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     T-2022-89

    2003 CF 975

Le chef Victor Buffalo, agissant en son propre nom et au nom des autres membres de la nation et bande indienne de Samson et la bande et nation indienne de Samson (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le ministre des Affaires indiennes et du Nord et le ministre des Finances (défendeurs)

et

Le chef Jerome Morin, agissant en son propre nom ainsi qu'au nom de tous les membres de la bande des indiens Enoch et des résidents de la réserve indienne no 135 de Stony Plain et Emily Stoyka et Sara Schug (intervenants)

Répertorié: Nation et bande indienne de Samsonc. Canada (C.F.)

Cour fédérale, juge Teitelbaum--Calgary, 12, 13, 14, 15, 16, 20, 21, 22, 23, 26, 27, 28 mai et 12 août 2003.

Droit constitutionnel -- Principes fondamentaux -- Une bande indienne poursuivait le Canada pour abus de confiance à l'égard de la gestion de ressources naturelles -- Elle demandait l'autorisation de délivrer des subpoenas, les témoins étant le premier ministre et le ministre des Affaires indiennes -- Position de la Couronne: aucun des deux témoins n'avait de témoignages utiles à présenter, les subpoenas étant demandés dans le seul dessein d'appeler l'attention sur le litige et de contraindre le premier ministre et le ministre à débattre la position et les politiques de la Couronne -- La Couronne avait également soutenu que les témoins proposés bénéficiaient d'un privilège parlementaire -- Si la Cour conclut à l'existence du privilège, elle ne peut pas examiner l'exercice de ce privilège -- Il s'agissait de savoir si le privilège revendiqué était nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner -- Les privilèges sont de nature constitutionnelle et font partie du droit fondamental du Canada -- Ouvrages mentionnés en ce qui concerne la définition du privilège parlementaire -- Buts des privilèges personnels conférés aux députés -- La C.S.C. a statué, dans ce contexte, que le terme «privilège» indique une exemption d'une charge à laquelle les autres personnes sont assujetties -- Le cadre législatif et constitutionnel du privilège parlementaire a été expliqué -- L'art. 4 de la Loi sur le Parlement du Canada n'est pas inconstitutionnel parce qu'il n'est pas conforme à l'art. 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, tel qu'il a été modifié -- Au R.-U., le privilège parlementaire était le produit d'une convention, de sorte qu'il existait peu de sources sur le sujet -- Le texte anglais de 1796 disait que des interruptions mineures ne pouvaient pas empêcher les membres du Parlement de se présenter au Parlement -- Le Parlement a un droit prépondérant de compter sur la présence de ses membres -- Durée du privilège -- Au R.-U., durant 40 jours avant et après une session et pendant 40 jours après la dissolution du Parlement -- La règle des 40 jours est désuète étant donné le perfectionnement des moyens de communication et de transport -- Le privilège dure 14 jours avant et après une session -- Étant donné que le privilège fait partie des lois du Canada, il n'est pas incompatible avec le principe de la primauté du droit -- L'art. 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne s'applique pas étant donné que les questions d'équité procédurale ne peuvent pas autoriser la mise à l'écart d'un privilège parlementaire -- Vu que le privilège parlementaire jouit d'un statut constitutionnel, il n'est pas assujetti à la Charte -- Les pactes internationaux ne sont pas utiles en l'espèce -- Le privilège peut être revendiqué par le Président de la Chambre et par les députés.

Pratique -- Supboenas -- Demande visant l'obtention d'une ordonnance fondée sur la règle 41(4) des Règles de la Cour fédérale (1998), autorisant l'administrateur de la Cour à délivrer des supboenas au premier ministre et au ministre des Affaires indiennes dans un litige entre une bande indienne et le Canada -- Une autorisation est requise lorsque, comme c'est ici le cas, le témoin réside à plus de 800 kilomètres du lieu de comparution -- La Couronne soutenait qu'aucun des deux témoins n'avait des témoignages utiles à présenter et que les supboenas étaient demandés dans le seul dessein d'appeler l'attention sur le litige et de contraindre le premier ministre à débattre et à expliquer la position et les politiques de la Couronne -- Analyse coûts-avantages -- La demande a été rejetée compte tenu de l'existence d'un privilège parlementaire -- La Déclaration canadienne des droits, la Charte et les pactes internationaux n'étaient pas pertinents en l'espèce.

Il s'agissait d'une demande visant l'obtention d'une ordonnance fondée sur le paragraphe 41(4) des Règles de la Cour fédérale (1998), autorisant l'administrateur de la Cour à délivrer des supboenas forçant la comparution du premier ministre Chrétien et d'un ministre du Cabinet pour qu'ils témoignent dans un procès. En vertu de cette disposition, une autorisation est requise si le témoin proposé réside à plus de 800 kilomètres du lieu de comparution. Le premier ministre et le ministre résident à plus de 800 kilomètres de Calgary.

La position du demandeur était que les deux témoins proposés avaient des témoignages utiles et importants à produire dans l'affaire, la bande indienne de Samson poursuivant le Canada pour abus de confiance à l'égard de la gestion de ressources naturelles et alléguant un conflit d'intérêts. Le demandeur prétend que le premier ministre a joué, au cours des 25 dernières années, un rôle actif et important dans les politiques de la Couronne concernant la bande et les points soulevés dans le procès. S'agissant du ministre Nault, il avait des témoignages à offrir sur la politique actuelle de la Couronne se rapportant aux liens conventionnels entre la bande et la Couronne et sur d'autres questions pertinentes. Le demandeur affirme qu'aucun des témoins proposés ne bénéficie d'un privilège parlementaire qui le dispenserait de témoigner ou que, s'il existe un tel privilège, il est incompatible avec le principe de la primauté du droit et l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits et qu'il contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte ainsi qu'à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le demandeur a en outre mentionné le rôle croissant du droit international dans le cadre constitutionnel canadien. Si l'existence d'un tel privilège est avérée, ce privilège devrait être interprété étroitement de manière à ne s'appliquer que lorsque le Parlement siège effectivement.

La Couronne a dit qu'aucun des deux témoins proposés n'avait des témoignages utiles à présenter et a même soutenu que les supboenas étaient demandés dans le seul dessein d'appeler l'attention sur le litige et de contraindre le premier ministre et le ministre des Affaires indiennes à expliquer et à débattre la position juridique et les politiques actuelles et passées de la Couronne. De plus, la Couronne croyait qu'une analyse coûts-avantages montrerait que les coûts de tels témoignages l'emporteraient sur leurs avantages. Enfin, il a été soutenu que les témoins proposés bénéficiaient d'un privilège parlementaire qui s'appliquait tant que le Parlement était en session, de même que durant 40 jours et après une session.

Jugement: la demande est rejetée.

La question la plus importante soulevée par la demande se rapportait à l'existence d'un privilège parlementaire. Les motifs de jugement prononcés par lord Denman dans une affaire datant de l'année 1839, Stockdale v. Hansard, faisaient autorité à l'appui de la proposition selon laquelle, une fois qu'un tribunal conclut à l'existence du privilège et détermine son étendue, il ne peut pas examiner l'exercice de ce privilège. Ce principe est encore valable au Canada comme l'a récemment confirmé la Cour suprême en 1993 dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative). La juge McLachlin a expliqué qu'il s'agit de savoir si le privilège revendiqué est un des privilèges nécessaires pour que la législature soit capable de fonctionner. Ces privilèges sont de nature constitutionnelle étant donné qu'ils font partie du droit fondamental de notre pays. Les tribunaux ne sont pas habilités à examiner si une décision prise conformément au privilège est bonne ou mauvaise. Il a été fait mention de divers ouvrages en ce qui concerne la définition du privilège parlementaire. Il est expliqué dans Bourinot, Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, que «les privilèges personnels des membres visent à leur permettre d'occuper sans entrave leurs places au Parlement, à les garantir de toute contrainte ou intimidation dans l'accomplissement de leurs tâches et à préserver leur liberté d'expression dans les débats du Parlement». Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, la juge McLachlin a fait remarquer que, dans ce contexte, le terme «privilège» indique une exemption légale d'une certaine obligation, charge, participation ou responsabilité auxquelles les autres personnes sont assujetties.

Le cadre législatif et constitutionnel du privilège parlementaire se trouve dans le préambule et dans l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867. L'article 18 prévoit que les privilèges du Sénat et de la Chambre des communes et de leurs membres sont ceux définis par le Parlement du Canada, mais ils ne doivent pas excéder les privilèges que possèdent les membres de la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni.

Avant de se demander si le privilège revendiqué en l'espèce existe, il convenait de déterminer si le Parlement avait défini ses privilèges en conformité avec l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, modifié en 1875. Il était clair que le Parlement avait défini ses privilèges en 1867 en transposant dans le droit canadien tous les privilèges que possédait le Parlement du Royaume-Uni. L'article 18 reconnaissait non seulement des privilèges inhérents, mais permettait aussi l'ajout de privilèges d'origine législative. L'argument du demandeur, à savoir que l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada est inconstitutionnel parce qu'il n'est pas conforme au nouveau texte de l'article 18 a été rejeté. L'article 4 n'est pas incompatible avec l'article 18 modifié. La Loi sur le Parlement du Canada, adoptée en 1868, suivait le texte de l'article 18.

Il s'agissait ensuite de savoir si le privilège accordant une dispense de l'obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal tant que le Parlement est en session, existait au Royaume-Uni au moment de la Confédération. Au Royaume-Uni, le privilège parlementaire était le produit d'une convention et il existe très peu de sources sur le sujet. Cependant, dans l'arrêt Ainsworth Lumber Co. Ltd. c. Canada (Attorney General), la Cour d'appel de la Colombie- Britannique, citant les ouvrages d'auteurs, a jugé qu'il existe un privilège parlementaire qui dispense les députés de répondre à des assignations à comparaître devant un tribunal tant que le Parlement est en session. Dans Hatsell, Precedents of Proceedings in the House of Commons, troisième édition, Londres, 1796, il était écrit que rien ne pouvait empêcher les membres du Parlement de s'acquitter de leur important devoir et qu'ils devraient être exemptés de leurs obligations et de certaines procédures judiciaires auxquelles les autres citoyens, à qui ce précieux privilège n'a pas été accordé, sont assujettis par la loi. Ou, comme l'a dit Maingot, le Parlement a le droit prépondérant de compter sur la présence et le service de ses membres. En Grande-Bretagne, on s'est interrogé sur la question, mais ce privilège passé continue à exister en Grande-Bretagne ainsi qu'au Canada.

Quant à la durée de ce privilège, plusieurs textes canadiens mentionnent qu'il s'applique lorsque la Chambre est «en session»; aucun de ces textes, sauf Maingot, ne fait état de l'inclusion d'une période antérieure ou postérieure à une session. Cet auteur mentionne que le privilège, comme au Royaume-Uni, subsiste durant 40 jours avant et après une session ainsi que 40 jours après la dissolution du Parlement. Cette opinion a été adoptée par la Section de première instance de la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard dans la décision R. v. Brown (2001), 197 Nfld. & P.E.I.R. 285. Cependant, dans une décision encore plus récente, Telezone Inc. v. Canada (Attorney General), [2003] O.J. no 2543 (C.S.J.) (QL), le juge Backhouse, de la Cour suprême de l'Ontario, a statué que le privilège ne s'appliquait qu'à la période au cours de laquelle le Parlement siège effectivement et durant 14 jours après la suspension de ses travaux. En arrivant à cette période de 14 jours, le juge s'en est remis au préambule du Parliamentary Privilege Act, 1770, intitulé [traduction] «Loi visant à prévenir les délais de la justice entraînés par le privilège parlementaire». Il a été conclu que le privilège subsiste pendant la durée d'une session étant donné que, lorsque le Parlement est en session, il peut être appelé à siéger n'importe quand, et qu'il s'applique pendant 14 jours avant et après une session. L'ancienne règle des 40 jours est désuète, étant donné le perfectionnement des moyens de transport et de communication. L'ancien Parliamentary Privilège Act, 1770 n'était pas pertinent étant donné qu'il visait à abolir l'immunité des parlementaires à l'encontre des procédures engagées durant le service parlementaire.

Aucun des autres arguments avancés par le demandeur n'était valable. Le privilège en question fait partie de nos lois et ne saurait donc être incompatible avec le principe de la primauté du droit. Quant à la Déclaration canadienne des droits, l'objet de l'alinéa 2e) est de garantir l'équité procédurale des décisions relatives aux droits et obligations des particuliers. Il ne saurait autoriser la mise à l'écart d'un privilège parlementaire. La Cour suprême du Canada a statué que vu que le privilège parlementaire jouit d'un statut constitutionnel, il n'est pas assujetti à la Charte. La présente Cour ayant conclu que le privilège revendiqué en l'espèce entre, en application du critère de la nécessité, dans le champ de la compétence du Parlement, il n'était pas nécessaire d'entreprendre un examen au regard de la Charte. Les pactes internationaux n'étaient pas non plus utiles pour disposer de la demande.

Un autre point qu'aucune des parties n'a soulevé concernait la question de savoir si le privilège parlementaire doit être revendiqué par le Président de la Chambre ou par un député. La Cour était d'avis que l'un ou l'autre pouvait revendiquer ce privilège.

Étant donné que le Parlement était en session, même s'il ne siégeait pas, la demande de délivrance de supboenas devait être rejetée.

lois et règlements

Acte pour définir les privilèges, immunités et attributions du Sénat et de la Chambre des Communes, et pour protéger d'une manière sommaire les personnes chargées de la publication des documents parlementaires, 31 Vict., ch. 23.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 15.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], préambule, art. 18 (mod. par L.R.C. (1985), appendice II, no 13).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, art. 4, 5.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5,

Parliamentary Privilege Act, 1770 (R.-U.), 10 Geo. III, ch. 50.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 41(4).

jurisprudence

décisions appliquées:

Stockdale v. Hansard (1839), 9 Ad. & E. 1; 112 E.R. 1112 (Q.B.); New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319; (1993), 118 N.S.R. (2d) 181; 100 D.L.R. (4th) 212; 13 C.R.R. (2d) 1; 146 N.R. 161; Ainsworth Lumber Co. Ltd. v. Canada (Attorney General) (2003), 226 D.L.R. (4th) 93; [2003] 7 W.W.R. 715; 181 B.C.A.C. 256; 14 B.C.L.R. (4th) 302 (C.A.C.-B.) (quant au sens de «siégeant»); Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; (1985), 19 D.L.R. (4th) 1; [1985] 4 W.W.R. 385; 35 Man. R. (2d) 83; 59 N.R. 321; Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876; (1996), 178 N.B.R. (2d) 161; 137 D.L.R. (4th) 142; 454 A.P.R. 161; 37 C.R.R. (2d) 189; 201 N.R. 1.

décisions examinées:

R. v. Brown (2001), 197 Nfld. & P.E.I.R. 285 (C.S. 1re inst. Î.P.-É.); Regina v. Gamble & Boulton (1851), 9 U.C.Q.B. 546; Telezone Inc. v. Canada (Attorney General), [2003] O.J. No. 2543 (C.S.J.) (QL); Ainsworth Lumber Co. Ltd. v. Canada (Attorney General) (2003), 226 D.L.R. (4th) 93; [2003] 7 W.W.R. 715; 181 B.C.A.C. 256; 14 B.C.L.R. (4th) 302 (B.C.C.A.) (quant à la durée du privilège).

décision citée:

Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2 C.F. 641; (1990), 71 D.L.R. (4th) 253; 45 Admin. L.R. 1; 109 N.R. 357 (C.A.).

doctrine

    Bourinot, John George, Sir. Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, 4th ed. Toronto: Canada Law Book, 1916.

    Erskine May's Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 21st ed. London: Butterworths, 1989.

    Griffith, J. A. G. and M. Ryle. Parliament: Functions, Practice and Procedures. London: Sweet & Maxwell, 1989.

    Halsbury's Laws of England, 4th ed., vol. 34, London: Butterworths, 1997.

    Hatsell, John. Precedents of Proceedings in the House of Commons, 3rd ed. London: T. Payne, 1796.

    Jurisprudence parlementaire de Beauchesne: règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 6e éd. Toronto: Carswell, 1991.

    Maingot, Joseph. Le privilège parlementaire au Canada. Cowansville, Qc: Éditions Yvon Blais, 1987.

    Maingot, Joseph. Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd. Montréal: Les presses universitaires McGill-Queen's, 1997.

    Marleau, R. et C. Montpetit (éditeurs). La procédure et les usages de la Chambre des communes. Ottawa: Chambre des communes, 2000.

    Ward, Norman. Dawson's The Government of Canada, 6th ed. Toronto: University of Toronto Press, 1987.

DEMANDE fondée sur les Règles de la Cour fédérale (1998), visant l'autorisation de délivrer des subpoenas au premier ministre et à un ministre pour qu'ils témoignent devant la Cour. Demande rejetée pour le motif qu'il existe un privilège parlementaire.

ont comparu:

James A. O'Reilly, Ed H. Molstad, c.r., Peter W. Hutchins, Nathan J. Whitling et David L. Sharko pour les demandeurs.

Alan D. Macleod, c.r. et Wendy K. McCallum pour les défendeurs.

Brian R. Evernden pour le procureur général du Canada.

Marvin R. V. Storrow, c.r., Maria A. Morellato et Joseph C. McArthur pour le demandeur dans le dossier T-1254-92.

avocats inscrits au dossier:

O'Reilly & Associés, Montréal, Parlee McLaws LLP et Hutchins Soroko & Grant, Montréal, pour les demandeurs.

Macleod Dixon LLP, Calgary, pour les défendeurs.

Blake, Cassels & Graydon LLP, Vancouver, pour le demandeur dans le dossier T-1254-92.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Teitelbaum:

[1]Les demandeurs, la nation crie Samson (ci-après Samson), sollicitent, en application du paragraphe 41(4) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], une ordonnance autorisant l'administrateur de la Cour à délivrer des subpoenas forçant la comparution du très honorable Jean Chrétien (ci-après le premier ministre) et de l'honorable Robert D. Nault (ci-après le ministre) pour qu'ils témoignent dans le procès de cette action.

[2]Le paragraphe 41(4) est ainsi rédigée:

41. [. . .]

(4) Un subpoena ne peut être délivré sans l'autorisation de la Cour dans les cas suivants:

    [. . .]

    b) pour la comparution d'un témoin qui réside à plus de 800 km du lieu de comparution requis;

En l'espèce, le premier ministre et le ministre résident à plus de 800 km de l'endroit où ils devront se présenter (Calgary) en vertu du subpoena.

[3]Au soutien de sa demande, Samson a déposé l'affidavit de Florence M. Buffalo, établi sous serment le 28 février 2003. Mme Buffalo est une conseillère élue de la nation crie Samson. La Couronne intimée, pour sa part, a déposé l'affidavit de Reinard Kohls, établi sous serment le 17 mars 2003. M. Kohls est le déposant de la Couronne dans la deuxième étape de ce procès, à savoir l'administration de sommes d'argent; il a travaillé de 1956 à 1990 pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, où il a occupé plusieurs postes.

[4]Mme Buffalo et M. Kohls ont été contre-interrogés sur le contenu de leurs affidavits respectifs, Mme Buffalo le 1er avril 2003 et M. Kohls le 2 avril 2003.

[5]Les parties ont présenté à la Cour des pièces et des conclusions approfondies et très complètes. Les plaidoiries ont d'ailleurs occupé un bon pourcentage de la période de 12 jours.

Position de Samson

[6]Samson affirme que les deux témoins proposés, le premier ministre et le ministre Nault, ont des témoignages utiles et importants à produire sur divers aspects du procès (voir l'annexe jointe, pour les paragraphes 8, 9, 10, 11, 12 et 16 de l'affidavit de Mme Buffalo). Samson prétend que le premier ministre a joué, au cours des 25 dernières années, un rôle actif et important dans les politiques et mesures de la Couronne qui concernent Samson et les points soulevés dans ce procès.

[7]S'agissant du ministre Nault, Samson est d'avis qu'il a des témoignages utiles à offrir à la Cour sur la position actuelle et la politique actuelle de la Couronne et du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien se rapportant aux aspects suivants: les liens conventionnels entre la Couronne et Samson, la question du transfert, à Samson, du contrôle des sommes d'argent de Samson, détenues par la Couronne dans le Trésor, l'application de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5), la mise en application du présumé droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, les nouvelles mesures législatives, et enfin la question d'un taux de rendement supérieur.

[8]Samson affirme aussi qu'aucun des témoins proposés ne bénéficie d'un privilège parlementaire qui le dispenserait de comparaître et de témoigner dans une procédure judiciaire. Subsidiairement, s'il existe un tel privilège, Samson affirme qu'il n'est plus nécessaire et qu'il est incompatible avec le principe de la primauté du droit, alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III], et contrevient aux articles 7, 15 ET 35* de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]. Samson prétend aussi que, dans la mesure où il existe un privilège parlementaire permanent, ce privilège fait fi du rôle croissant du droit international et des normes internationales dans le cadre constitutionnel canadien. Par ailleurs, si l'existence d'un tel privilège est avérée et si ledit privilège ne contrevient pas au principe de la primauté du droit, à la Déclaration canadienne des droits, à la Charte, ou à la Loi consitutionnelle de 1982, alors Samson dit que ce privilège devrait être interprété étroitement de manière à ne s'appliquer que lorsque le Parlement siège effectivement, plutôt que lorsqu'il est en session.

Position des défendeurs

[9]La Couronne dit qu'aucun des deux témoins n'a de témoignages utiles à présenter à la Cour. Selon la Couronne, les subpoenas sont demandés dans le seul dessein d'appeler l'attention sur la présente action engagée devant la Cour et de contraindre l'actuel premier ministre et l'actuel ministre des Affaires indiennes à expliquer et à débattre la position juridique et les politiques actuelles et passées de la Couronne. La Couronne dit que les vues personnelles du premier ministre sur ces aspects constituent des éléments qui ne sont ni utiles ni nécessaires. Cependant, si les éléments en question sont jugés utiles, alors la Couronne croit qu'une analyse coûts-avantages montrera que les coûts de tels témoignages l'emportent largement sur leurs avantages et que les témoignages ne devraient pas être admis.

* Note de l'arrêtiste: Article 35 de la Loi consitution-nelle, 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[10]Selon la Couronne, les témoins proposés bénéficient d'un privilège parlementaire qui les dispense de se présenter devant un tribunal pour y témoigner. La Couronne prétend qu'un tel privilège a toujours existé et continue d'exister aujourd'hui. Elle dit également que le privilège s'applique tant que le Parlement est en session, de même que durant les 40 jours qui précèdent l'ouverture de la session et les 40 jours qui suivent la clôture de la session.

Points en litige

[11]Les points soulevés par cette demande sont les suivants: les dépositions des témoins proposés sont-elles utiles et recevables? Les témoins proposés sont-ils, en vertu d'un privilège parlementaire, dispensés de comparaître pour témoigner?

[12]Les parties ont présenté dans cet ordre leurs arguments à la Cour, mais j'examinerai d'abord le deuxième point, à savoir la question du privilège parlementaire.

Analyse

[13]Le champ du contrôle judiciaire du privilège parlementaire se limite à la seule question de savoir si le privilège existe et, dans l'affirmative, quelle est son étendue. Les tribunaux ne peuvent se mêler de l'exercice d'un privilège après qu'il est jugé nécessaire. Dans l'affaire Stockdale v. Hansard (1839), 9 Ad. & E. 1; 112 E.R. 1112 (Q.B.), lord Denman expliquait ainsi le critère de nécessité, à la page 1169:

[traduction] Si la nécessité peut être établie, il n'y a rien d'autre à dire: elle est le fondement de tout privilège parlementaire, et elle justifie tout ce qu'il requiert.

[14]L'arrêt de principe de la jurisprudence canadienne en matière de privilège parlementaire est l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319; le juge McLachlin (son titre à l'époque) écrivait, à la page 383:

Le critère de nécessité est appliqué non pas comme une norme pour juger le contenu du privilège revendiqué, mais pour déterminer le domaine nécessaire de compétence «parlementaire» ou «législative» absolue et exclusive. Si une question relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l'efficacité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, les tribunaux n'examineront pas les questions relatives à ce privilège. Toutes ces questions relèveraient plutôt de la compétence exclusive de l'organisme législatif.

[15]Puis le juge McLachlin poursuivait ainsi, aux pages 384 et 385:

La seule chose qui peut être examinée par le tribunal est à l'étape initiale de l'examen de la compétence: le privilège revendiqué est-il un des privilèges nécessaires pour que la législature soit capable de fonctionner? L'exercice particulier d'un privilège nécessaire ne saurait alors faire l'objet d'un examen, sauf si la retenue manifestée et la conclusion formulée à l'étape initiale sont rendues inopérantes.

En résumé, il semble évident que, du point de vue historique, les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents qui peuvent être nécessaires à leur bon fonctionnement. Ces privilèges font partie de notre droit fondamental et sont donc constitutionnels. Les tribunaux peuvent déterminer si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, mais ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément au privilège est bonne ou mauvaise. [Non souligné dans l'original.]

[16]Une définition générale du privilège parlementaire figure dans l'ouvrage de Joseph Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, 2e édition (Chambre des communes et McGill-Queen's University Press, 1997), à la page 12:

Le privilège parlementaire est l'indispensable immunité que le droit accorde aux membres du Parlement et aux députés des dix provinces et des deux territoires pour leur permettre d'effectuer leur travail législatif. C'est également l'immunité que la loi accorde à tous ceux qui prennent part aux délibérations du Parlement ou d'une assemblée provinciale. Il inclut en outre le droit, le pouvoir et l'autorité en vertu desquels chaque Chambre du Parlement et chacune des 12 assemblées législatives peut remplir les fonctions que lui assigne la Constitution. Finalement, chaque Chambre du Parlement et chaque assemblée législative a l'autorité et le pouvoir de mettre en oeuvre cette immunité et de préserver son intégrité.

[17]On trouve dans Erskine May's Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 21e édition ( Londres: Butterworths, 1989), aux pages 69 et 82, la définition suivante:

[traduction] Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers dont bénéficient chacune des Chambres collectivement en tant que partie intégrante de la Haute Cour du Parlement, ainsi que les membres de chaque Chambre individuellement, droits sans lesquels ils ne pourraient s'acquitter de leurs fonctions et qui dépassent les droits dont jouissent d'autres organes ou individus. Le privilège parlementaire, bien que partie des lois nationales, constitue dans une certaine mesure une disposition exorbitante du droit commun.

    [. . .]

[. . .] les privilèges du Parlement sont des droits «absolument nécessaire pour le bon accomplissement de ses pouvoirs» [. . .]

J'observe que cette définition du privilège figure également dans Jurisprudence parlementaire de Beauchesne: règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 6e édition (Toronto: Carswell, 1991), à la page 11.

[18]Le texte Bourinot, Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, 4e édition (Toronto: Canada Law Book, 1916), aux pages 37 et 38 et 43, définissait ainsi le privilège:

[traduction] Les privilèges du parlement englobent les droits qui sont nécessaires pour qu'il puisse agir librement à l'intérieur de sa compétence, ainsi que les pouvoirs nécessaires pour qu'il puisse donner effet à ces droits s'ils sont contestés. Ces privilèges et pouvoirs sont présumés fondamentaux, ils ont été consacrés par la coutume et par l'usage et ils ont été confirmés et élargis par des textes législatifs. Leur étendue et leur nature ont souvent prêté à controverse, mais, pour l'essentiel, elles sont fixées par l'organe législatif lui-même, dont les décisions, en règle générale, ne peuvent être mises en doute par un tribunal ou autre instance, ce qui n'empêche pas les tribunaux d'examiner si l'organe législatif a effectivement agi dans le respect de ses pouvoirs.

    [. . .]

Les privilèges personnels des membres visent à leur permettre d'occuper sans entrave leurs places au parlement, à les garantir de toute contrainte ou intimidation dans l'accomplissement de leurs tâches et à préserver leur liberté d'expression dans les débats du parlement. Le privilège a toujours été vu comme un moyen de protéger les membres contre l'arrestation et l'emprisonnement par action civile, que ce soit à l'initiative d'une personne ou à celle du public.

[19]Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., aux pages 378 et 379, le juge McLachlin écrivait:

Dans ce contexte, le terme «privilège» indique une exemption légale d'une certaine obligation, charge, participation ou responsabilité auxquelles les autres personnes sont assujetties. Il est accepté depuis longtemps que, pour exercer leurs fonctions, les organismes législatifs doivent bénéficier de certains privilèges relativement à la conduite de leurs affaires. Il est également accepté depuis longtemps que, pour être efficaces, ces privilèges doivent être détenus d'une façon absolue et constitutionnelle; la branche législative de notre gouvernement doit jouir d'une certaine autonomie à laquelle même la Couronne et les tribunaux ne peuvent porter atteinte.

[20]Le cadre législatif et constitutionnel du privilège parlementaire se trouve à la fois dans le préambule et dans l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. Le préambule dit que les auteurs de notre Constitution voulaient «une Constitution reposant sur les mêmes principes que celui du Royaume-Uni». L'article 18 est ainsi rédigé:

18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs seront ceux prescrits de temps à autre par acte du Parlement du Canada; ils ne devront cependant jamais excéder ceux possédés et exercés, lors de la passation du présent acte, par la chambre des communes du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette chambre.

[21]Cet article a été abrogé par le Parlement du Royaume-Uni en 1875 [L.R.C. (1985), appendice II, no 13] et reformulé de la manière suivante:

18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada, mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre. [Non souligné dans l'original.]

[22]Conformément à l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, a été adopté:

4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants:

    a) d'une part, ceux que possédaient, à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette Loi;

    b) d'autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu'ils n'excèdent pas ceux que possédaient, à l'adoption de ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.

[23]L'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada est ainsi formulé:

5. Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie intégrante du droit général et public du Canada et n'ont pas à être démontrés, étant admis d'office devant les tribunaux et juges du Canada.

[24]Avant de se demander si le privilège parlementaire revendiqué ici existe effectivement, il convient de résoudre une question préliminaire: le Parlement a-t-il défini ses privilèges, pouvoirs et immunités en conformité avec l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, modifié en 1875? Selon Samson, la réponse est négative, et l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada est inconstitutionnelle car il n'est pas conforme au nouveau texte de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[25]Il est clair que le Parlement a défini ses privilèges, pouvoirs et immunités en 1867 en transposant dans le droit canadien tous les privilèges, pouvoirs et immunités que possédait le Parlement du Royaume-Uni, soit en vertu d'une loi, soit par résolution, soit par l'effet de la coutume et de l'usage. L'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 reconnaît aussi des privilèges inhérents et permet l'ajout de privilèges d'origine législative, sous réserve des limites imposées par cette disposition. J'observe que, à la page 375 de l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., le juge McLachlin s'était exprimée ainsi:

À mon avis, loin de contredire la proposition que le Parlement et les législatures possèdent des privilèges constitutionnels inhérents, le texte de notre Constitution écrite l'appuie.

[26]L'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada ne semble nullement incompatible avec l'article 18 modifié, qui prévoyait que, lorsque le Parlement adopterait une loi définissant des privilèges, il ne pourrait définir ces privilèges d'une manière plus étendue que ceux qui existaient au moment de l'adoption de la loi. La Loi sur le Parlement du Canada a été adoptée en 1868 [Acte pour définir les privilèges, immunités et attributions du Sénat et de la Chambre des Communes, et pour protéger d'une manière sommaire les personnes chargées de la publication des documents parlementaires, 31 Vict., ch. 23] et elle suivait le texte de l'article 18, en ce sens que le Parlement du Canada entendait bénéficier des mêmes privilèges que ceux qui existaient à cette époque, en 1867, au sein du parlement du Royaume-Uni. Cela est conforme au texte de l'article 18 modifié en 1875. Je n'accepte donc pas l'argument de Samson selon lequel l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada serait inconstitutionnel et par conséquent inopérant.

[27]Le privilège parlementaire allégué, et contesté, dans le cas qui nous occupe est celui qui consiste à être dispensé de l'obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal tant que le Parlement est en session. La Cour doit donc d'abord se demander si un tel privilège existait au Royaume-Uni au moment de la Confédération.

[28]Le privilège parlementaire fut essentiellement le produit d'une convention existant au Royaume-Uni, et la jurisprudence et la doctrine en la matière sont rares, comme le faisait observer le juge Low dans l'arrêt Ainsworth Lumber Co. Ltd. v. Canada (Attorney General) (2003), 226 D.L.R. (4th) 93 (C.A.C.-B), au paragraphe 44:

[traduction] Pour connaître la nature et l'étendue du privilège parlementaire revendiqué en l'espèce, il faut découvrir le privilège qui existait au Royaume-Uni au moment de la Confédération. Pour l'essentiel, le privilège dont il est question ici n'est pas défini par la loi. Il semble avoir une origine conventionnelle et il existe très peu de sources sur le sujet. Les auteurs énoncent le privilège de diverses manières, en citant très peu de sources.

Néanmoins, dans l'arrêt Ainsworth, la Cour d'appel de la C.-B. a jugé qu'il existe un privilège parlementaire qui dispense les députés de répondre à des assignations à comparaître comme témoins devant un tribunal tant que le Parlement est en session. La Cour d'appel de la C.-B. s'est référée au texte de Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, 1987, à Erskine May's Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 21e édition, ainsi qu'à Halsbury's Laws of England, 4e édition (Londres: Butterworths, 1997), volume 34, page 561.

[29]Dans l'édition 1987 du texte de Maingot, il est fait mention, à la page 155, de Hatsell, Precedents of Proceedings in the House of Commons, 3e édition (Londres: T. Payne, 1796), volume 1, pages 1-2, Hatsell écrivait:

[. . .] il est encore plus essentiel [. . .] que rien ne puisse empêcher les personnes qui la composent de s'acquitter de leur important devoir, et qu'elles soient, pendant un certain temps, exemptées des obligations qui ne sont pas aussi immédiatement nécessaires au service de la nation. Sur la base de ces principes, on a toujours admis que les membres des deux Chambres soient exemptés, pendant qu'ils participent aux travaux du Parlement, de leurs obligations ordinaires et qu'ils ne soient pas tenus de se soumettre à certaines procédures judiciaires auxquelles les autres citoyens, à qui ce précieux privilège n'a pas été accordé, sont assujettis par la loi.

[30]Maingot fait observer, à la page 161 de l'édition de 1987 de son ouvrage, que le Parlement a le droit prépondérant de compter sur la présence et le service de ses membres. Voilà donc la justification du privilège parlementaire particulier qui est en cause dans la présente demande (voir aussi sur ce point la référence susmentionnée à Halsbury's Laws of England).

[31]Dans l'ouvrage de Griffith et Ryle, Parliament: Functions, Practice and Procedures (Londres: Sweet et Maxwell, 1989), aux pages 86 et 87, on mentionne également que les parlementaires sont dispensés d'obéir aux subpoenas.

[32]On s'est interrogé en Grande-Bretagne sur la question de savoir si ce privilège particulier devrait subsister, mais aucune loi n'a été adoptée qui réduit ou éteint ce privilège. Il a toujours existé en Grande-Bretagne et il continue d'exister aujourd'hui; ainsi, en vertu de l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, ce privilège est un privilège que possède aujourd'hui les parlementaires canadiens.

[33]La durée de ce privilège parlementaire est un autre aspect sujet à controverse. Dans l'arrêt Ainsworth, la Cour d'appel de la C.-B. a jugé que le privilège ne s'appliquait que lorsque le Parlement est en session, et non aux périodes qui précèdent le début d'une session ou qui suivent sa prorogation. Elle s'est fondée sur plusieurs textes canadiens, qui mentionnent simplement que le privilège s'applique lorsque la Chambre est en session, textes que je reproduis ici par commodité.

[34]L'ouvrage de Bourinot, Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, précise ce qui suit, aux pages 45 et 46:

[traduction] Le privilège qui consiste à dispenser les députés de servir comme jurés ou de comparaître comme témoins au cours d'une session du parlement est bien établi, et il existe des précédents où la Chambre des communes, en Angleterre, a sanctionné des personnes qui avaient signifié des subpoenas à ses membres.

[35]Dans l'ouvrage de Norman Ward, Dawson's The Government of Canada, 6e édition (Toronto: University of Toronto Press, 1987), à la page 115, on peut lire ce qui suit:

[traduction] Un député n'est pas tenu d'être membre d'un jury durant la session; il ne peut non plus durant la session être contraint de comparaître comme témoin devant un tribunal, mais, si cela est nécessaire, la Chambre l'autorisera à s'absenter à cette fin.

[36]Finalement, dans l'ouvrage intitulé La procédure et les usages de la Chambre des communes, R. Marleau et C. Montpetit, éditeurs (Ottawa: Chambre des communes, 2000), on peut lire, à la page 81:

Étant donné le droit prioritaire de la Chambre de bénéficier de la présence et des services de ses députés quand elle est en session, ceux-ci sont alors exemptés de l'obligation normalement imposée à tout citoyen de se conformer à une citation à comparaître comme témoin devant un tribunal.

[37]Aucun de ces textes ne fait état de l'inclusion d'une période antérieure ou postérieure durant laquelle subsisterait le privilège en question.

[38]Cependant, l'ouvrage de Maingot mentionne, à la page 161 de l'édition de 1997 (voir aussi la page 158 de l'édition de 1987), que le privilège subsiste durant 40 jours avant et après une session:

Au Canada, la décision R. c. Gamble et Boulton a établi le principe selon lequel la durée du privilège est la même qu'au Royaume-Uni, soit 40 jours avant et après une session et 40 jours après la dissolution du Parlement.

[39]L'affaire R. c. Brown, (2001), 197 Nlfd. & P.E.I.R. 285 (C.S. 1re inst. Î.P.-É.) est un autre cas récent portant sur le même privilège parlementaire. Le premier ministre avait demandé l'annulation d'un subpoena que l'accusé lui avait fait délivrer. L'origine de l'affaire était un incident au cours duquel l'accusé avait jeté une tarte au visage du premier ministre. Le juge en chef MacDonald a annulé le subpoena, notamment parce qu'il contrevenait au privilège parlementaire. S'appuyant sur l'édition de 1982 de l'ouvrage de Maingot et sur l'affaire Regina v. Gamble & Boulton (1851), 9 U.C.Q.B. 546, la Cour s'est exprimée ainsi, au paragraphe 24:

[traduction] Cette immunité qui dispense un député de comparaître comme témoin devant une cour de justice dans un procès criminel s'étend quarante jours avant et quarante jours après une session du Parlement, et quarante jours après sa dissolution.

[40]Finalement, il y a l'affaire Telezone Inc. v. Canada (Attorney General), [2003] O.J. no 2543 (C.S.J.) (QL). Dans cette affaire, le juge Backhouse a estimé que le droit de ne pas comparaître comme témoin est un privilège parlementaire reconnu. Cependant, ajoutant une autre difficulté au débat, il a jugé que le privilège ne s'applique qu'à la période au cours de laquelle le Parlement siège effectivement, et durant 14 jours après la suspension de ses travaux. La Cour supérieure de l'Ontario [au paragraphe 8] s'est appuyée sur le passage suivant figurant à la page 100 de l'ouvrage Erskine May's Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 21e éd.:

[traduction] Mais le privilège qui consiste à dispenser un député de comparaître comme témoin a été affirmé par la Chambre selon le même principe que d'autres privilèges personnels, à savoir le droit supérieur du Parlement à la présence et aux services de ses membres; et, lorsque l'affaire est soulevée par le membre concerné, le Président de la Chambre communique avec le tribunal pour appeler son attention sur ce privilège et pour lui signifier que le membre devrait être excusé en raison de la séance de la Chambre.

[41]Le juge Backhouse a estimé que l'emploi par Maingot des mots «en session», dans son ouvrage, à la page 134, équivalait au mot «séance», employé par May. Pour la période de 14 jours, le juge Backhouse s'en est remis au préambule du Parliamentary Privilege Act, 1770 (R.-U.), 10 Geo. III, ch. 50. Par souci de commodité et de clarté, à défaut de brièveté, je reprends ici ce préambule:

[traduction]

Loi visant à prévenir les délais de la justice entraînés par le privilège parlementaire.

Attendu que plusieurs lois en vigueur visant à restreindre le privilège parlementaire, en ce qui a trait aux actions ou procédures engagées et continuées à tout moment après la dissolution ou la prorogation du Parlement, jusqu'à ce qu'un nouveau Parlement s'assemble, ou jusqu'à ce que le même Parlement s'assemble de nouveau; ainsi qu'après la suspension des travaux des deux Chambres du Parlement pour une durée supérieure à quatorze jours, jusqu'à ce que les deux Chambres se réunissent ou s'assemblent, ne suffisent pas à supprimer les inconvénients qui résultent des délais causés aux procès en raison du privilège parlementaire; délais qui font souvent perdre aux parties l'avantage de plusieurs sessions judiciaires: pour prévenir les délais que le Roi ou ses sujets pourraient subir dans la mise à exécution de leurs droits, titres, créances, redevances, mises en demeure ou procès pour lesquels ils ont cause; il est décrété par sa Très Excellente Majesté le roi, sur l'avis et du consentement des lords spirituels et temporels, ainsi que des Communes, en ce Parlement assemblés, et sous leur autorité, que, à compter du vingt-quatrième jour de juin mil sept cent soixante-dix, toute personne pourra en tout temps engager et poursuivre toute action ou procédure devant une cour d'archives, d'equity ou d'amirauté, et dans toute cause de nature matrimoniale ou testamentaire, devant tout tribunal compétent dans les affaires matrimoniales et testamentaires, à l'encontre de tout pair ou lord du Parlement de Grande-Bretagne, ou à l'encontre de l'un quelconque des chevaliers, citoyens et députés, ainsi que les commissaires des comtés et villes de la Chambre des communes de Grande-Bretagne, ou à l'encontre de l'un quelconque de leurs domestiques ou autres serviteurs ou toute autre personne fondés au privilège du Parlement de Grande-Bretagne; et nulle action, procédure ou autre voie de droit ne pourra dès lors être empêchée, suspendue ou retardée de quelque manière en raison d'un privilège du Parlement.

[42]Pour récapituler, brièvement, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé, dans l'arrêt Ainsworth, que le privilège s'applique lorsque le Parlement est en session; la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard a jugé, dans l'affaire Brown, que le privilège s'applique lorsque le Parlement est en session, ainsi que durant 40 jours avant et après une session; et finalement, la Cour supérieure de l'Ontario a jugé, dans l'affaire Telezone, que le privilège ne s'applique que lorsque le Parlement siège et durant 14 jours après la suspension de ses travaux.

[43]Je suis d'avis que le privilège existe et a toujours existé, et qu'il subsiste pendant la durée d'une session, par opposition à la notion plus étroite de «séance» employée dans l'affaire Telezone. Je souscris aux propos du juge Low, dans l'arrêt Ainsworth, au paragraphe 56, et je les fais miens:

[traduction] Lorsque le Parlement est en session, il peut être appelé à siéger n'importe quand. Lorsqu'il est en session, il est assemblé, qu'il siège effectivement ou non [. . .] Les travaux du Parlement et les tâches des parlementaires ne cessent pas du seul fait que le Parlement, au cours d'une session, ne siège pas effectivement.

[44]Appliquant le critère de nécessité, je suis d'avis que ce privilège entre tout à fait dans le champ de compétence du Parlement. Pour que le Parlement fonctionne, il lui faut la présence de ses membres; sans eux, pour reprendre les mots du juge McLachlin dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, on ne saurait parler de dignité et d'efficacité de la Chambre. Sans ce privilège parlementaire, il est possible que l'une ou l'autre des chambres se trouverait désertée par ses membres, obligés de répondre à des subpoenas, au point que le Parlement serait paralysé.

[45]Quant à la durée du privilège, je suis d'avis qu'un délai additionnel est nécessaire, constitué par une période antérieure au début d'une session et par une autre postérieure à la clôture de la session. Je ne partage pas cependant le raisonnement du juge Backhouse sur ce point, et je ne m'en remets pas au préambule du Parliamentary Privilege Act, 1770. Cette loi concerne le privilège qui établissait une immunité à l'encontre de procédures engagées durant le service parlementaire; elle abolissait ce privilège, et les parlementaires pouvaient ainsi être poursuivis à tout moment. Avec le perfectionnement des moyens de transport et de communication, ce qui semble être, selon certaines sources, l'ancienne règle des 40 jours avant et après une session parlementaire n'est plus aujourd'hui nécessaire. Cependant, un délai est nécessaire, que ce soit pour conclure les travaux d'une session ou pour préparer le début d'une session. Une période raisonnable, par conséquent, est une période de 14 jours; je suis donc d'avis que le privilège s'étend au-delà d'une session, pour comprendre 14 jours avant le début d'une session et 14 jours après sa clôture.

[46]Finalement, Samson prétend que le privilège parlementaire en question va à l'encontre du principe de la primauté du droit, à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, à l'encontre des articles 7 et 15 de la Charte et l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et à l'encontre du droit international et des normes internationales.

[47]Il ne fait aucun doute que le principe de la primauté du droit fait partie intégrante de notre Constitution. Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1982 renferme en effet l'attendu suivant:

Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit.

[48]Dans l'arrêt Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, aux pages 748 et 749, la Cour suprême du Canada écrivait:

La primauté du droit, qui constitue un principe fondamental de notre Constitution, doit signifier au moins deux choses. En premier lieu, que le droit est au-dessus des autorités gouvernementales aussi bien que du simple citoyen et exclut, par conséquent, l'influence de l'arbitraire [. . .]

En second lieu, la primauté du droit exige la création et le maintien d'un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l'ordre normatif. L'ordre public est un élément essentiel de la vie civilisée.

[49]En l'espèce, je suis arrivé à la conclusion qu'il existe un privilège parlementaire qui dispense les députés de répondre à des subpoenas tant que le Parlement est en session. Ce privilège n'est pas simplement un privilège au sens ordinaire de ce mot, mais il fait également partie de nos lois et ne saurait donc être incompatible avec le principe de la primauté du droit.

[50]L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits est ainsi formulé:

2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme

    [. . .]

    e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;

[51]L'objet de cette disposition est de garantir l'équité des décisions relatives aux droits et obligations des particuliers. Elle concerne l'équité procédurale, qui suppose le droit pour un justiciable d'exposer ses arguments comme il convient; voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2 C.F. 641 (C.A.), à la page 664. L'alinéa 2e) ne saurait autoriser la mise à l'écart d'un privilège parlementaire, lequel, dans le cas qui nous occupe, est considéré comme un produit valide du droit canadien.

[52]Passant aux arguments relatifs à la Charte, le juge McLachlin (son titre à l'époque) écrivait, dans l'arrêt Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, au paragraphe 69:

Vu que le privilège parlementaire jouit d'un statut constitutionnel, il n'est pas «assujetti» à la Charte, comme le sont les lois ordinaires. Le privilège parlementaire et la Charte constituent tous deux des parties essentielles de la Constitution du Canada. Ils ne l'emportent pas l'un sur l'autre. De même qu'il faut maintenir le privilège parlementaire et l'immunité contre l'intervention inappropriée des tribunaux dans le processus parlementaire, il faut aussi maintenir les garanties démocratiques fondamentales de la Charte. Lorsque surgissent des conflits apparents entre différents principes constitutionnels, il convient non pas de résoudre ces conflits en subordonnant un principe à l'autre, mais plutôt d'essayer de les concilier.

[53]Le juge McLachlin en dit davantage sur cet aspect de la conciliation, aux paragraphes 71 et 74:

Pour éviter que des abus sous le couvert d'un privilège éclipsent des droits légitimes garantis par la Charte, les tribunaux doivent examiner la légitimité d'une revendication de privilège parlementaire. Comme notre Cour l'a précisé dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, les tribunaux peuvent, à juste titre, se demander si le privilège revendiqué existe vraiment [. . .]

    [. . .]

Les tribunaux peuvent examiner une mesure ou une décision de la législature pour déterminer si elle relève du privilège parlementaire. Si elle n'en relève pas, ils peuvent effectuer un examen fondé sur la Charte. Si elle en relève, ils doivent laisser à la législature le soin d'examiner cette question.

[54]Puisque je suis déjà arrivé à la conclusion que le privilège parlementaire revendiqué ici entre, en application du critère de nécessité, dans le champ de la compétence du Parlement, il ne m'est pas nécessaire d'entreprendre un examen au regard de la Charte.

[55]Finalement, les divers pactes et instruments internationaux auxquels m'a renvoyé l'avocat de Samson ne me sont pas utiles pour disposer de cette demande. Ils peuvent avoir quelque valeur dans certains contextes, mais ils ne concernent pas la question du privilège parlementaire et, puisque je suis déjà arrivé à la conclusion que le privilège parlementaire revendiqué ici constitue un élément valide du droit canadien, je ne vois pas en quoi le droit international et les normes internationales pourraient être de quelque utilité sur ce point.

[56]Ayant conclu à l'existence du privilège parlementaire, il ne m'est pas nécessaire de me demander si les dépositions des témoins proposés seraient de quelque utilité.

[57]Un autre point, qu'aucune des parties n'a expressément soulevé dans la présente demande, concerne la question de savoir si le privilège parlementaire doit être revendiqué par le député qui allègue le privilège ou bien par le Président de la Chambre, au nom du député.

[58]Puisque je suis d'avis qu'un député fédéral a le droit, pour les motifs susmentionnés, d'alléguer un privilège, je suis d'avis que le député qui revendique le privilège peut le faire de sa propre initiative ou que, de manière générale, le Président de la Chambre peut revendiquer le privilège pour l'ensemble des députés. Il n'importe pas de savoir qui revendique le privilège.

[59]Étant donné que le Parlement est actuellement en session, même s'il ne siège pas effectivement, sans qu'il existe une date ferme en ce qui concerne sa dissolution ou sa prorogation, la présente demande de délivrance de subpoenas en vue de la comparution du premier ministre, le très honorable Jean Chrétien, et de l'actuel ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'honorable Robert D. Nault, à titre de témoins, est rejetée, avec dépens.

    A N N E X E

Les paragraphes suivants sont tirés de l'affidavit de Florence M. Buffalo, établi sous serment le 28 février 2003:

[traduction]

8.      Je sais, et je suis informée par l'avocat des demandeurs Samson, et je crois sincèrement, que nombre des points et des affirmations contenus dans la déclaration modifiée no 4 sont des matières qui entrent dans les connaissances personnelles particulières et dans les responsabilités passées ou actuelles du très honorable Jean Chrétien et du ministre Robert D. Nault, lesquelles sont davantage précisées dans l'avis de requête ci-annexé.

9.     Parmi les points en question, il y a les suivants, qui sont décrits dans la déclaration modifiée no 4:

    a)     conformément au Traité no 6, les demandeurs Samson ont conservé leurs droits ancestraux sur les régions, les terres et les ressources naturelles comprises dans les réserves indiennes de Samson nos 137 et 137A et dans la réserve indienne no 138A du lac Pigeon (paragraphe 4 de la déclaration modifiée no 4);

    b)     conformément au Traité no 6, la demanderesse, la nation indienne de Samson, a conservé ses droits de nation, et notamment son droit à l'auto-détermination, y compris le droit de déterminer sa propre composition, droits qui sont reconnus et confirmés, ainsi que protégés, par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (paragraphe 7 de la déclaration modifiée no 4);

    c)     la nation crie Samson existait en tant que nation en 1876 et 1877 et elle a été reconnue comme telle par la Couronne dans le Traité no 6 et dans l'adhésion de 1877 au Traité no 6 consentie par Kiskaquin (ou Bobtail) au nom de la nation crie Samson, et elle continue d'exister en tant que nation (paragraphe 7A de la déclaration modifiée no 4);

    d)     la nation crie Samson a possédé et elle continue de posséder des droits et pouvoirs ancestraux ou naturels à l'égard de questions telles que la gouvernance, la citoyenneté, la fiscalité, le commerce et la gestion de ses ressources et recettes, et ces droits et pouvoirs naturels ont été confirmés par le Traité no 6, la Proclamation royale de 1763, les traités conclus avec la Compagnie de la Baie d'Hudson et divers instruments constitutionnels (paragraphe 7B de la déclaration modifiée no 4);

    e)     à toutes les époques pertinentes, la défenderesse, Sa Majesté, avait la possession et la responsabilité des réserves, ainsi que des ressources naturelles qui s'y trouvaient, et des redevances, paiements ou sommes qu'elles généraient, à l'usage et au profit des demandeurs, et elle assumait l'une ou plusieurs des obligations suivantes (paragraphe 18 de la déclaration modifiée no 4):

        i.     des obligations fiduciaires;

        ii.     des obligations en equity; et

        iii.     des obligations conventionnelles, constitutionnelles, législatives et de common law;

        envers les demandeurs à l'égard desdites réserves, ainsi que des ressources naturelles qui s'y trouvaient et des redevances, paiements ou sommes qu'elles généraient;

    f)     la défenderesse, Sa Majesté, a manqué à ses obligations envers les demandeurs, notamment à ses obligations fiduciaires et à ses obligations en equity, mentionnées dans le paragraphe précédent, et plus précisément elle a négligé d'agir en fiduciaire prudent et compétent, a négligé d'agir exclusivement pour l'avantage des demandeurs et dans leurs intérêts, a négligé de protéger et de préserver les droits, les intérêts et les biens des demandeurs, a négligé de maximiser les rendements économiques des demandeurs, a négligé de s'occuper desdites réserves, des ressources naturelles qu'elles contenaient et des redevances, paiements ou sommes qu'elles généraient, de la manière la plus avantageuse pour les demandeurs, et a négligé d'en rendre compte (paragraphe 23 de la déclaration modifiée no 4);

    g)     par ailleurs, durant toute la période pertinente, la défenderesse, Sa Majesté, (paragraphe 49 de la déclaration modifiée no 4);

        i)     s'est trouvée en situation de conflit d'intérêts, et cela notamment:

            1.     en se prêtant à elle-même les deniers des demandeurs, à un taux et selon des termes fixés par elle-même et pour son propre intérêt;

            2.     en se plaçant ou en se laissant placer dans une position qui lui permettait d'avoir la haute main sur le financement des programmes et sur les sommes en fiducie et de décider, pour le financement de programmes tels que les programmes de protection sociale, d'employer les deniers publics ou les deniers des demandeurs;

            3.     en protégeant généralement ses propres intérêts au détriment de ceux des demandeurs;

        ii)     a négligé d'informer les demandeurs du conflit d'intérêts dans lequel elle se trouvait, en particulier au regard de l'exécution de programmes et de services et du financement de tels programmes et services pour les demandeurs Samson, a négligé de prendre des mesures adéquates pour corriger ou réduire ce conflit d'intérêts et a négligé de faire passer les intérêts des demandeurs avant ses propres intérêts;

        iii)     a détourné lesdites sommes en fiducie ainsi que sa position fiduciaire à son propre avantage et s'est enrichie injustement:

        1.     en se dispensant des frais d'intérêt et autres, par le fait qu'elle s'est prêté à elle-même les sommes d'argent des demandeurs, à un coût inférieur à ce qu'elle aurait dû payer à des prêteurs indépendants, et à des conditions moins favorables pour les demandeurs que les conditions fixées pour les autres emprunts internes de Sa Majesté;

        2.     en utilisant ou en obligeant les demandeurs à dépenser, notamment par voie de répartitions par habitant, les sommes en fiducie des demandeurs pour des programmes intéressant les demandeurs, au lieu de puiser dans les deniers publics, épargnant ainsi pour elle-même des millions de dollars;

        iv)     s'est injustement enrichie, aux dépens des demandeurs, notamment en se dispensant de l'obligation d'emprunter les sommes correspondant aux sommes portées périodiquement au crédit de la bande demanderesse et aux sommes que Sa Majesté a épargnées, et en utilisant les sommes en fiducie de la bande demanderesse, notamment par des répartitions par habitant, pour le propre avantage de Sa Majesté, et au détriment de l'intérêt des bénéficiaires;

    h)     par ailleurs, à toutes les époques pertinentes, la défenderesse, Sa Majesté, avait et aurait dû exercer le pouvoir, prévu par l'article 4 de la Loi sur les Indiens, de soustraire les demandeurs et leurs deniers aux dispositions des articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens (paragraphe 62 de la déclaration modifiée no 4);

    i)     par ailleurs, les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens violent, transgressent et contredisent la Loi constitutionnelle de 1982, en particulier ses articles 15, 25 et 35, et il est opportun que les articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens soient déclarés invalides, inconstitutionnels et nuls à l'égard des demandeurs et à l'égard des sommes confiées à la défenderesse, Sa Majesté, pour les demandeurs, ou, subsidiairement, qu'ils soient déclarés non applicables, sur le plan constitutionnel, aux demandeurs et à leurs deniers, ou déclarés subordonnés aux droits conventionnels et ancestraux des demandeurs (paragraphe 63 de la déclaration modifiée no 4).

10.     Ainsi que l'indique plus en détail l'avis de questions constitutionnelles, les demandeurs, notamment la nation crie Samson (la demanderesse, la nation et bande indienne de Samson), entendent mettre en doute la validité ou l'applicabilité constitutionnelle de l'article 17 et des articles 61 à 68 de la Loi sur les Indiens, qu'ils jugent incompatibles ou en contradiction avec les droits conventionnels, ancestraux et naturels des demandeurs, avec la Constitution du Canada, notamment les règles non écrites et les principes qui sous-tendent la Constitution du Canada, avec la Proclamation royale de 1763, avec la Loi constitutionnelle de 1867, notamment le préambule, le paragraphe 91(24), les articles 102 à 106, l'article 109, l'article 125 et l'article 132, avec le Décret en conseil de 1870 sur la terre de Rupert et le territoire du Nord-Ouest, avec le Traité no 6 et les adhésions à ce traité, avec les articles 10 et 11 de la Loi constitutionnelle de 1930 (Convention de l'Alberta sur le transfert des ressources naturelles), avec la Loi constitutionnelle de 1982, notamment l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ou avec le principe de la primauté du droit, notamment le principe de l'égalité devant la loi (premier paragraphe de l'avis de questions constitutionnelles).

11.     Je suis informée par l'avocat des demandeurs Samson, et je crois sincèrement, que le très honorable Jean Chrétien et l'honorable Robert D. Nault sont à même de témoigner et que leurs témoignages sont nécessaires pour que soient résolus équitablement et efficacement certains des points soulevés dans les procédures écrites de la présente action, en ce qui a trait aux aspects généraux, constitutionnels et historiques et en ce qui a trait aux questions touchant la gestion des deniers.

12.     Je suis informée par l'avocat des demandeurs Samson, et je crois sincèrement, que les demandeurs Samson ont besoin des témoignages du très honorable Jean Chrétien et de ceux de l'honorable Robert D. Nault en ce qui a trait aux points suivants soulevés dans la présente instance:

    a)     la relation conventionnelle entre les demandeurs Samson et la Couronne,

    b)     la politique de la Couronne fédérale et la mise en oeuvre, par la Couronne fédérale, du Traité no 6 en ce qui a trait aux demandeurs Samson,

    c)     la mise en oeuvre, par la Couronne fédérale, de la Loi sur les Indiens et de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, dans la mesure où ces textes de loi peuvent influer sur ladite relation conventionnelle et sur les droits conventionnels des demandeurs Samson,

    d)     la politique et la conduite de la Couronne fédérale en ce qui a trait à la mise en oeuvre des droits naturels à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale des demandeurs Samson,

     e)     la relation fiduciaire entre la Couronne fédérale et les demandeurs Samson en ce qui a trait aux ressources naturelles de la réserve indienne no 138A du lac Pigeon et de la réserve indienne de Samson no 137, ressources dont les demandeurs Samson ont l'usufruit et qui sont l'objet de la présente instance,

    f)     le traitement, par la Couronne fédérale, des redevances tirées de la mise en valeur des ressources naturelles desdites réserves,

    g)     la position de la Couronne fédérale au regard du transfert immédiat aux demandeurs Samson (pour qu'elles soient détenues en fiducie) des redevances des demandeurs Samson, soit quelque 370 millions de dollars actuellement sous la garde de la Couronne et utilisés par elle sans le consentement des demandeurs Samson,

    h)     l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques du gouvernement fédéral relatives aux peuples autochtones et s'appliquant aux demandeurs Samson, dans la mesure où telles politiques intéressent l'objet de la présente instance,

    i)     les mesures législatives en cours qui intéressent les questions constitutionnelles soulevées dans la présente instance, notamment la préséance des droits conventionnels et ancestraux des demandeurs Samson sur la Loi sur les Indiens,

    j)     les mesures législatives actuelles qui intéressent les demandeurs Samson et leurs droits, notamment le projet de loi C-7 et le projet de loi C-19, et

    k)     la position et la politique de la Couronne fédérale au regard des conclusions et du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones d'octobre 1996.

    [. . .]

16.     Je sais de manière générale et suis informée par l'avocat des demandeurs Samson, et je crois sincèrement, que le très honorable Jean Chrétien a une connaissance personnelle tout à fait particulière de la manière dont se sont développées les relations entre la Couronne et les peuples autochtones durant la période qui s'est écoulée depuis la fin des années 1960. Il est tout probablement celui qui est intervenu le plus intimement, au nom de la Couronne, dans les décisions se rapportant aux sujets évoqués dans les paragraphes 12 à 14 de la présente annexe. Il est donc tout à fait qualifié pour témoigner en faveur des demandeurs sur les sujets de la présente instance.

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