Fiches analytiques

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Droit maritime

Responsabilité délictuelle

Requête en jugement sommaire visant à faire rejeter l’action pour négligence de la demanderesse au motif que les pertes que celle-ci a subies constituaient des pertes économiques ne donnant pas lieu à indemnisation — En 2015, le « BBC Lena » (le navire) a heurté le pont no 19, qui fait partie de la Voie maritime du Saint-Laurent (la Voie maritime) — Cet accident a causé au pont 19 plusieurs dommages structuraux qui ont entraîné des réparations importantes et l’arrêt de toute circulation sur le pont et sous ce dernier pendant près de six mois — Pendant toute la période pertinente, la demanderesse a été une société à but non lucratif chargée de la gestion et de l’exploitation de la Voie maritime, ce qui inclut le pont 19 — Cette responsabilité découle de l’art. 80(5) de la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10 (la Loi), et d’une série d’ententes de gestion qu’ont conclues la demanderesse et la Couronne — Ces ententes font en sorte que la demanderesse est chargée de faire faire les réparations nécessaires au pont à ses propres frais — La demanderesse a prétendu que l’accident et les dommages qui en ont résulté étaient imputables à l’état d’innavigabilité du navire, ainsi qu’à la faute et à la complicité des propriétaires défendeurs et à la négligence de ses officiers et membres d’équipage — Elle a réclamé des dommages-intérêts d’environ un million de dollars pour le coût des travaux de réparation du pont; elle a aussi demandé une indemnisation pour la perte d’usage du pont, etc. — Les défendeurs ont affirmé que les pertes et les dommages que la demanderesse a subis constituaient des pertes économiques relationnelles, qui, en droit, ne donnent pas lieu à indemnisation — La demanderesse a soutenu qu’il ressort clairement d’une revue des dispositions applicables des ententes de gestion et de la Loi que la totalité des droits et des responsabilités de la Couronne qui se rapportent aux biens pertinents, dont le pont 19, lui ont été conférés et qu’elle détient de ce fait tous les pouvoirs nécessaires pour engager la présente instance et obtenir une indemnisation complète — Il s’agissait de savoir si la Loi, que les ententes de gestion mettent en application, confère à la demanderesse le droit de présenter une demande d’indemnisation; si le droit de la demanderesse de présenter une demande d’indemnisation se limite aux actions destinées à protéger les intérêts de la Couronne; s’il était prévu par les ententes de gestion d’empêcher la demanderesse d’être indemnisée des dommages dus à la négligence d’un tiers; si les pertes que la demanderesse a subies sont des pertes économiques relationnelles — L’affaire se résumait essentiellement à la nature de la relation contractuelle entre la demanderesse et la Couronne — La Loi permet au ministre des Transports de conclure des ententes relatives à la Voie maritime, lesquelles ententes peuvent être conclues avec une société à but non lucratif — Aux termes de l’art. 80(6), une entente de cette nature peut inclure les mesures que le ministre juge indiquées — Lorsqu’une entente conclue en vertu de l’art. 80(5) de la Loi le prévoit, la personne qui l’a conclue est tenue d’intenter les actions en justice qui se rapportent à la gestion des biens et de répondre à celles qui sont intentées contre elle (art. 91(1)d)), ainsi que d’exécuter les obligations qui se rattachent à la gestion de ces biens (art. 91(1)e)) — Les dispositions de la Loi et des ententes de gestion indiquent clairement que la responsabilité de la gestion et de l’exploitation des biens gérés, lesquels incluent le pont 19, incombe exclusivement à la demanderesse — De plus, les frais de réparation des biens gérés doivent être engagés exclusivement par elle, et celle-ci est tenue de les entretenir et de les réparer ainsi que d’exploiter la Voie maritime d’une manière commercialement avisée — Par ailleurs, toute action liée au bien géré doit être intentée par la demanderesse — Lue en corrélation, la Loi, que les ententes de gestion mettent en application, confère à la demanderesse le droit législatif de présenter des demandes telles que la présente action — Étant donné que les ententes transfèrent de la Couronne à elle la totalité des risques et des responsabilités qui se rattachent au pont 19, l’effet pratique de l’art. 91(2) est que seule la demanderesse est en mesure, et a le droit exclusif, de présenter des demandes d’indemnisation, comme elle l’a fait en l’espèce — La prétention des défendeurs selon laquelle l’art. 91 n’autorise la demanderesse qu’à intenter une action en justice pour « protéger les intérêts de Sa Majesté – et non ceux de la société demanderesse » a été rejetée — Détail important, l’art. 91 ne contient aucune formulation ou restriction de cette nature –– La Loi et les ententes de gestion conclues en vertu de l’art. 80(5) créent un régime dans le cadre duquel, une fois qu’une entente fondée sur l’art. 80(5) est conclue, l’entité qui l’a conclue prend en fait la place de la Couronne pour ce qui est de la gestion et de l’exploitation des biens en question — Ayant conclu les ententes visées à l’art. 80(5), la demanderesse a agi à la place de la Couronne — Rien dans le libellé de l’art. 91, le contexte ou l’objet de la Loi, pas plus que dans les ententes qui l’appliquent, ne donne à penser que le droit qu’a la demanderesse d’intenter une action en justice se limite à protéger les biens et les intérêts de la Couronne pour le compte de la Couronne, à l’exclusion du fait d’être indemnisée des pertes qu’elle a subies par suite des responsabilités qu’elle assume dans le cadre des ententes — Même si la demanderesse n’était pas propriétaire des biens gérés, dont le pont 19, elle était uniquement chargée d’exploiter, de gérer et de réparer ces biens à ses propres frais, ainsi que d’exploiter la Voie maritime d’une manière commercialement saine — Pour remplir cette fonction, la demanderesse doit être capable d’intenter des actions en vue de recouvrer les frais qu’elle engage pour réparer les dommages causés à ces biens par la négligence d’un tiers — Elle dispose de ce pouvoir par le truchement de la Loi, que les ententes mettent en application — Enfin, en ce qui concerne les pertes subies par la demanderesse, compte tenu de la nature, ou de l’effet, de la relation contractuelle entre la Couronne et la demanderesse, la demande d’indemnisation de cette dernière pour les frais qu’elle a engagés en réparant les dommages causés au pont 19 par la négligence des défendeurs s’apparente aux demandes que peuvent présenter les affréteurs coque nue et elle tombe sous le coup de l’exception fondée sur le droit de possession (exception à la présomption contre l’indemnisation pour les pertes économiques relationnelles) — Étant donné que rares sont les demandeurs qui détiendront un droit de possession ou de propriété, cela dissipe les préoccupations d’indétermination que crée la perte économique relationnelle découlant d’un contrat — Contrairement aux affaires caractéristiques de perte économique, dans la présente affaire le fait d’autoriser la demanderesse à intenter une action fondée sur le droit de possession qu’elle détient sur le pont ne présentait pas un risque de responsabilité indéterminée, ou de sur-dissuasion — Si la demanderesse n’était pas autorisée à intenter la présente action pour tenter d’être indemnisée de ses frais de réparation réels, il n’y aurait aucun facteur de dissuasion — En conclusion, l’affaire pouvait être tranchée par voie de jugement sommaire — Requête accueillie en faveur de la demanderesse.

Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent c. BBC Lena (Navire) (T-1621-16, 2018 CF 1026, juge Strickland, jugement en date du 12 octobre 2018, 61 p.)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.