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160 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1959 BETWEEN: Jan. 19,20, 21, 22, 28, LEO CARDINAL, LEOPOLD CAR- 29, 30 DINAL and DAME THEDEA 1961 VIAU, widow not remarried of SUPPLIANTS; Jan. 18 ADEODAT CARDINAL AND HER MAJESTY THE QUEEN RESPONDENT. CrownExpropriationBasis of valuation fair market value based on most advantageous use of property at time of takingCompensation may include depreciation in value of unexpropriated lands to extent depreciation result of actual or anticipated use of lands takenThe Expropriation Act, R.S.C. 1952, c. 106The Exchequer Court Act, R.S.C. 1952, c. 98, s.. 46. On January 7, 1954 the Crown in right of Canada expropriated for the purpose of a public work some 45 acres and the buildings thereon of the suppliants' 152 acre farm adjoining the Dorval Airport on the outskirts of the City of Montreal. The suppliants seek by Petition of Right to recover damages in the sum of $217,855, including compensation for the land and buildings taken, damage to the remaining property by severance of the expropriated part, and an allowance for compulsory taking. Held: That s. 46 of the Exchequer Court Act provides that the Court in determining the amount to be paid any claimant for any property taken for the purpose of a public work shall estimate the value thereof at the time when the property was taken. 2. That such value is the property's fair market value at the date of taking estimated on its most advantageous use. Cedar Rapids Manufacturing & Power Co. v. Lacoste [1914] A.C. 569 at 576 referred to. 3. That the most advantageous use to which the expropriated property is adapted is industrial or residential development. 4. That since the existing buildings in no way enhance the value of the land for industrial or residential development nothing can be allowed for them in a valuation based on such use. The King v. Edwards [1946] Ex. C.R. 311 at 333, followed. 5. That the suppliants are entitled to compensation not only for the value of the expropriated land but also for the depreciation in value of the unexpropriated lands to the extent that such depreciation is the result of the actual or anticipated use of the expropriated land. The King v. Acadia Sugar Refining Co. [1947] Ex. C.R. 547 at 566. 6. That an allowance of ten per cent for compulsory taking is not a matter of right, and in the circumstances of this case, should not be allowed. Diggon-Hibbon Ltd. v. The King [1949] S.C.R. 712 at 713. PETITION OF RIGHT to recover damages following the expropriation by the Crown of a part of the suppliant's farm for the purpose of a public work.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 161 The action was tried before the Honourable Mr. Justice 1959 Dumoulin at Montreal. CARDINAL et al. Jacques Décary and Rhéal Brunet for suppliant. THE QUEEN Rodolphe Paré for respondent. DUMOULIN J. now (January 18, 1961) delivered the following judgment: Le 7 janvier 1954, Sa Majesté la Reine, aux droits du Canada, représentée à cet effet par le ministère des Transports, fit enregistrer, sous le numéro 1050353, au bureau d'enregistrement de la Paroisse Saint-Laurent, comté de Jacques-Cartier, près Montréal, l'avis et le plan réglemen-taires d'une expropriation affectant, entre autres, certains biens immeubles des requérants. Cet avis et le plan connexe constituent la pièce 1 du dossier. Les frères Cardinal, tous deux cultivateurs, possédaient à titre de propriétaires, avant le 7 janvier 1954, une superficie de 152 arpents, se trouvaient deux vieilles maisons et quelques bâtiments de ferme, tous compris dans l'aire de l'emprise. Pratiquée à la date précitée, la prise de possession ampute cette propriété d'un peu plus de 45 arpents, soit, exactement 45.18 arpents. Elle porte sur partie des lots 144 et 145 et n'entame point les lots contigus 142 et 143, qui appartiennent aussi aux requérants. Inspecteur de l'aviation civile au ministère des Transports à Montréal, monsieur Albert Guyot, délimite le rectangle exproprié en lui assignant une profondeur moyenne de 2,122 pieds, une largeur en front sur le Chemin St-François, de 807 pieds, et de 761.3 pieds vers l'arrière ou direction nord. Le département des Transports projette d'établir sur ces terrains, en sens nord-sud, la piste d'urgence, n° 15-33, un dégagement auxiliaire à l'aéroport métropolitain de Dorval, comme l'indique le plan, pièce CC. La pétition de droit, intentée le 14 mars 1955, fait valoir deux chefs principaux de réclamation: une demande de $2,185 pour chaque arpent exproprié, soit un premier mon-tant de $98,732; puis, pour dépréciation au reste des terres, numéros 142-143-144 et 145, découlant d'inconvénients multiples, un dédommagement de $50,000.
162 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1959 Un poste de $15,000 vient ensuite pour compenser l'aban- CARDINAL don d'un «commerce de laiterie» et la mévente d'un troupeau et al. de 20 vaches. Cette somme comprend aussi les frais d'un THE QUEEN déménagement, $225, qui ne se produisit que le 15 mai 1960, Dumoulin J. et la valeur d'un verger, d'une érablière et de trois puits. Quant aux bâtisses, elles sont évaluées, selon l'admission des parties, au total de $23,000, mais autant que les par-ticularités du cas pourront justifier une indemnité de cette nature. Enfin, paraphe apparemment sacramentel de toute récla-mation du genre, un item de $13,047 pour dépossession forcée, tarifée à 10%, totalise à $201,779 la somme des dom-mages-intérêts postulés. A cette pétition de droit, amendée le 29 janvier 1959, l'intimée répond substantiellement, 1° (art. 13 de la défense), que la valeur de l'immeuble approprié n'excède pas $101,538, y compris «... tous dommages ou toutes pertes qui peuvent résulter de telle expropriation»; 2° (art. 16), que le 8 septembre 1955, la somme susdite, plus tous frais judi-ciaires accrus à ce jour, furent régulièrement offerts aux pétitionnaires dans une lettre de monsieur J. P. Adam, agent fédéral des terres; 3° (art. 18), que, cette indemnité ayant été refusée, «Sa Majesté la Reine renouvelle par les pré-sentes ladite offre ... de $101,538 plus les frais de la présente pétition en date du 8 septembre 1955», aux conditions ordinaires de la remise en bonne et due forme de titres parfaits de propriété. Les expropriés, comme on l'aura constaté, demandent l'équitable valeur de 45.18 arpents pris par l'État, puis aussi une juste indemnité pour la dépréciation de la partie inappropriée. Traitons d'abord du premier grief, si l'on peut dire ainsi, de beaucoup le plus considérable. Mais avant d'en venir au vif du sujet, il importe de signaler une conjoncture d'ordre économique, insolite jadis et presque constante aujourd'hui, l'expansion des grandes agglomérations urbaines, telles Toronto, Vancouver, et, tout particulièrement en l'occurrence, la métropole du pays, Montréal.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 163 L'envahissement persistant et rapide de la périphérie et 1959 des zones limitrophes, déclenche nécessairement les mille et CAR NAL une aventures de la spéculation immobilière, entraînant de eta 1. la sorte la majoration ininterrompue et souvent fantaisiste THE QUEEN de l'indice de valeur. Dumoulin J. C'est bien ce qui se produisit dans le cas présent, à tel escient, ceci n'est pas contesté, que le témoin expert cité par les pétitionnaires, monsieur Roland Bigras, attribue, en janvier 1954, un prix moyen de $1,500 l'arpent à des terres, dont l'estimation pour affectations agricoles ne dépasserait point le chiffre de $400. Dans le même ordre d'idées, sinon sur un palier monétaire égal, le «légitime contradicteur» de monsieur Bigras, l'agent d'immeubles, R. A. Davis, de Toronto, témoin principal de l'intimée, fixera ce prix moyen à $1,103 l'arpent, abstraction faite des bâtisses, et 'à celui de $1,235, constructions comprises. En pareille matière, cet écart d'appréciation entre messieurs Bigras et Davis n'a rien de formidable. Du reste, tous deux conviennent que dès avant 1954, le percement du Boulevard Métropolitain, en direction est-ouest, de Ville Mont-Royal vers la municipalité de Dollard des Ormeaux, constituait d'ores et déjà un projet administratif de notoriété publique. A ceci, joignons l'admission de l'intimée, exprimée à la p. 3 de son mémoire «... que le meilleur usage que les expropriés pouvaient faire de leur patrimoine, le jour de l'expropriation, était de le vendre pour fins plus ou moins éloignées [je souligne] de lotissement domiciliaire ou industriel». Tel est bien l'avis consigné par l'évaluateur Davis en divers endroits de son rapport d'expertise, pièce 5, notam-ment à la p. 11, dont j'extrais ces passages: The highest use of subject property would likely involve a highly speculative purchase in the hope of ultimate industrial development. This view is taken after considering, amongst other matters, the trend and direction of development in the area, and along Côte de Liesse Road, the existence of the Canadian National Railways Right -Of-Way abutting subject property and the location of the City of Dorval dump which is 600' away. Subject property had a frontage of 1,376' before the taking. This is much greater than the typical farm, and would add value because of the greater ease of ultimately laying out a subdivision within its borders. The railway land at the rear would also be an attraction to a speculator.
164 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1959 Cette valorisation intensive des terres, dans la localité, CARDINAL détermine forcément une dérogation à l'ordonnance cou- et al. tumière d'une décision en semblable matière. Ainsi, laissant THE QVEEN de côté, pour l'instant, le caractère agricole de l'exploitation Dumoulin J. et tout dommage afférent à la cessation de ce métier, je dois examiner d'abord, en fonction de cette majoration, comme point principal, ce que pouvaient valoir, le 7 janvier 1954, les éléments de propriété enlevés aux réclamants. De ce qui précède il s'ensuit que de nombreuses transactions eurent lieu dans ce secteur dès 1953 et même auparavant. Les parties dressèrent donc et produisirent des tableaux ou listes de plusieurs de ces ventes; monsieur Roland Bigras, pour les requérants, déposa la pièce E, Messieurs R. A. Davis et Jean Béique, peur l'intimée, ont préparé des cédules jointes, respectivement, aux rapports, 5 et 14. Il a été dit plus haut que la «moyenne» des prix à l'arpent passait de $1,500, computée par monsieur Bigras, à une gradation ascendante de $800, $1,000 et $1,103, telle qu'établie par les experts de la Couronne. Pour utiles que soient des comparaisons de cette espèce, elles requièrent toutefois un décalage prudent, rendu néces-saire par l'inégalité des avantages attachés à chaque terrain: telles la jouissance de services municipaux, l'ouverture de routes ou de rues, la proximité d'un grand centre. Je ne repasserai donc que ces mutations de propriété dont l'analogie de temps et de site me semble particulièrement probante. Onze jours après l'actuelle expropriation, le 18 janvier 1954, nous retraçons la vente «Newman à Freedman» du lot 74 et partie du 75, une superficie de 73.39 arpents, au prix global de $115,000, ou $1,570 l'arpent (pièce n° 10, rapportée aussi au tableau, p. 22 de la pièce 5). Situé dans la paroisse voisine de Pointe-Claire, ce bien n'est éloigné, à sa pointe nord-est (cf. le plan n° 3) que de 400 pieds environ du lot 143 des Cardinal. Ce même Chemin St-François, qui dessert l'avant des lots 144 et 145, longe le 75 sur trois de ses côtés, mais ne paraît pas de ce seul chef lui ajouter cette «valeur bien supérieure» que lui attribue le savant procureur de l'intimée à la p. 6 de son mémoire, par ailleurs très circonstancié.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 165 Autre vente, le 2 décembre 1953, par J. E. L. Boisselle à 1961 Rora Inc., du lot 80, paroisse de Pointe-Claire. Au prix CARDINAL global de $7,500 les 7.15 arpents alors vendus attestent une et: l. moyenne unitaire de $1,050. THE QUEEN L'extrémité nord-est de cette terre aboutit au lot 144, Dumoulin J. sans accès aucun au Chemin St-François (voir le plan n° 3). Le tracé de cette langue de terre, un parallélogramme de 4,650 pieds de côté sur une largeur d'environ 600, avec un seul débouché à sa limite nord-ouest, ne permet guère de lui reconnaître des avantages comparables à ceux que possède la contenance de l'emprise, eu égard surtout aux commentaires favorables de monsieur Davis, ci-haut relatés, quant à la bande de 1,376 pieds en bordure du Chemin St-François, et à la présence de la voie ferrée à l'arrière. Il ne me semblerait pas déraisonnable d'accorder à la terre des Cardinal une préférence commerciale d'un quart (25%), reportant alors la valeur de celle-ci à $1,312.50 l'arpent, si je ne considérais que ce barème. Hector Leduc, cité par les pétitionnaires, un cultivateur qui, en 1952, possédait les lots 211 et 212, communiquant avec la route de Côte-Vertu, vendit cette même année, le 211 à raison de $1,500 l'arpent. La partie de cette propriété qui borde le chemin mesure approximativement 312 pieds sur sa largeur (voir le plan n° 3). Monsieur Leduc précise que sa ferme se trouve un demi-mille au sud et un mille au nord de la pénétration du développement industriel. De ce terrain à celui des Cardinal, direction nord-ouest, le plan pièce 3, indiquerait une distance d'un mille. Alexis Lecavalier, autre témoin des requérants, au-jourd'hui rentier, il est dans sa soixante-quatorzième année, cultivait, jusqu'en 1957, dans le rang St-François, une terre de 75 arpents, distante de 14 arpents de celle des pétition-naires. Monsieur Lecavalier nous apprend initialement, avec une pointe assez excusable d'amertume, que des restrictions de zonage affectant son lot (n° 139), avaient empêché, en 1954, la réalisation d'une offre de $45,000 pour un arpent, longeant la route, et sa maison, vieille de 200 ans. Une fois ces restrictions levées, en 1957, le brave homme disposa de ses 75 arpents à raison de $2,700 l'unité. Cette transaction, de trois ans postérieure à celle sous étude, ne suscita point d'objection que je sache. Cependant, elle outrepasse, je crois, 919944-4a
166 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1961 cette latitude conditionnelle allouée en pareil cas par notre CARDINAL Cour Suprême dans l'affaire Roberts and Bagwell1; aussi et al. y ne retiendrai-je, et avec la circonspection qu'une preuve du THE QUEEN genre requiert, que l'incident de la vente avortée. Dumoulin J. Le témoignage probablement le plus révélateur sur cet aspect de la cause fut celui, très succinct, de monsieur Richard Ferguson, âgé de 58 ans, marchand de graines de semences, le voisin immédiat des Cardinal, en sa qualité de propriétaire du lot 141. Voici ce qu'il relate. Le 141, bordé de deux côtés par le Chemin St-François, possède une superficie de 55 arpents carrés, que le témoin évalue, en 1954, à l'indice de $1,000 l'arpent pour la terre «nue». Par contre, n'était le voisinage d'un dépotoir municipal vis-à-vis, de l'autre côté du chemin, Ferguson n'hésiterait pas à majorer de $200 et $250 le prix unitaire. Il pense aussi que ce double accès à la route assure à son lot une certaine plus-value, chose fort possible dans l'état actuel des lieux, mais que la métamorphose de cette campagne en une banlieue domiciliaire et industrielle de la grande ville éliminera demain. Sans autre objection, ce témoin ajoute qu'il acquit, en 1957, de ses deux soeurs, 20 arpents à l'arrière de sa propriété, payant pour cela $40,000 exactement $2,000 l'arpent. Ceci nous ramène quelque peu à notre point de départ: l'évaluation de la terre «nue» par le témoin Bigras à $1,500 l'arpent, puis celle de Davis à $1,103 ou $1,235, constructions incluses, le tout analysé à la lumière de la preuve. Pour terminer cet examen, signalons qu'il est admis par monsieur Bigras que les dix propriétés inscrites sur sa liste, pièce E, à cause, précisément, des embranchements projetés au Boulevard Métropolitain, en 1954, valaient plus que celle des Cardinal. Ce témoin convient d'emblée que la vente 4, à la pièce E, d'un arpent au club de golf Côte-de-Liesse, au denier fort de $7,500, ne saurait aucunement influer en l'occurrence. Répondant à une question que je lui pose, monsieur Bigras dit que la perspective généralement connue de prolonger le Boulevard Métropolitain, n'affectait pas encore, au moment de l'expropriation «ce secteur du Chemin St-François se trouvent les lots des Cardinal». 1 [ 19571 S.C.R. 28.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 167 Particularité plutôt rare, l'évaluateur Davis auquel 196 1 l'intimée a confié sa propre expertise, ne partage pas cette CARDINAL et al. opinion et voici comme il formule son avis à la page 10 de v. la pièce 5: THE QUEEN Dumoulin J. HIGHEST AND BEST USE Most of the land in subject area is presently being farmed, but in the light of the speculative type of purchases and the prices paid during the past five years, it is held that the highest and best use of land is in an early stage of transition away from agricultural and towards industrial and residential uses. EXTENT OF SPECULATIVELY HELD LAND It is estimated that most of the six square miles of subject area is owned by speculators. In explanation of the reasons for such extensive holdings it is thought that rising prices of serviced land closer to Montreal has offered an incentive to the speculator to buy and hold, while awaiting the extension westward of the developments and availability of services that would force values higher. Certain blocks of land in subject area in a sense have been frozen because the owners have not wished to sell, or prefer to rent to industry rather than sell. The inactivity in connection with these lands has forced speculative purchases to be made farther away from the actual development neighborhoods. Formulé en termes nets et précis, cet aveu atteste ex-plicitement qu'au jour de l'expropriation et depuis assez longtemps le spéculateur en immeubles avait conscience de l'importance potentielle du secteur dont faisaient partie les lots 144 et 145, occasionnant ainsi l'inévitable corollaire d'une hausse spectaculaire des prix. Est-il de meilleur indice de cette opinion que le témoignage des faits, et je veux parler de deux ventes déjà mentionnées: celle, d'abord, des lots 211 et 212 (Hector Leduc), conclue dès 1952, à raison de $1,500 l'arpent, lots situés, il est vrai, à 24 milles de l'immeuble Cardinal; celle surtout, de 73.39 arpents, à 400 pieds seule-ment et à l'ouest de l'emprise, le 18 janvier 1954, à raison de $1,570 l'arpent (pièce 10). A noter, enfin, que monsieur Davis, à la dernière ligne de la page 16 de son rapport (pièce 5), compute l'accroissement des prix dans la localité à pas moins de quatre par cent (4%) «par mois». Les pétitionnaires étaient donc investis par la force des circonstances exceptionnelles, le 7 janvier 1954, de tout le bénéfice qu'une semblable transition économique leur assu-rait, faisant permuter leur patrimoine du domaine agricole à celui d'un lotissement domiciliaire ou industriel. Le droit
168 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1961 à tous les avantages inhérents, maintes fois reconnu par le CARDINAL Conseil Privé, le fut avec une particulière concision dans la et 1. v cause Cedars Rapids Manufacturing v. Lacoste 1 Lord THE QUEEN Dunedin spécifiait que: Dumoulin J. For the present purpose it may be sufficient to state two brief propositions:—(1.) The value to be paid for is the value to the owner as it existed at the date of the taking, not the value to the taker. (2.) The value to the owner consists in all advantages which the land possesses, present or future, but it is the present value alone of such advantages that falls to be determined. Cette reclassification dans un potentiel différent de l'affectation primitive, l'agriculture, est radicale, sans que l'on puisse d'aucune façon la relier à l'état antérieur des lieux. Gardons-nous, toutefois, de confondre valeur et dommage. Il ne m'est donc pas loisible d'allouer aucune somme pour les deux maisons et autres bâtiments. La vétusté de ces résidences, notée aux pages 12 et 13 du rapport numéro 5, sont révélés des âges vénérables de 130 et de 79 ans, aggravée d'un manque complet de commodités modernes, les dévaloriseraient absolument à toutes fins. Est-il besoin d'ajouter que ces habitations ne représenteraient au regard d'un spéculateur en immeubles qu'autant de démolitions à effectuer sans tarder. L'interdiction de la dualité d'évaluation, qualifiée de «Duplication trap» par M. Keith Eaton dans son intéres-sant article sur les problèmes de l'expropriation par l'autorité fédérale «Federal Expropriation Problems», paru dans The Canadian Bar Journal (1958) vol. 1, à la p. 40, ressort avec une remarquable clarté d'une décision du Président de cette Cour dans la cause The King v. Edwards2; je cite: The fallacy in the defendant's valuations lies in the assumption that he was entitled to the value of the land for higher than residential use purposes, and at the same time to the value of the buildings for such purposes. He cannot have it both ways. He is entitled to a valuation based on either the value of his property for residential use or its value for other purposes but not both. It cannot be put to higher than residential use and at the same time retained for such use. The defendant cannot have his land valued on one basis and his buildings on a different and inconsistent one. ' [1914] A.C. 569, 576. 2 [19461 Ex. C.R. 311, 333.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 169 Notre cas est un décalque de ce précédent. De deux choses 1961 l'une : ou j'évalue ce bien comme terre à culture au prix CARDINAL ultime de $400 l'arpent, accordant alors $23,000 pour les e val. bâtiments, plus la dépréciation du reste au taux de 25%, et TEE QUEEN j'obtiens un résultat global de $51,754; ou, comme je le dois, Dumoulin J. je me conforme aux faits établis, et même à l'instante requête des pétitionnaires, et considérant la valeur dans l'optique d'un lotissement «domiciliaire ou industriel», abstraction faite alors d'immeubles inutiles, j'alloue une indemnité de $1,400 l'arpent, chiffre qui, compte tenu de tous autres inconvénients, apure l'indice compensateur au total de $100,639, soit presque le double de la première appréciation. Disposant du premier point, je suis d'avis qu'au jour de l'expropriation la propriété des frères Cardinal valait $1,400 l'arpent, soit, pour 45.18 arpents, un montant de $63,252, dont une tranche de $3,180 sera versée à la co-requérante, Dame Thédéa Viau, veuve d'Adéodat Cardinal, au titre de son droit d'habitation dans l'une des deux maisons, servitude légalement éteinte depuis le 7 janvier 1954. Le second motif de réclamation découlerait du préjudice pécuniaire causé par l'abandon forcé de l'exploitation de la ferme, principalement par la discontinuation du commerce laitier. Monsieur Léo Cardinal, l'un des requérants, âgé de 53 ans, cultivateur, fut le seul des deux frères à témoigner, mais l'on peut présumer que l'autre eût donné une version identi-que. Le témoin rapporte, en résumé, que les 152 arpents dont se composait la ferme se répartissaient de la façon suivante: 10 arpents en culture maraîchère, 30 affectés à la croissance du foin, 30 à celle du grain, puis 20 à 25 autres servant au pacage de 20 vaches. Cette terre contenait aussi une petite réserve forestière destinée aux besoins domestiques. La discontinuation de la vente du lait serait attribuable, à la suggestion de l'agent fédéral des terres, monsieur J. P. Adam, qui dès 1954, aurait dissuadé les réclamants d'engager des dépenses pour l'entretien des bâtiments ou le maintien du cheptel. Mais, un peu plus -loin dans le déroulement de son témoignage, Léo Cardinal attribuera une raison différente à cette décision, spécifiant que son client unique, celui auquel il vendait toute la production de lait, monsieur
170 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1961 James Wolfenden, de Strathmore, décida, pour des raisons CARDINAL personnelles, d'abandonner ce commerce dès la fin du mois aval. de mai 1954. Wolf enden cité par les pétitionnaires corrobore, THE QUEEN mot pour mot, cette explication, et j'ai compris que la Dumoulin J. diminution rapide des fournisseurs de lait aux environs rendait ce métier impraticable. Dans ces conditions, je ne puis reporter au passif de l'intimée une conséquence d'ordre général provenant de facteurs étrangers et de circonstances ambiantes. Je ne saurais davantage accorder compensation pour la mévente de 16 vaches laitières, payées $225 la bête, et revendues aux abattoirs pour $75 chacune. Monsieur Cardinal dit ensuite qu'il y avait sur leur terre, lors de l'expropriation, environ 450 érables d'un rendement annuel moyen de 75 gallons avec profit réel de $150. A l'instar de tant d'autres cultivateurs, Cardinal ne tient aucune comptabilité et ne paraît pas très certain des chiffres qu'il avance. Cependant ses déclarations n'ayant pas été contredites, j'accorderai une somme de $1,000, la capitalisation à, 15% du profit allégué. Monsieur Aurèle Bédard, ingénieur forestier de Berthier-ville, a visité, au mois d'octobre 1958, la ferme des Cardinal; il y a compté 55 pommiers, vieux d'environ 20 ans, qu'il évalue 'à $60 l'arbre, en tout $3,300, avec une production moyenne de $6 l'arbre. Le principal intéressé, autant, du moins, que mes notes me permettent de le constater, n'aurait pas attaché grande importance à cet élément de l'entreprise, car il n'en n'a pas soufflé mot. J'ignore ce que pouvait rap-porter la vente de ces fruits. A tout événement, une indemnité, de $1,000 suffira amplement à compenser le préjudice probable. La pétition de droit met de l'avant un troisième et dernier grief, une demande de $50,000 pour dépréciation aux 106 arpents restants. Comme cette dernière partie de la preuve allait débuter, le savant procureur de l'intimée souleva uné double objection basée sur la vente, au mois d'avril 1958, de la partie intouchée de la propriété, puis sur ce qu'une seconde pétition de droit aurait été intentée, le 26 avril 1956, réclamant $304,500, par suite de la dévalorisation occa-sionnée par les règlements de zonage imposés en 1955.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 171 Après mûre considération, je dois rejeter ces objections, 1961 déférant en cela aux directives de l'art. 46, de la Loi sur la CARDINAL Cour de l'Échiquier, eval. c. 98 des Statuts Refondus de 1952, dont voici le texte: THE QUEEN 46 La Cour, en déterminant le montant qui doit être payé à un Dumoulin J. réclamant pour un terrain ou une propriété expropriée pour les fins d'un ouvrage public, ou pour dommages causés à un terrain ou à une pro- priété, en estime ou établit la valeur ou le montant à l'époque le terrain ou la propriété a été expropriée ou à l'époque les dommages dont il est porté plainte ont été causés. Or, «à l'époque le terrain ou la propriété a été expro-priée» les pétitionnaires demeuraient propriétaires de 106 arpents et «à l'époque les dommages dont il est porté plainte [auraient] été causés» nulle servitude de zonage ne pesait encore sur l'immeuble. Il convient de rappeler aussi que les inconvénients provenant des restrictions de zonage, et celles qui résultent normalement du voisinage d'un aéroport, ne sont pas tou-jours de même ordre. Ce dernier cas pourra entraîner, par exemple, la perte d'une servitude de passage, le sectionne-ment d'une voie d'accès ou même enclaver la propriété limitrophe; dans le premier, il s'agira habituellement de la prohibition «non altius tollendi», une limitation de la hauteur des constructions. En l'espèce, une présomption d'identité ne s'impose point; seule une preuve régulière dictera la conclusion appropriée. Je dois maintenant justifier la défaveur matérielle que, par anticipation, je reconnaissais tantôt à la partie non expropriée des lots. Nous avons vu que le besoin éventuel d'une piste supplé-mentaire d'atterrissage servait de motif à l'expropriation des 45 arpents. Quelles seront les dimensions de cet ouvrage? Affectera-t-il défavorablement les terrains circonvoisins? Voilà ce que nous apprendra le témoignage de monsieur Henri Gourdeau, régisseur régional de l'aviation civile. Le procureur de l'intimée s'est opposé à toute preuve d'affectation anticipée de l'emprise, objection que je ne puis contenancer puisque l'utilisation prévisible d'un terrain peut entrer en ligne de compte. A l'appui de cet avis, je citerai une autre décision du Président de la Cour de l'Échiquier,
172 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1961 dans l'instance The King v. Acadia Sugar Refining Company CARDINAL Limited and The Eastern Trust Company',, nous lisons et al. v. que: THE QUEEN , . . Nor is it necessary to show that such depreciation is the result of Dumoulin 1 . . actual adverse use of the other land taken from the owner; it is sufficient to show that it is due only to an anticipated use. Under the circumstances, I think it may be stated that in Canada if land is expropriated under the Expropriation Act and its actual or anticipated use is such that other lands held by the same owner are injuriously affected thereby so that they are depreciated in value the owner is entitled to compensation not only for the value of the expropriated land but also for the depreciation in value of his remaining lands to the extent that such depreciation is the result of the actual or anticipated use of the expropriated land. Le témoin Henri Gourdeau nous apprend donc que l'expropriation des lots 144 et 145 se propose de permettre l'établissement d'une nouvelle piste orientée dans la direction nord-sud. Ce tracé ne serait pas une course principale mais auxiliaire que l'on utiliserait comme piste d'urgence advenant des complications atmosphériques, telle, par exemple, une excessive vélocité du vent. Et il n'est guère encourageant de savoir que la proportion de ces atterrissages forcés ne dépasserait pas 4% de l'activité aéronautique car, ici, ce que l'on gagne numériquement, on le perd en sécurité. La voie projetée, continue le préposé à l'aviation, comme toutes autres, mesurera 1,200' dans le sens de sa largeur, incluant une bande pavée large de 200. Monsieur Gourdeau prévoit que cette piste, d'une longueur première de 8,000 pieds, atteindra une étendue définitive de 9,300. Il ne fait pas de doute, conclut-il, que la lisière d'atterrissage ou «run-way» entraînera «le section-nement du Chemin St-François», la voie publique qui dessert encore le devant des lots. L'époque même de l'éven-tualité importe peu, il suffit que l'on puisse raisonnable-ment «l'anticiper», si l'on me passe cet anglicisme. Aux ennuis matériels, restrictions des droits de propriété, perte de facilité d'accès, qui résultent de l'immédiate proximité d'un ouvrage public du genre ci-haut décrit, s'ajoutent le vrombissement assourdissant des avions et la prévisibilité d'accidents, un ensemble de facteurs peu enviables, qui déprécient la propriété sur laquelle ils pèsent. Comme je l'ai indiqué, un dédommagement à concurrence 1 [ 19477 Ex. C.R. 547, 566.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 173 d'un quart de chaque unité de valeur marchande, $1,400, 1961 ne me paraît pas exagéré; conséquemment, j'allouerai pour CARDINAL et al. 106.82 arpents, un montant de $37,387. v. THE QUEEN J'accorde aussi le coût du déménagement, $225, qui eut Dumoulin J. lieu le 15 mai 1960. Par contre, je ne saurais accueillir la demande d'une indemnité de dix par cent (10%) pour dépossession forcée. Dans l'état actuel de la jurisprudence, cet ajouté n'est pas la suite inéluctable de toute expropriation, mais ne peut être octroyé qu'afin de pallier certaines difficultés d'appréciation dont cette cause n'offre aucun indice. On pourra lire avec avantage l'avis exprimé par M. le Juge Rand, naguère de la Cour Suprême du Canada, in re Diggon-Hibben Limited v. The King'. Un dernier mot sur le sujet des méthodes auxquelles les experts eurent recours. La formule dite «Before and After», usitée par monsieur Davis, consiste à déterminer la valeur du terrain entier antérieurement à la prise de possession (Before), puis ensuite (After), celle de la fraction restante. Si cette comparaison atteste un fléchissement de prix, c'est qu'il y aura eu dépréciation de cette dernière partie. Pour en connaître l'étendue, il sutura de soustraire le second chiffre du premier. Ainsi, théoriquement, nous obtenons la double information requise, à la condition cependant essen-tielle que «l'expert» ait calculé juste, ce dont le juge doit s'assurer à l'analyse patiente de la preuve. Monsieur Bigras a procédé selon la méthode 4-3-2-1 qui, sur papier, sectionne le terrain en quatre lisières d'égale contenance, dans le sens de sa largeur, avec des coefficients décroissants de valeur, allant de 40% pour la bande avant, de 30% à la suivante, de 20% à la troisième jusqu'à 10% pour l'arrière. C'est un procédé qui ne manquerait pas de justesse dans des conditions statiques, si les lieux devaient demeurer tels qu'ils étaient en janvier 1954. Or, c'est une perspective contraire que monsieur Bigras envisage, et selon la prévision rationnelle d'une répartition de tout ce secteur en lots à bâtir, d'un morcellement généralisé, que restera-t-il alors de l'actuelle topographie? 1 [1949] S.C.R. 712, 713. 91995-1la
174 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1961 De tout ceci, il résulte que les indemnités accordées seront CARDINAL et al. réparties comme il va suivre: v. Pour les 45.18 arpents expropriés, à raison de THE QIIEEN $1,400 l'unité $ 63,252.00 Dumoulin J. Pour dépréciation des autres 106.82 arpents à l'indice de 25% 37,387.00 Pour le préjudice à l'exploitation sucrière 1,000.00 Pour le préjudice causé au commerce de pom- mes 1,000.00 Pour le coût du déménagement 225.00 Ce qui donne un total de $102,864.00 montant que je porterai au chiffre «arrondi» de $103,000. La Cour, en conséquence, statue par ce jugement que le dépôt d'un plan et d'une description desdits terrains et bâtisses, effectué, le 7 janvier 1954, au bureau de la division d'enregistrement de Montréal, a investi Sa Majesté la Reine, depuis la date précitée, des différents droits de propriété foncière sur partie des lots 144 et 145 portés au plan et au livre de renvoi du cadastre officiel de la Paroisse St-Laurent, comté de Jacques-Cartier, Province de Québec, et selon que spécifié dans les pièces produites en cette cause sous les cotes 1 et 2; que les requérants, sur remise par eux faite de titres clairs, nets et libres de toute charge, servitude et hypothèque, établissant naguère leurs droits aux biens expropriés, recevront à titre d'indemnité liquidée une somme globale de $103,000, à diviser entre les trois requé-rants, dont Dame Thédéa Viau, veuve d'Adéodat Cardinal, suivant leurs droits respectifs, selon les proportions apparaissant aux conclusions de leur pétition de droit; le tout avec intérêt au taux de cinq par cent (5%) l'an, depuis le 15 mai 1960. Les requérants ont droit de recouvrer tous dépens taxables. Jugement en conséquence.
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