Accès à l’information
Sujet connexe : Protection des renseignements personnels
Appel, appel incident interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2021 CF 164) qui a accueilli la demande de révision logée par l’appelant/intimé incident (l’appelant) aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi) à l’encontre du refus de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) de lui communiquer l’entièreté des renseignements faisant l’objet de la demande d’accès à l’information qu’il avait formulée auprès d’elle — En 2017, l’appelant est impliqué dans un incident avec l’un de ses supérieurs à la fin de son quart de travail — Il œuvrait à ce moment à un poste-frontière dans le sud de l’Ontario — L’Agence a lancé une enquête interne; l’appelant a déposé un grief — L’appelant a produit auprès de l’Agence une demande d’accès à l’information visant, entre autres, des rapports rédigés par les employés et les gestionnaires et des copies conformes des enregistrements des vidéos de surveillance — L’appelant s’est plaint auprès du commissaire à l’information du Canada (le commissaire) du fait que la totalité des bandes vidéos demandées ne lui a pas été communiquée et que celles qui lui ont été communiquées ont été volontairement altérées au montage en plus d’être presque impossibles à visionner, étant en mode accéléré — Le commissaire a rejetté la plainte, mais a indiqué avoir déjà demandé à l’Agence de refaire les bandes vidéos — Le commissaire a noté aussi que les prélèvements effectués par l’Agence sur certaines de ces bandes vidéos étaient conformes au « cadre clair » régissant le droit à la vie privée dans le contexte de l’utilisation de caméras de surveillance en milieu de travail — Suite à la réception du rapport du commissaire, l’appelant a exercé le recours en révision prévu au paragraphe 41(1) de la Loi — En accueillant le recours de l’appelant, la Cour fédérale était d’avis que les bandes vidéo auxquelles l’appelant demandait d’avoir accès ne sont pas visées par le paragraphe 19(1) de la Loi, et qu’elles devaient lui être communiquées — Elle a jugé que les images prélevées en l’espèce en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi tombaient sous l’exception à la définition de « renseignements personnels » établie à l’alinéa 3(j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (LPRP), en tant que renseignements portant sur le poste et les fonctions des agents concernés — Ayant conclu que les images prélevées en l’espèce auraient dû être divulguées à l’appelant, la Cour fédérale s’est dite d’avis qu’il ne lui était pas nécessaire, dans ce contexte, de trancher le débat entourant l’application faite par l’Agence de l’article 25 de la Loi — En l’espèce, l’appelant a soutenu que la Cour fédérale aurait omis de traiter de l’ensemble des questions soulevées dans le recours qu’il a entrepris devant elle — La question en litige principale était celle de savoir si la Cour fédérale a omis de se prononcer sur l’ensemble des questions soulevées dans le recours que l’appelant a entrepris devant elle et d’ainsi accorder à l’appelant la réparation qu’il recherchait, soit une ordonnance obligeant l’Agence à lui divulguer tous les renseignements visés par sa demande d’accès à l’information — Une lecture de l’avis de demande et du mémoire des faits et du droit produits par l’appelant devant la Cour fédérale a démontré clairement que l’appelant a ultimement ciblé son recours sur l’utilisation faite de l’article 19 de la Loi en lien avec quatre des sept bandes vidéos qui lui ont été transmises en réponse à sa demande d’accès à l’information — C’est donc de cette façon que l’appelant a formulé et circonscrit son recours devant la Cour fédérale et on ne pouvait reprocher à celle-ci une quelconque omission en rapport avec ce qu’elle avait à décider — L’appelant a mis l’emphase sur la conclusion de son avis de demande aux termes de laquelle il requiert qu’il soit ordonné à l’intimé de répondre « intégralement » à sa demande d’accès à l’information — Or, cette conclusion générique ne pouvait être considérée comme un fourre-tout autorisant la prise en compte, devant la Cour d’appel fédérale, de moyens n’ayant pas été soulevés devant la Cour fédérale — L’appelant a tenté à plus d’une reprise ici d’élargir le débat en demandant, en outre, la permission de présenter de nouveaux éléments de preuve en appel — Ces demandes ont échoué — Le présent appel devait être décidé à la lumière du dossier tel que constitué devant la Cour — L’appel principal était donc dénué de tout fondement — L’appel incident faisait intervenir la question de savoir si la Cour fédérale a erré en concluant que les renseignements dont l’Agence refuse la divulgation ne tombent pas sous l’exemption du paragraphe 19(1) de la Loi au motif qu’ils seraient eux-mêmes visés par une des exceptions au concept de « renseignements personnels », tel que défini par la LPRP — Bien qu’elles soient complémentaires et qu’elles doivent être « interprétées conjointement », il est acquis que la Loi et la LPRP, lues ensemble, « accordent une plus grande protection aux renseignements personnels » — Cela fait en sorte qu’il faut se garder de « donner une "interprétation étroite" à l’exception des renseignements personnels en conférant à l’accès à l’information primauté sur la protection des renseignements personnels » — Les droits prévus aux deux lois n’ont pas, en tout temps, valeur égale et lorsqu’il est question des renseignements personnels d’un individu, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information, sauf dans la mesure prévue par la loi — Cette nuance ne semble pas faire partie des jalons sur lesquels le raisonnement de la Cour fédérale s’est construit — Il ne suffit pas de faire état du caractère indéniablement très large de la définition de « renseignements personnels »; il faut également articuler l’analyse en fonction de la primauté de cette protection sur le droit d’accès à l’information — S’il est vrai que les fonctionnaires de l’administration fédérale, en raison de la présence de l’exception à la définition de « renseignements personnels » prévue à l’alinéa 3j) de la LPRP, bénéficient d’un niveau de protection moindre de leur vie privée, lorsqu’il est question de renseignements portant sur les poste et fonctions qu’ils occupent, ils ne sont pas pour autant dépourvus de toute protection — L’exception de l’alinéa 3j) demeure circonscrite par des balises relativement précises — Les images captées sur les lieux du travail révèlent, en principe, bien davantage sur l’employé lui-même et les « caractéristiques » qui lui sont propres, et ce, même s’il porte un uniforme — La protection de la LPRP continue d’être assurée aux employés fédéraux et le fait de devoir porter un uniforme n’y change rien — Poussée à sa limite, cette caractéristique, c.-à-d. le fait de porter un uniforme, créerait deux catégories de fonctionnaires au sein du régime établi par la Loi et la LPRP : ceux qui portent l’uniforme, et qui sont privés de la protection du paragraphe 19(1) de la Loi, et ceux qui n’en portent pas et qui, par conséquent, continuent de bénéficier de cette protection — Cela ne peut avoir été là l’intention du Parlement — En somme, la Cour fédérale, au nom de la transparence des activités de l’État, a fait primer le droit à l’information sur celui à la protection des renseignements personnels — Elle a, ce faisant, donné une portée beaucoup trop large à l’exception de l’alinéa 3j) de la LPRP, réduisant du même coup celle du paragraphe 19(1) de la Loi — Tous les agents apparaissant sur les bandes vidéos avaient droit à la même protection aux termes du paragraphe 19(1) de la Loi — En ce sens, il fallait leur appliquer l’exception de l’alinéa 3j) de la même façon, sans égard à l’objet ou à la nature de la demande d’accès à l’information de l’appelant — L’Agence pouvait, à bon droit, recourir au paragraphe 19(1) de la Loi pour refuser la divulgation des images des agents apparaissant sur les bandes vidéos communiquées à l’appelant — L’article 25 de la Loi oblige le responsable d’une institution fédérale à communiquer les parties du document faisant l’objet d’une demande d’accès à l’information qui sont dépourvues des renseignements dont ce responsable est en droit de refuser la divulgation, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux — La question à résoudre était celle de savoir si l’Agence s’est acquittée du devoir que lui imposait l’article 25 — L’article 25 a été correctement appliqué à la demande d’accès à l’information produite par l’appelant et l’a été en conformité avec son objet — Appel rejeté; appel incident accueilli.
Beniey c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) (A-74-21, 2024 CAF 11, juge LeBlanc, J.C.A., motifs du jugement en date du 15 janvier 2024, 30 p. + 5 p.)