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Coumont c. Canada

T-1889-92

juge Denault

9-5-94

19 p.

Action en dommages-intérêts fondée sur l'allégation que les autorités correctionnelles ont fait preuve de négligence-Alors qu'il se dirigeait vers l'unité résidentielle à l'établissement de Matsqui, le demandeur a été poignardé par un codétenu, l'ex-mari de l'amie du demandeur-Il a refusé d'identifier l'agresseur pour ne pas enfreindre le «code des détenus»-La plupart des détenus au bas de la hiérarchie se trouvent en isolement protecteur-Une fois qu'un détenu est placé en isolement protecteur, il est presque impossible de le réintégrer à la population générale sans incident-En ce qui concerne l'agression à coups de couteau, le demandeur allègue qu'on a fait preuve de négligence en le plaçant dans le même établissement qu'un détenu incompatible avec lui et en ne s'assurant pas du bon fonctionnement de la caméra de surveillance placée dans le secteur oú a eu lieu l'agression-La procédure normale veut que, dès son arrivée à l'établissement, le détenu soit interrogé pour savoir s'il peut y avoir des détenus incompatibles dans l'établissement-Personne n'a posé la question au demandeur à son arrivée à Matsqui-Le demandeur n'a pas de lui-même donné de renseignements parce qu'il croyait n'avoir rien à craindre de la part de l'agresseur-Un profil de dangerosité n'a révélé aucune incompatibilité-Témoignage selon lequel, le matin précédant l'agression à coups de couteau, un détenu qui venait de sortir de l'isolement avait posé des questions au sujet de l'arrivée de nouveaux détenus-Étant donné que le demandeur connaissait bien le système pénitentiaire, il était normal que son admission se soit passée plus rapidement et qu'il ait été intégré directement à la population générale-Après l'agression, le demandeur a été transféré à l'établissement de Mission, et l'agresseur, à l'établissement de Kent, un pénitencier à sécurité maximale-Un an plus tard, lorsque informé de la probabilité qu'il soit transféré, le demandeur a alors signalé à l'agent de sécurité préventive qu'il y avait un détenu incompatible avec lui à Kent et qu'il n'accepterait pas d'être placé en isolement protecteur-Dès son arrivée à Kent, le demandeur a été menacé par des codétenus et a été placé en isolement préventif à sa demande-Avant que le demandeur demande à être détenu en isolement préventif, on ne lui a pas demandé s'il connaissait des détenus incompatibles avec lui dans l'établissement, et il n'a fourni lui-même aucun renseignement à ce sujet-Deux mois plus tard, le demandeur a demandé a être placé en isolement protecteur-Il prétend que c'est à cause des mesures prises par les responsables correctionnels qu'il a été placé en isolement protecteur, et que c'est en raison de ce séjour en isolement protecteur qu'il se trouve maintenant au bas de la hiérarchie et qu'il doit demeurer en isolement protecteur pour sa propre sécurité-Le demandeur réclame des dommages-intérêts généraux pour souffrances et blessures du fait de son agression à coups de couteau, des dommages-intérêts généraux pour privation de liberté pendant sa période d'isolement protecteur, des dommages-intérêts généraux majorés pour perte de dignité du fait qu'il a été placé en isolement protecteur et des dommages-intérêts punitifs pour le manque d'égards et l'indifférence intentionnelle des autorités correctionnelles à l'égard de sa liberté-Action rejetée-Les autorités de la prison ont envers le requérant l'obligation de prendre des précautions raisonnables pour sa sécurité, et ils doivent, entre autres, prendre les mesures raisonnables pour protéger un détenu contre ses compagnons de détention-Pour ce qui a trait à l'agression à coups de couteau, aucun responsable à Matsqui ne savait réellement qu'il y avait un détenu incompatible avant l'agression à coups de couteau-Il serait déraisonnable de conclure que les responsables correctionnels ont manqué à leur devoir de prudence en ne tenant pas compte des questions qu'un détenu a posées au sujet de l'arrivée des nouveaux détenus, ces questions étant vagues et ayant pu se rapporter à n'importe quel détenu-Les responsables correctionnels ont été raisonnablement prudents en effectuant une recherche sur le profil de dangerosité du détenu avant de l'intégrer à la population générale-Bien qu'il ait été souhaitable que des questions précises soient posées, elles n'étaient pas nécessaires dans les circonstances, étant donné que le demandeur était connu des agents et qu'il connaissait le système pénitentiaire-Il était raisonnable de supposer que, si le demandeur avait appréhendé un problème et s'il avait voulu les en informer, il l'aurait fait-Même si on lui avait posé la question, le demandeur aurait nié toute incompatibilité dans l'établissement parce qu'il n'était pas au courant des intentions de l'agresseur, et il aurait refusé de l'identifier en raison des règles du «code des détenus»-Les responsables correctionnels ne savaient pas et ne pouvaient pas savoir qu'il y avait un détenu incompatible avec le demandeur à Matsqui avant l'agression à coups de couteau-En ce qui concerne le devoir général de protection, le demandeur n'a pas prouvé que l'installation et le fonctionnement de caméras vidéo auraient empêché l'agression-Pour ce qui a trait au transfèrement imposé au demandeur, de Mission à Kent, les autorités correctionnelles avaient l'obligation de tenir compte du fait qu'il y avait à Kent un détenu qui pouvait être incompatible avec le demandeur quand ils ont choisi de le transférer dans cet établissement, et d'informer les autorités de Kent de la possibilité que des problèmes se posent-Les responsables de l'établissement de Mission se sont acquittés de cette obligation-Le problème qui pouvait potentiellement se poser à Kent était la présence d'un détenu incompatible, que le demandeur a toujours refusé d'identifier par son nom, et ce problème a été mentionné par l'agent de Mission dans sa recommandation de transfèrement-Il a informé son homologue à Kent du problème potentiel-Cet agent, à Kent, était la seule personne au courant de l'incompatibilité-Mais il ne se trouvait pas dans l'établissement au moment de l'arrivée du demandeur-Étant donné qu'il était raisonnablement prévisible que le demandeur puisse être attaqué par l'agresseur, cet agent avait le devoir d'assurer la protection du demandeur en transmettant ces renseignements aux agents de l'A&E avant l'arrivée du demandeur-Malgré l'omission de transmettre les renseignements, la responsabilité de l'État ne peut pas être engagée, parce qu'il n'y a pas eu de préjudice, que le lien de causalité n'est pas clair et que le demandeur a volontairement accepté de joindre la population générale, donnant ainsi ouverture à l'exception volenti non fit injuria-Le demandeur n'a subi aucun préjudice résultant directement du fait qu'il a été intégré à la population générale: il a été menacé et a demandé immédiatement de la protection, ce qui lui a été accordé-Les périodes de détention en isolement préventif et en isolement protecteur ont peut-être été préjudiciables, mais ces décisions ne découlent pas directement de l'omission de l'agent-Même si les agents de l'A&E avaient été prévenus de la présence d'un détenu incompatible avec le demandeur et s'ils avaient posé cette question au demandeur, ce dernier aurait vraisemblablement refusé d'identifier l'agresseur et aurait probablement décidé quand même d'être intégré à la population générale-Le demandeur n'a pas réussi à établir le lien entre son incompatibilité maintenant connue avec l'agresseur et les menaces qu'il a reçues-Le demandeur a volontairement pris le risque de subir un préjudice quand il a rejoint la population générale-Le demandeur savait que l'agresseur était à Kent et il pressentait qu'il pouvait y avoir un problème, mais il a néanmoins choisi de joindre la population générale et de faire face au problème, à cause du «code des détenus» et des conséquences probables qu'aurait sa décision d'être placé en isolement protecteur-Pour ce qui a trait aux décisions de placer le demandeur en isolement préventif et de l'y garder, il n'y a eu aucun manquement de la part des autorités-Les responsables correctionnels avaient le pouvoir légal de prendre ces décisions aux termes de l'art. 40(1) du Règlement sur le service des pénitenciers-La question n'est pas de déterminer si la décision était appropriée, mais bien s'il y a eu négligence-C'est le demandeur qui a demandé l'isolement préventif-Il y est resté parce qu'il refusait d'être placé en isolement protecteur-Les responsables correctionnels n'ont pas été négligents dans leurs efforts pour protéger le demandeur en le gardant en isolement préventif-La plainte du demandeur est fondée sur sa conviction selon laquelle les choix dont il pouvait se prévaloir à Kent étaient si limités qu'il a en fait été forcé d'accepter l'isolement protecteur et, en même temps, les conséquences du «code des détenus»-La jurisprudence indique clairement que la décision d'offrir trois modes de détention (isolement préventif, isolement protecteur et population générale) peut être qualifiée de «véritable décision de politique» et qu'elle échappe à l'application du droit de la responsabilité pour négligence: Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228-Loi sur la responsabilité civile de l'État, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 3, 10-Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 17 (mod., par L.C. 1990, ch. 8, art. 3), 18.1(3) (mod., idem, art. 5)-Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., ch. 1251, art. 40(1).

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