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[2018] 3 R.C.F. F-22

Pénitenciers

Demandes de contrôle judiciaire attaquant le régime de rétribution des détenus dans les pénitenciers — Plus précisément, les demandeurs ont contesté le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620), la Directive du Commissaire 730 : « Affectation des délinquants aux programmes et rétribution des détenus », et la Directive du Commissaire 860 : « Argent des délinquants » — Avant 1981, le régime de rémunération en place était considéré comme une « récompense pour bonne conduite […] pour le travail effectué dans le cadre d’un emploi » — Un nouveau régime de rémunération a été créé en 1981 pour rémunérer le travail fait par les détenus, mais aussi pour rémunérer les détenus qui participaient à des programmes d’études et de formation — Ce régime aura été le plus généreux, puisque les révisions subséquentes n’ont jamais bonifié ce régime — Les demandeurs se sont plaints que la rétribution qui était déjà érodée depuis longtemps a été réduite sensiblement (de 30 p. 100) en octobre 2013 par des mesures mises en œuvres par la modification de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (Loi) et des Directives du Commissaire — Plus précisément, l’art. 101.1(2) du Règlement a été modifié pour ajouter des frais relatifs au système téléphonique aux retenues au titre de l’hébergement, de la nourriture et des vêtements de travail faisant déjà l’objet de l’art. 104.1 du Règlement; la Directive du Commissaire 860 a été modifiée pour fixer la retenue à 22 p. 100 de la rétribution payée au titre de l’hébergement et de la nourriture et pour ajouter une retenue de 8 p. 100 au titre des frais afférents au service téléphonique; la Directive du Commissaire 730 a été modifiée pour retenir les primes de rendement — Les demandeurs ont soutenu que ces déductions n’étaient pas conformes à la loi habilitante (Loi, art. 78), et qu’elles étaient inconstitutionnelles ou contraires au Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 — Il s’agissait de savoir si le Règlement et les Directives du Commissaire étaient conformes à la loi habilitante, si le Règlement et les Directives du Commissaire étaient contraires aux art. 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et si le travail fait par les détenus l’était dans le cadre d’une relation employeur-employé telle que le Code canadien du travail trouvait application — Dans la présente affaire, l’action prise par l’administration était permise par l’art. 78 de la Loi — Essentiellement, les demandeurs ont soutenu que le législateur a fait une erreur en adoptant l’art. 78 de la Loi, car l’exercice du pouvoir n’était pas conforme aux buts du système correctionnel énoncés à l’art. 3 de la Loi — Un texte comme l’art. 3 peut être utile pour interpréter un autre article qui serait par ailleurs ambigu, mais l’on ne peut passer outre à un texte clair et spécifique comme l’art. 78 de la Loi — L’art. 78 de la Loi est loin d’être vague — Le législateur a explicitement reconnu que les ponctions pouvaient être à hauteur de 30 p. 100 — Il n’y a aucun conflit réel ou virtuel entre le pouvoir conféré par l’art. 78 et les objectifs du système correctionnel — Les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer que les textes réglementaires était ultra vires comme non habilités par l’art. 78 de la Loi — En ce qui concerne l’art. 12 de la Charte, les demandeurs ont prétendu que la rétribution payée, y inclus la ponction de 30 p. 100 maintenant en place, constituait un traitement cruel et inusité — Ce faisant, les demandeurs ont ignoré le texte de l’art. 78 de la Loi — La rétribution en l’espèce n’est pas en paiement du travail fait, mais bien pour encourager la participation aux programmes, dont ceux qui incluent le travail — L’on a mal vu en quoi le traitement prévu par une loi ne faisant pas l’objet d’une attaque en inconstitutionnalité pourrait être inconstitutionnel du seul fait que le Commissaire a exercé le pouvoir donné pour diminuer la rétribution, à la hauteur de ce qui était permis par le Parlement — La véritable invitation de la part des demandeurs a consisté à demander à cette Cour de porter jugement sur la sagesse de la décision du Commissaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire comme la Loi le lui permettait et sur la décision du Conseil du Trésor de fixer les rétributions — Les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau d’établir que les rétributions payées étaient insuffisantes au point d’imposer au gouvernement une obligation positive parce que le traitement était incompatible avec la dignité humaine — Les demandeurs ne se sont pas acquittés non plus du fardeau aux termes de l’art. 7 de la Charte — Les demandeurs ont fait valoir que leur refus de travailler parce que les rétributions ont été diminuées pourrait résulter en des limitations supplémentaires à leur liberté de mouvement au sein de l’établissement — Or, les détenus qui ne participaient pas aux activités régulières devaient demeurer dans leur cellule pendant cette période; il n’était donc pas facile de voir une atteinte importante à la liberté — La contrainte physique est inhérente à l’emprisonnement — L’argument des demandeurs selon lequel leur intégrité psychologique a été atteinte a été rejeté également — La preuve au dossier ne permettait pas de conclure que des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique des détenus avaient résulté de l’ingérence de l’État — Enfin, l’absence totale d’argument au sujet d’une atteinte aux principes de justice fondamentale a été fatale à la thèse des demandeurs fondée sur l’art. 7 de la Charte — Les demandeurs ont invoqué un ensemble de règles minimales des Nations-Unies pour le traitement des détenus, mais la puissance de cet instrument est très limitée, et il n’a aucun effet contraignant — Les instruments internationaux cités par les demandeurs ne s’élevaient pas au niveau requis pour être considérés comme des principes de justice fondamentale — Ils n’avaient pas non plus la précision voulue « pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne » — En ce qui concerne la question de savoir si le Code canadien du travail s’appliquait dans la présente affaire, l’argument des demandeurs était fondé sur l’art. 167 du Code, qui détermine les cas où la Partie III du Code peut être invoquée — L’art. 167(1)d) du Code exclut les ministères au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 — Le Service correctionnel du Canada (SCC) est un tel ministère — Le Code et la Partie III ne s’appliquaient donc pas à lui — Le détenu qui travaille en établissement n’est pas non plus un employé du SCC au sens des art. 12 et 13 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, ou en vertu de la Partie I du Code — Les demandeurs ont allégué également qu’il existait une relation d’employeur-employé dans le cadre légal fédéral, à savoir une relation qui procéderait de la common law — Mais cette relation, quelle qu’elle soit, devait céder le pas aux textes de loi qui régissaient spécifiquement la relation du détenu donnant ouverture à une forme de paiement — À moins que l’art. 78 de la Loi ne soit inconstitutionnel, c’est lui qui gouvernait la situation des détenus — La rétribution dans la présente affaire n’était pas en paiement du travail fait, mais pour encourager la participation aux programmes en établissement et favoriser la réinsertion sociale — La participation à des programmes ne donnait pas lieu à une relation employeur-employé dans l’état actuel du droit — Demande rejetée.

Guérin c. Canada (Procureur général) (T-1892-14, T-756-14, T-2101-14, T-2137-14, T-2222-14, T-144-16, 2018 CF 94, juge Roy, jugement en date du 29 janvier 2018, 83 p.)

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