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DES-5-01

2004 CF 420

Hassan Almrei (demandeur)

c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le Solliciteur général du Canada (défendeurs)

et

La Société Radio-Canada (intervenante)

Répertorié: Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Blanchard--Toronto, 25, 26 novembre 2002, 20 janvier, 24, 25 juin, 24, 25, 27, 28 novembre 2003, 5, 6 et 7 janvier 2004; Ottawa, 19 mars 2004.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de réfugiés -- Le demandeur, un ressortissant syrien, était un réfugié au sens de la Convention depuis 2000 -- Il a été détenu en octobre 2001 au motif qu'il constituait un danger pour la sécurité nationale -- Une attestation déposée par les ministres et déclarant le demandeur non admissible aux termes de l'art. 19(1) de la Loi sur l'immigration, a été jugée raisonnable -- Demande de mise en liberté présentée en vertu de l'art. 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés -- Le critère devant être appliqué selon l'art. 84(2), un critère en deux volets, n'est pas ici rempli -- La Cour n'est pas persuadée que le demandeur ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable -- Elle n'est pas convaincue non plus que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui -- Demande rejetée.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Vie, liberté et sécurité -- Les art. 82(2) et 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, sont conformes aux principes de justice fondamentale dont parle l'art. 7 de la Charte -- Les droits prévus par l'art. 7 de la Charte n'ont pas été déniés.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Procédures criminelles et pénales -- Traitements et peines cruels et inusités -- La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés autorise le maintien de la détention du demandeur sauf si une ordonnance est rendue en application de l'art. 84(2) -- Une détention dans des conditions raisonnables n'équivaut pas aux traitements ou peines cruels et inusités interdits par l'art. 12 de la Charte -- Les droits garantis par l'art. 12 de la Charte n'ont pas été déniés.

Le demandeur sollicitait, en application du paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), une ordonnance prononçant sa mise en liberté. Le demandeur, un ressortissant syrien, est arrivé au Canada en janvier 1999 et a été reconnu comme réfugié au sens de la Convention par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 2 juin 2000. Le demandeur a été détenu le 19 octobre 2001 en vertu d'une attestation délivrée le 16 octobre 2001. L'attestation disait que, de l'avis du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ainsi que du solliciteur général du Canada, le demandeur était une personne non admissible décrite au paragraphe 19(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration. Selon le Service canadien du renseignement de sécurité, le demandeur faisait partie d'un réseau international de groupes extrémistes et de personnes qui observent et soutiennent les idéaux islamiques extrémistes embrassés par Oussama ben Laden. L'affaire a été soumise à la Cour fédérale du Canada, en application du paragraphe 40.1(3) de l'ancienne Loi, pour qu'elle décide si l'attestation était ou non raisonnable. Par une décision datée du 23 novembre 2001, Mme le juge Tremblay- Lamer a estimé que l'attestation était raisonnable, et une mesure d'expulsion fut prononcée contre le demandeur quelques mois plus tard. Le 23 septembre 2002, le demandeur déposait une requête pour que soit examinée sa détention à l'expiration du délai de 120 jours, ainsi que le prévoit le paragraphe 84(2) de la LIPR.

Jugement: la requête doit être rejetée.

Le critère exposé au paragraphe 84(2) et servant à déterminer si le demandeur devrait être mis en liberté est un critère à deux volets. Le juge désigné pour instruire la demande doit être convaincu que «la mesure [de renvoi prononcée contre l'étranger] ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable» et que «la mise en liberté [de l'étranger] ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui».

S'agissant du premier volet du critère, l'indication d'une période de 120 jours dans le paragraphe 84(2) montre que le législateur voulait que la mesure de renvoi soit exécutée rapidement après qu'un certificat a été jugé raisonnable. Le sens de l'expression «délai raisonnable» dépendra des faits et des circonstances de chaque affaire. En l'espèce, les conditions de la détention actuelle du demandeur, les procédures judiciaires qui ont été introduites ou qui seront introduites par le demandeur, enfin les lenteurs du renvoi qui sont attribuables au ministre et au demandeur, ont été considérées pour savoir ce qu'était un «délai raisonnable». Un examen attentif de l'historique du cas a révélé que l'incertitude touchant le renvoi du demandeur s'expliquait en grande partie par des procédures judiciaires résultant de son fait, qu'elles fussent passées, actuelles ou envisagées. Certains des délais étaient imputables au ministre, mais, ainsi que le disait Mme le juge Dawson dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub: «que lorsqu'une personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu affirme qu'elle risque la torture en cas d'expulsion, le délai raisonnable exigé pour s'assurer que les principes de justice fondamentale ont été respectés sera plus long». En l'espèce, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration avait dû rendre un second avis de dangerosité en application du paragraphe 115(2) de la LIPR, parce que de graves erreurs avaient été commises dans le premier avis de dangerosité, ce qui avait entraîné un nouveau délai. Ce délai a été atténué dans une certaine mesure par les circonstances particulières de l'entrée en vigueur de la LIPR, ainsi que par la gravité des points à décider. Vu les circonstances de cette affaire, on ne saurait dire que les délais attribuables au représentant du ministre suffisaient par eux-mêmes à justifier une conclusion défavorable pour le premier volet du critère prévu par le paragraphe 84(2). Une bonne partie du délai était nécessaire pour garantir le respect des formes régulières dans le traitement des demandes introduites par le demandeur durant l'instance. Les moyens pris par le demandeur pour empêcher son renvoi, par l'introduction de nombreuses procédures judiciaires, ont incontestablement allongé la durée de sa détention. Dans l'arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), la Cour d'appel fédérale a jugé que, lorsqu'on se demande si la mesure de renvoi sera exécutée dans un délai raisonnable, l'intéressé peut tirer parti des moyens qui lui sont offerts en droit pour rester au Canada, mais, s'il en tire parti, il sera alors malvenu à se plaindre des délais. On pourrait donc dire que le demandeur tient la clé de sa propre mise en liberté. Il pourrait à tout moment mettre un terme à sa détention s'il consentait à quitter le pays. Dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), la Cour suprême du Canada n'a pas modifié l'applicabilité de l'arrêt Ahani à la présente affaire. L'arrêt Suresh n'est pas incompatible avec la jurisprudence antérieure. S'agissant des conditions de la détention du demandeur, elles ne sont certes pas idéales, mais il existait une preuve non contredite du demandeur selon laquelle elles sont nécessaires pour sa propre protection au sein de l'établissement. Les circonstances de la détention du demandeur étaient un facteur à prendre en compte, mais elles ne suffisaient pas à justifier sa mise en liberté immédiate. Pour ces motifs, le demandeur n'a pas convaincu la Cour qu'il ne serait pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable.

S'agissant du deuxième volet du critère, la Cour n'a pas été convaincue que la mise en liberté du demandeur ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui. Dans l'arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada avait affaire à l'expression «danger pour la sécurité du Canada». Selon elle, bien que cette expression «doive recevoir une interprétation large et équitable, elle exige néanmoins la preuve d'une menace potentiellement grave». Ses observations sur ce qui constitue un «danger pour la sécurité du Canada» sont applicables à l'examen des motifs d'une détention. Par conséquent, aux fins de la présente instance, la preuve qui fonde un soupçon objectivement raisonnable de menace d'un préjudice sérieux établirait l'existence d'un danger pour la sécurité nationale. Il appartient à celui qui demande sa mise en liberté de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que sa mise en liberté ne posera aucun danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui. En l'espèce, la Cour avait devant elle, dans les résumés publics et les rapports secrets en matière de sécurité, une preuve abondante qui permettait de croire objectivement que la mise en liberté du demandeur constituerait un danger pour la sécurité nationale. La preuve produite par le demandeur ne suffisait pas à neutraliser la preuve qui permettait de croire objectivement que la mise en liberté du demandeur constituerait un danger. Plus précisément, le témoignage du demandeur devant la Cour n'a pas été jugé crédible. Le juge Blanchard a aussi tiré les conclusions suivantes: 1) le demandeur a recouru à des méthodes clandestines; 2) il soutenait les idéaux extrémistes embrassés par Oussama ben Laden; 3) il n'était pas crédible en ce qui concernait ses liens avec les Afghans arabes; 4) il n'était pas crédible en ce qui concernait son rôle dans le djihad; et 5) il était mêlé à un réseau de faussaires qui avait des liens internationaux et qui produisait de faux documents. Le dépôt de cautionnements en espèces n'éliminerait pas le danger qu'entraînerait la mise en liberté du demandeur. Le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que sa mise en liberté ne constituerait pas un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui.

S'agissant du déni des droits du demandeur garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, le maintien du demandeur en détention n'était pas contraire aux articles 7 et 12 de la Charte. Le maintien de la détention du demandeur est autorisé par une loi qui a été jugée valide sur le plan constitutionnel. Les paragraphes 82(2) et 84(2) sont conformes aux principes de justice fondamentale dont parle l'article 7 de la Charte, et une détention dans des conditions raisonnables n'équivaut pas à des traitements ou peines cruels et inusités au sens de l'article 12 de la Charte. Dans cette affaire, la détention du demandeur était une détention préventive, et non une détention punitive; la détention en régime cellulaire était nécessaire pour la propre protection du demandeur; il était loisible au demandeur en tout temps de mettre un terme à sa détention en consentant à quitter le pays; et le demandeur était détenu dans des conditions raisonnables. Il serait prématuré de dire que la détention du demandeur sera d'une durée indéfinie. Cela dépendra du résultat des procédures introduites devant la Cour et du résultat des futures procédures qui pourraient être introduites par le demandeur ou par les ministres. Pour ces motifs, le maintien du demandeur en détention dans ces circonstances n'équivalait pas à des traitements ou peines cruels et inusités, et par conséquent les droits qui lui sont conférés par les articles 7 et 12 de la Charte n'ont pas été déniés.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 12.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 57(1) (mod., idem, art. 54).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)e)(iii) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), (iv)(C) (mod., idem), f)(ii) (mod., idem), (iii)(B) (mod., idem), 27(2)a) (mod., idem, art. 16), 32(6) (mod par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11), 40.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29 art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 77(1), 78, 81, 82(2), 84(2), 115(2).

jurisprudence

décisions suivies:

Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 171; 77 C.R.R. (2d) 144; 7 Imm. L.R. (3d) 1; 261 N.R. 40 (C.A.F.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1; Ahani c. Canada (1996), 37 C.R.R. (2d) 181; 201 N.R. 233 (C.A.F.).

décisions appliquées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub, [2004] 1 R.C.F. 493; (2003), 238 F.T.R. 12 (C.F.); Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669; (1995), 32 C.P.R. (2d) 95; 100 F.T.R. 261 (1re inst.); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 970 (1re inst.) (QL); Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 49; 49 Imm. L.R. (2d) 86 (C.F. 1re inst.); R v Shayler, [2002] 2 All ER 477; Jaballah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 299; [2004] A.C.F. no 420 (QL); Charkaoui (Re), 2003 CF 1419; [2003] A.C.F. no 1816 (QL).

décisions examinées:

Almrei (Re) (2001), 19 Imm. L.R. (3d) 297 (C.F. 1re inst.); Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1394; [2003] A.C.F. no 1790 (QL); Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1523; [2003] A.C.F. no 1940 (QL); Almrei v. Canada (Attorney General), [2003] O.J. No. 5198 (C.S.J.) (QL).

décision mentionnée:

Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 214; (1994), 24 C.R.R. (2d) 276; 85 F.T.R. 99; 30 Imm. L.R. (2d) 33 (1re inst.).

DEMANDE pour que soit rendue conformément au paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés une ordonnance prononçant la mise en liberté du demandeur. Demande rejetée.

ont comparu:

Barbara L. Jackman pour le demandeur.

Donald A. MacIntosh pour le défendeur, le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

Toby J. Hoffmann pour le défendeur, le Solliciteur général du Canada.

Daniel J. Henry pour l'intervenante.

avocats inscrits au dossier:

Barbara L. Jackman, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation pour l'intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Blanchard: Le demandeur, M. Almrei voudrait que soit rendue une ordonnance prononçant sa mise en liberté, en application du paragraphe 84(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (ci-après la LIPR). Une mise en liberté selon le paragraphe 84(2) requiert la preuve «que la mesure [de renvoi] ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable» et que «la mise en liberté [de l'étranger] ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui».

A. LES FAITS

[2]Le demandeur est un ressortissant syrien. Il a grandi en Arabie saoudite puis est arrivé au Canada via la Jordanie en janvier 1999. À son arrivée au Canada, il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6]. Le 2 juin 2000, après une audience tenue devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, le statut de réfugié lui a été reconnu.

[3]Le demandeur a été détenu le 19 octobre 2001 en vertu d'une attestation signée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada (les ministres), ainsi que le prévoit le paragraphe 40.1(1) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, s. 31] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (l'ancienne Loi). L'attestation, délivrée le 16 octobre 2001, reposait sur un rapport secret en matière de sécurité qu'avaient reçu et examiné les ministres. Elle disait que, de l'avis du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ainsi que du solliciteur général du Canada, le demandeur était une personne décrite dans le sous-alinéa 19(1)e)(iii) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11], division 19(1)e)(iv)(C) [mod., idem], sous-alinéa 19(1)f)(ii) [mod., idem] et division19(1)f)(iii)(B) [mod., idem] de l'ancienne Loi. Ces sous-alinéas et divisions sont ainsi formulés:

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

[. . .]

e) celles dont il y a des motifs raisonnables, de croire qu'elles:

[. . .]

(iii) soit commettront des actes de terrorisme,

(iv) soit sont membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle:

[. . .]

(C) soit commettra des actes de terrorisme;

[. . .]

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles:

[. . .]

(ii) soit se sont livrées à des actes de terrorisme,

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée:

[. . .]

(B) soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

[4]Après que l'attestation fut délivrée, l'affaire fut soumise à la Cour fédérale du Canada, en application du paragraphe 40.1(3) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4] de l'ancienne Loi, pour qu'elle décide si l'attestation était raisonnable, ainsi que le prévoit le paragraphe 40.1(4) [édicté, idem] de l'ancienne Loi. Une audience a eu lieu le 24 octobre 2001, en l'absence du demandeur et de son avocate, audience que présidait Mme le juge Tremblay-Lamer, un juge désigné de la Cour fédérale du Canada. À la suite de l'audience, le juge Tremblay-Lamer a approuvé un résumé des renseigne-ments qui lui avait été communiqué à huis clos. Le résumé a été remis au demandeur, en application de l'alinéa 40.1(4)b) de l'ancienne Loi, pour lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation. Le demandeur s'est vu aussi offrir la possibilité de répondre au résumé, ce qui devait se faire au cours d'une audience publique le 13 novembre 2001. Ce jour-là, l'avocate représentant le demandeur a sollicité un ajournement au motif qu'elle venait d'être engagée par le demandeur et que l'accès à son client lui avait été refusé. L'ajournement fut accordé et l'audience a repris le 19 novembre 2001. À la reprise de l'audience, de nouveaux documents ont été produits par les ministres, documents qui résultaient d'une recherche informatique effectuée par la GRC. Ces documents étaient les suivants: de nombreuses images d'Oussama ben Laden et autres membres d'Al-Qaida, notamment Mohammed Atta, présumé avoir planifié les détournements d'avions, des photos d'un cockpit d'avion, un insigne d'agent de sécurité, des exemplaires de passeports et des armes militaires. L'avocate du demandeur a alors présenté une requête pour que le témoignage du demandeur soit entendu à huis clos et pour que la Cour procède à un voir dire afin de savoir si le témoignage du demandeur pouvait être entendu à huis clos. Cette requête a été rejetée et le demandeur a décidé de ne pas témoigner.

[5]Dans sa décision du 23 novembre 2001 sur le caractère raisonnable ou non de l'attestation, Mme le juge Tremblay-Lamer relevait que le demandeur n'avait pas témoigné et qu'il ne s'était donc pas prévalu de la possibilité qu'il avait d'être entendu. Par conséquent, la seule preuve dont elle disposait était celle qui avait été produite lors de l'audience du 24 octobre 2001, en l'absence du demandeur et de son avocate, en application de l'alinéa 40.1(4)a) de l'ancienne Loi, et, au paragraphe 31 de ses motifs, elle arrivait à la conclusion que, au vu de la preuve:

Les renseignements confidentiels, que je ne puis divulguer, étayent fortement la thèse voulant que M. Almrei soit membre d'un réseau international d'extrémistes qui appuient les idéaux islamiques extrémistes épousés par Oussama ben Laden et qu'il fasse partie d'un réseau de faussaires ayant des liens internationaux qui produit de faux documents.

[6]L'attestation de sécurité délivrée à l'encontre du demandeur fut donc jugée raisonnable (Almrei (Re) (2001), 19 Imm. L.R. (3d) 297 (C.F. 1re inst.)).

[7]Le 5 décembre 2001, le demandeur était informé que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration solliciterait un avis selon lequel le demandeur constitue un danger pour la sécurité du Canada, avis qui, s'il était rendu, autoriserait le renvoi du demandeur en Syrie. Le demandeur a répondu à l'avis du ministre le 28 janvier 2002. Le ministre a communiqué le 15 octobre 2002 d'autres documents au demandeur en rapport avec l'avis, et le demandeur y a répondu le 12 novembre 2002.

[8]Une mesure d'expulsion fut prononcée contre le demandeur le 11 février 2002. La mesure était prononcée conformément au paragraphe 32(6) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11] de l'ancienne Loi, à la suite d'une enquête au cours de laquelle il fut décidé que le demandeur était une personne décrite dans l'alinéa 27(2)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de l'ancienne Loi. Ces deux dispositions sont ainsi formulées:

27. (1) [. . .]

(2) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit, sauf si la personne en cause a été arrêtée en vertu du paragraphe 103(2), faire un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre de renseignements concernant une personne se trouvant au Canada autrement qu'à titre de citoyen canadien ou de résident permanent et indiquant que celle-ci, selon le cas:

a) appartient à une catégorie non admissible, autre que celles visées aux alinéas 19(1)h) ou 19(2)c);

[. . .]

32. (1) [. . .]

(6) S'il conclut que l'intéressé relève d'un des cas visés par le paragraphe 27(2), l'arbitre, sous réserve des paragraphes (7) et 32.1(5), prend une mesure d'expulsion à son endroit.

[9]Le demandeur a déposé le 23 septembre 2002 une requête devant la Cour fédérale pour que soit examinée sa détention à l'expiration du délai de 120 jours, ainsi que le prévoit le paragraphe 84(2) de la LIPR. Une audience à huis clos, tenue en l'absence du demandeur et de son avocate, a eu lieu le 18 novembre 2002, pour l'examen de renseignements nouveaux communiqués à la Cour par les ministres, en réponse à la requête de mise en liberté présentée par le demandeur. J'ai examiné les conclusions et les éléments de preuve afin de savoir si et pourquoi la communication de ces renseignements nouveaux serait préjudiciable à la sécurité nationale et, persuadé que les renseignements étaient pertinents et que leur divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale, j'ai approuvé la communication d'un résumé des renseignements. Le résumé a été communiqué à l'avocate du demandeur le 19 novembre 2002. Ce résumé permettait au demandeur d'être mis suffisamment au fait des renseignements nouveaux, sans divulgation d'aucun renseignement dont la divulgation eût été, à mon avis, préjudiciable à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

[10]L'audience publique relative à la requête du demandeur pour que soit rendue une ordonnance prononçant sa mise en liberté a débuté le 25 novembre 2002. Des éléments de preuve se rapportant au premier volet du critère du paragraphe 84(2), celui de savoir si le demandeur sera ou non renvoyé dans un délai raisonnable, ont été produits par le demandeur et par deux témoins qui ont comparu au nom des ministres. Le 26 novembre 2002, le demandeur et les ministres présentaient des conclusions sur ce premier volet du critère du paragraphe 84(2).

[11]Le 13 janvier 2003, le représentant du ministre exprimait l'avis, conformément à l'alinéa 115(2)b) de la LIPR, que le demandeur constituait un danger pour la sécurité du Canada et qu'il pouvait être renvoyé en Syrie, le pays dont il est ressortissant. Le Centre d'exécution de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), dans la région métropolitaine de Toronto, a été informé de l'avis du ministre et a été informé qu'il pouvait commencer de prendre les dispositions requises pour le renvoi du demandeur. Le demandeur a été informé de cette décision le 16 janvier 2003. Le lendemain, 17 janvier, le demandeur déposait une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du représentant du ministre. Le même jour, le demandeur, craignant son renvoi imminent, déposait une requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à ce que sa demande de contrôle judiciaire soit étudiée et qu'il en soit disposé à titre définitif.

[12]La requête en sursis d'exécution fut par la suite retirée par le demandeur moyennant l'engagement du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de ne pas renvoyer le demandeur jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ayant consenti à ce que soit autorisée le dépôt de la demande de contrôle judiciaire, le demandeur a accepté que soit suspendu l'examen des motifs de sa détention, sous réserve que l'examen reprendrait moyennant un avis de sept jours de sa part. Une ordonnance sur consentement a été rendue en ce sens le 21 janvier 2003.

[13]Par lettre datée du 23 avril 2003, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration consentait à la demande de contrôle judiciaire, reconnaissant que «le représentant du ministre a commis de graves erreurs dans la décision prise conformément au paragraphe 115(2)». L'avocate du demandeur a donc sollicité la reprise de l'examen des motifs de la détention, conformément à mon ordonnance du 21 janvier 2003. J'ai alors ordonné le 16 mai 2003 que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que l'examen des motifs de la détention du demandeur reprenne le 24 juin 2003.

[14]La procédure d'examen des motifs de la détention s'est poursuivie les 24 et 25 juin 2003, et au cours de cette procédure j'ai entendu sept témoins. Trois d'entre eux (l'un comparaissait au nom des ministres et les deux autres au nom du demandeur) ont témoigné sur la question de savoir si le renvoi aurait lieu dans un délai raisonnable. Quatre témoins se sont déclarés prêts à déposer des cautionnements et à garantir par ailleurs que le demandeur se conformerait aux conditions que pourrait imposer la Cour pour sa mise en liberté.

[15]La Cour a également reçu deux déclarations, l'une faite par le demandeur et l'autre faite au nom du demandeur par un déclarant dont l'anonymat a été ordonné. Durant cette audience, le demandeur a présenté une requête pour que soit rendue une ordonnance 1) déclarant confidentiel le témoignage produit par le demandeur et autorisant le demandeur à témoigner à huis clos; et 2) enjoignant à un agent du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) ou de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de comparaître pour être interrogé par l'avocate du demandeur. La Société Radio-Canada (la SRC) s'est vu conférer l'intérêt pour agir à titre de tiers mis en cause dans la première requête du demandeur. Le demandeur devait produire au plus tard le 31 juillet 2003 des observations écrites portant sur les points soulevés. Les avocats des ministres et de la SRC devaient avant le 20 août 2003 déposer en réponse leurs propres observations.

[16]Les observations du demandeur sur les points en question, ainsi que les observations sur le caractère raisonnable ou non du délai d'exécution de la mesure de renvoi, ont été déposées le 5 août 2003. Les ministres ont déposé leur réponse le 27 août 2003 et la partie tierce le 29 août 2003. Après examen de ces observations et de la preuve, une ordonnance motivée a été rendue le 17 octobre 2003, qui exigeait que certains renseignements figurant dans les déclarations du demandeur et du second déclarant demeurent confidentiels et qui enjoignait aux ministres de produire un agent du SCRS pour qu'il soit interrogé par le demandeur. L'ordonnance donnait au demandeur 20 jours pour signifier et déposer des observations indiquant les parties des motifs de l'ordonnance devant être tenues confidentielles et pour déposer des observations indiquant les parties des déclarations devant être supprimées du dossier. Les ministres et l'intervenante avaient cinq jours pour produire une réponse. Des observations ont été reçues du demandeur le 6 novembre 2003, de l'intervenante le 10 novembre 2003 et des ministres le 12 novembre 2003. D'autres observations ont été reçues du demandeur le 14 novembre 2003. Eu égard à ces observations, des ordonnances ont été rendues les 21 et 24 novembre 2003, qui ordonnaient la confidentialité de certaines parties de la preuve découlant desdites observations.

[17]Dans l'intervalle, le 28 juillet 2003, un avis était signifié au demandeur, selon lequel le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration allait décider, conformément à l'alinéa 115(2)b) de la LIPR, si le demandeur devrait être renvoyé du Canada au motif qu'il posait un danger pour la sécurité du Canada. Par lettre datée du 18 août 2003, le demandeur sollicitait une prorogation de délai jusqu'au 2 septembre 2003 afin de pouvoir présenter des observations sur les risques auxquels il serait exposé s'il devait retourner en Syrie, prorogation à laquelle les ministres défendeurs ont consenti.

[18]Les parties ont été convoquées par conférence téléphonique le 16 septembre 2003 pour débattre de la reprise de l'examen des motifs de la détention du demandeur. Il fut décidé que la date du 24 novembre 2003 était la date la plus rapprochée pour une reprise de l'examen.

[19]Le 23 octobre 2003, le représentant du ministre, directeur général du règlement des cas à CIC, décidait, en application de l'alinéa 115(2)b), que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de torture s'il retournait en Syrie et, subsidiairement, que, pour le cas où il serait exposé à un tel risque, son renvoi était néanmoins justifié en raison du risque qu'il présentait pour la sécurité du Canada. Le 30 octobre 2003, le demandeur déposait une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du représentant du ministre.

[20]Le vendredi 21 novembre 2003, une preuve par affidavit était produite au nom des ministres, selon laquelle la date du renvoi du demandeur avait été choisie, le renvoi devant avoir lieu dans un délai de deux semaines et demie. Les 24 et 26 novembre 2003, la Cour a entendu trois témoins, qui ont confirmé, au nom des ministres, que le renvoi du demandeur était imminent.

[21]Comme son renvoi était imminent, le demandeur a sollicité un sursis d'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à ce qu'il soit disposé de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du 23 octobre 2003. La requête en sursis d'exécution a été instruite le 26 novembre 2003, et l'examen des motifs de la détention a été ajourné jusqu'à ce qu'il soit disposé de cette requête.

[22]Par suite de mon ordonnance motivée du 27 novembre 2003 [Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1394; [2003] A.C.F. no 1790 (QL)], la mesure d'expulsion datée du 11 février 2003 a été suspendue jusqu'à l'issue de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. L'examen des motifs de la détention a donc repris le 27 novembre et s'est poursuivi le 28 novembre 2003.

[23]Lorsque la procédure d'examen des motifs de la détention a repris, les ministres ont produit un témoin, un agent de renseignement du SCRS, conformément à mon ordonnance du 17 octobre 2003. La Cour a aussi entendu quatre témoins qui se sont exprimés sur la moralité du demandeur et qui se sont déclarés prêts à garantir l'observation, par le demandeur, des conditions qui pourraient être imposées par la Cour pour sa mise en liberté.

[24]Au cours de cette procédure d'examen, le demandeur a fait valoir que l'article 78 de la LIPR ne s'appliquait pas aux procédures d'examen des motifs d'une détention. Il a sollicité l'autorisation de présenter des observations écrites sur l'applicabilité de l'article 78 de la LIPR aux procédures en question, et des observations ont été reçues du demandeur le 5 décembre 2003, des ministres le 10 décembre 2003 et de nouveau du demandeur, en réponse, le 12 décembre 2003. Une ordonnance motivée a été rendue le 29 décembre 2003 [Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1523; [2003] A.C.F. no 1940 (QL)], en réponse auxdites observations, ordonnance dans laquelle je concluais que l'article 78 de la LIPR s'appliquait aux procédures d'examen des motifs d'une détention dont il est question au paragraphe 84(2) de la LIPR.

[25]L'examen des motifs de la détention a repris le 5 janvier 2004 et s'est terminé le 7 janvier 2004, et durant cet examen, la Cour a entendu le demandeur et trois témoins qui comparaissaient en son nom. Ces témoins ont donné leur opinion sur le point de savoir si le demandeur constitue un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui.

[26]Le demandeur et les ministres devaient produire des observations écrites le 26 janvier 2004 et le 2 février 2004 respectivement. Les observations du demandeur ont été reçues le 2 février 2004. L'avocate du demandeur a sollicité une nouvelle prorogation du délai fixé pour le dépôt de ses observations en réponse, et elle a obtenu jusqu'au 18 février 2004 pour les déposer.

B. CADRE LÉGISLATIF ET PRINCIPES JURIDI-QUES APPLICABLES

[27]Le paragraphe 84(2) de la LIPR expose le critère à remplir avant qu'un ressortissant étranger ne puisse être mis en liberté. En voici le texte:

84. [. . .]

(2) Sur demande de l'étranger dont la mesure de renvoi n'a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.

[28]Le paragraphe 84(2) est très semblable aux paragraphes 40.1(8) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4] et (9) [édicté, idem] de l'ancienne Loi. Le critère à appliquer reste un critère à deux volets, et le juge désigné pour instruire la demande doit être convaincu que «la mesure [de renvoi] ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable» et que «la mise en liberté [de l'étranger] ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui». Ainsi que le notait le juge Dawson dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub, [2004] 1 R.C.F. 493 (C.F.) (ci-après Mahjoub), au paragraphe 16, le texte de la première partie du critère du paragraphe 84(2) est identique au texte du paragraphe 40.1(9) de l'ancienne Loi, et le texte de la deuxième partie du critère du paragraphe 84(2) ne diffère de son équivalent du paragraphe 40.1(9) que sous l'aspect suivant: l'expression «ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale» y est employée au lieu de l'expression «ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale», et le paragraphe 84(2) parle de la sécurité «d'autrui» tandis que le paragraphe 40.1(9) parle de la sécurité de «personnes».

[29]Dans l'arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 171 (ci-après Ahani (2000)), la Cour d'appel fédérale a jugé que, lorsqu'on se demande si la mesure de renvoi sera exécutée dans un délai raisonnable, l'intéressé peut tirer parti des moyens qui lui sont offerts en droit pour rester au Canada, mais, s'il en tire parti, il sera alors malvenu à se plaindre des délais. Ce même raisonnement a été appliqué par le juge McGillis dans l'affaire Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669 (ci-après Ahani (1995)), à la page 695, ainsi que par le juge Rothstein, alors de la Section de première instance, dans l'affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 970 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 6 à 8, et par le juge Denault dans l'affaire Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 49 (C.F. 1re inst.) (ci-après Ahani (1999)), au paragraphe 23, et il a plus tard été adopté par le juge Dawson dans l'affaire Mahjoub. Selon le demandeur, le raisonnement employé dans ces précédents par la Cour d'appel fédérale et par la Section de première instance est «tout simplement erroné et ne saurait être suivi par la Cour», parce qu'il repose sur une idée erronée du régime législatif, eu égard à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 (ci-après Suresh).

[30]Le demandeur expose dans ses observations les moyens précis qui selon lui permettent d'affirmer que l'arrêt Ahani (2000) est erroné ou ne peut être approuvé en raison de l'arrêt Suresh. D'abord, selon le demandeur, le législateur ne voulait pas qu'une personne visée par un certificat de sécurité demeure en détention jusqu'à son renvoi, contrairement à ce que semble dire l'arrêt Ahani (2000), au paragraphe 12. Deuxièmement, selon le demandeur, la loi ne dit nulle part que le législateur voulait que les personnes non renvoyées à l'intérieur du délai de 120 jours demeurent en détention. Cette seconde proposition n'autoriserait pas, d'après lui, les mots du paragraphe 13 de l'arrêt Ahani (2000), où l'on peut lire que «la mise en liberté prévue au paragraphe 40.1(9) ne peut être automatique ou facile à obtenir». Troisièmement, selon le demandeur, dans l'arrêt Ahani (2000), la Cour d'appel s'est fourvoyée en disant que le demandeur devait produire, pour être mis en liberté, de nouveaux éléments de preuve attestant un net changement des circonstances. Selon le demandeur, on peut lire dans le même arrêt que des normes de preuve différentes s'appliquent à l'enquête sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité et à l'examen de la demande de mise en liberté, de sorte que l'arrêt renferme des contradictions internes. Le demandeur fait aussi valoir que l'arrêt Ahani (2000) est contraire sur ce point au raisonnement suivi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh. Quatrièmement, selon le demandeur, l'affirmation du juge Linden, dans l'arrêt Ahani (2000), selon laquelle un demandeur qui est l'objet d'un certificat de sécurité n'a pas droit à la présomption d'innocence, est une affirmation «étrange» ou déplacée. Cinquièmement, le demandeur soumet que, contrairement aux motifs de l'arrêt Ahani (2000), au paragraphe 18, le droit d'exercer un recours effectif fait partie du mécanisme établi par le législateur et ne saurait jouer contre le demandeur lorsque vient le temps de déterminer si son renvoi aura lieu dans un délai raisonnable. De l'avis du demandeur, le droit d'exercer un recours effectif est inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11, (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), et, si le législateur avait voulu que le renvoi d'une personne soit fondé sur le fait qu'elle n'a pas pris de mesures pour se protéger contre son renvoi, le législateur n'aurait pas prévu un mécanisme officiel d'examen, ni n'aurait laissé intact le pouvoir de la Cour d'accorder un sursis d'exécution de mesures de renvoi. Le demandeur relève que l'arrêt Ahani (2000) ne s'accorde pas sur ce point avec l'arrêt Suresh ni avec la décision rendue dans l'affaire Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 214 (1re inst.).

[31]L'arrêt Ahani (2000) a été rendu par la Cour d'appel fédérale. Je suis donc nécessairement lié par ses motifs, à moins que je ne sois convaincu que cette jurisprudence a été rendue inapplicable par une modification législative ou, ainsi que l'a suggéré le demandeur, par l'arrêt Suresh de la Cour suprême du Canada.

[32]Je ne suis pas persuadé par l'argument du demandeur selon lequel l'arrêt Suresh a modifié ici l'applicabilité de l'arrêt Ahani (2000). Au contraire, je souscris aux motifs de Mme le juge Dawson, dans l'affaire Mahjoub, pour qui rien ne justifie une entorse aux motifs exposés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Ahani (2000). Dans ce précédent, le juge Dawson concluait, au paragraphe 19, qu'elle n'avait «pas [été] convaincue que le libellé actuel du paragraphe 84(2) de la Loi devrait, en raison de l'arrêt Suresh de la Cour suprême du Canada, être interprété différemment des dispositions analogues de l'ancienne Loi». Elle a trouvé une «grande similitude» dans le texte des deux dispositions et a relevé que les passages applicables invoqués dans l'arrêt Suresh n'avaient pas été rédigés dans le contexte d'un examen des motifs d'une détention. Elle a reconnu que les observations de la Cour suprême à propos de la nature de la preuve requise afin d'établir l'existence d'«un danger pour la sécurité du Canada» étaient utiles pour interpréter l'expression «danger pour la sécurité nationale». Elle a cependant conclu, et je partage son avis, que l'arrêt Suresh n'est pas incompatible avec la jurisprudence antérieure.

[33]L'un des arguments avancés au nom du demandeur est que la Cour suprême, dans l'arrêt Suresh, a bien souligné que la conclusion selon laquelle le certificat de sécurité est raisonnable ne signifie pas automatiquement que la personne concernée constitue un danger pour la sécurité du Canada ou pour la sécurité d'autrui. Il a fait valoir que la délivrance et la confirmation d'un certificat de sécurité dépendent de son caractère raisonnable ou non, c'est-à-dire s'il est «possible» et non pas «probable» que la personne qu'il vise soit la personne en cause. En conséquence de la norme plus élevée qui s'attache à l'examen des motifs d'une détention, le demandeur affirme que les principes juridiques exposés par la Cour d'appel, en particulier dans l'arrêt Ahani (2000), ne sont pas applicables aux examens du genre prévus par le paragraphe 84(2).

[34]Je reconnais avec le demandeur que le fait de dire qu'un certificat de sécurité est raisonnable ne prouve pas d'une manière concluante que la personne qu'il vise constitue un danger pour la sécurité du Canada. Selon l'article 81, une fois jugé raisonnable, le certificat fait foi de l'interdiction de territoire. Si l'observation des conditions de l'article 81 suffisait automatiquement à remplir les conditions du paragraphe 84(2), ces dernières conditions seraient superflues. Le législateur a d'ailleurs clairement établi deux normes de preuve différentes pour l'article 81 et pour le paragraphe 84(2), à savoir les motifs raisonnables dans le premier cas et la prépondérance des probabilités dans le second. Je ne suis pas convaincu cependant que l'arrêt Ahani (2000) de la Cour d'appel soit de quelque manière incompatible avec cette conclusion, ou incompatible avec le résultat de l'arrêt Suresh. En fait, le juge Linden reconnaissait, au paragraphe 16 de l'arrêt Ahani (2000), l'existence des deux normes de preuve en question:

[. . .] la charge de la preuve repose sur la personne qui demande à être mise en liberté. À mon avis, cette preuve doit être établie conformément à la norme de preuve applicable dans les affaires civiles, soit la prépondérance des probabilités. Bien que le législateur ait changé la norme de preuve habituelle dans les instances concernant le paragraphe 40.1(1) pour celle du «caractère raisonnable» à l'alinéa 40.1(4)d) et pour celle des «motifs raisonnables de croire» à l'article 19, il ne l'a pas fait à l'égard des instances relatives à la mise en liberté aux paragraphes 40.1(8) à (10). De plus, l'expression «s'il estime» est utilisée. Par conséquent, selon moi, il n'y a aucune raison de penser que la norme de preuve devrait être différente de la norme habituelle de la prépondérance des probabilités.

[35]Il m'est donc impossible de dire que l'arrêt Suresh de la Cour suprême du Canada amoindrit la portée de l'arrêt Ahani (2000) de la Cour d'appel fédérale. Je suis pour l'essentiel en accord avec le raisonnement et les conclusions de Mme le juge Dawson dans l'affaire Mahjoub, lorsqu'elle dit que la jurisprudence issue de l'ancienne Loi est applicable aux décisions relevant du régime législatif actuel, et cela nonobstant l'arrêt Suresh. J'arrive donc aussi à la conclusion que les principes juridiques suivants, dérivés de cette jurisprudence, et tels que les a décrits Mme le juge Dawson, sont applicables à l'examen des motifs d'une détention qui est entrepris en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR.

(i) La norme de preuve est celle qui s'applique normalement en matière civile.

(ii) Les ministres se sont déjà acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer le bien-fondé de la détention initiale.

(iii) Le certificat fait foi de l'interdiction de territoire de l'intéressé pour des raisons de sécurité ou pour tout autre motif énuméré au paragraphe 77(1) de la Loi, ou de l'article qui l'a précédé, et qui sont mentionnés dans le certificat.

(iv) La mise en liberté prévue au paragraphe 84(2) n'est pas accordée automatiquement, car les personnes visées au paragraphe 84(2) ont fait l'objet d'un constat d'interdiction de territoire pour raison de sécurité ou d'interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, pour grande criminalité ou pour criminalité organisée.

(v) Nul ne peut être détenu indéfiniment, du moins pas sans un motif valable. La personne détenue peu donc demander le contrôle des motifs de sa détention après 120 jours et obtenir sa mise en liberté si elle satisfait aux critères prévus par la loi.

[36]Je dois aussi souligner que, plus tôt dans la présente instance, j'ai jugé que les dispositions de l'article 78 de la LIPR s'appliquent aux demandes de mise en liberté judiciaire présentées selon le paragraphe 84(2) de la LIPR. J'avais alors motivé ma décision. Les alinéas 78e) et h) de la LIPR exposent la procédure à suivre lorsqu'il s'agit d'examiner, en l'absence du résident permanent ou du ressortissant étranger désigné dans le certificat, les éléments de preuve qui seraient préjudiciables à la sécurité nationale ou à la sécurité de personnes. Voici le texte de ces dispositions:

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire:

[. . .]

e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

[. . .]

h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

C. FONDEMENT DE LA DÉTENTION

[37]Le demandeur a été mis en détention en octobre 2001 conformément à une attestation de sécurité signé en application du paragraphe 40.1(1) de l'ancienne Loi. En application de l'alinéa 40.1(4)b), le fondement de la détention était indiqué, autant qu'il fût possible, dans un document public, en l'occurrence l'«État résumant les renseignements en application de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration», document daté du 18 octobre 2001. Ce résumé décrivait les accusations portées contre le demandeur, les raisons de la délivrance du certificat de sécurité et les raisons de la détention initiale.

[38]Dans ce résumé, le Service dit qu'il a des raisons de croire que le demandeur fait partie d'un réseau international de groupes extrémistes et de personnes qui observent et soutiennent les idéaux islamiques extrémistes embrassés par Oussama ben Laden. Selon ce résumé, le réseau ben Laden utilise le terrorisme pour favoriser ses objectifs, c'est-à-dire le renversement de gouvernements islamiques laïcs afin de créer des États islamiques fondés sur leur interprétation extrémiste de la loi islamique, et le réseau est rattaché aux attentats à la bombe perpétrés contre certaines ambassades des États-Unis, et il est soupçonné d'avoir planifié et exécuté les attaques du 11 septembre 2001 contre les États-Unis.

[39]Le Service dit aussi dans ce résumé que le demandeur a participé au djihad et s'est rallié à la cause d'Oussama ben Laden. Selon le résumé, un lien universel rattache les membres du réseau d'Oussama ben Laden, un lien qui est attesté par le temps qu'ils passent dans des camps d'entraînement et sur des champs de bataille, pour combattre dans des djihads, sous les ordres de chefs associés à ben Laden ou parrainés par lui, et l'on peut lire aussi dans le résumé que le demandeur partage ce lien et a montré son soutien à Oussama ben Laden et à ses disciples. Selon le résumé, les enquêtes menées par le Service ont révélé que le demandeur s'efforce d'être discret et se comporte d'une manière clandestine pour éviter d'être découvert par les autorités et qu'il est associé aux Afghans arabes en cheville avec le réseau d'Oussama ben Laden, notamment à Nabil Al Marabh.

[40]Dans ce résumé, le Service dit que les groupes terroristes se servent de faux documents de voyage pour faciliter leurs déplacements à l'étranger et que le demandeur fait partie d'un réseau de faussaires aux ramifications internationales qui produit les faux documents en question. On peut lire dans le résumé que le demandeur a reconnu avoir obtenu trois faux passeports syriens auprès de la Fraternité musulmane et un faux passeport des Émirats arabes unis (EAU), afin de voyager à l'extérieur de l'Arabie saoudite, et que, même si le demandeur a prétendu avoir détruit ces documents, une fouille effectuée par CIC dans son appartement le 13 septembre 2000 a révélé l'existence de plusieurs de ces documents, notamment le faux passeport des EAU. Le résumé précise aussi que les activités commerciales menées par le demandeur dans le domaine des parfums et celui du miel lui ont donné la possibilité de se rendre au Pakistan au début des années 1990 alors que commençaient les activités des moudjahidin. Le Service parle, dans ce résumé, de comptes rendus des médias indiquant que les activités liées au miel servaient à couvrir et à financer le réseau d'Oussama ben Laden.

[41]À la suite de l'arrestation et de la détention du demandeur le 19 octobre 2001, le Service a obtenu d'autres renseignements confirmant sa conviction que la mise en liberté du demandeur serait préjudiciable à la sécurité nationale. Comme il est indiqué précédemment (voir la section intitulée Les faits), j'ai approuvé, à la suite d'une audience à huis clos tenue le 18 novembre 2002, en l'absence du demandeur et de son avocate, un résumé des renseignements additionnels, résumé qui a été remis au demandeur le 19 novembre 2002. Ce second résumé a servi à mettre le demandeur au fait des renseignements additionnels.

[42]Dans ce second résumé, le Service allègue que le danger que pose pour le public le réseau Al-Qaida s'est intensifié et que les individus qui soutiennent l'idéologie d'Al-Qaida ont amplement montré qu'ils sont encore prêts à participer au djihad contre l'Occident. Le Service précise dans ce résumé que les organismes s'occupant de sécurité de par le monde jugent très probable que de futures attaques soient déjà à des stades avancés de planification et de préparation, et il ajoute qu'il est difficile de reconnaître les individus s'adonnant à de telles activités, qui se servent de fausses identités, Oussama ben Laden ayant indiqué à ses partisans comment ils doivent s'y prendre pour se fondre dans les sociétés occidentales et se préparer à d'autres attaques terroristes. Le résumé donne des exemples de citoyens canadiens dont on ignore tout, mais qui, selon ce que croit le Service, utilisent de fausses identités pour ne pas être repérés.

[43]Le deuxième résumé réitère la conclusion du Service selon laquelle le demandeur est membre d'un réseau international d'extrémistes qui soutiennent les idéaux islamiques extrémistes embrassés par Oussama ben Laden, et il confirme également la conclusion du Service selon laquelle le demandeur fait partie d'un réseau de faussaires aux ramifications internationales qui fabrique de faux documents. Selon le résumé, la détention du demandeur a désorganisé un important service de soutien logistique sur lequel pouvaient compter les adeptes d'Al-Qaida au Canada et à l'étranger, et on y allègue que sa mise en liberté lui donnerait la possibilité de rétablir ses contacts parmi les adeptes en quête de documents frauduleux.

D. POINTS LITIGIEUX

[44]Pour que le demandeur puisse être mis en liberté, il faut, selon le paragraphe 84(2) de la LIPR, une réponse affirmative aux deux questions suivantes:

1.     Le ressortissant étranger sera-t-il ou non renvoyé du Canada dans un délai raisonnable?

et

2.     La mise en liberté du demandeur posera-t-elle ou non un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui?

[45]J'examinerai aussi la question suivante:

Le maintien de la détention du demandeur équivaut-il à nier les droits qui sont reconnus au demandeur par les articles 7 et 12 de la Charte?

E. POSITIONS DES PARTIES

I.     Position du demandeur

[46]Le demandeur est détenu en régime cellulaire au Centre de détention de Toronto Ouest depuis le 19 octobre 2001. Il soutient qu'il ne sera pas renvoyé immédiatement et que, surtout compte tenu des conditions de sa détention, et en particulier du régime cellulaire auquel il est soumis, sa détention a déjà dépassé un délai raisonnable. Il estime que le maintien de sa détention constitue un traitement cruel et inusité qui est contraire aux articles 7 et 12 de la Charte.

[47]S'agissant du deuxième volet du critère du paragraphe 84(2), le demandeur soutient que sa mise en liberté ne mettra pas en danger la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. Il prétend que la menace qu'il peut présenter pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui n'est pas «sérieuse» selon ce qu'exigeait la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh, et que les soupçons dont il est l'objet ne font pas état de sa participation réelle ou appréhendée à des actes de violence. De l'avis du demandeur, le dossier public ne permet pas d'affirmer qu'il soutient les idéaux islamiques extrémistes embrassés par Oussama ben Laden, qu'il a usé ou pourrait user de violence contre des civils ou qu'il est un religieux extrémiste. Le demandeur affirme qu'il a participé au djihad en réponse à un appel des mosquées et du gouvernement, et il dément avoir été formé pour être un combattant ou avoir été associé à ben Laden.

[48]S'agissant des présumés liens du demandeur avec les Afghans arabes, le demandeur soutient qu'aucune accusation de terrorisme n'a été portée contre l'un quelconque des individus mentionnés par le Service dans ses résumés publics. Le demandeur affirme que les moyens qu'il a employés pour obtenir de faux documents alors qu'il se trouvait au Moyen-Orient s'accordent avec la réalité de sa condition, en ce sens qu'il lui était impossible d'obtenir des documents de voyage authentiques et que son aide à Al Marabh pour qu'il obtienne un faux passeport ne signifie pas qu'il fait partie d'un réseau international de faussaires. Il soutient que son rôle dans une petite entreprise s'occupant de miel n'avait rien à voir avec Al-Qaida et que son comportement ne saurait être qualifié de clandestin, comme on le prétend, mais que, quand bien même serait-il clandestin, ce comportement est compréhensible étant donné qu'il avait connaissance des enquêtes menées par le SCRS. Finalement, le demandeur dément les affirmations selon lesquelles il est lié à Al-Qaida en raison de son rôle dans l'organisme de bienfaisance appelé Al Haramin. Il est d'avis que les affirmations d'après lesquelles Al-Qaida aurait noyauté Al Haramin ne s'étendent pas à l'ensemble de l'organisation ni à ses bureaux situés en Arabie saoudite.

[49]Le demandeur soutient qu'il devrait bénéficier d'une mise en liberté assortie de conditions. Il s'engage à se conformer aux conditions que fixera la Cour et propose entre autres que la Cour impose les conditions suivantes: que des cautionnements soient déposés, que le demandeur se présente régulièrement au Centre d'information du service d'immigration, qu'il limite ses déplacements à un rayon de 50 kilomètres de Toronto, qu'il s'abstienne de communiquer avec toute personne dont on sait ou dont on soupçonne qu'elle joue un rôle dans l'extrémisme islamique, et qu'il remette tous ses documents de voyage.

II.     Position des ministres

[50]De l'avis des ministres, le demandeur n'a pas prouvé qu'il ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable. Les ministres affirment que les conditions de détention du demandeur sont acceptables et non contraires à la Charte et que tout prétendu retard dans le traitement du dossier est justifié, compte tenu des importantes modifications apportées au régime législatif, ainsi que des réorganisations du personnel, qui ont ralenti le traitement du dossier du demandeur au sein du ministère. Les ministres relèvent aussi que l'analyse requise par ce dossier, c'est-à-dire l'appréciation des risques que court le demandeur s'il est renvoyé en Syrie, par rapport au danger qu'il pourrait poser pour le Canada, doit être une analyse approfondie, ce qui peut demander beaucoup de temps.

[51]S'agissant de la seconde condition du paragraphe 84(2), les ministres sont d'avis que le demandeur n'a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu'il ne constitue pas un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui. Les ministres s'appuient sur les résumés décrits plus haut, ainsi que sur les autres éléments de preuve produits en audience publique et à huis clos au soutien de cette conclusion. Les ministres estiment que l'imposition de conditions ne pourra empêcher le retour du demandeur aux activités qui lui sont imputées, à savoir son rôle dans un réseau international de faussaires.

F. LA PREUVE

[52]Au départ, et compte tenu des deux questions distinctes que comporte l'enquête menée en vertu du paragraphe 84(2), j'avais indiqué ma préférence pour un examen de la preuve relative à la première question avant que ne soit entendue la preuve relative à la seconde. Cependant, à mesure qu'évoluait la procédure, et eu égard aux nombreux délais entraînés pour diverses raisons, qui sont mentionnées dans la chronologie détaillée, j'ai décidé de recevoir toute la preuve avant de rendre une décision.

[53]Au cours de l'instance, plusieurs audiences se sont déroulées à huis clos, en l'absence du demandeur et de son avocate. Lors de ces audiences, la Cour a examiné les éléments de preuve secrets. Comme je l'ai indiqué précédemment (voir la section intitulée Cadre législatif et principes juridiques applicables), j'ai décidé, au tout début de cette instance, que l'article 78 de la LIPR est applicable aux demandes de mise en liberté judiciaire présentées en vertu du paragraphe 84(2). Le demandeur a pris acte de cette décision dans ses observations écrites, mais a ajouté des observations additionnelles et substantielles précisant ce que la Cour devrait examiner au moment d'évaluer la preuve secrète en l'absence du demandeur et de son avocate.

[54]Le demandeur dit que les principes généraux suivants s'appliquent à l'évaluation de la preuve secrète:

· on doit présumer qu'une personne dit la vérité, à moins qu'il n'existe une bonne raison de douter de la véracité des déclarations qu'elle fait;

· c'est la preuve qui peut autoriser une conclusion selon laquelle une personne constitue un danger, et non des suppositions ou des conjectures;

· les éléments de preuve qui seront rejetés parce qu'ils ne sont pas crédibles ou dignes de foi doivent être rejetés pour des motifs valides et en des termes précis, et il doit être précisé pourquoi ces éléments de preuve ont été jugés non crédibles ou non dignes de foi;

· les éléments de preuve qui sont crédibles et dignes de foi ne peuvent être ignorés. Il n'est pas nécessaire de faire état de chaque élément de preuve lorsqu'on arrive à une décision, mais la preuve qui est défavorable à la personne concernée ne saurait être privilégiée, pas plus qu'elle ne peut être ignorée;

· lorsque certains aspects de la déposition d'un témoin ne sont pas crédibles, il ne s'ensuit pas nécessairement que les autres aspects de la déposition doivent être rejetés, à moins que la Cour n'estime, pour des raisons valides, que c'est l'ensemble de la preuve de tel ou tel témoin qui n'est pas crédible;

· les antécédents particuliers d'un témoin peuvent fausser sa perception des faits. Cela ne signifie pas que son témoignage n'est pas crédible, car en réalité il ne serait guère normal que les souvenirs que peuvent conserver d'un événement divers témoins soient rigoureusement les mêmes. Lorsque la preuve renferme des contradictions, il convient de l'évaluer en tenant compte de son «harmonie avec la prépondérance des probabilités qu'une personne informée et douée de sens pratique jugerait d'emblée raisonnables en cet endroit et dans ces conditions»; et

· lorsqu'il juge de la vraisemblance de la preuve, le décideur doit être conscient de ses propres limites dans la compréhension de la dynamique, des normes et des pratiques propres à d'autres cultures, lesquelles sont étrangères au décideur et à propos desquelles le décideur ne sait rien, ou peu de choses.

[55]Le demandeur a aussi présenté des observations sur la force que doit présenter la preuve pour avoir une valeur juridique. Selon le demandeur, la preuve qui ne consiste qu'en soupçons, hypothèses ou conjectures ne suffit pas, et il fait remarquer que plus les conséquences sont graves, plus la preuve doit être évaluée avec soin. Le demandeur soutient aussi que la charge d'étayer une conclusion défavorable est plus élevée lorsque la conduite est condamnable moralement, et, le cas échéant, il faudra présumer en droit que la conduite était licite.

[56]Le demandeur reconnaît que l'article 78 de la LIPR permet à la Cour de recevoir comme preuve tout élément qu'elle estime utile, mais le demandeur est d'avis que cela n'autorise pas la Cour à accorder du poids à des éléments de preuve qui ne sont pas tenus pour fiables, crédibles et dignes de foi. Le demandeur a exprimé des doutes sur la qualité de la preuve qui est reçue à huis clos, en son absence et en l'absence de son avocate, et il a mis la Cour en garde contre le fait d'accepter de tels éléments de preuve sans tenir compte de leur source et de leur qualité générale. Plus exactement, le demandeur a mis la Cour en garde contre le fait de s'en remettre à la preuve par ouï-dire, et, puisque les médias et les rapports sur les droits humains sont des preuves par ouï-dire qui ne peuvent être véritablement mis en doute, il a mis la Cour en garde contre le fait de s'en rapporter aux rapports du genre, surtout lorsque les conséquences pour le demandeur sont graves, comme elles le sont dans le contexte de l'immigration, puisqu'il est question d'expulsion. Le demandeur a aussi évoqué les difficultés inhérentes à l'acceptation de témoignages produits par les parties à un conflit.

[57]Le demandeur soutient aussi que, lorsque la preuve n'a pas été divulguée, elle ne devrait pas être admise par la Cour sans avoir été minutieusement examinée par elle, la Cour étant le seul organe impartial investi d'un rôle dans l'audience ex parte et à huis clos. Le demandeur relève que, contrairement à l'examen des motifs d'une détention, les examens que mène le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité font, eux, intervenir des avocats indépendants, qui contre-interrogent les témoins. Le demandeur affirme qu'il y a un manque de transparence dans les examens des motifs de détentions puisque rien ne laisse croire que la preuve secrète est rigoureusement examinée, et l'on peut donc dire, selon lui, que le fait d'accepter de tels éléments de preuve sans les soumettre à un examen rigoureux revient à accepter sans discussion la position du gouvernement. De l'avis du demandeur, il en résulte, dans les examens des motifs de détentions, un «déséquilibre injuste». Par conséquent, le demandeur préconise, pour l'examen et l'acceptation de la preuve, une démarche structurée consistant à vérifier les sources originales de l'information, à déterminer la nature des intérêts des sources en question et à interroger les sources directes ou les gens qui ont obtenu l'information afin de mesurer leur fiabilité. Le demandeur estime que la Cour devrait évaluer les intérêts des agents du SCRS qui présentent des éléments de preuve, ainsi que les intérêts de tout informateur, de même que leur crédibilité, et qu'elle devrait tenir compte, dans telles évaluations, des dissensions politiques présentes au sein de la communauté arabe. Essentiellement, selon le demandeur, la Cour doit décidéer si la preuve non divulguée est crédible, digne de foi et apte à bénéficier d'un poids juridique.

[58]Je disais plus haut que les dispositions de l'article 78 de la LIPR, qui régissent la décision selon laquelle le certificat est ou n'est pas raisonnable, sont également applicables à l'examen des motifs de détention entrepris en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR. Le juge désigné est tenu, par ces dispositions, de veiller à la confidentialité des renseignements sur lesquels repose le certificat, et la confidentialité de tout autre élément de preuve pouvant être présenté au juge, si, de l'avis du juge, leur divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. L'arrêt R v Shayler, [2002] 2 All ER 477, examine avec à propos, au paragraphe 25, la tâche consistant à assurer la sécurité de tels renseignements ainsi que du service qui les fournit:

[traduction] De nombreux commentateurs nationaux affirment qu'un service de renseignement ou de sécurité doit bénéficier de garanties. Le produit dans lequel opère un tel service est l'information secrète et confidentielle. Si le service ne bénéficie pas de garanties, ceux qui travaillent contre les intérêts de l'État, qu'il s'agisse de terroristes, d'autres criminels ou d'agents étrangers, finiront par l'apprendre et seront en mesure de prendre la tangente; les propres agents du service pourront être démasqués; les membres du service ne seront plus en mesure de compter les uns sur les autres; ceux sur qui le service compte comme sources d'information se verront incapables de compter sur la confidentialité de leur identité; et les pays étrangers refuseront de confier leurs propres secrets à un destinataire dépourvu de garanties: voir par exemple l'arrêt A-G v Guardian Newspapers Ltd. (No 2) [. . .] [1990] 1 AC 109 at 118, 213-214, 259, 265; A.-G. v Blake (Johathan Cape Ltd, third party) [. . .] [2001] 1 AC 268 at 287.

Les mêmes raisons de garantir la protection du service canadien du renseignement et la protection de son information restent applicables dans le contexte des menaces que font peser les terroristes internationaux.

[59]L'alinéa j) de l'article 78 donne aussi au juge désigné un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à la preuve qu'il peut recevoir et examiner. Cet alinéa prévoit que «[le juge] peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile--même inadmissible en justice--et peut fonder sa décision sur celui-ci». La preuve reçue par le juge désigné en l'absence du demandeur et de son avocat n'est pas examinée de la manière habituelle, c'est-à-dire par contre-interrogatoire mené par la partie à l'encontre de laquelle cette preuve est produite. C'est donc au juge désigné qu'il revient d'examiner, de mettre en doute et de contester la preuve. Puisque la preuve doit être reçue en l'absence du demandeur ou de son avocat, il appartient au juge désigné d'examiner rigoureusement et d'un oeil critique cette preuve avant de décider si elle intéresse les points soulevés et si elle est digne de foi et avant de lui accorder la valeur qui lui revient.

[60]Lorsqu'il examine la preuve qui ne peut être divulguée pour raisons de sécurité, le juge désigné doit adopter dans cet exercice une approche structurée. Parmi les facteurs qu'il doit considérer, il y a la présence ou l'absence d'éléments concordants, la cohérence de la preuve et le point de savoir s'il s'agit d'une preuve par ouï-dire. Pour dire si la preuve est ou non digne de foi, le juge peut vérifier la crédibilité et la fiabilité de la source de l'information. Pour ce faire, le juge désigné peut interroger directement les déposants et peut-être aussi d'autres personnes. Le juge peut aussi interroger sur ses observations l'avocat représentant le Service.

[61]Dans le cas qui nous occupe, les principes susmentionnés ont été appliqués aux audiences qui ont été tenues en l'absence du demandeur et de son avocate. J'ai examiné la preuve et me suis posé les questions nécessaires pour me convaincre de la force de la preuve secrète, de sa valeur probante, de sa fiabilité et de son caractère congru par rapport aux circonstances. J'ai alors entrepris d'en faire l'appréciation à la lumière de l'ensemble de la preuve. Eu égard au régime législatif applicable ici, je suis d'avis que la preuve secrète a été examinée d'une manière pleinement conforme aux principes susmentionnés.

[62]Dans mes motifs, je suis tenu en droit de ne divulguer aucune information susceptible d'être préjudiciable pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui. Mes motifs ne peuvent donc être aussi complets qu'ils le seraient autrement sur les raisons pour lesquelles cette information a été acceptée ou rejetée, en totalité ou en partie.

I. La preuve du demandeur

[63]Le demandeur a témoigné et a été contre- interrogé par les avocats des ministres, à deux reprises. La première fois, le 25 novembre 2002, le demandeur a témoigné à propos des conditions de sa détention au Centre de détention de Toronto Ouest. Il a dit qu'il était encore détenu en régime cellulaire, dans une cellule de neuf pieds sur douze, pourvue d'un matelas, d'un évier, de toilettes et de deux lumières, dont l'une est allumée 24 heures par jour. Le demandeur n'a ni oreiller ni serviette. Il est autorisé à sortir de sa cellule une fois seulement chaque deux ou trois jours, et pour quelques minutes à la fois, mais il n'a ni bottes ni manteau à porter à l'extérieur durant l'hiver. Il est autorisé à prendre une douche une fois seulement tous les deux ou trois jours, et il n'a aucun contact avec personne, sauf les gardiens. Le demandeur dispose du Coran et il a à sa disposition quelques autres lectures, mais il n'a accès à aucun programme d'enseignement, et les visites et appels téléphoniques qu'il peut recevoir ou faire sont limités.

[64]Le demandeur a témoigné une deuxième fois les 6 et 7 janvier 2004. À cette occasion, il a décrit ses voyages et les raisons de ses voyages au Moyen-Orient et en Thaïlande entre 1990 et 1999, ainsi que son rôle, notamment l'entraînement qu'il a reçu, dans le djihad, en Afghanistan. Le demandeur a décrit les images extraites de son ordinateur et a expliqué, lorsque c'était possible, les sources de telles images. Il a expliqué ses relations et interactions limitées avec Nabil Al Marabh, Hoshem Al Taha et Ahmed Al Kaysee. Il a expliqué comment il était venu en possession de faux passeports des EAU, de la Syrie et du Yémen, et il a décrit sa remise d'un faux passeport canadien à Nabil Al Marabh. Le demandeur a indiqué dans son témoignage que, s'il était mis en liberté, il voudrait vivre avec Diana Ralph.

[65]Durant son contre-interrogatoire, le demandeur a décrit son rôle dans divers camps, au Pakistan et en Afghanistan, et il a reconnu qu'il avait menti à la Commission du statut de réfugié à propos de ses voyages en Afghanistan et qu'il avait négligé de signaler au Service ou aux fonctionnaires de l'Immigration son rôle d'imam en Afghanistan. Le demandeur a décrit son affectation auprès de l'agence islamo-africaine et auprès du Al Haramin, en Arabie saoudite, et il a reconnu avoir négligé d'inclure des renseignements sur ce rôle dans ses déclarations aux fonctionnaires de l'Immigration. Il a reconnu avoir obtenu un faux passeport canadien pour Nabil Al Marabh, contre rémunération, et il a admis que, bien qu'il ne fût pas un ami intime, il était allé rendre visite à Al Marabh, qui était détenu à Niagara Falls, et avait prêté de l'argent à l'oncle d'Al Marabh pour sa mise en liberté. Le demandeur a aussi décrit sa rencontre avec «Ghaled», un individu qu'il a rencontré en Thaïlande, et il a reconnu que Ghaled était un passeur de clandestins. Il a aussi admis que, alors qu'il ne connaissait pas Hoshem Al Taha, il avait indiqué son nom dans une demande de visa canadien, comme personne-ressource avec qui communiquer.

[66]Le docteur El Helbawy et le docteur El Fadl ont témoigné pour le demandeur et ont donné des renseignements généraux à propos du djihad en Afghanistan et à propos du rôle de diverses personnes et organisations dans ce conflit.

[67]Le docteur El Helbawy a servi de porte-parole, entre 1995 et 1997, pour la Fraternité musulmane au Royaume-Uni, et il s'occupe d'éducation islamique. Il a témoigné à propos de l'historique du conflit en Afghanistan et du rôle des hommes qui sont allés se battre, y compris à propos de l'entraînement qu'ils avaient pu recevoir dans divers camps. Le docteur El Helbawy a aussi donné ses impressions sur l'extrémisme islamique et sur les liens entre l'extrémisme, Al-Qaida et le fait de combattre dans le djihad. Au cours de son interrogatoire principal et de son contre-interrogatoire, le docteur El Helbawy a dit qu'il n'était pas prêt à dire qu'Oussama ben Laden était responsable de l'effondrement des tours du World Trade Centre ou qu'il avait enfreint les règles de la guerre, tant que n'aurait pas lieu un procès en règle dans cette affaire. Il s'est exprimé sur les rôles joués par divers individus qui étaient impliqués dans la guerre, notamment Hekmadyar, Sayyef et Oussama ben Laden. Le docteur El Helbawy a décrit les difficultés endurées par les jeunes Arabes lorsqu'ils étaient retournés chez eux après la guerre dans divers pays du Moyen-Orient. Il a donné des renseignements généraux sur la Fraternité musulmane et a décrit la vocation naturelle de cette organisation à aider les gens, comme le demandeur, à obtenir des faux passeports.

[68]Le docteur El Fadl est un professeur de droit invité de l'Université Yale, qui enseigne régulièrement à l'école de droit de l'Université de Californie à Los Angeles. Il a écrit abondamment sur les questions islamiques et les questions des droits de l'homme, sur les djihads et sur les conséquences du 11 septembre pour la communauté musulmane. Le docteur El Fadl a rendu témoignage sur le rôle des moudjahidin en réaction contre l'invasion soviétique de l'Afghanistan, et il a décrit l'aide qui était apportée aux volontaires par les gouvernements des pays du Moyen-Orient pour qu'ils combattent aux côtés des moudjahidin. Il a décrit le rôle de ces volontaires dans le djihad et a expliqué les terribles difficultés de ceux qui revenaient d'Afghanistan vers leurs pays d'origine, au Moyen-Orient. Le docteur El Fadl a expliqué les mots «extrémiste» ou «radicalisé» et a témoigné que le pourcentage des «extrémistes» parmi les gens qui étaient allés en Afghanistan et qui en étaient revenus était très faible. Le docteur El Fadl a aussi témoigné à propos du rôle d'Oussama ben Laden dans les guerres menées en Afghanistan, et à propos du nombre de camps qui lui ont été attribués. Il a comparé l'information qu'on lui avait donnée à propos du rôle et des actions du demandeur, avec le rôle et les actions de ceux qui ont des liens avec Al-Qaida, et il a dit que, selon son appréciation, le profil du demandeur ne correspondait pas à celui des membres d'Al-Qaida.

[69]Ni le docteur El Helbawy ni le docteur El Fadl ne connaissaient le demandeur à titre personnel, et leurs témoignages reposaient uniquement sur l'information que leur avait donnée l'avocate du demandeur. Je n'ai aucune raison de ne pas accepter les témoignages du docteur El Fadl et du docteur El Helbawy en ce qui a trait au rôle des volontaires dans le djihad, à la participation de tel ou tel individu dans ce conflit et aux difficultés qu'ont vécues les jeunes Arabes lorsqu'ils ont quitté l'Afghanistan pour retourner chez eux. Le point de savoir si le demandeur correspond ou non à un profil donné est un point qui doit être décidé après mise en équilibre de tous les éléments de preuve.

[70]M. Frank Geswaldo et M. Peter Dietrich ont témoigné au nom du demandeur en juin 2003 et se sont exprimés sur les conditions et les circonstances de la détention du demandeur au Centre de détention de Toronto Ouest. M. Geswaldo est directeur de la sécurité au Centre de détention de Toronto Ouest. Il a décrit les conditions dans lesquelles le demandeur est détenu et les installations auxquelles le demandeur a accès, en expliquant que, bien que l'institution s'efforce d'offrir aux détenus comme le demandeur des douches quotidiennes et des loisirs, cela n'est pas toujours possible en raison de problèmes de dotation en personnel, de confinements aux cellules et autres circonstances propres à l'institution. M. Geswaldo a aussi expliqué les circonstances qui ont fait que le demandeur a été placé en régime cellulaire pour la durée de sa détention dans cette institution. Il a expliqué que le demandeur avait d'abord été placé en régime cellulaire, qu'il avait ensuite été autorisé en novembre 2002 à se mêler aux autres détenus, mais qu'il avait été remis en régime cellulaire pour sa propre protection cinq jours plus tard, après une altercation avec d'autres détenus.

[71]M. Dietrich, conseiller régional de programme et directeur intérimaire des mesures d'exécution, Région de l'Ontario, a expliqué le rôle des gouvernements fédéral et provincial dans la détention à long terme d'immigrants dans des établissements canadiens de détention provisoire, et il a indiqué en particulier qu'il n'avait connaissance d'aucune entente formelle entre ces deux niveaux de gouvernement pour les détenus de la filière immigration.

[72]Le docteur Aly Hindy, M. Hassan Ahmed, Mme Diana Ralph, M. Matthew Behrens et M. Frank Sholler se sont exprimés sur la moralité du demandeur et ont dit qu'ils étaient prêts à apporter leur soutien financier en déposant des cautionnements, et en général à garantir l'observation des conditions que la Cour pourrait vouloir imposer au demandeur.

[73]Le docteur Aly Hindy est consultant, il est l'imam de la mosquée Salahaddin et il est le directeur du Congrès islamique canadien, à Toronto. Il a décrit ses relations personnelles et téléphoniques avec le demandeur, mais a admis qu'il ne connaissait pas le demandeur avant son arrivée au Canada. Le docteur Hindy s'est exprimé brièvement et de manière générale sur les activités de la Fraternité musulmane, sur celles de l'organisme de bienfaisance Al Haramin et sur les encouragements prodigués à la jeunesse par certains gouvernements arabes pour qu'ils aillent combattre contre les Soviétiques en Afghanistan. Il s'est déclaré prêt à déposer un cautionnement de 10 000 $ pour la mise en liberté du demandeur, et il a affirmé que d'autres membres de la collectivité étaient prêts à offrir 100 000 $ en garantie. Le docteur Hindy a tout d'abord indiqué (à l'audience du 24 juin 2003) que des dispositions pouvaient être prises pour que le demandeur reste auprès de gens de la mosquée, le docteur Hindy exerçant un rôle de surveillance, mais, à l'audience du 27 novembre 2003, le docteur Hindy a reconnu que le demandeur préférait rester avec Mme Ralph. Durant son contre-interrogatoire, le docteur Hindy a admis qu'il s'était déjà offert également à déposer des cautionnements et à exercer un rôle de surveillance pour des demandeurs dans d'autres cas semblables, à savoir Mahjoub et Jaballah.

[74]M. Hassan Ahmed est un ami du demandeur depuis que le demandeur est arrivé au Canada, et il a été régulièrement en contact avec le demandeur au cours des 18 derniers mois. De l'avis de M. Ahmed, le demandeur n'entretient pas d'opinions de nature terroriste et il est, au contraire, une personne pieuse et de qualité. M. Ahmed connaît la famille du demandeur.

[75]Mme Diana Ralph est professeur de travail social à l'Université Carleton et détient un doctorat en psychologie. Elle communique régulièrement avec le demandeur, par téléphone et en personne, depuis juin 2003, et elle considère le demandeur comme une personne honnête et profondément religieuse, qui croit véritablement au règlement pacifique des conflits. Elle a décrit le demandeur comme un fervent Musulman, mais a déclaré qu'il n'a aucune animosité envers elle, bien qu'elle soit juive, américaine et lesbienne. Mme Ralph est en mesure de déposer une garantie de 10 000 $. Elle a récemment rénové l'appartement, dans sa maison de Toronto, spécialement pour le demandeur, s'il est mis en liberté, et elle lui a demandé son avis pour diverses décisions se rapportant aux travaux de rénovation. Mme Ralph a admis qu'elle ne connaissait pas le demandeur avant qu'il n'arrive au Canada, et elle a admis qu'elle ne sait pas l'arabe et qu'elle ne comprendrait pas les propos du demandeur s'il s'exprimait en arabe.

[76]M. Matthew Behrens est bénévole auprès de plusieurs organismes communautaires: Des logements, pas des bombes, Action pour le changement social à Toronto, et Campagne pour que cessent les procès secrets au Canada. Il est également journaliste et éditeur, et il organise des séminaires sur le changement social par des moyens non violents. M. Behrens intervient dans plusieurs affaires portant sur des certificats de sécurité, notamment Harkat, Jaballah et Mahjoub. Lui et sa famille communiquent avec le demandeur presque quotidiennement depuis juin 2003, par des visites personnelles et par téléphone. Selon M. Behrens, le demandeur est un homme patient, persévérant et compatissant. M. Behrens se décrit comme un «Juif laïc» et il n'a pas entendu le demandeur exprimer un quelconque sentiment antisémite, et il n'a aucune inquiétude à propos du demandeur au vu des documents publics déposés à la Cour. M. Behrens est disposé à offrir une garantie de 2 500 $ en espèces. M. Behrens ne parle pas l'arabe, mais il s'est offert à exercer une surveillance sur le demandeur, par des contacts réguliers, par téléphone ou en personne.

[77]M. Behrens a également témoigné le 7 janvier 2004, après avoir examiné les fichiers Internet temporaires trouvés sur l'ordinateur du demandeur. Il a donné son avis sur les genres et les noms de divers sites Internet mis en antémémoire sur l'ordinateur du demandeur, et il a décrit une grande variété d'images, trouvées sur l'ordinateur du demandeur, qui n'étaient en aucune façon rattachées au djihad, au terrorisme ou à Oussama ben Laden, et que les ministres n'avaient pas incluses dans leur collection d'images tirées de cet ordinateur.

[78]M. Frank Sholler est actif auprès de l'Église unie sur les questions intéressant les droits de la personne et il est disposé à se porter garant de la conduite du demandeur. Il est en mesure de déposer un cautionnement de 10 000 $ en grevant sa maison d'une charge correspondante à cette somme. M. Sholler a admis qu'il ne connaissait pas très bien le demandeur et qu'il ne serait pas en mesure de le surveiller.

[79]Je juge crédibles et dignes de foi les témoignages de M. Geswaldo et de M. Dietrich et j'accepte leurs dépositions. Je considère également crédibles et dignes de foi les dépositions des témoins de la moralité du demandeur et celles des cautions proposées, et j'accepte d'intégrer leurs dépositions dans la preuve qui sera considérée. La valeur probante de ces dépositions est amoindrie par le fait que tous les témoins et cautions en question, sauf un, ne connaissent le demandeur que depuis son incarcération, et par le fait que le témoin restant ne le connaît que depuis qu'il est arrivé au Canada.

II. La preuve des ministres

[80]Les ministres ont appelé M. Brian Foley, Mme Maura DeLeonardis et Mme Dianne Toikko à s'exprimer sur les motifs de la détention prolongée du demandeur. M. Foley travaille pour la Direction générale du renseignement au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Il a décrit en détail le processus imposé par l'alinéa 115(2)b) de la LIPR, notamment les formalités de notification prévues par cette disposition et les nombreuses occasions qui sont données à chacune des parties de présenter des observations et d'y répondre. Il a décrit les retards qui ont surgi dans ce dossier en raison du processus de l'alinéa 115(2)b), relevant en particulier que 1) il y avait, par suite de la nouvelle législation, un «nouveau terrain à explorer»; 2) il fallait du temps pour que le décideur puisse validement mettre en équilibre le risque que fait courir à une personne son retour dans son pays et le danger que cette personne constitue pour la sécurité du Canada; 3) divers analystes s'étaient penchés sur le dossier du demandeur; et 4) des changements étaient apportés à la structure de CIC, et tous ces aspects s'étaient conjugués pour retarder le traitement du dossier du demandeur. Mme DeLeonardis, agente d'exécution à Citoyenneté et Immigration Canada, s'est exprimée sur les obstacles pratiques au renvoi d'une personne qui est l'objet d'une mesure de renvoi. Mme Toikko travaille au siège du ministère de l'Immigration, dans la section qui s'occupe des certificats de sécurité, et elle a décrit les divers retards et les raisons des retards qui ont freiné l'évaluation du dossier du demandeur, faisant observer en particulier que le traitement du dossier avait été retardé par une nouvelle attribution du dossier, par l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi et par les changements qu'il avait donc fallu apporter aux politiques et procédures.

[81]En application de mon ordonnance du 17 octobre 2003, un agent de renseignement du SCRS connu seulement sous le nom de «J.P.» a témoigné le 27 novembre 2003. J.P. a décrit l'organisation et les objectifs du réseau Al-Qaida et il a résumé les inquiétudes du Service à propos du rôle du demandeur dans le réseau Al-Qaida. Durant son contre- interrogatoire, J.P. a décrit plus en détail les activités et déclarations du réseau Al-Qaida, il a décrit certaines sources documentaires employées par le Service pour s'informer sur le réseau, et il a réaffirmé que les principales préoccupations du Service à propos du demandeur concernaient son entraînement militaire et sa capacité de falsifier des documents. J.P. a fait remarquer que le profil du demandeur correspondait au profil de membres d'Al-Qaida et qu'il y avait dans cette affaire des «éléments suffisants d'un profil». J.P. s'est aussi exprimé sur la possibilité que le demandeur participe dans l'avenir à des opérations d'Al-Qaida. Il a dit que, bien que le rôle du demandeur fût sans doute compromis aujourd'hui pour certaines opérations, il demeurait néanmoins possible que d'autres membres du réseau jugent utile de communiquer avec lui, selon les particularités de l'opération.

[82]Je suis d'avis que les témoins des ministres sont crédibles et dignes de foi et j'intègre leurs témoignages dans la preuve qui sera considérée.

G. ANALYSE

1.     Le ressortissant étranger sera-t-il ou non renvoyé du Canada dans un délai raisonnable?

[83]L'indication d'une période de 120 jours, dans le paragraphe 84(2), montre que le législateur voulait que la mesure de renvoi soit exécutée rapidement après qu'un certificat a été jugé raisonnable. Le sens de l'expression «délai raisonnable» dépendra des faits et circonstances de chaque affaire.

[84]Le 23 octobre 2003, le représentant du ministre a décidé que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de subir la torture s'il était renvoyé en Syrie et que, pour le cas où il serait exposé à un tel risque, son renvoi était justifié en raison du risque qu'il constituait pour la sécurité du Canada. Le demandeur a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de cette décision du représentant du ministre. Au 21 novembre 2003, la date du renvoi du demandeur avait été choisie, et le renvoi du demandeur en Syrie devait avoir lieu au cours des deux semaines et demie suivantes. La date prévue du renvoi n'a pas été divulguée, pour des raisons de sécurité. Le demandeur a sollicité et obtenu un sursis d'exécution de la mesure de renvoi, jusqu'à ce qu'il soit disposé à titre définitif de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du 23 octobre 2003 du représentant du ministre.

[85]La chronologie des événements et la nature des nombreuses procédures introduites devant la Cour depuis le dépôt de l'examen des motifs de la détention me conduisent à considérer les circonstances suivantes pour savoir ce qu'est un «délai raisonnable» dans le contexte du premier volet du critère d'une mise en liberté judiciaire, selon ce que prévoit le paragraphe 84(2) de la LIPR: 1) les conditions de la détention actuelle du demandeur; 2) les procédures judiciaires qui ont été introduites ou qui seront introduites par le demandeur; et 3) les lenteurs du renvoi qui sont attribuables au ministre et au demandeur.

[86]La période durant laquelle le demandeur est demeuré en détention depuis que le certificat a été jugé raisonnable, et les conditions de sa détention, sont des aspects qui préoccupent beaucoup la Cour. Cependant, un examen attentif de l'historique du cas révèle que l'incertitude touchant le renvoi du demandeur s'explique en grande partie par des procédures judiciaires résultant de son fait, qu'elles soient passées, actuelles ou envisagées.

[87]Un certificat concernant le demandeur a été délivré par les ministres le 16 octobre 2001 et a été jugé raisonnable le 23 novembre 2001. Le 11 février 2002, le demandeur a été jugé non admissible en vertu de certaines dispositions de l'article 19 de l'ancienne Loi. Selon la preuve produite par les ministres, les choses ont été aggravées, en ce qui a trait au délai, par l'entrée en vigueur d'un nouveau texte législatif régissant de telles procédures: la LIPR a été promulguée et la Loi sur l'immigration a été abrogée le 28 juin 2002, et un délai supplémentaire était nécessaire pour la préparation d'«avis de dangerosité», en raison des modifications législatives et des conditions additionnelles prévues par la nouvelle Loi. De plus, à cause d'une restructuration interne, il ressort de la preuve des ministres que le dossier du demandeur n'a pas reçu l'attention d'un agent assigné exclusivement à son dossier.

[88]Un premier avis de dangerosité donné par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en vertu du paragraphe 115(2) de la LIPR a été délivré le 13 janvier 2003. Cet avis a été contesté par le demandeur, et le ministre a finalement consenti à une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de cet avis. Le demandeur fut informé le 28 juillet 2003 que le ministre songeait à un deuxième avis de dangerosité. Le 23 octobre 2003, le représentant du ministre délivrait le deuxième «avis de dangerosité» en question. Les ministres disent qu'il a fallu du temps, à l'égard de chacun des avis de dangerosité, pour bien évaluer les risques potentiels inhérents au renvoi, et qu'il a fallu du temps également pour permettre au demandeur de répondre à chacun de ces avis de dangerosité.

[89]Le juge Dawson expliquait, dans l'affaire Mahjoub, au paragraphe 55, «que lorsqu'une personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu affirme qu'elle risque la torture en case d'expulsion, le délai raisonnable exigé pour s'assurer que les principes de justice fondamentale ont été respectés sera plus long». Je souscris à cette proposition.

[90]Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a reconnu avoir commis de «graves erreurs» dans le premier avis de dangerosité et, pour cette raison, il a consenti à la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire déposée par le demandeur à l'encontre de l'avis. Ces erreurs ont donc rendu nécessaire la préparation d'un second avis, entraînant un nouveau retard. Le ministre est, de son propre aveu, fautif, mais je suis d'avis que ce délai est également atténué dans une certaine mesure par les circonstances particulières de l'entrée en vigueur de la LIPR, ainsi que par la gravité des points à décider. Par conséquent, bien que le ministre doive assumer en partie la responsabilité des lenteurs de la préparation des «avis de dangerosité», on ne saurait dire, vu les circonstances de cette affaire, que les délais attribuables au représentant du ministre suffisent par eux-mêmes à justifier une conclusion défavorable pour le premier volet du critère prévu par le paragraphe 84(2).

[91]Après examen de la chronologie des événements et de la nature des nombreuses procédures, il devient évident qu'une bonne partie du délai était nécessaire pour garantir le respect des formes régulières dans le traitement des demandes introduites par le demandeur durant l'instance. Nonobstant les arguments très bien exposés par l'avocate du demandeur, les précédents et les principes juridiques applicables discutés précédem-ment dans les présents motifs font que ce délai ne peut être qualifié de déraisonnable. Je suis lié par ces précédents.

[92]Je prends note aussi de l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ahani c. Canada (1996), 37 C.R.R. (2d) 181 (ci-après l'arrêt Ahani (1996)), dans lequel le juge Marceau examinait la constitutionnalité de l'article 40.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31] de l'ancienne Loi, pour conclure finalement (au paragraphe 4) qu'il était valide sur le plan constitutionnel:

Quant à la seconde proposition, nous estimons que le contexte de l'article 40.1 n'est nullement apparenté à un contexte criminel. Dans un contexte de droit criminel, nous avons un individu accusé d'avoir violé le droit criminel du pays et qui s'expose à des sanctions si l'État réussit à réfuter sa présomption d'innocence. Dans le contexte de l'article 40.1, nous nous trouvons devant un étranger qui peut perdre le droit restreint de demeurer au Canada qu'il a acquis en obtenant le statut de réfugié, mais dont la liberté ne sera pas par ailleurs entravée. Les principes et les politiques qui sous-tendent les deux contextes sont, à l'évidence, totalement différents, et les normes des sauvegardes procédurales requises pour satisfaire à la Charte doivent nécessairement différer. Certes, le dépôt de l'attestation a pour conséquence immédiate et fâcheuse de conduire à l'arrestation et à la détention de la personne concernée, sort normalement réservé aux criminels, et c'est indubitablement l'aspect le plus délicat de la disposition. Toutefois, il ne faut pas oublier que cette détention n'est pas imposée comme sanction, que sa seule fonction était d'assurer la présence de la personne. Il s'agit principalement là d'un moyen d'assurer une protection préventive au public canadien. Et étant donné le critère de la délivrance de l'attestation, c'est-à-dire l'avis raisonné de deux ministres fondé sur les renseignements de sécurité, le fait que la disposition prévoit l'examen judiciaire obligatoire du caractère raisonnable de ces avis dans un délai assez bref, la possibilité donnée au détenu de mettre fin à la détention en tout temps en acceptant de quitter le pays, et étant donné, en dernier lieu, le type de la catégorie interdite d'individus auquel il y a lieu de croire que nous avons affaire, c'est-à-dire les individus associés au terrorisme d'une façon ou d'une autre, il nous semble que, comme dans le cas du juge de première instance, une telle détention préventive n'est ni arbitraire ni excessive.

[93]Le juge Marceau relevait que, selon l'article 40.1, la personne détenue peut mettre fin à tout moment à la détention en consentant à quitter le pays. Je reconnais que c'est le demandeur qui tient la clé de sa propre mise en liberté: il serait mis en liberté demain s'il consentait à être renvoyé du Canada. Les moyens pris par le demandeur pour empêcher son renvoi, par l'introduction de nombreuses procédures judiciaires, ont incontestable-ment allongé la durée de sa détention. Il a le droit d'introduire des procédures légitimes, mais il ne peut alors soutenir: «que le renvoi n'aura pas lieu dans un délai raisonnable, alors que le temps nécessaire pour entendre toutes les demandes et les appels s'étire sur des mois et des années» (arrêt Ahani (2000) [au paragraphe 18]).

[94]Quant aux conditions de la détention du demandeur, je reconnais qu'il est détenu depuis le 19 octobre 2001 et qu'il a passé tout ce temps, sauf cinq jours, en régime cellulaire. Je reconnais aussi que le demandeur a été détenu, et est encore détenu, dans un établissement qui, selon M. Geswaldo, est conçu pour recevoir des détenus qui attendent leur procès, qui purgent de courtes peines ou qui attendent d'être transférés vers un pénitencier ou une maison de correction après leur procès et le prononcé de leur peine. En raison notamment de la nature de cette institution, le demandeur n'a pu bénéficier pleinement d'un bon nombre d'aménagements, qu'il s'agisse de douches, d'air frais, de livres, de vêtements, de chaussures et de programmes d'enseignement, et il a peu d'accès aux visiteurs et au téléphone. Je suis également conscient du jugement du juge Gans, de la Cour supérieure de l'Ontario, où il disait que le demandeur devrait pouvoir se chausser convenablement (Almrei v. Canada (Attorney General), [2003] O.J. no 5198 (C.S.J.) (QL)).

[95]Assurément, les conditions de la détention du demandeur ne sont pas idéales. Cependant, je dois me rappeler que le régime législatif prévoit une détention préventive dès la délivrance d'un certificat de sécurité, et le maintien de la détention jusqu'à ce que la mise en liberté soit ordonnée ou que la mesure de renvoi soit exécutée. Je prends note également de la preuve non contredite du demandeur selon laquelle une détention «en régime cellulaire» est nécessaire pour sa propre protection au sein de l'établissement. Par conséquent, bien que les conditions de la détention du demandeur ne soient pas idéales, les circonstances de sa détention, qui sont un facteur à prendre en compte, ne suffisent pas à mon avis à justifier sa mise en liberté immédiate.

[96]Pour les motifs susmentionnés, il m'est impossible de dire que le demandeur ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable.

2.     La mise en liberté du demandeur posera-t-elle ou non un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui?

[97]Le demandeur ne m'a pas persuadé qu'il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable. Puisque les conditions du paragraphe 84(2) de la LIPR sont conjonctives, il ne m'est pas nécessaire d'examiner le deuxième critère. Cependant, vu la longue détention du demandeur et le fait qu'une bonne partie de cette détention a été passée en régime cellulaire, j'examinerai néanmoins la deuxième condition d'une mise en liberté.

[98]Les ministres sont d'avis que le demandeur est membre d'un réseau d'extrémistes qui appuient les idéaux extrémistes embrassés par Oussama ben Laden. Ils disent que le soutien du demandeur à ben Laden, son association avec des individus liés au réseau ben Laden et son rôle dans un réseau de faussaires ayant des liens internationaux montrent qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui.

[99]La preuve dont dispose la Cour, qu'elle soit publique ou secrète, porte essentiellement sur le point de savoir si le demandeur constitue un danger pour la sécurité nationale, plutôt qu'un danger pour la sécurité d'autrui. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Suresh, avait affaire à l'expression «danger pour la sécurité du Canada». Selon elle, bien que cette expression «doive recevoir une interprétation large et équitable, elle exige néanmoins la preuve d'une menace potentiellement grave». Puis la Cour concluait, au paragraphe 90, que:

[. . .] une personne constitue un «danger pour la sécurité du Canada» si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d'un pays est souvent tributaire de la sécurité d'autres pays. La menace doit être «grave», en ce sens qu'elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.

[100]La Cour suprême du Canada s'est aussi exprimée sur le niveau de preuve nécessaire pour établir que certaines activités constituent un «danger pour la sécurité du Canada». Elle faisait observer, au paragraphe 88 de l'arrêt Suresh, que le soutien au terrorisme à l'étranger soulève la possibilité de répercussions négatives sur la sécurité du Canada, pour les raisons suivantes:

Premièrement, les réseaux mondiaux de transport et de financement qui soutiennent le terrorisme à l'étranger peuvent atteindre tous les pays, y compris le Canada, et les impliquer ainsi dans les activités terroristes. Deuxièmement, le terrorisme lui-même est un phénomène qui ne connaît pas de frontières. La cause terroriste peut viser un lieu éloigné, mais les actes de violence qui l'appuient peuvent se produire tout près. Troisièmement, les mesures de prudence ou de prévention prises par l'État peuvent être justifiées; il faut tenir compte non seulement des menaces immédiates, mais aussi des risques éventuels. Quatrièmement, la coopération réciproque entre le Canada et d'autres pays dans la lutte au terrorisme international peut renforcer la sécurité nationale du Canada. Ces considérations nous amènent à conclure que serait trop exigeant un critère requérant la preuve directe d'un risque précis pour le Canada afin de décider si une personne constitue un «danger pour la sécurité du Canada». Il doit exister une possibilité réelle et sérieuse d'un effet préjudiciable au Canada. Néanmoins, il n'est pas nécessaire que la menace soit directe; au contraire, elle peut découler d'événements qui surviennent à l'étranger, mais qui, indirectement, peuvent réellement avoir un effet préjudiciable à la sécurité du Canada.

[101]L'arrêt Suresh a été rendu dans le contexte de la procédure d'expulsion d'un réfugié au sens de la Convention, mais les observations qu'il renferme à propos de ce qui constitue un «danger pour la sécurité du Canada» sont, à mon avis, applicables à l'examen des motifs d'une détention au sens du paragraphe 84(2) de la LIPR. Par conséquent, aux fins de la présente instance, la preuve qui fonde un soupçon objectivement raisonnable de menace d'un préjudice sérieux établirait l'existence d'un danger pour la sécurité nationale. En accord avec les principes juridiques établis par la jurisprudence, principes discutés précédemment dans les présents motifs, il appartient à celui qui demande sa mise en liberté de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que sa mise en liberté ne posera aucun danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui. Dans l'arrêt Ahani (2000), la Cour d'appel faisait observer, au paragraphe 14, que «[n]ormalement on pourrait s'attendre à ce qu'une personne doive démontrer un changement important dans les circonstan-ces ou présenter une nouvelle preuve qui n'était pas disponible auparavant afin d'être mise en liberté», car autrement ce serait accorder à l'appelant une audience de novo, chose que la loi ne prévoit pas. La Cour a aussi jugé que, puisqu'un certificat établit de façon concluante que l'appelant est non admissible pour des raisons flagrantes, il n'a pas droit à la présomption d'innocence.

[102]En l'espèce, il s'ensuit que la preuve examinée par Mme le juge Tremblay-Lamer pour savoir si le certificat est raisonnable fait nécessairement partie intégrante des preuves produites dans la présente instance. Ses constatations et conclusions attestent de manière concluante que le demandeur est non admissible pour les motifs indiqués dans le certificat.

[103]En arrivant à la conclusion que le certificat signé par les ministres était raisonnable, le juge Tremblay- Lamer écrivait, au paragraphe 31 de ses motifs (voir la section intitulée «Les faits»), que les renseignements confidentiels appuyaient fortement la thèse selon laquelle le demandeur est membre d'un réseau international d'extrémistes qui appuient les idéaux islamiques extrémistes embrassés par Oussama ben Laden et fait partie d'un réseau de faussaires aux ramifications internationales qui produit de faux documents.

[104]Le juge Tremblay-Lamer faisait aussi observer, dans ses motifs [au paragraphe 30], que «la décision de M. Almrei de ne pas témoigner constitue une omission de sa part de se prévaloir de la possibilité d'être entendu. Par conséquent, le seul élément de preuve mis à ma disposition est celui qui a été présenté à l'audience qui a eu lieu, conformément à l'alinéa 40.1(4)a) de la Loi, le 24 octobre 2001».

[105]La nature de la preuve publique produite dans cette requête est résumée plus haut dans les présents motifs. La preuve produite par les ministres comprend à la fois la preuve présentée en audience publique et la preuve et les renseignements examinés à huis clos, en l'absence du demandeur et de son avocate. S'agissant de la preuve présentée sous le sceau du secret, un résumé a été remis au demandeur pour qu'il soit suffisamment informé des allégations le concernant. Ce résumé des renseignements mis à jour qui ont été produits par les ministres reprend essentiellement les renseignements figurant dans un résumé antérieur, délivré par le juge Tremblay-Lamer, selon lequel le demandeur est membre d'un réseau international d'extrémistes qui soutiennent les idéaux islamiques extrémistes embrassés par Oussama ben Laden. Le résumé relève aussi que les actions d'Al-Qaida ont montré que le danger que pose ce réseau pour le public s'est intensifié, depuis la délivrance du premier résumé de renseignements confidentiels, et que les sympathisants d'Al-Qaida sont encore prêts à participer à un djihad contre l'Occident.

[106]Suite à la requête qu'il a présentée en vue de sa mise en liberté, le demandeur a témoigné et a été contre-interrogé à deux reprises. Je me propose d'examiner sa preuve, et en particulier son témoignage concernant les éléments suivants, qui constituent pour l'essentiel le fondement des allégations des ministres à son encontre, à savoir: (i) faux documents; (ii) sa participation au djihad, (iii) ses liens avec les Afghans arabes, (iv) son présumé soutien à Oussama ben Laden et (v) son présumé comportement clandestin. Ce faisant, j'évaluerai le témoignage du demandeur par rapport à la preuve des ministres.

i) faux documents

[107]Le demandeur dit qu'il n'est pas un faussaire ni un fournisseur de faux passeports. Il a témoigné que son rôle dans les faux documents se limitait à obtenir des documents pour faciliter ses propres déplacements et que, à une occasion, il a aidé Nabil Al Marabh à obtenir un faux passeport canadien. Il affirme que les moyens qu'il a pris pour obtenir de faux passeports pour lui-même s'accordent avec sa condition de revendicateur du statut de réfugié. Il reconnaît son méfait et affirme qu'il n'a donné suite à aucune autre demande de faux passeports. Il dit que son séjour en Thaïlande s'accorde avec son statut de revendicateur du statut de réfugié en quête d'un lieu sûr. Il dit que, s'il a aidé Al Marabh, cela ne veut pas dire qu'il fait partie d'un réseau international de faussaires et que, en tout état de cause, il ne fabriquait pas les passeports, mais savait seulement avec qui communiquer. Il affirme qu'il n'est pas établi que les gens qu'il a aidés, dont Al Marabh, étaient de quelque manière mêlés à de viles activités et qu'aucun d'entre eux n'a été accusé d'un délit.

[108]Les ministres s'appuient sur la preuve publique suivante en ce qui concerne l'affirmation selon laquelle le demandeur est impliqué dans un réseau international de faussaires aux ramifications internationales qui produit de faux documents:

1. le demandeur connaissait à Montréal des individus qui pouvaient obtenir de faux documents;

2. il a tiré profit du passeport qu'il a obtenu pour M. Al Marabh;

3. il avait dans le milieu la réputation de pouvoir obtenir de faux passeports;

4. il n'est pas crédible parce qu'il n'a pu se souvenir pourquoi Al Marabh voulait un faux passeport, ni ne se rappelait qui lui avait donné le nom de son agent de liaison à Montréal;

5. il a reconnu qu'il est mal et illégal d'obtenir de faux passeports;

6. il s'est rendu en Thaïlande, est venu en aide à un passeur de clandestins et est demeuré en rapport avec lui après son arrivée au Canada.

[109]Les ministres se fondent aussi sur des renseignements produits à huis clos, en l'absence du demandeur ou de son avocate. Ces renseignements ne peuvent être divulgués, puisqu'il a été jugé que leur divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale. Cependant, comme il est indiqué précédemment dans les présents motifs, des résumés publics ont été approuvés et remis au demandeur pour qu'il soit suffisamment informé des allégations dirigées contre lui et contenues dans cette preuve secrète.

[110]J'ai scrupuleusement examiné la preuve secrète pour savoir si elle est utile, si elle est digne de foi et si elle est ou non confirmée. J'arrive à la conclusion que les affirmations du demandeur, qui dit qu'il n'a eu qu'un rôle restreint dans la préparation et l'obtention de faux documents, ne sont pas crédibles. Eu égard à l'ensemble de la preuve, je suis d'avis, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur est impliqué dans un réseau de faussaires qui a des ramifications internationales et qui produits de faux documents.

ii) la participation du demandeur au djihad

[111]Le demandeur a dit dans son témoignage qu'il s'était rendu en Afghanistan parce que, comme de nombreux jeunes Arabes, il a été encouragé à le faire par le clergé des mosquées et par les gouvernements arabes, notamment celui d'Arabie saoudite, qui offraient des stimulants financiers aux jeunes Arabes pour qu'ils participent au «djihad». Le demandeur a dit qu'il n'avait pas été entraîné comme combattant et qu'il n'était pas associé à Oussama ben Laden. Il affirme que seul un faible pourcentage de ceux qui sont allés en Afghanistan sont devenus «radicalisés» et qu'il n'était pas l'un d'eux. Il a expliqué que, s'il n'a pas fait état de ses voyages en Afghanistan, c'est parce qu'il craignait qu'on ne dise qu'il exagérait sa revendication du statut de réfugié et qu'on refuse de le croire. Le demandeur dit qu'il s'est rendu en Afghanistan en tant qu'imam et qu'il n'est pas intervenu dans les combats. Il admet que, lorsqu'il se trouvait en Afghanistan, il s'est proposé pour participer à deux missions de reconnaissance sous le commandement d'Ibn Khattab et qu'il avait séjourné dans la maison de Khattab. Il affirme que cela ne veut pas dire qu'il a combattu. Le demandeur a confirmé son désir de combattre dans un djihad, mais, selon lui, cela ne signifie pas que c'est ce qu'il a fait ou qu'il a été entraîné pour combattre. Essentiellement, le demandeur dit que son rôle dans des actes violents ou extrémistes n'est pas établi et qu'il ne correspond tout simplement pas au profil d'un terroriste ou d'un individu lié à Al-Qaida ou autres organisations extrémistes. Son avocate soutient que les témoignages du docteur El Fadl et du docteur El Helbawy appuient cette prétention.

[112]Selon les ministres, la preuve établit clairement que le demandeur était prêt à s'engager dans les combats, et son rôle dans le djihad montre qu'il fait partie d'un groupe d'individus qui soutiennent Oussama ben Laden. Les ministres affirment aussi que la preuve produite par le demandeur à propos de son rôle dans le djihad n'est pas crédible parce qu'il n'a pas révélé aux autorités son rôle d'imam lorsqu'il a revendiqué le statut de réfugié, parce qu'il a financé ses propres voyages en Afghanistan et parce qu'il n'a pu se rappeler les noms d'autres camps situés à Jalalabad.

[113]C'est toutefois le contenu de la preuve secrète qui me conduit à dire que le demandeur n'est pas crédible à propos de son rôle présumé dans le djihad. J'ai scrupuleusement examiné la preuve secrète concernant cet aspect, pour voir si elle est utile, si elle est digne de foi et si elle est ou non confirmée. J'arrive à la conclusion, selon la prépondérance des probabilités, et eu égard à l'ensemble de la preuve, que les affirmations du demandeur relatives à son rôle dans le djihad ne sont pas crédibles. J'accepte les affirmations des ministres concernant le rôle du demandeur dans le djihad.

iii) liens du demandeur avec les Afghans arabes

1.     Ibn Khattab

[114]Ibn Khattab était un associé d'Oussama ben Laden, formé au maniement des armes de longue portée, et c'est à lui qu'ont été imputés les attentats à la bombe survenus en Russie en 1999, qui ont entraîné la mort de centaines de civils. Le demandeur a reconnu qu'il avait servi sous les ordres de Khattab en Afghanistan et qu'il avait séjourné chez lui. Alors qu'il était en Afghanistan, le demandeur aurait participé à deux missions de reconnaissance avec Khattab.

[115]Le demandeur dit que les présumées actions violentes de Khattab sont postérieures à ses rapports avec lui. Il affirme qu'il n'a pas poursuivi sa relation avec Khattab après son arrivée au Canada et qu'il ne l'a pas soutenu financièrement. Il affirme aussi qu'il n'est pas établi qu'Oussama ben Laden et Khattab travaillaient ensemble.    

2.     Nabil Al Marabh

[116]Al Marabh a semble-t-il participé au djihad, il a obtenu un faux passeport canadien et il a été détenu pour avoir enfreint les lois sur l'immigration. Les ministres affirment que le témoignage du demandeur concernant la nature de ses liens avec Al Marabh n'est pas crédible. Ils soutiennent que, contrairement à ce qu'affirme le demandeur, qui dit qu'Al Marabh n'était pas un ami intime, le demandeur l'a néanmoins aidé à obtenir un faux passeport canadien, il a consenti à l'oncle d'Al Marabh, Ahmed Shehab, un prêt devant servir de garantie pour la mise en liberté d'Al Marabh par Citoyenneté et Immigration, et il a visité Al Marabh quand celui-ci était en détention. Les ministres disent aussi qu'il est invraisemblable que le demandeur n'ait pas reconnu Al Marabh lors de leur première rencontre au Canada, à l'imprimerie de Toronto, puisqu'ils avaient séjourné dans la même pension et s'étaient connus en Afghanistan.

[117]Le demandeur dit qu'Al Marabh n'est pas un ami intime et que l'aide qu'il lui a apportée doit être comprise dans le contexte culturel qui lui est propre. Tous deux étaient des Syriens, et donc membres d'une petite communauté au Canada. Le demandeur soutient qu'il est fautif de considérer comme invraisemblable que, dans ces conditions, l'un d'eux visite l'autre en prison et s'offre à déposer un cautionnement pour sa mise en liberté. S'agissant du faux passeport qu'il a procuré à Al Marabh, le demandeur soutient que cela ne veut pas dire qu'il était un ami intime ou qu'il obtiendrait un passeport pour un terroriste s'il était mis en liberté. Finalement, le demandeur prétend qu'il n'est pas établi que des accusations de terrorisme ont été déposées contre Al Marabh, ajoutant que, Al Marabh fût-il un terroriste, cela ne veut pas dire que le demandeur le savait ou qu'il l'avait aidé pour cette raison.

3.     Hoshem Al Taha

[118]Le demandeur affirme ne pas connaître Al Taha, même si, alors qu'il se trouvait en Arabie saoudite, il avait indiqué le nom d'Al Taha dans sa demande de visa. Le demandeur a témoigné que le nom lui avait été donné par un ami qui l'avait aidé à remplir la demande et qu'il (le demandeur) avait téléphoné à Al Taha depuis son téléphone cellulaire à l'ambassade du Canada à Riyad afin d'obtenir son adresse pour l'indiquer dans la demande. Le demandeur affirme qu'il n'y a rien d'invraisemblable dans le fait qu'Al Taha, une personne qu'il ne connaissait pas, le laisse utiliser son nom aux fins d'obtenir un visa, à plus forte raison quand quelqu'un de la même communauté «arabe» cherche à fuir vers un lieu sûr. Le demandeur soutient aussi que le dossier public ne donne nullement à penser qu'Al Taha est un terroriste.

[119]Les ministres soutiennent que le témoignage du demandeur concernant Hoshem Al Taha n'est pas crédible. Ils ne croient pas que, alors que le demandeur et l'ami qui l'a aidé à préparer sa demande de visa n'étaient pas des amis d'Al Taha, ils aient pu le contacter et lui parler.

4.     Ahmed Al Kaysee

[120]Le demandeur a témoigné qu'Al Kaysee était un bon ami à lui qui était allé le chercher à l'aéroport à son arrivée au Canada. Le demandeur a reconnu qu'Al Kaysee avait été en Afghanistan, mais il soutient que le dossier public ne laisse nulle part entendre qu'Al Kaysee a été accusé ou détenu en rapport avec le terrorisme.

[121]Une preuve secrète a été produite en ce qui concerne Ibn Khattab, Nabil Al Marabh, Hoshem Al Taha et Ahmed Al Kaysee et en ce qui concerne leurs prétendus liens et/ou contacts avec le demandeur. J'ai scrupuleusement examiné la preuve secrète pour savoir si elle est utile, si elle est digne de foi et si elle est ou non confirmée. Après examen de l'ensemble de la preuve, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les affirmations du demandeur concernant sa relation avec Ibn Khattab et Nabil Al Marabh ne sont pas crédibles. Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, que le témoignage du demandeur concernant sa relation et son association avec Al Taha et Al Kaysee n'est pas vraisemblable.

iv) soutien à Oussama ben Laden

[122]Le demandeur a témoigné qu'il ne souscrivait pas aux appels d'Oussama ben Laden à la violence ni aux événements du 11 septembre 2001. Il a aussi dit dans son témoignage qu'il ne croyait pas que ben Laden fût responsable des événements du 11 septembre 2001, mais il affirme que lui-même ne devrait pas de ce seul fait être considéré comme un danger pour la sécurité nationale. Le demandeur affirme qu'il n'est pas établi, dans la preuve publique, qu'il soutient les idéaux extrémistes embrassés par Oussama ben Laden.

[123]Les ministres affirment que le demandeur n'est pas crédible lorsqu'il dit qu'il n'appuie pas ben Laden. D'abord, ils soutiennent qu'un juge désigné est arrivé à la conclusion définitive que le demandeur soutient les idéaux extrémistes embrassés par Oussama ben Laden. Deuxièmement, leur affirmation est, disent-ils, confirmée par un recueil d'images qui se trouvaient dans l'ordinateur du demandeur, images où l'on peut voir ben Laden, le djihad et certaines armes. Le demandeur soutient que les images qui ont été saisies dans son ordinateur ne prouvent rien, si ce n'est qu'il s'intéressait aux nouvelles et aux événements propres à cette partie du monde. Selon le témoignage de Matthew Behrens, qui a accédé à l'ordinateur du demandeur, le demandeur avait sollicité sur l'Internet beaucoup d'autres sites que ceux qui ont été produits comme preuve par les ministres. Nombre de ces sites étaient sans rapport avec le terrorisme, le djihad ou Oussama ben Laden.

[124]Une preuve secrète a été produite concernant le soutien du demandeur à Oussama ben Laden. J'ai scrupuleusement examiné la preuve secrète pour voir si elle est utile, si elle est digne de foi et si elle est ou non confirmée. Après examen, et compte tenu de l'ensemble de la preuve, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les affirmations du demandeur concernant l'absence d'un soutien de sa part à Oussama ben Laden ne sont pas crédibles. Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, et eu égard à la fois à la preuve publique et à la preuve secrète, que le demandeur soutient les idéaux extrémistes embrassés par Oussama ben Laden.

v) comportement clandestin

[125]Selon les ministres, le demandeur tient à se montrer discret et emploie des méthodes clandestines pour dissimuler ses actes aux responsables de l'applica-tion des lois et aux responsables du renseignement. Le demandeur soutient que sa prudence peut s'expliquer. Il affirme que des circonstances particulières justifient son comportement: il est l'objet d'une enquête du SCRS; la communauté musulmane se méfie du SCRS; et depuis le 11 septembre 2001, les Musulmans semblent pris pour cible. Le demandeur soutient que tous ces facteurs expliquent et justifient son comportement.

[126]Une preuve secrète a été produite concernant le comportement clandestin du demandeur. J'ai scrupuleu-sement examiné la preuve secrète pour savoir si elle est utile, si elle est digne de foi et si elle est ou non confirmée. Cela étant fait, et eu égard à l'ensemble de la preuve, je conclus, selon la prépondérance des probabi-lités, que les affirmations du demandeur concernant son «comportement clandestin» ne sont ni fondées ni crédibles. Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, et eu égard à la preuve publique comme à la preuve secrète, que le demandeur emploie des méthodes clandestines.

[127]J'ai examiné avec attention l'ensemble des observations de l'avocate du demandeur. Selon moi, la Cour a devant elle, dans les résumés publics et dans les rapports secrets en matière de sécurité, une preuve abondante qui permet de croire objectivement que la mise en liberté du demandeur constituerait un danger pour la sécurité nationale. La preuve produite par le demandeur ne suffit pas à neutraliser la preuve qui permet de croire objectivement que la mise en liberté du demandeur constituerait un danger.

[128]Je me suis également demandé si des conditions de mise en liberté seraient susceptibles de contrebalancer cette menace. L'avocate du demandeur voudrait que je mette en liberté son client en imposant des conditions semblables à celles qu'avait imposées la Cour dans l'arrêt Suresh. Les conditions proposées sont les suivantes:

1. Des personnes telles que Diana Ralph, Matthew Behrens et Aly Hindy déposent auprès du ministre défendeur des sommes que fixera la Cour, sommes qui resteront entre les mains du défendeur, au nom du gouvernement du Canada, jusqu'à ce que le gouvernement du Canada renvoie le demandeur du Canada, et les sommes en question, avec les intérêts, seront alors retournées à la personne ou aux personnes qui les auront déposées.

2. Le demandeur, une fois mis en liberté, se présentera une fois par semaine au Centre d'immigration, 6900 chemin de l'Aéroport, ou à tout moment et à tout endroit que lui indiquera un fonctionnaire de l'immigration, au jour et à l'heure que précisera un représentant du défendeur.

3. Le demandeur séjournera au domicile de Diana Ralph, [. . .] à Toronto.

4. Pour le cas où Mme Ralph, quelle qu'en soit la raison, changerait d'adresse, le demandeur devra informer CIC au préalable et obtenir l'autorisation du défendeur de changer de domicile.

5. Le demandeur, durant sa mise en liberté, ne troublera pas l'ordre public et devra bien se comporter.

6. Le demandeur restera dans un rayon de 50 kilomètres des limites de la ville de Toronto et ne pourra sortir de cette région sans l'autorisation de CIC.

7. Le demandeur n'aura aucun contact direct ou indirect avec des personnes qu'il sait avoir été mêlées à une organisation islamique extrémiste ni avec des personnes soupçonnées de l'être.

8. Le demandeur ne participera, directement ou indirectement, à aucune activité liée au soutien de l'extrémisme islamique, notamment protestations, manifestations ou rassemblements.

9. Le demandeur remettra aux autorités canadiennes de l'immigration son passeport et tous autres documents de voyage tant qu'il sera en liberté (s'il est en possession de tels documents).

10. Le demandeur s'engage par écrit à se conformer aux conditions ci-dessus tant qu'il sera en liberté, après quoi il sera mis en liberté.

[129]J'ai trouvé que le témoignage du demandeur devant la Cour n'était pas crédible. Je suis également arrivé aux conclusions suivantes en ce qui le concerne: 1) il a recouru à des méthodes clandestines; 2) il soutient les idéaux extrémistes embrassés par Oussama ben Laden; 3) il n'est pas crédible en ce qui concerne ses liens avec les Afghans arabes; 4) il n'est pas crédible en ce qui concerne son rôle dans le djihad; et 5) il a été mêlé à un réseau de faussaires ayant des liens internationaux qui produit de faux documents.

[130]Je suis d'avis que, si le demandeur devait être mis en liberté, il est tout à fait probable qu'il reprendra ses activités et rétablira le contact avec ses comparses du réseau de faussaires et avec les Afghans arabes liés au réseau d'Oussama ben Laden. Eu égard à la nature de la menace qu'il représente, je ne suis pas persuadé par le demandeur que les conditions proposées, ou des conditions similaires, garantiraient que sa mise en liberté ne posera aucun danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui.

[131]J'ai aussi examiné les témoignages des cautions proposées. La plupart d'entre elles ne connaissent pas le demandeur depuis très longtemps, et toutes n'ont d'ailleurs fait sa connaissance que depuis son incarcération. Je n'ai aucune raison de mettre en doute leur honnêteté et leur intégrité en tant que citoyens respectueux des lois. Malgré leur bonne volonté et leurs intentions louables, je n'ai pas été persuadé que le dépôt de cautionnements en espèces éliminerait le danger qu'entraînerait selon moi la mise en liberté du demandeur.

[132]Il s'ensuit que le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que sa mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui.

3.     Le maintien de la détention du demandeur équivaut-il à nier les droits qui sont reconnus au demandeur par les articles 7 et 12 de la Charte?

[133]Le paragraphe 57(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 54] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], et modifications, prévoit que les lois fédérales dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour fédérale ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins qu'un avis en ce sens n'ait été signifié au procureur général du Canada et à ceux des provinces. Le demandeur n'a pas déposé d'avis de question constitutionnelle. Il ne conteste donc pas la validité ou l'applicabilité d'une disposition de la Loi. Toutefois, dans ses observations sur le caractère déraisonnable de sa détention, le demandeur affirme «qu'il a été soumis à des traitements cruels et inusités et que le maintien de sa détention reviendrait à nier les droits qui lui sont reconnus par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Une détention de vingt-sept mois en régime cellulaire est un traitement cruel et inusité dans le contexte de la présente affaire». Selon le demandeur, la justification de sa détention doit reposer sur une norme objective, et un régime cellulaire qui n'est pas justifié par les circonstances peut constituer un traitement cruel et inusité. En l'espèce, le régime cellulaire ne serait pas justifié par une quelconque inconduite de la part du demandeur, mais doit être imputé à l'absence de dispositions adéquates pour les détenus de longue durée de la filière immigration. Le demandeur affirme aussi qu'il n'a pas été informé de la raison pour laquelle il a été mis en isolement durant sa première année de détention.

[134]Le demandeur est en régime cellulaire depuis octobre 2001, soit un total d'environ 28 mois. Il a été brièvement retiré du régime cellulaire en novembre 2002, conformément à une demande d'habeas corpus qui a été accueillie. Je crois comprendre que son retour en régime cellulaire cinq jours plus tard était la conséquence directe d'altercations avec d'autres détenus, et, selon le témoignage non contredit du demandeur, le régime cellulaire était nécessaire pour garantir sa sécurité personnelle au sein de cet établissement.

[135]Les articles 7 et 12 de la Charte sont ainsi formulés:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[ . . .]

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

[136]J'admets que la jurisprudence se rapportant à l'article 40.1 de l'ancienne Loi reste applicable aux dispositions de la LIPR, selon la décision rendue par la juge Dawson dans l'affaire Mahjoub. Je suis d'avis que les propos tenus par le juge Marceau dans l'arrêt Ahani (1996), qui sont reproduits au paragraphe 92 des présents motifs, ainsi que la conclusion du juge Marceau sur la constitutionnalité de l'article 40.1 de l'ancienne Loi, sont donc pertinents et sont ici applicables. Je suis aussi d'avis que la présente affaire contient des circonstances particulières qui permettent de dire que le maintien de la détention du demandeur n'est pas contraire aux articles 7 ou 12 de la Charte.

[137]Le maintien de la détention du demandeur est autorisé par une loi qui a été jugée valide sur le plan constitutionnel. Dans l'arrêt Ahani (1996), la Cour d'appel a confirmé la conclusion de Mme le juge McGillis selon laquelle l'article 40.1 de l'ancienne Loi ne contrevenait pas aux principes de justice fondamentale (décision Ahani (1995)). Dans un jugement récent, Jaballah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 299; [2004] A.C.F. no 420 (QL), le juge MacKay, se fondant sur l'arrêt Ahani (1996) de la Cour d'appel fédérale et sur la décision rendue par le juge Noël dans l'affaire Charkaoui (Re), 2003 CF 1419; [2003] A.C.F. no 1816 (QL), concluait que les paragraphes 82(2) et 84(2) étaient conformes aux principes de justice fondamentale dont parle l'article 7 de la Charte, et qu'une détention dans des conditions raisonnables n'équivaut pas à des traitements ou peines cruels et inusités au sens de l'article 12 de la Charte. Je souscris pleinement au raisonnement suivi dans ces précédents.

[138]La LIPR autorise le maintien en détention du demandeur jusqu'à ce que le juge désigné ordonne sa mise en liberté selon le paragraphe 84(2). Je suis d'avis que les facteurs suivants disposent du troisième et dernier argument soulevé par le demandeur. La détention du demandeur est une détention préventive, et non une détention punitive, et cela pour deux raisons. Comme il est indiqué dans l'arrêt Ahani (1996), le demandeur est détenu non à titre de sanction, mais à titre de «protection préventive du public canadien». Vu les circonstances particulières de la présente affaire, une détention en régime cellulaire n'aurait pas été nécessaire, du moins pour la deuxième partie de cette détention, n'eût été la nécessité de protéger le demandeur au sein de l'établissement. Dans son propre témoignage non contredit, le demandeur a dit qu'un régime cellulaire était nécessaire pour assurer sa propre protection. Finalement, c'est le demandeur qui, dans ces conditions, tient la clé de sa mise en liberté. Il lui est loisible en tout temps de mettre un terme à sa détention en consentant à quitter le pays. Le demandeur a décidé de contester son renvoi, et il a le droit de le faire. Cependant, tant qu'il reste au Canada, il est soumis aux dispositions de la LIPR, notamment à celles qui prévoient le maintien de sa détention.

[139]J'ai examiné les conditions particulières et la durée de la détention du demandeur en régime cellulaire. Eu égard aux circonstances, je suis d'avis qu'il est détenu dans des conditions raisonnables.

[140]Pour l'heure, il m'est impossible de dire que la détention du demandeur sera d'une durée indéfinie. Cela dépendra du résultat des procédures introduites devant la Cour et du résultat des futures procédures qui pourraient être introduites par le demandeur ou par les ministres.

[141]Par conséquent, eu égard aux circonstances de la présente affaire, je ne crois pas que le maintien du demandeur en détention, dans les conditions auxquelles il est actuellement détenu, équivaut à des traitements ou peines cruels et inusités. En conséquence, les droits que lui confèrent les articles 7 et 12 de la Charte ne lui sont pas déniés.

Conclusion

[142]Pour les motifs susmentionnés, je rejette la demande de mise en liberté présentée par le demandeur.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE:

1. La demande de mise en liberté présentée par le demandeur en application du paragraphe 84(2) de la LIPR est rejetée.

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