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IMPÔT SUR LE REVENU

                                                                                    Société de personnes

Appels et appels incidents de décisions de la C.C.I. portant sur l’utilisation par des contribuables d’une stratégie d’investissement connue sous le nom d’opérations de couverture sur des titres convertibles—Les contribuables ont demandé la déduction des pertes et dépenses liées à la mise en œuvre de leur stratégie—Les nouvelles cotisations du M.R.N. rejetaient certaines de ces déductions—Afin de comprendre les questions en litige, il faut décrire la stratégie—Des actions ordinaires de compagnies publiques faisaient l’objet d’une vente à découvert et, au même moment, on achetait d’autres titres donnant droit d’acquérir le même nombre d’actions, titres qui pouvaient être des actions privilégiées ou des obligations non garanties convertibles en actions ordinaires, ou des droits de souscription d’actions ordinaires—La vente dite à découvert est une vente d’actions qui n’appartiennent pas au vendeur, mais qui sont empruntées suite à une entente avec un courtier qui procède à la vente d’actions appartenant à un tiers (le courtier ou l’un de ses clients)—Le produit de la vente est versé au compte du vendeur à découvert, déduction faite des frais de courtage—En l’espèce, les contribuables versaient des « frais de location » aux courtiers, plus une somme équivalente aux dividendes obtenus sur les actions entre le moment de l’emprunt et celui de la remise (dividendes compensatoires)—Le profit ou la perte est réalisée quand la vente à découvert est liquidée (lorsque le vendeur à découvert procède à la remise des actions empruntées), le courtier achetant un nombre équivalent d’actions identiques pour les remettre au prêteur, les coûts de la transaction (y compris les frais de courtage) étant imputés au vendeur à découvert—Si le coût d’achat des actions de remplacement est inférieur au produit de la vente à découvert (la valeur des actions ayant diminué), le vendeur à découvert fait un profit—La « couverture » est une technique qui permet de diminuer le risque de perte—Pour réduire ce risque, le vendeur à découvert peut acquérir un titre lui donnant le droit d’acheter le même nombre des mêmes actions ordinaires (comme un droit de conversion d’actions ou d’obligations non garanties convertibles)—Dans la mesure où la valeur d’un titre convertible comprend la valeur des actions ordinaires qu’on peut obtenir lors de la conversion, elle augmente de pair avec la valeur des actions ordinaires en cause—La stratégie consistant à détenir un titre convertible pour couvrir la perte sur une vente à découvert d’actions ordinaires est connue comme une « stratégie d’opérations de couverture sur des titres convertibles »—Il peut y avoir un revenu généré au cours de l’opération, puisque les actions privilégiées convertibles vont générer un dividende plus élevé que les actions ordinaires— On peut aussi obtenir un profit ou une perte sur l’écart entre la valeur des actions ordinaires vendues à découvert et la valeur du droit de souscription qui permet d’acquérir des actions ordinaires au cours d’une période donnée et à un prix fixe—Cette stratégie comporterait des avantages fiscaux potentiels, que le marché soit haussier ou baissier, ce qui en fait une stratégie gagnante à tous égards—La documentation décrivant la stratégie indique « qu’une opération de couverture de cette nature donne lieu à une myriade de permutations de manœuvres fiscales potentielles [. . .] [mais] les contribuables qui veulent s’en prévaloir doivent être conseillés par les meilleurs professionnels »—En l’espèce, les contribuables ont demandé des déductions liées à des transactions coordonnées entre conjoints ou entre mère et fille—Le M.R.N. a cotisé les contribuables à nouveau au motif qu’ils auraient été en société de personnes ou dans une relation mandant/mandataire et qu’ils ne pouvaient isoler les transactions ayant donné lieu aux pertes qu’ils ont déduites de leur revenu—Le M.R.N. s’appuie sur l’arrêt Schultz c. Canada, [1996] 1 C.F. 423 (C.A.), où l’on a conclu à l’existence d’une société de personnes comprenant les conjoints ayant adopté la stratégie d’opéra-tions de couverture sur des titres convertibles—En l’espèce, la C.C.I. a conclu qu’il n’existait pas de société de personnes et que la stratégie utilisée par les appelants constituaient un projet comportant un risque à caractère commercial, les conjoints étant des coparticipants—Chaque opération de couverture sur des titres convertibles était un bien identifiable distinct, constitué à la fois par l’achat des titres convertibles et par la vente à découvert des actions ordinaires (la position à couvert et la position à découvert)—On ne pouvait isoler la perte sur une seule position et elle n’était donc pas déductible —Seules la perte de la prime et les dépenses engagées au cours de l’opération étaient déductibles—Les appelants soutiennent que la C.C.I. a commis une erreur en arrivant à la conclusion qu’une opération de couverture sur des titres convertibles est un bien identifiable distinct et ils soutiennent aussi qu’ils ne constituaient pas une société de personnes et qu’il y a lieu de faire une distinction d’avec l’arrêt Schultz— L’intervenante, l’Association des banquiers canadiens, soutient que la C.C.I. a commis une erreur en arrivant à la conclusion qu’une opération de couverture sur des titres convertibles est un bien identifiable distinct—La C.C.I. s’est appuyée sur la définition de « biens » que l’on trouve à l’art. 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), une définition parmi les plus générales qui ouvre la porte à une approche non restrictive—Le droit qui est implicite dans l’opération de couverture sur des titres convertibles est « le droit d’utiliser l’un des volets de l’opération pour satisfaire aux exigences de marge de l’autre »—Au vu de la preuve des contribuables, la C.C.I. a conclu que, dans l’esprit de tous, c’est l’opération de couverture sur des titres convertibles elle‑même qui était le placement, ce qui concorde avec la conclusion selon laquelle l’opération en cause est un bien et que c’est ce bien qui est l’objet du projet—La C.C.I. a bien saisi que ce n’était pas là une conclusion qui allait de soi, puisque dans l’introduction à ses motifs elle explique que les lois fiscales accusent généralement du retard sur l’ingéniosité des milieux financiers et que les tribunaux ne devraient pas se priver d’envisager l’application de nos lois fiscales dans une optique innovatrice permettant d’adapter les principes fiscaux à l’innovation financière et d’arriver à un résultat qui confond les réalités économiques et juridiques—La C.C.I. indique s’être employée à déterminer les questions en litige « en cherchant à établir la véritable nature juridique des opérations, d’une part, et à adapter les lois fiscales à la cible mobile de l’innovation financière, d’autre part »—La C.C.I. a commis une erreur en adoptant cette approche à l’interprétation et à l’application de la Loi—Le rôle des tribunaux est de déterminer les faits et d’interpréter le droit, pour ensuite appliquer le droit aux faits —La C.C.I. a interprété son rôle comme étant de restreindre l’usage de mesures innovatrices d’évitement de l’impôt— Cette approche constitue une erreur de droit—Le rôle de la C.C.I. n’est pas de protéger les revenus publics et c’est le législateur qui doit prendre les mesures requises pour atteindre cet objectif—En l’absence de dispositions légales contraires, le contribuable peut diriger ses affaires de façon à réduire son obligation fiscale—La souplesse de l’approche de la C.C.I. ne respecte pas son rôle, qui n’est pas d’élargir les principes fiscaux en réaction à des mesures innovatrices du contribuable —C’est une erreur d’amalgamer les volets d’une opération de couverture pour en faire un bien identifiable distinct— L’expression « opération de couverture sur des titres convertibles » n’est qu’une formule abrégée pour décrire certaines transactions distinctes qui sont réalisées à peu près au même moment—Chaque transaction porte sur un bien identifiable—Le fait que les transactions impliquent le même ou les mêmes investisseurs dans une série de transactions liées sur des titres ne justifie pas qu’on qualifie ces transactions distinctes de bien unique—La théorie de la C.C.I. est fondée sur le financement de l’opération de couverture—La C.C.I. souligne le droit d’utiliser l’un des volets de l’opération pour satisfaire aux exigences de marge de l’autre—Il faut comprendre les ententes au sujet des exigences de marge auxquelles renvoie la C.C.I.—Comme la valeur des actions peut diminuer, le courtier exige que le client conserve une certaine marge dans son compte (en espèces ou en titres divers)—Lors d’une transaction qui n’est pas accompagnée d’une opération de couverture, la somme disponible dans le compte du client doit correspondre à 50 p. 100 du prix d’achat des titres convertibles ou du produit de la vente à découvert d’actions ordinaires—Dans le cas de la stratégie d’opérations de couverture sur des titres convertibles, les courtiers ne demandaient pas les 50 p. 100 de marge puisqu’ils étaient d’avis que l’achat des titres convertibles et le produit de la vente à découvert d’actions ordinaires permettaient de compenser toute perte dans l’un ou l’autre cas—Le risque portait donc uniquement sur la prime, qui devait être versée en espèces—Par conséquent, les ressources financières nécessaires aux opérations de couverture étaient minimes— C’est le fait que le courtier était disposé à renoncer au 50 p. 100 de marge habituellement requis qui a amené la C.C.I. à conclure que l’opération de couverture sur des titres convertibles constituait un bien identifiable distinct—La C.C.I. a eu tort de tire que le droit d’utiliser l’un des volets de l’opération de couverture pour satisfaire aux exigences de marge de l’autre était un droit qui transformait l’opération en cause en un bien identifiable distinct—La LIR n’est pas un code du commerce—L’application de la LIR se fonde sur le droit commun, plus particulièrement le droit des biens—Il faut s’en remettre aux règles plus générales du droit commercial pour attribuer un sens à des mots qui, indépendamment de la Loi, sont bien définis—Les titres convertibles utilisés pour satisfaire aux exigences de marge sont un bien identifiable distinct qui appartient à l’investisseur, dont les droits de propriété ne sont pas modifiés du fait que les titres sont utilisés dans une opération de couverture sur des titres convertibles—La nature des droits relatifs à la vente à découvert sont indépendants d’une opération de couverture sur des titres convertibles qui comprend la vente en question—La stratégie visant à minimiser le risque ne transforme pas des biens distincts en un seul bien—Les ententes sur marge constituent une structure contractuelle se superposant à chaque volet de l’opération de couverture sur des titres convertibles, reflétant la manière de traiter leurs biens adoptée par les contribuables et les courtiers—La définition de la LIR est effectivement large, mais elle n’est toutefois pas une licence accordée aux tribunaux de créer, aux fins de l’impôt sur le revenu, une nouvelle catégorie de biens qui n’existe pas par ailleurs—Rien au dossier ne justifiait le point de vue de la C.C.I. que la pratique des courtiers de ne pas exiger la marge habituelle créait un droit exécutoire dont disposaient les contribuables—Il n’y a là rien d’autre qu’un accommodement consenti par le courtier, que celui‑ci pouvait retirer à tout moment—En vertu des ententes avec les clients, les courtiers peuvent fixer la marge requise à leur guise et exiger une marge additionnelle à tout moment—De plus, le fait d’amalgamer l’achat de titres convertibles et la vente à découvert d’actions ordinaires constitue une nouvelle qualification de l’effet des transactions et la Cour suprême a statué qu’une nouvelle qualification n’est possible que lorsque la désignation de l’opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables—Les transactions courantes sur le marché ne peuvent recevoir une nouvelle qualification aux fins fiscales—Le fait de qualifier l’opération de couverture sur des titres convertibles de bien identifiable distinct était une innovation de la C.C.I. en 2003, qui créait une nouvelle base d’imposition alors que le droit du ministre de cotiser avait expiré en 1998—S’agissant de la question de l’existence d’une société de personnes, fondement principal des nouvelles cotisations du ministre, la C.C.I. a conclu que les contribuables étaient des coparticipants dans un projet comportant un risque de caractère commercial avant d’aborder la question de savoir s’il constituait une société de personnes et de conclure par la négative—En vertu de l’art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif, l’existence d’une société de personnes exige une relation entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice—Les transactions en cause en l’espèce constituaient une entreprise—La C.C.I. a conclu que l’entreprise existait, mais qu’elle n’était pas exploitée parce que les activités des contribuables étaient des projets comportant un risque de caractère commercial et ne constituent pas l’exploitation d’une entreprise; le fait d’exploiter une entreprise étant un élément essentiel de la société de personnes, il n’en existait pas une ici —La C.C.I. s’est appuyée sur Tara Exploration & Development Co. Ltd. v. M.N.R. (1970), 70 D.T.C. 6370 (C. de l’É.), où le président Jackett déclare avoir conclu « après beaucoup d’hésitation » que l’expression « a exercé » ne peut être utilisée avec le terme « initiative »—Mais la question de la société de personnes n’est pas soulevée dans Tara et aucune jurisprudence ne vient fonder la proposition voulant qu’un projet comportant un risque de caractère commercial ne soit pas une entreprise aux fins de la Loi sur les sociétés en nom collectif—La C.S.C. a conclu qu’une société en nom collectif peut être créée pour une seule opération—Lindley & Banks on Partnership, 18e éd., affirme que « presque toute activité ou entreprise de caractère commercial, y compris une transaction unique, sera considérée comme une entreprise à cette fin » (celle de trancher la question de l’existence d’une société de personnes)—Cet énoncé du droit est à préférer à celui de Tara—Pour démontrer qu’on n’exploitait pas une entreprise, la C.C.I. a noté l’absence de cartes de visite, de publicité et de lignes téléphoniques—Il est douteux qu’une société de personnes formée pour réaliser une seule transaction aurait ces caractéristiques—Dans l’arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, le juge Major fait remarquer que l’expression « projet comportant un risque de caractère commercial » n’est pas définie dans la LIR, étant une créature jurisprudentielle visant à départager les opérations d’achat et de vente qui sont de nature commerciale de celles qui tiennent d’une immobilisation—Ceci était important avant 1972, les opérations portant sur des immobilisations étant alors exonérées d’impôt—La C.C.I. a eu tort d’adapter un concept fiscal pour l’appliquer à la question de la société de personnes —La Cour est d’avis que les appelants exploitaient une entreprise d’opérations de couverture sur des titres convertibles—La question de savoir si, et quand, les parties commencent à exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice est une question objective à déterminer au vu de la conduite des parties—Il n’est pas essentiel qu’il y ait une activité commerciale—Le fait que les conjoints aient ouvert des comptes et signé des garanties croisées rendait possible la poursuite des opérations, tout en créant une perte dans l’un des comptes—La C.C.I. n’a pas tenu compte de la preuve portant sur la mise en marché de la stratégie gagnante à tous égards, ainsi que de la motivation des participants en adoptant la stratégie—Les profits et les déductions fiscales prévus faisaient partie de la même stratégie et donc de la même entreprise—C’est l’ouverture des comptes et la signature des garanties croisées qui nous indiquent que les conjoints ont commencé à exploiter une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice—Le fait que les conjoints nient qu’ils constituaient une société de personnes n’a aucun poids —L’existence ou l’absence d’un contrat de société ne suffit pas non plus à régler la question—Donner à entendre que les parties ont établi des comptes indépendants serait faire fi de la stratégie d’opérations de couverture sur des titres convertibles —Il n’est pas non plus nécessaire qu’il y ait un partage égal des profits pour conclure à l’existence d’une société de personnes—Il suffit de pouvoir déterminer quelle était l’entente au sujet du partage des profits—L’existence d’une société de personnes n’est pas tributaire du fractionnement de revenus—Étant donné que les exigences de marge étaient minimes, l’existence des garanties croisées avait une plus grande importance que la source des contributions pour satisfaire aux exigences de marge—La C.C.I. a commis une erreur en distinguant la jurisprudence établie par l’arrêt Schultz, qui s’impose à nous parce que les ressemblances entre cette affaire et les appels en l’espèce sont frappantes—Le fait que les documents d’ouverture des comptes des appelants déclarent qu’ils ne sont pas en société de personnes ne permet pas de trancher la question de la réalité juridique de leur conduite—Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, art. 248(1) « biens »—Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1990, ch. P.5, art. 1(1) « entreprise », art. 2.

Rezek c. Canada (A‑463‑03, A‑462‑03, A‑465‑03, A‑464‑03, A‑466‑03, 2005 CAF 227, juge Rothstein, J.C.A., jugement en date du 17‑6‑05, 46 p.)

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