Fiches analytiques

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PEUPLES AUTOCHTONES

Morin c. Canada

T-458-99

2001 CFPI 1430, juge Dawson

20-12-01

27 p.

Appel selon l'art. 47 de la Loi sur les Indiens, à l'encontre d'une décision du ministre selon laquelle Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) n'approuverait pas le testament d'Adolphus Morin portant la date du 17 décembre 1986, ni ne nommerait l'exécuteur testamentaire désigné dans ce testament, ni ne redistribuerait l'actif successoral selon ce testament--Le 10 mars 1954, Adolphus Morin faisait un testament dans lequel il instituait son épouse sa légataire universelle et nommait le surintendant des Indiens, Agence indienne d'Edmonton, son exécuteur testamentaire--M. Morin est décédé en 1996--Son épouse et ses 11 enfants lui survivaient--Michael Sidon, directeur des successions et fiducies au ministère des Affaires indiennes et du Nord, a approuvé le testament de 1954, renoncé à sa nomination d'exécuteur testamentaire et chargé Peter Morin d'administrer la succession--En 1997, l'intérêt du testateur dans un quart de section de mille carré d'une terre sise dans la réserve fut transféré à l'épouse, et le transfert fut approuvé au nom du ministre--En 1998, l'épouse a transféré la terre à un tiers, qui l'a vendue 20 000 $ en septembre à la Nation crie Enoch--En novembre 1998, avant le paiement du prix convenu, la Nation crie Enoch a reçu d'un avocat une lettre qui l'informait de l'existence d'un testament plus récent--La Nation crie Enoch a transmis au Ministère la lettre et un double du testament de 1986--M. Sidon a demandé l'aide du bureau d'Ottawa d'AINC--Il a été informé qu'AINC n'approuverait pas le testament de 1986 pour les raisons suivantes: les membres de la famille acceptaient l'approbation du testament de 1954; le présumé deuxième testament avait été porté à l'attention d'AINC deux ans après le transfert de la terre à l'épouse; on avait affirmé que le testateur était inhabile à tester lorsqu'il avait fait le testament de 1986; le ministre avait le pouvoir discrétionnaire d'accepter tout testament qui répondait aux conditions de l'art. 45(2); le Ministère avait rempli son obligatoire fiduciaire--L'audition de l'appel a d'abord été ajournée, puis une ordonnance a été délivrée qui autorisait les appelants à produire une preuve nouvelle concernant la validité du testament, c.-à-d. du deuxième testament original devant être produit--Conformément à cette ordonnance, une preuve nouvelle a été produite, mais n'a pas été déposée avant la reprise de l'audition de l'appel--La preuve nouvelle comprenait un affidavit du fils du testateur portant sur les circonstances qui avaient entouré la rédaction et la découverte du deuxième testament, ainsi qu'un affidavit d'un représentant d'AINC--Ce n'est pas l'original, mais une copie certifiée conforme du testament de 1986 qui a été déposée--Aucune preuve n'a été présentée à la Cour à propos de la signature du testament de 1986--Arguments des appelants: le testament était valide à première vue; le ministre a agi conformément à l'art. 46(1) de la Loi sur les Indiens, de telle sorte que la Cour avait compétence en vertu de l'art. 47 soit pour prononcer en faveur du testament de 1986, soit à tout le moins pour annuler la décision de 1999; la décision par laquelle le ministre avait conclu que le testament de 1986 n'était pas valide avait été rendue en l'absence de faits ou de renseignements adéquats et elle était arbitraire et contraire au droit--La Couronne a allégué une exception en affirmant que l'appel était maintenant théorique parce que le ministre avait rendu ou rendrait une nouvelle décision, dont la teneur était la même--Aucun avis préliminaire ni élément de preuve n'ont été présentés à la Cour concernant la prise de cette décision ou à propos du fait que la Couronne alléguerait la nature maintenant théorique de l'appel--Appel accueilli--1) l'instance était-elle théorique?-- Le principe du caractère théorique d'une instance est applicable lorsque la décision de la Cour n'aura pas pour effet de résoudre un litige intéressant les droits des parties--C'est à la partie qui allègue le caractère théorique d'une instance qu'il appartient d'établir qu'une matière ou question est théorique--Le ministre n'a pas établi que la solution des points soulevés n'aura aucune conséquence pratique sur les parties--Le différend relatif au droit des appelants de faire appel de la décision du ministre n'était pas théorique-- D'ailleurs, même si l'instance était théorique, la Cour conservait le pouvoir de statuer sur les points soulevés--Ce pouvoir doit être exercé «d'une manière judiciaire», en accord avec les principes énoncés dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342--Les appelants conservaient un intérêt direct à ce que soit déterminé le champ du droit d'appel prévu par l'art. 47, ainsi qu'un intérêt dans la contestation de la régularité de la décision initiale; mettre un terme à l'instance à ce stade en raison de son caractère théorique n'allait guère favoriser une économie des ressources judiciaires puisque la Cour avait déjà entendu les arguments des appelants; vu la position du ministre sur les questions de fond soulevées et vu le rôle accordé à l'art. 45(2), le litige était suffisamment actuel pour autoriser la conclusion selon laquelle la solution des points soulevés s'accordait avec la fonction véritable de la Cour dans l'élaboration du droit--Même si les points étaient théoriques, la Cour avait le pouvoir discrétionnaire de les décider pleinement--2) L'art. 45(2) permet au ministre d'accepter comme testament tout document écrit signé par un Indien dans lequel celui-ci indique ses intentions à l'égard de la disposition de ses biens à son décès--L'art. 46(1) permet au ministre de déclarer nul un testament--L'art. 47 prévoit qu'il y a appel d'une décision du ministre rendue dans l'exercice de la compétence que lui confèrent les art. 42, 43 ou 46-- L'argument du ministre selon lequel sa décision a été rendue en vertu de l'art. 45(2) aurait pour résultat de soustraire la décision à tout appel interjeté en vertu de l'art. 47--Les appelants ont affirmé que la décision du ministre avait été rendue en vertu de l'art. 46--En conférant, par l'art. 42, une compétence au ministre sur les questions testamentaires, le législateur fédéral lui attribuait une compétence semblable à celle qui concernait l'attribution ou la révocation des lettres de vérification et d'administration, ainsi qu'une compétence sur les matières accessoires--Le ministre exerçait donc une compétence semblable à celle qu'exerçaient les tribunaux des successions et des tutelles--Les fonctions premières d'un tribunal des successions et des tutelles consistent à dire si un document peut ou non être homologué comme document testamentaire--Pour dire si un document constitue un document testamentaire, il faut s'enquérir de l'intention de son auteur--Cette interprétation de l'art. 42 s'accorde avec les pouvoirs dévolus au ministre par l'art. 43, qui prévoit expressément que le ministre peut entre autres choses nommer et révoquer des exécuteurs testamentaires et administrateurs successoraux, et les autoriser à donner suite aux termes de testaments--La compétence des cours supérieures est largement reprise dans l'art. 46(1)--L'effet combiné des art. 42, 43 et 46 est de conférer au ministre tous les pouvoirs relatifs aux testaments et à leur vérification en ce qui concerne les Indiens qui résident ordinairement dans les réserves-- L'art. 45 ne confère pas de pouvoir au ministre, mais énonce expressément certains droits des Indiens--La source du pouvoir du ministre d'accepter comme testament un document écrit est l'art. 42, qui confère au ministre une compétence sur les questions testamentaires se rapportant à l'attribution et à la révocation des lettres de vérification de testaments--Par l'art. 47, le législateur voulait accorder plein droit d'appel à l'égard de toutes les décisions rendues dans l'exercice de la compétence sur les questions testamentaires, ainsi qu'à l'égard des décisions déclarant nul un testament--Aucun droit d'appel n'est conféré dans l'art. 45, et aucun pouvoir n'est conféré dans cet article--Cette manière de voir permet d'éviter le résultat bizarre selon lequel il pourrait être fait appel d'une décision se rapportant à des questions testamentaires, y compris la nomination d'un exécuteur testamentaire, mais non d'une décision concluant à l'inexistence d'une intention testamentaire dans un document--En décidant que le testament de 1986 ne serait pas approuvé, et que l'exécuteur y désigné ne serait pas nommé et ne pouvait pas distribuer l'actif selon ce qu'il prévoyait, le ministre exerçait des pouvoirs conférés par l'art. 42--Appel validement interjeté en vertu de l'art. 47--3) Vu qu'il n y avait pas de clause privative, que le point de savoir si le testament de 1986 révélait une intention testamentaire était essentiellement un point de fait, que l'objet des dispositions applicables de la Loi sur les Indiens était de mettre en équilibre des droits individuels, enfin que le décideur n'avait aucun champ particulier de spécialisation, la norme de contrôle à appliquer se situait quelque part entre la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable--La différence entre les deux normes repose dans le caractère flagrant du défaut--Si le défaut est évident au vu des motifs du tribunal, alors la décision est manifestement déraisonnable--Puisque la décision du ministre a été jugée manifestement déraisonnable, il n'était pas nécessaire d'en dire davantage sur la norme de contrôle--Comme l'avis de l'existence du testament de 1986 au ministre était venu de la Nation crie Enoch, et non de quelqu'un qui s'autorisait du testament, le ministre était peut-être tout à fait fondé à l'ignorer--Mais, ayant choisi d'enquêter sur le testament, le ministre était tenu de se demander si le testament constituait un document testamentaire valide--AINC n'a jamais demandé la production du testament original de 1986--Les motifs du ministre ne disaient rien sur la question de savoir si le document était un document testamentaire valide--Quant aux motifs invoqués pour ne pas donner effet au testament de 1986: aucun assentiment antérieur ne pouvait être opposé aux membres de la famille, qui ignoraient alors l'existence du deuxième testament, la tardiveté a été validement prise en compte par le ministre; la preuve n'appuyait pas l'allégation d'inhabilité à tester; l'existence en droit d'un pouvoir discrétionnaire ne suffisait pas en soi à appuyer une décision; la conclusion non étayée selon laquelle le Ministère avait rempli son obligation fiduciaire n'était pas une raison suffisante pour refuser de donner effet à un document avancé comme document testamentaire, d'autant qu'on ne s'était nullement interrogé sur l'intention de son auteur--La tardiveté n'est pas en soi une raison suffisante justifiant un refus d'examiner si un testament ultérieur devrait être admis à vérification--Vu l'absence d'enquêtes suffisantes, un délai de deux ans était un élément insuffisant sur lequel fonder une décision raisonnable--Une fois que le ministre a décidé d'enquêter sur le testament de 1986, il a commis une erreur sujette à révision lorsqu'il s'est fondé sur le délai et autres motifs, et lorsqu'il a négligé de s'informer des circonstances ayant entouré la signature du testament de 1986--Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 42, 43, 45, 46, 47.

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