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NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

DROIT ConstitutionEl

Charte des droits

Sujet connexe : Droits de la personne

Contrôle judiciaire de la politique de la Commission canadienne de sûreté nucléaire[1] (RegDoc) qui oblige les sites nucléaires à sécurité élevée de catégorie I (titulaires de permis) à mettre en place des tests de dépistage préalables à l’affectation et des tests aléatoires de dépistage des travailleurs occupant des postes essentiels sur le plan de la sécurité — La Commission a été constituée en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, L.C. 1997, ch. 9 pour réglementer l’industrie nucléaire dans l’intérêt public — Les postes essentiels sur le plan de la sûreté sont occupés par (i) les travailleurs accrédités en vertu du Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I, DORS/2000-204, art. 9(2); (ii) les membres de la force d’intervention pour la sécurité nucléaire, au sens du RegDoc — Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant l’art. 5.1 (tests de dépistage préalables) et l’art. 5.5 (tests aléatoires) du RegDoc, un jugement déclaratoire portant que ces dispositions sont inopérantes parce qu’elles contreviennent aux art. 7, 8 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés — Subsidiairement, les demandeurs font valoir que la décision de la Commission d’adopter le RegDoc est déraisonnable pour des motifs relevant du droit administratif — Les questions en litige sont de savoir si les art. 5.1 et 5.5 du RegDoc contreviennent à la Charte (art. 7, 8, 15); si les dispositions du RegDoc sont raisonnables au regard du droit administratif — L’analyse relative à l’art. 8 doit être souple en l’espèce en raison de la forte réglementation des milieux de travail dans les sites nucléaires attribuable à la nature de ceux‑ci — Les droits garantis par l’art. 8 des travailleurs occupant des postes essentiels sur le plan de la sûreté entrent en jeu — Ces travailleurs ont des attentes moindres en matière de vie privée lorsqu’ils travaillent dans des installations nucléaires, mais ils n’ont aucunement renoncé à leurs droits résiduels en matière de protection de leur vie privée en ce qui concerne le prélèvement d’échantillons de substances corporelles — Contrairement à certaines dispositions du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, ni la Loi ni ses règlements connexes ne prévoient le prélèvement d’échantillons de substances corporelles aux fins de tests de dépistage de consommation de drogues et d’alcool, mais il faut adopter une approche plus souple en ce qui concerne l’exigence que la saisie soit « autorisée par la loi » dans un contexte réglementaire (par opposition à criminel), comme le précise la Cour suprême du Canada — Les règlements connexes, soit le Règlement général sur la sûreté et la réglementation nucléaires, DORS/2000-202, et le Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I (appelés collectivement les règlements), exigent que les titulaires de permis maintiennent des programmes de performance humaine afin de veiller constamment à réduire la probabilité qu’ait lieu un incident lié à la sécurité attribuable à l’exécution d’une tâche par un humain — Ces règlements et les larges pouvoirs de la Commission d’assortir de conditions la délivrance d’un permis en vertu de l’art. 24(2) fournissent un fondement légal suffisant pour la conclusion que les dispositions relatives aux tests de dépistage préalables à l’affectation et aux tests aléatoires de dépistage du RegDoc sont autorisées par la loi — Il ressort du dossier, qui comprend les rapports produits au cours de la décennie ayant mené à la mise en œuvre projetée du RegDoc en 2021, que les dispositions relatives aux tests de dépistage préalables à l’affectation et aux tests aléatoires de dépistage figurent, de façon raisonnable, dans le RegDoc; celui‑ci fait suite à des années de recherche qui ont permis de déceler des lacunes dans les programmes existants d’aptitude au travail, particulièrement pour ce qui est d’avoir des méthodes fiables, cohérentes et précises pour détecter les facultés affaiblies attribuables à une consommation de drogues et/ou d’alcool parmi les travailleurs des installations nucléaires — En ce qui concerne le régime de réglementation, la forte réglementation des installations nucléaires attribuable à la nature de celles‑ci est pertinente pour évaluer si la saisie est raisonnable — Ce contexte appuie le caractère raisonnable des fouilles effectuées en vertu des dispositions relatives aux tests de dépistage préalables à l’affection et aux tests aléatoires de dépistage — En conclusion, les dispositions relatives aux tests de dépistage préalables à l’affectation et aux tests aléatoires de dépistage du RegDoc mettent en jeu, mais ne violent pas, l’art. 8 de la Charte — Les travailleurs occupant des postes essentiels sur le plan de la sûreté ont des attentes moindres en matière de vie privée en raison de la forte réglementation de leur milieu de travail attribuable à la nature de celui‑ci, les dispositions relatives aux tests de dépistage sont raisonnables eu égard à l’ensemble des facteurs contextuels examinés, y compris le contexte réglementaire, l’intérêt public en matière de sûreté nucléaire, le besoin identifié de renforcer les programmes d’aptitude au travail, la fiabilité de la méthodologie de dépistage et l’existence d’une surveillance judiciaire — En ce qui concerne l’art. 7 de la Charte, il est nécessaire de déterminer 1) si les dispositions contestées portent atteinte au droit du demandeur à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne; dans l’affirmative 2) si cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale — En l’espèce, les demandeurs n’ont satisfait à aucun volet du critère du droit à la sécurité de sa personne — Le choix de travailler dans un poste essentiel sur le plan de la sûreté dans une centrale nucléaire ne constitue pas un choix fondamental « participant de l’essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelles » protégé par l’art. 7 — Enfin, en ce qui concerne la question de savoir si les dispositions relatives aux tests de dépistage préalables à l’affectation et aux tests aléatoires de dépistage du RegDoc contreviennent à l’art. 15 de la Charte, les demandeurs doivent démontrer, (i) sur le fondement d’un motif énuméré ou analogue, que la disposition contestée crée une distinction ou a un effet disproportionné et (ii) que la disposition contestée a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage — La demande des demandeurs échoue à la première étape — Les personnes occupant un poste essentiel sur le plan de la sûreté ne sont pas un « groupe protégé » visé par l’art. 15 — Il n’est de même pas approprié de recourir à une analyse relative aux droits de la personne plutôt qu’à une analyse fondée sur l’art. 15 de la Charte pour faire valoir que la « pharmacodépendance » devrait être reconnue comme un motif analogue qui mérite d’être protégé — Comme la Cour n’a constaté l’existence d’aucun motif énuméré ou analogue en l’espèce, il n’est pas nécessaire qu’elle poursuive l’analyse fondée sur l’art. 15 — Subsidiairement, les demandeurs soutiennent que les dispositions relatives aux tests de dépistage préalables et aux tests aléatoires de dépistage du RegDoc sont déraisonnables parce que (i) la Commission n’avait pas le pouvoir légal d’adopter les deux dispositions relatives au dépistage contestées; (ii) la Commission n’a pas fourni de motifs adéquats pour justifier la présence des dispositions dans le RegDoc, particulièrement au regard des préoccupations des intervenants au sujet de la Charte soulevées à l’étape de la consultation — La Commission, organisme administratif hautement spécialisé, est habilitée par le législateur à prendre des mesures pour assurer la sûreté nucléaire — Vu son expertise, il convient de faire preuve d’un degré élevé de déférence — Comme on l’a vu, le RegDoc a en fait un fondement légal : la Commission a le pouvoir discrétionnaire, en vertu de la Loi, de choisir l’instrument pour mettre en œuvre des dispositions relatives à des tests de dépistage préalables à l’affectation et à des tests aléatoires de dépistage — La Commission a raisonnablement choisi de recourir au RegDoc pour prévoir un mécanisme d’octroi de permis conditionnel au respect, par les employeurs (c.-à-d. les sites nucléaires), des dispositions relatives aux tests de dépistage préalables à l’affectation et aux tests aléatoires de dépistage — Le RegDoc et le processus ayant duré une décennie qui a mené à sa publication (processus dans le cadre duquel les parties ont eu la possibilité d’être entendues), relevaient tous deux dûment de la compétence de la Commission en matière de délivrance de permis — En ce qui a trait à la suffisance des motifs, des documents se trouvant dans le dossier certifié du tribunal fournissent une analyse rationnelle qui justifie la présence dans le RegDoc des dispositions relatives aux tests de dépistage préalables à l’affectation et aux tests aléatoires de dépistage — Il ressort du dossier et du régime de réglementation auquel appartient le RegDoc que la Commission n’a pas seulement examiné les préoccupations des intervenants au sujet des droits protégés par la Charte, mais qu’elle a aussi répondu à ces préoccupations en modifiant le RegDoc après avoir examiné les commentaires de ces intervenants — Demande rejetée.

Power Workers’ Union c. Canada (Procureur général) (T-1222-21, 2023 CF 793, juge Diner, motifs du jugement en date du 6 juin 2023, 76 p. + 36 p.)



[1] REGDOC-2.2.4, Aptitude au travail, tome II : Gérer la consommation d’alcool et de drogues, version 3 (RegDoc)

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