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Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 229 BETWEEN : 1958 Nov. 24, 25, JACQUES ANCTIL SUPPLIANT; 26, 27 & 28 1959 AND Mar. 18 HER MAJESTY THE QUEEN RESPONDENT. CrownPetition of RightDamagesSlanderPrivilege of witness Servant of the CrownCrown Liability Act, S. of C. 1952-53, c. 30, ss. 3(1)(a), 4(2); art. 1054 C.C. In an action brought against the Crown to recover damages alleged to have been suffered as the result of defamatory statements made by a Brigadier, a servant of the Crown, when testifying before a court martial. Held: That a witness testifying under oath before a judicial tribunal does so in discharge of a public duty which has no relation to the duties of his employment. At such a time the doctrine of respondeat superior has no application and since the employer may in no way control the servant's evidence neither may he be held responsible for what the servant may say. 2. That since the words complained of were not spoken while the witness was in the performance of the work for which he was employed by the respondent but when he was complying with a public duty 71111-9-2a
230 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 imposed upon him that had no connection in law with his status as ANCTIL an officer of the Crown, they gave no cause of action under The V. Crown Liability Act, S. of C. 1952-53, c. 30. Curley v. Latreille, THE QUEEN 60 Can. S.C.R. 131 at 174; The Governor and Company of Gentlemen Adventurers of England v. Vaillancourt, [19237 S.C.R. 414 at 427. 3. That it was the settled law of England prior to 1763, that 'the privilege of a witness when giving evidence before any court or tribunal recognized by law is absolute and unqualified. Rex v. Skinner, Lofft 55; Seaman v. Netherclift, 2 C.P.D. 53; Munster v. Lamb, 11 Q.B.D. 588 at 602. Langellier v. Giroux, 52 C.B.R. 113 at 114 questioned. 4. That even if it were assumed the privilege was a qualified one, the witness could not be held accountable under the rule referred to in Paquet v. Boivin, 34 R.L.N.S. 346. PETITION OF RIGHT to recover from the Crown damages alleged to have been suffered by the suppliant in consequence of defamatory statements made by a. witness, a servant of the Crown, when testifying before a court martial. The action was tried before the Honourable Mr. Justice Dumoulin at Montreal. Gabriel Lapointe and René Hamelin for suppliant. André Nadeau for respondent. DUMOULIN J. now (March -18, 1959) delivered the following judgment: Le requérant, par cette pétition de droit, réclame de l'État un montant de $100,000, à titre de dommages-intérêts en compensation du préjudice moral, professionnel et même social, que lui auraient causé certaines déclara-tions d'un préposé de l'intimée, le brigadier Frank Fleury, au cours d'une déposition sous serment devant un tribunal militaire. Voici ce dont il s'agit. Âgé de 33 ans, le réclamant, M° Jacques Anctil, fait partie du Barreau de la Province de Québec depuis huit ou neuf ans. Marié, il est le père de deux enfants. En 1951, il s'enrôla dans l'armée canadienne. Après un stage en Extrême-Orient, il fut rappelé au pays et affecté, avec le grade de capitaine, au service légal de la Défense natio-nale, à Québec. Son chef hiérarchique immédiat était le major Pierre Gelly, avocat, qui relevait lui-même du lieu-tenant-colonel Alfred Crowe, membre du Barreau, en charge du bureau régional à Montréal.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 231 Le 27 juillet 1955, le commandant du secteur militaire 1959 de Québec (Quebec Command), le brigadier Fleury, ANCTIL ordonna d'enquêter secrètement sur certains agissements THE QUEEN louches à l'École d'entraînement de l'armée au camp de Dumoulin J. Valcartier. Le 22 ou le 23 août 1955, le rapport d'audition des registres de caisse de l'École militaire fut remis au briga-dier Fleury qui, en conséquence, enjoignit au major Pierre Gelly de procéder aux mesures disciplinaires requises. Au mois de septembre, même année, ou, selon Gelly, le 3 octobre, le pétitionnaire apprit de cet officier légal que l'on soupçonnait un capitaine Weiner et le commandant de l'école de s'être approprié des fonds 'régimentaires. A ces dates, Anctil ne pouvait ignorer que l'identité des suspects, puisqu'il avoue avoir, à la fin d'août, reçu du colonel Crowe, à Montréal, l'information "qu'un officier juif du camp de Valcartier" serait incessamment traduit en cour militaire. Il précisera que, peu après, Gelly lui dit: "Prépare-toi, il te faudra rédiger les `synopsis', soit l'acte d'accusation, dans le cas de Weiner et de l'autre." Dorénavant l'affaire prend une tournure plutôt com-plexe. Le 28 octobre 1955, mise aux arrêts du capitaine Weiner qui, aussitôt, par le ministère de M° Raymond Maher, avocat, exerçant à Québec, obtient l'émission d'un bref d'habeas corpus, rapportable le 14 novembre. Rebroussons route, un moment, pour noter qu'à l'occasion de l'entrevue Gelly-Anctil, à Valcartier, le 3 octobre, ce dernier confiait au premier que Weiner sollicitait son avis au sujet de certaines initiatives privées, et, ajoutait Anctil, "cela m'embarrasse". Sur ce, Gelly dit à son collaborateur d'être prudent dans ses relations avec Weiner, dont il suspectait la bonne foi, et auquel, du reste, Anctil n'était aucunement obligé de prodiguer des consultations. Le 2 novembre, Gelly et Anctil sont assignés par exploit d'huissier à comparaître en Cour supérieure, le 14 de ce mois. Le major Gelly rapporte que, sur réception d'un subpoena, Anctil aurait manifesté de l'étonnement d'être cité en témoignage. Quelques jours après, vers le 9 novem-bre, le colonel Crowe, venu de Montréal à Québec, Gelly 71111-9-21a
232 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 et Anctil, confèrent ensemble, les deux premiers s'exprimant ANCTIL sans réticence, persuadés que leur collègue sera entendu v. THE QUEEN comme témoin uniquement lors du débat sur l'habeas Dumoulin J. corpus. L'on se figure assez bien la surprise et le dépit du colonel Crowe, du major Gelly et du brigadier Fleury informés des conversations antérieures, en constatant que leur subalterne, le capitaine Anctil, agissait à la fois en qualité de témoin et de défenseur de Weiner, avec M° Maher, le 14 novem-bre, lors du rapport de l'habeas corpus. Signalons que ce bref fut annulé et trois autres qui suivirent. Le 19 décembre, le commandant du district émit le décret de convocation du tribunal militaire, communément appelé ici: cour martiale, afin de disposer des accusations portées contre le capitaine Weiner, dont le défenseur légal était encore le capitaine Anctil. Ce tribunal inaugura ses séances à Québec vers la mi-janvier 1956. A l'audition du 17 janvier, M° Anctil, off icier défenseur du prévenu Weiner, interrogeant le témoin, Frank Fleury, commandant du . district, lui demande (vide, pièce 4, pages 233 et 234): Q. 1109 Did you tell Colonel Cathcart [commandant le camp de Valcartier, à 18 milles de Québec] to inform or order his officers, on Captain Weiner's Case and Major Sutherland's, not to speak to me? A l'objection soulevée par le procureur de la poursuite, Me Anctil réplique: Qu'il plaise é. la Cour, je suis l'officier défenseur du Capitaine Weiner et si j'essaie d'avoir des informations sur le cas du Capitaine Weiner_ et que les officiers ont eu l'ordre de ne pas me parler, comment voulez-vous qu'on prépare une défense. L'instant d'après, le témoin, coupant court à toute discussion, offre de répondre; il dit : A. 1109 The answer to the question is yes, I did issue such an instruction. Fleury, à la question 1136, page 242, persiste dans cette réponse. Il ajoute que cette interdiction fut émise vers le milieu d'octobre 1955.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 233 Puis, voici la cause même du litige, le corpus delicti, la 1959 réponse du brigadier à la question 1139 que lui pose, en ANCTTL contre-interrog g a toire , , leprocureur à ch g a rg(pe.2 42 ) ~ THE Q v' u EEN Q. 1139 Would you tell the Court what brought you to issue these moulin J. instructions? A. Yes, I issued this instruction because I had very serious doubts about the ability and integrity of Captain Anctil, either as an officer of the Regular Army and as a lawyer. Il est obvie qu'une attitude pareille, suivie avec déférence par les subalternes, défie tout commentaire. Elle jugulait le droit de l'inculpé à une "pleine et entière défense" selon la phraséologie. traditionnelle. Aussi les deux déclarations de culpabilité retenues contre Weiner, sur appel subséquem-ment interjeté, furent-elles infirmées à l'unanimité des quatre membres du "Court Martial Appeal Board", le 15 mars 1957, et un nouveau procès ordonné (cf. pièce 5). Ceci relaté à seule fin de ne laisser inédite aucune des répercussions de ces regrettables incidents, mais l'on saisit bien que l'actuel problème se présente ici en tout autre lumière. Voici comme le pose le demandeur à tels articles de sa pétition de droit. 8°. Les paroles mensongères du Brigadier Fleury, [formulées en réponse à la question 1139 déjà lue] ont blessé votre Requérant dans son honneur; ont nui à sa réputation, ont causé du dommage au point de vue militaire, social, politique et professionnel; 9°. Votre Requérant a été conséquemment licencié des forces de Sa Majesté; * * * 12°. Votre Requérant soumet en outre que le licenciement et ses termes le préjudicient gravement ; votre Requérant éprouve et éprouvera de la difficulté au point de vue gouvernemental, affaires, fonctions politiques ou administratives; * * * L'intimée, par contre, admet le prononcé des paroles incriminées, mais leur nie toute relation légale avec le remède demandé. La défense amendée explicite comme ci-après ce moyen de droit. a) Que le brigadier Fleury, interrogé sous serment, devait apporter une réponse précise (subjectivement à tout le moins) à la question 1139;
234 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 b) que ce témoin ". . . était justifié d'entretenir les ANCTIL doutes sérieux dont sa réponse fait état ..." parce V. THE QUEEN qu'à l'insu de ses supérieurs et avant la convocation de la cour martiale, Anctil aurait accepté d'être le Dumoulin J. procureur de Weiner devant les tribunaux militaires et civils, en violation des règlements. c) que le capitaine Anctil, aviseur légal au service de l'armée, de par cette fonction même, devait connaître "... le sens et la portée de la réglementation militaire . . ." qui, au surplus, avant les incidents ci-haut relatés, aurait été spécialement rappelée à son attention par ses chefs hiérarchiques. d) Et, enfin, que le 2 novembre 1955, lors de l'entre-vue avec le major Gelly, le requérant ". . . avait délibérément trompé ses supérieurs immédiats en niant avoir eu toute relation antérieure avec Weiner". Avant le 15 novembre 1954, (voir la Gazette du Canada, vol. 88, page 3796, livraison supplémentaire du 8 novembre 1954), il était très douteux que la loi (1952, S.R.C. ch. 98, art. 18) sur la Cour de l'Echiquier per-mis d'intenter à l'État une action comme celle-ci. La lecture de l'article 18 de ce premier statut ne me fait rien voir qui en aurait autorisé l'admissibilité. Mais, depuis la date précitée, la loi 1-2 Elizabeth II, ch. 30, sur la responsabilité de la Couronne en matière d'actes préjudiciables, édicte que: 3. (1) La Couronne est responsable in tort des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier en état de majorité et de capacité, a) à l'égard d'un acte préjudiciable commis par un préposé de la Couronne, . . . L'article 4.(2) vient compléter cette disposition: 4. (2) Il ne peut être ouvert de procédures contre la Couronne, en vertu de l'alinéa a) du paragraphe (1) de l'article 3, relativement à quelque acte ou omission d'un préposé de la Couronne, à moins que l'acte ou omission, indépendamment des dispositions de la présente loi, n'eût entraîné une cause d'action in tort contre le préposé en question ou son représentant personnel. Ce texte législatif a donc pour effet de soumettre le différend à la loi du lieu aurait été commis le délit. En l'occurrence, le poursuivant entend ' exercer l'action oblique contre l'intimée, et l'article 1054 du Code Civil, septième alinéa, conditionnera ce recours.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 235 Conséquemment, il incombe au tribunal de rechercher si 1959 le brigadier Fleury, tenant les propos que l'on sait sous la ANCTIL foi et la contrainte du serment judiciaire, doit être con- THE QUEEN sidéré comme un préposé dans l'exécution des fonctions mouhn J. auxquelles il est employé. Puis, advenant une solution affirmative, si pareil témoignage peut se réclamer d'un privilège au moins relatif dont il satisferait les exigences. A la seconde, et derechef à l'avant-dernière séance, de l'audition qui en a occupé neuf, la Cour souleva d'office la première de ces questions de droit, à savoir : le lien de subordination chez un préposé persiste-t-il au point que son témoignage, au cours d'un débat judiciaire, puisse engager, par la présomption de l'article 1054, l'éventuelle responsabilité du commettant? Il est à propos de consigner que le savant procureur de l'intimée, à l'instar de l'habile avocat du requérant, n'a pas retenu ce moyen, soutenant qu'un témoignage au sujet d'incidents survenus dans le déroulement normal des occupations du témoin constituait, en quelque sorte, la prolongation de ses fonctions. C'était une appréciation sérieuse du problème, mais qui ne parvient pas à me persuader qu'elle donne la vraie réponse. La déclaration assermentée se prête à une très simple analyse. Et d'abord, quelle autorité, sinon celle du souverain, assigne une personne en témoignage "toutes affaires cessantes"? Et encore, à l'égard de qui le témoin contracte-t-il la solennelle obligation de dire toute la vérité sinon envers la Justice humaine, Dieu cautionnant la véracité des assertions? En cas de parjure, la partie offensée sera toujours la Justice publique qui infligera la pénalité prévue. Ce mécanisme moral, que l'on me passe l'expression, ne fait nullement acception des occupations de l'individu, ni de l'employeur dont, par ailleurs, le témoin peut dépendre. Autre critère des relations caractéristiques entre maître et serviteur, préposé et patron, la prérogative de celui-ci d'intimer à celui-là des directives auxquelles il devra se conformer. Un arrêt de la chambre civile de la Cour de Cassation' concrétise bien la réalité de cette norme; je citerai: Les rapports de, commettant à préposé se caractérisent par un lien de subordination permettant au premier de donner au second des instructions et des ordres. ICiv. 16 juin 1936; D.H. 1936, 427.
236 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 Est-ce à dire que le commettant puisse le moindrement ANCTL, du monde influer, de façon licite, sur le témoignage de son V. THE QUEEN commis? Il arrivera parfois même que le serviteur, soucieux du devoir de vérité entière, devra déposer à l'encontre des Dumoulin J. prétentions du maître, au risque de voir ce dernier perdre sa cause. Soutiendra-t-on que l'employeur l'aura préposé à ce soin? Or, en ce dernier cas, s'il faut reconnaître une rupture du lien de dépendance à l'endroit du mandant, n'est-il pas manifeste que pareille solution de continuité, indivisible de sa nature, persiste, en ce qui concerne le maître, à l'égard des tiers, erga omnes. De ce qui précède, la conséquence paraît découler logi-quement: le brigadier Fleury, assigné devant un tribunal militaire, ne témoignait point dans l'exécution des fonctions auxquelles l'intimée l'employait, mais déférait à une obligation d'ordre public, sans rapport juridique avec sa qualité privée d'officier au service de l'Etat. M. le juge Mignault, naguère de la Cour suprême du Canada, faisait nettement ressortir la nature inférentielle et présomptive de cette responsabilité patronale et, partant, de l'interprétation restrictive qu'elle doit recevoir dans les limites de l'hypothèse prévue au septième alinéa de l'article 1054. L'éminent juriste, dans l'instance Curley v. Latreillel écrivait que: On enseigne en France que les dispositions qui rendent une personne responsable du fait d'un autre, étant fondées sur une présomption légale de faute, doivent par cela même recevoir une interprétation stricte. Baudry Lacantinerie et Barde, Obligations, No. 2938. Avec quelques réserves quant à certaines disparités entre notre texte et l'article 1384 du Code Napoléon, M. le juge Mignault partage cette opinion des commentateurs français. Cet avis, il le fait sien effectivement à la page 175, nous lisons que: Etant donné que l'interprétation stricte s'impose en cette matière, . . . dans la province de Québec, le maître et le commettant sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et ouvriers dans l'exécution des fonctions auxquelles ces derniers sont employés, ou, pour citer la version anglaise de l'article 1054, C.C., "in the performance of the work for which they are employed". 1 (1920) 60 S.C.R. 131, 174, 175, 176.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 237 Et le savant juge de conclure: 1959 Ceci me paraît clairement exclure la responsabilité du maître pour ANCTIL un fait accompli par le domestique ou ouvrier à l'occasion seulement de Tus V Q . U EEN ses fonctions, si on ne peut dire que ce fait s'est produit dans l'exécution de ses fonctions ... Dumoulin J. L'honorable juge Mignault reproduisait textuellement cette doctrine dans la cause de The Governor and Company of Gentlemen Adventurers of England (la compagnie de la Baie d'Hudson) v. Vaillancourtl. A la page 427 du compte rendu, on pourra lire la citation. L'on sait, du reste, que la loi du Québec en la matière tire son origine de la Coutume d'Orléans dont elle est le décalque fidèle, comme le démontre, entre autres commentaires, cette leçon de Pothier (Oeuvres de Pothier, éd. Bugnet, vol. 2, No 121.) 121.... On rend aussi les maîtres responsables du tort causé par les délits et quasi-délits de leurs serviteurs ou ouvriers qu'ils emploient à quelque service. Ils le sont même dans le cas auquel il n'aurait pas été en leur pouvoir d'empêcher le délit ou quasi-délit, lorsque les délits ou quasi-délits sont commis par lesdits serviteurs ou ouvriers dans l'exercice des fonctions auxquelles ils sont employés par leurs maîtres, quoique en l'absence de leurs maîtres; ce qui a été établi pour rendre les maîtres attentifs à ne se servir que de bons domestiques. A l'égard des délits ou quasi-délits qu'ils commettent hors de leurs fonctions, les maîtres n'en sont point responsables. Ce moyen de droit serait, je crois, une fin de non-recevoir suffisante à la pétition du requérant.- Toutefois, cela reviendrait à passer sous silence le débat judiciaire tel que conçu et engagé par les parties qui, avec des conclusions nécessairement opposées, se sont toutes deux réclamées de la théorie du privilège conditionnel ou relatif reconnu aux témoignages judiciaires. Ceci requiert certains développements assez fastidieux, qui me seront peut-être pardonnés à la pensée que j'en aurai tout le premier subi le fardeau. La Cour d'appel de la Province de Québec, décidant, en 1931, l'instance Langelier v. Giroux 2 passée en force de locus classicus, posait la question ainsi, page 116: Quelle est l'étendue du privilège accordé par la loi au témoin pour les déclarations qu'il fait devant le tribunal et qui peuvent nuire à la réputation des parties ou des tiers? 1[19231 S.C.R. 414, 427. 2 (1932) 52 C.B.R., 113, 114, 116, 117.
238 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 A ceci le tribunal répond: ANCTIL C'est une question de droit public comme tout ce qui a trait aux THE lois aministratives, à l'organisation des tribunaux et à l'administration v. de la justice. En principe, c'est donc le droit anglais qui s'applique, et Dumoulin J. par droit anglais il faut entendre le common law d'Angleterre tel qu'il existait en 1763 avec les modifications qu'il a subies par le droit statutaire et par la jurisprudence dans la Province de Québec. Quelques lignes plus bas, nous lisons: A l'époque de la conquête, on peut considérer que Blackstone, con-temporain de Pothier, et qui jouit en Angleterre de toute l'autorité dont ce dernier jouit en France, représente bien l'état du droit anglais à cette époque. Voici ce qu'il dit des privilèges de l'avocat: . . . but if he [le procureur ad litem] mentions an untruth of his own invention, or even upon instructions, if it be impertinent to the cause in hand, he is then liable to an action from the party injured. Et la Cour d'ajouter: Il faut remarquer que le privilège du témoin est le même que celui de l'avocat et du juge, et pour la même raison, qui est l'intérêt de la justice. Ici, une brève digression: Le juge serait-il passible de prise à partie en conséquence de quelque remarque, critique ou reproche erroné ou même fallacieux et préjudiciable formulé au cours d'un procès; quaere? Sur la foi, apparemment, du sentiment de Blackstone, la Cour d'appel conclut (page 114) : . . . que le droit coutumier anglais avant 1763 reconnaissait que le privilège du témoin ne s'étend pas au témoignage faux et non pertinent à la cause il est rendu; Postulat qui détermina l'arrêt que voici: Page 113 Le privilège d'un témoin, rendant témoignage devant une cour de justice, n'est pas absolu. Le témoin encourt une responsabilité civile pour les déclarations diffamatoires qu'il énonce faussement ou sans pertinence à l'interrogatoire. Que le poids prépondérant de la jurisprudence britanni-que, avant 1763 (Traité de Paris), ait penché dans le sens du privilège relatif peut sembler une interprétation à tout le moins problématique. Sans remonter au déluge, ni précisément à l'année de la Cession, je rappellerai une décision célèbre, de référence fréquente, celle de Lord Mans-field, en 1772, in re: The King v. Skinner'. 1 (1776) Lofft's Reports, 55, 56.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 239 Ce juriste réputé écrivait que: 1959 What Mr. Lucas has said is very just; neither party, witness, counsel, ANCTIL jury or judge can be put to answer civilly or criminally for words spoken v. in office. If the words spoken are opprobious or irrelevant to the case, THE QUEEN the court will take notice of them as a contempt [tout autre chose Dumoulin J. qu'une poursuite individuelle], and examine on information . . . Puis, ces paroles très significatives, à mon sens, en ce qu'elles paraissent exclure la probabilité d'une évolution récente de la jurisprudence anglaise concernant l'immunité testimoniale. Lord Mansfield souligne que: I am willing, as neither Serjeant. Davy, nor Mr. Buller, find any precedent in the History of England, for an indictment of this kind, to give them till next term to find any. Et ceci, répétons-le, se disait à peine neuf ans après la conclusion du Traité de Paris, et trois ans après la paru-tion du dernier livre de Blackstone en 1769. Un autre précédent de grande autorité en Angleterre: Seaman v. Netherclif tl, rallia l'assentiment du juge en chef de la Cour des plaidoyers communs (Court of Common Pleas), Lord Coleridge, puis sur appel interjeté, du juge en chef Cockburn, en 1876, au sujet, toujours, du privilège absolu accordé aux témoins. Je relaterai l'arrêt d'appel et un passage des notes de jugement qui décèlent un état statique de cette doctrine remontant fort loin dans l'his-toire. L'arrêt, page 53: Held, that the words were spoken by defendant as a witness and had reference to the inquiry before the magistrate, as they tended to justify the defendant, whose credit as a witness 'had been impugned; and that the defendant was, therefore, absolutely privileged. Et maintenant le commentaire du juge en chef Cockburn, page 56: If there is anything as to which the authority is overwhelming it is that a witness is privileged to the extent of what he says in the course of his examination. Neither is that privilege affected by the relevancy or irrelevancy of what he says; for then he would be obliged to judge of what is relevant or irrelevant, and questions might be, and are, constantly asked which are not strictly relevant to the issue. But that, beyond all question, this unqualified privilege extends to a witness is established by a long series of cases, the last of which is Dawkins v. Lord Hokeby, 8 Q.B. 255; L.R. 7 H.L. 744, after which to contend to the contrary is hopeless. Autre décision non moins connue, également revêtue d'une haute autorité: Munster v. Lambe de 1883, émanant de la Cour du Banc de la Reine, qui déclare sans ambiguïté 1(1876) 2 C.P.D. 53, 56. 2 (1883) 11 Q.B.D. 588, 602, 603.
240 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 que l'exonération privilégiée des propos testimoniaux fut, AN V. C TIL en droit anglais, une constante et séculaire maxime, donc, THE QUEEN antérieure de beaucoup à la date fatidique de 1763. La Dumoulin J. citation est longue; je crois néanmoins qu'elle en vaut la peine. C'est le "Master of the Rolls", ou juge en chef, Brett, de la Cour du Banc de la Reine, qui s'exprime en ces termes: However, the question is not as to the form of the action, but whether an action of any kind will lie for defamation uttered in the course of a judicial proceeding. Crompton, J., in Harrison v. Broomhead 4 H. & N. 569 at 579, also said: "No action will lie for words spoken or written in the course of any judicial proceeding. In spite of all that can be said against it, we find the rule acted upon from the earliest times. The mischief would be immense if the person aggrieved, instead of preferring an indictment for perjury, could turn his complaint into a civil action. By universal assent it appears that in this country no such action lies. Cresswell, J., pointed out in Revis v. Smith 18 CB. 126 that the inconvenience is much less than it would be if the rule were otherwise. The origin of the rule was the great mischief that would result, if witnesses in courts of justice were not at liberty to speak freely, subject only to the animadversion of the Court." It is there laid down that the reason for the rule with regard to witnesses is public policy. La conclusion à cet égard du juge en chef Brett est la suivante: Therefore the cases of both witnesses and judges fall within the rule as to privileged occasions, notwithstanding it may be proved that any defamatory words spoken by them were uttered from an indirect motive and to gratify their own malice . . . Dans son traité intitulé On Libel and Slander, 4th Ed. 1953, le savant commentateur Gatley note que: Page 170 The authorities are clear, uniform and conclusive that no action of libel or slander lies, whether against judges, counsel, witnesses or parties, for words written or spoken in the ordinary course of any proceeding before any court or tribunal recognised by law. Page 171 This rule of law is not founded (as is the protection in other cases of privileged statements) on the absence of malice in the party sued, but is founded on public policy, which requires that a judge, in dealing with the matter before him, a party in preferring or resisting a legal proceeding, and a witness in giving evidence, oral or written, in a court of justice, shall do so with his mind uninfluenced by the fear of an action for defamation or a prosecution for libel.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 241 Je joindrai à ceci qu'un éminent historien du droit de 1959 l'Angleterre, W.S. Holdsworth, ne corrobore guère la thèse ArrcTu du privilège restrictif antérieurement à 1763. Cet auteur, T HE QUEEN au volume VIII, page 376, de son oeuvre A History of , moulin J. English Law, énonce que: It was settled by the first quarter of the seventeenth century [con-séquement dès 16251, that no action lay against judges, witnesses, or counsel for defamatory statements made in the conduct of litigation; .. . Enfin, cette recherche, déjà trop longue, ne saurait toute-fois omettre ce que le plus exhaustif des traités enseigne sur la matière. La référence qui suit est tirée du tome 20 de Halsbury's Laws of England. 563. More than a hundred and sixty years ago Lord Mansfield said that neither party, witness, counsel, jury, nor judge can be put to answer, civilly or criminally, for words spoken in office. The authorities are clear, uniform, and conclusive that no action lies, whether against judges, counsel, witnesses, or parties, for words spoken in the ordinary course of any proceeding before any Court or tribunal recognised by law. It is manifest that the administration of justice would be .paralysed if those who are engaged in it were to be liable to actions of libel or slander upon the imputation that they had acted maliciously and not bona fide. The doctrine is not confined to the administration of justice in the superior courts. It has been applied in its fullest extend to county courts, a recorder's court, coroners' courts, and magistrates' courts. It applies not only to all kinds of courts of justice, but to other tribunals recognised by law acting judicially * * * Thus the doctrine has been applied to a military court of inquiry, where the case was one of an authorised inquiry before a tribumal acting judicially, that is to say, in a manner as nearly as possible similar to that in which a court of justice acts in respect of an inquiry before it, .. . Une jurisprudence aussi nombreuse et surtout aussi con-stante et de même esprit depuis le 17 0 siècle, en Angleterre, ne permet-elle point d'accueillir avec un déférent scepti-cisme l'opinion accréditée dans l'affaire: Langelier v. Giroux' après quelques autres, "que le droit coutumier anglais, avant 1763, reconnaissait que le privilège du témoin ..." n'est pas absolu? Les mêmes raisons qui m'ont induit à ne pas disposer du litige sur le seul motif que le préposé de l'intimée n'agis-sait point dans l'exercice de ses fonctions, lors de sa dépo-sition devant la cour martiale, m'engagent aussi à ne pas I- (1932) 52 CB.R., 113, 114.
242 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 m'arrêter à la théorie de l'immunité absolue, sans rechercher ANOTIL ce qu'il adviendrait des paroles contentieuses sous l'égide v. THE QUEEN de l'immunité relative. Dumoulin J. Quels doivent être les facteurs et les limites du privilège conditionnel? Dans la cause: Paquet v. Boivinl M. le juge Letellier, de la Cour supérieure de Québec, les précise. Le témoin, dit-il, ne peut être appelé à répondre en justice pour les déclarations qu'il a faites dans ce témoignage, les croyant vraies et les basant sur de justes raisons de les croire vraies. Il ne suffit pas que ces témoignages contien-nent des choses qui sont fausses; il faut de plus, qu'ils contiennent des faussetés que le témoin sait être fausses, ou n'être basées sur aucune raison ou sur aucune probabilité. La pertinence de la réponse à l'interrogatoire sera une autre condition (cf. Langelier v. Giroux supra). A ce point, il faut reprendre l'examen des faits; commen-çons par la relation des propos visés à la question posée. Le brigadier Fleury, le 17 janvier 1956, cité devant le tribunal militaire, répond affirmativement à cette demande du capitaine défenseur Anctil (voir la pièce 4, aux pages 233, 234 et 242) : Q. 1109 Did you tell Colonel Cathcart to inform or order his officers, on Captain Weiner's case and Major Sutherland's, not to speak to me? A. 1109 The answer to the question is yes, I did issue such an instruction? En contre-interrogatoire, le procureur à charge, assez naturellement, demandera: Q. 1139 Would you tell the Court what brought you to issue these instructions? Et le témoin de répondre: A. 1139 Yes, I issued this instruction because I had very serious doubts about the ability and integrity of Captain Anctil, either as an officer of the Regular Army and as a lawyer. Pour l'instant, il ne s'agit que de décider si cette explication était pertinente à la question. Certes, elle l'était, et ainsi disparaît d'emblée un premier motif technique de faute. Fleury, alléguant des doutes sérieux quant à la compé-tence professionnelle et à l'intégrité d'Anctil, avait-il de justes raisons de croire ces appréhensions fondées, selon les exigences de l'arrêt Paquet v. Boivin (supra)? 1(1928) 34 R.L.N.S. 346.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 243 Entendu le 14 novembre 1955, devant l'hon. juge Bou- 1 9 59 langer, lors du débat sur le bref d'habeas corpus, émis à ANCTIn la requête de Weiner, le capitaine Anctil affirme et réitère TaE QUEEN. que, dès le début de septembre 1955, le major Gelly l'in- Dumoulin J. formait que lui, Anctil, aurait probablement à s'occuper "d'une cause ou de l'autre", celle de Weiner ou de Suther-land, et à préparer les dossiers ou "synopsis" (cf. pièce C, pages 20 et 21). A la page 22, même pièce, Me Jacques Anctil répond ce qui va suivre aux interpellations de son confrère, Me Maher: Q. A quel moment avez-vous été retenu pour représenter le capitaine Weiner? R. Le capitaine Weiner a été arrêté le 28 octobre, et c'est peut-être quinze jours avant le 28, environ. Q. Vers le 10, le 13, le 14 octobre? R. Oui. Quelques lignes plus bas: Q. Après ça il [Weiner] vous a retenu comme Aviseur? R. Oui. Q. Ce serait entre le 10 et le 15 octobre? R. Oui. A l'enquête devant cette Cour, Anctil voudra corriger cette indication, disant qu'il s'était mal expliqué, le 14 novembre 1955, et que Weiner, à la mi-octobre, avait requis son aide pour une requête "en redressement de griefs". Mais il reste que le brigadier Fleury, présent à l'audition du 14 novembre, entendant alors les précisions réitérées du capitaine Anctil, ne pouvait guère prévoir que, le 25 novembre 1958, celui-ci rectifierait cette déclaration en Cour de l'Échiquier. Selon le requérant, il aurait été consulté, vers le 28 octo-bre, par Me Raymond Maher, procureur civil de Weiner "... au sujet des règlements militaires, du droit militaire. Toute la conversation porta sur la détention illégale du capitaine Weiner et sur l'utilité de recourir à l'habeas corpus". Me Anctil exprima l'opinion que ce bref devrait être maintenu "parce que les règlements militaires n'avaient pas été suivis et qu'il n'y avait pas eu, préala-blement de commission d'enquête". A cet effet, le colonel Alfred Crowe témoignera que, le 9 novembre, à Québec,
244 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 discutant avec le major Gelly et le capitaine Anctil de la ANCTIL tactique à suivre en Cour supérieure, Anctil manifesta des v. TSE QUEEN craintes identiques, sans révéler pour autant ses relations Dumoulin J. d'avocat avec Weiner, et la discussion se serait poursuivie en toute confiance. A cette occasion, Crowe fit un reproche à Anctil d'ignorer l'amendement, quelques mois auparavant, de la loi militaire dispensant des formalités d'une commission d'enquête. Le colonel Crowe ajoute que, cette même année, en mai ou juin 1955, il aurait signalé à l'attention de son jeune confrère l'article 163-2(4) (a) des "Canadian Army Orders" (pièce F) qui se lit: "(163-2) Limitations. 4. Service legal aid will not be provided: (a) In cases involving service discipline". Selon le juge-avocat général adjoint cette disposition interdisait au capitaine Anctil d'accepter le mandat de défendre le capitaine Weiner, inculpé d'une dérogation disciplinaire, à savoir, détournement de fonds régimen-taires. Le pétitionnaire n'oppose aucun démenti formel, se bornant à dire "qu'il ne se souvient pas de s'être rencontré, le 9 ou le 10 novembre, avec le colonel Crowe et le major Gelly au bureau de celui-ci à Québec. Il soutient que Weiner requit, le 2 novembre 1955, ses services légaux. Le major Pierre Gelly, enfin, qui remplissait alors les fonctions d'assistant avocat général pour le secteur est du "Quebec Command", affirme "qu'avant d'avoir entendu M° Raymond Maher dire en cour, le 14. novembre 1955, que le capitaine Anctil lui servait de conseil, il ignorait ce fait". Voilà pour la période précédant le 14 novembre. Nous avons vu qu'à cette date, l'honorable juge Oscar Boulanger entendit les parties sur le mérite du premier bref d'habeas corpus. Le brigadier Fleury, le colonel Crowe et possiblement le major Gelly assistèrent à l'audition; tout à l'heure, je devrai reprendre le fil des témoignages de ces deux derniers. Avant de ce faire, je transcrirai presque textuellement certaines paroles de Fleury: I was advised early in November that a writ of Habeas Corpus had issued at the request of Capt. Weiner, with hearing set for Novem-ber 14. I was present in the Superior Court. It was at this point that I gathered the opiniôn that a former impression of mine [à l'égard d'Anctill was founded.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 245 Such opinion was strengthened as a result of what took place before 1959 Mr. Justice Boulanger. It was to the effect that Capt. Anctil was acting A"-uN O T . . irregularly when appearing for Weiner before the Civil Court and was v. thereby, so to say, playing both sides of the street. Subsequently, after THE QUEEN I had perused the Court's decision, on or after November 21, I contacted Colonel Cathcart, at Valcartier, and asked him if he was ware of one Dumoulin J. of his legal officer's conduct. Col. Cathcart replied he had heard that Anctil had been summoned to appear as a witness, but, like myself, was shocked to learn what had really occurred. Le brigadier Fleury dit encore: Prior to the 21st of November, 1955, I certainly had given no instructions to Col. Cathcart to sever all dealings with Capt. Anctil, although I may have discussed before that date with Cathcart and Gelly the advisability of getting rid of Anctil for those reasons just stated, his apparent double-play in Weiner's Habeas Corpus. Ce fut donc un sentiment personnel de suspicion, et non l'opinion d'autrui, que le commandant du district exprima, deux mois après, dans les termes que l'on connaît. Supposé que pareille déduction fut erronée, cette méprise de bonne foi ne saurait être invoquée à son détriment, selon la théorie du privilège restrictif. Quelques mots maintenant des réactions provoquées par suite de l'incident, chez le major Gelly et le colonel Crowe. Gelly relate que: Le 14 novembre, je fus étonné de voir Anctil au côté de Weiner. Le témoignage , d'Anctil devant le juge Boulanger me fut relaté et me parut contenir de flagrantes erreurs. Surpris de cette conduite équivoque j'en fis aussitôt rapport au brigadier Fleury, spécifiant qu'Anctil avait divulgué des conversations privilégiées que j'avais eues avec lui; que, conséquemment, pour ma part, je ne saurais dorénavant le considérer comme l'un des officier légaux à Valcartier. Le colonel Crowe témoigne au même effet. Les agissements d'Anctil depuis le début de novembre, fait-il, m'avaient enlevé toute confiance en lui. A l'issue de l'audience de Cour, le 14 novembre, j'exprimai au brigadier Fleury mon étonnement défavo-rable de la participation active et de l'attitude du capitaine Anctil, ajoutant que je rédigeais un mémoire détaillé à l'intention du juge-avocat général, à Ottawa. Le brigadier Fleury me conseilla vivement de n'en rien faire avant que l'honorable juge Boulanger n'eut rendu sa décision. Je me rangeai à cet avis et ne transmis ce rapport à mon officier supérieur, Lawson, qu'au début de mars 1956. Cette pièce nombre 6 est au dossier; elle comprend aussi le rapport du colonel 'Cathcart, le 26 mars 1955; le colonel Crowe n'a pas daté le sien. Je ne crois pas indispensable de les transcrire ici. Il suffit de noter que le commandant du camp de Valcartier, et davantage l'avocat général adjoint, désapprouvent 71111-9-3a
246 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 énergiquement les procédés de leur subordonné sous le ANCTIL double aspect de loyauté au service et du savoir profes- v. THE QUEEN sionnel. Mis au courant de ces opinions, Fleury était certes Dumoulin J. excusable d'éprouver "des doutes sérieux" sur le compte d'Anctil. Le 21 mars 1956, le pétitionnaire rencontrait, à Ottawa, le brigadier Lawson, juge-avocat général qui, l'ayant con-voqué, lui suggéra de quitter le service afin d'éviter les plaintes prochaines de ses chefs régionaux. Anctil refusa; nous verrons tantôt quel fut le dénouement final. Il me reste à dire que, proférée en d'autres circonstances qu'à l'occasion d'un procès, cette réponse à la question 1139 (pièce 4, p. 242) eut été assurément diffamatoire. Et, alors seule la triple concordance de la véracité objective, de l'intérêt public et de la bonne foi, permettrait d'inno-center l'auteur. Mais, devant le tribunal militaire, ces propos, pertinents à l'interrogatoire, échapperont au blâme pourvu que le témoin les ait crus véridiques. Telle est la distinction essentielle entre justification et privilège relatif ; dans un cas ce que l'on affirme doit être intrinsèquement vrai; il suffira dans l'autre qu'on l'ait pensé tel. Cette dernière hypothèse de l'exonération, selon le privilège qualifié, est celle que je dois retenir. Le brigadier conçut une opinion personnelle, par consta-tion directe des incidents. Confirmée par les censures réi-térées et véhémentes de ses conseillers naturels, les officiers-légistes Crowe et Gelly, cette impression créa dans son esprit à tout le moins "un doute sérieux". Cela étant, comment prétendre que Fleury ait menti sciemment en s'exprimant comme il le fit. Pour peu que cette pétition eut été fondée, que serait-il advenu de la réclamation pécuniaire? Il n'y aurait eu ouverture, semblerait-il, qu'à des dommages-intérêts moraux.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 247 Le requérant se plaint d'avoir quitter Québec, la 1959 déclaration de Fleury lui aurait interdit de s'établir. C'est ANCTIL le grief basique dont tous autres découlent. Voici comme TEE QUEEN il se lit à l'article 6 de la pétition de droit: Dumoulin J.. Votre Requérant soumet que le rang social du Brigadier Fleury donnait du poids à ses paroles, qui supportées par ses fonctions et sa qualité d'officier de Sa Majesté, avaient comparativement chez le public l'effet d'un jugement. Ces lignes, manifestement, ne traduisent que la pensée conjecturale ou même "comparative" d'Anctil, et ne le peuvent dispenser d'une preuve corroborative qui manque totalement. En d'autres termes, le réclamant substitue son propre jugement à celui du public, qui ne fut jamais informé de ces péripéties, ni par la presse ni par le truche-ment de la radio ou de la télévision. Le capitaine Anctil voudrait aussi que "... les paroles mensongères du brigadier Fleury ... aient occasionné son renvoi des forces de Sa Majesté", (articles 8 et 9 fusion-nés) ; puis, à l'article 12, il "... soumet en outre que ce licenciement et ses termes le préjudicient gravement". Or, qu'apporte-t-il à l'appui de cette prétention? Rien d'autre qu'un certificat réglementaire, du 13 juillet 1956, lui décernant une "mention honorable" de démobilisation (pièce 2). Cette attestation est ainsi libellée: Captain Anctil, Jacques, Hervé, Served on Active Service with the Canadian Army (REGULAR), from 1 October, 1951, and is HONORABLY released under the provisions of R (Army) 15.01 item 5(b)(iii) . La solution des indications sigillaires se lit comme suit au volume I, "The Queen's Regulations and Orders for the Canadian Army, 1952": 15.01 5(b)(iii) when the officer or man is not advantageously employable in his present rank Il va de soi que seul un militaire averti pourrait pressen-tir un indice de restriction mentale à l'égard des qualifications spécialisées de l'officier concerné. Quant aux profanes, s'en trouverait-il un qui voulût scruter plus avant l'attestation de licenciement honorable? On n'a pas établi que l'expression "honorably released" ne constitue point la formule usitée à l'endroit de tous militaires, officiers et soldats, qui obtiennent leur congé 71111-9-31a
248 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1959] 1959 définitif après avoir bien mérité du pays. Dans ces circon- ANCTIL stances, comment une Cour de Justice pourrait-elle tenir V. THE QUEEN qu'un parchemin Officiel, comportant une mention hono- i rable entrainât une interprétation péjorative? Dumoul n J. ' Il m'est enfin loisible, en conclusion, de conjuguer les deux empêchements dirimants qui interdisent d'accueillir cette pétition. En l'occurrence, les paroles litigieuses, émanant d'un préposé de l'intimée, ne furent pas prononcées dans l'exécu-tion des fonctions auxquelles ce dernier était employé; subsidiairement, l'eussent-elles été que le privilège relatif leur assurerait l'immunité. L'acte du brigadier Frank Fleury, selon les termes de l'article 4(1) (2) du statut 1-2 Elizabeth II, chap. 30, "... n'aurait pas entraîné une cause d'action in tort contre le préposé", condition indispensable à tout recours corol-laire contre la Couronne. Par ces motifs, cette Cour ordonne et décide que ledit pétitionnaire n'a pas droit au recours sollicité dans sa pétition, et que Sa Majesté la Reine devra recouvrer dudit pétitionnaire les frais taxables de l'instance. Jugement en conséquence.
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