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Mitchell c. M.R.N.

T-434-90

juge McKeown

27-6-97

113 p.

Appel d'une décision du MRN exigeant le paiement de droits de douane lorsque le demandeur, un Mohawk descendant de la nation Mohawk peuplant la vallée des Mohawks (New York), s'est présenté en 1988 à la frontière Canada-États-Unis au poste de Cornwall, avec l'intention d'introduire au Canada des marchandises constituant selon lui des biens personnels et communautaires, en l'espèce: une machine à laver, 10 couvertures, 20 Bibles, divers articles vestimentaires usagés, une caisse de bidons d'huile à moteur, 10 pains, 2 livres de beurre, 4 gallons de lait entier, 6 sacs de biscuits et 12 boîtes de soupe en conserve-Les agents des douanes ont réclamé au demandeur le versement de 361,64 $ en droits de douane-Questions en litige: 1) les Mohawks d'Akwesasne résidant au Canada bénéficient-ils d'un droit ancestral leur permettant de franchir la frontière avec des biens personnels et communautaires sans avoir à acquitter de taxes ou de droits de douanes; 2) les Mohawks d'Akwesasne ont-ils le droit de commercer librement, d'un côté comme de l'autre de la frontière, avec les autres Premières nations et, si oui, quelle serait la teneur précise de ce droit; 3) les Mohawks d'Akwesasne résidant au Canada ont-ils, en vertu des traités, le droit de se livrer à un commerce transfrontalier avec les autres Premières nations et d'introduire au Canada, sans avoir à acquitter de taxes ou de droits de douanes, des biens personnels et communautaires-L'appel est accueilli-(1-2) Droits ancestraux-Critères permettant de conclure à l'existence d'un droit ancestral: doit avoir son origine dans une activité remontant à la période antérieure aux premiers contacts avec les Européens et relever d'une pratique, d'une coutume ou d'une tradition faisant partie intégrante de la culture caractéristique du demandeur autochtone-Se demander si, en l'absence de cette pratique, tradition ou coutume, la culture en question aurait été fondamentalement différente-Les usages, coutumes ou traditions qui constituent les droits ancestraux doivent s'inscrire dans la continuité des traditions, coutumes et usages qui faisaient partie intégrante de la société autochtone avant le premier contact avec les Européens-La période de référence est celle des premiers contacts avec les Européens-Si, lorsqu'une communauté autochtone est à même de démontrer que tel ou tel usage fait aujourd'hui partie intégrante de sa culture particulière et que cet usage, coutume ou tradition se situe dans le droit fil des usages ayant cours à la période antérieure aux premiers contacts avec les Européens, on peut dire que la communauté en question a démontré que l'usage, la coutume ou la tradition en question constitue effectivement un droit ancestral aux fins de l'art. 35(1) de la Loi constitutionnelle-La portée et l'existence des droits ancestraux doivent être établies au cas par cas-En ce qui concerne la nature du droit revendiqué, la quantité de marchandises introduites au Canada en l'espèce par le demandeur ne peut pas être qualifiée de «commerciale»-Il s'agit, plus précisément, du droit de passer et de repasser librement la ligne constituant l'actuelle frontière entre le Canada et les États-Unis avec des marchandises à usage personnel et communautaire et de se livrer à un petit négoce d'une ampleur non commerciale avec d'autres Premières nations-C'est à bon droit que le demandeur et les Mohawks d'Akwesasne résidant au Canada revendiquent les droits en question au titre des occupations de leurs ancêtres qui vivaient dans la vallée des Mohawks avant l'arrivée des Européens-La Cour retient comme date du premier contact avec les Européens l'année 1609-Le demandeur, Mohawk d'Akwesasne, fait remonter son origine ancestrale aux Mohawks de la vallée des Mohawks-Les Mohawks d'Akwesasne sont rattachés à la Confédération iroquoise depuis le XVe siècle-En 1888, Akwesasne devient la capitale de la nation Mohawk-Les Mohawks faisaient souvent le trajet reliant leur pays de la vallée des Mohawks au territoire qui se trouve aujourd'hui au Canada et franchissaient librement ce qui est devenue la frontière entre le Canada et les ÉtatsUnis-Akwesasne fait partie de la nation Mohawk et aussi de la Confédération des Six Nations-Après le premier contact avec les Européens, les Mohawks ont continué à se rendre dans le nord, dans ce qui constitue actuellement le Canada, à partir de leurs pays dans la vallée des Mohawks, traversant librement la frontière-Les Mohawks se sont fixés au Canada et à Akwesasne-Selon un témoignage, le commerce revêtait une importance vitale pour les Iroquois qui, à petite échelle, commerçaient avec des peuples lointains-En 1645, les Iroquois ont signé un traité avec les Français et les Hurons afin de développer le commerce entre les parties-En 1664, la Confédération des Cinq Nations a conclu un traité avec les Britanniques permettant aux Iroquois de commercer librement comme ils le faisaient auparavant-Les Mohawks franchissaient librement ce qui est devenue la frontière entre le Canada et les États-Unis afin de commercer et de se livrer à des activités guerrières fondées sur des motifs essentiellement commerciaux-Les Mohawks se livraient au commerce entre Montréal et Albany-Avant l'arrivée des Européens, le territoire d'Akwesasne et les alentours étaient, pour les Mohawks, un lieu de voyage, de diplomatie et de commerce-Le droit revendiqué par le demandeur répond à une pratique qui faisait partie intégrante de la culture particulière des Mohawks d'Akwesasne-Ainsi, le demandeur et les Mohawks d'Akwesasne ont établi l'existence d'un droit ancestral en vertu duquel ils peuvent passer et repasser librement l'actuelle frontière entre le Canada et les États-Unis avec des marchandises destinées à un usage personnel et communautaire ainsi qu'à des échanges avec d'autres Premières nations-(3) Les droits issus des traités-Le Traité d'Utrecht de 1713 avec, d'un côté, la France, l'Espagne et la Bavière et, de l'autre, l'Angleterre, les Provinces Unies et l'Empire Habsbourg), le Traité Jay de 1794 (entre la Grande-Bretagne et les États-Unis) et les conseils, le Traité de Gand de 1814 (entre les États-Unis et la Grande-Bretagne) et les conseils ne sont pas des traités au sens de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle car ils n'ont pas été conclus entre la Couronne et les Indiens: R. v. Vincent (1993), 12 O.R. (3d) 427 (C.A.)-Les Indiens ont pu bénéficier des dispositions inscrites dans ces traités, mais ils n'y étaient pas partie et n'ont pas participé à leur négociation, à leur mise en _uvre ou à leur abrogation-Un traité international ne peut pas conférer des droits à des individus ou à des groupes-Les conseils en question devaient permettre d'expliquer aux Premières nations la teneur du Traité Jay et du Traité de Gand mais n'étaient pas des conseils dans le cadre desquels devaient être conclus des traités-Les dispositions et les traités internationaux faisant état des Indiens n'ont pas donné naissance, en raison du principe de l'estoppel, à des droits à l'avantage du demandeur-Cela dit, le libellé du Traité Jay qui prévoit que «les marchandises en balles, ou autres gros paquets, qui ne sont pas communes parmi les Indiens, ne seront point considérées comme des marchandises appartenant bona fide aux Indiens» renforce l'idée que le droit ancestral en question est le droit de se livrer à un commerce à petite échelle-Par conséquent, toute marchandise pouvant être considérée comme vouée à un «usage personnel ou communautaire» peut être apportée au Canada en vertu du droit ancestral dont bénéficie le demandeur-Ces marchandises comprennent les denrées alimentaires, les articles domestiques et les articles utilisés dans le cadre des coutumes des Premières nations-Le libellé du Traité Jay confirme également que le droit ancestral qu'invoque le demandeur englobe le droit d'utiliser ces marchandises dans le cadre d'un petit négoce avec les autres Premières nations-Aucun texte législatif, y compris la Loi sur les douanes, ne démontre, de la part de la Couronne, une intention claire et expresse d'abolir le droit ancestral qu'a le demandeur de franchir librement la frontière entre le Canada et les États-Unis avec des marchandises à usage personnel et communautaire et d'en faire commerce avec d'autres Premières nations-Le demandeur, en tant que Mohawk d'Akwesasne résidant au Canada a, en raison d'un droit ancestral existant, constitutionnellement protégé par les art. 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, le droit défini plus haut-Ce droit ancestral ne comprend pas le droit d'introduire au Canada des armes à feu quelles qu'elles soient, des drogues interdites ou à usage restreint, de l'alcool ou des plantes, par exemple-Ce droit ancestral s'exerce également sous réserve que tout Mohawk d'Akwesasne entrant au Canada avec des marchandises en provenance des États-Unis sera soumis aux procédures de fouille et de déclaration des douanes canadiennes-Les dispositions de la Loi sur les douanes qui seraient incompatibles avec le droit ancestral du demandeur sont, sur ces points précis, inopérantes-Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, (1982), ch. 11 (R.-U.) [L.R.C.(1985), Appendice II, no 44], art. 35, 52-Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e Suppl.), ch.1.

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