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T-2143-02

2004 CF 613

Gideon Mc.Guire Augier (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Augier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Mosley--Toronto, 19 avril; Ottawa, 17 mai 2004.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Citoyens -- Demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente de la citoyenneté a refusé la demande d'attestation de la citoyenneté canadienne du demandeur -- Le demandeur est né hors du mariage à l'extérieur du Canada en 1966, d'un père canadien et d'une mère étrangère -- Il a sollicité l'attestation de la citoyenneté canadienne en 2002 -- Demande refusée car, une personne née hors du mariage avant le 15 février 1977 ne peut tenir la nationalité canadienne que de sa mère -- L'art. 5(1)b)(i) de la Loi sur la citoyenneté canadienne (1970) ne peut être interprété de manière à ce qu'il s'applique aux enfants nés hors du mariage, de pères canadiens et de mères étrangères-- L'art. 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté (1985) viole l'art. 15(1) de la Charte et n'est pas justifié par l'article premier de la Charte -- L'art. 5(2)b) de la Loi actuelle est inconstitutionnel, mais il est valide lorsqu'il est lu avec les termes «ou un père» -- Demande accueillie.

Interprétation des lois -- L'art. 5(1)b)(i) de la Loi sur la citoyenneté canadienne (1970) accorde la citoyenneté canadienne à une personne née après le 31 décembre 1946, hors du Canada, si son père ou, dans le cas d'un enfant né hors du mariage, sa mère, au moment de la naissance de cette personne, était un citoyen canadien -- L'art. 5(1)b)(i) ne peut être interprété de manière à ce qu'il s'applique aux enfants nés hors du mariage, de pères canadiens et de mères étrangères.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits à l'égalité -- Application du critère de l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) afin de décider si l'art. 15 de la Charte a été violé -- L'art. 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté (1985) établit une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison de deux caractéristiques personnelles, à savoir la relation entre son père et sa mère au moment de sa naissance et le sexe du parent canadien lors de sa naissance -- La relation entre son père et sa mère au moment de sa naissance et le sexe du parent canadien lors de sa naissance sont des motifs analogues de discrimination -- L'art. 5(2)b) reflète une opinion qui porte atteinte à la dignité du demandeur -- L'art. 5(2)b) refuse au demandeur un avantage dont et profitent les personnes dans une situation semblable, violant ainsi les droits à l'égalité du demandeur visés à l'art. 15(1) de la Charte -- Cette violation n'est pas justifiée par l'article premier de la Charte et, par conséquent, l'alinéa 5(2)b) est inconstitutionnel selon l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 -- La solution est de lire l'art. 5(2)b) avec les termes «ou un père».

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente de la citoyenneté avait refusé la demande d'attestation de la citoyenneté canadienne du demandeur. Le demandeur est né hors du mariage à Sainte-Lucie, le 9 mai 1966. Il est allégué que, au moment de sa naissance, son père était citoyen canadien et sa mère était résidente permanente. Le demandeur a sollicité l'attestation de la citoyenneté canadienne en septembre 2002, au motif qu'il tenait la citoyenneté canadienne de son père naturel. L'agente a conclu que, puisque le demandeur était né hors du mariage, à l'extérieur du Canada, il ne pouvait tenir la nationalité canadienne que de sa mère selon la loi en vigueur à la date de sa naissance. Comme sa mère n'était pas une citoyenne canadienne quand il est né, le demandeur s'est vu refuser sa demande d'attestation de la citoyenneté. La question était de savoir si l'agente a commis une erreur de droit en interprétant le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi sur la citoyenneté canadienne (1970), et dans le cas contraire, si le refus de reconnaître au demandeur la qualité de citoyen canadien contrevenait à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Jugement: la demande doit être accueillie.

L'agente a correctement interprété les dispositions législatives en vigueur en décidant que la citoyenneté canadienne ne peut être accordée à une personne née à l'extérieur du Canada avant le 15 février 1977 d'un père canadien et d'une mère étrangère qui n'étaient pas mariés au moment de sa naissance. Il est impossible d'interpréter les termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 de manière à ce qu'il s'applique aux enfants nés hors du mariage d'un père canadien et d'une mère étrangère. Les modifications de 1977 ne prévoyaient aucune mesure de redressement applicable à ces enfants qui sont nés avant le 15 février 1977.

La méthode retenue dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) a été appliquée afin de déterminer si le refus de reconnaître au demandeur la qualité de citoyen canadien contrevenait à l'article 15 de la Charte. L'alinéa 5(2)b) en cause en l'espèce établit une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison de la relation entre son père et sa mère au moment de sa naissance et le sexe du parent canadien lors de sa naissance. La Cour suprême a dit que ces deux fondements étaient des motifs analogues de discrimination, les deux premiers volets du critère de l'arrêt Law sont respectés. Quant au troisième volet du critère, une personne raisonnable, se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur estimerait que l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle reflète une opinion qui porte atteinte à la dignité du demandeur tout simplement parce qu'il est né «hors du mariage». Le demandeur ne peut prétendre tenir la citoyenneté canadienne de son père canadien, un avantage dont bénéficient et profitent les personnes dans une situation semblable qui sont nées à l'extérieur du Canada avant le 15 février 1977 et dont les parents étaient mariés. Également aux termes de l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle, l'enfant d'une mère canadienne qui n'aurait pas eu le droit d'avoir qualité de citoyen en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 peut réclamer la citoyenneté; toutefois, l'enfant d'un père canadien exclu en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 ne bénéficie pas du même avantage. Par conséquent, l'alinéa 5(2)b) viole le droit du demandeur au traitement égal de la loi, conformément à l'article 15 de la Charte. Comme le défendeur a reconnu que l'alinéa 5(2)b) viole le paragraphe 15(1) de la Charte et n'est pas justifié en vertu de l'article premier, il n'est donc pas nécessaire d'effectuer une analyse en vertu de l'article premier. Par conséquent, la Cour a rendu une ordonnance déclarant que l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle est inconstitutionnel, conformément à l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais il est valable lorsqu'il est lu avec les termes «ou un père».

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 2(1) «ancienne loi», 3(1)b), e), 5(1), (2)b), 22 (mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 67; 1999, ch. 31, art. 42; 2000, ch. 24, art. 33).

Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108.

Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15.

Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, ch. C-19, art. 5(1)b)(i).

jurisprudence

décision suivie:

Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; (1999), 170 D.L.R. (4th) 1; 43 C.C.E.L. (2d) 49; 236 N.R. 1.

décision appliquée:

Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358; (1997), 143 D.L.R. (4th) 577; 42 C.R.R. (2d) 1; 37 Imm. L.R. (2d) 195; 208 N.R. 81.

décisions citées:

Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; (1995), 124 D.L.R. (4th) 693; 29 C.R.R. (2d) 189; [1995] I.L.R. 1-3185; 10 M.V.R. (3d) 151; 181 N.R. 253; 81 O.A.C. 253; 13 R.F.L. (4th) 1; Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4 R.C.S. 325; (2002), 210 N.S.R. (2d) 273; 221 D.L.R. (4th) 1; 102 C.R.R. (2d) 1; 297 N.R. 203; 32 R.F.L. (5th) 81.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision datée du 16 décembre 2002, par laquelle une agente de la citoyenneté a refusé la demande d'attestation de la citoyenneté canadienne du demandeur. Demande accueillie.

ont comparu:

Barbara L. Jackman pour le demandeur.

Negar Hashemi pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Barbara L. Jackman, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance modifiés rendus par

[1]Le juge Mosley: Il s'agissait d'abord d'une demande de contrôle judiciaire contestée de la décision datée du 16 décembre 2002, par laquelle une agente de la citoyenneté avait refusé la demande d'attestation de la citoyenneté canadienne de M. Augier. La veille de l'audience, les parties ont soumis un projet d'ordonnance par consentement. Après avoir examiné soigneusement la question et pour les motifs ci-dessous, je suis convaincu que l'ordonnance doit être rendue. Le demandeur sollicite une ordonnance portant que le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, ch. C-19 (la Loi de 1970), permet qu'un enfant né hors du mariage puisse tenir la citoyenneté canadienne tant de son père que de sa mère ou subsidiairement, portant que l'alinéa 5(2)b) de l'actuelle Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi actuelle) est inconstitutionnel et qu'il devrait être interprété de manière à permettre au demandeur de tenir la citoyenneté canadienne de son père canadien.

CONTEXTE

[2]La mère de M. Augier est Bonita E. Augier. Elle est entrée au Canada le 28 septembre 1964 comme résidente permanente. Elle était une infirmière diplômée en Angleterre et depuis son arrivée au Canada, elle exerce cette profession. La mère du demandeur a confirmé, dans un affidavit déposé à l'appui de la demande d'attestation de la citoyenneté de M. Augier, qu'au mois de juillet 1965, elle fréquentait le père du demandeur, Cecil Bloyce Russell, qui vivait à Guelph (Ontario), et qu'elle s'était trouvée enceinte. M. Russell était originaire du Royaume-Uni et apparemment, il est devenu citoyen naturalisé canadien avant 1965.

[3]La mère du demandeur a rompu avec M. Russell et elle a décidé de retourner à Sainte-Lucie pour donner naissance à son enfant. Le 9 mai 1966, le demandeur est né à Sainte-Lucie. Mme Augier est revenue au Canada peu après la naissance de son fils pour y travailler et subvenir au besoin de son enfant qu'elle avait confié à son frère, à Sainte-Lucie. Mme Augier a fait en sorte que son frère et le demandeur puissent entrer au Canada comme résidents permanents et, en août 1970, le demandeur, alors jeune garçon, est entré au Canada où il réside depuis cette date.

[4]La mère du demandeur a obtenu la citoyenneté canadienne en 1989. Il est allégué que M. Russell, né en 1899 au Royaume-Uni, était citoyen canadien au moment de la naissance du demandeur. M. Russell est décédé le 29 novembre 1969. Tel que susmentionné, les parents du demandeur n'étaient pas mariés quand il est né.

[5]M. Augier vit au Canada, comme résident permanent, depuis qu'il a quatre ans et il est le père de sept enfants nés au Canada. Il a demandé la citoyenneté en conformité avec le paragraphe 5(1) de l'actuelle Loi, mais sa demande a été rejetée en octobre 2001, au motif qu'il ne satisfaisait pas au critère de résidence et en outre, qu'il lui est interdit de devenir citoyen selon l'article 22 [mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 67; 1999, ch. 31, art. 42; 2000, ch. 24, art. 33] de la Loi actuelle.

[6]Par la suite, le demandeur a sollicité l'attestation de la citoyenneté canadienne en septembre 2002, au motif qu'il tenait la citoyenneté canadienne de son père naturel. Il a également soumis, avec sa demande, un affidavit de sa mère ainsi que plusieurs autres pièces y annexées qui décrivaient sa situation personnelle. En particulier, il a joint à sa demande un jugement rendu le 11 septembre 2002 par la Cour supérieure de justice de l'Ontario qui confirmait que M. Russell était son père biologique ainsi qu'un certificat de décès attestant que M. Russell était un citoyen canadien.

Décision de l'agente de la citoyenneté

[7]L'agente a conclu que, puisque le demandeur était né hors du mariage, le 9 mai 1966, à l'extérieur du Canada, il ne pouvait tenir la nationalité canadienne que de sa mère selon la loi en vigueur à cette date. Si les parents du demandeur avaient été mariés au moment de sa naissance, il aurait pu tenir la nationalité canadienne de son père. Puisque le demandeur est né le 9 mai 1966, à Sainte-Lucie, et que ses parents naturels n'étaient pas mariés au moment de sa naissance, il ne pouvait tenir la citoyenneté que de sa mère; or, celle-ci n'était pas une citoyenne canadienne quand il est né. L'agente a donc refusé la demande d'attestation de la citoyenneté de M. Augier.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]1. L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 comme elle l'a fait?

2. Si l'agente n'a pas commis ladite erreur de droit, le refus de reconnaître au demandeur la qualité de citoyen canadien contrevenait-il à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte)?

ANALYSE

Aucune erreur dans l'interprétation du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970

[9]La première loi adoptée au Canada en matière de citoyenneté a été la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15, laquelle est entrée en vigueur le 1er janvier 1947. Cette première loi a été remplacée par la Loi de 1970. La Loi a subi d'importantes modifications qui sont entrées en vigueur le 15 février 1977: Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108. La Loi actuelle est très semblable à la loi de 1977. En vertu de la Loi actuelle, une personne née à l'extérieur du Canada après le 14 février 1977 a qualité de citoyen canadien si son père ou sa mère était citoyen canadien au moment de sa naissance. L'état matrimonial des parents n'est pas mentionné: voir l'alinéa 3(1)b) de la Loi actuelle. Toutefois, pour ce qui concerne les personnes nées à l'extérieur du Canada avant le 15 février 1977, le processus d'acquisition de la citoyenneté canadienne est assujetti à l'alinéa 3(1)e), ainsi qu'à l'alinéa 5(1)b) de l'ancienne Loi, savoir la Loi de 1970 et l'alinéa 5(2)b). Les dispositions suivantes de la Loi actuelle s'appliquent donc au présent contrôle judiciaire:

2. (1) [. . .]

«ancienne loi» La Loi sur la citoyenneté canadienne, chapitre C-19 des Statuts révisés du Canada de 1970.

[. . .]

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne:

[. . .]

e) habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l'alinéa 5(1)b) de l'ancienne loi.

[. . .]

5. [. . .]

(2) Le ministre attribue en outre la citoyenneté:

[. . .]

b) sur demande qui lui est présentée par la personne qui y est autorisée par règlement et avant le 15 février 1979 ou dans le délai ultérieur qu'il autorise, à la personne qui, née à l'étranger avant le 15 février 1977 d'une mère ayant à ce moment-là qualité de citoyen, n'était pas admissible à la citoyenneté aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de l'ancienne loi. [Non souligné dans l'original.]

[10]Le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 s'applique également en l'espèce. Les parties reconnaissent que le demandeur respecte le deuxième volet de la disposition, c'est-à-dire le sous-alinéa 5(1)b)(ii) qui est ainsi libellé:

5. (1) Une personne née après le 31 décembre 1946 est un citoyen canadien de naissance,

[. . .]

b) si elle est née hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien, et si

(i) son père ou, dans le cas d'un enfant né hors du mariage, sa mère, au moment de la naissance de cette personne, était un citoyen canadien, et si

(ii) le fait de sa naissance est inscrit, en conformité des règlements, au cours des deux années qui suivent cet événement ou au cours de la période prolongée que le Ministre peut autoriser en des cas spéciaux. [Non souligné dans l'original.]

[11]Le demandeur fait valoir qu'il est préférable d'interpréter le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 conformément à la Charte plutôt que de conclure que la disposition viole la Charte et qu'elle n'a pas force exécutoire. Le demandeur soutient que le législateur ne semble pas avoir tenu compte des enfants nés hors du mariage d'un père canadien et d'une mère étrangère lors des modifications de 1977 puisqu'aucune disposition de l'actuelle Loi ne permet à ces enfants d'être reconnus citoyens canadiens.

[12]Le demandeur prie très instamment la Cour d'interpréter le sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 de manière à ce qu'il s'applique aux enfants nés hors du mariage, de père ou de mère ayant qualité de citoyen canadien. Selon cette interprétation, le demandeur ferait, selon lui, partie de la deuxième catégorie de personnes qui demandent la citoyenneté canadienne en vertu de la Loi actuelle et qui a été mentionnée par la Cour suprême du Canada dans Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358; à savoir, un enfant né à l'étranger avant le 15 février 1977, d'un père canadien ou d'une mère canadienne qui n'était pas mariée (voir le paragraphe 37 de Benner, précité).

[13]Selon moi, l'agente a correctement interprété les dispositions législatives en vigueur en décidant que la citoyenneté canadienne ne peut être accordée à une personne née à l'extérieur du Canada avant le 15 février 1977 d'un père canadien et d'une mère étrangère qui n'étaient pas mariés au moment de sa naissance. Il est impossible de donner aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 le sens que voudrait leur donner le demandeur. Selon la disposition, une personne est un citoyen canadien de naissance si elle est née à l'extérieur du Canada et que «son père, ou, dans le cas d'un enfant né hors du mariage, sa mère, au moment de la naissance de cette personne, était un citoyen canadien» [soulignement ajouté]. Les termes «ou, dans le cas de» indiquent que si la situation ci-après décrite existe, c'est-à-dire si un enfant est né hors du mariage, la condition suivante, plutôt que la condition préalable doit être respectée. À mon avis, il s'agit de la seule interprétation possible des termes de la disposition.

[14]L'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle a été ajouté au régime législatif lors des modifications de 1977 pour pallier l'injustice faite à l'enfant qui ne pouvait tenir la citoyenneté de sa mère canadienne mariée à un père étranger. Les modifications de 1977 ont également aboli l'exigence relative aux enfants nés hors du mariage à l'étranger après le 14 février 1977; toutefois, elles ne prévoyaient aucune mesure de redressement applicable aux personnes qui, comme le demandeur, sont nées à l'étranger, hors du mariage, d'un père canadien et d'une mère étrangère, avant le 15 février 1977.

Analyse en vertu de la Charte

[15]À l'appui de sa demande, le demandeur invoque l'arrêt Benner, précité, de la Cour suprême du Canada. Dans cette décision, la Cour a dit que le régime de la Loi en vigueur qui s'appliquait différemment selon qu'un enfant voulait tenir la citoyenneté canadienne de sa mère ou de son père canadien était discriminatoire et inconstitutionnel. Le demandeur prétend que, à l'instar de M. Benner, il n'a pas bénéficié de la protection égale de la loi puisque si sa mère plutôt que son père avait eu qualité de citoyen canadien au moment de sa naissance, il aurait pu invoquer la citoyenneté de sa mère. Le demandeur soutient que, dans sa situation, il fait l'objet d'une distinction semblable fondée sur le sexe de son parent canadien et de l'état matrimonial de ses parents au moment de sa naissance.

[16]Selon l'arrêt Benner, la violation alléguée de la Charte en l'espèce ne soulève pas l'application rétroactive de la Charte ni l'absence de qualité pour agir du demandeur. Sur ces deux points, la situation en cause est semblable à celle dans l'arrêt Benner. Dans Benner, précité, la Cour suprême a dit que les modifications apportées en 1977 aux dispositions législatives en matière de citoyenneté permettaient à un enfant de tenir sa citoyenneté canadienne de son père ou de sa mère, que ses parents soient mariés ou non. Les modifications apportées à la loi ne s'appliquent toutefois qu'aux enfants nés après le 14 février 1977.

[17]Auparavant, un enfant né hors du mariage d'une mère canadienne ne pouvait pas se réclamer de sa filiation maternelle, sauf si sa mère n'était pas mariée au moment de sa naissance. L'alinéa 5(2)b) a donc été ajouté en 1977 et il fait toujours partie de la Loi actuelle. Selon cette disposition, un enfant né d'une mère canadienne mariée qui, autrefois, ne pouvait réclamer la citoyenneté en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970, pouvait demander la citoyenneté qui lui était accordée si la personne prêtait un serment d'allégeance et acceptait de se soumettre à une enquête de sécurité et à une vérification de ses antécédents judiciaires. Toutefois, l'enfant né hors du mariage d'un père citoyen canadien n'était pas obligé de prêter un serment ni de se soumettre à une vérification des antécédents et sa citoyenneté était reconnue dès l'inscription de sa naissance. La Cour suprême du Canada a décidé que cette distinction était contraire à l'article 15 de la Charte et n'était pas sauvegardée en vertu de l'article premier.

[18]Cependant, la situation du demandeur n'est pas tout à fait analogue à celle dont la Cour était saisie dans Benner, précité, puisque, en l'espèce, la discrimination alléguée découle possiblement d'une application ou vision stéréotypée d'enfants nés hors du mariage et que, à cause de ce statut, les enfants nés hors du mariage d'une mère étrangère sont empêchés, en vertu de la loi, de tenir la citoyenneté canadienne de leur père canadien. Si le père canadien et la mère étrangère étaient mariés au moment de la naissance de l'enfant, avant le 15 février 1977, cet enfant pouvait se réclamer de sa filiation paternelle. L'état matrimonial des parents d'un enfant, et non seulement le sexe du parent canadien, est donc un facteur de distinction important en l'espèce.

[19]Dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour suprême a décrit l'approche qui s'applique lors de l'analyse de la question de savoir si une disposition législative viole le paragraphe 15(1) de la Charte:

1) La disposition en cause a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

2) Le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

3) La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

[20]Dans l'arrêt Law, précité, le juge Iacobucci a énuméré quatre facteurs contextuels qui faciliteront la réponse à la dernière question: 1) la préexistence d'un désavantage, de stéréotypes ou de préjugés; 2) la correspondance entre le ou les motifs de la distinction et les caractéristiques ou la situation propres au demandeur; 3) l'objet ou l'effet d'amélioration de la loi contestée eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société; 4) la nature et l'étendue du droit touché.

[21]Selon moi, la disposition en cause en l'espèce établit une distinction formelle entre M. Augier et d'autres personnes en raison de deux caractéristiques personnelles, à savoir la relation entre son père et sa mère au moment de sa naissance et le sexe du parent canadien lors de sa naissance. La Cour suprême a dit que l'état matrimonial était un motif analogue de discrimination: voir Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418 et Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh, [2002] 4 R.C.S. 325. Tel qu'il a été établi dans l'arrêt Benner, précité, le droit du demandeur de réclamer la citoyenneté canadienne dépend du sexe de son parent canadien, une caractéristique personnelle qui est intimement liée au demandeur et sur laquelle il n'a aucun contrôle. Par voie de conséquence, les deux premiers volets du critère de l'arrêt Law, précité, sont respectés.

[22]L'alinéa 5(2)b) établit-il une différence de traitement à l'égard du demandeur, en lui imposant un fardeau ou en le privant d'un avantage, d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que le demandeur est moins capable ou moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant que membre de la société canadienne qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération? En répondant à la question, je suis inspiré par les termes suivants du juge Iacobucci dans l'arrêt Law, précité, aux paragraphes 60 et 61:

Bien que j'insiste sur la nécessité de se placer dans la perspective du demandeur, et uniquement dans cette perspective, pour déterminer si la mesure législative sape sa dignité, j'estime que le tribunal doit être convaincu que l'allégation du demandeur, quant à l'effet dégradant que la différence de traitement imposée par la mesure a sur sa dignité, est étayée par une appréciation objective de la situation. C'est l'ensemble des traits, de l'histoire et de la situation de cette personne ou de ce groupe qu'il faut prendre en considération lorsqu'il s'agit d'évaluer si une personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur estimerait que la mesure législative imposant une différence de traitement a pour effet de porter atteinte à sa dignité.

La perspective appropriée est subjective-objective. L'analyse relative à l'égalité selon la Charte tient compte de la perspective d'une personne qui se trouve dans une situation semblable à celle du demandeur, qui est informée et qui prend en considération de façon rationnelle les divers facteurs contextuels servant à déterminer si la loi contestée porte atteinte à la dignité humaine, au sens où ce concept est interprété aux fins du par. 15(1).

[23]Selon moi, une personne raisonnable, se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur estimerait que l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle reflète une opinion qui porte atteinte à la dignité du demandeur tout simplement parce qu'il est né «hors du mariage». Le demandeur ne peut prétendre tenir la citoyenneté canadienne de son père canadien, un avantage dont bénéficient et profitent les personnes dans une situation semblable qui sont nées à l'extérieur du Canada avant le 15 février 1977 et dont les parents étaient mariés. En outre, l'avantage est refusé à cause du sexe de son père, puisqu'un père canadien non marié ne peut conférer sa citoyenneté à son enfant alors qu'une mère canadienne non mariée peut le faire.

[24]L'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle est en cause en l'espèce. Aux termes de la disposition actuelle, l'enfant d'une mère canadienne qui n'aurait pas eu le droit d'avoir qualité de citoyen en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 peut réclamer la citoyenneté; toutefois, l'enfant d'un père canadien exclu en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1970 ne bénéficie pas du même avantage. Par conséquent, l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle, tel qu'il est rédigé, viole le droit du demandeur au traitement égal de la loi, conformément à l'article 15 de la Charte.

[25]Le défendeur a reconnu que le régime législatif en cause, à savoir l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle, viole le droit au traitement égal de la loi visé au paragraphe 15(1) de la Charte et n'est pas justifié en vertu de l'article premier, il n'est donc pas nécessaire d'effectuer une analyse en vertu de l'article premier. Pour les motifs énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Benner, précité, cette violation n'est pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.    

Réparation

[26]Le défendeur a reconnu que l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle est inconstitutionnel en ce qu'il viole le paragraphe 15(1) de la Charte et, conformément à l'arrêt Benner, précité, qu'il n'est pas sauvegardé par l'article premier de la Charte. Le défendeur convient également que la Cour devrait rendre une ordonnance déclarant que l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle devrait être interprété de manière à inclure les termes «ou un père». Si la Cour fait cette déclaration, les personnes qui se trouvent dans la situation du demandeur, savoir les personnes nées à l'extérieur du Canada avant le 15 février 1977, hors du mariage, d'un père canadien, pourraient demander la citoyenneté en vertu de l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle plutôt que de la voir refusée en vertu de l'alinéa 3(1)e) de la même Loi.

[27]Par conséquent, la Cour rendra une ordonnance déclarant que l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle est inconstitutionnel, conformément à l'article 52 de la Partie VII de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]. Toutefois, lorsque l'alinéa 5(2)b) est lu avec les termes «ou un père» et, dans la version anglaise, avec les termes «or a father», l'alinéa est valable et n'est plus contraire à la Constitution. Par conséquent, l'alinéa 5(2)b) de la Loi actuelle doit se lire comme suit:

5. [. . .]

(2) Le ministre attribue en outre la citoyenneté:

[. . .]

b) sur demande qui lui est présentée par la personne qui y est autorisée par règlement et avant le 15 février 1979 ou dans le délai ultérieur qu'il autorise, à la personne qui, née à l'étranger avant le 15 février 1977 d'une mère ou d'un père ayant à ce moment-là qualité de citoyen, n'était pas admissible à la citoyenneté aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de l'ancienne loi. [Non souligné dans l'original.]

[28]Le demandeur ne sollicite pas les dépens, aucuns dépens ne sont adjugés.

ORDONNANCE

La Cour ordonne que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l'agente de la citoyenneté, datée du 16 décembre 2002, soit annulée et que la demande d'attestation de la citoyenneté canadienne du demandeur soit renvoyée à un nouvel agent pour nouvel examen avec les directives suivantes:

1. Le demandeur doit avoir l'occasion de présenter une preuve supplémentaire concernant son père putatif et la citoyenneté de ce dernier au moment de la naissance du demandeur, si l'agent chargé du dossier décide que cette preuve supplémentaire est nécessaire;

2. La Cour déclare que l'alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, est inconstitutionnel dans sa formulation actuelle; toutefois, lorsqu'on y ajoute les termes suivants, la disposition est conforme à la Constitution. Dorénavant, l'alinéa 5(2)b) se lira comme suit:

5. [. . .]

(2) Le ministre attribue en outre la citoyenneté:

[. . .]

b) sur demande qui lui est présentée par la personne qui y est autorisée par règlement et avant le 15 février 1979 ou dans le délai ultérieur qu'il autorise, à la personne qui, née à l'étranger avant le 15 février 1977 d'une mère ou d'un père ayant à ce moment-là qualité de citoyen, n'était pas admissible à la citoyenneté aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de l'ancienne loi. [Non souligné dans l'original.]

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