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PEUPLES AUTOCHTONES

Taxation

Benoit c. Canada

T-2288-92

2002 CFPI 243, juge Campbell

7-3-02

197 p.

L'arrêt R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, énonce les principes applicables pour l'interprétation des traités--Pour ce qui est de l'approche générale à adopter dans l'interprétation d'un traité en particulier, il convient d'examiner dans un premier temps le texte de la clause pour en déterminer le sens apparent, en soulignant toute ambiguïté et tout malentendu manifestes résultant de différences linguistiques et culturelles; dans un deuxième temps, le ou les sens dégagés du texte du droit issu de traité doivent être examinés sur la toile de fond historique et culturelle du traité--Les principes applicables en l'espèce sont les suivants: 1) des promesses faites de vive voix peuvent être des modalités d'un traité; 2) il est nécessaire de déterminer l'intention commune des parties; 3) l'interprétation des traités doit s'appuyer sur des preuves convaincantes; 4) l'honneur de la Couronne doit être préservé dans l'interprétation des traités--Les demandeurs prétendent que les commissaires pour le Traité ont promis que le Traité 8 n'ouvrait aucune voie pour l'imposition de taxes; ils soutiennent également que cette promesse est une des modalités du Traité 8 et qu'elle est un droit issu de traités, protégé par l'art. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982--En 1898, le Conseil privé a nommé des commissaires chargés de négocier avec les Indiens vivant au nord du territoire du Traité 6 afin d'éteindre leur titre sur les terres en cause (la région du Traité 8)--Le 20 juin 1899, les commissaires ont rencontré les Cris du Petit lac des Esclaves et ont exposé les termes du Traité offerts par le gouvernement--Le Traité 8 a été rédigé et, le lendemain, les commissaires et les représentants des Cris procédaient à sa signature--Les commissaires se sont ensuite rendus à divers autres endroits où différents groupes indiens adhéraient à des traités par l'entremise de leurs représentants autorisés-- Le Conseil privé a ratifié le Traité 8 en 1900--D'autres adhésions au Traité 8, qui datent de 1900, ont été ratifiées en 1901--La preuve documentaire est constituée par le rapport sur le Traité, les documents historiques et les comptes rendus contemporains des témoins--Dans leur rapport sur le Traité 8, les commissaires disent que les Indiens ont été assurés qu'il n'y aurait pas d'imposition des taxes--Les négociations du Traité ont été conduites dans un environnement physique peu propice--Cela souligne le fait qu'il faut être très prudent avant de conclure de façon certaine que les Autochtones ont parfaitement compris tout ce que les commissaires leur ont dit--Le contexte physique et la complexité des questions juridiques font qu'une grande responsabilité incombait aux commissaires de s'assurer qu'il n'y avait aucun malentendu quant au contenu de ce qui était offert aux Autochtones présents--Au vu du Rapport sur le Traité, il est raisonnable de déduire que les autochtones vivant dans la région du Traité 8 avaient des préoccupations quant au paiement des «taxes», quel qu'ait été le sens de ce terme--Les demandeurs, le Canada et l'Alberta ont présenté des témoignages d'experts pour éclairer leur interprétation des documents--Les experts s'entendent généralement quant aux objectifs et aux intentions de la Couronne (permettre le peuplement de la région, assurer son autorité de façon pacifique sur la région du Traité 8 et éviter les conflits entre les autochtones et les colons non-autochtones), mais ils divergent considérablement d'avis quant aux objectifs et intentions des autochtones (l'autonomie ou la survie culturelle et économique)--Au cours des négociations, les questions d'interprétation ont pu poser des difficultés; par exemple, il n'y a pas de mot en cri qui corresponde au terme «taxes»--Les mots utilisés par les commissaires peuvent ne pas avoir été complètement compris par les Autochtones à qui ils étaient adressés-- Analyse visant à déterminer ce que les Autochtones savaient au sujet des taxes à l'époque des négociations--Les demandeurs prétendent que la réponse des commissaires est une promesse orale d'exemption fiscale qui est incorporée dans le Traité et donc exécutoire--Le Canada et l'Alberta soutiennent qu'il n'existe aucune preuve d'intention commune de concéder une exemption fiscale dans l'échange entre les Autochtones et les commissaires--L'objectif est de déterminer si les termes utilisés par les commissaires constituent une promesse issue de traités, tout en adoptant une approche à la fois compréhensive et pratique-- Lorsqu'il s'agit d'analyser le sens des termes utilisés afin de conclure s'ils constituent ou non une modalité du Traité, il n'y a pas lieu d'adopter une approche grammaticale hautement technique qui chercherait à déterminer s'il y a des différences de sens entre les phrases «nous fîmes la promesse», «nous leurs assurâmes» et «nous avons dû leur affirmer solennellement», sauf s'il y a une preuve démontrant que ces différences étaient effectivement comprises par les Autochtones présents--Il n'existe aucune preuve provenant de personnes qui ont été témoins de la négociation du Traité qui permettrait d'identifier la préoccupation précise des Autochtones au sujet des taxes, sauf les déclarations des commissaires dans le Rapport sur le Traité--Afin de préserver l'honneur de la Couronne, on doit présumer que les commissaires n'avaient pas l'intention de tromper qui que ce soit et que les termes utilisés étaient des déclarations honnêtes sur lesquelles on pouvait compter--Compte tenu du droit, des témoignages d'experts et du compte rendu contemporain de Mair, l'intention était que toutes les déclarations d'engagement des commissaires soient comprises par les Autochtones comme étant des promesses --La promesse en matière de taxes est une promesse du Traité et, comme telle, elle est une modalité du Traité--En matière d'interprétation des modalités d'un traité, la Cour a l'obligation de choisir, parmi les interprétations de l'intention commune qui s'offrent à elle, celle qui concilie le mieux les intérêts des Autochtones et ceux de la Couronne--Par conséquent, le sens de la modalité en cause doit être déduit des intentions communes des parties établies par la preuve--Comme les avis d'experts et les avis juridiques présentés n'ont pas démontré quel était le sens de la promesse faite en matière de taxes, rien dans la preuve n'indique qu'il y a eu une compréhension ou une intention commune entre les commissaires et les Autochtones au sujet du sens à donner à la modalité du Traité qui porte sur les taxes--Les demandeurs ont présenté une preuve de la tradition orale autochtone afin d'établir que les autochtones ont interprété les propos des commissaires comme une promesse d'exemption fiscale--Ils s'appuient sur le témoignage de trois Autochtones, ainsi que sur des transcriptions de témoignages d'anciens recueillis il y a 30 ans--La seule question de fait à trancher porte sur la croyance en l'existence d'une promesse d'exemption fiscale--L'arrêt Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, a établi les critères d'admissibilité de la preuve fondée sur la tradition orale--Une autre question a trait au poids qu'il convient de donner à cette preuve--Plutôt que de contester en contre-interrogatoire, le Canada et l'Alberta se sont appuyés sur leurs propres preuves au procès, y compris la preuve d'experts, pour essayer de réfuter l'exactitude de la preuve de tradition orale ou pour en diminuer le poids--Au cours d'un procès, les témoins ne doivent pas être jugés avec scepticisme, mais plutôt par une personne prête à croire qu'ils disent la vérité et à conserver cette croyance jusqu'à ce qu'il y ait un motif clair et important de ne pas le faire--Si l'on juge qu'un Autochtone est qualifié pour présenter une preuve de la tradition orale, cette personne peut s'attendre à ce qu'on accorde du poids à sa preuve--L'expertise d'un ancien en matière de transmission de la tradition orale est confirmée par la présence de certaines caractéristiques, comme par exemple l'affirmation qu'il détient l'histoire, la confirmation que son contenu a été reconnu publiquement, une appréhension des limites de son expertise, le respect de la vérité et la confiance, l'attribution appropriée des sources et la richesse des détails--Leur présence indique que les déclarations peuvent être sérieusement prises en compte comme preuve de la tradition orale--Les préoccupations au sujet de la preuve de la tradition orale doivent être spécifiques à une personne qui a présenté cette preuve--Le Canada et l'Alberta n'ont pas prouvé d'une manière ou d'une autre qu'un témoin parlant de la tradition orale ne l'a pas relatée de façon exacte-- Lorsqu'il s'agit d'obtenir d'un ancien respecté un compte rendu de la tradition orale qu'il connaît, le fait de diriger son attention vers un certain sujet ne constitue pas une question suggestive--Il n'y a aucune raison de ne pas accepter la preuve d'un ancien telle que présentée--Selon la prépondérance des probabilités, les Cris et les Déné croyaient que les commissaires leur avaient fait la promesse d'une exemption fiscale--Les traités et les dispositions législatives qui ont une incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités doivent être interprétés de manière à préserver l'intégrité de la Couronne--En outre, les traités doivent recevoir une interprétation libérale, et toute ambiguïté doit profiter aux signataires autochtones--La préservation de l'honneur de la Couronne dans l'interprétation d'une modalité du Traité est au coeur même de la présente instance et c'est le facteur déterminant dans son règlement--La cour doit choisir, parmi les diverses interprétations possibles de l'intention commune, celle qui concilie le mieux les intérêts des Autochtones et ceux de la Couronne: R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025--Au vu du droit et de ses propres intérêts, ainsi que de ceux des Autochtones, le Canada doit reconnaître et respecter la promesse en matière de taxes telle qu'elle a été comprise par les Autochtones en 1899--La modalité du Traité doit être interprétée de façon à ce que les Autochtones bénéficiant du Traité 8 ne soient assujettis à aucune taxe, à quelque moment ou pour quelque motif que ce soit--La seule question présentée en l'instance porte sur l'impôt sur le revenu fédéral--Le Canada soutient que le droit issu de traités a été éteint implicitement par l'adoption de la législation sur l'impôt sur le revenu en 1915--Mais, comme par définition un traité est un accord solennel entre la Couronne et les Indiens, son extinction ne peut survenir sans le consentement des Indiens impliqués: Sioui--Comme il n'y a pas eu consentement, le droit issu de traités n'est pas éteint--Le Canada prétend que lorsqu'il a adopté sa législation fiscale, il avait un objectif valable en n'accordant pas une exemption fiscale aux biens détenus par les bénéficiaires du Traité 8 dans les affaires courantes-- L'argument de justification ne respecte pas suffisamment le droit et les engagements pris envers les Autochtones du Traité 8--Cet argument minimise la signification de la protection constitutionnelle accordée aux droits issus de traités--La Couronne doit justifier la violation d'un droit issu de traités--En l'espèce, la Couronne doit démontrer: l'existence d'un objectif législatif régulier; que son honneur est préservé dans la mesure législative; qu'on a porté le moins possible atteinte aux droits en cause; et qu'il y a eu certaines consultations--Aucun de ces critères n'est satisfait--La promesse du commissaire pour le Traité que les droits issus de traités dureront toujours ne peut être éteinte tout simplement en adoptant une législation fiscale d'application générale--La promesse que les Autochtones auraient un contrôle sur tout changement aux modalités du Traité exige pour le moins la tenue de consultations précises et ouvertes avec les Autochtones en cause, afin d'obtenir un consensus sur le changement que le Canada considère nécessaire--Cette consultation n'a pas eu lieu en l'espèce-- L'application des mesures fédérales de taxation aux Indiens bénéficiaires du Traité 8 est incompatible avec l'art. 35 de Loi constitutionnelle de 1982 et, par conséquent, ces dispositions sont nulles et de nul effet--Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

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