NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.
Peuples autochtones
Terres
Obligation fiduciaire
Demande de contrôle judiciaire dans laquelle la demanderesse demandait l’annulation de la décision du Tribunal des revendications particulières (Tribunal) déterminant en partie que l’intimé n’a pas manqué à l’obligation fiduciaire qu’il avait envers la demanderesse avant la cession, mais qu’il a manqué à son obligation dans une certaine mesure après la cession — La demanderesse est une Première Nation située à environ 150 kilomètres à l’est de Regina, en Saskatchewan — En 1887, la demanderesse a adhéré au Traité no 4 — En 1889, l’intimé a mis de côté un poste de pêche au lac Crooked pour en faire une réserve indienne, la réserve indienne 72A, au profit des membres de la demanderesse, dont la réserve principale, la RI 72, était enclavée — La RI 72 et la RI 72A ont été confirmées par le même décret en conseil en date du 17 mai 1889 — En 1944, l’intimé a demandé à la demanderesse de consentir à la cession d’une petite partie de la RI 72A pour une réserve routière demandée par la municipalité locale — En réponse, la demanderesse a indiqué qu’elle souhaitait céder la totalité de la RI 72A parce qu’elle préférait pêcher au lac Round situé plus près du pensionnat fréquenté par ses enfants — La demanderesse envisageait utiliser les fonds provenant de la vente de l’a RI 72A pour l’achat ou la location d’un poste de pêche au lac Round — En 1944, la demanderesse a cédé la totalité de la RI 72A à l’intimé pour la vente aux conditions que le gouvernement jugeait les plus propices au bien-être des membres de la demanderesse — Peu après la cession, une correspondance a eu lieu entre des fonctionnaires au sujet des terres cédées — La correspondance a révélé que les deux fonctionnaires s’attendaient à ce que les terres cédées jouxtant le lac Crooked prennent de la valeur, car il y aurait une plus grande demande pour des lotissements pour chalets après la fin de la guerre; qu’il pourrait être possible d’obtenir de meilleurs rendements si les terres étaient subdivisées et vendues sous forme de lotissements pour chalets que si elles étaient vendues en bloc — Un des fonctionnaires a déclaré que si les lotissements étaient subdivisés, il serait plus rentable de louer des sites de chalets que de vendre des lotissements — En 1944, des terres de la région commençaient à être louées ou vendues comme lotissements de chalets — Entre 1944 et 1953, l’intimé n’a rien fait pour favoriser la vente des anciennes terres cédées de la RI 72A — En 1955, les terres ont été évaluées, divisées en trois lotissements et mises en vente par appel d’offres — L’offre la plus élevée pour les terres a été acceptée — La demanderesse n’a pas été consultée sur la manière de disposer des terres et on ne lui a pas demandé si elle souhaitait toujours que les terres soient vendues — Entre 1944 et 1954, le pensionnat à proximité du lac Round a fermé ses portes — En 2013, la demanderesse a produit une déclaration de revendication auprès du Tribunal pour demander une indemnisation pour plusieurs manquements allégués de la Couronne à ses obligations envers la demanderesse en ce qui concerne la RI 72A et sa cession — Dans sa décision (Première Nation Kahkewistahaw c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2022 TRPC 5), le Tribunal a tiré plusieurs conclusions — En l’espèce, la demanderesse a cherché à faire annuler la conclusion du Tribunal concernant l’annulation de l’obligation fiduciaire avant la cession; elle a soutenu que la conclusion du Tribunal selon laquelle la Couronne n’avait pas manqué à son obligation fiduciaire envers la demanderesse avant la cession de 1944 de la RI 72A était déraisonnable — Il s’agissait de savoir si la décision du Tribunal concernant l’obligation fiduciaire avant et après la cession était déraisonnable — Les principes relatifs aux obligations fiduciaires de l’intimé à l’égard des peuples autochtones tirés des décisions pertinentes des cours et du Tribunal ont été examinés — Les principes pertinents comprennent l’ obligation fiduciaire sui generis à volets multiples de l’intimé envers les peuples autochtones dans le contexte de la cession de terres de réserve — Cette obligation comprend les obligations de loyauté, de bonne foi, de divulgation complète, de protection des intérêts de la Première Nation en ce qui concerne les terres de réserve contre les négociations abusives ou improvisées et la gestion du processus au mieux des intérêts de la Première Nation, tout en s’assurant du consentement de la Première Nation à la cession — Deuxièmement, les conditions du document de cession écrit formel ne sont pas déterminantes pour la portée des obligations fiduciaires de l’intimé; la nature de ces obligations doit plutôt être déterminée sur la base de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce — Troisièmement, les obligations fiduciaires de l’intimé après la cession peuvent l'obliger à prendre en considération les circonstances nouvelles relatives à la cession et à s’y adapter lorsque la terre cédée n’a pas encore été vendue — Le fait que le Tribunal n’ait pas reconnu ces principes a rendu sa décision déraisonnable — En ce qui concerne le manquement à l’obligation fiduciaire avant la cession, le Tribunal a qualifié les propos tenus par deux fonctionnaires dans leur correspondance sur la valeur des terres cédées comme étant l’opinion de deux personnes, ce qui n’avait aucun lien avec la question de savoir si la demanderesse avait bien compris les conditions de la cession — Cette caractérisation était si indéfendable qu’elle répondait au critère élevé du caractère déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas raisonnablement compte des preuves déterminantes qui allaient à l’encontre de ses conclusions — Le fait que des personnes agissant pour le compte de l’intimé dans des rôles clés ont su qu’il était plus rentable à l’époque de louer que de vendre des lotissements était très pertinent pour déterminer si la demanderesse avait bien compris les conditions de la cession et si l’intimé l’avait bien informé — Rien n’indiquait que l’intimé ait discuté avec la demanderesse des avantages relatifs de la location ou de la vente des terres visées par la RI 72A avant que la cession ne prenne effet — En l'absence de discussion entre l’intimé et la demanderesse sur la valeur comparative de la location et de la vente des terres visées par la RI 72A, il était impossible de conclure que la demanderesse comprenait suffisamment les conditions de la cession ou que l’intimé avait fourni de bons renseignements — Le Tribunal n’a pas non plus pris en compte ou concilié sa décision en l’espèce avec la longue série de décisions des tribunaux et du Tribunal lui-même portant que les obligations fiduciaires de l’intimé dans de tels cas comprennent une exigence de divulgation complète — En ce qui concerne la décision du Tribunal à l’égard du manquement à l’obligation fiduciaire avant la cession, le Tribunal a jugé que l’intimé n’était pas tenu d’envisager la location des terres de l’ancienne RI 72A après la cession puisque les conditions de la cession prévoyaient la vente — Cependant, durant les années intermédiaires, alors que l’intimé n’a rien fait, la raison qui avait d’abord motivé la cession a disparu avec la fermeture du pensionnat du lac Round — En outre, la construction de chalets dans la région se poursuivait à un rythme soutenu — Il s'agissait d'un changement de circonstances important qui méritait d'être pris en considération par le Tribunal et d’une détermination à savoir si l’intimé aurait dû consulter la demanderesse avant de procéder à la vente et si la possibilité d'une location aurait dû être discutée — L’appréciation de ces questions par le Tribunal était déraisonnable — Par conséquent, la décision du Tribunal sur les questions contestées ne pouvait pas être maintenue — La décision a été annulée en partie — La question du manquement à l’ obligation fiduciaire de l’intimé avant et après la cession a été renvoyée au Tribunal pour qu’il statue à nouveau conformément aux présent motifs — Demande accueillie.
Première Nation Kahkewistahaw c. Canada (Relations Couronne-Autochtones) (A-156-22, 2024 CAF 8, juge Gleason, J.C.A., motifs du jugement en date du 12 janvier 2024, 37 p.)