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     A-349-03

    2003 CAF 407

Adil Charkaoui (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada (intimés)

Répertorié: Charkaouic. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Décary, Létourneau et Nadon, J.C.A.--Ottawa, 31 octobre 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Pratique en matière d'immigration -- Requête en radiation de l'avis d'appel d'une ordonnance de maintien en détention prononcée par un juge de la Cour fédérale en vertu de l'art. 83 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés -- Les ministres intimés ont émis un certificat attestant que l'appelant est interdit de territoire pour des raisons de sécurité -- Ils ont également lancé un mandat d'arrestation et de détention de l'appelant en vertu de l'art. 82(1) de la Loi -- Lien étroit entre l'interdit de territoire attesté par le certificat et la détention -- Selon l'art. 80(3) la décision sur le caractère raisonnable du certificat n'est pas susceptible d'appel -- Il n'y a aucune disposition semblable concernant la décision relative au maintien en détention -- Il est inconcevable que le législateur ait voulu que la détermination de la dangerosité pour la sécurité nationale ne puisse être révisée en appel, mais qu'une procédure qui s'y rattache étroitement puisse l'être -- Un droit d'appel de la décision sur la détention s'avère aussi incompatible avec le mécanisme de révision continue de l'art. 83 -- Requête accueillie, juge Décary J.C.A., dissident.

Interprétation des lois -- Existe-t-il un droit d'appel d'une ordonnance de maintien en détention prononcée en vertu de l'art. 83 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés? -- Le litige porte sur l'interprétation de dispositions législatives adoptées par le Parlement pour assurer la sécurité du Canada et le protéger contre le terrorisme -- L'art. 27(1)c) de la Loi sur les Cours fédérales confère un droit d'appel d'une décision interlocutoire rendue par un juge de la Cour fédérale -- L'art. 80(3) de la Loi prohibe expressément tout appel d'une décision sur le caractère raisonnable du certificat de l'interdit de territoire -- Il n'y a aucune disposition semblable concernant la décision relative au maintien en détention -- L'interprétation législative ne saurait être fondée seulement sur l'art. 27(1)c) de la Loi sur les Cours fédérales, ni sur l'omission du législateur de dire expressément qu'il n'existe pas de droit d'appel d'une décision relative à la détention -- L'existence d'un lien étroit entre le certificat attestant l'interdiction de territoire et la détention est un facteur important dans la recherche de l'intention législative -- Il est inconcevable que le législateur ait voulu créer une dualité de recours concurrents -- Le législateur n'envisageait pas d'appel d'une décision sur la détention, juge Décary J.C.A., dissident.

Il s'agit d'une requête en radiation de l'avis d'appel relativement à une ordonnance de maintien en détention prononcée par un juge de la Cour fédérale en vertu de l'article 83 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le 16 mai 2003, les ministres intimés déposaient, en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi, un certificat attestant que l'appelant est interdit de territoire pour raison de sécurité du fait qu'il est membre du réseau terroriste d'Oussama Ben Laden. Ce même jour, les ministres intimés se prévalaient des dispositions du paragraphe 82(1) de la Loi pour lancer un mandat visant l'arrestation et la détention de l'appelant, à l'égard duquel il y avait «des motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi». L'appelant est détenu depuis le 21 mai 2003. Ainsi que le requiert le paragraphe 83(1) de la Loi, le juge Noël, dans les 48 heures suivant le début de la détention, a entrepris le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention. Le 15 juillet 2003, il maintenait la détention et ce, «jusqu'à ce que le juge désigné statue à nouveau à l'égard du maintien de la détention selon le paragraphe 83(2) de la Loi». L'appelant a déposé un avis d'appel relativement à cette décision. Le sous-procureur général du Canada, au nom des deux ministres intimés, a déposé une requête écrite dans laquelle il prétendait qu'il n'existe pas de droit d'appel à l'encontre de l'ordonnance de maintien en détention. Les intimés ont soutenu que, puisque le paragraphe 80(3) de la Loi, interdit tout appel de la décision de fond relative au caractère raisonnable du certificat, il ne saurait non plus y avoir un droit d'appel à l'encontre de l'ordonnance interlocutoire et accessoire du maintien en détention. Le litige porte sur l'interaction entre ces nouvelles dispositions et l'alinéa 27(1)c) de la Loi sur les Cours fédérales qui confère, d'une manière générale, un droit d'appel d'une décision interlocutoire rendue par un juge de la Cour fédérale. Plus précisément, il porte sur l'existence ou non d'un droit d'appel relativement à une ordonnance de maintien en détention prononcée en vertu de l'article 83 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Arrêt (le juge Décary, J.C.A., dissident): la requête doit être accueillie.

Le juge Létourneau, J.C.A. (le juge Nadon, J.C.A., souscrivant à ces motifs): le litige porte sur l'interprétation de dispositions législatives adoptées par le Parlement pour assurer la sécurité du Canada et le protéger, entre autres, contre le terrorisme. Il s'agit essentiellement de rechercher et de cristalliser l'intention que le législateur avait en adoptant les articles 82 et 83 relatifs à la détention et à son contrôle. Cette intention ne saurait être fondée sur le seul libellé du texte de l'alinéa 27(1)c) de la Loi sur les Cours fédérales. De même, cette interprétation législative ne saurait trouver son assise dans la seule omission par le Parlement de dire expressément qu'il n'existe pas de droit d'appel d'une décision relative à la détention. La question en litige, c'est-à-dire la détention de l'appelant, est étroitement liée à la question principale, soit l'interdiction de territoire invoquée contre l'appelant. Ce lien ressort tant des motifs au soutien de l'une et de l'autre que de l'objectif commun recherché par l'une et par l'autre. Sauf un, les motifs de détention et d'interdit de territoire sont identiques, c'est-à-dire la protection de la sécurité du Canada. Mais, lorsque la détention a aussi pour but d'assurer la comparution de la personne qui fait l'objet du certificat, l'ordonnance de détention est accessoire et nécessairement liée à la question principale posée par le certificat, soit la crainte pour la sécurité du Canada. La preuve du lien étroit entre l'interdit de territoire attesté par le certificat et la détention ressort également du paragraphe 83(2) de la Loi qui lie la détention et sa révision à l'adjudication sur le certificat. Ce lien étroit s'avère un facteur important dans la recherche de l'intention législative.

Le paragraphe 80(3) de la Loi prévoit que la décision du juge sur le caractère raisonnable du certificat est «définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire». Par l'ajout de ces termes, le législateur a clairement restreint la compétence générale d'appel de la Cour, ce qu'il a omis de faire aux articles 82 et 83 concernant la détention. Toutefois, cela ne veut pas dire que la décision sur la détention est susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire. En vertu de l'article 80 de la Loi, le juge désigné doit décider du caractère raisonnable du certificat. Il doit également, en ce qui concerne la détention, déterminer s'il était raisonnable ou non pour les ministres de craindre pour la sécurité du Canada à cause du danger que pose l'appelant. Dans un cas comme dans l'autre, il doit vérifier la raisonnabilité de la crainte pour la sécurité nationale. Il est inconcevable que le législateur ait voulu que la détermination de la question de la dangerosité pour la sécurité nationale dans le contexte de l'analyse du certificat ne puisse être révisée en appel, mais que la même question puisse l'être, si elle est déterminée par le même juge dans le contexte d'une révision de la détention. Permettre l'appel dans le contexte de la révision de la détention, c'est permettre à une personne visée par l'interdit de territoire de faire indirectement ce qu'elle ne peut faire directement à cause de la prohibition du paragraphe 80(2) de la Loi.

De plus, une décision rendue par la Cour d'appel sur la dangerosité du détenu ou sur la raisonnabilité des craintes pour la sécurité nationale place le juge désigné dans une situation impossible lorsque vient le temps pour lui de décider de la validité du certificat. Il ne lui reste plus rien à décider si la Cour d'appel a déjà conclu, dans le contexte de la détention, que la personne détenue ne constitue pas un danger pour la sécurité du Canada. La Cour d'appel usurpe ainsi des fonctions spécifiquement et exclusivement assignées par le législateur au juge désigné. La reconnaissance d'un droit d'appel sur la question de la détention contreviendrait également à l'intention du législateur en matière d'administration de la preuve et permettrait à cette preuve de sortir de ce cadre pour aboutir devant la Cour d'appel. Cela indique encore une fois que le législateur n'envisageait pas d'appel d'une décision sur la détention.

Un droit d'appel de la décision sur la détention s'avère aussi incompatible avec le mécanisme de révision continue adopté par le législateur. Compte tenu du caractère attentatoire du pouvoir d'arrestation et de détention vis-à-vis le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, le Parlement a opté pour un mécanisme souple, flexible, rapide, efficace et peu coûteux qui s'accorde avec l'intention législative exprimée à l'alinéa 78c) de la Loi où il est stipulé que le juge désigné doit procéder sans formalisme et avec célérité. C'est faire fi de l'intention du législateur que de conclure qu'il a voulu maintenir un processus d'appel long et coûteux. Le droit d'appel à la Cour d'appel fédérale en vertu de la Loi est soit inexistant, soit strictement contrôlé. Le Parlement n'a pas voulu créer, en rapport avec la question de la détention, une dualité de recours concurrents, révision et appel, qui multiplient les procédures et rendent le système dysfonctionnel. Il n'était pas de l'intention du législateur d'entrecouper et de rompre par des appels incontrôlés et répétés la continuité de ce processus de révision de la détention par un juge désigné.

Le juge Décary, J.C.A. (dissident): il n'y a appel à la Cour d'appel fédérale que dans les cas expressément prévus par la Loi. Le paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales confère un droit d'appel général à la Cour d'appel fédérale à l'égard, notamment, des jugements définitifs et des jugements interlocutoires rendus par la Cour fédérale. Le Parlement peut restreindre ou supprimer ce droit général d'appel, ce qu'il a fait de manière expresse dans des cas précis. Le législateur n'a pas cru bon de soustraire une ordonnance de maintien en détention prononcée en vertu de l'article 83 de la Loi, du moins expressément, au principe général qui veut qu'il y ait appel à la Cour d'appel fédérale d'une décision finale ou interlocutoire rendue par un juge de la Cour fédérale. Par conséquent, si exception au principe général du droit d'appel il y a, ce ne peut donc être que par interprétation ou inférence. Cette interprétation ou cette inférence doit néanmoins découler naturellement du texte de loi en cause et doit permettre de conclure que le Parlement a clairement supposé ou voulu, même s'il ne l'a pas dit expressément, qu'il n'y avait pas droit d'appel. Les dispositions législatives en cause ne permettent pas de conclure que le Parlement, par inférence ou interprétation, a supprimé le droit d'appel eu égard aux ordonnances de maintien en détention. Le Parlement s'est montré particulièrement sélectif et précis, dans cette Loi fraîchement adoptée, quand est venu le temps de supprimer ou de restreindre le droit d'appel à la Cour d'appel fédérale. Les deux procédures, quoique parallèles, originent de deux actes ministériels distincts, soit l'émission d'un certificat d'interdiction de territoire et l'émission d'un mandat d'arrestation. Elles ont leur vie propre, elles visent deux objets distincts et elles mènent chacune de leur côté à une décision autonome. La décision relative à la détention n'est pas une décision accessoire à celle relative au certificat et par conséquent ne constitue pas une décision interlocutoire qui serait assujettie, pour ce qui est du droit d'appel, au même sort que la décision principale relative au certificat. La décision relative au maintien en détention statue au fond sur le droit de l'appelant de demeurer en liberté et ce droit est tout à fait distinct du droit de l'appelant de demeurer au Canada. La décision relative à la détention n'affecte d'aucune manière l'enquête menée relativement au certificat non plus que la décision à venir suite à cette enquête. Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, la Cour suprême du Canada a décidé que le pouvoir d'ordonner le maintien en détention «ne découle pas nécessairement du pouvoir de décider si» le certificat est raisonnable. Cette ordonnance est un jugement définitif ou, à la rigueur, un jugement interlocutoire qui ne se rapporte pas à l'ordonnance ultime qui sera prononcée relativement au caractère raisonnable du certificat. Dans l'un ou l'autre cas, la suppression du droit d'appel, au paragraphe 80(3), ne saurait s'appliquer. Toutefois, le maintien en détention n'est pas ordonné pour des motifs qui n'ont absolument rien à voir avec le caractère raisonnable du certificat. Il se peut que les motifs se rejoignent là où la sécurité est en jeu, mais l'objectif recherché, dans un cas, est à long terme et dans l'autre, à court terme. La délivrance du certificat se fonde essentiellement sur les agissements passés de l'intéressé tandis que le mandat d'arrestation se fonde essentiellement sur le risque actuel qu'il représente. Que les mêmes agissements puissent être invoqués dans l'une et l'autre des procédures n'empêchent pas l'objectif recherché d'être distinct.

Pour reprendre l'expression utilisée dans Tobiass, le pouvoir d'ordonner le maintien en détention et le pouvoir de déclarer raisonnable le certificat d'interdiction de territoire sont des actes judiciaires «distincts et divisibles». Le maintien en détention ne «se rapporte» pas au caractère raisonnable du certificat, lequel sera déterminé peu importe que l'intéressé soit ou non en détention. L'argument fondé sur le paragraphe 83(2) de la Loi invoqué par les ministres intimés, lequel paragraphe assure une révision automatique et permet une révision discrétionnaire de la détention, est mal fondé car il confond appel et révision et suppose qu'une fois le maintien en détention ordonné, l'intéressé ne saurait avoir d'autre recours que la révision. Les ministres intimés invitaient la Cour à ajouter à la section 9 de la Loi une disposition qui ne s'y trouve tout simplement pas et qui aurait pour effet d'établir, entre l'ordonnance relative au certificat et celle relative au maintien en détention, une dépendance qui n'existe pas. L'ordonnance de maintien en détention rendue le 15 juillet 2003 est susceptible d'appel.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 520 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 86; L.C. 1999, ch. 3, art. 31), 521 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 87; L.C. 1999, ch. 3, art. 32).

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 18(1),(3).

Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciaires, L.C. 2002, ch. 8.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 1), art. 2(1) «jugement définitif», 27(1)c) (mod., idem, art. 34), 46 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 14; 1992, ch. 1, art. 68), 52a) (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 50).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 82.2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73), 103 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 27; L.C. 1992, ch. 49, art. 94; 1995, ch. 15, art. 19).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)h),i), 37, 54, 55, 57, 58, 62, 63(2),(3), 64(1), 72, 74d), 75(2), 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 105(4).

Règle de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 5, 450 (mod. par DORS/90-846, art. 15), 451 (mod., idem), 452 (mod., idem), 453 (mod., idem), 454 (mod., idem), 455 (mod., idem), 461 (mod., idem), 477, 900 à 920, 1714, 1715.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 216, 369.

jurisprudence

distinction faite d'avec:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2003] 2 C.F. 657; (2002), 224 D.L.R. (4th) 158; 26 Imm. L.R. (3d) 1; 305 N.R. 238 (C.A.).

décisions examinées:

Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 161; 273 N.R. 264 (C.A.F.); Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 882; [2003] A.C.F. no 1119 (C.F.) (QL); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; (1997), 151 D.L.R. (4th) 119; 1 Admin. L.R. (3d) 1; 118 C.C.C. (3d) 443; 14 C.P.C. (4th) 1; 10 C.R. (5th) 163; 40 Imm. L.R. (2d) 23; 218 N.R. 81.

décisions citées:

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; R. v. Carrier (1979), 2 Man.R. (2d) 168; 51 C.C.C. (2d) 307 (C.A. Man); R. c. Bradley et Bickerdike, [1977] C.S. 1055; (1977), 38 C.C.C. (2d) 283; 1 C.R. (3d) 28 (Qué.); R. c. Ghannime, [1980] C.S. 433; (1980), 18 C.R. (3d) 186 (Qué.); R. v. D.C.G.S., 2003 ABQB 420; [2003] A.J. no 776 (B.R. Alb.) (QL); R. v. S.K.M. (2003), 229 Nfld. & P.E.I.R. 67 (C.S.); Froom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 9 (C.A.F.); Luitjens c. Canada (Secrétaire d'État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149; 142 N.R. 173 (C.A.F.); Katriuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 71 C.R.R. (2d) 113; 11 Imm. L.R. (3d) 178; 252 N.R. 68 (C.A.F.).

doctrine

    Cournoyer, Guy et Gilles Ouimet. Code criminel annoté 2004, Cowansville: Éditions Yvon Blais, 2003.

REQUÊTE en radiation de l'avis d'appel relativement à une ordonnance de maintien en détention prononcée par un juge de la Cour fédérale en vertu de l'article 83 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Requête accueillie.

observations écrites:

Johanne Doyon et Julius H. Grey pour l'appelant.

J. Daniel Roussy et J. C. Luc Cadieux pour les intimés.

avocats inscrits au dossier:

Doyon, Guertin, Montbriand & Plamondon, Montréal, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]Le juge Létourneau, J.C.A.: J'ai eu le bénéfice de prendre connaissance des motifs de mon collègue, le juge Décary. Malheureusement, je ne peux y souscrire ainsi qu'à la conclusion sur laquelle ils débouchent.

[2]Je me contenterai d'énumérer quelques faits principaux évitant, autant que faire se peut, le double emploi avec ceux relatés par mon collègue.

Les faits et les dispositions législatives pertinentes

[3]Je reproduis à ce stade certains des articles pertinents de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi) afin d'en faciliter l'accès et la consultation pour une meilleure compréhension des présents motifs:

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants:

    a) être l'auteur d'actes d'espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s'entend au Canada;

    b) être l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force;

    c) se livrer au terrorisme;

    d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

    e) être l'auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d'autrui au Canada;

    f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

(2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

    [. . .]

77. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada déposent à la Section de première instance de la Cour fédérale le certificat attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80.

(2) Il ne peut être procédé à aucune instance visant le résident permanent ou l'étranger au titre de la présente loi tant qu'il n'a pas été statué sur le certificat; n'est pas visée la demande de protection prévue au paragraphe 112(1).

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire:

    a) le juge entend l'affaire;

    b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

    c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

    d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;

    e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

    f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;

    g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;

    h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

    i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant;

    j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile--même inadmissible en justice--et peut fonder sa décision sur celui-ci.

79. (1) Le juge suspend l'affaire, à la demande du résident permanent, de l'étranger ou du ministre, pour permettre à ce dernier de disposer d'une demande de protection visée au paragraphe 112(1).

(2) Le ministre notifie sa décision sur la demande de protection au résident permanent ou à l'étranger et au juge, lequel reprend l'affaire et contrôle la légalité de la décision, compte tenu des motifs visés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale.

80. (1) Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre, compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose.

(2) Il annule le certificat dont il ne peut conclure qu'il est raisonnable; si l'annulation ne vise que la décision du ministre il suspend l'affaire pour permettre au ministre de statuer sur celle-ci.

(3) La décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire.

81. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l'interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu'il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l'enquête; la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1).

82. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent lancer un mandat pour l'arrestation et la mise en détention du résident permanent visé au certificat dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

(2) L'étranger nommé au certificat est mis en détention sans nécessité de mandat.

83. (1) Dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention du résident permanent, le juge entreprend le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention, l'article 78 s'appliquant, avec les adaptations nécessaires, au contrôle.

(2) Tant qu'il n'est pas statué sur le certificat, l'intéressé comparaît au moins une fois dans les six mois suivant chaque contrôle, ou sur autorisation du juge.

(3) L'intéressé est maintenu en détention sur preuve qu'il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

[4]Le litige porte sur l'interprétation de dispositions législatives adoptées par le Parlement pour assurer la sécurité du Canada et le protéger, entre autres, contre le terrorisme. Il met en cause l'interaction de l'alinéa 27(1)c) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 34] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod., idem, art. 1], avec ces nouvelles dispositions. L'alinéa 27(1)c) confère, d'une manière générale, un droit d'appel d'une décision interlocutoire rendue par un juge de la Cour fédérale.

[5]Comme mon collègue l'a déjà exprimé aux paragraphes 2 et 3 de ses motifs, les ministres intimés ont émis un certificat attestant que l'appelant est interdit de territoire pour des raisons de sécurité: paragraphe 77(1) de la Loi. Plus précisément, les ministres intimés reprochent à l'appelant de constituer un danger pour la sécurité du Canada du fait qu'il est membre du réseau terroriste d'Oussama Ben Laden et que, seul ou comme membre de cette organisation, il s'est livré, se livre ou se livrera au terrorisme: alinéas 34(1)c), d) et f) de la Loi.

[6]Dans cette optique et consécutivement à l'objectif de sécurité recherché, les ministres se sont prévalus du paragraphe 82(1) de la Loi. Ils ont lancé un mandat pour l'arrestation et la détention de l'appelant. La raison invoquée, fondée sur des motifs raisonnables, est nette et précise: l'appelant constitue un danger pour la sécurité nationale ou celle d'autrui ou, se sachant poursuivi, il se soustraira vraisemblablement à la procédure prise contre lui ou au renvoi qui s'ensuit si le certificat relatif à l'interdiction de territoire est déclaré valide.

[7]On peut donc voir d'ores et déjà, en l'espèce, un recoupement important entre les motifs de la détention de l'appelant et ceux qui fondent l'interdiction de territoire attestée par le certificat émis par les ministres en vertu de l'article 77 de la Loi. Je reviendrai plus à fond sur cette question un peu plus tard dans mes motifs.

L'absence de droit d'appel de la décision du juge désigné contrôlant les motifs de la détention de l'appelant

[8]Il s'agit essentiellement de rechercher et de cristalliser l'intention que le législateur avait en adoptant les articles 82 et 83 relatifs à la détention et à son contrôle. Cette recherche doit se faire en fonction des autres dispositions de la section 9 où se trouvent les articles 82 et 83 ainsi qu'en fonction de l'objectif recherché tant par cette section que par la Loi. L'intention législative ne saurait être fondée sur le seul libellé du texte de l'alinéa 27(1)c) de la Loi sur les Cours fédérales: voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21. De même, cette interprétation législative ne saurait trouver son assise dans la seule omission par le Parlement de dire expressément qu'il n'existe pas de droit d'appel d'une décision relative à la détention.

a)     l'existence d'un lien étroit entre le certificat attestant l'interdit de territoire et la détention

[9]Dès le départ, je crois qu'il faut distinguer l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2003] 2 C.F. 657 (C.A.) de la présente. Dans l'affaire Obodzinsky, la question en litige portait sur l'interprétation et l'application d'une règle de procédure de la Cour fédérale qui n'avait aucun lien avec la question principale, cette dernière consistant à déterminer si l'obtention de la citoyenneté avait été la résultante de fausses déclarations ou de manoeuvres dolosives. En l'espèce, la question en litige, i.e. celle de la détention de l'appelant est intimement et étroitement liée à la question principale, soit l'interdiction de territoire invoquée contre l'appelant.

[10]Tout d'abord, ce lien entre la détention et l'interdiction de territoire ressort tant des motifs au soutien de l'une et de l'autre que de l'objectif commun recherché par l'une et par l'autre. Sauf un, les motifs de détention et d'interdit de territoire sont identiques. En outre, tant l'interdiction de territoire que la détention de l'appelant ont comme commun dénominateur la protection de la sécurité du Canada. Cette dernière est d'ailleurs un des objectifs importants de la Loi, ainsi exprimé par le législateur aux alinéas 3(1)h) et i) sous la rubrique «Objet de la Loi». L'alinéa 3(1)h) énonce que la Loi a pour objet «de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité» alors que l'alinéa 3(1)i) mentionne comme objet celui «de promouvoir, à l'échelle internationale, la justice et la sécurité par [. . .] l'interdiction de territoire aux personnes qui [. . .] constituent un danger pour la sécurité».

[11]Dans la présente affaire, le certificat attestant l'interdiction de territoire fut émis par les ministres parce que l'appelant représentait un danger pour la sécurité du Canada du fait de son appartenance à une organisation terroriste ou qu'il s'est livré, se livre ou se livrera au terrorisme. En d'autres termes, le motif de l'interdit de territoire, c'est la crainte pour la sécurité; ceux de la crainte pour la sécurité, ce sont l'appartenance de l'appelant à une organisation terroriste et la possibilité que des actes de terrorisme soient posés par lui ou par l'organisation dont il est membre: voir le certificat délivré en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi.

[12]Or, tel qu'il appert du mandat d'arrestation et de détention, c'est aussi, comme pour l'interdit de territoire, la crainte pour la sécurité qui est la raison fondamentale et première de la délivrance dudit mandat et de l'ordonnance de détention qu'il contient. Il est vrai que la détention peut aussi être ordonnée pour un motif additionnel, soit pour éviter que la personne visée par le mandat puisse se soustraire à la procédure ou à la mesure de renvoi. Mais, il est évident qu'en pareil cas, i.e. lorsque la détention a aussi pour but d'assurer la comparution de la personne qui fait l'objet du certificat, l'ordonnance de détention est accessoire et nécessairement liée à la question principale posée par le certificat, soit la crainte pour la sécurité du Canada. Elle est d'une complémentarité nécessaire au certificat.

[13]La preuve du lien étroit entre l'interdit de territoire attesté par le certificat et la détention ressort également du paragraphe 83(2) de la Loi. Le législateur y lie la détention et sa révision à l'adjudication sur le certificat. Le paragraphe stipule que «[t]ant qu'il n'est pas statué sur le certificat», la personne détenue doit comparaître au moins une fois dans les six mois suivant chaque contrôle des motifs de la détention.

b)     l'importance et la signification de l'existence du lien entre le certificat attestant l'interdiction de territoire et la détention

[14]L'existence d'un lien étroit entre le certificat attestant l'interdiction de territoire et la détention s'avère un facteur important dans la recherche de l'intention législative.

[15]Le législateur a prévu au paragraphe 80(3) de la Loi que la décision du juge sur le caractère raisonnable du certificat est «définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire». Par l'ajout de ces termes, il a clairement restreint la compétence générale d'appel de notre Cour, ce qu'il a malheureusement omis de faire aux articles 82 et 83 concernant la détention. Ceci ne veut, toutefois, pas dire que la décision sur la détention est susceptible d'appel ou de révision judiciaire. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner, dans un premier temps, le rôle qu'est appelé à jouer le juge désigné en rapport avec le certificat et la détention.

[16]En vertu de l'article 80 de la Loi, le juge désigné doit décider du caractère raisonnable du certificat. Il doit à partir des éléments de preuve déterminer s'il était raisonnable ou non pour les ministres de craindre pour la sécurité du Canada à cause du danger que pose l'appelant et, en conséquence, raisonnable ou non de déposer un certificat attestant un interdit de territoire. Or, en matière de détention, le juge désigné doit également vérifier si le ministre avait des motifs raisonnables ou non de craindre pour la sécurité nationale à cause du danger que constitue l'appelant. Dans un cas comme dans l'autre, il doit vérifier la raisonnabilité de la crainte pour la sécurité nationale.

[17]Il m'apparaît inconcevable que le législateur ait voulu que la détermination de la question de la dangerosité pour la sécurité nationale dans le contexte de l'analyse du certificat ne puisse être révisée en appel, mais que la même question, si déterminée par le même juge dans le contexte d'une révision de la détention puisse, elle, être révisée en appel. Permettre l'appel dans le contexte de la révision de la détention, c'est permettre à une personne visée par l'interdit de territoire de faire indirectement ce qu'elle ne peut faire directement à cause de la prohibition du paragraphe 80(2) de la Loi, c'est-à-dire réviser la raisonnabilité des craintes du ministre pour la sécurité nationale. En d'autres termes, c'est permettre de faire réviser, par le truchement de la détention, la validité des motifs du certificat alors que le législateur n'a pas voulu que ceux-ci le soient par la Cour d'appel.

c)     autres conséquences incongrues découlant d'un possible appel de la décision du juge désigné sur la question de la détention

[18]Au delà du fait qu'un droit d'appel de la décision relative à la détention permettrait de faire indirectement ce que le législateur a interdit de faire directement, une décision rendue par la Cour d'appel sur la dangerosité du détenu ou sur la raisonnabilité des craintes pour la sécurité nationale place le juge désigné dans une situation impossible lorsque vient le temps pour lui de décider de la validité du certificat. À toutes fins utiles, il ne lui reste plus rien à décider si la Cour d'appel a déjà conclu, dans le contexte de la détention, que la personne détenue constitue ou ne constitue pas un danger pour la sécurité du Canada et que les craintes du ministre à cet égard sont ou ne sont pas bien fondées. La Cour d'appel usurpe ainsi des fonctions spécifiquement et exclusivement assignées par le législateur au juge désigné.

[19]La reconnaissance d'un droit d'appel sur la question de la détention contrevient également à l'intention du législateur en matière d'administration de la preuve. En effet, il ressort clairement du paragraphe 80(3) de la Loi, lequel prohibe l'appel sur la raisonnabilité du certificat, que le législateur a voulu que la preuve sur la dangerosité pour la sécurité nationale, qui est nécessaire pour établir le caractère raisonnable du certificat, soit administrée par le juge désigné et reste devant lui. Or, reconnaître un droit d'appel sur la question de la détention permettrait à cette preuve de sortir de ce cadre pour aboutir devant la Cour d'appel. Ceci pose un certain nombre de problèmes pratiques et soulève des questions importantes pour lesquelles le législateur n'a pas donné de réponse, ce qui, à mon avis, indique encore une fois que le législateur n'envisageait pas d'appel d'une décision sur la détention.

[20]En effet, comme on peut le voir en l'espèce, le juge désigné a, dans le contexte de l'administration de la preuve, entendu plusieurs témoins à charge et à décharge sur la question du danger pour la sécurité que l'appelant pose. Il a non seulement entendu ces témoins, il les a vus. Il a apprécié leur crédibilité. Quel rôle utile la Cour d'appel peut-elle jouer dans un tel contexte, compte tenu de la norme de contrôle applicable en pareille situation? Pire encore, comment va-t-elle pouvoir apprécier cette preuve s'il n'y a pas d'enregistrement des témoignages? Va-t-elle alors procéder à une audition de novo, entendre les témoins, réviser la preuve documentaire et apprécier les témoignages en fonction de cette preuve? Il ne s'agit plus alors à proprement parler d'un appel, mais plutôt d'une révision hybride comparable à celle des articles 520 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 86; L.C. 1999, ch. 3, art. 31] et 521 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 87; L.C. 1999, ch. 3, art. 32] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] où, comme on peut le voir aux paragraphes 520(7) et 521(8) qui confèrent de tels pouvoirs, le juge révisionnaire peut accepter de nouvelles preuves et pièces de la part du détenu et du ministère public et, non sans y avoir au préalable payé respect, substituer sa discrétion à celle du premier juge: Cournoyer et Ouimet, Code criminel annoté 2004, Cowansville: Éditions Yvon Blais, 2003, aux pages 817 et 819; R. v. Carrier (1979), 2 Man. R. (2d) 168 (C.A.); R. c. Bradley et Bickerdike, [1977] C.S. 1055 (Qué.); R. c. Ghannime, [1980] C.S. 433 (Qué.); R. v. D.C.G.S., 2003 ABQB 420; [2003] A.J. no 776 (B.R. Alb.) (QL); R. v. S.K.M. (2003), 229 Nfld. & P.E.I.R. 67 (C.S.). Dans le cas qui nous est soumis, aucun article de la Loi ne confère à la Cour d'appel de tels pouvoirs.

[21]La détermination de la dangerosité d'un détenu implique en général une question de fait. Celle de savoir si cette dangerosité est suffisante pour justifier une détention préventive, i.e. une détention en attente d'une décision sur la question principale, est une question mixte de fait et de droit. Encore une fois, compte tenu de la norme de contrôle applicable en appel à des questions de fait ou mixtes de fait et de droit, je m'interroge sérieusement sur l'utilité pratique d'un droit d'appel traditionnel comme on semble l'envisager en l'espèce.

[22]Un droit d'appel de la décision sur la détention s'avère aussi incompatible avec le mécanisme de révision continue choisi et adopté par le législateur.

[23]En octroyant un pouvoir d'arrestation et de détention, le Parlement était sensible au caractère attentatoire de ce pouvoir vis-à-vis le droit à la liberté et à la sécurité de la personne. Il était aussi sensible à la nécessité de prévenir et de contrôler les abus en la matière. Aussi a-t-il opté pour un mécanisme souple, flexible, rapide, efficace et peu coûteux. Bref, le Parlement a opté pour l'antithèse de ce que serait un mécanisme d'appel devant une formation de trois juges.

[24]Premièrement, la détention doit être révisée dans les 48 heures suivant le début de celle-ci. Deuxièmement, une nouvelle révision doit se faire au moins une fois dans les six mois suivant chaque révision antérieure, ou au besoin selon ce qu'ordonne le juge désigné. Troisièmement, ce mécanisme souple et rapide s'accorde avec l'intention législative exprimée à l'alinéa 78c) de la Loi où il est stipulé que le juge désigné doit procéder sans formalisme et avec célérité («expeditiously» en anglais). Avec respect, je crois que c'est faire fi de l'intention du législateur que de conclure qu'il a voulu maintenir en juxtaposition avec ce mécanisme efficace et rapide un processus d'appel long et coûteux. Mais à mon avis, il y a plus.

[25]Tout d'abord, comment va se matérialiser en Cour d'appel l'absence de formalisme avec une formation de trois juges? De son côté, le juge désigné peut-il procéder à une révision alors que la personne détenue a un appel pendant devant la Cour d'appel? Si oui et si une nouvelle décision est rendue par le juge désigné maintenant la détention, cette décision remplace la décision précédente et, en conséquence, rend l'appel caduc. Le détenu doit alors initier de nouvelles procédures d'appel pour contester la nouvelle décision. Il en sera ainsi après chaque contrôle de la détention, lesquels contrôles, rappelons-le, peuvent avoir lieu au besoin. La révision continue peut déboucher sur une cascade d'appels futiles. Si, au terme d'un appel, la Cour d'appel confirme le maintien en détention de l'appelant, cette décision place le juge désigné, pourtant beaucoup plus familier avec le dossier et son évolution pendant l'appel, dans une position peu souhaitable lorsqu'il est appelé à réviser la détention en conformité avec les exigences du mécanisme de révision.

[26]Enfin, la lecture du paragraphe 55(1), des articles 57, 58, des paragraphes 63(2) et (3), 64(1), 72(1) et de l'alinéa 74d) de la Loi ajoute à ma conviction que le législateur a écarté le droit d'appel sur la question de la détention:

55. (1) L'agent peut lancer un mandat pour l'arrestation et la détention du résident permanent ou de l'étranger dont il a des motifs raisonnables de croire qu'il est interdit de territoire et qu'il constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi.

    [. . .]

57. (1) La section contrôle les motifs justifiant le maintien en détention dans les quarante-huit heures suivant le début de celle-ci, ou dans les meilleurs délais par la suite.

(2) Par la suite, il y a un nouveau contrôle de ces motifs au moins une fois dans les sept jours suivant le premier contrôle, puis au moins tous les trente jours suivant le contrôle précédent.

(3) L'agent amène le résident permanent ou l'étranger devant la section ou au lieu précisé par celle-ci.

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l'étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants:

    a) le résident permanent ou l'étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

    b) le résident permanent ou l'étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d'une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

    c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l'étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

    d) dans le cas où le ministre estime que l'identité de l'étranger n'a pas été prouvée mais peut l'être, soit l'étranger n'a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l'identité de l'étranger.

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l'étranger sur preuve qu'il fait l'objet d'un contrôle, d'une enquête ou d'une mesure de renvoi et soit qu'il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu'il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi.

(3) Lorsqu'elle ordonne la mise en liberté d'un résident permanent ou d'un étranger, la section peut imposer les conditions qu'elle estime nécessaires, notamment la remise d'une garantie d'exécution.

    [. . .]

63. [. . .]

(2) Le titulaire d'un visa de résident permanent peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l'enquête.

(3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l'enquête.

    [. . .]

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

    [. . .]

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure--décision, ordonnance, question ou affaire--prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d'une demande d'autorisation.

    [. . .]

74. [. . .]

    d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n'est susceptible d'appel en Cour d'appel fédérale que si le juge certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

[27]Lorsque l'arrestation et la détention d'une personne pour un interdit de territoire se fait en vertu d'un mandat émis par un agent conformément à l'article 55 de la Loi, le législateur a aussi prévu pour cette détention une révision continue exercée par la section de l'immigration (Section). Au mieux, la décision de la Section sur la détention, et je me garde bien de décider cette question, pourrait faire l'objet d'un contrôle judiciaire en vertu de l'article 72, avec les inconvénients majeurs que pose la révision continue et que j'ai déjà notés. Cette révision par la Cour fédérale n'en est toutefois pas une de plein droit. Elle est subordonnée à l'obtention d'une permission.

[28]De même, il n'y a pas d'appel d'un jugement consécutif à un contrôle judiciaire à moins qu'une question grave de portée générale ne soit certifiée. D'ailleurs, dans l'affaire Lai v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 161 (C.A.F.), il y eut appel, à la Cour d'appel fédérale, de la décision de la Cour fédérale portant sur le pouvoir du ministre d'ordonner la détention d'une personne parce qu'une question relative à la détention fut certifiée.

[29]Or, dans la présente affaire, l'arrestation et la détention résultèrent d'un mandat émis par les ministres. Le législateur a voulu que cette décision des ministres soit révisée par un juge de la Cour fédérale sur une base continue jusqu'à la détermination de la question principale. La nécessité d'une révision judiciaire se comprend: les ministres ne disposent pas nécessairement de toute la preuve au moment où ils émettent le mandat et une appréciation objective et impartiale des motifs raisonnables qu'ils invoquent s'impose. J'ai déjà expliqué les raisons qui ont présidé au choix d'un mécanisme de révision continue.

[30]La lecture des articles précités de la Loi ne révèle pas une grande symétrie dans le traitement que le législateur a fait du droit d'appel ou de révision des décisions. Mais elle révèle tout de même une constante: les décisions de la Section ne sont pas sujettes à appel devant la Cour d'appel fédérale. Elles sont plutôt soumises à un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, mais la révision judiciaire est assujettie à un mécanisme de contrôle, i.e. une demande de permission. L'appel de la décision rendue au terme d'un contrôle judiciaire n'existe pas de plein droit. Encore là un contrôle a été prévu, lequel prend la forme d'une question certifiée par la Cour fédérale.

[31]En somme, le droit d'appel à la Cour d'appel fédérale en vertu de la Loi est soit inexistant, soit strictement contrôlé. Dans ces circonstances, il m'apparaît surprenant, pour ne pas dire inconcevable, que le législateur puisse avoir voulu accorder un droit d'appel à la Cour d'appel fédérale, sans contrôle préalable, sur la question accessoire de la détention préventive alors qu'il n'a accordé aucun droit d'appel sur la question beaucoup plus fondamentale de l'interdiction de territoire dont les conséquences sont significatives pour la personne visée par l'interdiction: voir les paragraphes 64(1) et 80(3) de la Loi.

Conclusion

[32]En conclusion, je ne crois pas qu'en rapport avec la question de la détention, le Parlement a voulu une dualité de recours concurrents, i.e. révision et appel, qui multiplient les procédures et rendent le système dysfonctionnel. J'ai peine à croire que le Parlement ait pu être aussi incohérent dans un secteur aussi névralgique que la sécurité des canadiens. Je concède que ce qui va sans dire va parfois beaucoup mieux en le disant. Il n'y a pas de doute qu'il eût été préférable et plus simple pour le législateur de dire expressément qu'il n'y a pas de droit d'appel de la décision sur la détention plutôt que de s'en remettre pour la détermination de la question à l'aléatoire processus d'interprétation par déductions ou par inférences nécessaires. Ceci dit, je suis convaincu que, compte tenu de la sécurité nationale qui est un objet important et fondamental de la Loi, de la nécessité de procéder avec célérité et sans formalisme, du fait que tant la révision par contrôle judiciaire que la décision rendue sur un contrôle judiciaire sont soumis à un contrôle préalable, de la négation du droit d'appel sur la question principale de l'interdiction de territoire, du caractère accessoire de la détention et de la nature intrinsèque d'un mécanisme de révision continue, il n'était pas de l'intention du législateur d'entrecouper et de rompre par des appels incontrôlés et répétés la continuité de ce processus de révision de la détention par un juge désigné.

[33]Pour ces motifs, j'accueillerais la requête en radiation de l'avis d'appel et je rejetterais l'appel pour défaut de compétence.

Le juge Nadon, J.C.A.: Je suis d'accord.

    * * *

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[34]Le juge Décary, J.C.A. (dissident): Cette requête en radiation porte sur l'existence ou non d'un droit d'appel relativement à une ordonnance de maintien en détention prononcée par un juge de la Cour fédérale en vertu de l'article 83 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi), sanctionnée le 1er novembre 2001.

[35]Le 16 mai 2003, les ministres intimés se prévalaient des dispositions du paragraphe 77(1) de la Loi et déposaient à la Section de première instance de la Cour fédérale un certificat attestant qu'ils étaient d'avis, «à la lumière des renseignements en matière de sécurité dont [ils ont] eu connaissance, que [l'appelant], un résident permanent, est interdit de territoire pour raison de sécurité, aux termes des alinéas 34(1)c), d) et f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés». (Le 2 juillet 2003, par le décret TR/2003-109, la Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciaires (L.C. 2002, ch. 8, art. 33 et suivants) est entrée en vigueur, la Loi sur la Cour fédérale est alors devenue la Loi sur les Cours fédérales et la Section de première instance est devenue la Cour fédérale.)

[36]Ce même jour, les ministres intimés se prévalaient des dispositions du paragraphe 82(1) de la Loi pour lancer un mandat visant l'arrestation et la détention de l'appelant, à l'égard duquel il y avait «des motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi».

[37]Ce mandat d'arrestation a été exécuté le 21 mai 2003 et l'appelant est détenu depuis ce jour.

[38]Ainsi que le requiert le paragraphe 83(1) de la Loi, le juge Simon Noël, dans les 48 heures suivant le début de la détention, a entrepris «le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention». Après enquête et audience, le juge Noël, le 15 juillet 2003 [Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 882; [2003] A.C.F. no 1119 (C.F.) (QL)], maintenait la détention et ce [au paragraphe 71], «jusqu'à ce que le juge désigné statue à nouveau à l'égard du maintien de la détention selon le paragraphe 83(2) de la Loi».

[39]Le 25 juillet 2003, l'appelant déposait un avis d'appel relativement à cette décision.

[40]Le 6 septembre 2003, le sous-procureur général du Canada, au nom des deux ministres intimés, déposait une requête écrite en vertu de la règle 369 des Règles de la Cour fédérale, 1998 [DORS/98-106], dans laquelle il prétend qu'il n'existe pas de droit d'appel à l'encontre de l'ordonnance de maintien en détention rendue le 15 juillet 2003 et demande en conséquence que l'appel soit radié en vertu de l'alinéa 52a) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 50] de la Loi sur les Cours fédérales.

[41]L'appelant a déposé son dossier de réponse le 17 septembre 2003, et les intimés, leur dossier de réplique le 23 septembre 2003.

[42]Il sera utile, avant d'aller plus loin, de reproduire les dispositions les plus pertinentes de la Loi; pour faciliter la lecture, j'ai ajouté les notes marginales:

    Section 6

    Détention et mise en liberté

Juridiction compétente

54. La Section de l'immigration est la section de la Commission chargée du contrôle visé à la présente section.

Arrestation sur mandat et détention

55. (1) L'agent peut lancer un mandat pour l'arrestation et la détention du résident permanent ou de l'étranger dont il a des motifs raisonnables de croire qu'il est interdit de territoire et qu'il constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi.

    [. . .]

Contrôle de la détention

57. (1) La section contrôle les motifs justifiant le maintien en détention dans les quarante-hui heures suivant le début de celle-ci, ou dans les meilleurs délais par la suite.

    [. . .]

    Section 7

    Droit d'appel

Juridiction compétente

62. La Section d'appel de l'immigration est la section de la Commission qui connaît de l'appel visé à la présente section.

    [. . .]

Restriction du droit d'appel

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou interna-tionaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

    [. . .]

    Section 8

    Contrôle judiciaire

Demande d'autorisation

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure--décision, ordon-nance, question ou affaire--prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d'une demande d'autorisation.

Application

(2) Les dispositions suivantes s'appliquent à la demande d'autorisation:

    [. . .]

    e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d'appel.

    [. . .]

Demande de contrôle judi ciaire

74. Les règles suivantes s'appliquent à la demande de contrôle judiciaire:

    [. . .]

    d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n'est susceptible d'appel en Cour d'appel fédérale que si le juge certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

    [. . .]

Incompatibilité

75. [. . .]

(2) Les dispositions de la présente section l'emportent sur les dispositions incompatibles de la Loi sur la Cour fédérale.

    Section 9

    Examen de renseignements à protéger

    Examen à la demande du ministre

et du solliciteur général

    [. . .]

Dépôt du certificat

77. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada déposent à la Section de première instance de la Cour fédérale le certificat attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80.

    [. . .]

Examen judiciaire

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire:

    a) le juge entend l'affaire;

    b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

    c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

    d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;

    e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

    f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;

    g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;

    h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

    i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant;

    j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile--même inadmissible en justice--et peut fonder sa décision sur celui-ci.

Suspension de l'affaire

79. (1) Le juge suspend l'affaire, à la demande du résident permanent, de l'étranger ou du ministre, pour permettre à ce dernier de disposer d'une demande de protection visée au paragraphe 112(1).

Reprise de l'affaire

(2) Le ministre notifie sa décision sur la demande de protection au résident permanent ou à l'étranger et au juge, lequel reprend l'affaire et contrôle la légalité de la décision, compte tenu des motifs visés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale.

Décision

80. (1) Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre, compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose.

Annulation du certificat

(2) Il annule le certificat dont il ne peut conclure qu'il est raisonnable; si l'annulation ne vise que la décision du ministre il suspend l'affaire pour permettre au ministre de statuer sur celle-ci.

Caractère définitif de la décision

(3) La décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire.

Effet du certificat

81. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l'interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu'il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l'enquête; la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1).

    Détention

Arrestation et détention facultatives

82. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent lancer un mandat pour l'arrestation et la mise en détention du résident permanent visé au certificat dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

Détention obligatoire

(2) L'étranger nommé au certificat est mis en détention sans nécessité de mandat.

Contrôle des motifs de la détention

83. (1) Dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention du résident permanent, le juge entreprend le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention, l'article 78 s'appliquant, avec les adaptations nécessaires, au contrôle.

Comparutions supplémentaires

(2) Tant qu'il n'est pas statué sur le certificat, l'intéressé comparaît au moins une fois dans les six mois suivant chaque contrôle, ou sur autorisation du juge.

Maintien en détention

(3) L'intéressé est maintenu en détention sur preuve qu'il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

Mise en liberté

84. (1) Le ministre peut, sur demande, mettre le résident permanent ou l'étranger en liberté s'il veut quitter le Canada.

Mise en liberté judiciaire

(2) Sur demande de l'étranger dont la mesure de renvoi n'a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.

Incompatibilité

85. Les articles 82 à 84 l'emportent sur les dispositions incompatibles de la section 6.

    Examen dans le cadre d'une enquête ou

d'un appel en matière d'immigration

Interdiction de divulgation

86. (1) Le ministre peut, dans le cadre de l'appel devant la Section d'appel de l'immigration, du contrôle de la détention ou de l'enquête demander l'interdiction de la divulgation des renseignements.

Application

(2) L'article 78 s'applique à l'examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, la mention de juge valant mention de la section compétente de la Commission.

Examen dans le cadre du contrôle judiciaire

Interdiction de divulgation

87. (1) Le ministre peut, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, demander au juge d'interdire la divulgation de tout renseignement protégé au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115.

Application

(2) L'article 78 s'applique à l'examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l'obligation de fournir un résumé et au délai.

Je ferai également référence aux paragraphes 18(1) et (3) de la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29]:

Avis préalable à l'annulation

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne soit réalisée:

    a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

    b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

    [. . .]

Caractère définitif de la décision

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

et à l'article 27 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 34] de la Loi sur les Cours fédérales:

compétence de la cour d'appel

fédérale

Appels des jugements de la Cour fédérale    

27. (1) Il peut être interjeté appel, devant la Cour d'appel fédérale, des décisions suivantes de la Cour fédérale:

    a) jugement définitif;

    [. . .]

    c) jugement interlocutoire;

[43]Les intimés soutiennent, essentiellement, que puisqu'il n'y a pas d'appel, aux termes du paragraphe 80(3) de la Loi, à l'encontre de la décision de fond relative au caractère raisonnable du certificat, il ne saurait non plus y avoir un droit d'appel à l'encontre de l'ordonnance interlocutoire et accessoire que serait l'ordonnance de maintien en détention. Ils s'appuient sur l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, où la Cour aurait décidé que des jugements interlocutoires rendus dans le contexte d'un renvoi prévu au paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté n'étaient pas davantage susceptibles d'appel que le jugement final portant sur le renvoi.

[44]Les intimés plaident aussi que le droit conféré à l'appelant par le paragraphe 83(2) de la Loi de comparaître «au moins une fois dans les six mois suivant chaque contrôle», ou à tout autre moment sur autorisation du juge, est un indice de l'intention du législateur de limiter le pouvoir d'intervention de la Cour d'appel fédérale en matière de détention. Il est prévu, en l'espèce, qu'une nouvelle comparution de l'appelant aura lieu le 12 janvier 2004 si la Cour fédérale n'a pas alors rendu sa décision relative au certificat.

[45]Il est acquis qu'il n'y a appel à la Cour d'appel fédérale que dans les cas expressément prévus par la Loi (Tobiass, précité, à la page 412). Le Parlement a choisi au paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales, de conférer un droit d'appel général à la Cour d'appel fédérale à l'égard, notamment, des jugements définitifs et des jugements interlocutoires rendus par la Cour fédérale.

[46]Il est acquis, également, que le Parlement peut restreindre ou supprimer ce droit général d'appel (Tobiass, précité, à la page 413), ce qu'il a fait de manière expresse dans des cas précis. Parmi ces cas d'exception se trouvent, en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la décision portant sur le caractère raisonnable du certificat d'interdiction de territoire pour raison de sécurité émis en vertu de l'article 77 de ladite Loi, laquelle décision n'est pas susceptible d'appel (paragraphe 80(3)); le jugement consécutif au contrôle judiciaire de toute mesure prise par la Cour fédérale dans le cadre de ladite Loi, lequel jugement n'est susceptible d'appel que si le juge certifie que l'affaire soulève une question grave de portée générale (alinéa 74d)); le jugement sur la demande d'autorisation de contrôle judiciaire ou toute décision interlocutoire relative à celle-ci, lesquels ne sont pas susceptibles d'appel (alinéa 72(2)e)); et la décision qui est assimilée au rejet de la demande d'asile d'une personne passible d'extradition, laquelle n'est pas, non plus, «susceptible d'appel ni, sauf sous le régime de la Loi sur l'extradition, de contrôle judiciaire» (paragraphe 105(4)).

[47]Parmi ces cas d'exception se trouve aussi, en vertu de la Loi sur la citoyenneté, celui de la décision d'un juge de la Cour fédérale portant sur la perte de citoyenneté en cas de fraude, laquelle décision n'est pas susceptible d'appel «par dérogation à toute autre loi fédérale» (paragraphe 18(3)). C'est ce paragraphe qui était en cause dans l'affaire Tobiass.

[48]Dans le cas qui nous concerne, soit celui d'une ordonnance de maintien en détention prononcée par un juge de la Cour fédérale en vertu de l'article 83 de la Loi, le législateur n'a pas cru bon de la soustraire, du moins expressément, au principe général qui veut qu'il y ait appel à la Cour d'appel fédérale d'une décision finale ou interlocutoire rendue par un juge de la Cour fédérale. Si exception au principe général du droit d'appel il y a, ce ne peut donc être que par interprétation ou inférence. C'est, au fond, ce que plaident les ministres intimés, pour qui l'exception prévue au paragraphe 80(3) de la Loi relativement aux décisions portant sur le caractère raisonnable du certificat vise implicitement les décisions portant sur la détention.

[49]Je suis prêt à reconnaître qu'il peut y avoir exception au principe général du droit d'appel par interprétation ou inférence. Encore faut-il, cependant, à mon avis, que cette interprétation ou cette inférence découle naturellement du texte de loi en cause, ce qui revient à dire qu'il faut être en mesure de conclure que le Parlement a clairement supposé ou voulu, même s'il ne l'a pas dit expressément, qu'il n'y avait pas ou qu'il n'y ait pas droit d'appel. Je me fonde, pour faire cette affirmation, sur le fait que le législateur a raffiné au cours des ans sa façon de dire. Ainsi, par exemple, le paragraphe 72(2)e) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés mentionne expressément «toute décision interlocutoire», ce que ne faisait pas l'article 82.2 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] (voir Froom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 1 (C.A.F.).

[50]J'en suis venu à la conclusion, pour les raisons qui suivent, que les dispositions législatives en cause ne permettent pas de conclure que le Parlement, par inférence ou interprétation, a supprimé le droit d'appel eu égard aux ordonnances de maintien en détention.

[51]Les dispositions qui visent le certificat d'interdiction de territoire (les articles 77 à 81) et celles qui visent le mandat d'arrestation (les articles 82 à 85) se retrouvent dans la même section de la Loi, la section 9. Le Parlement, me semble-t-il, s'est montré particulièrement sélectif et précis, dans cette Loi fraîchement adoptée, quand est venu le temps de supprimer ou de restreindre le droit d'appel à la Cour d'appel fédérale. Il l'a fait, comme je l'ai dit plus haut, à quatre reprises et il m'apparaît significatif que dans la section 9, le législateur se soit penché sur la question du droit d'appel quand il a établi la procédure relative à l'examen judiciaire du certificat et qu'il n'ait point traité de la question, trois articles plus loin, quand il a établi la procédure relative au contrôle des motifs de la détention.

[52]Les deux procédures, quoique parallèles, prennent leur origine dans deux actes ministériels distincts, soit l'émission d'un certificat d'interdiction de territoire et l'émission d'un mandat d'arrestation. Elles ont leur vie propre, elles visent deux objets distincts et elles mènent chacune de leur côté à une décision autonome. C'est à tort, selon moi, que les ministres intimés estiment que la décision relative à la détention est une décision accessoire à celle relative au certificat et constitue en conséquence une décision interlocutoire qui serait assujettie, pour ce qui est du droit d'appel, au même sort que la décision principale que serait la décision relative au certificat. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales définit le «jugement définitif» comme celui qui «statue au fond, en tout ou en partie, sur un droit d'une ou plusieurs des parties à une instance». Il n'y a aucun doute, en l'espèce, que la décision relative au maintien en détention statue au fond sur le droit de l'appelant de demeurer en liberté et que ce droit est tout à fait distinct du droit de l'appelant de demeurer au Canada. Qui plus est, la décision relative à la détention n'affecte d'aucune manière l'enquête menée relativement au certificat non plus que la décision à venir suite à cette enquête; elle ne revêt aucun caractère accessoire ou interlocutoire par rapport à cette dernière.

[53]Qu'il y ait droit d'appel relativement à l'ordonnance de maintien en détention s'inscrit dans le prolongement de ce que le législateur a lui-même reconnu, ailleurs dans la Loi, eu égard aux ordonnances de maintien en détention émises par des agents d'immigration pour raison de sécurité.

[54]En effet, par le jeu combiné des articles 57 et 58 (qui se trouvent dans la section 6 de la Loi consacrée à la détention sur ordre d'un agent d'immigration et qui ont remplacé l'article 103 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 27; L.C. 1992, ch. 49, art. 94; 1995, ch. 15, art. 19] de la Loi sur l'immigration) et des articles 72 et 74 (qui se trouvent dans la section 8 de la Loi consacrée au contrôle judiciaire), la décision rendue par la Section de l'immigration relativement au contrôle d'une détention ordonnée par un agent pour raison de sécurité est éventuellement sujette, sur permission, au contrôle judiciaire de la Cour fédérale. Ainsi, dans Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 161 (C.A.F.), un mandat d'arrestation avait été émis par un agent principal en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'immigration. La personne détenue avait été amenée devant un arbitre, aux termes du paragraphe 103(6), pour examen des motifs qui pourraient justifier le maintien en détention. L'arbitre a maintenu la détention. La décision de l'arbitre a fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire et la décision de la Cour fédérale, sur question certifiée, a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale. La Cour d'appel fédérale a accepté d'entendre l'appel quand bien même, ce qui est inévitable vu les délais prescrits pour la révision des motifs de la détention, la décision en cause n'avait plus d'effet.

[55]En vertu des dispositions des articles 82 à 85 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la même procédure est généralement suivie, à cette différence, pour les fins qui nous concernent, que le mandat d'arrestation est émis par les ministres intimés plutôt que par un agent principal et que le contrôle des motifs de la détention est fait par un juge de la Cour fédérale plutôt que par la Section de l'immigration. Comme il serait incongru d'assujettir la décision d'un juge de la Cour fédérale à un contrôle judiciaire, c'est par voie d'appel que cette décision peut être remise en question. Il n'y a dès lors rien d'étonnant, en toute logique, que la décision rendue par un juge de la Cour fédérale relativement au contrôle des motifs d'une détention ordonnée par les deux ministres intimés soit susceptible d'appel devant la Cour d'appel fédérale. Une symétrie parfaite exigerait que le droit d'appel à la Cour d'appel fédérale soit sujet à la certification d'une question ou encore à une demande d'autorisation d'appel.

[56]Je m'expliquerais mal que le législateur, qui permet un niveau de contrôle quand il y va de la décision d'un agent, ne le permette pas, sans le dire expressément, quand il y va de la décision d'un juge. L'enjeu est en effet le même--la privation de la liberté--et le moins qu'on puisse dire est que cet enjeu est important pour la personne concernée. Il est intéressant de constater que le législateur, s'il a interdit tout droit d'appel à la Section d'appel de l'immigration par une personne interdite de territoire (paragraphe 64(1)), n'en a pas moins permis que cette personne ait directement accès à la Cour fédérale pour demander le contrôle d'une décision de maintien en détention rendue à son égard par un agent en vertu du paragraphe 57(1). Il eût été si simple, pour le législateur, si telle était son intention, d'insérer dans la section 9 une disposition analogue au paragraphe 64(1) qu'on retrouve dans la section 6. Et ce n'est pas comme si le législateur avait par inadvertance ignoré la section 6, puisqu'il dira, à l'article 85, que «[l]es articles 82 à 84 l'emportent sur les dispositions incompatibles de la section 6».

[57]La conclusion à laquelle j'en arrive trouve appui, contrairement à ce que prétendent les intimés, dans l'arrêt Tobiass, précité. Il s'agissait, entre autres, dans cette affaire de déterminer si le paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté--qui prévoit que la décision du juge de la Cour fédérale portant sur la perte de citoyenneté en cas de fraude n'est pas, par dérogation à toute autre loi fédérale, susceptible d'appel--s'appliquait à une ordonnance de suspension des procédures rendue relativement à l'examen entrepris par un juge de ladite Cour. La Cour suprême en est venue à la conclusion que le paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté ne faisait pas obstacle au droit d'appel.

[58]Je note, en passant, que le paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté emploie les mots «par dérogation à toute autre loi fédérale», ce qui signifie que ce paragraphe a, de toute manière, préséance sur le paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales qui établit le principe général du droit d'appel. C'est d'ailleurs là la conclusion à laquelle cette Cour en est arrivée dans Luitjens c. Canada (Secrétaire d'État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149 (C.A.F.) et dans Katriuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 71 C.R.R. (2d) 113 (C.A.F.). La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés contient une disposition, le paragraphe 75(2), qui confère à la section 8 de cette Loi préséance, non pas sur toute autre loi fédérale, mais sur la seule Loi sur la Cour fédérale. Comme la section 9, qui est celle qui nous concerne, ne contient pas cette clause dérogatoire, il est certain que la section 9 est sujette, en tant que telle, au principe général du droit d'appel établi par le paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[59]L'arrêt Tobiass, précité, n'a pas tranché la question de savoir si la suppression du droit d'appel d'une ordonnance définitive emportait la suppression du droit d'appel d'une ordonnance interlocutoire, pour la simple raison qu'elle n'a jamais considéré l'ordonnance de suspension d'instance comme une ordonnance interlocutoire. Ce que la Cour suprême a décidé, c'est que la suspension des procédures «est ordonnée pour des motifs qui n'ont absolument rien à voir avec l'acquisition [. . ]. de la citoyenneté» (page 413), qu'elle «diffère du genre de décision que la cour est appelée à rendre sous le régime du par. 18(1)» (page 413), qu'elle «est manifestement un "jugement définitif" [. . .] [qui] a pour effet de mettre fin aux procédures de façon permanente» (page 413), que «[c]'est une décision rendue en application de l'art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale et non du par. 18(1) de la Loi sur la citoyenneté» (page 413) et que le pouvoir d'ordonner le maintien en détention «ne découle pas nécessairement du pouvoir de décider si» le certificat est raisonnable (page 418).

[60]La Cour a ajouté, en obiter, les paragraphes suivants (aux pages 414 et 415):

Bien que la question ne se pose pas en l'espèce, l'argument suivant est très séduisant: le par. 18(1) de la Loi sur la citoyenneté vise non seulement la décision ultime tranchant la question de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux, mais également les décisions rendues au cours du renvoi prévu à l'art. 18 s'y rapportant. Cela comprendrait tous les jugements interlocutoires que le tribunal a le pouvoir de rendre dans le contexte d'un renvoi prévu à l'art. 18 (voir, par exemple, l'art. 46 de la Loi sur la Cour fédérale et les règles 5, 450 à 455, 461, 477, 900 à 920, 1714 et 1715 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663). Cette interprétation du par. 18(1) a été adoptée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Luitjens, précité, où il a été décidé que les jugements interlocutoires rendus dans le contexte d'un renvoi prévu au par. 18(1) sont des décisions «visée[s] au» par. 18(1). Il n'est pas nécessaire aux fins du présent pourvoi de déterminer si cette conclusion devrait être modifiée. Cela ne devrait être fait que dans le cadre d'un appel où la question découlerait des faits.

Cependant, que le par. 18(1) soit interprété de façon stricte de manière à viser seulement la décision ultime tranchant la question de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux, ou de façon plus libérale afin d'englober les jugements interlocutoires se rapportant à cette décision qui sont rendus dans le cadre d'une audience visée par le par. 18(1), il est manifeste qu'il ne comprend pas une ordonnance accordant ou refusant la suspension des procédures.

Contrairement aux jugements interlocutoires, la suspension des procédures ne sera pas prononcée afin de trancher plus efficacement la question ultime de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux. L'ordonnance qui suspend les procédures n'est donc pas liée à cette décision ultime. [Le soulignement est dans le texte.]

[61]La Cour, sans remettre formellement en question l'arrêt de notre Cour dans Luitjens, précité, laisse ainsi entendre que cet arrêt pourrait devoir être modifié dans la mesure où elle indique, et c'est son soulignement, que seuls les jugements interlocutoires «se rapportant» à la «décision ultime tranchant la question de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux» échappent au droit d'appel. Elle se dira d'avis qu'est un jugement interlocutoire se rapportant à la décision ultime un jugement prononcé «afin de trancher plus efficacement la question ultime de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux». Je note, à cet égard, que les exemples de jugements interlocutoires que la Cour donne à la page 416, soit l'article 46 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 14; 1992, ch. 1, art. 68] de la Loi sur la Cour fédérale et les règles 5, 450 à 455 [mod. par DORS/90-846, art. 15], 461 [mod., idem], 477, 900 à 920, 1714 et 1715 des anciennes Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], visent tous des questions de pratique et de procédure devant la Cour.

[62]Si j'applique les commentaires de la Cour suprême dans Tobiass, précité, à la présente affaire, j'en viens aisément à la conclusion que l'ordonnance de maintien en détention est un jugement définitif ou, à la rigueur, un jugement interlocutoire qui ne se rapporte pas à l'ordonnance ultime qui sera prononcée relativement au caractère raisonnable du certificat. Dans l'un ou l'autre cas, la suppression du droit d'appel, au paragraphe 80(3), ne saurait s'appliquer pour les raisons que voici:

1. L'ordonnance attaquée, contrairement à celle en cause dans Tobiass, ne vise aucunement l'examen du certificat déjà entrepris par le juge Noël. C'est une ordonnance rendue relativement à une toute autre procédure.

2. L'ordonnance attaquée est définitive, en ce que le droit de l'appelant à la liberté est d'ores et déjà compromis. Il se peut que, suite à la comparution supplémentaire que prévoit le paragraphe 83(2), ce droit lui soit restitué, mais sa détention, si elle n'est peut-être pas permanente, n'en est pas moins définitive dans l'instant présent. Je reviendrai plus loin sur ce paragraphe.

3. Le paragraphe 80(3) de la Loi réfère à [Tobiass, précité, au paragraphe 51] «un genre très particulier de décision», soit une décision portant sur le caractère raisonnable du certificat d'interdiction de territoire.

4. L'ordonnance attaquée [Tobiass, précité, au paragraphe 51] «diffère du genre de décision que la cour est appelée à rendre sous le régime du» paragraphe 80(1).

5. Le maintien en détention n'est d'aucune manière ordonné [Tobiass, précité, au paragraphe 58] «afin de trancher plus efficacement la question ultime de savoir si» le certificat est raisonnable.

6. Le pouvoir d'ordonner le maintien en détention [Tobiass, précité, au paragraphe 66] «ne découle pas nécessairement du pouvoir» d'examiner le certificat.

[63]Cela dit, il n'est pas possible d'affirmer que le maintien en détention [Tobiass, précité, au paragraphe 51] «est ordonné pour des motifs qui n'ont absolument rien à voir avec» le caractère raisonnable du certificat. En effet, le certificat, selon le paragraphe 77(1), est émis «pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée», tandis que la détention est ordonnée, selon le paragraphe 82(1), si les ministres intimés «ont des motifs raisonnables de croire qu[e] [l'intéressé] constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi». Il se peut, bien sûr, que les motifs se rejoignent là où la sécurité est en jeu, mais l'objectif recherché, dans un cas, est à long terme et dans l'autre, à court terme, et la délivrance du certificat se fonde essentiellement sur les agissements passés de l'intéressé tandis que le mandat d'arrestation se fonde essentiellement sur le risque actuel qu'il représente. Qui plus est, le certificat ne peut pas être émis pour le motif que l'intéressé pourrait se soustraire à la procédure ou au renvoi. Que les mêmes agissements puissent être invoqués dans l'une et l'autre des procédures n'empêchent pas l'objectif recherché d'être distinct. Les deux procédures sont d'ailleurs régies par les mêmes règles de procédure (article 78), précisément parce que des questions de fait semblables sont susceptibles d'être invoquées. Ces mêmes règles s'appliquent aussi à d'autres procédures où se soulèvent des questions de sécurité (voir les paragraphes 86(2) et 87(2)) et ces autres procédures n'ont aucun lien avec celle prévue au paragraphe 80(1).

[64]Bref, pour reprendre l'expression utilisée dans Tobiass, à la page 418, le pouvoir d'ordonner le maintien en détention et le pouvoir de déclarer raisonnable le certificat d'interdiction de territoire sont des actes judiciaires «distincts et divisibles». Le maintien en détention ne «se rapporte» pas au caractère raisonnable du certificat, lequel sera déterminé peu importe que l'intéressé soit ou non en détention. Le seul lien, en pratique, entre les deux procédures vient de ce que le mandat d'arrestation n'aura plus d'effet si le certificat est annulé. C'est la décision relative au certificat qui affecte celle relative à la détention, et non l'inverse.

[65]Le seul argument intéressant qu'invoquent les deux ministres intimés est celui fondé sur le paragraphe 83(2) de la Loi, lequel assure une révision automatique et permet une révision discrétionnaire de la détention. Le législateur ayant prévu une révision automatique de la détention, l'existence d'un droit d'appel entrerait en conflit avec le mécanisme de révision expressément mis en place et enlèverait tout effet au paragraphe 83(2) qui prévoit que l'intéressé doit comparaître «[t]ant qu'il n'est pas statué sur le certificat».

[66]La faiblesse de cet argument, à mon avis, est qu'il confond appel et révision et suppose qu'une fois le maintien en détention ordonné, l'intéressé ne saurait avoir d'autre recours que la révision puisqu'il doit demeurer en détention tant qu'il n'est pas statué sur le certificat. Or, s'il y a appel et si l'appel est accueilli, il n'y a plus de détention et le mécanisme de révision mis en place par l'article 83 n'est dès lors pas plus nécessaire qu'il ne l'est lorsqu'aucun mandat d'arrestation n'a été émis. L'argument, en d'autres termes, repose sur la prémisse qu'il n'y a pas de droit d'appel, alors que c'est le bien-fondé de cette prémisse qui est en question.

[67]L'interprétation que proposent les ministres intimés mène aussi à ce résultat peu souhaitable, surtout lorsqu'il y va de la privation de liberté d'un individu, que si le juge, en rendant son ordonnance sur le maintien en détention, se fonde par exemple sur des considérations non pertinentes, l'intéressé n'aurait pas l'opportunité de faire rectifier le tir par la Cour d'appel fédérale. La révision automatique ou sur demande de sa détention risquerait dès lors d'être d'un bien maigre secours.

[68]Quoi qu'il en soit, cet argument, même s'il était bien fondé, ne suffirait pas à faire pencher la balance en faveur d'une suppression implicite du droit d'appel, tant me semblent plus décisifs les arguments que j'ai développés plus haut. Les ministres intimés invitent la Cour à ajouter à la section 9 une disposition qui ne s'y trouve tout simplement pas et qui aurait pour effet d'établir, entre l'ordonnance relative au certificat et celle relative au maintien en détention, une dépendance qui n'existe pas.

[69]J'en arrive ainsi à la conclusion que l'ordonnance de maintien en détention rendue le 15 juillet 2003 est susceptible d'appel.

[70]Cette conclusion rejoint, par son fondement, celle à laquelle notre Cour en est arrivée récemment dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2003] 2 C.F. 657 (C.A.). En décidant que la procédure de jugement sommaire prévue à la règle 216 des Règles de la Cour fédérale (1998) n'était pas un jugement interdit d'appel au sens du paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté, le juge Létourneau, J.C.A., au nom de la Cour, s'est en effet exprimé comme suit (aux paragraphes 36 et 37):

La décision de la juge des requêtes en l'instance, que l'on qualifie cette décision de jugement sommaire, de jugement déclaratoire ou de jugement en radiation d'allégués, est et demeure une décision interprétant la portée et les conditions d'application de nos règles de procédure. Je suis convaincu que le paragraphe 18(3) de la Loi ne comprend pas une décision interprétant la portée de la règle 216 relative à l'obtention d'un jugement sommaire. Une décision quant aux exigences procédurales imposées par la règle 216 constitue une décision de nature procédurale qui ne se rapporte pas à la nature et à la teneur de la détermination qui doit être faite en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi, laquelle détermination en est une de nature essentiellement factuelle: sur la nature de la détermination, voir Luitjens c. Canada (Secrétaire d'État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149 (C.A.F.), permission d'appeler à la Cour suprême du Canada refusée (1992), 10 C.R.R. (2d) 284 (C.S.C.). En d'autres termes, je suis convaincu que le Parlement n'a pas voulu, par l'adoption du paragraphe 18(3) de la Loi, qu'un jugement sommaire qui aurait été rendu par suite d'une interprétation ou d'une application erronée des règles de procédure de la Cour échappe à l'appel.

Je suis également d'avis qu'une décision sur la portée et les critères d'application de la procédure de jugement sommaire s'apparente à une décision ordonnant une suspension d'instance qui, elle, n'est pas couverte par l'interdiction d'appel prévue au paragraphe 18(3): voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, au paragraphe 57. Les deux décisions sont de nature procédurale. L'une, la suspension d'instance, vise à mettre un terme aux procédures, l'autre, la procédure de jugement sommaire, vise soit à y mettre un terme, soit à en abréger la durée en mettant un terme à une partie. Mais en aucun temps, la décision sur le bien-fondé de recourir à l'un ou l'autre de ces véhicules procéduraux ne touche ou ne porte atteinte à la question dont la Section de première instance est saisie en vertu du paragraphe 18(1), soit la détermination que l'intimé a ou non obtenu par fraude ou fausses représentations son entrée au Canada.

[71]La demande de radiation de l'avis d'appel pour défaut de compétence devrait être rejetée avec dépens.

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