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Canada ( Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ) c. Kisluk

T-300-97

juge Lutfy

7-6-99

105 p.

Demande visant à obtenir la révocation de la citoyenneté du défendeur au motif qu'il a été reçu comme résident permanent au Canada et qu'il a acquis la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels; plus particulièrement, il aurait omis de divulguer aux agents de l'immigration et de la citoyenneté canadienne 1) sa collaboration avec les autorités allemandes et les services qu'il leur a rendus en Ukraine au cours des années 1941 à 1943 comme membre de la police auxiliaire ukrainienne et 2) sa participation, en tant que membre des forces armées allemandes et de la police auxiliaire ukrainienne, à la perpétration de crimes et d'atrocités sur des civils-Le défendeur a obtenu son visa d'immigrant canadien en décembre 1948, le droit d'établissement au Canada en janvier 1949 et la citoyenneté canadienne en 1954-Le défendeur soutient qu'en décembre 1948, il n'y avait aucun pouvoir légal d'interdire l'entrée d'immigrants éventuels au Canada, y compris les collaborateurs, soit parce qu'ils étaient indésirables, soit qu'ils constituaient un risque pour la sécurité, s'ils étaient en règle avec la Loi sur l'immigration et son règlement-On suppose implicitement que les art. 3 et 38 de la Loi sur l'immigration avaient supplanté la prérogative royale relative à l'exclusion des étrangers pour raison de sécurité nationale-Le demandeur allègue qu'une telle prérogative découle implicitement de la prérogative royale touchant les affaires internationales et la défense nationale-Il est discutable que le gouvernement canadien ait rempli son obligation d'assurer la sécurité nationale par l'exercice d'une prérogative royale, du moins avant 1960 lorsque la loi a intégré pour la première fois «les services de sécurité et de renseignement qui peuvent être requis par le ministre» aux fonctions de la GRC-Le défendeur allègue que, même s'il avait divulgué ses activités durant la guerre en tant que garde des chemins de fer et membre de la police auxiliaire sous les Schutzmannschaften, aucun pouvoir légal n'existait qui eut permis de faire obstacle à son entrée au Canada s'il satisfaisait, par ailleurs, aux exigences de la loi-Le demandeur a répondu: i) le règlement pris en application de la Loi sur l'immigration a accordé aux agents d'immigration le pouvoir légal d'interdire à une personne de s'établir au Canada; ii) subsidiairement, ce pouvoir pourrait se fonder sur la doctrine de la prérogative royale-En ce qui concerne le volet ii), la prérogative royale, définie comme étant le pouvoir discrétionnaire ou arbitraire rémanent qui, à un moment quelconque, est légalement laissé à la discrétion de la Couronne-Une prérogative peut être supplantée par une loi, mais si la loi connexe n'a qu'un effet incident, une prérogative royale peut subsister-L'art. 17 de la Loi d'interprétation dispose que nul texte ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet sur ses prérogatives, sauf indication contraire y figurant-Les termes «indication contraire» ont reçu une interprétation large de façon à ce qu'ils comprennent des termes qui lient expressément, une intention claire de lier et une intention de lier lorsque l'objet de la loi serait «privé de toute efficacité» si l'État n'était pas lié-Il s'agit donc de savoir si la Loi sur l'immigration, dans la forme qu'elle revêtait en 1948, prévoyait, sur le plan législatif, un plan d'ensemble pour contrôler l'admission et le renvoi des sujets étrangers, écartant de ce fait la prérogative royale-Comme ni l'art. 3 ni l'art. 38 ne lie clairement et expressément la Couronne, la mise à l'écart de la prérogative royale d'exclure des immigrants éventuels pour des raisons de sécurité doit nécessairement se faire par voie d'interprétation fondée sur la teneur de la loi-Cette mise à l'écart totale de la prérogative royale, même par déduction, est une question incertaine à tout le moins-L'historique législatif de la Loi sur l'immigration dans le contexte de l'intérêt que le Canada porte de nos jours aux questions de sécurité nationale est examiné-Lorsque les art. 3 et 38 ont été édictés en 1910 puis modifiés en 1919, il est improbable que le législateur ait envisagé le genre de préoccupations qui ont surgi à la fin des années 1940 au chapitre de la sécurité, lorsqu'il a identifié les catégories d'immigrants interdits et, plus particulièrement, «les conditions ou exigences» concernant les immigrants convenables et désirables-Les mots «conditions ou exigences . . . ou autres du Canada» figurant à l'art. 38c) font partie du membre de phrase suivant: «jugés impropres, eu égard à» des facteurs socio-économiques; ces derniers portent en premier lieu sur le caractère approprié des immigrants éventuels et n'ont apparemment rien à voir avec la sécurité nationale-En 1948, la loi n'a pas reconnu aux résidents européens le droit d'entrer au Canada-Les immigrants éventuels d'outre-mer n'étaient pas autorisés à entrer ou à débarquer au Canada, même si leur entrée n'était pas interdite par l'art. 3 et s'ils s'étaient par ailleurs conformés à la Loi-Même si un immigrant d'outre-mer ne tombait pas dans l'une des catégories interdites, il ne jouissait pas pour autant du droit d'entrée-Le droit de l'immigrant de s'établir au Canada a été instauré pour la première fois en 1976-Il est donc douteux que la loi ait pleinement supplanté la prérogative royale relative à l'exclusion des étrangers pour des raisons de sécurité nationale, mais il n'est pas nécessaire de décider si le pouvoir légal d'interdire l'entrée pour des raisons de sécurité reposait uniquement sur la doctrine de la prérogative royale étant donné les conclusions quant à l'effet des décrets du conseil qui étaient en vigueur en 1948-En 1931, le gouverneur en conseil a interdit le débarquement des immigrants de toutes catégories et professions à quatre exceptions près-L'emploi de termes exprimant une faculté accordait à l'agent d'immigration le pouvoir discrétionnaire d'admettre les personnes entrant dans les catégories d'immigrants autorisés et celui de refuser l'entrée à des immigrants-Le fait d'être compris dans une catégorie exemptée ne créait pas le droit de débarquer au Canada-Ni l'art. 3 de la Loi ni ce décret du conseil ne créaient pareil droit-Le décret C.P. 2856 est entré en vigueur en juillet 1950-Il exige que la personne convainque le ministre qu'elle est un immigrant convenable, eu égard aux conditions climatériques, sociales, éducatives, industrielles, ouvrières ou autres, ainsi qu'aux besoins du Canada-Le défendeur soutient qu'auparavant, le pouvoir d'interdire l'entrée d'immigrants éventuels au Canada pour des raisons de sécurité nationale n'existait pas en droit-Il prétend que les mots «conditions ou exigences . . . ou autres» constituent le fondement du tout premier pouvoir légal d'interdire l'entrée de collaborateurs-Il n'y a aucun élément de preuve direct suivant lequel le décret C.P. 2856 ait eu pour objet de s'attaquer aux questions dont les responsables se préoccupaient et discutaient en 1949 au sujet du pouvoir légal-Le pouvoir légal d'interdire l'entrée des personnes indésirables ou présentant un risque pour la sécurité découle du pouvoir discrétionnaire conféré aux agents d'immigration d'autoriser le débarquement au Canada, et non pas des mots «conditions ou exigences . . . ou autres» figurant au décret C.P. 2856-Les décrets du conseil C.P. 695, C.P. 4849, C.P. 2743 et C.P. 2856 frappaient d'interdiction générale le débarquement d'immigrants de toutes catégories et professions, tout en accordant aux agents d'immigration le pouvoir discrétionnaire de permettre le débarquement de certaines catégories-Les immigrants éventuels reconnus comme collaborateurs des Allemands ou qui constituaient par ailleurs une menace à la sécurité nationale pouvaient être refoulés du Canada-Ce point de vue est conforté par une deuxième série de décrets du conseil prescrivant que les passeports de certains étrangers doivent porter le visa d'un fonctionnaire de l'immigration du Canada-Ceux-ci sont plus convaincants quant à l'existence d'un pouvoir légal d'interdire l'entrée d'immigrants éventuels pour des raisons de sécurité nationale-Compte tenu des décrets du conseil C.P. 4849 et 4851, les agents d'immigration avaient, en décembre 1948, le pouvoir légal d'interdire l'entrée et l'établissement d'immigrants au Canada au motif qu'ils étaient indésirables ou qu'ils mettaient en jeu la sécurité du pays-Ce résultat est cohérent avec l'interdiction d'entrer faite dans l'art. 3(i) aux personnes qui ne remplissent pas ni n'observent les conditions et prescriptions de tout règlement-Après l'occupation soviétique de l'Ukraine, la famille du défendeur a déménagé en Pologne oú le défendeur a travaillé comme garde des chemins de fer et a porté arme et uniforme allemand tout au long de 1940 et au début de 1941-Il est retourné habiter en Ukraine oú il a été engagé comme agent de police de fin 1941 jusqu'à fin 1943-Rien ne prouve vraiment que le défendeur ait été forcé de s'employer comme garde des chemins de fer ou agent de police-Il a reconnu avoir travaillé comme garde des chemins de fer intégré à la police allemande parce qu'il devait travailler quelque part et n'avait pas d'autre choix-Il était payé et nourri-Il aurait pu travailler sur la ferme familiale lorsqu'il a été recruté comme agent de police-Là encore, il était payé, logé et nourri-Le défendeur a volontairement aidé les forces allemandes-Il s'est chargé d'escorter, pour le compte de la police, une servante juive jusqu'au lieu de son exécution-Son rôle de policier ne consistait pas seulement à faire enquête sur des cas de larcins et de violence domestique-Il était membre de la police auxiliaire mise sur pied par les Allemands et connue sous le nom de Schutzmannschaften-De par ses activités comme garde des chemins de fer et agent de police auxiliaire, le défendeur a collaboré avec les Allemands entre 1940 et 1943-Le groupe des Schutzmannschaften constituait une force de police auxiliaire dans les collectivités rurales sous l'égide des Schutz Staflel ou S.S.-Lorsque le défendeur a obtenu son visa d'immigrant au Canada en décembre 1948, il n'aurait pas fallu que le médecin et l'agent d'immigration rencontrent les demandeurs de visa avant que ceux-ci n'aient passé l'entrevue avec l'agent de sécurité-Comme le défendeur a été reçu par un médecin et un agent d'immigration, il a, selon la prépondérance des probabilités, également été reçu par un agent de sécurité-Selon la prépondérance des probabilités, le défendeur a été interrogé au sujet des emplois qu'il a occupés pendant la Seconde Guerre mondiale-Il a délibérément passé sous silence l'aide qu'il a fournie aux Allemands dans ses fonctions de garde des chemins de fer et d'agent de la police auxiliaire-La réponse qu'il a donnée durant son entrevue avec la GRC en 1953 relative à la citoyenneté, voulant qu'il soit entré en Allemagne comme travailleur forcé, dissimulait des faits essentiels-Compte tenu des conclusions concernant sa participation aux incidents survenus entre 1941 et 1943, sa déclaration faite sous serment dans sa demande de citoyenneté de 1954 attestant de sa bonne moralité est fausse-Le défendeur a été admis comme résident permanent au Canada et a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels-Loi sur l'immigration, S.R.C. 1927, ch. 93, art. 3, 38-Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 17, Loi de l'immigration-Décret concernant l'entrée d'immigrants au Canada, DORS/50-232 (C.P. 1950-2856)-Loi de l'immigration-Règlements concernant l'entrée d'immigrants au Canada, DORS/49-227 (C.P. 1949-2743)-Loi de l'immigration-Règlements sur la production de passeports par les immigrants venant au Canada, DORS/47-922 (C.P. 1947-4851)-Loi de l'immigration-Interdiction aux immigrants de débarquer au Canada, sauf en certains cas, DORS/47-920 (C.P. 1947-4849).

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