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[2021] 4 R.C.F. F-26

Preuve

Sujets connexes : Droit constitutionnel; Pratique

Requête de la demanderesse découlant de la demande de contrôle judiciaire qu’elle a présentée en lien avec la Proclamation déclarant une urgence d’ordre public, DORS/2022‑20 (proclamation de l’état d’urgence), prise le 14 février 2022 en vertu de l’art. 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 22 (Loi) — Selon la proclamation de l’état d’urgence, il se produisait dans tout le pays un état d’urgence justifiant la prise de mesures extraordinaires à titre temporaire — La demande de contrôle judiciaire sous‑jacente contestait la légalité de la proclamation de l’état d’urgence et des mesures connexes — Dans l’avis de demande, la demanderesse a demandé la production de documents relatifs à la proclamation de l’état d’urgence en vertu de la règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (demande fondée sur la règle 317) — Certains documents ont été initialement produits en réponse à la demande fondée sur la règle 317, dont certains qui avaient été caviardés en vertu de l’art. 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5 (LPC) et d’autres privilèges — Dans la présente requête, la demanderesse a demandé une déclaration selon laquelle la réponse à sa demande fondée sur la règle 317 était incomplète et visait à mettre la décision à l’abri d’un contrôle judiciaire — Elle a demandé une ordonnance enjoignant au défendeur de fournir, dans une forme non caviardée, à l’intention des conseillers juridiques uniquement, les éléments matériels à l’égard desquels le privilège du secret du Cabinet avait été revendiqué, sous réserve d’engagements de confidentialité — La proclamation de l’état d’urgence a été abrogée le 23 février 2022 en vertu de l’art. 22 de la Loi — À la suite du mouvement de protestation qui a eu lieu à Ottawa contre les mesures d’intervention en santé publique adoptées par le gouvernement fédéral en réponse à la pandémie de COVID‑19, appelé le « convoi de la liberté », le premier ministre Trudeau a réuni le Groupe d’intervention en cas d’incident (GII) le 10 février 2022 pour régler la question des barrages érigés partout au pays — La demanderesse est un organisme de bienfaisance enregistré dont la mission est de protéger les libertés constitutionnelles — Elle a déposé une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir des déclarations selon lesquelles la proclamation de l’état d’urgence et le Règlement sur l’état d’urgence étaient illégaux — D’autres demandes étaient en instance devant la Cour — Le 31 mars 2022, la greffière par intérim du Conseil privé a signé un certificat en vertu de l’art. 39 de la LPC et a fait valoir le caractère confidentiel des documents du Conseil privé de la Reine du Canada en lien avec certains éléments matériels — Par la suite, le défendeur a déclaré que le certificat prévu à l’art. 39 interdisait toute divulgation des renseignements demandés et a déposé une requête en radiation de la demande sous‑jacente, notamment — Le 23 février 2022, sur recommandation du Cabinet, le gouverneur en conseil a pris une Proclamation abrogeant la déclaration d’état d’urgence, DORS/2022‑26 (Proclamation d’abrogation), qui a eu pour effet d’abroger la proclamation de l’état d’urgence — Par la suite, la greffière du Conseil privé a signé un deuxième certificat auquel était jointe une annexe faisant référence aux parties de documents remises aux parties et à la Cour, pour lesquelles le secret du Cabinet et d’autres privilèges ont été revendiqués — La demanderesse a demandé à la Cour d’ordonner la remise de copies non caviardées de tout élément énuméré dans les certificats prévus à l’art. 39 à l’intention des conseillers juridiques seulement, sous réserve d’un engagement de confidentialité — Il s’agissait de savoir si le dossier devant la Cour était complet; si la distinction entre le Cabinet et le gouverneur en conseil était pertinente aux fins de la requête; si le dossier dans son ensemble, y compris la remise de documents caviardés du Cabinet, a mis la décision à l’abri d’un contrôle judiciaire — La remise de documents tels les procès‑verbaux du GII et du Cabinet, etc., et la délivrance du deuxième certificat prévu à l’art. 39, ont rendue théorique une grande partie de ce que la demanderesse cherchait à réaliser — La demanderesse a toutefois fait valoir que le dossier qui lui a été remis continuait de ne pas répondre à la demande fondée sur la règle 317 étant donné le caviardage des documents du Cabinet et du GII — Elle a également soutenu qu’un contrôle judiciaire efficace et véritable de la décision d’invoquer la Loi ne peut être réalisé que dans le cadre d’un processus accusatoire, qui exige que des copies non caviardées du dossier soient remises aux parties à l’intention des conseillers juridiques seulement — Le défendeur a fait valoir que le dossier, dans son intégralité, était suffisant pour permettre un contrôle judiciaire véritable et qu’il n’y a en droit aucune disposition qui prévoit la réparation recherchée par la demanderesse — En l’espèce, le Cabinet, qui était informé des discussions tenues devant le GII, était le décideur responsable de la proclamation de l’état d’urgence et des règlements qui ont suivi — La tentative du défendeur d’établir une distinction entre le Cabinet et le GII d’une part et le gouverneur en conseil d’autre part était dissociée de la convention constitutionnelle et du fonctionnement dans la pratique du pouvoir exécutif — Il n’était pas nécessaire de trancher la question; toutefois, la proposition voulant que le GII ne soit pas un comité du Cabinet était discutable étant donné sa composition et son mandat — Manifestement, l’examen par le GII des rapports sur la situation à l’échelle du pays et les tentatives d’y donner suite ont directement contribué à la décision prise par le Cabinet le 13 février 2022 d’invoquer la Loi — Il n’était pas différent des autres comités du Cabinet qui examinent des questions, des options et des recommandations avant de les présenter au Cabinet pour décision — Les documents demandés en vertu de la règle 317 des Règles des Cours fédérales doivent être pertinents relativement à la demande, ainsi qu’il est établi compte tenu des motifs énoncés dans l’avis de demande — Les procès‑verbaux du GII et du Cabinet étaient pertinents; ils pouvaient donc être produits conformément aux règles 317 et 318, car ils rendent compte du processus de raisonnement collectif qu’ont suivi les membres de ces deux organismes pour rendre la décision à l’étude — Le GII a joué un rôle central dans la décision du Cabinet de déclarer une urgence d’ordre public — Bien que l’argument aux fins de la requête soit axé sur le caviardage fondé sur l’art. 39, une quantité considérable de texte caviardé semblait tomber sous le coup d’autres privilèges — La notion de privilège touchant les renseignements d’intérêt public, bien qu’elle ne soit pas définie, s’applique à divers types de renseignements qui méritent une protection, y compris en common law avant l’adoption de l’art. 39 de la LPC — Dans la présente affaire, où deux certificats prévus à l’art. 39 ont été signés, la Cour pouvait déduire que les privilèges prévus à l’art. 37, qui figuraient dans les annotations sur les documents remis, faisaient référence à des intérêts publics autres que ceux qui se rapportaient aux documents confidentiels du Cabinet — Toutefois, ce que pourraient être ces autres intérêts n’était pas évident en l’espèce — L’immunité d’intérêt public empêche la divulgation d’un document dans les cas où la cour a conclu que l’intérêt public qui justifie le maintien de la confidentialité d’un document l’emporte sur l’intérêt public qui en justifie la divulgation — Il faut pour cela trouver un juste équilibre entre les intérêts publics concurrents — Il n’y a pas de processus précis à suivre pour trancher des objections fondées sur l’art. 37 — La Cour fédérale a déjà statué qu’elle avait le plein pouvoir discrétionnaire de choisir sa propre procédure en fonction des circonstances dont elle était saisie — Le dépôt de l’objection du défendeur à l’égard de la production au titre de la règle 317 et la remise de documents caviardés avec annotations faisant état de revendications du privilège de l’intérêt public pouvaient être interprétés comme étant une demande au titre de l’art. 37 de la LPC — La demanderesse a établi le bien‑fondé apparent de la communication des renseignements caviardés sur le fondement de cette revendication, sous réserve d’un examen plus approfondi — Certaines parties de texte caviardé dans les documents remis indiquaient qu’elles étaient assujetties au secret professionnel de l’avocat — S’il paraîssait s’agir dans certains cas de mentions isolées, celles‑ci se rapportaient également à d’autres privilèges — Le secret professionnel de l’avocat est aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public — Par conséquent, il ne cédera que dans certaines circonstances clairement définies — Le secret professionnel de l’avocat est essentiel à une administration efficace de la justice et vise à protéger la relation confidentielle entre un avocat et son client — Hormis les exceptions limitées qui ne s’appliquaient pas en l’espèce, les renseignements qui en découlent sont protégés de façon permanente contre la divulgation, à moins que le client ne renonce expressément au privilège — En ce qui concerne le deuxième certificat prévu à l’art. 39 (relatif aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada), il n’avait aucune importance — En l’espèce, le défendeur n’a pas cherché à revendiquer rétrospectivement une protection à l’égard de documents déjà communiqués — De plus, il ressortait clairement du deuxième certificat prévu à l’art. 39 qu’il ne s’appliquait qu’à des « parties » des documents remis — La demanderesse a fait valoir qu’en cas de contrôle judiciaire des décisions du Cabinet, les documents soumis au Cabinet, comme les présentations ministérielles et les projets de propositions, n’étaient pas exclus de la portée de la règle 317 — En vertu de l’art. 17(1) de la Loi, les organismes exerçant une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi fédérale ou en vertu de celle‑ci, au sens de l’art. 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, sont le Cabinet et le GII, même si la Loi ne renvoie explicitement qu’au gouverneur en conseil — Par conséquent, le dossier produit en réponse à la demande de la demanderesse fondée sur la règle 317 devait inclure des documents présentés au Cabinet et au GII, assujettis ou non au privilège prévu à l’art. 39 de la LPC ou à un autre privilège — Sans ces renseignements, les lacunes au dossier persisteraient, car il y manquerait des renseignements sur le processus de raisonnement ayant mené à la proclamation de l’état d’urgence, ce qui empêcherait la Cour de réexaminer correctement la décision contestée — La Cour a le pouvoir plein et entier de contrôler l’intégrité de ses propres procédures — Dans l’élaboration d’une mesure de réparation en vertu de pouvoirs pleins et entiers, l’impératif d’un contrôle judiciaire véritable du processus décisionnel administratif doit être concilié avec la protection de tout intérêt légitime en matière de confidentialité — Il s’agissait d’un facteur clé dans le contexte actuel — L’art. 39 est généralement considéré comme énonçant une interdiction absolue de divulguer des documents confidentiels du Cabinet devant un tribunal de révision — La jurisprudence relative à l’art. 39 estime également que son occultation « draconienne » des documents confidentiels du Cabinet n’enfreint pas la primauté du droit, la séparation des pouvoirs ou l’indépendance de la magistrature, etc. — La question déterminante était celle de savoir si le certificat prévu à l’art. 39 mettait la décision contestée à l’abri d’un contrôle judiciaire d’une manière qui était incompatible avec la primauté du droit — La divulgation volontaire par le défendeur des procès‑verbaux et des ordres du jour caviardés en juillet a miné l’argument selon lequel il avait tenté de mettre la décision contestée à l’abri d’un contrôle judiciaire d’une manière qui était incompatible avec la primauté du droit — Ces renseignements, ainsi que le dossier certifié du tribunal, et d’autres renseignements contextuels figurant au dossier dont la Cour était saisie, constituaient le fondement d’un contrôle judiciaire efficace, significatif et équitable de la décision — Le critère établi par la jurisprudence quant au caractère suffisant du compte rendu des décisions du gouverneur en conseil est assez faible — En l’espèce, l’on ne pouvait dire qu’il n’y avait absolument rien dans le compte rendu sur un élément essentiel — La décision de déclarer l’état d’urgence le 15 février 2022 n’était pas à l’abri d’un contrôle judiciaire du fait de revendications de privilège à l’égard de parties du compte rendu des délibérations tenues par le Cabinet avant qu’il invoque la Loi — Des renseignements suffisants ont été communiqués, en plus de ceux qui avaient été produits précédemment, pour permettre un contrôle judiciaire efficace, équitable et véritable de la décision — Requête rejetée.

Canadian Constitution Foundation c. Canada (Procureur général) (T-347-22, 2022 CF 1233, juge Mosley, motifs de l’ordonnance en date du 26 août 2022, 45 p.)

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