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IMM-5125-02

2003 CF 1429

Bachan Singh Sogi (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'immigration (défendeur)

Répertorié: Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge MacKay--Toronto, 8 mai; Ottawa, 8 décembre 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes non admissibles -- Contrôle judiciaire de la décision de la CISR selon laquelle le demandeur était interdit de territoire pour des raisons de sécurité -- Il est détenu parce que soupçonné d'être un membre d'une organisation terroriste, le Babbar Khalsa International (le BKI) -- Lors de l'audience à huis clos, on a ordonné l'interdiction de la divulgation au demandeur de certains renseignements parce que cela porterait atteinte à la sécurité nationale -- Le demandeur a admis avoir utilisé plusieurs noms différents lors de ses voyages dans divers pays -- Asile refusé en Angleterre -- Expulsion du Canada ordonnée -- L'identité constituait la question fondamentale lors de l'enquête -- Le demandeur est-il la personne mentionnée dans l'article publié dans le journal Times of India en tant que membre du BKI qui se rendait en Inde en provenance de la Grande-Bretagne pour assassiner des chefs politiques? -- Le demandeur a fait valoir l'injustice du processus puisqu'il n'était pas en mesure de répondre aux renseignements protégés -- Lors du contrôle judiciaire, la Cour n'a pas reçu d'autres renseignements secrets que ceux dont disposait le membre de la Commission -- On a conclu que les renseignements protégés étaient pertinents et que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale -- Demande rejetée -- Analyse des normes de contrôle appropriées -- Le demandeur a fait valoir que l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) exigeait que les motifs de la décision de l'agent d'audience soient donnés -- Distinction faite d'avec l'arrêt Baker -- L'agent, qui a agi conformément à l'art. 78 de la LIPR, n'a commis aucune erreur -- Seul le ministre peut décider si les renseignements qu'il invoque seront communiqués -- La divulgation fait partie d'un processus équitable mais le législateur a choisi de la limiter au nom de la sécurité nationale -- Des motifs suffisants pour lesquels la preuve contradictoire a été préférée à celle produite par le demandeur ont-ils été donnés? -- La conclusion factuelle selon laquelle le demandeur avait des liens avec des organisations terroristes n'est pas manifestement déraisonnable -- Explication des raisons pour lesquelles une réparation ne peut être accordée en vertu de l'art. 7 de la Charte.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Vie, liberté et sécurité -- Contrôle judiciaire d'une décision selon laquelle le demandeur était interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité -- Argument du ministre: aucun risque imminent de renvoi dans un pays où on emploie la torture puisqu'il n'y a aucun renvoi en attendant l'examen des risques avant renvoi et une autre décision ministérielle, les deux pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire -- Cependant, le maintien en détention et la perte d'intégrité psychologique due au fait d'être qualifié de terroriste sont suffisants pour faire entrer en jeu l'art. 7 de la Charte à moins que ces privations soient conformes aux principes de justice fondamentale -- Dans Ahani v. Canada, on a déclaré qu'un processus semblable ne contrevenait pas à la Charte -- Examen des différences dans les processus -- Les différences ne sont pas de nature à dicter un résultat différent de celui de l'affaire Ahani -- Question à être certifiée quant à l'application de l'art. 7 aux circonstances en l'espèce.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle le demandeur était interdit de territoire pour des raisons de sécurité.

À la suite d'un rapport fait au ministre selon lequel le demandeur, un étranger au Canada, était interdit de territoire, le cas a été déféré à la section de l'immigration pour enquête. Le demandeur a été arrêté et on a ordonné le maintien de sa détention lors d'un contrôle. Des renseignements de sécurité classifiés ont été présentés lors d'une audience à huis clos et ex parte et il a été ordonné que certains de ces renseignements ne soient pas divulgués au demandeur parce que cela porterait atteinte à la sécurité nationale. À la reprise de l'audience, il a été admis que le Babbar Khalsa International (BKI) était une organisation qui a été ou sera l'auteur d'un acte de terrorisme mais on a nié que le demandeur était un membre du BKI. Il a également admis avoir utilisé plusieurs noms différents lors de ses voyages dans divers pays. On lui avait refusé l'asile en Angleterre. Apparemment, il avait été exclu du Royaume-Uni parce qu'il avait participé à des activités terroristes internationales. La conclusion de l'agent d'audience, selon la prépondérance des probabilités, était que le demandeur est membre du BKI et donc une personne visée par l'alinéa 34(1)f) de la LIPR parce qu'il était interdit de territoire pour des raisons de sécurité. On a ordonné l'expulsion du demandeur.

La question fondamentale lors de l'audience avait été l'identité. Ce «Bachan Singh Sogi» était-il la personne connue en tant que «Gurnam Singh, alias Piare» et mentionnée dans un article du 9 juin 2001 du Times of India comme un membre du BKI qui se rendait en Inde en provenance de la Grande-Bretagne dans le but d'assassiner des chefs politiques importants?

Lors de la présente audience devant la Cour fédérale, une question préliminaire a été soulevée par la demande du ministre, en vertu de l'article 87 de la LIPR, pour interdire la divulgation des renseignements protégés. Le demandeur a insisté sur l'injustice fondamentale d'un processus par lequel les renseignements étaient invoqués et auxquels, puisqu'ils ne lui étaient pas divulgués, il ne pouvait pas répondre. Sa position était que, si la Cour considérait les renseignements non pertinents, il lui incomberait de le dire. Cela laisserait au ministre le soin de décider si les renseignements seraient divulgués ou retirés. On a aussi fait valoir qu'aucun renseignement additionnel ne pourrait être présenté à huis clos puisque, à l'occasion d'un contrôle judiciaire, la Cour ne doit tenir compte que de la preuve dont disposait le premier décideur.

La Cour a alors siégé à huis clos et a, à ce moment-là, examiné les renseignements non divulgués invoqués lors de l'enquête. Aucun autre renseignement n'a été produit. L'audience publique a repris et l'ordonnance sollicitée par le ministre a été accordée. Une audience à huis clos et ex parte a encore une fois eu lieu, cette fois aux fins d'expliquer les sources et l'importance des renseignements qui n'avaient pas été divulgués. Aucun renseignement additionnel n'a été fourni. Les renseignements protégés, déclarés pertinents, ont été ajoutés au dossier de la Cour, mais mis sous enveloppe scellée séparément, laquelle ne pouvait être ouverte que par un juge délégué en vertu de la LIPR. Il a été confirmé que les renseignements protégés étaient pertinents et que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale de sorte que, conformément au paragraphe 87(2) et aux alinéas 78e), h) et j) de la LIPR, bien que la Cour en tienne compte, ils ne devraient pas être divulgués au demandeur ou à son avocat.

Les motifs invoqués justifiant le contrôle judiciaire étaient que le tribunal a commis une erreur: 1) en ne motivant pas suffisamment la conclusion selon laquelle la preuve secrète était admissible et pertinente et en ne donnant pas une divulgation suffisante; 2) en ne tenant pas compte de la preuve documentaire pertinente; 3) en tirant une conclusion quant à la crédibilité qui était manifestement déraisonnable et 4) en violant les principes de justice fondamentale, garantis par l'article 7 de la Charte.

Jugement: la demande est rejetée.

La question finale en était une mixte de fait et de droit et, de ce fait, la norme de contrôle appropriée était celle de la décision raisonnable simpliciter. Mais la décision sur la question de l'identité en était une de fait, qui doit être contrôlée selon la norme du caractère manifestement déraisonnable. Il s'agissait des normes de contrôle appropriées en l'espèce qui découlaient de l'application par la Cour de l'appréciation pragmatique et fonctionnelle habituelle des dispositions législatives pertinentes. Lorsqu'il s'agit de décisions sur des questions relatives à l'appréciation de renseignements de sécurité, l'expertise relative d'un juge délégué justifie un contrôle selon la norme de la décision correcte.

Le demandeur a cité l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) en faisant valoir que l'agent d'audience avait l'obligation de donner les motifs de sa décision selon laquelle les renseignements secrets étaient pertinents à la question de l'identité. Mais la Cour a fait une distinction de la situation en l'espèce d'avec celle dans l'affaire Baker, laquelle se rapportait à une décision finale concernant une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. La décision contestée en l'espèce était de nature procédurale interlocutoire concernant la pertinence de la preuve. Si la Cour devait conclure que les renseignements n'étaient pas pertinents ou qu'il était manifestement déraisonnable de considérer que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale, l'obligation que la loi impose à la Cour serait de remettre ces renseignements au ministre et de ne pas les prendre en compte: alinéa 78f) de la Loi. Mais on ne pourrait conclure que l'agent d'enquête avait commis une erreur soit dans son appréciation de la pertinence ou soit dans sa décision relative à l'interdiction de divulgation. Il a agi en conformité avec l'article 78 de la LIPR. Seul le ministre peut décider que les renseignements qu'il invoque seront communiqués. Bien que la divulgation fasse partie d'un processus équitable, le législateur a choisi de limiter la divulgation en imposant une exigence que la confidentialité des renseignements soit garantie lorsque la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

M. Sogi s'est plaint que, bien qu'on ait fait référence à sa preuve documentaire, celle-ci a été rejetée sans explication, contrairement à la décision de la Première instance dans l'affaire Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). Il ne faisait aucun doute que la décision de l'agent d'enquête aurait été plus claire si elle avait explicitement mentionné que la preuve documentaire de M. Sogi était rejetée et si elle avait indiqué pourquoi la preuve contradictoire était privilégiée. Mais elle a fait mention de l'utilisation, admise par M. Sogi, de pseudonymes, de même que des lettres du Home Office britannique comme motifs justifiant la conclusion selon laquelle il n'y avait pas lieu de croire M. Sogi lorsqu'il nie avoir utilisé les noms de Gurnam ou de Piare Singh. La décision a ensuite mentionné le rapport du SCRS et a conclu que le demandeur était vraiment la personne dont il est question dans les lettres du Home Office. La conclusion de fait, selon laquelle le demandeur était identifié comme ayant des liens avec des organisations terroristes, n'était pas manifestement déraisonnable.

En ce qui concerne l'article 7 de la Charte, le ministre a fait valoir que, dans la mesure où la demande du demandeur reposait sur un risque imminent de renvoi vers un pays où il pourrait faire l'objet de torture, elle était prématurée en ce que la décision contestée ne créait pas un risque imminent de renvoi. Le renvoi dépend d'une autre décision ministérielle, après une décision relative à l'examen des risques avant renvoi, les deux décisions pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire. En fait, la demande du demandeur n'était pas basée sur le risque imminent de torture, mais plutôt sur la privation de liberté du fait de son maintien en détention. Cela, ainsi que le fait d'être étiqueté comme une personne liée au terrorisme résulterait en une perte d'intégrité psychologique. Cela était suffisant pour faire entrer en jeu l'article 7 de la Charte. D'un autre côté, la perte de possibilité que sa demande d'asile soit accueillie et le fait qu'une mesure de renvoi ait été prise contre lui ne font pas entrer en jeu l'article 7. Mais la prolongation de la détention--même si cela est atténué par les contrôles périodiques en vertu de l'article 57--ainsi que la détresse psychologique d'être qualifié de terroriste, porteraient atteinte au droit du demandeur à la sécurité de sa personne garanti par la Charte, à moins que ces atteintes soient compatibles avec les principes de justice fondamentale.

Il a été décidé que le processus quelque peu semblable prévu aux articles 77 et 78, lequel est comparable à celui de l'article 40.1 de l'ancienne Loi sur l'immigration, ne contrevient pas à la Charte. Toutefois ce processus différerait de celui en cause en l'espèce à deux égards: la façon de commencer et les personnes qui examinent les renseignements de sécurité. Les principales différences sont: l'examen initial des renseignements par deux ministres plutôt qu'un, ainsi que le contrôle par un juge de la Cour fédérale par comparaison avec un membre de la section de l'Immigration qui, avant juin 2002, n'aurait pas eu d'expérience dans l'examen de renseignements qui constitueraient des renseignements de sécurité et dans la recherche de l'équilibre entre les intérêts de l'état par rapport à ceux du particulier. Une autre différence, c'est que, dans le cadre du processus de l'article 77, la décision du juge délégué quant au caractère raisonnable du certificat des ministres est définitive alors que, dans le cadre du processus en cause en l'espèce, la décision de l'agent d'enquête peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Les différences présentées par le processus du paragraphe 44(2) et des articles 86 et 87 ne contreviennent pas aux principes de justice fondamentale.

Les avocats se sont vus accorder un bref délai pour formuler une question pour la certification concernant l'application de l'article 7 de la Charte aux circonstances de la présente affaire.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, art. 4.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 40.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 34(1)c), f), 44, 55, 57, 67, 74d), 77 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 78, 80(3), 86, 87.

Règlement modifiant le Règlement établissant une liste d'entités, DORS/2003-235.

jurisprudence

décisions appliquées:

Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 282 N.R. 394 (C.A.F.); R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387; (1988), 55 D.L.R. (4th) 481; [1989] 1 W.W.R. 97; 71 Sask. R. 1; 45 C.C.C. (3d) 57; 66 C.R. (3d) 97; 36 C.R.R. 90; 88 N.R. 205; Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669; (1995), 32 C.P.R. (2d) 95; 100 F.T.R. 261 (1re inst.); conf. par (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 171; 77 C.R.R. (2d) 144; 7 Imm. L.R. (3d) 1; 262 N.R. 40 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1997] 2 R.C.S. v.

distinction faite d'avec:

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

décisions citées:

Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; (2000), 190 D.L.R. (4th) 513; [2000] 10 W.W.R. 567; 81 B.C.L.R. (3d) 1; 3 C.C.E.L. (3d) 165; 77 C.R.R. (2d) 189; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3; (2002), 219 D.L.R. (4th) 385; 49 Admin. L.R. (3d) 1; 22 C.P.R. (4th) 289; 7 C.R. (6th) 88; 99 C.R.R. (2d) 324; 295 N.R. 353.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'un membre de la section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle le demandeur était interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité. Demande rejetée.

ont comparu:

Lorne Waldman pour le demandeur.

Ian Hicks et Robert F. Batt pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge MacKay: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un membre de la section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 8 octobre 2002, qui a décidé que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité. Après délibération complète, la présente demande sera rejetée au moyen d'une ordonnance qui sera rendue après que les avocats auront eu l'occasion de présenter leurs observations concernant toute question à certifier pour examen par la Cour d'appel.

[2]La décision en question est mentionnée dans la première demande d'autorisation et de contrôle judiciaire comme une décision selon laquelle le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, mais c'est la décision selon laquelle il était interdit de territoire pour des raisons de sécurité qui est en cause en l'espèce. Le motif invoqué est celui qui est décrit à l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et modifications, soit d'«être membre d'une organisation», en l'espèce le Babbar Khalsa International (le BKI), une organisation extrémiste sikhe basée à Lahore, au Pakistan, «dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé [à] l'alinéa» 34(1)c) de la LIPR, à savoir le terrorisme.

[3]Dans sa décision, l'agent d'audience a conclu «selon la prépondérance des probabilités, que ce "Gurnam Singh", alias "Piare", mentionné dans les lettres du Home Office, ce "Gurnam Singh" mentionné dans l'article du Times of India et ce "Bachan Singh Sogi" arrivé à Toronto le 8 mai 2001, soit la personne faisant l'objet de la présente audience, est la seule et même personne». Ces lettres ont été écrites à celui qui a été déclaré exclu du Royaume-Uni et l'article du Times of India mentionnait une personne, soupçonnée de constituer un danger, au motif que l'intéressé était un terroriste.

[4]De plus, il a conclu que «Gurnam Singh, ainsi que ses pseudonymes (notamment Gurbashan Singh Sogi), est membre du BKI, laquelle [. . .] est incontestablement une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'actes de terrorisme». Il est donc une personne visée par l'alinéa 34(1)f) de la LIPR, en ce sens «qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'il est un étranger interdit de territoire pour raison de sécurité parce qu'il est membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur des actes visés à l'alinéa 34(1)c), notamment des actes de terrorisme».

[5]Ayant tiré cette conclusion, l'agent d'audience a ordonné que M. Sogi soit expulsé du Canada.

Le contexte

[6]Le 7 août 2002, un représentant du ministre défendeur a fait part de son opinion au ministre selon laquelle le demandeur, un étranger au Canada, était interdit de territoire au pays. À son tour, le ministre a signé un déféré, en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, déférant le cas du demandeur, un demandeur d'asile, à la section de l'immigration pour enquête. En l'espèce, la demande a été censément déférée dans le but de déterminer si M. Sogi est une personne visée par l'alinéa 34(1)f) de la Loi. En conséquence, le 8 août 2002, M. Bachan Singh Sogi a été arrêté et le 12 août 2002, un contrôle de la détention s'est tenu au cours duquel il a été décidé que le demandeur devrait demeurer en détention pendant son enquête. Comme cela a déjà été mentionné, la décision découlant de cette enquête, et datée du 8 octobre 2002, a été que M. Sogi était interdit de territoire au Canada. Il est détenu depuis août 2002.

[7]Le 15 août 2002, le membre présidant l'enquête a entendu une demande, à huis clos et ex parte, en l'absence de M. Sogi et de son avocat, lors de laquelle, au nom du ministre, des renseignements de sécurité classifiés ont été présentés en même temps qu'une demande pour qu'ils ne soient pas divulgués, conformément au paragraphe 86(1) de la LIPR. Conformément au paragraphe 86(2) et aux alinéas 78e) et g), l'agent d'audience a décidé que les renseignements étaient pertinents et qu'il en tiendrait compte, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui. En conséquence, conformément à l'article 78, bien que certains renseignements provenant de sources publiques aient été fournis au demandeur, ce ne sont pas tous les renseignements invoqués par le ministre qui ont été divulgués, à lui ou à son avocat. Dans le but de lui permettre d'être raisonnablement informé des circonstances invoquées par le ministre, un résumé des renseignements approuvés par l'agent d'audience a été fourni au demandeur en vertu de l'alinéa 78h) de la LIPR.

[8]Il y a eu reprise de l'audience le 21 août 2002, au cours de laquelle l'avocat du demandeur a reconnu que M. Sogi était un étranger qui n'était ni un citoyen canadien ni un résident permanent du Canada. De plus, il a été admis au début de l'audience que le BKI était une organisation dont il a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte de terrorisme visé à l'alinéa 34(1)c) de la Loi. Toutefois, on a nié que le demandeur, qui a présenté plusieurs documents d'identification portant le nom de Gurbachan Singh Sogi, était un membre du BKI. Le demandeur a témoigné que son sobriquet était Bachan, qu'il s'est ainsi présenté à son arrivée au Canada et qu'on le connaît ici sous ce nom, soit Bachan Singh Sogi. Il a témoigné que Sogi est le nom de sa caste et que dans son village d'origine, les gens le désignaient en général par son sobriquet, Bachan.

[9]Selon lui, son véritable nom est Gurbachan Singh Sogi, bien qu'il ait admis avoir utilisé plusieurs noms différents lors de ses voyages dans différents pays. En Angleterre, il avait auparavant utilisé le nom de Gurbachan Singh et y avait demandé l'asile, ce qui lui avait été refusé. Par la suite, en février 1997, il est retourné en Inde en utilisant le nom de Jaswinder Singh, le même que celui qu'il avait utilisé lors de son voyage en Angleterre. Il avait précédemment utilisé le nom de Darim Singh en voyageant et, lorsqu'il est venu au Canada en mai 2001, il a utilisé le nom de Harmanjit Singh jusqu'à son arrivée au moment où il a donné comme nom Bachan Singh Sogi et demandé l'asile sous ce nom. Il a justifié l'utilisation de différents noms par le fait qu'il ne pouvait obtenir des autorités indiennes un passeport sous son propre nom.

[10]Il a nié avoir utilisé certains autres noms, a nié qu'il était connu en tant que «Piare» et il a nié avoir été membre du BKI. Il a reconnu qu'il vivait à une adresse donnée à Montréal et que des lettres y avaient été reçues, provenant du Home Office en Angleterre. Une lettre était adressée à un certain Gurnam Singh et une autre était adressée à Gurbashan Singh ainsi qu'à ses pseudonymes, dont l'un était Gurnam Singh. Ces lettres établissent clairement que la personne à qui elles s'adressent a été exclue du Royaume-Uni pour raison de sécurité nationale parce qu'elle a participé à des activités terroristes internationales. Le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) l'avait informé du fait qu'il recevrait ces lettres. Il y a eu une autre lettre du Home Office, en réponse à une demande de renseignements de la part de l'avocat de M. Sogi au Canada, qui vérifiait le fait que Gurbashan Singh Sogi ainsi que ses pseudonymes faisaient bien l'objet des deux lettres précédentes.

[11]Bien que cela n'ait aucune importance en l'espèce, puisque la caractérisation du BKI comme terroriste n'a pas été soulevée à l'audience, je souligne que dans le Règlement modifiant le Règlement établissant une liste d'entités (en application du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] modifié par la Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, art. 4), DORS/2003-235, daté du 18 juin 2003, le Babbar Khalsa (BK) et le Babbar Khalsa International (BKI) ont tous les deux été nommés en tant qu'entités que le gouverneur général en conseil croit se livrer à des activités terroristes ou aider d'autres personnes à le faire.

Les questions en litige

[12]En fin de compte, la question fondamentale soulevée lors de l'enquête était de savoir si le demandeur était ou non la seule et même personne que celle à qui les lettres du Home Office étaient adressées ainsi que la même personne que le Gurnam Singh mentionné dans un article qui a été publié le 9 juin 2001 dans un journal, le Times of India. Cet article mentionnait qu'un certain Gurnam Singh, alias Piare, âgé d'environ 40 ans, était membre du BKI et qu'il se rendait en Inde en provenance de la Grande-Bretagne pour assassiner des chefs politiques importants et des fonctionnaires.

[13]À l'audition de la présente demande, une question préliminaire a été soulevée par la demande du ministre défendeur, en vertu de l'article 87 de la LIPR, pour interdire la divulgation des renseignements qui avaient été protégés, et non divulgués au demandeur ou à son avocat, par l'agent d'enquête. C'est la question dont je traiterai en premier.

[14]Ensuite, après avoir examiné la norme de contrôle appropriée, j'aborderai les questions soulevées comme motifs justifiant le contrôle judiciaire. Les motifs examinés sont les allégations du demandeur selon lesquelles le tribunal a commis une erreur:

a) en ne motivant pas suffisamment la conclusion selon laquelle la preuve secrète était admissible et pertinente et en ne divulguant pas suffisamment la preuve;

b) en ne tenant pas compte de la preuve documentaire convaincante et pertinente;

c) en tirant une conclusion quant à la crédibilité qui était manifestement déraisonnable en l'absence d'une appréciation explicite raisonnable de la totalité de la preuve, y compris celle produite par le demandeur;

d) en suivant un processus qui, fait-on valoir, viole les principes de justice fondamentale, garantis par l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

I.     La demande pour interdire la divulgation (article 87 de la LIPR)

[15]La demande que le ministre a faite à la Cour pour interdire la divulgation a été présentée en vertu de l'article 87 de la LIPR, laquelle prévoit:

87. (1) Le ministre peut, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, demander au juge d'interdire la divulgation de tout renseignement protégé au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115.

(2) L'article 78 s'applique à l'examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l'obligation de fournir un résumé et au délai.

[16]Les renseignements qui nous intéressent dans le cadre de ce moyen préliminaire étaient les mêmes que ceux que l'agent d'enquête a précédemment déclarés non assujettis à la divulgation. Comme nous l'avons déjà souligné, rendant sa décision à la fin de l'audience à huis clos et ex parte concernant l'interdiction de divulgation, il a tiré les conclusions suivantes:

[traduction] Après avoir examiné les renseignements présentés ex parte, j'ai décidé que les renseignements sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, suivant l'alinéa 78g) de la Loi. Par conséquent, la demande déposée en vertu de l'article 86 est accueillie. Je vais tenir compte des renseignements présentés ex parte.

Conformément à l'alinéa 78h) un résumé des renseignements est joint, lequel permet à M. Sogi et à son avocat d'être suffisamment informés des circonstances ayant donné lieu à la demande.

[17]Le résumé communiqué à M. Sogi par l'agent d'audience, après l'audience à huis clos et ex parte, comprenait trois paragraphes, outre les annexes, et les deux premiers paragraphes énoncent:

[traduction] Le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) est d'avis qu'il y a des motifs raisonnables de croire que M. Bachan Singh SOGI, né le 4 avril 1961, est Gurnam SINGH, alias Piare SINGH, et qu'il est membre du Babbar Khalsa International (le BKI), aussi appelé le Babbar Khalsa (le BK), une organisation extrémiste sikhe basée à Lahore, au Pakistan, qui est, a été ou sera l'auteur d'actes de terrorisme. Selon le SCRS, M. Gurnam SINGH est arrivé à Toronto le 8 mai 2001, a demandé l'asile sous le nom de Bachan Singh SOGI, puis s'est installé à Montréal. M. Gurnam SINGH habite actuellement au 8500, rue Jean-Billon, app. 107, à Ville LaSalle, au Québec.

D'après le Times of India du 9 juin 2001, un terroriste du BKI, Gurnam SINGH, aussi connu en tant que Piare, entendait prendre pour cible le ministre en chef du Panjab, Prakash Singh Badal, son fils, Sukhbir Singh Badal, et l'ancien chef de police du Panjab, KPS Gill. L'article déclarait également que l'on soupçonnait Gurnam SINGH d'être hautement qualifié dans l'utilisation d'armes perfectionnées et d'engins explosifs. Par son enquête, le SCRS a corroboré ces renseignements au moyen de sources fiables et il croit que cet article fait allusion au Gurnam SINGH qui est arrivé au Canada le 8 mai 2001 sous le nom de Bachan Singh SOGI.

Il n'y a aucune autre mention du demandeur dans le résumé. Dans le troisième paragraphe, il est question de deux organisations, Babbar Khalsa International (le BKI) et Babbar Khalsa (le BK), décrites comme des groupes terroristes et au résumé était jointe une «Chronology of Terrorist Incidents and Key Events Related to the BK and the BKI» de 7 pages, sur une période allant de 1985 à juin 2002. Y était également jointe une annexe énumérant 147 mentions provenant de sources non classifiées publiées où il est question d'organisations terroristes, dont notamment le BKI et le BK, ainsi que de leurs activités, en particulier celles présentées comme liées aux préoccupations en matière de nationalisme en Inde, à l'attentat à la bombe contre Air India en 1985 et aux autres activités terroristes.

[18]La demande du ministre pour interdire la divulgation en l'espèce a été traitée de la manière suivante par la Cour. Après que l'autorisation a été accordée pour le contrôle judiciaire de la décision prise par l'agent d'enquête, le ministre défendeur a donné avis que, au début de l'audience dont la date était alors fixée, le défendeur présenterait une demande en vertu du paragraphe 87(1) visant à obtenir une ordonnance pour interdire la divulgation des renseignements que l'agent d'audience avait déjà protégés de la divulgation lors de l'enquête.

[19]Cette demande a été présentée au début de l'audience, laquelle a débuté de façon normale et publique. La Cour a ensuite invité les parties à lui soumettre leurs observations en public concernant la requête du défendeur. Le défendeur a invoqué le paragraphe 87(1) comme fondement à l'ordonnance demandée. Le demandeur a insisté sur l'injustice fondamentale du processus en ce que, en l'espèce, les renseignements invoqués par l'agent d'audience, ou par la Cour si elle suivait la décision de l'agent d'audience, ne lui étaient pas divulgués. Il n'avait donc pas la possibilité d'y répondre. On a fait valoir pour le compte du demandeur que la Cour, en examinant le dossier de l'enquête, bien qu'elle puisse ne tenir compte que de ce dossier, avait l'obligation de tenir compte de la question de savoir si les renseignements qui n'avaient pas été divulgués lors de l'audience étaient pertinents et, puisqu'ils ont été pris en compte, de la question de savoir si cela avait été fait correctement par le décideur. De plus, on a laissé entendre que la meilleure façon d'examiner la pertinence des renseignements non divulgués était de le faire au cours du contrôle judiciaire.

[20]Si la Cour ne souscrivait pas au fait que les renseignements étaient pertinents et qu'il pouvait en être tenu compte, il lui incomberait de le dire. À mon avis, cela laisserait au ministre le soin de décider si, au cours de l'audition de la demande de contrôle judiciaire, les renseignements que la Cour a estimé être pertinents et assujettis à la divulgation seraient divulgués ou retirés. On a fait valoir que la Cour était également tenue d'empêcher l'admission de nouveaux renseignements à examiner ex parte et à huis clos à cette étape de l'instance, comme dans une instance en contrôle judiciaire en général lorsque la Cour ne dispose que des éléments de preuve au dossier dont disposait le décideur en cause.

[21]Les avocats du ministre ont souscrit généralement à ces observations formulées pour le compte du demandeur. Sans préjuger à cette étape de ce qui pourrait arriver si la Cour devait conclure que les renseignements en question n'étaient pas pertinents ou qu'il ne fallait pas en tenir compte, la Cour s'est inspirée de ces observations générales.

[22]L'audience publique a alors été suspendue. La Cour a commencé l'audience à huis clos et en l'absence du demandeur et de son avocat. Lors de l'audience à huis clos, étaient présents les avocats, la personne qui a souscrit un affidavit déposé pour le compte du ministre, le greffier de la Cour ainsi que le juge. Avec l'aide des avocats du ministre, la Cour a alors fait un examen préliminaire des renseignements qui n'avaient pas été divulgués au demandeur au cours de son enquête. Je confirme que seuls ont été présentés au début de ce contrôle judiciaire les renseignements dont disposait l'agent d'enquête, et cela tant durant l'audience publique que lors de celle tenue ensuite à huis clos en l'absence du demandeur et de son avocat. De plus, aucun renseignement additionnel n'a été présenté à quelque moment que ce soit par la suite.

[23]La Cour a ensuite suspendu l'audience à huis clos et a repris l'audience publique de façon normale pour entendre la demande de contrôle judiciaire. Au début de la reprise de l'audience publique, j'ai accordé oralement l'ordonnance sollicitée par le ministre défendeur, laquelle doit être confirmée dans l'ordonnance écrite statuant sur la présente affaire. Lorsque cette audience s'est terminée, la Cour a pris les autres questions soulevées en délibéré.

[24]Par la suite, la Cour a tenu une autre audience à huis clos et ex parte à Ottawa, en la présence des avocats du ministre, aux seules fins d'aider la Cour lors de l'examen des renseignements non divulgués, de leurs sources et de leur importance. Était aussi présente la personne qui a souscrit l'affidavit présentant les renseignements à ne pas divulguer, lequel a été soumis à la Cour lors de l'audience antérieure, tenue à huis clos et en l'absence du demandeur et de son avocat. Du point de vue de la Cour, cette étape constituait simplement une reprise du processus à huis clos pour examiner les renseignements dont le ministre avait demandé l'interdiction de divulgation. Je confirme qu'aucun renseignement additionnel n'a été sollicité ou offert lors de cette reprise de l'audience à huis clos. Les renseignements non divulgués au moment où l'audition de la demande de contrôle judiciaire a débuté à Toronto, renseignements que j'ai déclarés, par une décision rendue oralement, être pertinents et dont la Cour pourrait tenir compte, n'avaient pas été déposés dans le dossier de la Cour et n'étaient pas facilement disponibles pour examen après l'audience à Toronto. Lors de la reprise de l'audience à huis clos à Ottawa, ces documents ont été ajoutés au dossier de la Cour, mais mis sous enveloppe scellée séparément, laquelle ne pouvait être ouverte que par un juge délégué par le juge en chef conformément à la LIPR.

[25]Je confirme, après examen des renseignements qui n'ont pas été divulgués au demandeur par l'agent d'enquête, et par la décision préliminaire de la Cour, qu'à mon avis, les renseignements sont pertinents quant à la situation du demandeur et que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui. Donc, conformément au paragraphe 87(2) et aux alinéas 78e), h) et j) de la LIPR, il a été ordonné et il est maintenant confirmé que les renseignements ne doivent pas être divulgués au demandeur ou à son avocat mais que la Cour peut en tenir compte. Ils seront conservés dans le dossier de la Cour de manière confidentielle, dans une enveloppe scellée, laquelle ne pourra être ouverte que par un juge délégué de la Cour, et ne feront pas partie du dossier de la Cour auquel ont accès le demandeur ou le public.

II.     Les motifs soulevés pour le contrôle judiciaire

a)     La norme de contrôle

[26]La question finale que la Cour doit trancher concerne la décision de l'agent d'enquête selon laquelle M. Sogi était interdit de territoire au Canada au motif qu'il était perçu comme étant impliqué dans une organisation connue pour ses activités terroristes. La façon appropriée d'apprécier cette décision, résultant de l'application des dispositions de la LIPR aux faits de l'espèce, une question mixte de fait et de droit, c'est par l'utilisation de la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[27]Cette décision finale est fondée sur la détermination que l'identité de M. Sogi est celle de la personne soupçonnée d'être connue sous le nom de Gurnam Singh, ou sous d'autres pseudonymes, une personne impliquée avec le BKI dans des activités terroristes. Cette détermination en est une de fait et la norme appropriée que la Cour doit utiliser pour l'apprécier est celle du caractère manifestement déraisonnable ou, suivant le libellé de l'alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], dans sa version modifiée, c'est-à-dire si elle est:

18. (4) [. . .]

d) [. . .] fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [le décideur] dispose.

Cette même norme est applicable pour le contrôle de toute conclusion relative à la crédibilité.

[28]Ces normes découlent de mon appréciation pragmatique et fonctionnelle des dispositions législatives applicables en l'espèce. La loi ne contient aucune clause privative relative à la décision de l'agent d'audience et cette décision est assujettie au contrôle judiciaire conformément à l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur les Cours fédérales, précitée; les questions en litige ne sont pas polycentriques mais elles concernent l'application de la LIPR à la situation de M. Sogi. Toutefois, il n'y a aucune preuve qui établit que l'agent d'enquête possède une expertise particulière pour trancher les questions dont il était saisi, en particulier celles concernant le renseignement de sécurité, bien que, sur d'autres questions, en tant que membre de la section de l'immigration, il puisse avoir bien servi comme arbitre dans le cadre de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] qui existait avant que la LIPR entre en vigueur. Pour les décisions sur des questions relatives à l'appréciation de renseignements de sécurité, l'expertise relative d'un juge délégué de la Cour justifie un contrôle selon la norme de la décision correcte.

[29]En général, ces facteurs justifient une retenue envers les décisions de l'agent d'audience, sauf pour le contrôle de sa décision concernant la pertinence et le danger potentiel pour la sécurité nationale du fait de la divulgation de renseignements de sécurité que le ministre vise à faire examiner mais sans les divulguer.

b)     Caractère suffisant des motifs pour accepter les éléments de preuve classifiés et caractère suffisant de la divulgation

[30]On fait valoir au nom du demandeur que l'agent d'audience n'a pas énoncé les motifs de sa décision préliminaire selon laquelle les renseignements visés par la requête du ministre pour interdire la divulgation étaient pertinents quant à la question relative à l'identification du demandeur. En raison de l'importance que revêt la décision pour M. Sogi, on fait valoir, en invoquant l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 43, que les motifs de la décision sont non seulement souhaitables mais aussi requis. En l'espèce, on affirme que les «motifs» constituent de simples conclusions qui reflètent le libellé de la loi (alinéas 78f) et g) de la LIPR) selon lequel les renseignements examinés sont «pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui».

[31]Le résumé des renseignements fourni au demandeur ne constitue, selon son avocat, qu'une simple déclaration selon laquelle [traduction] «le SCRS croit que vous êtes membre du Babbar Khalsa», une organisation qui se livre à des activités terroristes comme le mentionnent de nombreuses sources publiques qui ont ensuite été énumérées en annexe au résumé. On fait valoir que les motifs de la croyance du SCRS et de la conclusion de l'agent d'audience pour interdire la divulgation des renseignements ne sont pas expliqués bien clairement. Je souligne pourtant qu'à l'audience, lorsque la décision préliminaire a été déposée et que le résumé a été divulgué au demandeur, l'agent d'audience aurait précisé oralement qu'il avait [traduction] «examiné, à huis clos, en l'absence du demandeur et de son avocat, des renseignements mentionnant que M. Sogi était identifié sous les noms de Gurnam Singh et de Piare Singh et qu'il y avait des renseignements qualifiés de fiables qui provenaient d'organismes nationaux et étrangers». Ainsi, il a donné un peu plus d'explications oralement.

[32]On fait valoir au nom du demandeur que, si l'agent d'audience avait simplement approuvé d'emblée la demande présentée au nom du ministre pour interdire la divulgation, cela constituerait également une erreur susceptible de révision. Il n'y a aucune preuve en ce sens et même il y a une brève description faite par l'agent d'audience de l'examen qu'il a effectué des renseignements fournis à huis clos, laquelle démontre qu'il a examiné les éléments de preuve. Le fait qu'il ait décidé d'accueillir la demande du ministre ne justifie pas en soi une conclusion selon laquelle il en était venu à cette décision simplement parce que le défendeur le lui avait demandé ou parce que le SCRS, ou un agent d'immigration dans un rapport produit en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, en était venu à la même conclusion auparavant.

[33]Bien que l'agent d'audience n'ait pas expliqué en détail sa conclusion selon laquelle il y avait des éléments de preuve pertinents qui ne devaient pas être divulgués, je ne suis pas convaincu que les circonstances de l'espèce, concernant une décision procédurale interlocutoire, ressemblent, comme le prétend le demandeur, à celles sous-tendant la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker, précité, où on a insisté sur l'importance des motifs. Dans ce cas-là, l'absence de motifs concernait une décision de fond statuant sur une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, une décision finale. En l'espèce, la décision de l'agent d'audience en est une de nature procédurale préliminaire, au sujet de la pertinence de la preuve et de la détermination qu'elle ne devait pas être divulguée pour des raisons de sécurité. Cette décision est implicitement assujettie au contrôle, de même que la preuve non divulguée, dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision de l'agent d'audience.

[34]Si la Cour était convaincue que l'agent d'audience avait rendu sa décision dans le cadre du pouvoir qui lui est conféré par la loi, le fait que les motifs de la décision n'aient pas été expliqués bien clairement, comme quoi les renseignements étaient pertinents mais ne devaient pas être divulgués, ne justifie pas en soi, à mon avis, une intervention judiciaire. Si la Cour devait tirer une conclusion contraire, à savoir que les renseignements en question n'étaient pas pertinents ou, s'ils l'étaient, qu'il était manifestement déraisonnable de considérer que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale, la Cour est tenue en vertu de la Loi de remettre ces renseignements au ministre et de ne pas les prendre en compte (alinéa 78f)). Lors de cette appréciation, la Cour, avec son expérience pour apprécier la pertinence et pour chercher à établir un équilibre entre les intérêts de l'état et ceux du particulier, doit conclure que la décision de l'agent d'audience est essentiellement correcte relativement à ces questions procédurales préliminaires. Sinon, la Cour devrait ordonner que l'affaire soit renvoyée pour nouvel examen. En l'espèce, je ne suis pas convaincu que l'agent d'enquête a été incorrect dans son appréciation de la pertinence et concernant l'interdiction de divulgation.

[35]Si on laisse de côté pour l'instant les implications relatives à la Charte, l'agent d'audience a, selon toute probabilité, agi en l'espèce en respectant la lettre de l'article 78 de la LIPR. Il prévoit, relativement à la procédure prévue au paragraphe 86(2), que l'agent d'audience doit garantir la confidentialité des renseignements, en ne les divulguant même pas à l'intéressé ni à son avocat, si l'agent d'audience est d'avis que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui. Si tel est le cas, l'agent d'audience fournit à l'intéressé, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'action du ministre, un résumé de la preuve. Par la suite, l'intéressé a la possibilité d'être entendu et l'agent d'audience peut prendre en compte tout ce qui est pertinent, que cela soit admissible ou non en justice (voir l'article 78 en général).

[36]Selon l'interprétation que je fais de l'alinéa 78g), le champ d'action de l'agent d'audience lorsqu'il examine une demande pour interdire la divulgation en application du paragraphe 86(1), ou de la Cour concernant une demande semblable en application du paragraphe 87(1), est limité à trancher la question de savoir si les renseignements en cause sont pertinents et s'ils devaient être mentionnés dans le résumé qui sera communiqué. S'ils ne sont pas pertinents, ils sont remis au ministre sans être examinés plus à fond, comme c'est le cas si le ministre retire les renseignements ou s'il est décidé que les renseignements sont pertinents et qu'ils devraient faire partie du résumé (alinéa 78f)). Somme toute, seul le ministre peut décider que les renseignements qu'il invoque seront communiqués.

[37]En l'espèce, au sujet de M. Sogi, la Cour décide que les renseignements non divulgués sont pertinents en regard des questions qu'elle doit trancher, concernant l'identité ainsi que les activités et associations du demandeur. De plus, la Cour conclut que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale. L'agent d'audience n'a pas commis d'erreur en concluant dans le même sens, ni en omettant de motiver en détail ces conclusions, en particulier à la lumière de la responsabilité qui lui incombe de garantir que les renseignements en question sont gardés confidentiels et qu'ils ne sont pas divulgués (alinéa 78b) de la LIPR).

[38]Cela étant, on ne saurait reprocher à l'agent d'audience d'avoir donné une divulgation insuffisante. La divulgation fait assurément partie d'un processus équitable. Or ici, le législateur a limité la divulgation en imposant le devoir de «garantir la confidentialité des renseignements [. . .] et des autres éléments de preuve qui pourraient [. . .] être communiqués [au juge ou à l'agent d'audience] et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui» (alinéa 78b) de la LIPR). L'agent d'audience et la Cour se sont simplement acquittés de leurs obligations énoncées dans la loi, à moins que le processus établi par la Loi ne soit déclaré inconstitutionnel.

c)     Allégation de ne pas avoir tenu compte de la preuve documentaire pertinente

[39]L'observation du demandeur selon laquelle on n'a pas tenu compte de la preuve concerne de nombreux éléments de preuve présentés pour le compte de M. Sogi lors de l'enquête, lesquels contrediraient clairement les conclusions de l'agent d'audience. L'argument est que, bien qu'il ait fait référence à ces éléments de preuve dans sa décision, il ne les a aucunement appréciés, même si ces éléments avaient directement rapport avec la question clé dont était saisi l'agent d'audience, à savoir l'identité de M. Sogi. Ses renseignements ont été mentionnés mais rejetés sans explication. On a ainsi affirmé qu'il était nécessaire d'expliquer leur rejet en se fondant sur la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.).

[40]Dans l'arrêt Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 282 N.R. 394 (C.A.F.), le juge Evans a commenté au paragraphe 9:

Un décideur n'est pas tenu d'expliquer, pour chaque preuve produite, les raisons pour lesquelles il n'a pas accepté telle ou telle d'entre elles. Il faut considérer l'importance relative de cette preuve par rapport aux autres éléments sur lesquels est fondée la décision [. . .]

[41]Il y a pourtant un certain nombre de décisions dans lesquelles la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire lorsque les conclusions de fait d'un décideur sont contredites par des éléments de preuve dont il dispose et qu'aucune mention n'en est faite dans la décision. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Dans ce cas-ci, de nombreux éléments de preuve, décrits comme des documents d'identité, ont été présentés par le demandeur. La décision de l'agent d'audience fait mention de ces documents de la façon suivante:

Me Bertrand a déposé vingt-cinq documents. Parmi eux, mentionnons un certificat de naissance, un certificat de mariage, un permis de conduire, des lettres de différentes personnes et le Formulaire sur les renseignements personnels fournis à la Section de la protection des réfugiés aux fins de sa demande d'asile qui devait être entendue mais dont l'audience a été suspendue en attendant l'issue de l'enquête [. . .]

[42]Ainsi, les éléments de preuve produits par le demandeur, des documents concernant Gurbachan (ou Bachan) Singh Sogi, ont été mentionnés, quoique quelque peu sommairement, dans la décision contestée en l'espèce. Le défendeur soutient que les éléments de preuve ne sont pas directement pertinents à l'égard de la question qui nous préoccupe, l'identité du demandeur, mais à mon avis, ils sont au moins aussi pertinents que les renseignements documentaires publics, précisément invoqués par l'agent d'audience. Il s'agissait des lettres du Home Office à Londres, une adressée à un certain Gurnam Singh, une autre adressée à Gurbachan Singh ainsi qu'à ses pseudonymes, à l'adresse du demandeur, et une troisième de ce bureau, adressée à l'avocat de M. Sogi, confirmant que son client, Gurbachan Sogi, faisait l'objet des deux lettres précédentes donnant avis que les destinataires étaient exclus du R.-U. pour raison de sécurité nationale et de participation à des activités terroristes internationales.

[43]En fin de compte, l'agent d'audience a également invoqué l'article paru dans le Times of India du 9 juin 2001, mentionnant un certain Gurnam Singh, alias Piare, un membre du BK. Le demandeur soutient que le fait d'invoquer cet article comme se rapportant à lui ne tient pas compte d'éléments de preuve qui ne sont pas vraiment contestés, c'est-à-dire que le demandeur est arrivé au Canada au début de mai 2001 et que, à la date de la parution de l'article du journal, il était ici, attendant que sa demande d'asile soit traitée. Je souligne que l'article en question n'indique pas à quel moment le terroriste dont il est question était censé se rendre en Inde, mais il précise que le voyage devait se faire à partir du Royaume-Uni. Je conviens que l'article du journal a peu ou pas de valeur probante concernant la détermination de l'identité de M. Sogi. Mais même si on ne tient pas compte de cet article, il y a d'autres éléments de preuve qui appuient la conclusion de l'agent d'audience.

[44]Certes, la décision en cause en l'espèce aurait été plus claire si elle avait explicitement mentionné que la preuve documentaire présentée par M. Sogi n'était pas acceptée, encore que cela était implicitement clair, et si elle avait exprimé ce qui était privilégié dans la preuve contradictoire et les motifs de cette préférence. Néanmoins, la décision de l'agent d'audience fait mention des éléments de preuve présentés par M. Sogi, quoique brièvement, et fait ensuite mention de l'utilisation par M. Sogi, qui a été admise, de pseudonymes dans le passé, des lettres envoyées à son adresse et de la lettre subséquente à l'avocat du demandeur, les lettres provenant toutes du Home Office. Ces lettres, provenant des autorités officielles de la Grande-Bretagne, et l'admission de la part du demandeur qu'il avait utilisé des pseudonymes dans le passé, constituent le fondement dans le dossier public de la conclusion de l'agent d'audience selon laquelle M. Sogi n'était pas crédible lorsqu'il nie avoir utilisé les noms de Gurnam ou de Piare Singh.

[45]La décision mentionne ensuite le rapport du SCRS, à savoir les renseignements non divulgués et, convaincu de la fiabilité de ces renseignements, l'agent conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur, qui est arrivé à Toronto le 8 mai 2001, est la personne dont il est question dans les lettres du Home Office.

[46]Par conséquent, il y avait des éléments de preuve, non divulgués au demandeur, qui, selon l'agent d'audience, appuyaient sa conclusion. Cette conclusion est fondée sur les éléments de preuve que l'agent d'audience a, implicitement, clairement privilégiés par rapport à ceux présentés par M. Sogi. L'agent d'audience n'a pas expressément contredit ces derniers documents, dans la mesure où ils appuient la prétention selon laquelle Gurbachan Singh Sogi, le demandeur, n'est pas le destinataire des lettres du Home Office ou une personne considérée comme ayant participé à des activités terroristes, mais il a accepté le fait que, eu égard à la preuve contradictoire dont il disposait, et dont une partie n'était pas divulguée, le demandeur était vraiment la personne identifiée comme ayant des liens avec des organisations terroristes. Cette conclusion de fait n'est pas manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve dont disposait l'agent d'audience et rien ne justifie l'intervention de la Cour.

d)     La crédibilité du demandeur

[47]La conclusion que le demandeur est la personne qui serait impliquée dans des activités terroristes a été en partie tirée à la lumière d'une conclusion selon laquelle M. Sogi manquait de crédibilité. Bien qu'une grande partie des éléments de preuve du demandeur ait été acceptée, l'agent d'audience a conclu que la dénégation de la part du demandeur de son utilisation des noms Gurnam ou Piare n'était pas crédible à la lumière de sa propre admission selon laquelle il avait utilisé de nombreux pseudonymes dans le passé. Cette conclusion aurait été tirée sans apprécier la totalité de la preuve, dont le long témoignage du demandeur. L'agent n'a fait aucun commentaire concernant ce témoignage, sauf pour ce qui est de l'admission que des pseudonymes avaient été utilisés, et il n'a pas tenu compte de l'explication donnée par M. Sogi selon laquelle les autres noms que le sien avaient été utilisés pour échapper à la persécution. Le demandeur fait valoir qu'aucun motif raisonnable n'a été donné pour conclure qu'il n'était pas crédible.

[48]Pourtant, le demandeur a admis avoir utilisé un certain nombre de pseudonymes. Compte tenu de ce qui précède, l'agent d'audience pouvait conclure comme il l'a fait, selon quoi la dénégation de l'utilisation de certains pseudonymes, Gurnam ou Piare, n'était pas crédible. L'agent d'audience a entendu le témoignage du demandeur, y compris sa dénégation. L'inférence tirée, que la dénégation n'était pas crédible, constituait une question qui relevait de l'agent d'audience. Ayant accepté que les lettres du Home Office étaient authentiques et qu'elles s'adressaient au demandeur, il a été inféré qu'elles s'adressaient à quelques-uns des pseudonymes que l'on croyait avoir été utilisés par M. Sogi, de préférence à la dénégation faite par le demandeur relativement à l'utilisation de certains pseudonymes.

[49]À mon avis, cette décision n'est pas manifestement déraisonnable. En d'autres mots, il ne s'agit pas d'une conclusion de fait arbitraire ou tirée sans tenir compte de la preuve. Même si la Cour avait pu apprécier la preuve différemment, rien ne justifie son intervention au regard de la retenue appropriée dont il faut faire preuve à l'égard de l'agent d'audience en tant que juge des faits.

e)     Le processus suivi et l'article 7 de la Charte

[50]On fait valoir au nom du demandeur que l'article 86 prévoit un processus qui fait entrer en jeu l'article 7 de la Charte et que ce processus serait contraire aux principes de justice fondamentale.

[51]Le ministre défendeur soutient que, dans la mesure où la présente demande repose sur la perception d'un risque imminent de renvoi vers un pays où le demandeur prétend qu'il risque la torture, la demande est prématurée. La décision de l'agent d'audience ne crée pas un risque imminent de renvoi. La question de savoir s'il sera renvoyé dépend d'une autre décision qui sera prise au nom du ministre, après une décision relative à l'examen des risques avant renvoi (ERAR), les deux décisions pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[52]Je ne suis pas convaincu que la demande de M. Sogi est fondée sur une inquiétude face à un risque imminent de torture. Elle est plutôt fondée sur sa privation continue de liberté découlant de la décision, ce qui a pour effet de le maintenir en détention. Bien que cela continue et qu'il soit connu comme une personne associée aux activités terroristes, il existe, à mon avis, une perte directe d'intégrité psychologique, en ce sens que la mesure étatique prise en vertu de l'article 86 porte atteinte à son droit à la liberté et à la sécurité. Cela fait entrer en jeu l'article 7 de la Charte lequel garantit que:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Ce droit est garanti à chacun, notamment à un étranger au Canada (Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la page 202).

[53]Dans l'arrêt R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387, à la page 401, le juge La Forest a énoncé ainsi les exigences entourant l'application de l'article 7 de la Charte:

Pour que l'article puisse entrer en jeu, il faut constater d'abord qu'il a été porté atteinte au droit «à la vie, à la liberté et à la sécurité [d'une] personne» et, en second lieu, que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale.

[54]Je ne suis pas convaincu que la perte de possibilité que sa demande d'asile soit examinée et le fait qu'une mesure de renvoi ait été prise contre lui justifient une conclusion selon laquelle l'article 7 de la Charte entre en jeu (voir les propos de la juge McGillis dans la décision Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669 (1re inst.); confirmée par (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 171 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1997] 2 R.C.S. v). Pourtant, à mon avis, la prolongation de la détention de M. Sogi, instaurée vraisemblablement par un agent d'immigration en vertu de l'article 55 de la Loi, même si cette détention fait l'objet de contrôles périodiques en vertu de l'article 57, porte atteinte au droit du demandeur à la liberté physique. De plus, la détresse psychologique que lui a causée la mesure étatique de le détenir et de le qualifier de terroriste porte atteinte à son droit à la sécurité de sa personne garanti par l'article 7, à moins que ces atteintes soient compatibles avec les principes de justice fondamentale (voir Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307). Puisque, à mon avis, l'article 7 de la Charte entre en jeu compte tenu du processus suivi en l'espèce en application des articles 44, 55 et 67, je vais examiner la question de savoir si ce processus est compatible avec les principes de justice fondamentale.

[55]Il est reconnu que le processus quelque peu semblable prévu aux articles 77 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] et 78, lequel est comparable à celui de l'article 40.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31] de l'ancienne Loi sur l'immigration, ne violerait pas l'article 7 ni les autres dispositions de la Charte (voir Ahani, précitée). Dans cette affaire, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général délivrent ensemble un certificat attestant que, selon eux, un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour des raisons de sécurité et le certificat est renvoyé à la Cour fédérale afin d'en apprécier son caractère raisonnable. Ce processus différerait de celui suivi en l'espèce à deux égards importants. Ce sont la façon dont ils commencent et les personnes qui examinent les renseignements de sécurité.

[56]Le processus de l'article 77 commence par l'examen des renseignements fait par deux ministres qui conviennent de délivrer un certificat qui est ensuite déféré directement à la Cour pour qu'un juge délégué détermine s'il est raisonnable ou non. Le législateur, dans plusieurs de ses lois, a confié à la Cour le mandat d'examiner des renseignements invoqués dans le cadre d'affaires relatives à la sécurité dans des contextes variés et on s'attend qu'un juge délégué de la Cour aura développé une expertise dans le traitement de telles questions.

[57]On fait valoir qu'en l'espèce, le processus n'exige pas d'examen initial de la part de deux ministres et que les renseignements en question sont plutôt présentés directement à un membre de la section de l'immigration par des représentants du SCRS. Je ne retiens pas entièrement cette description pour ce processus qui commence, dans le cadre du paragraphe 44(2) de la LIPR, par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, s'il estime bien fondé un rapport d'un agent d'immigration selon lequel un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire. Le ministre peut déférer le rapport en question à la section de l'immigration pour enquête. Cela a été fait en l'espèce et lors de l'audience, le ministre a demandé, conformément à l'article 86, une ordonnance pour interdire la divulgation. La demande a été examinée par le membre de la section de l'immigration qui entendait l'affaire, lequel, appliquant l'article 78, a ensuite ordonné l'interdiction de divulgation de certains renseignements examinés par le ministre, puis par l'agent d'audience, pour parvenir à sa conclusion que M. Sogi était interdit de territoire.

[58]Ainsi, il y a deux principales différences entre le processus de l'article 77 et celui qui a été suivi en l'espèce: l'examen initial des renseignements par deux ministres plutôt qu'un, ainsi que le contrôle et l'appréciation, par un juge de la Cour en vertu des articles 77 et 78, des renseignements faisant l'objet d'une requête du ou des ministres pour qu'ils soient assujettis à une ordonnance pour interdire leur divulgation; ou l'examen par un membre de la section de l'immigration qui, fait-on valoir, n'a aucune expérience, du moins avant juin 2002, dans l'examen de renseignements qui seraient des renseignements de sécurité et dans la recherche de l'équilibre entre les intérêts de l'état et ceux du particulier concerné par la divulgation la plus complète possible de la preuve qui pèse contre lui.

[59]Il y a une autre différence entre les deux processus. Dans celui commencé dans le cadre de l'article 77 par un certificat des deux ministres, la décision du juge délégué concernant le caractère raisonnable du certificat est définitive et il n'y a aucun appel ni contrôle judiciaire possible (paragraphe 80(3) de la LIPR). Dans le processus suivi en l'espèce, commencé dans le cadre du paragraphe 44(2), puis des articles 86 et 87, la totalité de la décision de l'agent d'enquête peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire de la part d'un juge délégué de la Cour, dont notamment le contrôle de la décision selon laquelle des renseignements ne doivent pas être divulgués pour des raisons de sécurité nationale. Ainsi, un juge délégué de la Cour participe au présent processus mais, à une étape, on lui retire le rôle quelque peu semblable joué dans le cadre des articles 77 et 78.

[60]Dans la décision Ahani (1re inst.), précitée, aux pages 681 à 683, la juge McGillis, analysant la tâche dévolue au juge délégué pour établir un équilibre entre les intérêts de l'état et ceux du particulier concerné, a écrit ce qui suit:

Comme le ministre et le solliciteur général sont tenus de prendre leur décision uniquement à la lumière des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité, le juge délégué sait exactement quels renseignements ils ont examinés avant de délivrer l'attestation. Les renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité sont les seuls éléments de preuve que le juge délégué doit examiner à huis clos. Si d'«autres éléments de preuve ou d'information» doivent être présentés, le ministre ou le solliciteur général peut demander au juge délégué de «recueillir tout ou partie de ces éléments» en l'absence de l'intéressé et du conseiller le représentant. Le juge délégué ne peut accéder à cette demande ministérielle que s'il est d'avis que la communication des éléments de preuve ou d'information en question «porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes». Le fardeau d'établir que les «autres éléments de preuve ou d'information» ne devraient pas être communiqués pour des raisons de sécurité incombe carrément au ministre qui cherche à les présenter en l'absence de l'intéressé et du conseiller le représentant. En résumé, la communication de ces éléments de preuve ou d'information à l'intéressé ne peut être empêchée sous le régime de la loi qu'à la suite d'une demande ministérielle à cet effet et d'une décision d'un juge indépendant qui statue que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes.

[. . .] le juge délégué a l'obligation stricte de communiquer les renseignements en question à l'intéressé pour lui permettre de contester le caractère raisonnable de l'attestation délivrée par le ministre et le solliciteur général. En particulier, le juge délégué doit fournir un résumé des informations dont il dispose à l'intéressé «afin de permettre à celui-ci d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation». Pour préparer le résumé des informations à l'intention de l'intéressé, le juge délégué doit évaluer le droit de l'intéressé d'«être suffisamment informé des circonstances» en se demandant si «[la] communication [de certains éléments de preuve ou d'information] pourrait, à son avis, porter atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes». Le juge délégué n'a donc le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des renseignements à l'intéressé que s'il est d'avis que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes. Les pouvoirs de communication qui sont conférés au juge délégué sont larges et exigent qu'il exerce avec prudence son pouvoir discrétionnaire de manière à s'assurer qu'il concilie comme il se doit les intérêts divergents en présence. [Renvois omis.]

[61]Ce passage fait ressortir la responsabilité spéciale incombant au juge délégué saisi d'une requête pour interdire la divulgation dans le cadre du processus des articles 77 et 78. La même responsabilité est imposée au membre de la section de l'immigration qui, lors d'une enquête, est saisi d'une requête pour interdire la divulgation en vertu de l'article 86 et, encore une fois, au juge délégué saisi d'un contrôle judiciaire à qui on présente une requête pour interdire la divulgation en vertu de l'article 87. Aucun de ces décideurs ne s'acquitte de la responsabilité que lui impose la Loi en approuvant, sans poser de questions, un arrangement recommandé pour l'interdiction de la divulgation et pour l'approbation d'un résumé des renseignements préparé dans le but d'informer suffisamment la personne touchée des circonstances ayant donné lieu à la décision du ministre.

[62]On fait valoir pour le compte de M. Sogi qu'aucune explication n'a été donnée quant aux raisons pour lesquelles le processus suivi en l'espèce, adopté au moment où la LIPR est entrée en vigueur en juin 2002, est jugé nécessaire alors que le processus antérieur de l'ancien article 40.1 de la Loi sur l'immigration restait pratiquement le même dans le cadre des articles 77 et 78. À mon avis, la nécessité pour le législateur d'édicter des mesures législatives est essentiellement une question de politique dont une cour qui évalue la constitutionnalité d'une loi ne se préoccupe pas en général. En l'espèce, il ne s'agit pas d'une question de droit pertinente.

[63]Est-ce que le processus suivi au paragraphe 44(2) et aux articles 86 et 87 constitue un processus si différent de celui des articles 77 et 78, confirmé pour l'essentiel dans la décision Ahani, précitée, et porte tellement atteinte aux droits de la personne que cela puisse être considéré comme contraire aux principes de justice fondamentale et, de ce fait, en contravention de l'article 7 de la Charte? À mon avis, les différences présentées par le processus du paragraphe 44(2) et des articles 86 et 87 ne contrevient pas aux principes de justice fondamentale et cela, pour les mêmes motifs que ceux énoncés par la juge McGillis dans la décision Ahani, précitée, aux pages 691 à 697, pour déclarer que le processus de l'article 40.1 de l'ancienne Loi ne contrevenait pas aux principes de justice fondamentale.

[64]Bien que les circonstances soient différentes, la Cour suprême en est venue au même résultat en confirmant l'application de dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels [L.R.C. (1985), ch. P-21] à des renseignements pour lesquels il n'y avait pas d'entente concernant leur divulgation et leur présentation à huis clos sans la présence de l'intéressé ou de son avocat (voir Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3).

Conclusions

[65]Je confirme que lorsque la présente affaire a été entendue, après examen des renseignements non divulgués au demandeur par l'agent d'enquête, j'ai décidé, et ordonné oralement, que les renseignements non divulgués étaient pertinents à l'égard de la décision du ministre concernant le demandeur et que, de plus, leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui. Je confirme que les renseignements ne doivent pas être divulgués mais que la Cour peut en tenir compte. Ils seront conservés dans le dossier de la Cour et seul un juge délégué en vertu de la LIPR pourra les examiner.

[66]Je confirme mes conclusions selon lesquelles l'agent d'enquête n'a pas commis d'erreur en appréciant certains renseignements comme pertinents et ne devant pas être divulgués pour la protection de la sécurité nationale; contrairement à ce qui a été allégué, il n'a pas commis d'erreur en ne donnant pas une divulgation suffisante des renseignements; il n'a pas commis d'erreur en ne tenant pas compte d'éléments de preuve pertinents présentés par le demandeur et sa conclusion au sujet de la dénégation de la part du demandeur relativement à son utilisation de certains pseudonymes n'était pas manifestement déraisonnable dans les circonstances. Ainsi, aucun motif, parmi ceux habituellement invoqués lors du contrôle judiciaire d'une décision administrative, n'a été établi pour justifier une intervention.

[67]En fin de compte, je ne suis pas convaincu que le processus suivi en l'espèce, conformément au paragraphe 44(2) et aux articles 86 et 87, est contraire aux principes de justice fondamentale et, quoiqu'il porte atteinte à la liberté physique et à la sécurité psychologique du demandeur, ce processus ne viole pas l'article 7 de la Charte.

Une question à certifier

[68]Les avocats des deux parties ont convenu à la fin de l'audience que cette affaire semblait soulever une question certifiable en vertu de l'alinéa 74d) de la LIPR, pour examen par la Cour d'appel, concernant l'application de l'article 7 de la Charte aux circonstances de la présente affaire. Sous réserve que la question soit peaufinée de manière satisfaisante, je suis d'accord pour qu'une question soit certifiée.

[69]Une ordonnance statuant sur la présente demande, conformément aux présents motifs, sera rendue après que les avocats auront eu une brève occasion de présenter des observations concernant le texte d'une question à certifier. Les avocats sont invités à consulter la Cour et à l'aviser au plus tard le 18 décembre 2003 relativement à leurs propositions respectives concernant toute question aux fins de la certification.

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