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Douanes et Accise

Loi sur les douanes

Appel d’une décision de la Cour d’appel fédérale (2018 CF 1118), qui a accueilli deux demandes de contrôle judiciaire présentées par l’intimée La Cour fédérale a annulé les décisions de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui a rejeté les demandes de remise de droits de douane présentées par l’intimée en vertu du Décret de remise sur les textiles et vêtements (2014) (DRTV), DORS/2014-278 (le décret de 2014) En 1988, le ministère des Finances a présenté une série de décrets de remise destinés à aider les fabricants canadiens de textiles et de vêtements aux prises avec une concurrence internationale accrue Ce programme permettait aux entreprises énumérées d’importer certaines marchandises en franchise de droits, sous réserve du respect des conditions énoncées dans les décrets En 1997-1998, ces décrets ont été remplacés par des versions mises à jour par suite de l’Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2) — La nouvelle version du programme fixait un plafond annuel de remises pour chaque entreprise énumérée; six décrets de remise ont constitué le fondement du programme des DRTV De nombreux fabricants ont commencé à chercher des moyens de profiter des avantages du programme en tant que fabricants canadiens sans devoir créer ou agrandir une entreprise d’importation Pendant de nombreuses années, les fonctionnaires du ministère des Finances et de l’ASFC ont permis aux fabricants canadiens admissibles de conclure avec des importateurs canadiens des accords afin d’obtenir leurs droits de remise, pour tirer profit des avantages du programme de remise Comme preuve que cette pratique était approuvée, l’intimée a déposé des affidavits de divers fonctionnaires du ministère des Finances L’ASFC a par la suite constaté des irrégularités dans son administration du programme des DRTV à l’égard du transfert des droits de remise entre plusieurs entreprises Elle a suspendu le traitement de toutes les demandes concernant le programme des DRTV et a procédé à un examen de l’assurance de la qualité du programme Par conséquent, les demandes de l’intimée à l’égard de la remise des droits de douane sur les marchandises importées en 2006, 2007, 2008 et 2009 ont été suspendues Une fois l’examen entrepris, l’ASFC a élaboré et publié le Mémorandum D8-11-7 en 2012 (Politique de l’ASFC sur le transfert du droit de remise en vertu des décrets de remise sur les textiles et vêtements), qui explique le transfert du droit de remise des droits de douane prévu aux décrets de remise Dans ce Mémorandum, on reconnaît en outre la possibilité de conclure des ententes de partenariat à certaines conditions — On y définit la procédure à suivre lorsqu’un changement de nom de l’importateur est nécessaire en raison d’une erreur de la part de l’importateur ou de l’ASFC La procédure devait aussi satisfaire aux exigences de l’art. 7.1 de la Loi Le décret de 2014 a été pris afin de remédier à la situation relevée lors de l’examen; il s’appliquait à l’administration du programme des DRTV de 2008 à 2012, année où il a pris fin; il visait à garantir que les fabricants admissibles reçoivent la pleine remise à laquelle ils avaient droit jusqu’en 2012 La remise aux entreprises admissibles était assujettie à certaines conditions L’intimée était l’une des entreprises admissibles figurant dans le décret de 2014 Trois des demandes de drawback de l’intimée étaient pertinentes dans l’appel, et chacune d’entre elles était accompagnée d’une demande de changement de nom Deux de ces demandes de l’intimée étaient essentiellement de secondes tentatives, car les demandes de drawback antérieures avaient été refusées par l’ASFC en 2016 au motif que les documents requis n’avaient pas été fournis Ces demandes étaient accompagnées de lettres et d’arguments supplémentaires, mais l’intimée n’a pas fourni les documents justificatifs requis par le Mémorandum pour ses demandes de changement de nom En septembre 2017, un haut fonctionnaire de l’ASFC a rejeté ces deux demandes au motif que les documents fournis ne satisfaisaient pas aux exigences Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour fédérale s’est prononcée en faveur de l’intimée, estimant que la décision n’était pas conforme au devoir d’équité de l’ASFC, en plus d’être arbitraire et déraisonnable Elle a estimé que l’intimée avait une attente légitime, fondée sur une pratique régulière claire, nette et explicite, selon laquelle l’ASFC accepterait ses demandes de changement de nom et approuverait les demandes de drawback En rejetant les demandes sans motifs détaillés, la Cour fédérale a conclu que l’ASFC a traité l’intimée de façon inéquitable Elle a également conclu que la décision de l’ASFC était déraisonnable, car elle était dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a mal appliqué la norme de la décision raisonnable aux décisions de l’ASFC L’arrêt de la Cour suprême Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, a été rendu après l’audition du présent appel et concernait la norme de contrôle applicable L’arrêt a souligné l’importance de la justification d’une décision administrative et ordonne à la cour de révision d’examiner la décision pour décider si elle est raisonnable au regard des contraintes juridiques et factuelles qui encadrent le pouvoir discrétionnaire du décideur Parmi les contraintes qui jouent lorsqu’il s’agit de décider si une décision est raisonnable figurent le régime légal applicable, les éléments de preuve dont disposait le décideur, les pratiques et la jurisprudence antérieures, etc. — Le Mémorandum indique très clairement les documents devant appuyer une demande de changement de nom L’ASFC doit se conformer à la Loi (art. 7.1) et vérifier si la personne qui fait exporter les marchandises au Canada est vraiment l’importateur avant d’approuver rétroactivement la demande de changement de nom d’un importateur L’intimée affirme cependant que les décisions contestées de l’ASFC ne respectent pas les pratiques et les décisions antérieures Les demandes de 2011 et 2012 de l’intimée ont toutes deux été rejetées sans aucune explication ou justification du traitement différent qui leur avait été accordé La situation était particulièrement criante lorsqu’on se rappellait que la demande précédente avait été acceptée au vu des mêmes renseignements que ceux fournis par l’intimée Bien que l’ASFC n’ait pas été tenue de suivre la même ligne de conduite que par le passé et qu’il lui ait été loisible de modifier sa politique afin de se conformer à la Loi, en l’espèce, l’ASFC aurait dû fournir une explication à l’intimée sur la raison pour laquelle elle s’était écartée de sa pratique antérieure Les décisions de l’ASFC n’étaient pas raisonnables compte tenu de l’important facteur contextuel en l’espèce Il ne suffisait pas de prétendre, a posteriori, que les décisions prises par le fonctionnaire de l’ASFC étaient conformes à l’objet et à la portée du régime légal dans lequel elles s’inscrivaient — Compte tenu de l’incidence des décisions sur l’intimée, l’ASFC devait expliquer à cette dernière les raisons pour lesquelles la pratique antérieure avait été écartée et, vraisemblablement, les raisons pour lesquelles un accord de partenariat conclu après l’importation contreviendrait à l’art. 7.1 de la Loi et saperait le régime douanier, alors que de tels accords avaient été acceptés sans conteste dans le passé Par conséquent, à la lumière des récents enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, il était loisible à la Cour fédérale de s’attacher à l’absence de mention par le fonctionnaire de l’ASFC de sa décision antérieure ou de la pratique ministérielle de longue date consistant à accepter les demandes de changement de nom sans documentation à l’appui La Cour fédérale a donc conclu à juste titre que les décisions de l’ASFC manquaient de justification, de transparence et d’intelligibilité La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que la décision de l’ASFC de ne pas accepter les demandes de changement de nom était déraisonnable Au contraire, cette conclusion était étayée par l’arrêt récent Vavilov, où l’on a insisté, pour qu’une décision soit raisonnable, qu’elle soit assortie d’une justification, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles qui interviennent — Un décideur ne saurait s’écarter de décisions antérieures ou d’une pratique antérieure de longue date, en particulier lorsqu’il est trop tard pour que les intéressés adaptent leur comportement en conséquence, sans fournir une explication raisonnable de cet écart Quant à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le refus de l’ASFC d’accepter la demande de changement du nom de l’importateur présentée par l’intimée était contraire aux attentes légitimes de cette dernière, l’intimée n’a pas soulevé le devoir d’équité devant la Cour fédérale Par souci d’équité, les tribunaux devraient limiter leur examen aux seuls motifs invoqués dans les actes de procédure L’intimée a fait valoir un manquement à l’équité par rapport à ses attentes légitimes, mais ce n’était pas suffisant pour faire jouer directement la question de l’équité procédurale proprement dite Il ressortait clairement d’une transcription de l’audience que les parties ne se sont jamais entendues sur cette question; la Cour fédérale a donc commis une erreur de droit en concluant que l’appelant avait porté atteinte aux attentes légitimes de l’intimée Quoi qu’il en soit, l’analyse de l’équité procédurale à laquelle la Cour fédérale a procédé équivalait en réalité à un examen au fond déguisé Sa conclusion en matière d’équité procédurale semblait n’être rien d’autre qu’une reformulation de sa conclusion selon laquelle la décision était raisonnable au fond De plus, le principe des attentes légitimes ne saurait créer des droits fondamentaux  Les pratiques antérieures ne pouvaient donc pas fonder une attente légitime qu’une demande de changement de nom concernant l’importateur officiel soit accordée à l’avenir, même si une telle pratique était établie La Cour ne peut accorder une réparation procédurale convenable que si les conditions d’application de ce principe sont remplies En outre, les attentes légitimes ne sont qu’un des facteurs qui jouent lorsqu’il s’agit de déterminer ce qu’exige l’équité procédurale dans un contexte donné En l’espèce, rien n’indiquait que l’intimée n’a pas bénéficié d’une procédure équitable, notamment d’un préavis et de la possibilité de fournir des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de ses demandes Par conséquent, la Cour fédérale a conclu à tort que la décision de l’ASFC de ne pas accéder aux demandes de changement de nom a été prise en violation de son obligation d’équité — Les demandes de remise présentées par l’intimée ont été renvoyées à l’ASFC aux fins de réexamen à la lumière des présents motifs — Appel rejeté.

Canada (Procureur général) c. Honey Fashions Ltd. (A-407-18, 2020 CAF 64, juge de Montigny, motifs du jugement en date du 19 mars 2020, 22 p.)

 

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