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Pêches

Contrôle judiciaire de la décision rendue par le sous-ministre (SM) du ministère des Pêches et des Océans du Canada (MPO), qui a rejeté la demande d’autorisation du demandeur en vue de continuer à recourir à un exploitant substitut pour des raisons médicales (ESM) pour son permis de pêche au homard — Le SM a rejeté la demande du demandeur au motif que la période en question dépassait la limite de cinq ans pour recourir à un ESM, établie à l’art. 11(11) de la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada – 1996 (la Politique de 1996) — Le SM a conclu que les circonstances invoquées par le demandeur pour appuyer sa demande d’exception à la politique en question ne constituaient pas des circonstances atténuantes justifiant une exception — Le demandeur est un pêcheur titulaire d’un permis de propriétaire-exploitant qui l’autorise à pêcher le homard en Nouvelle-Écosse — Le permis visé par la présente demande autorisait le demandeur à pêcher le homard sur la côte sud-ouest de la Nouvelle-Écosse — Le demandeur détenait le permis depuis 2007; il l’a exploité personnellement et a pêché à temps plein jusqu’à ce qu’un problème de santé l’en empêche — Le demandeur avait des problèmes aux jambes; en raison de son état, il était incapable de satisfaire aux exigences physiques quotidiennes associées à l’exploitation à temps plein de son bateau de pêche — Par conséquent, il a demandé au MPO une autorisation de recourir à un ESM, autorisation qui lui a été accordée — L’autorisation visant le recours à un ESM a pour but de permettre à une autre personne d’exercer les activités autorisées au titre d’un permis de pêche lorsque la maladie empêche le titulaire du permis d’exploiter personnellement un bateau de pêche — Dans la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire et sur la recommandation de l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique (OAPPA) et du MPO, le SM a rejeté l’appel du demandeur — Cette décision renvoyait à l’art. 23(2) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, pris sous le régime de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, et à l’art. 11(11) de la Politique de 1996 — Dans la décision, le SM n’a pas fait expressément référence aux arguments relatifs à la Charte canadienne des droits et libertés soulevés par le demandeur — Néanmoins, tout au long de la procédure judiciaire qui a suivi, le MPO a continué d’autoriser le demandeur à avoir recours à un ESM pour pêcher conformément à son permis, jusqu’à la saison de pêche se terminant le 31 juillet 2019, mais le MPO n’a pas fourni une telle autorisation au-delà de cette date — Le demandeur a demandé à la Cour fédérale et a obtenu une mesure interlocutoire en attendant l’issue de sa demande de contrôle judiciaire — Cette injonction autorisait le demandeur à avoir recours à un ESM pour le reste de la période de pêche durant l’année civile 2019 — Le demandeur visait à obtenir, plus particulièrement, une ordonnance annulant la décision du SM, au motif qu’elle était incorrecte ou déraisonnable; une déclaration selon laquelle la décision était discriminatoire et contraire à l’art. 15(1) de la Charte; une déclaration selon laquelle la limite de cinq ans prévue à l’art. 11(11) de la Politique de 1996 contrevenait à l’art. 15(1) de la Charte; une déclaration selon laquelle tout pouvoir discrétionnaire délégué par le ministre des Pêches et des Océans (le ministre) au SM en matière de délivrance de permis était assujetti à l’art. 15(1) de la Charte — Il s’agissait principalement de savoir si la décision était correcte ou raisonnable; si la limite de cinq ans prévue dans la Politique de 1996 était discriminatoire et inopérante du fait qu’elle contrevenait à la Charte — Les protections doivent être touchées le moins possible, compte tenu des objectifs législatifs applicables — Ce principe ne signifie pas que le décideur administratif doit choisir la possibilité qui restreint le moins la protection conférée par la Charte — Cependant, si le décideur rejette une possibilité ou une solution dont il disposait raisonnablement et qui serait susceptible de réduire l’incidence sur le droit protégé, tout en lui permettant de favoriser suffisamment la réalisation des objectifs pertinents, une telle décision ne se situerait pas à l’intérieur d’une gamme d’issues raisonnables du contrôle judiciaire ni ne représenterait la mise en balance proportionnée requise — Le critère établi dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464 (Alliance), régissait la question préliminaire de savoir si l’art. 15 de la Charte s’appliquait à la décision — Le critère comporte deux étapes  : dans un premier temps, il faut déterminer si la loi contestée crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, et, dans l’affirmative, si la loi impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage — Il a été satisfait aux deux étapes du critère établi dans l’arrêt Alliance — La décision du ministre de refuser d’accorder au demandeur l’autorisation visant le recours à un ESM, dont le demandeur a besoin pour pêcher conformément à son permis, faisait nécessairement intervenir ses droits garantis par l’art. 15(1) de la Charte, en tant que personne ayant une déficience physique — Le demandeur a présenté des arguments fondés sur la Charte relativement à la Politique de 1996 et à la décision même — L’OAPPA a conclu que l’examen de la question se rapportant à l’art. 15(1) de la Charte ne relevait pas de son mandat et a donc choisi de ne pas formuler de recommandation à ce sujet — Les documents de recommandation en cause montrent que l’objectif stratégique de soutenir une flottille de propriétaires-exploitants a été pris en considération et qu’il était craint qu’un accès plus généreux aux autorisations visant le recours à un ESM entraîne des abus qui iraient à l’encontre de cet objectif, mais ni les documents de recommandation ni la décision n’ont démontré que l’incidence de ces considérations stratégiques sur les droits à l’égalité du demandeur a été prise en considération — La conclusion selon laquelle une période de cinq ans était un délai raisonnable pour qu’un titulaire de permis incapable de l’exploiter personnellement prenne d’autres arrangements (c.-à-d. quitter le secteur de la pêche) est passée à côté de l’idée de l’argument du demandeur fondé sur la Charte, c’est-à-dire que, en tant que personne ayant une déficience, il ne devrait pas être obligé de renoncer au gagne-pain de son choix — La gravité de ce résultat et les objectifs de la politique n’ont pas été mis en balance, tout comme la question de savoir si ces objectifs pourraient raisonnablement être atteints d’une manière qui réduirait l’incidence sur les droits à l’égalité du demandeur n’a pas été prise en considération — La décision n’a pas démontré que le SM était conscient de l’exigence de procéder à une telle mise en balance — Les droits à l’égalité prévus à l’art. 15(1) s’appliquaient à la décision et ces droits n’ont pas été pris en considération — Bien que, de toute évidence, les art. 22 et 23 du Règlement autorisent le ministre à imposer des conditions liées aux permis, y compris autoriser une personne autre que le titulaire de permis à exercer l’activité au titre du permis, lorsque le titulaire est incapable de le faire en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, ces articles n’autorisent pas le ministre à établir des règles stratégiques obligatoires régissant l’exercice d’un tel pouvoir — Les politiques comme la Politique de 1996, que le ministre a le pouvoir d’adopter, ne sont pas des lois et ne peuvent pas être traitées comme telles par le décideur — L’art. 11(11) prévoit que le MPO peut autoriser la désignation d’un ESM pour la durée du permis et qu’une telle désignation ne peut dépasser une période totale de cinq ans — Cependant, de toute évidence, la limite de cinq ans n’est pas censée être contraignante — Si elle l’était, elle entrerait en conflit avec l’art. 23 du Règlement, qui ne prévoit aucune limite de ce genre, et constituerait une entrave illégale au pouvoir discrétionnaire du ministre — Par conséquent, l’art. 11(11) de la Politique de 1996 n’est pas de nature législative et ne peut donc pas faire l’objet d’une contestation au titre de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 —Décision annulée, affaire renvoyée au décideur pour qu’il rende une nouvelle décision, conformément aux présents motifs — Demande accueillie.

Robinson c. Canada (Procureur général) (T-562-19, 2020 CF 942, juge Southcott, motifs du jugement en date du 30 septembre 2020, 40 p.)

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