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IMM-923-03

2003 CF 1023

Rou Lan Xie (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Kelen--Vancouver, 21 août; Ottawa, 4 septembre 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de réfugiés -- Exclusion en vertu de la section Fb) de l'art. premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies -- Crime grave de droit commun -- La demanderesse, une ancienne fonctionnaire chinoise, affirme qu'elle sera persécutée pour avoir désobéi à ses supérieurs qui lui demandaient de délivrer de faux certificats de remboursement à l'exportation -- La Section de la protection des réfugiés de la CISR (la Section des réfugiés) n'a pas cru son histoire -- La demanderesse faisait l'objet d'un mandat d'arrêt d'Interpol pour avoir détourné 1 400 000 $CAN, une infraction punissable de la peine de mort en Chine -- La Section des réfugiés a déterminé que le détournement de fonds constitue un crime grave de droit commun -- Elle a exclu la demanderesse de la protection conformément à l'art. 98 de la LIPR -- Elle a aussi conclu que la demanderesse risquait d'être torturée si elle était renvoyée dans son pays -- Comme elle était exclue par la section Fb) de l'art. premier, la demanderesse ne pouvait pas être une personne à protéger au sens de l'art. 97(1)a) -- Norme de contrôle applicable -- Les conclusions de fait tirées par la Section des réfugiés n'étaient pas abusives -- La Section des réfugiés n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il existait des raisons sérieuses de penser que la demanderesse avait commis l'infraction alléguée -- L'approche adoptée par le juge Robertson dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) s'applique: un crime grave de droit commun est un crime punissable au Canada d'un emprisonnement d'au moins 10 ans -- Cette approche concorde avec la Loi sur l'extradition en ne faisant pas de distinction entre les crimes de violence et les crimes purement économiques -- Il faut que la section Fb) de l'art. premier et la Loi sur l'extradition soient compatibles -- La Cour a fait référence à des commentaires de spécialistes -- Il convient de tenir compte des circonstances pertinentes -- La Section des réfugiés n'a pas commis d'erreur en ne soupesant pas la gravité de l'infraction par rapport au risque que courrait la demanderesse si elle était renvoyée en Chine -- Les arrêts de la C.A.F. sont-ils conformes aux exigences de l'art. 7 de la Charte qui ont été établies par la C.S.C. dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)? -- La présente affaire, qui concerne l'admission d'une personne au Canada, est différente de l'affaire Suresh, qui portait sur le renvoi d'une personne du Canada -- Les pouvoirs d'un État de refuser l'entrée sont plus étendus que son pouvoir d'expulsion.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Vie, liberté et sécurité -- La Section de la protection des réfugiés de la CISR est-elle tenue, dans le cadre d'une analyse de la section Fb) de l'art. premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, de soupeser la gravité de l'infraction commise par le demandeur d'asile par rapport au risque que celui-ci soit torturé s'il est renvoyé? -- La C.A.F. a répondu par la négative à cette question dans différents arrêts -- On a prétendu que les arrêts étaient contraires aux exigences de l'art. 7 de la Charte qui ont été établies par la C.S.C dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) -- La C.S.C. a statué qu'une personne ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque d'être torturée que dans des circonstances exceptionnelles -- La présente affaire, qui concerne l'admission d'une personne au Canada, est différente de l'affaire Suresh, qui portait sur le renvoi d'une personne du Canada -- La décision de refuser l'admission n'est pas contraire à l'art. 7 de la Charte -- La pondération exigée par l'art. 7 serait effectuée dans le cadre de l'examen des risques avant renvoi prévu par la LIPR -- La Cour ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si la justice fondamentale visée à l'art. 7 est assurée par les mesures de protection prévues par la loi.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section des réfugiés de rejeter la demande d'asile fondée sur les opinions politiques et l'appartenance à un groupe social présentée par une citoyenne chinoise divorcée. Le travail de la demanderesse en Chine consistait notamment à approuver les remboursements de la taxe sur la valeur ajoutée. La demanderesse soutenait avoir souvent désobéi à ses supérieurs qui lui demandaient de délivrer de faux certificats de remboursement à l'exportation. Lorsqu'elle a entendu son supérieur comploter de la piéger, elle s'est enfuie à Hong Kong. Après avoir obtenu un visa de visiteur pour le Venezuela, elle s'est rendue dans ce pays en passant par la Thaïlande. Elle a alors appris que son bureau en Chine avait été fouillé et qu'un carnet de notes lui appartenant et contenant des renseignements sur les demandes illégales faites par ses supérieurs ainsi que des critiques des réformes économiques entreprises par la Chine avait été saisi. Après avoir passé environ un an et demi au Venezuela, elle est venue au Canada en utilisant un faux passeport.

Le ministre faisait valoir que la demanderesse n'avait pas droit à la protection du Canada car elle était visée à la section Fb) de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies (commission d'un crime grave de droit commun) parce qu'elle était une fugitive recherchée pour détournement de fonds suivant la loi criminelle chinoise et qu'elle faisait l'objet d'un mandat d'arrêt lancé par Interpol. En Chine, les fonctionnaires qui se sont rendus coupables de corruption sont passibles, en particulier dans les cas graves, de la peine de mort.

Une lettre adressée par le ministre de la Sécurité publique de la Chine à l'ambassade canadienne à Beijing a été présentée à la Section des réfugiés. Cette lettre révélait que le gouvernement canadien avait informé le gouvernement chinois, le prétendu agent de persécution de la demanderesse, de la demande d'asile de celle-ci. Le représentant du ministre a reconnu que cela n'aurait pas dû se produire. Le tribunal a néanmoins considéré que la demanderesse n'était pas crédible et qu'elle était exclue par la section Fb) de l'article premier. Il n'a pas cru qu'elle avait été piégée. Le tribunal s'est appuyé sur le mandat d'arrêt et a pris note de la fortune inexplicable de la demanderesse. Il n'a pas cru la demanderesse lorsqu'elle prétendait que les 1 800 000 $CAN qu'elle possédait représen-taient sa part du revenu de placement qu'elle avait gagné avec son ex-mari.

La Section des réfugiés a ensuite déterminé que le détournement de fonds constitue un crime grave de droit commun. Elle a conclu qu'un crime économique commis sans violence pouvait constituer un motif d'exclusion suivant la section Fb) de l'article premier. La demanderesse a donc été exclue en conformité avec l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

Le tribunal a tout de même ajouté que la demanderesse risquait d'être torturée si elle était renvoyée en Chine et que ce risque n'était pas inhérent à l'application d'une sanction légitime. Comme elle était exclue par la section Fb) de l'article premier, la demanderesse ne pouvait pas être une personne à protéger au sens de l'alinéa 97(1)a) (risque de torture dans le pays de renvoi).

Comme les autorités chinoises avaient été mises au courant de sa demande d'asile, la demanderesse a obtenu un ordonnance de confidentialité et une ordonnance portant que l'audience se déroule à huis clos.

La demanderesse soulevait quatre questions: 1) La conclusion relative à l'absence de crédibilité était-elle manifestement déraisonnable? 2) La Section des réfugiés disposait-elle d'éléments de preuve suffisants de la commission d'un «crime grave»? 3) Un «crime économique» commis sans violence est-il visé à la section Fb) de l'article premier? 4) La Section des réfugiés a-t-elle commis une erreur en ne soupesant pas la «gravité du crime» par rapport au risque que la demanderesse courrait si elle était renvoyée en Chine?

Jugement: la demande doit être rejetée.

La norme de contrôle applicable aux affaires relatives à la section Fb) de l'article premier a été analysée par le juge Décary, J.C.A., dans Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration): la norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique aux conclusions de fait et celle de la décision correcte s'applique aux questions de droit. La question de savoir s'il existait des raisons sérieuses de penser que la demanderesse avait détourné des fonds exigeait l'application du droit aux faits. Il s'agissait d'une question à la fois de droit et de fait qui devait être évaluée en fonction de la norme de la décision raisonnable simpliciter.

1) Le récit de la demanderesse était incroyablement complexe; la section des réfugiés a relevé de nombreuses invraisemblances et contradictions. À l'audience, la demanderesse n'a pas démontré que la décision contestée avait été rendue de façon abusive ou arbitraire. Ce n'était évidemment pas le rôle de la Cour d'apprécier de nouveau la preuve qui avait été produite devant la Section des réfugiés.

2) La norme de preuve applicable à la commission d'un «crime grave» exige quelque chose de plus qu'une simple suspicion ou conjecture, mais moins qu'une preuve selon la prépondérance des probabilités. Le tribunal n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il existait des raisons sérieuses de penser que la demanderesse avait commis l'infraction décrite dans le mandat d'Interpol.

3) La demanderesse faisait valoir que l'asile ne devrait pas être refusé à cause d'un crime purement économique commis sans violence. La corruption est un crime capital en Chine, mais pas au Canada, et il serait contraire à l'approche générale adoptée dans la LIPR que de se servir uniquement de la peine infligée dans le pays d'origine d'un demandeur d'asile pour déterminer si ce dernier est exclu en vertu de la section Fb) de l'article premier. La définition figurant dans le Guide du HCR n'était pas très utile. En outre, la jurisprudence de la Cour ne réglait pas définitivement la question. Dans Chan, le juge Robertson, J.C.A., a supposé, sans toutefois trancher la question, qu'un crime grave de droit commun était un crime qui, s'il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l'imposition d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à 10 ans. Cette approche logique devrait être adoptée en l'espèce. Elle était compatible avec la définition de «grande criminalité» contenue au paragraphe 36(1) de la LIPR, lequel témoigne du désir du Parlement d'exclure du Canada les personnes qui ont commis un crime punissable au Canada d'un emprisonnement d'au moins dix ans, même un crime commis sans violence. En outre, l'approche du juge Robertson concordait avec le principe énoncé au paragraphe 3(1) de la Loi sur l'extradition, lequel ne fait pas de distinction entre les crimes de violence et les crimes purement économiques. Il était important que la section Fb) de l'article premier et la Loi sur l'extradition soient compatibles parce que, comme le juge Bastarache l'a écrit dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), la section Fb) a pour but d'empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d'extradition en vertu d'un traité puissent revendiquer le statut de réfugié.

Pour ce qui est des commentaires des spécialistes sur le sujet, Lorne Waldman, dans son analyse de la section Fc) de l'article premier dans The Definition of Convention Refugee, ne fait pas de distinction entre les crimes de violence et les crimes purement économiques. James Hathaway a adopté la même position dans The Law of Refugee Status et, selon Guy Goodwin-Gill, les crimes purement économiques (comme le détournement de fonds) peuvent constituer des crimes graves si la valeur du bien en cause est élevée.

L'approche adoptée par le juge Robertson, J.C.A., n'empêchait pas un examen de toutes les circonstances pertinentes. Les spécialistes et le paragraphe 157 du Guide du HCR exigeaient d'ailleurs qu'un tel examen soit effectué.

L'infraction en l'espèce--une fraude de plus de 5 000 $--est punissable d'un emprisonnement maximal de 10 ans. Cette infraction, qui peut entraîner l'extradition, satisfaisait donc au critère établi dans Chan. En outre, les circonstances n'empêchaient pas l'application de la clause d'exclusion à la demanderesse en l'espèce. La valeur de la fraude n'était pas près de la limite de 5 000 $, de sorte qu'il était peu probable que les parties puissent s'entendre sur un plaidoyer de culpabilité relatif à une fraude de moins de 5 000 $. La demanderesse est accusée d'avoir détourné 1 400 000 $CAN alors qu'elle occupait un poste de confiance dans la fonction publique.

4) La Cour d'appel fédérale a rejeté l'idée que l'analyse de la section Fb) de l'article premier devait comprendre une pondération. Le juge Hugessen, J.C.A., a écrit, dans Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), que «[n]otre pays est apparemment disposé à extrader des criminels qui risquent la peine de mort [. . .] et je ne vois aucune raison [. . .] pour laquelle nous devrions adopter une attitude différente à l'égard d'un demandeur du statut de réfugié». La Cour d'appel a confirmé cette position dans Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). La demanderesse prétendait cependant que la question devait être réexaminée à la lumière des arrêts rendus par la Cour suprême dans Pushpanathan et dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). Elle a laissé entendre que l'interprétation donnée à la section Fb) de l'article premier dans Gil ne respectait pas les exigences de l'article 7 de la Charte qui ont été établies dans Suresh. Elle prétendait en outre qu'une distinction pouvait être faite avec les affaires Gil et Malouf parce qu'il n'y était pas question d'un crime purement économique. La Cour suprême a co nclu, au paragraphe 75 de Suresh, que «l'interprétation qui s'impose est que le droit international rejette les expulsions impliquant un risque de torture. Il s'agit de la norme qui nous éclaire le plus sur le contenu des principes de justice fondamentale garantis à l'article 7 de la Charte». La Cour a ajouté qu'une expulsion impliquant un risque de torture ne saurait être justifiée que dans des «circonstances exceptionnelles».

Une distinction peut cependant être établie avec Suresh car cette affaire portait sur le renvoi d'une personne du Canada alors que la présente affaire concernait l'admission d'une personne au Canada. La Section des réfugiés devait décider si la demanderesse avait les qualités requises pour être admise au Canada à titre de réfugiée au sens de la Convention ou de «personne à protéger». Même la Cour suprême a reconnu, au paragraphe 102 de l'arrêt Suresh, que les pouvoirs de l'État de refuser l'entrée sont plus étendus que son pouvoir d'expulsion.

Il ne serait pas contraire à l'article 7 de la Charte d'empêcher la demanderesse d'entrer au Canada parce qu'elle risque d'être torturée dans son pays d'origine. La demanderesse a toujours le droit de demander un examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu de la LIPR, et la pondération exigée par l'article 7 de la Charte serait effectuée dans le cadre de cet examen. Si l'on avait jugé que le risque de torture l'emportait sur la gravité de l'infraction, il aurait été sursis à toute mesure de renvoi vers la Chine prise contre la demanderesse en vertu du paragraphe 114(1). La Cour ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si la justice fondamentale visée à l'article 7 de la Charte est assurée par ces mesures de protection prévues par la loi. Il est inutile que la Section des réfugiés effectue le même exercice de pondération dans le cadre de son analyse de la section Fb) de l'article premier.

Deux questions ont été certifiées à des fins d'examen par la Cour d'appel fédérale: 1) Un demandeur d'asile peut-il être privé de protection en vertu de la section Fb) de l'article premier de la Convention parce qu'il a commis une infraction purement économique? 2) Compte tenu de l'arrêt Suresh, la Section des réfugiés est-elle tenue de soupeser l'infraction commise par rapport au risque que le demandeur soit torturé s'il est renvoyé?

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 380(1)a) (mod. par L.C. 1994, ch. 44, art. 25; 1997, ch. 18, art. 26).

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fb), 33.

Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18, art. 3(1).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36(1), 97, 98, 112(1),(3), 113d), 114(1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 390; (2000), 190 D.L.R. (4th) 128; 10 Imm. L.R. (3d) 167; 260 N.R. 376 (C.A.); Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 27 Imm. L.R. (3d) 1; 302 N.R. 178 (C.A.F.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 C.F. 761; (2003), 229 D.L.R. (4th) 235; 307 N.R. 201 (C.A.); Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508; (1994), 119 D.L.R. (4th) 497; 25 Imm. L.R. (2d) 209; 174 N.R. 292 (C.A.); Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 190 N.R. 230 (C.A.F.).

distinction faite d'avec:

Brzezinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 525; (1998), 148 F.T.R. 296 (1re inst.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 159; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1.

décisions citées:

Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 230 F.T.R. 24 (C.F. 1re inst.); Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192; 219 N.R. 376 (C.A.F.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433; (1993), 163 N.R. 197 (C.A.).

doctrine

Goodwin-Gill, Guy S. The Refugee in International Law, 2nd ed. Oxford: Clarendon Press, 1996.

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status. Toronto: Butterworths, 1991.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, réédition janvier 1992.

Waldman, Lorne. The Definition of Convention Refugee. Toronto: Butterworths, 2001.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la CISR de rejeter la demande d'asile présentée par la demanderesse en vertu de l'article 98 de la LIPR au motif que cette dernière avait commis un crime économique sans violence qui justifiait son exclusion en vertu de la section Fb) de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies. Demande rejetée.

ont comparu:

Darryl W. Larson pour la demanderesse.

Banafsheh Sokhansanj pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Embarkation Law Group, Vancouver, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Kelen: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section des réfugiés) de rejeter, en date du 17 janvier 2003 [Z.O.M. (Re) , [2003] D.S.P.R. no 58 (QL)], la demande d'asile présentée par la demanderesse. La Section des réfugiés a statué:

1. que la demande d'asile de la demanderesse n'était pas crédible;

2. que, de toutes façons, la demanderesse ne pouvait pas demander l'asile puisqu'elle était exclue par la section Fb) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention);

3. que la demanderesse ne pouvait pas non plus être admise au Canada en tant que «personne à protéger» puisqu'elle était exclue par la section Fb) de l'article premier.

LES FAITS

1.     Demande d'asile

[2]La demanderesse, une citoyenne de Chine, a demandé l'asile à cause de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social. Elle est divorcée et a une fille, qui habite au Canada. Titulaire d'un diplôme de comptabilité, elle est devenue l'un des deux chefs adjoints de la division de la planification et des finances de la Commission des relations économiques et du commerce extérieurs de Guangzhou (la CRECE) en mars 1996. À ce titre, la demanderesse était responsable de l'examen et de l'approbation des remboursements de la taxe sur la valeur ajoutée aux c ompagnies qui exportaient des marchandises de Guangzhou. Elle soutient qu'elle a souvent désobéi à ses supérieurs qui lui demandaient de délivrer de faux certificats de remboursement à l'exportation. Elle a aussi refusé de rédiger et d'approuver des rappor ts qui accusaient faussement des individus de mauvaise gestion financière, d'insubordi-nation, de corruption et de détournement de fonds.

[3]En juillet 1999, trois enquêteurs du bureau du procureur ont entrepris une vérification des registre s comptables de la CRECE. Ils ont interrogé la demanderesse au sujet d'anomalies relevées dans deux dépôts à terme. Un autre membre du personnel a conseillé à la demanderesse d'être prudente parce qu'il avait l'impression que le bureau du procureur essayai t de monter un coup contre elle. Le 28 juillet 1999, la demanderesse a entendu son supérieur immédiat comploter de la piéger. Elle s'est alors enfuie à Shen Zhen, avant d'aller à Hong Kong. Comme elle avait obtenu un visa de visiteur pour la Thaïlande le 2 5 juin 1999 afin de rendre visite à un parent habitant dans ce pays, elle a décidé de s'y rendre. Avant de quitter Hong Kong le 2 août 1999, elle a obtenu un visa de visiteur pour le Venezuela. Elle a aussi présenté une demande de visa de visiteur pour le Canada, mais, au lieu de se présenter à l'entrevue qui devait avoir lieu au consulat canadien dans l'après-midi du 2 août, elle a préféré retirer sa demande. Des documents produits par le bureau des visas canadien de Hong Kong indiquent que la demanderesse [traduction] «a retiré sa demande aujourd'hui parce qu'elle devait quitter le pays pour la Thaïlande aujourd'hui à 16 h 30».

[4]Le 6 août 1999, la demanderesse a quitté la Thaïlande pour le Venezuela, où elle a communiqué avec un ami au ser vice de la CRECE. Elle a appris que son bureau à la CRECE avait été fouillé et qu'un carnet de notes lui appartenant avait été saisi. La demanderesse soutient que ce carnet contient des renseignements au sujet des demandes illégales faites par ses supérieu rs à la CRECE ainsi que des critiques des réformes économiques entreprises par la Chine, de ses politiques commerciales et de ses rapports avec l'Organisation mondiale du commerce. Selon la demanderesse, le contenu du carnet de notes mettrait le gouverneme nt chinois dans l'embarras s'il était rendu public. La demanderesse est demeurée au Venezuela jusqu'en mars 2001. Elle est alors venue au Canada en utilisant un faux passeport. Elle a décidé de venir au Canada à cause des rumeurs qui circulaient selon lesq uelles le ministère de la Sécurité chinois avait demandé à des gangs chinois locaux de l'arrêter. Un passeur de clandestins lui a procuré un faux passeport et elle a laissé le sien au Venezuela. Elle a demandé l'asile à son arrivée au Canada. Sa demande a été entendue par un tribunal de la Section des réfugiés formé d'un seul commissaire le 5 juillet et le 14 août 2002.

2.     Thèse du ministre

[5]À l'audience, un représentant du ministre a fait valoir que la demanderesse n'avait pas droit à la protection du Canada puisqu'elle était visée à la section Fb ) de l'article premier de la Convention. Cette disposition prévoit:

Article premier

Définition du Terme «Réfugié»

[. . .]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

[. . .]

b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

[6]Le défendeur s'appuyait sur un mandat d'arrêt lancé contre la demanderesse par Interpol le 29 août 2000. Le mandat indique que la demanderesse est une fugitive recherchée pour avoir détourné plus de 7 000 000 yuan (environ 1 400 000 $CAN) entre juin 1997 et janvier 1999. Il précise également que la demand eresse a été accusée en vertu de l'article 382 du Code criminel chinois et que l'infraction en question est passible de l'emprisonnement à perpétuité. Les articles 382 et 383 du Code criminel chinois ont été traduits de la manière suivante dans la décision du tribunal:

[traduction]

Article 382. Les fonctionnaires qui profitent de leur poste pour commettre des malversations, des vols, des fraudes ou utiliser d'autres moyens illégaux pour acquérir la propriété de l'État se rendent coupables de corruption.

Les personnes chargées par des organismes d'État, des sociétés d'État, des entreprises d'État, des projets d'État et des organisations de masse d'administrer et d'exploiter des propriétés d'État, mais qui profitent de leur poste pour commettre des malversations, des vols, des fraudes ou utiliser d'autres moyens illégaux pour acquérir des propriétés d'État se rendent également coupables de corruption.

Les personnes qui collaborent avec des fonctionnaires énumérés dan s les deux paragraphes ci-dessus et se rendent complices du délit sont considérées comme ayant commis conjointement le délit.

Article 383. [. . .]

(1) Les personnes qui se sont rendues coupables de corruption impliquant des montants supérieurs à 100 000 yuan sont passibles d'une peine de 10 ans de prison ferme au minimum ou d'emprisonnement à perpétuité et peuvent, en outre, se faire confisquer leur propriété. Dans des cas particulièrement graves, les coupables peuvent être condamnés à mort et, en outre, se faire confisquer leur propriété.

[7]Une lettre adressée par le ministre de la Sécurité publique de la Chine à l'ambassade canadienne à Beijing, le 30 avril 2001, a aussi été produite en preuve. Cette lettre, qui décrit les accusations por tées contre la demanderesse, se lit en partie comme suit:

[traduction] Le 23 avril, l'Agence de la sécurité publique de la province de Guangdong de notre pays a reçu une note de votre consul à Guangzhou déclarant qu'une Chinoise du nom de XIE Ruo Lan étai t en train de présenter une demande d'asile au Canada; cependant, cette personne ne possédait pas de papiers d'identité valides et le consulat a demandé de vérifier si Mme XIE faisait l'objet d'allégations d'infraction(s) criminelle(s) en Chine [. . .]

Le 30 mai 2000, le procureur du peuple à Guangzhou a approuvé l'arrestation de XIE Ruo Lan pour des présomptions de corruption. Le 29 août 2000, à la demande du Bureau central national chinois de l'Organisation internationale de police criminelle de notre pa ys, l'administration centrale de l'Organisation a émis un «mandat d'arrêt rouge» no 2000/39532 contre XIE Ruo Lan (copie du mandat d'arrêt ci-joint).

[8]Il ressort clairement de cette lettre que le gouvernement canadien a informé le gouverne ment chinois, le prétendu agent de persécution de la demanderesse, de la demande d'asile de celle-ci. Au paragraphe 71 de sa décision, la Section des réfugiés a fait remarquer que cela «n'aurait pas dû se produire» et que le représentant du ministre «s'es t efforcé lors de l'audience d'expliquer que cela n'aurait pas dû se produire».

3.     Décision de la Section des réfugiés

[9]La Section des réfugiés a rejeté la demande d'asile de la demanderesse au motif que celle-ci n'était pas crédible et qu'elle n'avait pas droit à la protection du Canada puisqu'elle était exclue par la section Fb ) de l'article premier. Le tribunal n'a pas cru que la demanderesse avait été piégée par ses supérieurs pour avoir refusé d'exécuter des ordres illégaux. Il a rel evé de nombreuses invraisemblances, incohérences et contradictions dans la version des événements de la demanderesse et dans la preuve documentaire qui lui avait été présentée. Il a conclu, au paragraphe 80 de sa décision:

La demandeure [sic] n'a jamais e xposé qui que ce soit pour quoi que ce soit en Chine. Elle n'était pas une dénonciatrice. Il n'y avait aucun aspect politique public à ce qu'elle a fait.

[10]Après avoir attaqué la crédibilité de la demanderesse, la Section des réfugiés s'est penchée sur son exclusion par le ministre. Le tribunal a déterminé que la demanderesse n'était pas une «personne à protéger» au sens de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) (voir le paragraphe 14 ci-dessous) parce qu'il existait «des raisons sérieuses de penser» qu'elle avait commis un «crime grave de droit commun». Pour le tribunal, les raisons sérieuses étaient le mandat d'arrêt lancé par Inte rpol et la fortune inexplicable de la demanderesse. Le tribunal a considéré, après l'avoir examiné, que le mandat d'arrêt était crédible et digne de foi, malgré le fait qu'il indiquait que la peine maximale dont est passible un détournement de fonds est l'emprisonnement à perpétuité alors que la loi prévoit que cette infraction peut entraîner la peine de mort. Le tribunal a pris note des sommes d'argent considérables que la demanderesse et sa fille possédaient malgré leur faible revenu. La demanderesse a in diqué dans son témoignage qu'elle possède 9 000 000 yuan--ce qui représente environ 1 800 000 $CAN--et que sa fille, qui est caissière au Canada, possédait l'équivalent d'environ 900 000 $CAN dans un compte de banque à Hong Kong. Le tribunal [au paragraphe 8 6] n'a pas cru la demanderesse lorsqu'elle prétendait qu'il s'agissait de sa part du revenu de placement qu'elle avait gagné avec son ex-mari parce que «certains des documents fournis pour corroborer son histoire sont inconcluants ou ambigus». En outre, le tribunal a indiqué que les raisons pour lesquelles la demanderesse avait continué d'occuper un «poste relativement peu rémunéré où elle était régulièrement critiquée, humiliée et où on lui demandait d'agir de façon illégale» malgré sa fortune personnelle n'étaient pas claires.

[11]La Section des réfugiés a ensuite entrepris de déterminer si le détournement de fonds constitue un crime grave de droit commun. Elle a rappelé l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 390 (C.A.), où la Cour a statué, au paragraphe 9, qu'un crime grave de droit commun est assimilable à un crime pour lequel une peine maximale de 10 ans aurait pu être infligée s'il avait été commis au Canada. Le tribunal a aussi cité le par agraphe 155 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocol de 1967 relatifs au statut des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide du HCR), selon lequel un crime grave est «un meurtre ou une autre infraction que la loi punit d'une peine très grave». Se fondant sur ces sources, le tribunal [au paragraphe 91] a conclu que «l'alinéa 1Fb ) n'interdit pas d'invoquer des crimes économiques non violents graves comme motif d'exclusion».

[12]La Section des réfugiés a ensuite examiné les dispositions pertinentes du droit chinois et du droit canadien. Selon elle, l'article 382 du Code criminel chinois équivaut à l'alinéa 380(1)a ) [mod. par L.C. 1994, ch. 44, art. 25; 1997, ch. 18, art. 26] du Code criminel du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-46 qui se lit comme suit:

Fraude

380. (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur:

a) est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, si l'objet de l'infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l'objet de l'infraction dépasse cinq mille dollars;

[13]La Section des réfugiés a conclu que le détournement de fonds est assimilable à un crime grave de droit commun au Canada et en Chine co mpte tenu des peines sévères dont il est passible dans les deux pays. En conséquence, elle a exclu la demanderesse de la protection conformément à l'article 98 de la LIPR:

98. La personne visée aux sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[14]Même s'il n'était pas nécessaire de le faire vu qu'elle avait conclu à son exclusion, la Section des réfugiés a entrepris de déterminer si la demanderesse était visée à l'alinéa 97(1)a ) de la LIPR:

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle ava it sa résidence habituelle, exposée:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

[15]Après un examen des documents pertinents produits en preuve, le tribunal a conclu qu'il existait plus qu'une simple possibilité que la demanderesse, si elle était renvoyée en Chine, soit persécutée alors qu'elle serait incarcérée pendant l'enquête menant au dépôt d'accusations. Le trib unal a indiqué [au paragraphe 98]:

Après avoir examiné l'importante documentation présentée dans le cadre de cette demande, je suis d'avis qu'il existe plus qu'une simple possibilité que cette demandeure [sic ] risquerait d'être torturée pendant son incarcération lors de l'enquête menant à une mise en accusation.

En outre, le tribunal était d'avis qu'être torturé en tant que suspect criminel ne peut être considéré comme un risque inhérent à l'application d'une sanction légitime, de sorte que, si la demanderesse n'avait pas été exclue de la définition de personne à protége en raison de la secftion Fb) de l'article premier, elle serait visée à l'alinéa 97(1)a).

[16]La demanderesse craignait que le ministère de la Sécurité publique de la Chine, qui avait été mis au courant de sa demande d'asile par le gouvernement canadien, puisse avoir accès à son dossier et apprenne les détails de sa demande. Pour se protéger contre cette possibilité, elle a obtenu de la Cour une ordonnance de confidentialité visant son dossier et une ordonnance portant que l'audience se déroule à huis clos à Vancouver.

QUESTIONS EN LITIGE

[17]La demanderesse soulève les questions suivantes à l'audience devant la Cour:

1. La conclusion de la Section des réfugiés selon laquelle elle n'est pas crédible est-elle manifestement déraisonnable?

2. La Section des réfugiés a-t-elle commis une erreur de droit en considérant que le mandat lancé par Interpol et la lettre envoyée par le gouvernement chinois au gouvernement canadien décrivant le crime qui lui était reproché constituaient une preuve suffisante du fait qu'elle avait commis un «crime grave»?

3. La Section des réfugiés a-t-elle commis une erreur de droit en considérant qu'un «crime économique», commis sans violence, constitue un «crime grave de droit commun» aux fins de la section Fb) de l'article premier de la Convention?

4. La Section des réfugiés a-t-elle commis une erreur en l'excluant en vertu de la section Fb) de l'article premier de la Convention sans soupeser la «gravité du crime» par rapport à la nature du risque qu'elle courrait si elle était renvoyée en Chine?

ANALYSE

Norme de contrôle applicable

[18]La norme de contrôle applicable aux affaires concern ant la section Fb) de l'article premier a été analysée par le juge Décary dans Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 27 Imm. L.R. (3d) 1 (C.A.F.), au paragraphe 14:

Ces conclusions, dans la mesure où elles sont factuelles , ne peuvent être révisées que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Section du statut disposait (c'est l'alinéa 18.1(4)d ) de la Loi sur la Cour fédérale qui établit cette norme de contrôle, qu'en d'autres juridictions on définit par l'expression «manifestement déraisonnable»). Ces conclusions, dans la mesure où elles appliquent le droit aux faits de la cause, ne peuvent être révisées que si elles sont déraisonnables. Ces conclusions, dans la mesure où elles interprètent le sens de la clause d'exclusion, peuvent être révisées si elles sont erronées. (Sur la norme de contrôle: voir Shrestha c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2002 FCT 887, juge Lemieux, aux paragraphes 10, 11 et 12.)

[19]Comme dans l'affaire Harb , trois normes de contrôle différentes s'appliquent en l'espèce:

En premier lieu, la norme de la décision manifestement déraisonnable s'appliquera aux conclusions de fait du tribunal ainsi qu'à sa conclusion concernant la crédibilité.

En deuxième lieu, pour conclure qu'il existe des raisons sérieuses de penser que la demanderesse a détourné des fonds, la Section des réfugiés devait appliquer le droit aux faits de l'affaire. Il s'agit d'une question à la fois de droit et de fait qui sera évaluée en fonction de la norme de la décision raisonnable simpliciter: Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 230 F.T.R. 24 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12.

En troisième lieu, la norme de la décision correcte s'appliquera à la conclusion de la Section des réfugiés selon laquelle une infraction purement économique peut constituer un crime grave de droit commun, car l'interprétation des dispositions de la Convention est une question de droit: Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, aux paragraphes 42 à 50. De plus, la question de savoir si la Section des réfugiés devait soupeser l'infraction commise par la demanderesse par rapport à la possibilité qu'elle soit torturée pendant son incarcération en Chine est une question de droit à laquelle la norme de la décision correcte s'applique également.

Question no 1:     La conclusion de la Section des réfugiés selon laquelle la demande-resse n'est pas crédible est-elle manifestement déraisonnable?

[20]La demanderesse a indiqué dans son témoignage à l'audience qu'elle a été faussement accusée de détournement de fonds parce qu'elle a refusé d'obéir aux ordres illégaux de ses supérieurs. Le tribunal a rejeté cette explication parce qu'il avait des doutes au sujet de la crédibilité de ce témoignage. La demanderesse soutient que la conclusion de la Section des réfugiés relative à la crédibilité est erronée et que le tribunal s'est fondé à tort sur des éléments de preuve insuffisants pour conclure qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'elle avait détourné des fonds.

[21]Le récit de la demanderesse était incroyablement complexe et l'exposé circonstancié joint à son FRP compte 14 pages. Après avoir longuement analysé ce récit, la Section des réfugiés a relevé de nombreuses invraisemblances, incohérences et contradictions dans la version des faits de la demanderesse et dans les documents déposés en preuve devant elle. Dans les observations qu'elle a adressées à la Cour, la demanderesse a contesté la plupart des incohérences et des invraisemblances décelées par la Section des réfugiés. Or, elle ne fait que reprendre, dans ces observations, les e xplications qu'elle a données au cours de l'audience. La demanderesse n'a pas démontré que la Section des réfugiés a rendu sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Elle demande essentiellement à la C our d'apprécier de nouveau la preuve qui a été produite devant la Section des réfugiés, ce qui n'est pas le rôle de la Cour lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire. La Section des réfugiés pouvait raisonnablement en arriver aux conclusi ons qu'elle a tirées relativement à la crédibilité et aux invraisemblances. En outre, ces conclusions sont fondées sur la preuve et sont étayées par des motifs détaillés. En conséquence, elles ne sont pas manifestement déraisonnables.

Question no 2:     La Section des réfugiés a-t-elle commis une erreur de droit en considérant que le mandat lancé par Interpol et la lettre envoyée par le gouvernement chinois au gouverne-ment canadien décrivant le crime reproché à la demanderesse con-stituaient une preuve suffisante du fait que celle-ci avait commis un «crime grave»?

[22]La demanderesse soutient que le mandat d'Interpol sur lequel s'est fondé la Section des réfugiés ne constitue pas une preuve suffisante de l'infraction qui lui est reprochée. Le d ocument contient des erreurs, en particulier en ce qui concerne la peine maximale (l'emprisonnement à perpétuité selon le document). Bien que ces erreurs soulèvent des questions, elles ont été portées à l'attention du tribunal, lequel a examiné le document et a conclu au paragraphe 88 de sa décision:

Conformément à la décision rendue dans l'affaire Legault c. Canada (Secrétariat d'État) [(1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192 (C.A.F.)], je considère que les documents qui m'ont été présentés par le représentant du m inistre sont des preuves crédibles et dignes de foi dans le cadre de cette demande. Ces documents peuvent ne pas suffire pour une procédure d'extradition, mais ce n'est pas ce processus que ce tribunal est chargé d'entreprendre. Par conséquent, fondé sur l'intégralité de la preuve, il existe «des raisons sérieuses de penser» que la demandeure a commis une infraction criminelle.

[23]Le tribunal a mentionné à juste titre que la norme applicable à la preuve de la perpétration du c rime par la demanderesse en matière d'immigration n'est pas la même qu'en matière pénale ou civile: Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192 (C.A.F.). La preuve du crime doit satisfaire à la norme de l'existence de «raisons séri euses de penser» que la demanderesse a commis le crime. Cette norme exige quelque chose «de plus qu'une simple suspicion ou conjecture», mais moins qu'une preuve selon la prépondérance des probabilités: Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), à la page 445. Le tribunal était d'avis que le mandat d'Interpol était digne de foi et que l'incapacité de la demanderesse à expliquer sa fortune considérable constituait un facteur corroborant. La demanderesse n'a pas réussi à démontrer que le tribunal a évalué la preuve de manière déraisonnable. Je suis convaincu que le tribunal n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il existait des raisons sérieuses de penser que la demanderesse avait commis l'infraction décrite dan s le mandat d'Interpol.

Question no 3:     La Section des réfugiés a-t-elle commis une erreur de droit en considérant qu'un «crime économi-que», commis sans violence, constitue un «crime grave de droit commun» aux fins de la section Fb) de l'article premier de la Convention?

[24]La demanderesse prétend que l'infraction qui lui est reprochée ne peut justifier son exclusion en vertu de la section Fb ) de l'article premier puisqu'il ne s'agit pas d'un «crime grave de droit commun». Elle fait valoir que l'asile ne devrait pas être refusé à cause d'un crime purement économique, comme le détournement de fonds. Le défendeur soutient pour sa part que rien n'empêche l'exclusion d'un demandeur d'asile qui a commis un crime purement économ ique et que, en détournant une somme d'argent considérable à des fins personnelles, la demanderesse a commis un crime grave de droit commun au sens de la Convention.

Guide du HCR

[25]Il est quelque peu surprenant de constater qu'il n'est pa s bien établi si un crime purement économique constitue un crime grave de droit commun. Le Guide du HCR, qui indique qu'un crime grave de droit commun «doit être un meurtre ou une autre infraction que la loi punit d'une peine très grave», n'est pas très ut ile à cet égard. La corruption est un crime capital en Chine, mais pas au Canada, et il serait contraire à l'approche générale adoptée dans la LIPR que de se servir uniquement de la peine infligée dans le pays d'origine d'un demandeur d'asile pour détermin er si ce dernier a commis un crime qui justifie son exclusion en vertu de la section Fb) de l'article premier. Quant à la deuxième partie de la définition du Guide du HCR, elle soulève simplement la question de savoir si un crime purement économique consti tue «une [. . .] infraction que la loi punit d'une peine très grave».

Jurisprudence de la Cour fédérale

[26]Bien qu'elle soit un peu plus utile, la jurisprudence de la Cour ne règle pas définitivement la question non plus. La Section des réfugiés s'est fondée sur l'arrêt Chan , précité, de la Cour d'appel fédérale pour statuer que la corruption constitue un crime grave de droit commun. Dans Chan , le demandeur avait été déclaré coupable d'«avoir illégalement utilisé un dispositif de communicat ion (un téléavertisseur), une infraction [. . .] qui est liée à des infractions relatives au trafic de stupéfiants» [au paragraphe 1] et avait été condamné à une peine de 14 mois. Avant de statuer que la section Fb ) de l'article premier ne s'appliquait pas à un demandeur d'asile ayant purgé sa peine avant de venir au Canada, le juge Robertson, J.C.A. a traité de la question de savoir si l'infraction commise sans violence par le demandeur constituait un crime grave de droit commun. Il a indiqué ce qui suit à ce sujet, au paragraphe 9:

Je suppose d'abord, dans cette partie de mon analyse, que l'appelant a été déclaré coupable d'un crime grave de droit commun aux États-Unis au sens de la section Fb ) de l'article premier. Bien que cette suppositi on soit contraire à l'intérêt de l'appelant, elle est compatible avec la position de la Commission, que le juge des requêtes a adoptée. À cet égard, le juge des requêtes a estimé que la Commission n'avait pas commis d'erreur lorsqu'elle avait conclu que l'appelant avait été déclaré coupable d'une infraction relative au trafic de stupéfiants et que cette infraction constituait un crime grave de droit commun, et ce malgré le fait que l'appelant n'avait pas été déclaré coupable de trafic de stupéfiants en tant que tel, mais plutôt d'avoir illégalement utilisé un dispositif de communication, une infraction que ne prévoit pas le droit canadien. En outre, je supposerai que si l'appelant avait mené des activités similaires au Canada, il aurait été déclaré coupable d'une infraction telle le trafic de stupéfiants, à l'égard de laquelle une peine d'emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans aurait pu lui être infligée. En d'autres termes, je supposerai aux fins de la présente affaire, sans toutefois trancher la question, qu'un crime grave de droit commun est assimilable à un crime qui, s'il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l'imposition d'une peine d'emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans. [Non souligné dans l'original.]

[27]Comme on peut le voir, au lieu de tenir compte de la nature du crime en cause pour prendre sa décision concernant la section Fb ) de l'article premier, le juge Robertson a défini ce qu'est un crime grave en se référant à la peine maximale qui aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada. Même si le juge Robertson ne s'est pas prononcé sur cette question, son approche est logique et j'ai l'intention de l'adopter et ce, pour différentes raisons.

Définition de «grande criminalité» prévue par la LIPR

[28]Premièrement, cette approche est compatible avec la définition de «grande criminalité» contenue au paragraphe 36(1) de la LIPR:

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivant s:

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans;

c) commettre, à l'extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans.

Cette disposition témoigne du désir du Parlement d'exclure du Canada les personnes qui ont commis un crime punissable au Canada d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans, même un crime purement économique.

Analogie avec la Loi sur l'extradition

[29]Deuxièmement, l'approche du juge Robertson concorde avec le principe général d e l'extradition énoncé au paragraphe 3(1) de la Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18. À l'instar du paragraphe 36(1) de la LIPR, le paragraphe 3(1) ne fait pas de distinction entre les crimes de violence et les crimes purement économiques. En fait, cet te disposition est plutôt fondée sur l'emprisonnement maximal dont est passible une infraction:

3. (1) Toute personne peut être extradée du Canada, en conformité avec la présente loi et tout accord applicable, à la demande d'un partenaire pour subir son p rocès dans le ressort de celui-ci, se faire infliger une peine ou y purger une peine si:

a) d'une part, l'infraction mentionnée dans la demande est, aux termes du droit applicable par le partenaire, sanctionnée, sous réserve de l'accord applicable, par une peine d'emprisonnement ou une autre forme de privation de liberté d'une durée maximale de deux ans ou plus ou par une peine plus sévère;

b) d'autre part, l'ensemble de ses actes aurait constitué, s'ils avaient été commis au Canada, une infraction sanctionnée aux termes du droit canadien:

(i) dans le cas où un accord spécifique est applicable, par une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans ou plus ou par une peine plus sévère,

(ii) dans le cas contraire, sous réserve de l'accord applicable, par une peine d'emprisonnement maximale de deux ans ou plus ou par une peine plus sévère.

[30]Il est important que la section Fb) de l'article premier et la Loi sur l'extradition soient compatibles parce que, comme le juge Bastarache l'a écrit au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada au paragraphe 73 de l'arrêt Pushpanathan , précité, «la section Fb ) est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d'extradition en vertu d'un traité puissent rev endiquer le statut de réfugié». Dans Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 C.F. 761, le juge Nadon, J.C.A. a interprété, au paragraphe 68, les commentaires formulés par le juge Bastarache dans l'arrêt Pushpanathan comme «une indication quant à la nature et à la gravité des crimes qui peuvent tomber sous l'exclusion de l'alinéa 1Fb )». Le juge Décary, J.C.A. a fait des commentaires similaires dans son opinion concordante, au paragraphe 108 de l'arrêt Zrig :

[. . .] la section Fb) de l'article premier ne se limite pas aux cas d'extradition ni aux crimes associés à l'extradition, encore qu'il soit à toutes fins utiles acquis que les crimes associés à l'extradition sont des crimes graves; [Non souligné dans l'original.]

Je constate que la norme applicable aux crimes pouvant entraîner l'extradition de leur auteur conformément au paragraphe 3(1) est moins rigoureuse que celle analysée par le juge Robertson dans Chan, car cette disposition vise notamment des infractions passibles d'une peine maximale de moins de 10 ans. Il n'est pas nécessaire que je m'attarde sur cette distinction étant donné que l'infraction décrite à l'alinéa 380(1)a) du Code criminel est punissable d'une peine maximale de 10 ans.

Commentaires des spécialistes sur le sujet

[31]Troisièmement, les commentaires des spécialistes sur la section Fb ) de l'article premier n'étayent pas l'opinion selon laquelle les crimes purement économiques devraient être exclus du champ d'application de la clause d'exclusion. Dans son analyse de la section Fc ) de l'article premier dans son ouvrage The Definition of Convention Refugee (Toronto, Butterworths, 2001), aux points §8.532 à §8.540, Lorne Waldman ne fait pas de distinction entre le s crimes de violence et les crimes purement économiques. Il écrit plutôt, au point §8.536, que l'analyse devrait porter notamment sur des facteurs comme [traduction ] «la gravité de l'infraction, la peine qui sera probablement infligée, les antécédents crim inels et toutes circonstances atténuantes et aggravantes». Dans The Law of Refugee Status (Toronto, Butterworths, 1991), James C. Hathaway définit un crime grave comme un crime punissable d'un emprisonnement de plusieurs années, à la page 224. Lui non plus ne fait pas de distinction entre les infractions commises avec violence et les infractions purement économiques. Enfin, Guy Goodwin-Gill indique, dans The Refugee in International Law , 2e éd. (Oxford, Clarendon Press, 1996), à la page 107, que les crimes purement économiques, comme le détournement de fonds, peuvent constituer des crimes graves si la valeur du bien en cause est élevée:

[traduction] Les infractions suivantes pourraient être également considérées comme des crimes graves eu égard aux circonst ances: introduction par effraction (cambriolage), vol (y compris vol qualifié), recel, détournement de fonds, possession de drogues en quantités excédant l'usage personnel et voies de fait. Les facteurs suivants, entre autres, font d'une infraction une inf raction grave: utilisation d'une arme, lésions corporelles, valeur du bien en cause , type de drogues et preuve d'un comportement criminel habituel. [Non souligné dans l'original et notes de bas de page omises.]

Décision Brzezinski

[32]Finalement, cette approche n'est pas incompatible avec la décision Brzezinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 525 (1re inst.), comme le prétend la demanderesse. Dans cette affaire, le juge Lutfy (tel était alors son tit re) a statué que la section Fb ) de l'article premier n'incluait pas des crimes mineurs comme le vol à l'étalage ou le vol d'une valeur ne dépassant pas 1 000 $. Le juge Lutfy n'a pas fondé sa décision sur le principe voulant que les infractions purement éc onomiques soient exclues de la section Fb) de l'article premier; il a plutôt considéré que les infractions n'étaient pas graves parce qu'elles étaient punissables par voie de procédure sommaire au Canada, qu'elles ne donnaient pas lieu à extradition en ver tu de traités et que les marchandises en cause étaient peu coûteuses. Or, l'affaire dont je suis saisi est très différente.

Circonstances de l'espèce

[33]Il importe de mentionner qu'un examen de toutes les circonstances perti nentes de l'espèce doit être effectué même si l'approche du juge Robertson est adoptée. Le fait que l'infraction en cause est passible d'une peine maximale de 10 ans ne met pas fin à l'analyse. Dans Chan , le juge Robertson, J.C.A. s'est fondé sur une circo nstance de l'affaire dont il était saisi pour statuer que la section Fb ) de l'article premier n'était pas applicable au demandeur d'asile parce que celui-ci avait purgé sa peine avant de venir au Canada. Selon les spécialistes nommés plus haut, toutes les circonstances pertinentes doivent être examinées. Le paragraphe 157 du Guide du HCR exige aussi qu'un tel examen soit effectué:

157. Pour évaluer la nature du crime qui est présumé avoir été commis, il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents, y compris les circonstances atténuantes éventuelles. Il faut également tenir compte de toutes circonstances aggravantes, telles que, par exemple, le fait que l'intéressé a déjà des condamnations inscrites à son casier judiciaire. Le fait que l'individu conda mné pour un crime grave de droit commun a déjà purgé sa peine ou a été gracié ou encore a bénéficié d'une amnistie doit également entrer en ligne de compte. En pareil cas, la clause d'exclusion n'est plus censée s'appliquer, à moins qu'il ne puisse être démontré qu'en dépit de la grâce ou de l'amnistie les antécédents criminels du demandeur l'emportent sur les autres considérations.

Le crime en l'espèce

[34]J'examinerai maintenant l'infraction en cause en l'espèce. La demanderesse n'a pas co ntesté la décision de la Section des réfugiés de considérer que l'article 382 du Code criminel chinois équivaut à l'alinéa 380(1)a ) du Code criminel du Canada. Aux termes de cette disposition, quiconque commet une fraude de plus de 5 000 $ est «passible d'un emprisonnement maximal de dix ans». Cette infraction, qui peut aussi entraîner l'extradition en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur l'extradition, satisfait donc au critère établi par le juge Robertson, J.C.A. dans Chan . Le fait qu'aucune preuve n'a été présentée pour démontrer s'il existe ou non un traité d'extradition entre le Canada et la Chine a peu d'importance puisque l'infraction en cause satisfait aux trois critères du paragraphe 3(1). Comme le juge Nadon, J.C.A. l'a écrit au paragraphe 68 de l'arrêt Zrig , cela indique que l'infraction est suffisamment grave pour être visée par l'exclusion de la section Fb ) de l'article premier.

[35]En outre, les circonstances de l'espèce n'empêchent pas l'application de la clause d'exclusion à la demanderesse. Contrairement au demandeur d'asile dans Chan , la demanderesse en l'espèce n'a pas purgé sa peine avant de venir au Canada. Son cas est fondamentalement différent de l'affaire Brzezinski puisqu'il ne fait aucun doute que l'infraction qui l ui est reprochée est une infraction grave. La conclusion aurait pu être différente si la valeur de la fraude avait été tout juste supérieure à 5 000 $. Dans un tel cas, on ne peut s'attendre à ce que la peine maximale soit infligée, et il est raisonnable d e penser que les parties pourraient s'entendre sur un plaidoyer relatif à une fraude de moins de 5 000 $. La demanderesse a cependant été accusée d'avoir détourné 1 400 000 $CAN alors qu'elle occupait un poste de confiance dans la fonction publique. Le fai t qu'elle ne semble pas avoir d'antécédents criminels joue en sa faveur. Néanmoins, le fait que les fonds auraient été détournés pendant une période de 20 mois montre qu'il ne s'agissait pas d'un événement ponctuel. Il ne fait donc aucun doute que l'infrac tion reprochée à la demanderesse constitue un crime grave de droit commun.

[36]Par conséquent, la Section des réfugiés a eu raison de considérer que l'infraction reprochée à la demanderesse était un crime grave de droit commun visé à la sect ion Fb) de l'article premier.

Question no 4:     La Section des réfugiés a-t-elle commis une erreur en excluant la demanderesse en vertu de la section Fb) de l'article premier de la Convention sans soupeser la «gravité du crime» par rapport à la nature du risque qu'elle courrait si elle était renvoyée en Chine?

[37]La Section des réfugiés a considéré qu'il existait plus qu'une simple possibilité que la demanderesse, si elle retournait en Chine, soit torturée alors qu'elle serait incarcérée pendant l'enquête menant au dépôt d'accusations. Elle a conclu en conséquence que, si la demanderesse n'avait pas été exclue de la définition de «personne à protéger», elle serait visée à l'alinéa 97(1)a ). La demanderesse prétend que le tribunal a commis une erreur en ne soupesant pas, dans son analyse de la section Fb) de l'article premier, la gravité de l'infraction qui lui était reprochée par rapport à la persécution dont elle pourrait faire l'objet en Chine.

Jurisprudence de la Cour fédérale sur cette question

[38]La demanderesse reconnaît que la Cour d'appel fédérale a rejeté l'idée que l'analyse de la section Fb ) de l'article premier devait comprendre une telle pondération dans les arrêts Gil c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 508 (C.A.), et Malouf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 190 N.R. 230 (C.A.F.). La position adoptée par la Cour d'appel fédérale dans ces deux affaires reposent sur le passage suivant des motifs formulés par le juge Hugessen, J.C.A. dans Gil , aux pages 534 et 535:

Un autre tribunal de la présente Cour a déjà rejeté la prétention de bon nombre d'auteurs voulant que la section Fa ) de l'article premier exige un type de critère de propo rtionnalité qui soupèserait la persécution que risque de subir le demandeur du statut de réfugié en regard de la gravité de son crime. (Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.), juge Mahoney, aux p. 656 et 657.) La question de savoir si un critère semblable convient pour l'application de la section Fb ) de l'article premier me semble encore plus problématique. Comme je l'ai déjà indiqué, le demandeur auquel s'applique la clause d'expulsion risque, par hypothèse, d'être persécuté; le crime qu'il a commis est par définition «grave» et entraînera par conséquent une peine sévère qui comportera au moins une longue période d'emprisonnement et, peut-être, la mort. Notre pays est apparemment disposé à extrader des crimin els qui risquent la peine de mort (Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779) et je ne vois aucune raison, du moins dans le cas d'un crime de la nature de celui que l'appelant a admis avoir commis, pour laquelle nous devrions adopter une attitude différente à l'égard d'un demandeur du statut de réfugié. Il n'est pas dans l'intérêt public que notre pays devienne un havre pour les auteurs d'attentats à la bombe qui font de nombreuses victimes.

[39]Dans Malouf, la Cour d'ap pel fédérale s'est penchée sur la question certifiée suivante [au paragraphe 2]:

3. Lorsque la Section du statut envisage l'exclusion du revendicateur par application de l'alinéa 1Fb ) de la Convention, doit-elle examiner le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié et, si elle conclut à son bien-fondé, doit-elle apprécier la gravité du crime de droit commun qu'il aurait commis au regard de la persécution qu'il craint de subir?

Le juge Hugessen a répondu ce qui suit à cette question [au paragraphe 4]:

L'alinéa b ) de l'article 1F de la Convention ne devrait pas recevoir une interprétation différente de celles des alinéas a ) et c) de cet article, c'est-à -dire qu'aucun de ces alinéas n'exigent que la Commission apprécie la gravité de la conduite du requérant au regard de la crainte présumée d'être persécuté. Dans l'arrêt Gil c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 174 N.R. 292, 25 Imm. L.R. (2d) 209, nous avons examiné cette question en faisant précisément référence à l'alinéa 1Fb ) et avons conclu que le critère de proportionnalité n'était approprié que pour les fins de déterminer si un crime grave pouvait être considéré comme un crime politique. Cette question ne se pose pas en l'espèce. Nous ne sommes pas convaincus qu e notre décision dans l'arrêt Gil était erronée.

[40]La demanderesse fonde son argument relatif à la pondération sur deux motifs. Premièrement, elle prétend que la question doit être réexaminée à la lumière des décisions récentes, en particu lier Pushpanathan, précité, et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3. Elle fait valoir plus précisément que l'interprétation qui a été donnée à la section Fb ) de l'article premier dans l'arrêt Gil ne respecte pas les exigences de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] qui ont été étab lies dans Suresh. Deuxièmement, elle prétend que son cas est différent des affaires Gil et Malouf parce qu'il n'y était pas question d'un crime purement économique.

Arrêts récents de la Cour suprême

[41]La demanderesse fait valoir que les arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans Pushpanathan et Suresh appuient la méthode de la pondération. Elle se fonde à cette fin sur l'arrêt Pushpanathan , au paragraphe 73, où le juge Bastarache parle de la section Fb ) de l'article premier et du par agraphe 33(2) de la Convention:

La section Fb) de l'article premier vise des crimes de droit commun commis en dehors du pays d'accueil, alors que le par. 33(2) traite des crimes ou délits de droit commun perpétrés dans le pays d'accueil. La section Fb ) de l'article premier renferme un mécanisme de pondération dans la mesure où il faut que soient remplies les conditions exprimées par les termes «grave» et «de droit commun», tandis que le par. 33(2), mis en oeuvre par les art. 53 et 19 de la Loi, oblige à peser la gravité du danger pour la société canadienne par rapport au danger de persécution en cas de refoulement. Cette approche reflète l'intention des États signataires de réaliser un équilibre des considérations humanitaires entre , d'une part, la personne qui craint la persécution et, d'autre part, l'intérêt légitime des États dans la répression de la criminalité.

L'article 33 prévoit ce qui suit:

Article 33

Défense d'Expulsion et de Refoulement

1. Aucun des Etats Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. [Non souligné dans l'original.]

[42]Au soutien de sa thèse, la demanderesse rappelle les propos suivants formulés par la Cour suprême au paragraphe 75 de l'arrêt Suresh :

Nous en venons donc à la conclusion que l'interprétation qui s'impose est que le droit international rejette les expulsions impliquant un risque de torture. Il s'agit de la norme qui nous éclaire le plus sur le contenu des principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte .

La Cour a indiqué que cette norme éclaire les principes de justice fondamentale garantis à l'article 7 de la Charte, lequel exige que le risque de torture et les autres intérêts en cause soient soupesés avant qu'une personne puisse être expulsée vers un pays où elle risque d'être torturée. La Cour a précisé, au paragraphe 78, qu'une expulsion impliquant un risque de torture ne saurait être justifiée que dans des «circonstances exceptionnelles».

Distinction entre l'arrêt Suresh et la présente affaire

[43]Le problème de l'argument de la demanderesse est qu'il néglige un fait fondamental qui distingue la présente affaire de l'arrêt Suresh . Alors que l'a ffaire Suresh portait sur le renvoi d'une personne du Canada, la présente affaire concerne essentiellement l'admission d'une personne au Canada. Le demandeur dans Suresh s'était vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, et la demande fa isait suite à la décision du ministre de l'expulser (ou de le refouler) vers son pays d'origine, le Sri Lanka. Or, en l'espèce, le ministre ne cherche pas à expulser la demanderesse vers un pays où elle risque d'être torturée. La Section des réfugiés devai t décider si la demanderesse avait les qualités requises pour être admise au Canada à titre de réfugiée au sens de la Convention ou de «personne à protéger». La distinction entre admission et renvoi est importante parce que, comme la Cour suprême l'a écrit au paragraphe 102 de l'arrêt Suresh , les pouvoirs d'un État de refuser l'entrée au pays sont plus étendus que son pouvoir d'expulsion:

La Convention relative au statut des réfugiés et, en conséquence, la Loi sur l'immigration font une distinction entre le pouvoir d'un État de refuser à un réfugié l'entrée au pays et son pouvoir de l'expulser ou de le «refouler» une fois qu'il y est établi en qualité de réfugié au sens de la Convention. Les pouvoirs d'un État de refuser l'entrée au pays sont plus étendus q ue son pouvoir d'expulsion. Ces pouvoirs plus étendus de refuser l'entrée au pays découlent notamment de la nécessité d'empêcher les criminels qui fuient la justice dans leur pays d'origine d'entrer au Canada. Il est certain que le désir naturel des États de rejeter les personnes indésirables qui, par leur conduite, se sont mises elles-mêmes «au ban de la société» entre aussi en jeu.

[44]Cette distinction découle de la Convention. Dans son ouvrage The Law of Refugee Status , précité, M. Hathaway écrit, à la page 225, que le paragraphe 33(2) donne à un État le moyen d'expulser ou de renvoyer des réfugiés dangereux et établit une norme de preuve plus rigoureuse que la section Fb ) de l'article premier, qui [traduction ] «a pour but d e permettre l'exclusion d'une personne avant qu'elle soit admise, sur la foi d'une norme de preuve relativement peu rigoureuse». Les personnes qui sont visées à la section Fb ) de l'article premier sont exclues de la définition de réfugié au sens de la Conv ention et ne peuvent se réclamer de la protection offerte par l'article 33 ou une disposition équivalente de la législation nationale. En outre, l'arrêt Suresh interdit, en l'absence de circonstances exceptionnelles, le renvoi d'une personne dans un pays où elle risque d'être torturée, mais il n'oblige pas le Canada à admettre cette personne au pays en tant que réfugiée ou de personne à protéger.

Application de l'arrêt Suresh à l'ERAR

[45]La question pertinente en l'espèce est de savoir s'il serait contraire à l'article 7 d'empêcher la demanderesse d'entrer au Canada étant donné qu'elle risque d'être persécutée dans son pays d'origine. La réponse est non. Il est vrai que la décision défavorable rendue par la Section des réfugiés empêche la de manderesse de venir au Canada en tant que réfugiée ou que personne à protéger, mais plusieurs démarches doivent encore être entreprises avant que la demanderesse puisse être renvoyée en Chine. La demanderesse a notamment le droit de demander un examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu de la LIPR. La pondération exigée par l'article 7 de la Charte serait effectuée dans le cadre de cet examen. Les dispositions législatives pertinentes prévoient ce qui suit:

Examen des risques avant renvoi

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[. . .]

(3) L'asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants:

[. . .]

c) il a été débouté de sa demande d'asile au titre de la section F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés;

[. . .]

113. Il est disposé de la demande comme il suit:

[. . .]

d) s'agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l'article 97 et, d'autre part:

[. . .]

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada.

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l'asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s'agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

[46]La demanderesse ne peut obtenir l'asile suivant l'alinéa 112(3)c), mais sa demande de protection peut être examinée conformément au sous-alinéa 113d)(ii). Une pondération semblable à celle dont il a été question dans Suresh devrait alors être effectuée dans le cadre de l'analyse exigée par le sous-alinéa 113d)(ii) et, si l'on juge que le risque de torture l'emporte sur la nature et la gravité de l'infraction reprochée à la demanderesse, il sera sursis à toute mesure de renvoi vers la Chine en vertu du paragraphe 114(1). La Cour ne se prononce pas maintenant sur la question de savoir si la justice fondamentale visée à l'article 7 est assurée par ces mesures de protection. Ce qu'il faut retenir, c'est que la demanderesse a droit, avant d'être renvoyée en Chine, à ce que la nature et la gravité de l'infraction qui lui est reprochée soient soupesées par rapport au risque qu'elle soit torturée. L'ERAR protège les droits qui sont garantis à la demanderesse par l'article 7. Il est inutile que la Section des réfugiés effectue le même exercice de pondération dans le cadre de son analyse de la section Fb) de l'article premier.

[47]En conséquence, la Section des réfugiés n'a pas commis d'erreur en ne soupesant pas la gravité de l'infraction reprochée à la demanderesse par rapport au risque que celle-ci soit torturée si elle retournait en Chine.

DÉCISION

[48]Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les deux parties ont proposé des questions à des fins de certification. Estimant que ces questions méritent d'être certifiées, je certifie les deux questions suivantes:

1.    Un demandeur d'asile peut-il être privé de protection en vertu de la section Fb) de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés parce qu'il a commis une infraction purement économique?

2.     Compte tenu de l'arrêt Suresh, la Section des réfugiés est-elle tenue de soupeser la nature et la gravité de l'infraction commise par le demandeur par rapport au risque que celui-ci soit torturé s'il est renvoyé dans son pays d'origine?

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