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Relations du travail

Tests de dépistage de drogues et d’alcool — Requête sollicitant une injonction interlocutoire provisoire visant à surseoir à l’application des dispositions contestées du document d’application de la réglementation de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) intitulé REGDOC-2.2.4 : Aptitude au travail, tome II : Gérer la consommation d’alcool et de drogues, version 3 (RegDoc) — Ce document oblige les titulaires de permis exploitant des sites nucléaires à sécurité élevée de catégorie 1 à mettre en œuvre un processus de dépistage de la présence d’alcool et de drogues chez les travailleurs dans des situations déterminées — La requête visait également à interdire à la CCSN d’obliger les titulaires de permis à mettre en œuvre un processus de dépistage d’alcool et de drogues au travail en vertu des dispositions contestées du RegDoc à titre de condition de leur permis; et à interdire aux titulaires de permis de mettre en œuvre le dépistage d’alcool et de drogues au travail en vertu des dispositions contestées du RegDoc — La CCSN est un tribunal administratif indépendant constitué en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, L.C. 1997, ch. 9 (Loi) — Toutes les personnes exploitant des installations nucléaires doivent le faire en conformité avec le permis délivré par la CCSN — La demande de permis visant une installation nucléaire de catégorie 1 doit exposer le programme de performance humaine proposé pour l’activité visée, y compris les mesures qui seront prises pour assurer l’aptitude au travail des travailleurs — L’objet du RegDoc vise à renforcer les programmes et politiques d’aptitude au travail actuellement en vigueur dans les installations nucléaires à sécurité élevée de catégorie 1 — Les demandeurs ont affirmé que les mesures prévoyant le dépistage aléatoire et le dépistage préalable à l’affectation pour les postes essentiels sur le plan de la sûreté sont exagérément envahissantes en plus d’être inutiles — Les employeurs ont mis au point une politique conjointe de mise en œuvre du RegDoc — Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage — L’arbitre a conclu qu’il n’avait pas compétence pour accorder aux demandeurs une injonction provisoire — Il a appliqué le critère à trois volets servant à déterminer s’il y a lieu d’accorder la mesure provisoire sollicitée (il existe une question sérieuse à trancher; les demandeurs subiront un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée; la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur) — Concernant la question du préjudice irréparable, l’arbitre a conclu que le droit d’une personne à la protection de ses échantillons de substances corporelles et des renseignements personnels éventuellement contenus dans ces échantillons se situait à l’extrémité supérieure du continuum du droit au respect de la vie privée et que le préjudice susceptible d’être causé par des tests qui seraient ultérieurement déclarés inacceptables serait irréparable — Il a par ailleurs conclu que la prépondérance des inconvénients favorisait l’octroi du sursis, car les employeurs n’ont pas démontré que l’impossibilité de mettre en œuvre les tests avant le prononcé d’une décision sur le fond de l’affaire entraînerait un préjudice important — Il s’agissait de savoir si les demandeurs ont établi chacun des trois volets du critère cumulatif — Les questions soulevées par les demandeurs ne sont ni futiles ni vexatoires — Les demandeurs ont satisfait au premier volet du critère tripartite — Ils ont également établi, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un préjudice irréparable — Si les défendeurs ont soutenu que la simple allégation d’une violation de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés ne permet pas d’établir l’existence d’un préjudice irréparable, les demandeurs ont invoqué la jurisprudence en matière d’arbitrage pour faire valoir que la saisie non consensuelle de liquides corporels ou d’échantillons d’haleine peuvent entraîner un préjudice irréparable — La notion de préjudice irréparable est axée sur le préjudice subi par le requérant — L’origine du préjudice que le requérant cherche à éviter (que ce préjudice découle de la décision de l’employeur ou d’un organisme de réglementation) et le cadre législatif applicable au contrôle de la décision ou de la mesure contestée importent peu à cette étape de l’analyse tripartite — La position des demandeurs sur ce volet du critère n’a pas été écartée au motif qu’ils se sont fondés uniquement sur l’allégation d’une violation — Dans le contexte arbitral, les tests aléatoires de dépistage de drogues n’ont pas trouvé validation — Ce constat semble concorder avec la jurisprudence signalée par les demandeurs en matière d’injonction — Les tribunaux ont adopté une approche rigoureuse lorsqu’ils sont saisis d’affaires qui mettent en cause des fouilles fortement envahissantes menaçant l’intégrité corporelle — Les circonstances de l’affaire (notamment la nature du lieu de travail, la taille de la population cible, l’importance de la sûreté, les conséquences potentiellement graves d’une erreur) ont été examinées en l’espèce — Le cadre fortement réglementé dans lequel évoluent les travailleurs occupant un poste essentiel sur le plan de la sûreté ne fait pas en sorte que ceux-ci doivent avoir une attente réduite en matière de vie privée et que le préjudice découlant de la mise en œuvre de tests de dépistage aléatoires et préalables à l’affectation doit être considéré comme minime — Les intérêts en jeu en matière de vie privée en cas de fouille envahissante portant atteinte à l’intégrité physique d’une personne se situent à l’extrémité supérieure du continuum — Les mesures de ce genre sont assujetties à des normes et garanties strictes et mettent en jeu d’importants intérêts — L’existence d’un préjudice irréparable a été établie pour les tests de dépistage d’alcool et de drogue prévus par le RegDoc, qu’ils soient aléatoires ou préalables à l’affectation — Les demandeurs ont satisfait au troisième volet du critère tripartite — La protection du droit au respect de la vie privée constitue un intérêt public important et concurrent — Le prélèvement non consensuel de liquides corporels réalisé dans la foulée de la mise en œuvre du RegDoc est une conséquence qui, incontestablement, touche au cœur même du droit à la vie privée — Les demandeurs ont établi l’existence d’un préjudice qui pourrait être évité pour le bien du public si l’injonction demandée était accordée — Requête accueillie.

Power Workers Union c. Canada (Procureur général) (T-1222-21, 2022 CF 73, juge Gleeson, motifs de l’ordonnance en date du 21 janvier 2022, 45 p.)

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