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Sutherland c. Canada

A-311-94

juge Desjardins, J.C.A., et le juge en chef Isaac

2-1-97

34 p.

Appel d'un jugement de première instance ([1994] 3 C.F. 662) rejetant les actions contestant l'art. 31 de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes (LPRFC), qui refuse le bénéfice de l'allocation au survivant aux conjoints qui ont épousé le pensionné après que celui-ci a atteint l'âge de 60 ans ou après qu'il a pris sa retraite, et les art. 25 et 26 de la Loi sur la continuation de la pension des services de défense (LCPSD) qui refuse le bénéfice de l'allocation au survivant aux conjoints qui ont épousé le pensionné après que celui-ci a atteint l'âge de 60 ans ou après qu'il a pris sa retraite-M. Sutherland reçoit une pension en vertu de la LPRFC depuis 1970-Il s'est marié en 1983, à l'âge de 63 ans-Si son épouse lui survit, elle n'aura pas droit aux prestations au survivant en vertu de la LPRFC parce que, au moment du mariage, M. Sutherland avait plus de 60 ans-M. King a reçu une pension aux termes de la LCPSD de 1948 jusqu'en 1990-Il s'est marié en 1970 à l'âge de 65 ans-Après le décès de M. King en 1990, son épouse s'est vu refuser les prestations au survivant étant donné qu'à l'époque du mariage M. King était à la fois retraité et âgé de plus de 60 ans-Les Sutherland demandent que l'art. 31(1) de la LPRFC soit déclaré inopérant aux termes de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982-Mme King demande à la fois que les art. 26d) et e) de la LCPSD soient déclarés inopérants et que soit reconnu son droit aux prestations au survivant en vertu de la LCPSD, en s'appuyant sur l'art. 24 de la Charte-Toutes les personnes qui touchent des prestations au survivant en vertu de la LCPSD sont des femmes-Le juge de première instance a conclu que la différence de traitement entre deux groupes ne veut pas toujours dire qu'il y a discrimination; les restrictions sont nées du besoin de maîtriser les coûts et de la nécessité pour tous les régimes de pension de pouvoir calculer, à une date donnée, l'étendue de leurs engagements; la distinction en cause n'est pas fondée sur une caractéristique personnelle mais sur le statut professionnel du pensionné qui décide de se marier après l'âge de 60 ans-Il conclut qu'il n'y a pas de discrimination fondée sur l'âge ou le sexe contrairement à l'art. 15 de la Charte-Les appels sont rejetés-Le juge Desjardins (le juge Hugessen souscrit à ses motifs)-Il est utile de faire l'historique des dispositions pertinentes-Les appelants n'ont pas satisfait à la deuxième étape de l'analyse en deux volets du juge La Forest ou de l'analyse en trois volets du juge Cory concernant la discrimination, énoncée dans Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513-Il n'y a pas de violation de l'art. 15 de la Charte-La deuxième étape, selon l'analyse suivie par le juge La Forest, consiste à déterminer si la distinction entraîne un désavantage, c'est-à-dire un fardeau, une obligation ou un désavantage non imposé à d'autres-La deuxième étape de l'analyse proposée par le juge Cory consiste à déterminer si la distinction créée par la loi se fonde sur une caractéristique personnelle et, dans l'affirmative, si elle entraîne de la discrimination (négation d'un droit à l'égalité garanti par l'art. 15(1) en imposant un fardeau, une obligation ou un désavantage non imposé à d'autres)-M. Sutherland peut uniquement alléguer qu'il y a eu discrimination du fait de l'âge, qui est le facteur d'exclusion spécifiquement mentionné-Si discrimination il y a, il s'agit de discrimination directe-Mme King et Mme Sutherland peuvent uniquement alléguer qu'on leur a refusé l'avantage d'une pension du fait de leur sexe s'il peut être démontré que les femmes subissent un préjudice en raison de la Loi-Elles ne peuvent alléguer qu'il y a discrimination directe fondée sur le sexe, étant donné que la Loi ne fait pas référence au sexe-Il n'y a pas d'erreur dans l'analyse qu'a faite le juge de première instance concernant les dispositions contestées de la LPRFC-La LPRFC étend l'admissibilité des prestations au survivant à compter de l'âge de la retraite réelle du membre jusqu'à l'âge théorique de la retraite fixé à 60 ans dans la fonction publique-L'âge de 60 ans constitue le plafond des dispositions élargies permettant de traiter les militaires sur le même pied que les fonctionnaires-Quand les membres atteignent l'âge de 60 ans, et se marient par la suite, l'exclusion qui s'applique dans leur cas ne constitue pas de la discrimination étant donné qu'ils ne sont pas désavantagés par rapport à d'autres personnes-En fait, ils reçoivent le même traitement que les personnes qui contribuent à d'autres régimes gouvernementaux-Les avantages qui, d'après les appelants, leur sont refusés ne sont pas offerts à d'autres-Il n'y a pas de discrimination-En vertu de la LCPSD, l'inadmissibilité découle de l'âge seul-L'événement qui cristallise le droit aux prestations au survivant est la date du départ à la retraite ou l'anniversaire de 60 ans, si le membre est marié à ce moment-là-La situation matrimoniale de M. King à la date de sa retraite ou au moment oú il a eu 60 ans n'est pas une condition ou une situation en cours qui justifierait l'application de la Charte-Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en concluant que l'effet anti-sélection (la présence d'un avantage tendant à inciter les personnes à faire des choses qu'elles ne feraient pas autrement, ce qui a pour effet d'augmenter le coût de cet avantage) est un objectif accessoire à l'objectif premier des lois (le maintien des coûts), mais qu'il ne découle pas d'un portrait stéréotypé du comportement féminin-L'exclusion prévue à la LPRFC s'applique également aux pensionnés des deux sexes-En vertu de la LCPSD, seules les veuves sont admissibles aux prestations au survivant-Une femme ne peut donc alléguer qu'il y a discrimination fondée sur le sexe à l'égard d'un avantage qui n'est offert qu'aux femmes-Le juge en chef Isaac (qui souscrit quant au résultat): l'art. 26e) de la LCPSD et l'art. 31(1) de la LPRFC contreviennent à l'art. 15 de la Charte-Le juge de première instance a commis une erreur de droit quand il a conclu que la restriction applicable aux membres «ayant plus de 60 ans» dans la LPRFC et dans la LCPSD n'était pas une distinction fondée sur l'âge, mais bien sur le statut professionnel-L'expression «âgé[e] de plus de 60 ans» limite l'admissibilité aux prestations au survivant aux cas oú les contributeurs se marient avant l'âge de 60 ans ou à 60 ans-Pour conclure, comme le juge de première instance l'a fait, que l'expression dans chaque cas tient lieu d'âge de la retraite consiste à réécrire la loi, ce qui n'est pas permis en vertu de la règle du sens plausible-Quelle qu'ait été l'intuition du législateur au moment de l'adoption des dispositions, il a choisi de limiter le bénéfice des prestations au survivant en s'appuyant sur l'âge-L'intention du législateur d'étendre les prestations aux conjoints survivants de personnes qui se sont mariées après leur départ à la retraite n'est pas pertinente à la question de savoir si les dispositions sont discriminatoires-Le juge de première instance a commis une erreur de droit en tenant compte, dans son analyse de l'art. 15(1) de la Charte, de l'intention du législateur au moment de l'adoption des deux dispositions-L'intention que poursuivait le législateur au moment d'adopter une disposition est une considération qui doit se poser dans une analyse de l'article premier de la Charte-La première étape relative à l'analyse des droits à l'égalité consiste à déterminer si la loi attaquée crée une distinction qui nie au plaignant son droit à l'égalité devant la loi, à l'égalité dans la loi, à la même protection de la loi et au même bénéfice de la loi-À la deuxième étape, il faut déterminer si la distinction donne lieu à une discrimination parce qu'elle nie les droits à l'égalité sur le fondement d'un motif énuméré ou analogue et a pour effet d'imposer au plaignant un désavantage ou un fardeau en empêchant ou en restreignant l'accès aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres-L'art. 26e) de la LCPSD et l'art. 31(1) de la LPRFC créent une distinction-En refusant les prestations au survivant aux conjoints des contributeurs qui se sont mariés alors que ceux-ci étaient âgés de plus de 60 ans, ces dispositions établissent une distinction entre les conjoints survivants qui ont épousé des contributeurs avant que ceux-ci atteignent l'âge de 60 ans et celles qui ont épousé des contributeurs après que ceux-ci eurent atteint cet âge-Cette distinction équivaut à tout le moins à une discrimination par effet préjudiciable-Les conjoints n'acquièrent pas leur droit aux prestations au survivant au soixantième anniversaire de leur époux ni au moment de leur mariage, mais au décès de leur conjoint-Quand M. King est mort en 1990, l'art. 15 de la Charte était déjà en vigueur-Les prestations au survivant sont encore refusées à ce jour à Mme King, ce qui équivaut à une négation d'un avantage économique qui est offert aux conjoints survivants des contributeurs qui se sont mariés avant l'âge de 60 ans ou à 60 ans-La distinction fondée sur la personne «âgée de plus de 60 ans» constitue donc clairement une négation de l'égalité au même bénéficie de la loi-La pension au survivant confère un avantage économique, et l'accès à ces prestations est refusé aux conjoints survivants des contributeurs qui se sont mariés après 60 ans-Les groupes dont il faut tenir compte aux fins de la comparaison sont ceux qui sont créés par la loi elle-même: les conjoints survivants des contributeurs qui se sont mariés après 60 ans devraient être comparés avec les conjoints survivants des contributeurs qui se sont mariés avant cet âge, plutôt que de les comparer avec les fonctionnaires qui ne sont pas mentionnés dans la loi-Les conclusions de fait du juge de première instance appuient la conclusion selon laquelle les dispositions sont justifiées au regard de l'article premier-Elles constituent manifestement des limites prescrites par une règle de droit-Les objectifs des dispositions, c'est-à-dire le maintien des coûts à un niveau raisonnable et la nécessité de déterminer les obligations du régime de retraite à une date donnée, sont des motifs suffisamment urgents et réels pour justifier la restriction imposée à un droit garanti par la Charte-La restriction fondée sur l'âge entraîne des économies substantielles et elle est donc reliée rationnellement à ces objectifs-Le législateur a essayé, au moyen des dispositions contestées de la LCPSD et de la LPRFC, de distribuer des ressources limitées à des groupes qui se font concurrence, notamment les contributeurs en règle, les anciens contributeurs et leurs conjoints survivants et personnes à charge-Le critère de proportionnalité a été satisfait si le gouvernement a démontré qu'il existait un «fondement raisonnable» pour la limite fondée sur l'âge-Les conclusions de fait du juge de première instance concernant l'objet de l'élargissement des avantages jusqu'à l'âge de 60 ans, le coût accru de l'octroi des prestations au groupe exclu, et l'incertitude actuarielle découlant de l'élargissement de ces avantages sont la preuve qu'il existe un motif raisonnable pour limiter les droits à l'égalité des appelants-La restriction est dans ce cas raisonnable et justifiée au regard de l'article premier de la Charte-Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 1, 15, 24-Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 52-Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17, art. 31(1)-Loi sur la continuation de la pension des services de défense, S.R.C. 1970, ch. D-3, art. 25 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 81, art. 50), 26d),e).

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