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IMPÔT SUR LE REVENU

                                                                                           Non‑résidents

Pendant l’évaluation de l’obligation fiscale de la contribuable au titre de l’impôt sur le revenu, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) lui a signifié un avis de mise en demeure conformément à l’art. 231.6(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) pour lui enjoindre de produire, aux fins d’inspection, la totalité de ses dossiers pour les années financières se terminant les 31 juillet 1999 et 2000— La mise en demeure est‑elle si large qu’elle est déraisonnable et peut être annulée conformément à l’art. 231.6(5) de la LIR? —La contribuable, une société constituée en vertu des lois du Luxembourg, s’était engagée par contrat à employer l’un de ses navires pour installer des treillis et des superstructures pour le Projet énergétique extra côtier de l’île de Sable conformément à un contrat conclu avec une société affiliée du R.‑U., qui avait elle‑même conclu un contrat avec les propriétaires du projet, Mobil Oil Canada Properties—Le travail a été accompli pendant une période de 53 jours en septembre et octobre 1998—D’autres travaux ont été effectués en eaux canadiennes entre le 15 août et le 16 septembre 1999 en vertu d’un contrat daté du 14 décembre 1998—C’est ce qui explique pourquoi la demande de production de documents visait deux années financières—Selon la Convention fiscale Canada‑Luxembourg, un résident de l’un des États signataires n’est pas tenu de payer l’impôt sur le revenu d’entreprise gagné dans l’autre pays signataire, à moins que l’entreprise en question n’ait un établissement permanent dans l’autre État— Le ministre voulait établir lui‑même si l’appelante avait un établissement permanent au Canada pendant la période pertinente—Il ne s’est pas contenté de voir simplement les documents de l’appelante relatifs à ses activités au Canada, car il a estimé que cela rendait l’appelante juge de la pertinence des documents—Il a estimé qu’il était nécessaire d’effectuer une vérification générale des affaires de l’appelante pour 1999 et 2000—L’appelante a offert de laisser la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) décider si elle avait un établissement permanent au Canada—L’art. 173 de la LIR autorise la C.C.I. à décider toute question de fait, de droit ou mixte de fait et de droit à titre de procédure préliminaire—L’ADRC a rejeté l’offre parce qu’elle n’avait pas les faits nécessaires pour soumettre la question à la Cour—L’art. 231.6(5) de la LIR autorise un juge de la Cour fédérale, sur demande présentée en ce sens par la personne à laquelle la mise en demeure est signifiée, d’annuler la mise en demeure s’il est convaincu qu’elle n’est pas raisonnable—Le juge Rouleau a rejeté une requête en ce sens dans Saipem Luxembourg S.A. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 113, en se fondant sur Merko c. Canada (M.R.N.), [1991] 1 C.F. 239 (1re inst.)—Il a été jugé dans Merko que le législateur, à l’art. 231.6, avait eu l’intention de donner au ministre des pouvoirs d’une grande portée pour obtenir des renseignements étrangers et qu’il suffit de démontrer que ces renseignements peuvent être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la LIR—Contexte législatif—L’art. 230(1) oblige toute personne qui exploite une entreprise au Canada à tenir des registres et des livres de comptes à son lieu d’affaires—L’ADRC peut profiter de cette obligation en allant dans les locaux du contribuable pour inspecter ses registres et livres de comptes et vérifier le revenu, les dépenses et la responsabilité fiscale du contribuable en matière d’impôt sur le revenu—Quand un contribuable non résident exploite une entreprise au Canada, le M.R.N. peut exiger qu’il produise des documents qui sont situés en dehors du Canada—Si une personne ne se conforme pas à une mise en demeure donnée conformément à l’art. 231.2, le M.R.N. peut demandeur à un juge, en vertu de l’art. 231.7, une ordonnance exécutoire qui, en cas de non‑ conformité, peut donner lieu à un procès pour outrage—La loi elle‑même prévoit que la norme de contrôle à appliquer est celle du caractère raisonnable, de sorte que la C.A.F. ne peut intervenir que si le juge a fait une erreur manifeste et dominante—La jurisprudence relative à l’art. 231.6(5) est limitée et donne peu de directives concernant la base sur laquelle la Cour peut trouver qu’une mise en demeure est déraisonnable—Dans Merko, le juge Cullen a statué que la signification d’une mise en demeure après le dépôt d’un avis d’opposition par le contribuable ne constituait pas un abus de procédure et n’était pas déraisonnable—Le juge Cullen a cependant mal interprété la disposition, car il était d’avis qu’elle n’obligeait pas la production de renseignements— L’art. 231.6(2) accorde clairement au M.R.N. le pouvoir d’exiger la production de documents étrangers—De plus, contrairement à ce qu’a écrit le juge Cullen, le destinataire d’une mise en demeure n’est pas libre de choisir les documents demandés qu’il produira—Si le contribuable se conforme en partie à la mise en demeure, la Cour peut ordonner qu’aucun des documents visés par la mise en demeure puisse servir d’élément de preuve, pas même les documents produits—Ainsi, plus la demande est large, plus grave sont les conséquences de la non‑conformité—La décision Merko semble appliquer une jurisprudence relative à une mise en demeure décernée en vertu de l’art. 231.2, selon laquelle une mise en demeure en vue d’obtenir des renseigne-ments pertinents à la dette fiscale d’une ou de plusieurs personnes dont la responsabilité fiscale fait l’objet d’une enquête est un objectif lié à l’application ou à l’exécution de la LIR—L’art. 231.6 diffère de l’art. 231.2 en ce qu’il permet un contrôle judiciaire de la mise en demeure pour le motif qu’elle n’est pas raisonnable—Un tel contrôle n’a aucun effet concret si la mise en demeure est raisonnable uniquement parce que les renseignements demandés peuvent être pertinents à l’exécution de la LIR—L’intention du législateur devait être que la mise en demeure ne doit pas être déraisonnable—Le critère qui a été appliqué en l’espèce est celui qui a été appliqué dans les affaires relatives à l’art. 231.2 et la question du caractère raisonnable n’a pas été examinée— Si le juge a voulu dire qu’une mise en demeure est raisonnable si elle ne constitue pas par ailleurs un abus de procédure, il a regroupé les deux questions de Merko en une seule question et a omis de tenir compte du critère à appliquer en vertu de l’art. 231.6(5) et, par conséquent, a commis une erreur manifeste et dominante—Quant à ce qui est « raisonnable », le critère applicable a été énoncé dans Barreau du Nouveau‑ Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 : il faut se demander si, après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision—Pour appliquer cette norme à la présente espèce, on a besoin de comprendre l’étendue de la demande et les raisons pour lesquelles elle a été faite—Dans Merko, les mises en demeure exigeaient la production de documents relatifs à une transaction donnée pour laquelle le contribuable demandait un bénéfice fiscal, de sorte que le lien était évident et raisonnable—En l’espèce, on exige que la contribuable produise la totalité de ses documents pour deux années financières—Le lien est plus ténu, mais l’ADRC fait valoir que tous les livres et registres sont pertinents à une vérification, même si certains d’entre eux, après examen, servent uniquement à vérifier qu’ils n’ont aucun effet sur la dette fiscale canadienne—La question à trancher n’est pas le caractère raisonnable de l’intention de l’ADRC d’entreprendre une vérification, mais le caractère raisonnable de la mise en demeure—L’argument de l’appelante selon lequel l’ADRC aurait pu obtenir les documents qu’elle recherchait en délivrant une mise en demeure relative à des catégories précises de documents met en question le caractère raisonnable de la vérification, une question qui se situe en dehors du mandat confié à la Cour par l’art. 231.6(5)—Peut‑on vraiment entreprendre une vérifica-tion en se fondant uniquement sur les documents fournis par la personne faisant l’objet de la vérification, sans avoir la possibilité de vérifier l’existence d’autres documents?—La plupart des entreprises recevant une mise en demeure acceptent probablement l’offre de l’ADRC de considérer leur consentement à une vérification sur les lieux comme une conformité suffisante à la mise en demeure—C’est la prérogative de l’ADRC de décider si elle va entreprendre une vérification et quelle forme cette vérification va prendre— Comme les documents sont en dehors du Canada, l’ADRC ne peut que décerner la mise en demeure et s’il en résulte une vérification qui ne satisfait pas aux normes régulières de l’ADRC, c’est la meilleure vérification qui peut être faite—La décision d’entreprendre une vérification justifie la portée de la mise en demeure signifiée en l’espèce—Appel rejeté et mise en demeure confirmée—Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 173, 230(1), 231.2 (mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 176), 231.6 (mod., idem, art. 177), 231.7 (édicté par L.C. 2001, ch. 17, art. 183).

Saipem Luxembourg S.V. c. Canada (Agence des douanes et du revenu) (A‑46‑04, 2005 CAF 218, juge Pelletier, J.C.A., jugement en date du 9‑6‑05, 20 p.)

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