementaux négatifs importants au Québec et au Nouveau‑Brunswick—Dans la première lettre, on demandait au ministre de faire arrêter immédiate-ment les travaux de construction et de soumettre le projet de construction de l’incinérateur de déchets toxiques à un médiateur ou à une commission indépendante—Dans la deuxième lettre, les Premières nations exprimaient leur inquiétude quant à la pollution, insistaient pour que le ministre prenne les moyens nécessaires pour protéger leur santé et leurs terres ancestrales, et exigeaient du ministre qu’il s’acquitte de ses obligations fiduciaires en imposant un moratoire—Les art. 46(1) et 48(1) de la LCÉE autorisent le ministre à renvoyer un projet pour évaluation environnementale fédérale, même si le projet n’est pas assujetti par ailleurs à un quelconque contrôle réglementaire fédéral—Après réception de ces pétitions par le ministre, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale s’est entretenue avec Santé Canada, qui a posé à l’intimée certaines questions, dont aucune ne portait sur les effets transfrontaliers, et auxquelles l’intimée a fourni une réponse détaillée—Des experts d’Environnement Canada ont préparé un rapport détaillé sur les questions et ont conclu que la concentration de contaminants serait si faible qu’il est peu probable qu’elle soit responsable d’effets négatifs importants sur l’environnement, que ce soit en territoire domanial (réserves de Premières nations, baie des Chaleurs) ou dans la province de Québec— Néanmoins, Environnement Canada a souligné des problèmes qui devaient être résolus dans la gestion des installations, et en a informé le gouvernement provincial et les administrations municipales—Le ministère des Pêches et des Océans a émis l’avis selon lequel il était peu probable que le projet entraîne une augmentation considérable et tangible de la contamination des ressources et des habitats marins de la baie des Chaleurs, ou qu’il ait des effets toxiques sur les poissons dans golfe du Saint‑Laurent—Malgré cela, Santé Canada a jugé que les données dont elle disposait étaient trop limitées pour déclarer de façon absolue qu’il n’existait pas de risques pour la santé des communautés transfrontalières—Toutefois, l’équipe d’examen de l’Agence a conclu que rien ne permettait de conclure que le projet pourrait causer d’importants effets négatifs transfrontaliers sur l’environnement—L’intimée a obtenu copie du rapport et a donc tenu pour acquis que l’évaluation du projet ne serait pas renvoyée à une commission—Toutefois, le 21 mai 2004, l’Agence a publié un communiqué de presse indiquant que le ministre avait donné avis de son intention de renvoyer l’évaluation du projet en raison de l’opinion de Santé Canada suivant laquelle les données étaient trop limitées pour déclarer avec certitude qu’il n’existe pas de risques pour la santé—L’intimée a demandé à l’Agence qu’elle lui permette de présenter des renseignements supplémentaires avant que le ministre ne prenne une décision concernant le renvoi, mais elle n’a reçu aucune réponse, et, le ministre a annoncé sa décision de procéder au renvoi— L’intimée a demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre, laquelle a été annulée—L’OTHT était complété pour l’essentiel (coût de 29 M$) lorsque le ministre a décidé de renvoyer la question—L’agrément d’exploitation n’avait pas encore été délivré parce que les essais de rendement n’étaient pas terminés—Pour les besoins de l’appel, la Cour a tenu pour acquis que le permis de construction et l’agrément de construction étaient valides—L’intimée s’est opposée au renvoi en invoquant qu’au moment de la décision, la construction était complétée pour l’essentiel—Il s’agissait de savoir si les art. 46(1) ou 48(1) de la LCÉE conférait au ministre le pouvoir de renvoyer l’évaluation du projet à cette époque, c.‑à‑d. à l’époque où il a pris la décision, l’OTHT était-il un « projet » au sens de l’art. 2 (selon le juge de première instance, il ne l’était pas)?—L’objet de la LCÉE est énoncé à l’art. 4—Selon l’art. 2(1) et (3), un « projet » est une « réalisation » et « [i]l est entendu que la réalisation [. . .] constitu[e] un projet, au minimum, tant qu’une personne ou un organisme visés aux paragraphes 5(1) ou (2), 8(1), 9(2), 9.1(2), 10(1) ou 10.1(2) envisage mais n’a pas encore pris une mesure prévue à ces dispositions »—La Cour a expliqué les évaluations de projet visées à l’art. 5—La présente instance s’est déroulée en tenant pour acquis que l’OTHT n’est pas visé à l’art. 5; toutefois, les effets du projet peuvent être évalués sous le régime des art. 46(1) et 48(1) si le projet entraîne des effets environnementaux dans une autre province ou sur les terres sur lesquelles des Indiens ont des droits ou qui sont visées dans un accord de revendications territoriales —En vertu des art. 46(4) et 48(5), le ministre doit donner au promoteur et à certaines autres parties intéressées un préavis d’au moins 10 jours de son intention de renvoyer l’évaluation du projet; un préavis adéquat a été donné en l’espèce—Les parties ont convenu qu’il n’y a pas de « projet », sauf s’il s’agit d’une proposition de projet—La Couronne a soutenu que, parce que l’installation n’était pas encore exploitée au moment où le ministre a pris sa décision, l’« exploitation proposée » de l’installation, à la différence de la construction de l’installation, était à l’époque un « projet » au sens de la loi—Toutefois, le juge a à bon droit souscrit au point de vue de l’intimée, selon lequel lorsque le ministre avait décidé de renvoyer l’OTHT à une commission, il ne s’agissait pas d’un projet au sens de la loi parce que la construction de l’installation était complétée pour l’essentiel—Dans certaines circonstances, l’exploitation proposée d’un ouvrage construit pourrait être un « projet » au sens de la loi, comme, par exemple, lorsqu’une installation existante est utilisée à une autre fin que celle pour laquelle elle était antérieurement utilisée; cela ne veut toutefois pas dire que toute nouvelle installation sera un « projet » jusqu’à ce qu’elle soit exploitée—Lorsque la construction d’un ouvrage devant servir à un but précis est approuvée, en règle générale, l’autorisation vise tant la construction que l’exploitation; dans ce type de situation, l’étape de proposition aura pris fin au moment où la construction sera terminée—Le législateur a voulu que la LCÉE vise les activités proposées d’un type en particulier, et non toutes les activités susceptibles d’être entreprises par quiconque, à tout moment—La LCÉE s’applique de cette façon afin que les effets environnementaux potentiels soient évalués lors de la planification, et qu’on ait un régime efficace qui respecte le principe d’équité à l’égard des promoteurs de projets—Si un projet est trop dangereux, il faut y mettre fin dès la planification pour éviter des dommages à l’environnement et la perte de l’investissement du promoteur, ou si le risque peut être réduit grâce à des mesures d’atténua-tion, ces mesures peuvent être précisées, évaluées et imposées dès l’étape de la planification—Cela permet de clore le processus d’évaluation et évite l’iniquité qu’entraînerait l’imposition rétroactive de normes environnementales— L’argument du ministre selon lequel c’est l’« exploitation proposée » qui a été renvoyée n’est pas valable, compte tenu des faits—Lorsque le ministre a pris sa décision, le processus visant l’obtention de l’agrément tirait à sa fin—L’évaluation environnementale provinciale était fondée sur l’existence d’un lien inextricable entre l’exploitation de l’installation et sa construction, ce qui était compréhensible parce que l’installation avait été construite spécifiquement pour l’utilisation prévue—L’agrément d’exploitation ne sera pas nécessairement délivré une fois les essais complétés, mais le ministre n’était pas justifié de supposer que l’« exploitation proposée » était une question nouvelle et distincte de la construction en se fondant sur le fait que l’agrément d’exploitation n’avait pas encore été délivré, étant donné le processus d’approbation environnementale entrepris— L’art. 2(3) est inapplicable, parce qu’il ne s’applique qu’à un ouvrage qui relève du fédéral ou qu’à un ouvrage qui exige une ou plusieurs approbations fédérales—Le droit prévu par la loi de présenter une pétition peut être exercé en tout temps, mais il ne s’ensuit pas pour autant que le pouvoir du ministre de renvoyer une question est élargi de manière à ce qu’il puisse renvoyer une question qui n’est pas un « projet » au sens de la loi—Le juge a eu raison d’annuler la décision du ministre—La Couronne a remis en cause l’interdiction faite à l’Agence de procéder à un examen de l’affaire—Vu que la décision était de renvoyer la question à une commission et non à l’Agence, laquelle n’effectue aucune évaluation du type effectué par une commission, la Cour a souscrit au point de vue de la Couronne—L’annulation de la décision de renvoyer la question de l’OTHT à une commission était la seule mesure nécessaire et la partie de l’ordonnance qui réfère à l’Agence est annulée—L’intimée a également prétendu que, même si le ministre pouvait renvoyer la question, sa décision à cet égard était déraisonnable—Le critère applicable pour savoir ce qui est déraisonnable a été énoncé comme suit par le juge Iacobucci dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 : la cour siégeant en contrôle judiciaire doit rester près des motifs donnés par le tribunal et « se demande[r] » si l’un ou l’autre de ces motifs étaye convenablement la décision—Les seules raisons invoquées relativement à la décision du ministre sont celles qui sont mentionnées dans le communiqué de presse de l’Agence, lequel indique que la décision repose uniquement sur l’avis de Santé Canada selon lequel il n’y avait pas suffisamment d’information pour décider, avec certitude, qu’il n’y avait aucun risque pour la santé humaine—L’intimée a prétendu, à juste titre, qu’il est impossible de décider, de façon absolue, que le rejet d’une substance dans l’environnement ne soulève aucune préoccupation pour la santé et, si le ministre avait décidé que l’installation ne pouvait pas être exploitée à moins qu’il soit satisfait à cette norme, la décision aurait bien pu être jugée déraisonnable—Toutefois, le ministre avait uniquement décidé de procéder au renvoi, lequel devait permettre de recueillir et d’apprécier davantage de renseignements, ce qui n’était pas déraisonnable—La décision du ministre n’a pas été dictée par des politiques partisanes, et ce, même si le communiqué de presse a été publié seulement deux jours avant le déclenchement des élections fédérales—Le ministre n’aurait pas dû réagir aux pétitions sans permettre à l’intimée de répondre aux allégations de fait mentionnées dans ces pétitions ainsi qu’aux questions soulevées par Santé Canada dans sa lettre du 2 février 2004—Le préavis légal de 10 jours n’est d’aucune utilité à moins que les parties ne bénéficient d’une possibilité de fournir des renseignements supplémentaires—L’intimée a présenté une demande en temps opportun, mais celle‑ci est restée lettre morte—Appel accueilli en partie; ordonnance d’annulation confirmée—Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, art. 2(1) « projet », (3) (édicté par L.C. 2003, ch. 9, art. 1), 5, 46 (mod. idem, art. 21), 48 (mod. par. L.C. 1993, ch. 28, art. 78; 2002, ch. 7, art. 123; 2003, ch. 9, art. 23).

Bennett Environmental Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement) (A‑509‑04, 2005 CAF 261, juge Sharlow, J.C.A., jugement en date du 19‑7‑05, 46 p.)

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