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     A-560-02

    2003 CAF 420

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (appelant)

c.

David Hilewitz (intimé)

Répertorié: Hilewitzc. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Linden, Evans et Malone, J.C.A.--Toronto, 29 septembre; Ottawa, 12 novembre 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Résidents permanents -- Appel d'une décision de la C.F. 1re inst. concernant une demande de contrôle judiciaire portant sur le rejet d'une demande de résidence permanente pour le motif que le fils à la charge du demandeur souffrait d'un retard de développement et risquait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux -- Le juge des demandes a statué que le médecin agréé doit tenir compte de la situation financière du demandeur et de son intention d'assumer les frais éventuels; que l'agent des visas a commis une erreur parce qu'il n'a pas tenu compte d'un projet de travail protégé -- Appel du ministre accueilli -- Services d'éducation spécialisés -- Services financés par le gouvernement en Ontario, les parents ne sont pas tenus de contribuer au coût de ces services -- Le juge était fondé d'écarter Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) pour ce qui est du fardeau pour les services de santé -- Le "fardeau excessif" s'apprécie en fonction du coût et de l'existence des services -- Le fait que le législateur ait confié cette question à des médecins agréés indique que ces derniers ne sont pas tenus de prendre en considération des facteurs autres que médicaux -- Jurisprudence de la C.F. 1re inst. selon laquelle la capacité et l'intention de payer du demandeur constituent des éléments pertinents renversée -- La disposition doit s'interpréter en conciliant les objectifs des politiques en matière d'immigration -- La position du ministre est basée sur la prudence -- La Loi précise les facteurs que le médecin doit prendre en considération -- La Loi et les règlements sont muets au sujet de la situation financière de la famille et du soutien familial -- Compte tenu des nécessités de l'administration du régime législatif, il n'est pas souhaitable d'imposer aux fonctionnaires des tâches complexes non expressément prévues par la loi -- Les médecins agréés seraient alors amenés à faire des enquêtes sur des sujets non reliés à leur domaine d'expertise, dont les avantages pourraient être très faibles -- Malgré une conclusion de non-admissibilité, l'agent des visas peut (comme cela a été fait en l'espèce) recommander la délivrance d'un permis ministériel valable 3 ans et renouvelable par le Ministre -- Permis équivalent à une admission sous probation -- Il appartient au législateur, et non aux tribunaux, de décider jusqu'où la politique en matière d'immigration doit aller sur le plan de la prudence.

Le ministre a interjeté appel de la décision de la section de première instance qui faisait droit à une demande de contrôle judiciaire visant le rejet par un agent des visas d'une demande de résidence permanente pour le motif qui le fils du demandeur souffrait d'un retard de développement et risquait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada. Le juge de première instance a jugé que la situation financière du demandeur était un élément pertinent parce qu'il s'agissait ici de services sociaux et non de santé. Le juge a également déclaré que l'agent des visas avait commis une erreur parce qu'il n'avait pas pris en considération le projet de fournir au fils un emploi protégé.

L'appel soulevait ainsi des questions importantes au sujet de la non-admissibilité pour des raisons médicales aux termes de la Loi sur l'immigration de 1985. Il s'agissait de savoir si les médecins agréés sont tenus de prendre en considération la capacité de la famille d'apporter un soutien financier lorsqu'ils se prononcent sur l'admission d'une personne souffrant d'une invalidité médicale susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Le ministre soutenait que la situation financière des parents et leur volonté d'assumer eux-mêmes le coût des services sociaux ne sont pas des éléments pertinents en matière de non-admissibilité. L'intimé soutenait de son côté que le médecin est tenu de prendre en considération la situation de l'enfant dans toute sa particularité, ainsi que la nature du fardeau que cet enfant risque d'imposer à des services financés par l'État. Les éléments à prendre en considération comprennent donc la situation financière des parents, l'intention des parents de recourir uniquement à des services privés et l'existence de frais d'utilisation pour certains services sociaux. Ces facteurs peuvent avoir pour effet de réduire le fardeau imposé aux services sociaux publics au point qu'il serait moindre que celui qu'entraînerait l'admission d'un autre enfant souffrant d'une incapacité semblable. L'intimé est un citoyen de l'Afrique du Sud. C'est un homme d'affaires prospère, dont les biens sont évalués à 5 millions de dollars et la vie assurée pour 3 millions de dollars. Il répond aux conditions d'admission à titre d'investisseur. Toutefois, un de ses fils souffre d'un retard de développement en raison d'une anomalie cérébrale congénitale. Il a 17 ans mais fonctionne au niveau d'un enfant de 8 ans. Il aura donc besoin de formation professionnelle et d'un apprentissage de l'autonomie personnelle. Ses parents auront en outre besoin de services de relève. Inutile de préciser que ces besoins dépassent de beaucoup ceux d'un résident canadien moyen de son âge. Il a été déclaré non admissible aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii), la demande de visa présentée au nom de la famille a été rejetée et la lettre exigée par l'équité envoyée. L'intimé a expliqué dans sa réponse qu'il enverrait son fils dans une école privée appropriée et qu'il avait l'intention d'acheter une petite entreprise, comme une franchise de jeux vidéos, dans laquelle son fils pourrait travailler. Il a mentionné qu'il avait mis sur pied et financé, avec d'autres parents, une école privée à Johannesburg pour les enfants souffrant d'un retard de développement. Aucun de ces arguments n'a fait changer d'idée les médecins qui ont révisé le dossier. Le juge des demandes a toutefois jugé que les médecins n'avaient pas tenu compte de la capacité et de l'intention du demandeur d'assumer ces coûts et que, par conséquent, ils n'avaient pas tenu compte de la spécificité de la situation du fils; en outre, l'agent des visas avait l'obligation d'examiner les avis médicaux pour s'assurer qu'ils n'étaient pas déraisonnables. L'agent des visas n'a pu s'acquitter de cette obligation parce qu'il n'a pas vu la réponse à la lettre exigée par l'équité. Le juge a certifié, à titre de question de portée générale, la question de savoir si la situation financière du demandeur est un élément pertinent pour déterminer la question du fardeau excessif pour les services sociaux et si le décideur chargé d'examiner la demande de résidence permanente est tenu de vérifier le caractère raisonnable de l'avis des médecins. Il a été convenu qu'en vertu de l'article 190 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le présent appel serait jugé aux termes de l'ancienne Loi sur l'immigration.

Arrêt: l'appel est accueilli.

Le service social dont il s'agissait en l'espèce était l'éducation spécialisée. En Ontario, ce service est offert aux jeunes souffrant d'un retard de développement par le système scolaire public et la province verse 20 000$ par étudiant et par année aux conseils scolaires pour ce service. Les parents des enfants à besoins spéciaux n'apportent aucune contribution financière. Le juge a déduit à partir de ces faits que, lorsqu'il a préparé son avis relatif au fardeau excessif, le médecin agréé n'a pas tenu compte de la situation financière de M. Hilewitz, ni de son intention de ne pas solliciter les services sociaux publics.

Le juge des demandes a eu raison d'écarter l'application de l'arrêt Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 301(C.A.F.), qui portait sur le fardeau excessif pour les services de santé et où il n'était pas dans l'intention de la Cour d'assimiler les services de santé aux services sociaux. La Cour a toutefois fait remarquer dans l'arrêt Deol que les politiques qui sous-tendent le sous-alinéa 19(1)a)(ii) avaient pour but d'éviter que les fonds publics ne fassent l'objet de demandes trop coûteuses et, lorsqu'il s'agit de services très demandés, d'éviter que l'admission d'une personne ait pour effet de refuser ou de retarder indûment l'accès des résidents canadiens à ces services. Cela veut dire que le «fardeau excessif» s'apprécie non seulement en fonction du coût des services mais aussi de leur rareté. C'est ce que précise aujourd'hui le paragraphe 1(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui mentionne les coûts et les listes d'attente.

À première vue, le sous-alinéa 19(1)a)(ii) semble exiger que soit procédé à un examen individuel de la question de savoir si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, l'admission de la personne en question risquerait d'entraîner un fardeau excessif. D'un autre côté, le fait que le législateur ait confié la responsabilité de former un avis sur le fardeau excessif à des médecins indique que l'intention n'était pas de leur demander de prendre en considération des éléments non médicaux et ne faisant pas partie de leur domaine d'expertise. Il existe toutefois de nombreuses décisions de la section de première instance qui indiquent que la capacité et l'intention de payer sont des éléments pertinents. Par exemple, dans l'arrêt Litt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le juge Rothstein a déclaré qu'«il ne [doutait] pas que le processus décisionnel devrait inclure la question du soutien familial». Il existe toutefois quelques décisions à l'effet contraire. Dansl'affaire Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) de 1996 et l'affaire Cabaldon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) de 1998, les juges de première instance ont déclaré que les médecins n'étaient pas obligés de tenir compte des manifestations de soutien de la part de la famille, ni d'un engagement de mettre de l'argent de côté pour couvrir le coût des soins donnés à un enfant handicapé.

Malgré l'existence d'une jurisprudence prépondérante de la section de première instance de la Cour fédérale en sens contraire, la Cour d'appel a conclu que le médecin agréé n'est pas obligé de tenir compte de la capacité et de la volonté du demandeur d'assumer le coût des services sociaux dont aurait besoin un membre à charge de sa famille admis au Canada. Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) doit être interprété de façon à concilier les différents objectifs de l'immigration. S'il y a lieu d'encourager l'admission d'investisseurs en raison de la contribution qu'ils apportent généralement à notre économie, il faut par contre exclure les personnes qui auraient autrement le droit d'être admises en qualité de résident permanent dans les cas où leur admission risque d'imposer des coûts trop importants. La position du ministre tend à éviter ce danger parce qu'elle exclut le soutien susceptible d'être apporté par la famille pour l'évaluation des besoins de services sociaux. La question de savoir si la disposition oblige de façon implicite les médecins agréés à tenir compte du soutien familial lorsqu'ils préparent un avis sur la question du fardeau excessif est une question d'interprétation législative qui doit être tranchée en fonction de l'importance du rôle que joue cette disposition dans la réalisation des objectifs du régime législatif. Aucune décision n'ayant été citée au sujet de la norme de contrôle applicable à la décision d'un médecin agréé de ne pas prendre en considération le soutien familial, la Cour a appliqué la norme de la décision bien fondée à la position adoptée par les médecins agréés et par Immigration Canada, selon laquelle il n'y a pas lieu de tenir compte du soutien des parents dans la préparation d'un avis sur la question du fardeau excessif. La norme de contrôle retenue n'a cependant joué aucun rôle dans la décision.

Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) énumère les éléments dont le médecin agréé doit tenir compte pour préparer un avis sur la question du fardeau excessif: la nature, la gravité ou la durée probable de la maladie. La Cour ne devrait pas ajouter à cette liste des éléments implicites. Il a été jugé significatif que le Règlement sur l'immigration de 1978 n'ai jamais mentionné les ressources financières ou le soutien familial comme éléments susceptibles de réduire la nécessité d'avoir recours à des services sociaux publics. Il a été jugé également utile de noter que le nouveau Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés ne contient aucune disposition prévoyant la prise en compte d'éléments non médicaux.

Si l'on veut faciliter l'administration du régime législatif ainsi créé, il ne faut pas imposer aux fonctionnaires des tâches complexes qui ne sont pas expressément prévues par la loi. Imposer aux médecins agréés l'obligation d'examiner les ressources familiales et la volonté d'assumer le coût des services sociaux serait leur imposer une tâche très lourde. Pour effectuer cette tâche correctement, il faudrait disposer d'un mécanisme plus complet que celui qui est prévu par la loi. Cela amènerait les médecins a faire des enquêtes très différentes de celles qu'ils effectuent actuellement. En outre, les avantages susceptibles d'être obtenus grâce à ces enquêtes plus approfondies pourraient être très faibles. Par exemple, une fois admise au Canada, la famille d'immigrants pourrait fort bien s'établir dans une province où les services sociaux financés par l'État sont offerts sans récupération des coûts ou dans laquelle les services nécessaires ne sont pas offerts par des organismes privés. Un revers de fortune imprévu pourrait empêcher la famille d'accorder le soutien financier qu'elle entendait fournir.

Il serait néanmoins possible de soutenir qu'interpréter le sous-alinéa 19(1)a)(ii) comme s'il demandait au médecin agréé de procéder à une enquête relativement circonscrite n'accorde pas suffisamment d'importance à l'objectif consistant à faciliter l'admission des personnes qui possèdent le capital et le talent requis et trop d'importance à la protection des ressources publiques consacrées aux services sociaux et de santé. Il faut toutefois interpréter ce sous-alinéa dans son contexte législatif. Après avoir conclu à la non-admissibilité de demandeur, l'agent des visas peut fort bien recommander, comme cela s'est fait en l'espèce, que soit délivré, aux termes du paragraphe 37(1) de la Loi sur l'immigration, un permis ministériel visant le demandeur et les personnes à sa charge. Ces permis peuvent être accordés pour trois ans et ils sont renouvelables à la discrétion du ministre. Après avoir résidé au Canada pendant cinq ans, le titulaire du permis peut se voir accorder le statut de résident permanent, malgré sa non-admissibilité: paragraphe 38(1). Dans la nouvelle loi, ces permis discrétionnaires sont appellés des «permis de séjour temporaire» et le titulaire d'un permis de séjour temporaire qui est non admissible pour des motifs de santé peut se voir délivrer un permis de résidence permanente après trois ans de résidence. En fait, le permis temporaire est une admission sous probation et permet au Ministère de réévaluer la situation après trois ans.

Il incombe au législateur, et non pas à la Cour, de décider jusqu'où la politique canadienne en matière d'immigration doit aller sur le plan de la prudence et de concilier les avantages qui découlent de la délivrance d'un visa à une personne susceptible d'apporter une contribution importante à l'économie, notamment par le biais de recettes fiscales, et le risque que cette admission entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux. Donner à cette disposition une interprétation ayant pour effet de réduire au maximum le risque d'un tel fardeau fait tout à fait partie des orientations acceptables, compte tenu, en particulier, de la possibilité d'attribuer un permis de séjour temporaire. Les tribunaux n'ont pas à viser la perfection, une tâche de toute façon illusoire.

lois et règlements

Loi canadienne sur la santé, L.R.C. (1985), ch. C-6.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)a)(ii), (2)d), 37(1), 38(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 27).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 24(1), 74d), 190.

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 9(1)a) (mod. par DORS/83-675, art. 3), 22 (mod. par DORS/78-316, art. 2).

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 1(1), 34, 65b)(i).

jurisprudence

décisions non suivies:

Poste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 5 Admin. L.R. (3d) 69; 140 F.T.R. 126; 42 Imm. L.R. (2d) 84 (C.F. 1re inst.); Litt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 93 F.T.R. 305; 26 Imm. L.R. (2d) 153 (C.F. 1re inst.); Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 220 F.T.R. 137; 26 Imm. L.R. (3d) 48 (C.F. 1re inst.); Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 4 Admin. L.R. (4th) 288 (C.F. 1re inst.).

décisions appliquées:

Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 98 F.T.R. 308; 29 Imm. L.R. (2d) 85 (C.F. 1re inst.); Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 198 F.T.R. 56; 10 Imm. L.R. (3d) 75 (C.F. 1re inst.).

distinction faite d'avec:

Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 301; (2002), 215 D.L.R. (4th) 675; 97 C.R.R. (2d) 1; 22 Imm. L.R. (3d) 153; 291 N.R. 218 (C.A.); S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 S.C.R. 539; (2003), 50 Admin. L.R. (3d) 1; 304 N.R. 76; 173 O.A.C. 38.

décisions examinées:

Thangarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 167; (1999), 176 D.L.R. (4th) 125; 1 Imm. L.R. (3d) 118; 242 N.R. 183 (C.A.); Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 141 F.T.R. 62; 42 Imm. L.R. (2d) 17 (C.F. 1re inst.); Deol c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 1; 145 N.R. 156 (C.A.F.).

décisions citées:

De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 422; [2003] A.C.F. no 1679 (C.A.) (QL); Pigg c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 421; [2003] A.C.F. no 1678 (C.A.) (QL); Fei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 C.F. 274; (1997), 131 F.T.R. 81; 39 Imm. L.R. (2d) 266 (1re inst.); Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 146 F.T.R. 116; 43 Imm. L.R. (2d) 8 (C.F. 1re inst.); Karmali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 230 F.T.R. 140; 30 Imm. L.R. (3d) 90 (C.F. 1re inst.); Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 86 (C.F. 1re inst.); Cabaldon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 296; 42 Imm. L.R. (2d) 12 (C.F. 1re inst.); Rabang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 176 F.T.R. 314; 8 Imm. L.R. (3d) 233 (C.F. 1re inst.); Badwal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 64 D.L.R. (4th) 561; 9 Imm. L.R. (2d) 85; 107 N.R. 92 (C.A.F.); Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 139; 29 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.).

APPEL de l'ordonnance du juge des demandes ([2003) 2 C.F. 3; (2002), 221 F.T.R. 213; 26 Imm. L.R. (3d) 23), faisant droit à une demande de contrôle judiciaire pour le motif que le médecin chargé de se prononcer sur l'existence d'un fardeau excessif doit prendre en compte la situation financière du demandeur et sa volonté de payer les services sociaux utilisés. Appel accueilli.

ont comparu:

Amina Riaz et Niveditha Logsetty pour l'appelant.

Cecil L. Rotenberg, c.r. et Inna Kogan pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.

Cecil L. Rotenberg, c.r., et Inna Kogan Toronto, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A.:

A. INTRODUCTION

[1]En mars 1999, David Hilewitz a présenté une demande de visa pour le Canada en vue d'y entrer en qualité de résident permanent dans la catégorie des investisseurs. L'agente des visas a rejeté la demande parce que le fils cadet de M. Hilewitz, Gavin, qui est atteint d'une légère encéphalopathie congénitale et souffre d'un retard de développement, faisait partie d'une catégorie non admissible pour des raisons médicales. M. Hilewitz a présenté une demande de contrôle judiciaire et un juge de la Section de première instance a annulé le refus de l'agente des visas de délivrer un visa: Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 3.

[2]Le ministre interjette appel de la décision du juge des demandes. L'affaire soulève des questions importantes au sujet de la non-admissibilité pour des raisons médicales aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Plus précisément, il s'agit de savoir si les médecins agréés sont tenus de prendre en considération la capacité de la famille d'apporter un soutien financier à la personne à charge concernée lorsqu'ils se prononcent sur l'admission d'une personne souffrant d'une invalidité médicale, «dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles», «[qu'elle] entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux».

[3]L'avocat du ministre soutient que la situation financière des parents et leur volonté d'assumer eux-mêmes le coût des services sociaux dont leur enfant pourrait avoir besoin ne sont pas des éléments pertinents en matière de non-admissibilité. Le médecin agréé doit formuler un avis sur la question du fardeau excessif en se basant sur le diagnostic concernant la nature, la gravité et la durée probable du problème médical de l'enfant, sur le pronostic, et sur le coût ou la rareté des services sociaux dont l'enfant pourrait avoir besoin, en raison de son état de santé.

[4]L'avocat de M. Hilewitz soutient de son côté que le médecin est tenu de prendre en considération, dans son ensemble, la situation de l'enfant, dans toute sa particularité et son unicité, ainsi que la nature du fardeau que cet enfant risque d'imposer à des services financés par l'État. Par conséquent, lorsqu'il examine la question de savoir si l'admission d'un enfant entraînera un fardeau excessif, le médecin agréé doit tenir compte de la situation financière des parents, de l'obligation pour les utilisateurs d'assumer certains frais relatifs aux services sociaux ainsi que de l'intention des parents de recourir uniquement à des services privés. Ce sont là des facteurs qui peuvent avoir pour effet de réduire, dans une situation donnée, le fardeau imposé aux services sociaux publics au point qu'il serait moindre que celui qu'entraînerait l'admission d'un autre enfant souffrant d'une incapacité semblable.

[5]Notre formation a entendu cet appel avec deux autres appels qui portaient sur la même question, mais sur des faits différents. Les décisions relatives à ces trois affaires ont été communiquées en même temps, mais des motifs distincts ont été prononcés dans chacune d'entre elles: De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 422; [2003] A.C.F. no 1679 (C.A.) (QL); et Pigg c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 421; [2003] A.C.F. no 1678 (C.A.) (QL).

B. LES FAITS

[6]M. Hilewitz est un homme d'affaires très prospère qui est citoyen de l'Afrique du Sud. Ses biens sont évalués à près de 5 millions de dollars et il est assuré sur la vie pour un montant de 3 millions de dollars. Après avoir eu un entretien avec M. Hilewitz, l'agente des visas a estimé qu'il répondait aux conditions d'admission au Canada en qualité d'investisseur. Elle l'a toutefois informé qu'il se pourrait que Gavin soit déclaré non admissible pour des raisons médicales et que, dans ce cas, la demande de visa serait rejetée.

[7]Gavin figurait dans la demande de visa à titre de personne à charge accompagnant le demandeur, tout comme l'épouse et l'autre fils de M. Hilewitz. Lorsqu'une personne à charge est déclarée non admissible pour des raisons d'ordre médical, le demandeur principal ne peut obtenir un visa, ni, bien sûr, les autres personnes visées par la demande à titre de personnes à charge qui accompagnent le demandeur principal: alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration et alinéa 9(1)a) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 [mod. par DORS/83-675, art. 3].

[8]Dans l'avis médical daté du 9 décembre 1999, le médecin agréé a diagnostiqué que Gavin souffrait d'un retard de développement, d'une capacité de compréhension réduite, parce qu'il était atteint d'une légère encéphalopathie congénitale. Le médecin a conclu que, même si Gavin est âgé de 17 ans, il fonctionne au niveau d'un enfant de huit ans et qu'il aurait besoin d'utiliser divers services sociaux: services d'éducation spécialisés, formation professionnelle et formation permanente pour l'aider à exercer ses activités quotidiennes et à atteindre son plein potentiel. Ses parents auraient en outre besoin de services de relève. Le médecin agréé a conclu que ces besoins dépassaient de beaucoup ceux d'un résident canadien moyen de son âge. Par conséquent, étant donné que l'admission de Gavin au Canada risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux, il a été déclaré non admissible aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) et la demande de visa présentée au nom de la famille Hilewitz a été rejetée.

[9]Lorsque l'agente des visas a reçu l'avis du médecin agréé, elle a envoyé à M. Hilewitz une lettre datée du 22 mars 2000, l'informant de l'avis médical, qui avait été confirmé par un autre médecin agréé. Dans cette lettre, l'agente des visas indiquait que cet avis pourrait l'amener à refuser la demande de résidence permanente, étant donné que l'admission de Gavin risquait de causer un fardeau excessif pour les services sociaux. Elle invitait toutefois M. Hilewitz à répondre «à cette description de son état de santé [celui de Gavin] en lui communiquant de nouveaux renseignements médicaux», avant que soit prise une décision définitive. Les agents des visas ont pour pratique d'envoyer ce qu'on appelle couramment une «lettre exigée par l'équité».

[10]Dans sa réponse à la lettre exigée par l'équité, M. Hilewitz n'a pas contesté l'évaluation qu'avait faite le médecin agréé de l'incapacité mentale de Gavin, mais il a toutefois noté que, sur certains points, Gavin fonctionnait à un niveau bien supérieur à celui d'un enfant de huit ans et qu'il exerçait de nombreuses activités sociales et de loisir correspondant à son âge. M. Hilewitz a également insisté sur le fait qu'à part son retard de développement, Gavin était un adolescent normal et en bonne santé et qu'il avait un caractère très agréable.

[11]M. Hilewitz n'a pas non plus nié que Gavin aurait besoin de divers services sociaux dont d'autres adolescents n'auraient pas besoin. Il a toutefois mentionné que cela ne causerait pas un fardeau pour les services sociaux financés par l'État parce qu'il avait la capacité financière et l'intention d'envoyer Gavin dans une école privée et qu'en fait, il avait déjà trouvé à Toronto une école qui conviendrait à son fils. Pour ce qui est de la formation professionnelle dont aurait besoin Gavin, M. Hilewitz a déclaré qu'il avait l'intention d'acheter une entreprise, comme une franchise de jeux vidéo ou autres, pour laquelle travaillerait Gavin, qui manifestait beaucoup d'intérêt et d'aptitude pour utiliser un ordinateur et voyager sur Internet.

[12]M. Hilewitz a appuyé sa déclaration d'intention, non seulement en faisant état de sa situation financière, mais aussi en déclarant qu'il n'avait jamais eu recours aux services sociaux publics pour Gavin en Afrique du Sud, même si de tels services y étaient offerts. En fait, il avait mis sur pied et financé, avec d'autres parents, une école privée à Johannesburg qui s'occupait des besoins éducatifs spéciaux d'enfants souffrant d'un retard de développement ou d'incapacités semblables. M. Hilewitz joignait également à sa lettre de brefs rapports préparés par un psychologue clinique et par un médecin qui connaissaient Gavin depuis quelques années ainsi que des documents détaillés concernant les études de son fils en Afrique du Sud et ses progrès dans ce domaine.

[13]La réponse de M. Hilewitz n'a toutefois pas convaincu le second médecin agréé de changer d'avis. Le dossier a été communiqué à un troisième médecin agréé qui a estimé lui aussi que Gavin était non admissible pour des raisons de santé pour le motif que son état de santé entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. L'agente des visas a donc informé M. Hilewitz, dans une lettre datée du 15 septembre 2000, que sa demande de visa de résidence permanente était rejetée pour ces motifs. C'est sur cette décision que porte la présente instance.

[14]Dans la lettre faisant état de sa décision, l'agente des visas déclarait également qu'elle s'était penchée sur la question de savoir s'il existait des circonstances d'ordre humanitaire qui permettraient de soustraire la demande aux conditions exigées par la Loi. Elle a conclu que ce n'était pas le cas, puisque M. Hilewitz n'avait pas de famille au Canada, qu'il pouvait continuer à vivre en Afrique du Sud, comme il l'avait fait jusque-là. Elle a cependant conclu que M. Hilewitz était digne de foi, et qu'il apporterait probablement une contribution économique importante au Canada et elle a recommandé qu'un permis ministériel lui soit délivré, de façon à ce qu'il puisse entrer au Canada et y demeurer sur une base temporaire, sans qu'il puisse toutefois utiliser les services sociaux réservés habituellement aux résidents permanents.

[15]Le second médecin agréé et l'agente des visas ont produit des affidavits dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire et ils ont été contre-interrogés à leur sujet. J'examine certaines de leurs déclarations dans mon analyse des questions en litige.

C. LA DÉCISION DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

[16]En se fondant sur les faits décrits ci-dessus, le juge des demandes en est arrivé aux conclusions suivantes. Premièrement, si la situation financière des parents et leur intention d'assumer le coût des frais de santé n'est pas un élément qui concerne la question de savoir si l'admission d'une personne au Canada risque d'entraîner un fardeau excessif pour ces services de santé, il n'en va pas de même pour les services sociaux, qui sont financés et offerts selon des modalités différentes. L'existence de normes fédérales contenues dans la Loi canadienne sur la santé, L.R.C. (1985), ch. C-6, a pour effet de réduire les écarts qui peuvent exister entre les provinces pour ce qui est du financement et de la prestation des services de santé. Il n'existe pas de normes fédérales comparables pour les services sociaux, de sorte que, selon la province, certains services sociaux publics sont gratuits, d'autres sont offerts sur paiement par l'utilisateur de frais établis en fonction de sa situation financière. Il est également parfois possible de se procurer ces services auprès de fournisseurs privés.

[17]Par conséquent, les médecins agréés n'ont pas respecté leur obligation d'examiner le caractère particulier de la situation de Gavin avant de conclure que son admission risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux, parce qu'ils n'ont pas pris en considération la capacité et l'intention de M. Hilewitz d'assumer le coût des services sociaux dont Gavin pourrait avoir besoin.

[18]Deuxièmement, si les agents des visas ne sont pas tenus de se former une opinion indépendante sur la question de la non-admissibilité d'une personne pour des raisons de santé, ils sont néanmoins tenus d'examiner les avis médicaux à la lumière des documents qui leur ont été présentés pour veiller à ce que ces avis tiennent compte des éléments pertinents. Le juge des demandes a conclu qu'en l'espèce, l'agente des visas n'avait pas respecté cette obligation, parce qu'elle n'avait pas examiné la réponse qu'avait fournie M. Hilewitz à la lettre exigée par l'équité et qu'en particulier, elle n'était pas au courant de son projet de fournir un emploi à Gavin, sans faire appel à des fonds publics.

[19]Le juge des demandes s'est fondé sur ces conclusions pour annuler le refus de visa et a renvoyé la demande de visa de M. Hilewitz au ministre pour qu'elle soit examinée conformément au droit par un autre agent des visas. Il a attribué au demandeur des dépens calculés selon le barème habituel. Le juge des demandes a certifié les questions graves de portée générale suivantes, conformément à l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27:

La situation financière du demandeur constitue-t-elle un élément pertinent lorsqu'il s'agit de décider si son admission au Canada risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux et est-ce que la décision des médecins agréés est concluante sur ce point ou est-ce que le décideur chargé de se prononcer sur la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur est tenu d'examiner le caractère raisonnable de la décision des médecins agréés au sujet du «fardeau excessif», compte tenu de tous les éléments pertinents fournis par le demandeur au défendeur?

D. LE CADRE LÉGISLATIF

[20]Les parties reconnaissent qu'en vertu de l'article 190 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la validité de la décision de l'agente des visas doit s'apprécier aux termes de la Loi sur l'immigration, même si cette loi a été abrogée depuis et remplacée par une autre loi. Voici les dispositions de la Loi sur l'immigration qui touchent directement le présent appel:

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

    a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut:

    [. . .]

        (ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé; [C'est moi qui souligne.]

E. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Aspects préliminaires

[21]Il serait utile de préciser dès le départ la nature des services sociaux qui subiraient probablement, en cas d'admission de Gavin, un fardeau excessif. Lorsqu'elle a été contre-interrogée au sujet de son affidavit, l'agente des visas a reconnu qu'en refusant la demande de visa, elle n'avait pas tenu compte de la possibilité que les parents de Gavin aient besoin de services de relève. Au cours de son contre-interrogatoire, le médecin agréé a déclaré que le service social dont il s'agissait en l'espèce était l'éducation spécialisée «dans le sens le plus large du terme».

[22]L'éducation spécialisée destinée aux jeunes souffrant d'un retard de développement est offerte aux étudiants du système scolaire public en Ontario, la province où, d'après les dires de M. Hilewitz, sa famille et lui avaient l'intention de vivre s'ils étaient admis au Canada. La province verse près de 20 000 $ par année aux conseils scolaires pour chaque étudiant ayant des besoins particuliers, qu'il s'agisse d'un étudiant doué ou qui souffre d'un retard de développement, pourvu qu'il ait été admis dans une de leurs écoles et qu'il ait moins de 22 ans. Les parents dont les enfants fréquentent une école publique en qualité d'étudiant à besoins spéciaux n'apportent aucune contribution financière.

[23]À l'époque où le visa a été refusé, Gavin avait le droit de bénéficier pendant trois ans d'une formation spéciale financée par la province dans le système scolaire ontarien. Gavin est né en août 1982 et il a maintenant 21 ans; il a le droit de bénéficier de ce genre d'éducation spécialisée jusqu'à la fin de l'année scolaire 2003-2004.

[24]En outre, l'avis médical mentionnait le fait que Gavin aurait probablement besoin d'avoir accès à d'autres services éducatifs pour l'aider à développer son potentiel en vue d'acquérir son autonomie: une formation permanente pour l'aider à exercer ses activités quotidiennes et une formation professionnelle. Les éléments figurant dans le dossier n'indiquent pas clairement dans quelle mesure l'Ontario récupère intégralement les coûts de ces programmes auprès de ceux qui les utilisent et qui ont les moyens financiers d'assumer ces coûts.

QUESTION EN LITIGE:     Le refus de l'agente des visas de délivrer un visa était-il contraire au droit pour la raison qu'il était fondé sur un avis médical qui n'avait pas pris en considération la probabilité que M. Hilewitz assumerait le coût des services sociaux dont aurait besoin Gavin?

(i) L'arrêt Deol permet-il de trancher cette question?

[25]L'avis médical n'indiquait pas si le médecin avait tenu compte du fait que M. Hilewitz avait les moyens et l'intention d'assumer le coût des services sociaux dont aurait besoin Gavin s'il était admis au Canada. Cependant, le médecin agréé qui a confirmé l'avis du premier médecin après la réponse à la lettre exigée par l'équité a déclaré au cours de son contre-interrogatoire qu'il n'était pas au courant de la situation financière de M. Hilewitz. Il semble que l'agent des visas ne transmette pas toujours le dossier d'immigration complet au médecin agréé. En outre, le ministre soutient que les ressources financières et les intentions déclarées du demandeur de visa pour ce qui est du remboursement du coût des services offerts et du lieu de résidence au Canada sont des éléments qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte lorsqu'il s'agit de décider si une personne risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé.

[26]Je suis disposé à déduire de ces faits que, lorsqu'il a préparé son avis relatif au fardeau excessif, le médecin agréé n'a pas tenu compte de la situation financière de M. Hilewitz, ni de l'intention que ce dernier avait manifestée de ne pas solliciter les services sociaux publics pour Gavin.

[27]J'estime que le juge des demandes a eu raison d'écarter l'application de l'arrêt Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 301 (C.A.), et de conclure que cette décision ne permettait pas de déterminer l'issue de la présente instance. Dans Deol, notre Cour a jugé que l'intention déclarée d'un demandeur de visa d'assumer le coût des services de santé publics n'était pas un élément à prendre en considération pour décider si l'admission de cette personne au Canada risquait de causer un fardeau excessif aux services de santé, étant donné qu'au Canada, les résidents permanents bénéficient d'un accès universel aux services médicaux publics et qu'il n'est pas possible de se procurer dans le secteur privé la plupart de ces services médicaux au Canada.

[28]Étant donné que l'arrêt Deol portait clairement sur les services de santé, il en résulte que les motifs formulés par la Cour s'appliquent uniquement aux services de santé. En outre, le raisonnement tenu dans l'arrêt Deol ne s'applique pas très bien aux services offerts par le secteur privé, ni au cas où l'accès aux services publics est assujetti à une contribution ou à une participation financière de la part des personnes dont la situation financière le permet. En tant qu'auteur de l'arrêt qu'a prononcé la Cour dans l'affaire Deol, je suis en mesure d'affirmer que lorsque j'ai cité, en les approuvant, des affaires relatives aux services sociaux indiquant que la situation financière n'avait pas à être prise en compte pour apprécier le caractère excessif du fardeau imposé, je n'avais pas l'intention d'assimiler les services sociaux aux services médicaux. L'importance que peuvent avoir les différences existant entre les services sociaux et médicaux sur ce point est un aspect que ne soulevaient pas les faits de l'affaire Deol.

[29]Le raisonnement tenu dans l'arrêt Deol comporte cependant un aspect important qui touche les services sociaux. La Cour précise les politiques qui sous-tendent le sous-alinéa 19(1)a)(ii) et qui s'appliquent tant aux services médicaux qu'aux services sociaux: éviter que les fonds publics ne fassent l'objet de demandes trop coûteuses et, lorsqu'il s'agit de services qui répondent à peine à la demande, éviter que l'admission d'une personne ait pour effet de refuser ou de retarder indûment l'accès des résidents canadiens à ces services. Comme l'a déclaré le juge Rothstein dans Thangarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 167 (C.A.), au paragraphe 9, le sous-alinéa 19(1)a)(ii) tient compte du fait que «les services sociaux et de santé ne sont pas illimités et gratuits».

[30]Par conséquent, étant donné qu'aux fins du sous-alinéa 19(1)a)(ii), «le fardeau excessif» peut s'apprécier soit en fonction du coût des services nécessaires soit en fonction de leur rareté, les médecins agréés ne sont pas nécessairement tenus d'examiner si la demande pour les services dont aura besoin la personne atteinte d'une incapacité est supérieure à l'offre dans le lieu où le demandeur de visa a l'intention de résider. Il suffit de montrer que le coût des services sociaux ou médicaux en question risque probablement de dépasser sensiblement le coût moyen des services dont aurait besoin un résident canadien qui ferait partie de la même tranche d'âge.

[31]Cet aspect est aujourd'hui directement abordé dans le paragraphe 1(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227] qui énonce qu'un «fardeau excessif» peut découler du coût prévisible des services sociaux ou de santé nécessaires ou de l'existence de listes d'attente et de la possibilité de retarder l'accès à ces services de façon préjudiciable pour les résidents canadiens.

[32]Néanmoins, le fait d'affirmer que l'arrêt Deol s'applique uniquement aux services de santé ne permet pas de résoudre la question de savoir si la capacité et l'intention du demandeur de visa d'assumer le coût des services sociaux est un élément qui ne concerne pas les avis relatifs au fardeau excessif, malgré l'existence de différences dans la prestation et le financement des services sociaux et de santé, et dans l'accès à ces services.

(ii) Le sous-alinéa 19(1)a)(ii)

[33]Le point de départ de l'analyse est le sous-alinéa 19(1)a)(ii). En ce qui touche la présente affaire, le sous-alinéa énonce qu'est non admissible la personne qui souffre d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable amènerait un médecin agréé à conclure qu'elle «entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux» si cette personne était admise au Canada.

[34]À première vue, cette disposition semble exiger que soit procédé à un examen individuel de la question de savoir si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, l'admission de la personne en question risquerait d'entraîner un fardeau excessif. On pourrait penser qu'il faudrait que le sous-alinéa 19(1)a)(ii) contienne implicitement certains termes pour qu'il exclue des éléments, comme la situation financière des parents et l'intention de défrayer le coût de services sociaux privés, qui touchent logiquement la question de savoir si l'admission d'une personne donnée risque d'entraîner un fardeau excessif. Comme le juge Reed l'a fait remarquer, avec sa perspicacité habituelle, dans l'arrêt Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 141 F.T.R. 62 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 32:

Il semble donc y avoir une incongruité entre le fait d'admettre une personne comme résidente permanente parce qu'elle a d'importantes ressources financières, mais de refuser de tenir compte de ces mêmes ressources pour évaluer l'admissibilité d'une personne à sa charge. Cela est d'autant plus vrai si les résidents canadiens eux-mêmes doivent payer pour les mêmes services sociaux s'ils ont les moyens de le faire.

[35]D'un autre côté, la façon dont est structuré le sous-alinéa 19(1)a)(ii) semble indiquer que le législateur envisageait une enquête plus limitée que celle qui est mentionnée ci-dessus, dans le sens que la disposition oblige expressément le médecin agréé à tenir compte des seuls éléments se rapportant à l'état de santé de la personne concernée et du coût et de la rareté des services dont elle risque d'avoir besoin. Ainsi, l'alinéa a) énonce que le fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé doit découler de «la nature, la gravité ou la durée probable» de l'invalidité. Cette disposition semble limiter les éléments sur lesquels le médecin agréé doit se fonder pour émettre un avis au sujet de l'existence d'un fardeau excessif au diagnostic et au pronostic de l'état de santé de la personne considérée, aux services sociaux et de santé dont elle risque d'avoir besoin, et écarter des aspects non médicaux comme la capacité et la volonté de payer soi-même les services utilisés.

[36]En outre, le fait que le législateur ait confié à des médecins agréés la tâche de formuler un avis au sujet d'un fardeau excessif éventuel semble également indiquer qu'il n'était pas dans son intention que soient pris en compte des facteurs non médicaux concernant la personne en question et qui ne relèvent pas de leur expertise médicale.

(iii) La jurisprudence

[37]Aucun arrêt de la Cour d'appel fédérale ne traite directement de la question en litige dans le présent appel. Comme nous l'avons expliqué plus haut, l'arrêt Deol traite uniquement des services de santé. Cependant, dans un arrêt antérieur portant le même intitulé, Deol c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), à la page 5, la Cour a souligné que l'avis émis aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) doit se fonder sur l'évaluation individuelle de l'état de santé d'une personne particulière et, à partir de cette évaluation, sur la possibilité que le type et le niveau de services nécessaires puissent constituer un fardeau excessif. Comme l'a déclaré le juge MacGuigan, J.C.A.:

La déficience mentale est un état englobant une vaste gamme de possibilités, depuis l'incapacité totale de fonctionner indépendamment jusqu'à un état presque normal. Cette notion ne peut pas servir de stéréotype, parce qu'elle est loin d'être univoque. Ce n'est pas le seul fait de la déficience mentale qui est pertinent, mais le degré, et les conséquences probables en découlant lorsqu'il s'agit d'imposer un fardeau excessif aux services gouvernementaux. [Non souligné dans l'original.]

Cet exposé du droit demeure toujours aussi exact.

[38]Il existe toutefois de nombreuses décisions de la Cour fédérale, même si elles ne vont pas toutes dans le même sens, qui indiquent que le médecin agréé doit également tenir compte de la situation financière des parents et de l'appui que la famille est prête à accorder à la personne concernée lorsqu'il doit décider si l'admission de cette personne risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Je vais maintenant examiner cette jurisprudence.

a)     les affaires reconnaissant la pertinence de la capacité et de la volonté d'apporter un soutien financier

[39]La décision Poste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 5 Admin L.R. (3d) 69 (C.F. 1re inst.), est celle qui est la plus fréquemment citée pour appuyer la proposition selon laquelle le sous-alinéa 19(1)a)(ii) prévoit une enquête très large sur la question de savoir si l'admission d'une personne en particulier risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. C'est ainsi que le juge Cullen a déclaré (au paragraphe 55):

Les médecins agréés sont tenus d'évaluer la situation de chaque personne qui se présente devant eux en fonction de son caractère unique. Les médecins agréés sont maintenant tenus de par la loi de donner une opinion sur le fardeau susceptible d'être imposé aux services sociaux.

[40]Le juge Cullen a conclu (au paragraphe 54) que les médecins agréés n'avaient pas examiné les services sociaux dont Matthew, l'enfant à charge qui accompagnait l'auteur de la demande dans cette affaire, était susceptible d'avoir besoin et qu'ils «n'ont envisagé que le fardeau imposé aux services sociaux par les handicapés mentaux en général» [non souligné dans l'original]. Le juge Cullen a mis en doute l'avis médical et l'omission de l'agent des visas de conclure au caractère déraisonnable de cet avis en se fondant principalement sur les rapports médicaux et psychologiques concernant les capacités et le potentiel de Matthew et par conséquent, sur les services sociaux dont il pourrait avoir besoin.

[41]Dans cette mesure, l'arrêt Poste n'exige pas que les médecins agréés tiennent compte d'éléments autres que ceux découlant du diagnostic sur le degré de l'incapacité et du pronostic concernant le développement de l'enfant pour déterminer quels sont les services dont l'enfant risque d'avoir besoin et décider si ces services sont susceptibles de constituer un fardeau excessif, lorsqu'ils doivent formuler un avis à ce sujet.

[42]Le juge Cullen a toutefois également considéré (aux paragraphes 41, 43, 54 et 63) comme intéressant l'évaluation du fardeau excessif le fait que Matthew avait le droit de recevoir, pendant toute sa vie, une pension d'invalidité australienne, quel que soit son lieu de résidence. Le juge Cullen a en outre mentionné que le soutien familial dont bénéficiait Matthew (aux paragraphes 54 et 63) constituait un élément dont les médecins auraient dû tenir compte. Il a déclaré ce qui suit au sujet du fardeau excessif pour les services sociaux (au paragraphe 55):

Il ne suffit pas qu'un médecin agréé donne une opinion sur ce fardeau en général; l'opinion doit être ancrée fermement sur la situation personnelle de la personne en cause et l'ensemble des circonstances de l'espèce. Celles-ci incluraient le degré de soutien de la famille et son engagement envers la personne, ainsi que les ressources particulières de la collectivité. [Non souligné dans l'original.]

[43]Si l'on tient compte des faits de l'affaire Poste, il est difficile de soutenir que cette décision permet d'affirmer que les médecins agréés ont commis une erreur en l'espèce parce qu'ils n'ont pas tenu compte de la situation financière de M. Hilewitz et de sa volonté de se procurer les services éducatifs dont Gavin pourrait avoir besoin sans faire appel à des fonds publics. Le juge Cullen semble avoir fondé principalement sa décision sur l'omission du médecin agréé de tenir compte, dans l'ensemble, des divers diagnostics et pronostics posés par les médecins et les psychologues. Le fait que le médecin n'ait pas tenu compte de la pension que recevait Matthew et de l'existence d'un soutien familial semblent être une considération d'importance secondaire.

[44]Il faut néanmoins reconnaître que l'arrêt Poste établit clairement que le médecin agréé qui doit se prononcer sur le risque d'un fardeau excessif doit tenir compte de facteurs personnels autres que médicaux, comme le soutien et les ressources financières de la famille, susceptibles de diminuer le fardeau que cette personne risque d'imposer aux services sociaux publics. La décision Poste n'est pas la décision la plus récente, ni la seule qui reconnaisse que l'avis médical au sujet de la probabilité que l'admission entraîne un fardeau excessif doit tenir compte du fait que la personne en cause bénéficie d'un soutien familial.

[45]Par exemple, dans l'arrêt Litt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 93 F.T.R. 305 (C.F. 1re inst.), on soutenait que le médecin agréé avait commis une erreur lorsqu'il avait conclu que, si la famille avait effectivement l'intention d'accorder un soutien financier à un membre de la famille souffrant d'une maladie, il pourrait arriver que la famille ne soit pas en mesure de le faire et que l'admission de cette personne entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Le juge Rothstein (plus tard juge d'appel) a retenu cet argument en déclarant (au paragraphe 4):

Je ne doute pas que le processus décisionnel devrait inclure la question du soutien familial et qu'il est loisible au décideur compétent, pour des motifs valables, d'écarter ou de rejeter les engagements faits par les membres de la famille.

Voir également Fei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 C.F. 274 (1re inst.), au paragraphe 50, dans lequel le juge suppléant Heald a annulé le refus d'un visa parce que le médecin agréé avait conclu qu'un enfant à charge aurait besoin de services sociaux sous la forme de surveillance constante, même si rien n'indiquait que la famille n'était pas en mesure d'en prendre soin chez elle.

[46]Les décisions postérieures à 1997 reflètent également une conception large de la nature de l'enquête à laquelle doivent procéder les médecins agréés. Ainsi, par exemple, dans Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 220 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.), le juge McKeown a déclaré que l'arrêt Poste avait exposé les règles juridiques que les médecins agréés doivent appliquer pour formuler un avis sur le caractère excessif du fardeau que l'admission d'un enfant à charge est susceptible d'entraîner pour les services sociaux.

[47]En particulier, le juge McKeown a déclaré que les médecins devaient tenir compte des éléments suivants: le soutien de la famille, dont les médecins en l'espèce avaient tenu compte mais qui avaient conclu que ce soutien n'avait pas pour effet de supprimer la nécessité de recourir à des services sociaux fournis à l'extérieur de la maison, la situation financière du demandeur de visa, l'existence des services sociaux dont aurait besoin l'enfant dans le lieu où le demandeur de visa avait l'intention de s'établir et la question de savoir si les services nécessaires seraient fournis gratuitement ou existaient en nombre suffisant. Le médecin n'avait examiné que le premier de ces facteurs et le juge McKeown a annulé le rejet de la demande de visa.

[48]Voir au même effet, Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 146 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.), et tout récemment, Karmali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2003) 230 F.T.R. 140 (C.F. 1re inst.).

b)     les affaires où il a été décidé que la capacité et la volonté d'apporter un soutien financier n'étaient pas pertinentes

[49]Le juge Pelletier (tel était alors son titre) s'est fondé sur la décision Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 98 F.T.R. 308 (C.F. 1re inst.), pour déclarer dans Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 198 F.T.R. 56 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 18, que la capacité d'une personne «à supporter les frais liés aux services sociaux ou de santé requis par un membre de sa famille est sans pertinence, car ces frais ne peuvent être réclamés ni auprès de cette personne ni auprès de cette personne, ni auprès de ce membre de la famille». Le juge Pelletier a adopté le raisonnement tenu dans l'arrêt Choi et a ajouté (au paragraphe 19):

[. . .] j'en serais venu à la même conclusion. L'accès aux services sociaux et de santé au Canada est un droit dont peuvent jouir les citoyens canadiens et les résidents permanents. Une fois que Tat Chi obtiendra le statut de résident permanent, il lui sera loisible de se prévaloir de tels services financés à même les fonds publics selon ses besoins, et toute entente à l'effet contraire ne pourra lui être opposée.

[50]Cependant, si dans les arrêts Choi et Poon, comme dans la présente espèce, il s'agissait de conclusions relatives au fardeau excessif pour les services sociaux, la Cour n'a mentionné dans aucune de ces affaires le fait qu'à la différence de la plupart des services de santé, il y a des services sociaux publics qui ne sont pas fournis gratuitement à l'utilisateur qui a les moyens de les payer et que d'autres services, notamment l'éducation spécialisée, peuvent être achetés auprès d'organismes du secteur privé. Je ne sais pas s'il est possible de renoncer par contrat à tout ou partie des services sociaux financés à même les fonds publics.

[51]Le juge Pelletier a annulé le refus du visa pour le motif que le médecin avait commis une erreur en tenant uniquement compte du coût des services sociaux nécessaires et non pas de leur disponibilité. Lorsque la demande de visa a été soumise pour nouvel examen, elle a encore été rejetée et le demandeur a présenté une autre demande de contrôle judiciaire dans laquelle il a également obtenu gain de cause: Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 4 Admin. L.R. (4th) 288 (C.F. 1re inst.).

[52]Le juge des demandes qui a entendu la deuxième demande de contrôle judiciaire, le juge MacKay, a donné à la pertinence de la capacité et du désir des parents d'assumer le coût des services sociaux une interprétation qui différait de celle du juge Pelletier. Il a jugé (au paragraphe 10) que l'avis sur la question du fardeau excessif formulée par le médecin agréé était erroné:

La capacité du demandeur, sa volonté et son engagement à veiller, avec sa famille, à ce que Tat Chi ne constitue pas un fardeau pour les services publics ne sont nullement mis en doute. Ce ne serait peut-être pas un facteur important s'il existait un droit à des services fournis publiquement. Cependant, il n'existe aucune preuve de l'existence de services sociaux qui seraient requis par Tat Chi et auxquels il aurait droit, aux frais de l'État, sans remboursement des coûts par sa famille. Les ressources privées pour se procurer les services sociaux nécessaires ou pour rembourser ceux fournis aux frais de l'État sembleraient un facteur pertinent en l'espèce. [Non souligné dans l'original.]

[53]Il a également été jugé dans deux décisions antérieures à l'arrêt Poon que, lorsque les médecins agréés examinent la question de savoir si l'admission entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux, ils ne sont pas tenus de tenir compte des déclarations relatives au soutien accordé par la famille, ni de l'engagement de mettre de l'argent de côté pour couvrir le coût des soins dont a besoin un enfant atteint d'une incapacité: Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 86 (C.F. 1re inst.), à la page 91; Cabaldon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 296 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 8.

c)     résumé

[54]Il existe à la Cour fédérale un courant jurisprudentiel prépondérant d'après lequel les médecins doivent, dans le cadre d'un avis sur la question du fardeau excessif, tenir compte du soutien financier familial lorsqu'ils sont appelés à évaluer le type et la nature des services sociaux dont un enfant à charge est susceptible d'avoir besoin. Ces décisions ne se contentent pas d'affirmer que le soutien familial est un élément qui touche uniquement le pronostic relatif aux progrès susceptibles d'être réalisés par l'enfant.

[55]Si le soutien familial est un élément pertinent pour la question du fardeau excessif, il y a également lieu de tenir compte de la situation financière du demandeur de visa et de l'intention qu'il a exprimée d'utiliser uniquement des services sociaux privés avant d'envisager de refuser un visa aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii). Avec ces deux éléments, il faut évaluer la capacité et la volonté actuelles et futures des parents, ou d'autres membres de la famille, de fournir ou d'assumer le coût des services nécessaires, pour ainsi éviter toute ponction sur les fonds publics.

[56]Malgré les conclusions différentes auxquelles en sont arrivés les juges de la Cour fédérale, notamment le juge des demandes en l'espèce, j'en suis néanmoins arrivé à la conclusion que le médecin agréé n'est pas légalement tenu de tenir compte de la capacité et de la volonté du demandeur de visa d'assumer le coût des services sociaux dont un membre à charge de sa famille pourrait avoir besoin s'il était admis au Canada. Voici les motifs qui m'ont amené à cette conclusion.

(iv) Les aspects essentiels de la question du litige

a)     les intérêts en jeu

[57]Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) doit être interprété et appliqué de façon à concilier les différents objectifs de l'immigration. D'un côté, l'admission d'investisseurs profite au Canada parce que ces derniers renforcent généralement l'économie canadienne. Par contre, il faut exclure certaines personnes qui auraient autrement le droit d'être admises en qualité de résident permanent dans le cas où leur admission risque d'imposer des coûts importants: dans notre cas, un fardeau excessif pour les services sociaux à cause de l'invalidité médicale dont souffre un enfant à charge.

[58]L'interprétation du sous-alinéa 19(1)a)(ii) joue un rôle dans la conciliation de ces objectifs. Obliger les médecins agréés à tenir compte de l'existence d'un soutien familial dans les avis sur la question du fardeau excessif, soutien qui pourrait réduire, voire même supprimer carrément, la nécessité d'avoir recours à des services publics rares ou coûteux, fait courir au Canada le risque que ce soutien financier cesse d'être accordé ou ne soit plus accepté par l'intéressé. Dans de telles circonstances, la personne atteinte de maladie risque d'utiliser des services sociaux financés à même les fonds publics.

[59]Par contre, la thèse du ministre évite ce risque parce qu'elle exclut le soutien susceptible d'être apporté par la famille, y compris la capacité et la volonté d'assumer le coût des services sociaux, de l'évaluation du risque qu'une personne donnée ait besoin de services sociaux.

b)     considérations pertinentes

[60]La Cour ne peut annuler le refus de visa parce qu'il n'a pas été tenu compte de la capacité et de la volonté de M. Hilewitz de répondre aux besoins de Gavin que si elle est convaincue que le médecin agréé chargé de décider si la nature de l'invalidité de Gavin risquait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux était implicitement tenu par la Loi de prendre en considération la capacité et la volonté des parents de Gavin de répondre à ses besoins en utilisant leurs propres ressources.

[61]La question de savoir si le sous-alinéa 19(1)a)(ii) oblige de façon implicite les médecins agréés à tenir compte du soutien familial lorsqu'ils préparent un avis sur la question du fardeau excessif est une question d'interprétation législative qui doit être tranchée en fonction de l'importance du rôle que joue cette disposition dans la réalisation des objectifs de cette Loi.

c)     la norme de contrôle

[62]Aucune des décisions qui ont été citées dans la présente espèce n'examine la norme de contrôle que doit appliquer la Cour à la décision d'un médecin agréé de ne pas prendre en considération le soutien familial lorsqu'il prépare un avis sur la question du fardeau excessif. Ces arrêts sont basés sur le principe qu'il appartient à la Cour de décider si le médecin agréé en question est tenu de prendre en considération la situation financière des parents lorsque l'admission d'une personne risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Ainsi, à toutes fins pratiques, la Cour a appliqué la norme de la décision correcte à la position adoptée par les médecins agréés et par Immigration Canada, selon laquelle il n'y a pas lieu de tenir compte du soutien des parents dans la préparation d'un avis sur la question du fardeau excessif.

[63]La question de la norme de contrôle a été soulevée de façon incidente par l'avocat du ministre qui soutient que l'avis d'un médecin agréé sur la question du fardeau excessif peut être annulé parce qu'il ne respecte pas le critère de la décision raisonnable mais que le tribunal peut intervenir si l'avis se fonde sur des considérations étrangères et, peut-on penser, s'il ne tient pas compte des éléments dont le médecin est tenu de prendre en compte, en vertu des dispositions applicables.

[64]L'avocat semble donc avoir reconnu que le choix des facteurs dont le médecin agréé doit tenir compte pour formuler un avis sur la question du fardeau excessif peut être examiné selon la norme de la décision correcte. Par conséquent, et puisque cet aspect ne joue pas un rôle en l'espèce, je tiens pour acquis aux fins du présent appel que la norme de la décision correcte est la norme appropriée ici.

d)     la norme et le fardeau de la preuve

[65]Les demandeurs de visa ont le fardeau d'établir qu'ils respectent les critères fixés par la loi pour la délivrance d'un visa dans la catégorie d'immigrants qu'ils ont choisie. Néanmoins, lorsque l'avis relatif à la question du fardeau excessif préparé par un médecin agréé est contesté, celui-ci doit fournir les éléments sur lesquels il s'est fondé: Rabang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 176 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.). Si l'avis médical est fondé sur des preuves, les tribunaux doivent faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de fait sur lesquelles est fondé l'avis et sur la façon dont le médecin agréé a appliqué aux faits les dispositions législatives.

[66]Pour ce qui est de la norme de preuve, le sous-alinéa 19(1)a)(ii) précise les deux critères alternatifs sur lesquels le médecin agréé peut s'appuyer: l'admission «entraînerait ou risquerait d'entraîner» [non souligné dans l'original] un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Le mot «entraînerait» fait référence à une norme de preuve qui serait la prépondérance des probabilités. L'expression «risquerait d'entraîner» fait référence à une norme légèrement moins exigeante qui serait respectée lorsqu'une personne raisonnable pourrait penser que l'admission entraînerait un fardeau excessif. La personne raisonnable en question ne doit toutefois pas s'attendre à ce que quelque chose se produise pour la simple raison qu'il est possible qu'elle se produise: Badwal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 64 D.L.R. (4th) 561 (C.A.F.), à la page 564.

[67]Cependant, la question en litige ici ne porte pas tant sur la norme de preuve que sur les éléments dont le médecin agréé doit tenir compte lorsqu'il prépare un avis sur la question de savoir si l'admission d'une personne risque d'entraîner un fardeau excessif.

(v)     Conclusions

[68]Comme je l'ai déjà indiqué, malgré la jurisprudence prépondérante de la Cour fédérale à l'effet contraire, le fait que les parents de la personne concernée disposent de ressources suffisantes pour assumer le coût des services sociaux n'est pas un élément que le médecin agréé doit prendre en considération lorsqu'il évalue la probabilité que l'admission d'une personne au Canada entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux, même si ces services sont offerts avec récupération, totale ou partielle, des coûts ou peuvent être achetés auprès d'organismes privés. Voici quels sont mes motifs.

a)     le texte législatif

[69]Le texte du sous-alinéa 19(1)a)(ii) énumère les éléments dont le médecin agréé doit tenir compte pour préparer un avis sur la question du fardeau excessif, à savoir, la nature, la gravité ou la durée probable de la maladie dont souffre la personne concernée. J'estime que la Cour ne devrait ajouter à cette liste des éléments implicites que si ces derniers renforcent l'efficacité du régime législatif.

[70]Ainsi, le juge Binnie a reconnu, dans l'arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 176, un critère implicite applicable aux personnes que le ministre peut nommer pour présider un conseil d'arbitrage, à savoir qu'elles devaient avoir une expérience dans le domaine des relations du travail et être acceptées par l'ensemble de la communauté des relations de travail, étant donné que ces caractéristiques «allaient directement au coeur du régime [législatif] de la LACHT». Pour les motifs exposés plus loin, il n'est pas possible de tenir le même raisonnement au sujet de l'importance des ressources financières du demandeur de visa pour la question de la non-admissibilité pour des raisons médicales à cause de l'imposition d'un fardeau excessif pour les services sociaux, en particulier puisque le législateur a expressément mentionné les autres éléments à prendre en considération.

[71]L'argument selon lequel le législateur n'avait pas, en adoptant le sous-alinéa 19(1)a)(ii), l'intention d'obliger les médecins agréés à tenir compte de la capacité et de la volonté d'assumer certains frais est également conforté par le fait que le règlement traitant du fardeau excessif n'a jamais mentionné le soutien familial ou les ressources financières. Ainsi, l'article 22 [mod. par DORS/78-316, art. 2] du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 énumère les facteurs dont le médecin agréé doit tenir compte pour évaluer la nature, la gravité ou la durée probable d'une maladie. Ces facteurs comprennent non seulement les rapports concernant les diagnostics et le pronostic mais aussi la disponibilité des services sociaux ou de santé dont la personne en cause pourrait avoir besoin pour cette raison. Ces facteurs ne comprennent toutefois pas des facteurs personnels de nature non médicale comme l'existence d'un soutien familial susceptible de réduire la nécessité d'utiliser des services sociaux financés par l'État.

[72]L'article 22 a été jugé invalide lorsqu'il a été appliqué à des avis sur la question du fardeau excessif qui n'étaient pas reliés à des préoccupations de santé publique (voir, par exemple, Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.)) et cette disposition a, de toute façon, été abrogée.

[73]L'article 22 a été remplacé par l'article 34 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, pris aux termes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. L'article 34 énonce que, pour décider s'il y a fardeau excessif, le médecin agréé tient compte des rapports établis par un spécialiste de la santé ou par un laboratoire médical concernant l'étranger et de tout rapport et de toute maladie détectés lors de la visite médicale. Le nouveau règlement n'exige donc pas que l'agent tienne compte de facteurs non médicaux concernant l'individu en cause.

b)     aspects pratiques

[74]Il existe une présomption selon laquelle la loi qui crée un programme public doit s'interpréter de façon à faciliter l'administration du régime législatif ainsi créé. Par conséquent, en l'absence d'indications claires contraires, il ne faut pas imposer aux fonctionnaires des tâches complexes qui ne sont pas expressément prévues par la loi. Imposer aux médecins agréés l'obligation d'effectuer le genre d'enquête qu'exigerait l'appréciation des ressources familiales et de la volonté des membres de la famille d'assumer le coût des services sociaux avant de pouvoir former un avis sur la question du fardeau excessif serait leur imposer une tâche très lourde. En outre, ce n'est pas une tâche à laquelle préparent vraiment les études médicales. En outre, pour exécuter cette tâche correctement, il faudrait mettre sur pied un mécanisme décisionnel beaucoup plus complet que celui que prévoit la Loi.

[75]Par exemple, pour obtenir des preuves permettant au médecin agréé de formuler un avis indiquant que l'admission de Gavin entraînerait un fardeau excessif, celui-ci devrait vérifier si l'école privée à laquelle M. Hilewitz a déclaré avoir l'intention d'envoyer Gavin l'accepterait et si cet établissement est viable. Le médecin agréé serait également peut-être appelé à examiner la mesure dans laquelle le projet qu'a formé M. Hilewitz d'acheter une entreprise à laquelle travaillerait Gavin aurait pour effet de supprimer la nécessité d'une formation professionnelle et si l'intention des parents de Gavin de continuer à en prendre soin et de le garder avec eux veut dire que celui-ci n'aurait pas besoin de suivre les programmes d'autonomie qu'offre la province de l'Ontario.

[76]Dans l'hypothèse où Gavin risquerait d'utiliser des services sociaux publics, il faudrait que le médecin détermine si ces services sont gratuits ou payants et, dans ce dernier cas, si la contribution financière qu'aurait à verser M. Hilewitz représenterait un recouvrement partiel ou intégral de leur coût. Et même dans le cas où ces services seraient fournis sur la base du recouvrement intégral des coûts de la part des personnes ayant le moyen de les assumer, le médecin agréé devra décider si le fait que Gavin utilise ces services retarderait l'accès à ces mêmes services pour d'autres personnes dans les cas où la demande est supérieure à l'offre.

[77]Sans parler de la crédibilité du demandeur, il pourrait s'avérer très difficile d'obtenir des réponses à ces questions, en particulier, compte tenu du fait que l'enquête devrait porter sur une province en particulier et même, si possible, sur la ville où la famille en cause a l'intention de résider. Ces questions sont très différentes de celles qu'examinent habituellement les médecins agréés: l'évaluation des rapports de diagnostic et de pronostic au sujet de l'état de santé de la personne concernée fournis par les médecins et les psychologues, la nature des services sociaux et de santé que cette personne risque d'avoir besoin compte tenu de la nature, de la gravité et de la durée probable de sa maladie et la question de savoir si ce recours entraînerait un fardeau excessif, à cause du coût des services ou de leur rareté.

[78]En outre, par rapport aux objectifs recherchés par l'étude de la question de savoir si l'admission d'une personne risque d'entraîner un fardeau excessif, il faut reconnaître que les avantages susceptibles d'être obtenus grâce à ces enquêtes plus approfondies pourraient être très faibles. Ainsi, par exemple, une fois admis au Canada, les demandeurs de visa et leur famille peuvent fort bien s'établir dans une région où les services sociaux financés par l'État sont offerts sans récupération des coûts ou sur paiement d'une contribution minime, ou dans laquelle les services nécessaires ne sont pas offerts par des organismes privés.

[79]Enfin, prévoir les choix de vie que pourrait faire la personne atteinte d'une incapacité n'est pas une tâche facile, même si l'enquête du médecin pouvait se limiter à une période de cinq, voire de 10 ans. Par exemple, Gavin pourrait fort bien décider d'ici quelques années d'essayer de vivre de façon indépendante en quittant la maison de ses parents et en se soustrayant à leur influence immédiate. Cela pourrait fort bien l'amener à utiliser des programmes d'apprentissage de l'autonomie et à demander une formation professionnelle financés par l'État. Un revers de fortune ou des changements imprévus dans sa situation financière pourrait également fort bien empêcher la famille d'accorder le soutien financier qu'elle entendait lui fournir.

[80]Bref, il faudrait que ce régime législatif repose sur des dispositions beaucoup plus solides pour que je puisse interpréter cette loi comme si elle obligeait implicitement les médecins agréés à procéder à ce genre d'enquête complexe, difficile et par sa nature même quelque peu spéculative, comme celle que j'ai décrite, et à laquelle les mécanismes décisionnels actuels ou les compétences professionnelles des décideurs ne sont particulièrement pas adaptés.

[81]Par contre, si les médecins agréés concentraient leur attention sur les rapports médicaux et autres concernant la nature, la gravité ou la durée probable de la maladie du demandeur ainsi que sur le coût et la disponibilité des services dont il aura probablement besoin, il ne serait peut-être pas déraisonnable d'exiger que les médecins expliquent mieux qu'ils ne le font parfois les bases sur lesquelles reposent leurs avis sur la question du fardeau excessif.

c)     les droits et les intérêts touchés

[82]Il est certain que M. Hilewitz et sa famille sont très déçus que leurs visas aient été refusés, en particulier compte tenu des efforts qu'ils ont déployés et des dépenses qu'ils ont exposées pour présenter cette demande. Néanmoins, le fait de rejeter une demande de visa ne prive personne d'un droit, encore moins d'un droit constitutionnel. La famille Hilewitz n'a aucun lien avec le Canada et ne fait pas l'objet de persécution en Afrique du Sud. Cette famille peut toujours présenter d'autres demandes de visas en vue d'obtenir la résidence permanente au Canada ou dans un autre pays.

[83]Par contre, je reconnais également qu'on pourrait soutenir qu'interpréter le sous-alinéa 19(1)a)(ii) comme s'il demandait au médecin agréé de procéder à une enquête relativement circonscrite n'accorde pas suffisamment d'importance à l'objectif consistant à faciliter l'admission des personnes qui répondent aux conditions d'entrée pour une catégorie particulière d'immigrants et trop d'importance à la protection des ressources publiques consacrées aux services sociaux et de santé. On pourrait affirmer qu'exclure les personnes susceptibles d'apporter une contribution importante à l'économie canadienne risque de nuire à la capacité du Canada d'utiliser ses politiques d'immigration pour attirer des capitaux et des entrepreneurs, si l'on n'oblige pas les médecins agréés à effectuer une évaluation complète, fondée sur tous les renseignements disponibles, des coûts publics que risque d'entraîner l'admission d'une personne souffrant d'une invalidité.

[84]Il faut toutefois interpréter le sous-alinéa 19(1)a)(ii) dans son contexte législatif. Comme cela s'est produit en l'espèce, l'agent des visas peut fort bien recommander, après avoir conclu à la non-admissibilité d'une personne, que soit délivré au demandeur et aux personnes à sa charge qui l'accompagnent un permis ministériel aux termes du paragraphe 37(1) de la Loi sur l'immigration. Ce permis peut être accordé pour trois ans et il est renouvelable à la discrétion du ministre. Après avoir résidé au Canada pendant cinq ans, le titulaire du permis peut se voir accorder le statut de résident permanent, malgré sa non-admissibilité: paragraphe 38(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 27].

[85]Ces permis discrétionnaires s'appellent maintenant des «permis de séjour temporaire»: paragraphe 24(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Aux termes de cette Loi, le titulaire d'un permis de séjour temporaire qui est non admissible pour des motifs de santé peut se voir délivrer un permis de résidence permanente après seulement trois ans de résidence au Canada: Règlement, alinéa 65b)(i).

[86]Le permis temporaire n'accorde pas à l'investisseur potentiel la même sécurité à long terme qu'un permis de résidence permanente. En fait, le permis temporaire est une admission sous probation et permet à Immigration Canada de réévaluer la situation après une période de trois ans. Si l'avenir se déroule comme le demandeur de visa l'a prévu, celui-ci a alors normalement de bonnes chances d'obtenir le statut de résident permanent. Ces permis discrétionnaires permettent ainsi d'atténuer, en tenant compte des faits de chaque cas, le caractère éventuellement trop restrictif des dispositions relatives à la non-admissibilité pour des raisons médicales. Il est possible qu'il soit approprié dans ce cas-ci que le ministre accorde à la famille Hilewitz des permis de résidence temporaire, comme l'a recommandé l'agente des visas.

[87]Il incombe au législateur de décider jusqu'où la politique canadienne en matière d'immigration doit aller sur le plan de la prudence. C'est à lui, et non pas à la Cour, de concilier les avantages qui découlent de la délivrance d'un visa à une personne susceptible d'apporter une contribution importante à l'économie, notamment par le biais de recettes fiscales, et le risque que cette admission entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux en raison de l'état de santé du demandeur. Donner au sous-alinéa 19(1)a)(ii) une interprétation ayant pour effet de réduire au maximum le fardeau susceptible d'être causé dans ce genre de situation fait tout à fait partie des orientations que le législateur peut se donner, compte tenu, en particulier, du fait que la rigueur du régime législatif est tempérée par la possibilité d'attribuer des permis de séjour temporaire.

[88]Dans les affaires délicates comme celle-ci, la réponse qu'apporte la Cour à une question d'interprétation législative ne peut pas toujours répondre à tous les arguments qui militent en faveur d'une autre solution. Cependant, les tribunaux n'ont pas à viser la perfection, tâche illusoire. Ce n'est pas parce que la solution apportée par le tribunal ne résout pas parfaitement tous les problèmes d'interprétation que soulève une question que l'interprétation retenue par le tribunal n'est pas la meilleure, compte tenu des circonstances.

(vi)     Autres questions

[89]L'avocat de M. Hilewitz a également soutenu que le juge des demandes avait commis une erreur lorsqu'il a déclaré que l'agente des visas n'avait pu s'acquitter de son obligation de veiller à ce que l'avis du médecin agréé n'est pas déraisonnable, compte tenu des documents transmis à ce dernier. L'agente des visas n'a pas pris connaissance de la réponse qu'a fournie M. Hilewitz à la lettre exigée par l'équité, qu'elle s'est contentée de transmettre au médecin agréé. C'est dans cette lettre que M. Hilewitz déclarait qu'il avait l'intention d'acheter une entreprise dans laquelle Gavin pourrait travailler, lui évitant ainsi d'avoir à utiliser les services sociaux sous la forme de formation professionnelle.

[90]Étant donné que j'ai conclu que le soutien familial n'est pas un facteur que le médecin agréé est tenu de prendre en compte, le fait que l'agente des visas n'ait pas été au courant du projet qu'avait formé M. Hilewitz d'acheter une entreprise dans laquelle Gavin pourrait travailler ne touchait aucunement sa capacité à examiner l'avis du médecin agréé pour y déceler éventuellement une erreur manifeste.

[91]L'avocate du ministre a également soutenu que le juge des demandes avait commis une erreur en obligeant le médecin agréé à examiner la question du fardeau excessif en fonction de l'endroit où M. Hilewitz avait l'intention de résider. Elle a soutenu que cette opération était futile parce qu'une fois admis, M. Hilewitz pouvait fort bien vivre au Canada à l'endroit où il le souhaitait.

[92]En se fondant sur les affaires qu'il a citées, le juge des demandes a déduit de l'arrêt «Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [(1995), 100 F.T.R 139 (C.F. 1re inst.)], l'importance de prendre en considération les services sociaux offerts dans la région du Canada où le demandeur souhaite s'établir» (au paragraphe 15). Il déclare plus loin dans ses motifs (au paragraphe 25) qu'il a fondé sa décision en partie sur les déductions qu'il a tirées de son examen de la jurisprudence.

[93]Cependant, étant donné que le médecin agréé n'est pas tenu de tenir compte de la capacité et de la volonté du demandeur de visa d'assumer les frais des services sociaux utilisés, ou de les obtenir auprès d'organismes privés, la rareté des services sociaux ou la façon dont ils sont financés, dans la région du Canada où le demandeur a l'intention de vivre n'est pas habituellement un élément pertinent.

[94]Cependant, dans l'hypothèse où l'avis relatif à la question du fardeau excessif se fondait uniquement sur l'existence d'une liste d'attente pour un service social particulier et sur le retard qu'entraînerait pour les autres utilisateurs de ce service l'admission de cette personne, et non sur le coût élevé de ce service, le médecin agréé devrait fournir des preuves, s'il était invité à le faire, montrant que les services offerts étaient insuffisants dans la région où le demandeur résidera probablement, région qui ne se limiterait pas nécessairement à l'endroit où le demandeur a déclaré que sa famille avait l'intention de résider si elle était admise au Canada.

[95]Je dois enfin mentionner que la décision ne porte pas sur certains aspects importants des avis sur la question du fardeau excessif. Par exemple, la Cour a décidé que l'existence d'un soutien familial n'était pas un élément à prendre en compte mais elle n'aborde pas l'évaluation du coût des services sociaux auxquels le médecin agréé estime, en se basant sur les rapports diagnostiques et pronostiques, que le demandeur risque d'avoir recours. La Cour n'a pas non plus décidé si les médecins agréés sont tenus, sur demande, de fournir des preuves indiquant que les services sociaux publics que la personne atteinte d'une invalidité est susceptible d'utiliser sont effectivement offerts à un endroit qui est raisonnablement accessible à partir du lieu où le demandeur de visa a déclaré avoir l'intention de résider.

F. CONCLUSIONS

[96]Le juge des demandes a certifié la question suivante:

La situation financière du demandeur constitue-t-elle un élément pertinent lorsqu'il s'agit de décider si son admission au Canada risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux et est-ce que la décision des médecins agréés est concluante sur ce point ou est-ce que le décideur chargé de se prononcer sur la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur est tenu d'examiner le caractère raisonnable de la décision des médecins agréés au sujet du «fardeau excessif», compte tenu de tous les éléments pertinents fournis par le demandeur au défendeur?

[97]Je répondrais à cette question de la façon suivante. La situation financière du demandeur n'est pas un élément dont le médecin agréé est juridiquement tenu de prendre en compte lorsqu'il décide si l'admission d'une personne au Canada entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux.

[98]Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel sans frais, annulerais la décision du juge des demandes, rejetterais la demande de contrôle judiciaire et rétablirais la décision de l'agente des visas par laquelle elle rejetait la demande de visa présentée par M. Hilewitz.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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