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A-696-02

2003 CAF 333

Pharmascience Inc. (appelante) (requérante)

c.

Le ministre de la santé (intimé) (défendeur)

et

Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited (intimées) (défenderesses)

Répertorié: Pharmascience Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Rothstein, Sexton et Sharlow J.C.A.--Ottawa, 3 et 15 septembre 2003.

Brevets -- Pratique -- Demande d'interdiction de délivrance d'un avis de conformité, faisant suite à une allégation de non-contrefaçon -- Un fabricant de médicaments génériques a déposé une PDN abrégée -- Les médicaments devaient être produits par une tierce partie, Teva -- Teva a déposé une «fiche maîtresse du médicament» -- La production de renseignements contenus dans cette fiche a été demandée -- L'art. 6(7) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) permet-il d'ordonner la divulgation de ces renseignements -- La question de la portée de cette disposition revient souvent -- Le fait que le ministre permette à des fournisseurs comme Teva de soumettre du matériel confidentiellement et à des fabricants de produits génériques de renvoyer à ce matériel n'a pas de portée juridique sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues -- Les renseignements faisant l'objet d'un tel renvoi font partie intégrante de la PDN abrégée -- Mais si le fabricant n'a pas ces renseignements et n'a pu les obtenir malgré ses efforts, un juge commettrait une erreur en en ordonnant la production -- En l'espèce, il ressort de l'affidavit d'un chimiste de Santé Canada que le fabricant avait ou pouvait obtenir les renseignements.

Pratique -- Modification des délais -- Refus de prorogation du délai d'appel d'une ordonnance de production de documents -- Motifs d'infirmation d'une décision discrétionnaire -- La prorogation sert-elle les intérêts de la justice? -- Karon Resources c. Canada énumère cinq facteurs à prendre en considération -- Le dépôt d'une requête fondée sur la règle 397 ne justifie pas l'introduction tardive d'un avis appel -- Appel rejeté -- En l'espèce, le principal facteur est celui du caractère justifié de l'appel tardif -- Le réexamen et l'appel ne sont pas des recours interchangeables -- Le droit ne dit pas qu'une requête fondée sur la règle 397 ne peut être instruite si un appel est en instance -- L'ambiguïté d'une ordonnance pourrait peut-être constituer une circonstance inhabituelle justifiant l'introduction tardive d'un appel, mais en l'espèce l'ordonnance n'était pas ambigüe.

Pratique -- Caractère théorique -- Appel d'une ordonnance de production de documents dans une affaire de médicaments brevetés -- Il a été soutenu que l'appel ne devait pas être instruit puisque l'ordonnance avait été exécutée -- En dépit de son caractère théorique, la Cour a décidé de l'instruire parce que la question de la portée de l'art. 6(7) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) se pose souvent.

Il s'agit d'un appel interjeté contre deux ordonnances de la Cour fédérale, la première enjoignant à l'appelante de produire certains documents et la seconde rejetant la requête en prorogation du délai d'appel de l'ordonnance ainsi que la requête fondée sur la règle 397, visant à faire réexaminer l'ordonnance. Le rejet de cette dernière requête n'a pas été porté en appel.

L'ordonnance initiale étant un jugement interlocutoire, l'avis d'appel devait être déposé dans les 10 jours, à moins de décision discrétionnaire de la Section de première instance prorogeant le délai. La Cour suprême du Canada a statué qu'une décision discrétionnaire de ce genre ne peut être infirmée que si elle est fondée sur un principe erroné ou si le juge n'a pas accordé suffisamment d'importance à des considérations pertinentes. La question à trancher est de savoir s'il est dans l'intérêt de la justice d'accorder la prorogation du délai d'appel.

La décision Karon Resources Inc. c. Canada énumère les cinq facteurs à prendre en considération: 1) s'il y a des questions défendables à soumettre en l'appel, 2) s'il existe des circonstances particulières justifiant le non-respect du délai d'appel, 3) si l'appelant a eu l'intention constante d'interjeter appel, 4) si le retard est excessif, et 5) si la prorogation du délai imparti causera préjudice à l'intimé. La juge n'a pas formulé par écrit les motifs fondant sa décision de refuser la prorogation, mais elle mentionne dans l'ordonnance qu'il n'a pas été satisfait aux exigences énoncées dans l'arrêt Karon Resources Inc. Elle ajoute que la présentation d'une requête en application de la règle 397 ne justifie pas en soi le dépôt tardif d'un avis d'appel. L'appelante a soutenu que la juge a commis une erreur en s'appuyant sur la décision Karon Resources Inc. étant donné que l'appelante, contrairement à la requérante dans Karon Resources Inc., avait déposé sa demande de prorogation concurremment avec sa requête fondée sur la règle 397, dans les 10 jours suivant le prononcé de l'ordonnance qu'elle cherchait à porter en appel ou à faire réexaminer.

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

Il appert du dossier, que l'appelante avait des questions défendables à soumettre en appel, qu'elle a continûment eu l'intention d'en appeler et que le retard n'était pas excessif. Il n'existe aucun élément de preuve sur la question de savoir si l'introduction tardive de l'appel nuira à l'intimée. Toutefois, le facteur le plus important est la question de savoir si l'introduction tardive de l'appel était justifiée. Pharmacience avait déposé sa requête fondée sur la règle 397 en premier car si elle avait été accordée, il n'aurait pas été nécessaire d'introduire un appel. Le problème de cette stratégie est que, selon la jurisprudence, le dépôt d'une telle requête ne justifie pas le non-respect du délai d'appel. Il a été établi dans la décision Sivakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) que le réexamen et l'appel ne sont pas des formes interchangeables de recours et qu'il appartient à chaque partie de décider du recours à intenter. En cas de doute, il est probable que le réexamen ne sera pas le recours approprié. La décision Montague Industries Inc. c. Canmec Ltée de la Section de première instance qui, selon l'appelante, dénote l'existence d'un conflit dans la jurisprudence, n'établit pas le principe qu'un appelant ne doit pas interjeter appel d'une ordonnance avant d'avoir présenté une requête fondée sur la règle 397.

Pharmascience a également soutenu que l'arrêt Etienne c. Canada de la Cour d'appel statuait qu'une requête présentée en application de la règle 397 ne sera pas instruite pendant qu'un appel est en instance. La Cour a distingué cette affaire, qui traitait de l'ancienne Règle 1733, de la présente espèce. Elle a statué qu'une requête fondée sur la règle 397 devrait être instruite même si un appel est pendant et a désapprouvé la jurisprudence contraire de la Section de première instance.

Bien qu'il soit possible que l'ambiguïté d'une ordonnance constitue une circonstance inhabituelle au sens de la décision Sivakumar et justifie de retarder le dépôt d'un appel jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur une requête fondée sur la règle 397, l'ordonnance en cause n'était pas ambiguë et Pharmascience ne pouvait raisonnablement penser qu'elle n'exprimait pas la véritable intention du juge.

Pharmascience n'ayant pas respecté le délai imparti, son appel pouvait à bon droit être rejeté pour cette raison, mais la Cour a estimé opportun de faire des observations sur le fond de l'appel. L'instance sous-jacente en Cour fédérale est une demande présentée par Abbott, par suite de la réception d'un avis d'allégation selon lequel il n'y avait pas contrefaçon, en vue de l'obtention d'une ordonnance interdisant la délivrance d'un avis de conformité à Pharmascience pour un médicament générique. Pharmascience avait déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) et elle avait l'intention de faire appel à une tierce partie, Teva Pharmaceutical Industries Ltd., pour produire le médicament en question. Teva avait déposé une «fiche maîtresse du médicament» décrivant certaines caractéristiques du procédé de fabrication. Abbott a présenté une demande visant à obtenir la divulgation de certains extraits de la PADN, y compris des renseignements provenant de la fiche maîtresse du médicament incorporée, par renvoi, à la PADN. Pharmascience a contesté la requête, soutenant que le paragraphe 6(7) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) permet seulement d'ordonner la divulgation de renseignements fournis directement dans la PADN de sorte que le matériel déposé par Teva serait exclu. La juge a rejeté cet argument. Abbott a soutenu que l'appel ne devrait pas être instruit, étant devenu théorique du fait que Pharmascience s'est conformée à l'ordonnance en faisant l'objet. La Cour a reconnu le caractère théorique de l'appel, mais l'a quand même instruit parce que la question de la portée du paragraphe 6(7) s'est posée à maintes reprises. La juge a correctement interprété la disposition. Le fait que le ministre permette à des fournisseurs comme Teva de soumettre du matériel confidentiellement et à des fabricants de produits génériques de renvoyer à ce matériel, peut-être même sans l'avoir lu, n'a pas de portée juridique sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Les renseignements faisant l'objet d'un tel renvoi font partie intégrante de la PADN, que le fabricant de la version générique les connaisse ou non.

Advenant que la preuve démontre que le fabricant de médicaments génériques n'a pas en sa possession des renseignements appartenant à un tiers et visés par un renvoi, qu'il n'a aucun droit sur eux et qu'il n'a pas réussi à les obtenir, un juge commettrait une erreur de droit s'il en ordonnait la production, parce qu'on ne peut ordonner à une partie d'accomplir une chose qu'elle n'a pas le droit de faire. Il pourrait toutefois exiger du fabricant de médicaments génériques une explication crédible quant à l'échec des efforts accomplis pour les obtenir. L'absence de renseignements appartenant à des tiers pourrait avoir des incidences sur l'issue de la demande d'interdiction mais, en l'espèce, il n'a pas été mis en preuve que Pharmascience n'avait pas en sa possession les renseignements de Teva. De fait, un affidavit souscrit par un chimiste chevronné de Santé Canada indiquait que Pharmascience disposait des renseignements ou pouvait les obtenir. La juge a eu raison d'ordonner le dépôt des renseignements de Teva.

lois et règlements

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 27(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 11).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 6(7) (mod. par DORS/98-166, art. 5).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1733.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 397, 399.

jurisprudence

décision non suivie:

Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2001] A.C.F. no 15 (1re inst.) (QL).

décisions appliquées:

Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394; (1994), 116 D.L.R. (4th) 61; 22 Admin. L.R. (2d) 79; 21 C.R.R. (2d) 236; 24 Imm. L.R. (2d) 117; 167 N.R. 282; 72 O.A.C. 348; Karon Resources Inc. c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 307; (1993), 71 F.T.R. 232 (C.F. 1re inst.); Sivakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 150 F.T.R. 299 (C.F. 1re inst.); Metaxas c. Galaxias (Le) (1988), 24 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.).

distinction faite d'avec:

Montague Industries Inc. c. Canmec Ltée, 2001 FCT 72; [2001] A.C.F. no 217 (1re inst.) (QL); Etienne c. Canada (1993), 164 N.R. 318 (C.A.F.).

APPEL d'ordonnances de la Cour fédérale 1) ordonnant la production de documents et 2) rejetant la requête en prorogation du délai d'appel de l'ordonnance de production. Appel rejeté.

ont comparu:

Carol V. E. Hitchman et Lilly Sormaz pour l'appelante (requérante).

Personne n'a comparu pour l'intimé (défendeur), le ministre de la Santé.

Andrew J. Reddon et Steven G. Mason pour les intimées (défenderesses) Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited.

avocats inscrits au dossier:

Hitchman & Sprigings, Toronto, pour l'appelante (requérante).

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé (défendeur), le ministre de la Santé.

McCarthy Tétrault LLP, Toronto, pour les intimées (défenderesses) Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]La juge Sharlow, J.C.A.: La Cour est saisie de l'appel de deux ordonnances de la Cour fédérale. La première ordonnance, datée du 25 octobre 2002, exigeait que l'appelante, Pharmascience Inc., produise certains documents aux intimées, Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Ltd. (ci-après collectivement appelées Abbott). La deuxième ordonnance, datée du 13 décembre 2002, rejetait la requête de Pharmascience en vue d'obtenir la prorogation du délai pour en appeler de l'ordonnance du 25 octobre.

[2]De plus, l'ordonnance du 13 décembre rejetait la requête, présentée par Pharmascience en application de la règle 397 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, pour faire réexaminer et corriger l'ordonnance du 25 octobre. Il n'y a pas eu appel de la décision rejetant cette requête.

[3]À moins que l'ordonnance du 13 décembre ne soit infirmée, Pharmascience ne pourra en appeler de l'ordonnance du 25 octobre, le délai d'appel étant expiré. Par conséquent, il y a lieu d'examiner d'abord l'appel de l'ordonnance rejetant la requête en prorogation du délai d'appel.

[4]L'ordonnance du 25 octobre est un jugement interlocutoire. Selon le paragraphe 27(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 11] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (comme il était libellé à l'époque pertinente), l'appel d'un jugement interlocutoire est formé par le dépôt d'un avis dans un délai de 10 jours à compter du prononcé du jugement ou dans le délai supplémentaire que la Section de première instance peut accorder.

[5]La décision d'accorder ou de refuser la prorogation du délai pour introduire un appel est discrétionnaire. L'appel d'une telle décision ne peut être accueilli que si la décision est fondée sur un principe erroné ou si le juge n'a pas accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes: Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394.

[6]Pour décider s'il y a lieu de proroger le délai prévu pour introduire un appel, le critère de base consiste à déterminer s'il est dans l'intérêt de la justice d'accorder la prorogation. L'arrêt Karon Resources Inc. c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 307 (C.F. 1re inst.) contient un résumé utile des facteurs devant être pris en compte: il s'agit de déterminer 1) s'il y a des questions défendables à soumettre en l'appel, 2) s'il existe des circonstances particulières justifiant le non-respect du délai d'appel, 3) si l'appelant a eu l'intention constante d'interjeter appel, 4) si le retard est excessif, et 5) si la prorogation du délai imparti causera préjudice à l'intimé. Le poids qu'il faut accorder à chacun de ces facteurs variera selon les circonstances.

[7]La juge n'a pas formulé par écrit les motifs fondant sa décision de rejeter la requête en prorogation de délai, mais dans l'ordonnance même, elle mentionne que la preuve ne satisfait pas aux exigences énoncées dans l'arrêt Karon Resources. Elle ajoute que la présentation en temps opportun d'une requête en réexamen en application de la règle 397 ne justifie pas en soi le dépôt tardif d'un avis d'appel: Sivakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 150 F.T.R. 299 (C.F. 1re inst.).

[8]L'avocat de Pharmascience prétend que la juge a commis une erreur en fondant sa décision de rejeter la requête en prorogation de délai sur l'arrêt Karon Resources étant donné que Pharmascience, contrairement à la requérante dans Karon Resources, a déposé sa demande de prorogation concurremment avec une demande de réexamen prévue à la règle 397 dans les 10 jours suivant le prononcé de l'ordonnance qu'elle cherche à porter en appel ou à faire réexaminer.

[9]Compte tenu de l'ordonnance, je conclus que la juge s'est correctement fondée sur l'arrêt Karon Resources, à simple titre d'énoncé jurisprudentiel des principes juridiques pertinents. Dans ce contexte, la juge a eu raison d'affirmer que dans le cadre d'une requête en prorogation de délai, le soin de rapporter la preuve concernant chacun des facteurs pertinents pèse sur la requérante.

[10]Il est raisonnable de conclure, au vu du dossier, que Pharmascience avait des questions défendables à soumettre en appel, qu'elle a continûment eu l'intention d'en appeler et que le retard n'était pas excessif. Ces éléments ressortent à la lecture de la requête présentée par Pharmascience. Pour ce qui est de savoir si l'introduction tardive de l'appel nuira à l'intimée Abbott, je n'ai trouvé au dossier aucune preuve pertinente.

[11]Toutefois, je suis d'avis que le facteur qui milite le plus en faveur du rejet de la requête en prorogation de délai consiste à savoir si l'introduction tardive de l'appel était justifiée. Il semble que la seule explication proposée était que Pharmascience avait jugé plus efficace de déposer en premier lieu sa requête fondée sur la règle 397, car si elle avait été accordée, il n'aurait pas été nécessaire d'introduire un appel.

[12]La stratégie adoptée par Pharmascience pose problème étant donné que, selon la jurisprudence de la Cour fédérale, le fait qu'une requête présentée en application de la règle 397 soit pendante ne justifie pas qu'un appel soit introduit après l'expiration du délai imparti. Je suis d'accord avec les commentaires formulés suivants au paragraphe 4 de l'arrêt Sivakumar, précité:

Les défendeurs paraissent avoir pensé qu'ils pouvaient chercher à obtenir le réexamen en premier et qu'ils interjetteraient appel seulement s'ils n'y parvenaient pas. Ils affirment que le dédoublement des procédures devrait être évité et qu'il s'agirait d'un gaspillage de ressources d'intenter des procédures de réexamen et d'appel concurremment. Cet argument est fondé, incorrectement à mon avis, sur la prémisse que le réexamen et l'appel sont des formes interchangeables de recours. Ils ne le sont pas. Le réexamen traite des erreurs commises par inadvertance ou des omissions. L'appel suppose l'acceptation du jugement du tribunal inférieur tel quel, mais un désaccord avec ses conclusions. Les parties à un litige doivent décider quel recours chercher à obtenir. Lorsqu'elles sont dans le doute, il est probable que le réexamen ne sera pas le recours approprié. Quoi qu'il en soit, un avis d'appel devrait être déposé en temps utile. Sauf dans des circonstances très inhabituelles, le dépôt d'une demande de réexamen ne justifie pas un délai pour le dépôt d'un avis d'appel.

[13]Pharmascience a soutenu que cette question fait l'objet d'une controverse dans la jurisprudence de la Cour fédérale et que, selon l'arrêt Montague Industries Inc. c. Canmec Ltée, 2001 CFPI 72; [2001] A.C.F. no 217 (1re inst.) (QL), lorsqu'une erreur pouvant être corrigée en application de la règle 397 ressort à la lecture d'une ordonnance, la partie concernée doit recourir à cette règle plutôt que d'interjeter appel. Je suis en désaccord avec cette interprétation de l'arrêt Montague. Il s'agissait dans cette affaire, de l'appel d'une ordonnance rendue par un protonotaire. L'un des motifs invoqué au soutien de l'appel était que le protonotaire n'avait pas examiné l'une des nombreuses requêtes lui ayant été présentées. Le juge saisi de l'appel a conclu, au vu du dossier, qu'il s'agissait vraisemblablement d'une omission involontaire. Sur la base de cette conclusion, il a exercé son pouvoir discrétionnaire, et il a choisi de ne pas entendre l'appel sur ce point jusqu'à ce que la demande prévue à la règle 397 soit présentée. Il a de plus accordé une prorogation de délai de manière à permettre le dépôt d'une requête fondée sur la règle 397. Il n'a pas affirmé ou laissé entendre qu'un appelant ne doit pas interjeter appel avant d'avoir présenté une telle requête ou qu'il ne devrait pas le faire.

[14]Pharmascience a en outre prétendu que certains arrêts de cette Cour établissent qu'une requête présentée en application de la règle 397 ne sera pas instruite pendant qu'un appel est en instance. Les documents présentés par Pharmascience ne citent aucun arrêt énonçant un tel principe. À l'audience, l'arrêt Etienne c. Canada (1993), 164 N.R. 318 (C.A.F.) a toutefois été invoqué. Cette affaire traitait de l'ancienne Règle 1733 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] qui a précédé la règle 399, et non de la règle 397. Aux termes de la règle 399, une ordonnance peut être annulée ou modifiée si des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue ou si elle a été obtenue par fraude. Dans l'arrêt Etienne, la Cour a décidé qu'il était irrégulier, dans le cadre d'une requête fondée sur l'ancienne règle 1733, qu'un juge de première instance examine son propre jugement tandis qu'un appel est pendant.

[15]Il faut distinguer entre la situation dont il est question dans l'arrêt Etienne et une requête fondée sur la règle 397 qui, utilisée à bon escient, fera en sorte qu'une ordonnance exprime correctement l'intention du juge l'ayant prononcée et statue sur toutes les questions. À mon avis, une requête en correction présentée en application de la règle 397 devrait être instruite même si un appel est pendant. À cet égard, je suis d'accord avec le juge Rouleau qui s'exprime comme suit dans l'arrêt Metaxas c. Galaxias (Le) (1988), 24 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.):

[. . .] à mon avis lorsque, par suite d'une inadvertance ou d'un oubli, une ordonnance de cette Cour ne reflète pas correctement l'esprit des motifs qui la justifient, il est dans l'intérêt de la justice que cette ordonnance soit modifiée pour mieux traduire la décision du président du tribunal.

[16]Dans certaines décisions (qui n'émanent pas de notre Cour) des opinions contraires ont été émises. À titre d'exemple, dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2001] A.C.F. no 15 (1re inst.) (QL), le juge a conclu qu'il ne pouvait connaître d'une requête fondée sur la règle 397 une fois qu'un appel avait été déposé, et ce, même si la requête était bien fondée, et qu'il aurait corrigé l'ordonnance s'il avait eu la compétence voulue. On ne sait pas si l'arrêt Metaxas a été porté à l'attention du juge. Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que dans les circonstances de cette affaire il aurait pu entendre la requête présentée en application de la règle 397. S'il avait accueilli la requête, comme il semblait enclin à le faire, l'appel serait peut-être devenu théorique, auquel cas il aurait pu faire l'objet d'un désistement.

[17]Pharmascience soutient que, dans les cas où une ordonnance peut être corrigée suivant la règle 397, exiger qu'un appel soit déposé est inutilement onéreux. Le fait qu'une partie suive simultanément deux voies peut effectivement entraîner le gaspillage de certaines ressources. Toutefois, un tel dédoublement ne devrait se produire que dans les rares cas où une partie croit qu'une ordonnance est erronée, mais qu'en toute honnêteté, elle ne peut déterminer avec certitude s'il s'agit d'une erreur pouvant être corrigée en application de la règle 397 ou d'une question à porter en appel. Il pourrait se révéler encore plus onéreux d'établir un principe suivant lequel une partie pourrait retarder le dépôt d'un appel, simplement en présentant une requête pour correction en application de la règle 397.

[18]Pharmascience prétend qu'il s'agit d'un cas où l'on pouvait de bonne foi douter de la nature de l'erreur contenue dans l'ordonnance du 25 octobre. Pharmascience a conclu, sur réception de l'ordonnance, qu'elle manquait de cohérence interne et qu'elle n'exprimait pas l'intention véritable du juge. Ce n'est qu'une fois la décision rendue sur la requête fondée sur la règle 397 que Pharmascience a su que la juge était d'avis que son ordonnance ne manquait pas de cohérence et qu'elle reflétait sa véritable intention. Pharmascience soutient que dans ces circonstances, il serait injuste à son égard de décider que l'introduction tardive de l'appel n'était pas justifiée.

[19]La question de savoir si l'ambiguïté ou l'incohérence d'une ordonnance peut constituer une circonstance inhabituelle au sens de la décision Sivakumar, précitée, et justifier de retarder le dépôt d'un appel jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur une requête fondée sur la règle 397 n'a pas encore été tranchée. Toutefois, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'émettre un avis sur cette question. Selon moi, l'ordonnance n'était pas ambiguë et je ne crois pas que Pharmascience ait pu raisonnablement penser que l'ordonnance n'exprimait pas la véritable intention du juge.

[20]Pour les motifs susmentionnés, l'appel de l'ordonnance du 13 décembre devrait être rejeté.

[21]Étant donné que l'ordonnance du 13 décembre rejetait la requête en prorogation du délai pour en appeler de l'ordonnance du 25 octobre, Pharmascience ne peut interjeter appel de cette ordonnance, le délai pour ce faire étant expiré. L'appel de l'ordonnance du 25 octobre pourrait être rejeté sur cette seule base. Toutefois, pour des motifs qui deviendront évidents, j'estime opportun de me pencher sur le fond de l'appel.

[22]En Cour fédérale, la procédure sous-jacente est une demande présentée par Abbott en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Cette demande vise à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience pour une version générique de la clarithromycine qu'elle projette de fabriquer. La demande a fait suite, comme il se doit, à la réception par Abbott d'un «avis d'allégation» dans lequel Pharmascience affirme que les procédés de fabrication du médicament ne contreferaient pas le brevet canadien no 2261732 dont Abbott est titulaire. Il s'agit d'un brevet de procédé concernant un produit de clarithromycine fabriqué et vendu par Abbott.

[23]Pharmascience a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle concernant son médicament projeté comme l'exige le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. Pharmascience a l'intention d'utiliser les installations d'un autre fabricant de médicaments, Teva Pharmaceutical Industries Ltd., pour produire le médicament en question. Une «fiche maîtresse du médicament» que Teva a déposée auprès du ministre contient certaines caractéristiques du procédé de fabrication. Ces renseignements ont été incorporés par renvoi dans la présentation abrégée de drogue nouvelle déposée par Pharmascience. Cette technique n'est pas expressément prévue dans le Règlement sur les aliments et drogues, mais selon la pratique administrative établie par le ministre, il est permis de procéder ainsi.

[24]Dans le contexte de la requête pour ordonnance d'interdiction, Abbott a présenté, en application du paragraphe 6(7) [mod. par DORS/98-166, art. 5] du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), une demande visant à obtenir la divulgation de certains extraits de la présentation abrégée de drogue nouvelle de Pharmascience, y compris certains renseignements provenant de la fiche maîtresse du médicament déposée par Teva et incorporée, par renvoi, à la présentation abrégée de drogue nouvelle.

[25]L'extrait pertinent du paragraphe 6(7) est libellé comme suit:

6. (1) [. . .]

(7) Sur requête de la première personne, le tribunal peut, au cours de l'instance:

a) ordonner à la seconde personne de produire les extraits pertinents de la demande d'avis de conformité qu'elle a déposée et lui enjoindre de produire sans délai tout changement apporté à ces extraits au cours de l'instance.

[26]Dans le contexte de cette affaire, il n'est pas contesté que les mots «la demande d'avis de conformité qu'elle a déposée» (submission for a notice of compliance filed by the second person) font référence à la présentation abrégée de drogue nouvelle déposée par Pharmascience relativement à son produit de la clarithromycine.

[27]Pharmascience a contesté la requête visant la divulgation des renseignements de Teva en soutenant que le paragraphe 6(7), correctement interprété, permet seulement d'ordonner la divulgation de renseignements fournis directement dans la présentation abrégée de drogue nouvelle déposée par Pharmascience, ce qui exclut nécessairement la divulgation du matériel déposé par Teva qui a simplement été incorporé par renvoi à la présentation abrégée de drogue nouvelle de Pharmascience. Cette dernière a fait valoir que les autres interprétations devraient être rejetées, car une situation aberrante en découlerait, à savoir qu'il pourrait être ordonné que Pharmascience produise des renseignements qu'elle ne détient pas forcément et qu'elle ne serait peut-être pas en mesure d'obtenir. La juge a rejeté cet argument, convenant avec Abbott, que le paragraphe 6(7) permet d'ordonner la divulgation des renseignements contenus dans la fiche maîtresse du médicament incorporée par renvoi à la présentation abrégée de drogue nouvelle déposée par Phamascience, étant donné qu'en droit les renseignements faisant l'objet d'un renvoi font partie du matériel «déposé» par la seconde personne à titre de renseignements contenus dans sa présentation abrégée de drogue nouvelle.

[28]Abbott soutient que l'appel ne devrait pas être instruit parce qu'il est théorique. L'avocat d'Abbott a informé la Cour dans son mémoire des faits et du droit et il a réitéré à l'audience que, de fait, Pharmascience s'est conformée à l'ordonnance faisant l'objet de l'appel.

[29]Je suis d'avis que l'appel est effectivement théorique, mais qu'en l'espèce il devrait néanmoins être instruit. J'en viens à cette conclusion pour trois raisons. Premièrement, l'appel a fait l'objet d'un débat exhaustif. Deuxièmement, l'ordonnance pourrait avoir des conséquences accessoires en ce qui concerne la demande d'interdiction. Troisièmement, et il s'agit là du principal motif, la question de la portée du paragraphe 6(7) s'est posée dans de nombreuses autres demandes d'interdiction instruites par la Cour fédérale. Or, dans le contexte de telles instances, il est fréquent qu'en raison de contraintes de temps, on ne puisse interjeter appel des jugements interlocutoires. J'examine maintenant le fond de l'appel.

[30]Je suis d'accord avec l'interprétation que la juge donne du paragraphe 6(7). Les caractéristiques du procédé de fabrication constituent un aspect fondamental de la présentation abrégée de drogue nouvelle. N'eût été de la pratique administrative susmentionnée, Pharmascience aurait été obligée d'inclure les renseignements de Teva directement dans sa présentation abrégée de drogue nouvelle. Le fait que le ministre permette à des fournisseurs comme Teva de soumettre du matériel séparément et confidentiellement, et que par la suite il permette qu'un fabricant de produits génériques comme Pharmascience renvoie à ce matériel confidentiel sans nécessairement l'avoir lu n'a pas de portée juridique sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Les renseignements faisant l'objet d'un tel renvoi font partie intégrante de la présentation abrégée de drogue nouvelle, que le fabricant de la version générique connaisse ou non ces renseignements.

[31]Cela dit, je suis dans une certaine mesure d'accord avec Pharmascience. Advenant qu'une preuve crédible démontre qu'un fabricant de produits génériques a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle qui inclut par renvoi des renseignements qui ne sont pas en sa possession et qui appartiennent à un tiers, en plus de démontrer que le fabricant a tenté sans succès de les obtenir et qu'il n'a pas le droit de les exiger, une erreur de droit serait commise si un juge ordonnait la production des renseignements faisant l'objet du renvoi. L'erreur ne découlerait pas du fait que les renseignements ne sont pas visés par le paragraphe 6(7), mais du fait qu'on ne peut ordonner à une partie de faire une chose qu'elle n'a pas le droit de faire. Toutefois, si une telle preuve est présentée, il sera loisible au juge d'ordonner au fabricant de produits génériques de faire de son mieux pour obtenir les renseignements en question et, dans les cas d'échec, d'exiger de lui une explication crédible. Le fait que les renseignements de tiers ne soient pas déposés aura ou non une incidence sur l'issue de la demande d'interdiction selon les faits de la cause et les autres éléments de preuve présentés.

[32]En l'espèce, il n'a pas été mis en preuve que Pharmascience n'avait pas en sa possession les renseignements de Teva, ou que Pharmascience avait tenté sans succès de les obtenir, ou qu'elle n'avait pas le droit de les exiger. Au contraire, le dossier de la Cour contient un affidavit de M. A. J. Liston, un chimiste qui a plusieurs années d'expérience à titre de fonctionnaire du ministère de la Santé ayant à s'occuper de présentations abrégées de drogue nouvelle. Selon son témoignage, Pharmascience aurait en sa possession les renseignements de Teva ou pourrait les obtenir de cette dernière. M. A. J. Liston n'a pas été contre-interrogé et son affidavit n'a pas été contredit. Compte tenu du dossier, il ne fait aucun doute que la juge a eu raison d'ordonner le dépôt des renseignements de Teva qu'elle estimait pertinents en l'espèce.

[33]Pour ces motifs, je rejetterais l'appel, avec dépens.

Le juge Rothstein, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

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