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T-194-97

2003 CF 873

Banque Canadienne Impériale de Commerce (demanderesse)

c.

Les propriétaires et toutes les autres parties ayant un intérêt dans les navires Le Chêne No1 , L'Orme No1, Le Saule No1 et le W. M. Vacy Ash (défendeurs)

Répertorié: Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Le Chêne no 1 (Le) (C.F.)

Cour fédérale, juge Snider--Toronto, 2 juin; Ottawa, 14 juillet 2003.

Droit maritime -- Privilèges et hypothèques -- Un employé réclamait des salaires impayés pour ses services sur les navires défendeurs -- Ces montants seraient garantis par un privilège maritime grevant le produit de la vente des navires -- Il ne pouvait pas réclamer un montant représentant les primes annuelles mais il avait droit à une indemnité pour licenciement abusif -- Portée de la compétence en droit maritime -- Évolution de l'interprétation du mot «salaire» -- Un privilège maritime se rattache à une indemnité pour licenciement abusif -- Le facteur clé de la question de savoir si un privilège maritime existe réside dans le service effectué sur le navire -- Un lien a été établi entre le service et les navires défendeurs -- Le privilège se rattache au navire sur lequel l'employé aurait travaillé s'il n'y avait pas eu licenciement abusif -- L'indemnité pour licenciement abusif devra être versée à l'employé en priorité par rapport à la réclamation de la CIBC.

Il s'agissait d'une requête visant à faire infirmer la décision du protonotaire portant sur le paiement de primes et sur un privilège maritime revendiqués par le requérant Donald MacKenzie. Celui-ci est un mécanicien en chef qui a travaillé pendant de nombreuses années sur des navires possédés et exploités par Socanav Inc., grande société commerciale de Montréal qui exploite des pétroliers. Il a commencé à travailler pour Socanav le 1er juillet 1985. Sur les 12 années écoulées depuis ce jour, le requérant a été membre d'équipage des navires défendeurs pendant huit ans. Au moment de son licenciement, il travaillait sur le navire Le Chêne no 1. Étant donné que Socanav avait des difficultés financières, elle a conclu une entente à court terme avec une société à numéros pour l'exploitation des navires défendeurs et le paiement de tous les coûts liés à leur entretien. Cette entente a expiré au début de janvier 1997, et l'emploi du requérant a pris fin peu de temps après. Quelques semaines plus tard, la Cour supérieure du Québec, siégeant en matière de faillite, a prononcé la faillite de Socanav, rétroactivement à la date de production de son avis d'intention de présenter une proposition aux créanciers (le 20 septembre 1996). Le produit de la vente des navires défendeurs, soit 2,7 millions de dollars, a été versé à la Cour, en attente du règlement des réclamations des tiers. Le demandeur a réclamé des salaires impayés pour ses services et, selon lui, ces montants sont garantis par un privilège maritime grevant le produit de la vente des navires défendeurs. Sa réclamation était en concurrence avec celle de la demanderesse dans l'action principale, la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC) qui prétendait avoir priorité vu ses hypothèques grevant les navires défendeurs. Le protonotaire a décidé que le requérant n'avait pas droit à des primes annuelles, qu'il avait droit à une indemnité pour licenciement abusif et que les montants réclamés ne donnaient pas droit à un privilège maritime.

Jugement: la requête est accueillie quant au privilège maritime revendiqué par le requérant pour la réclamation d'une indemnité.

Il y a lieu de faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la décision d'un protonotaire. Sauf si elle s'appuyait sur un principe erroné ou sur une mauvaise compréhension des faits, la décision du protonotaire Lafrenière relativement au droit du requérant au paiement des primes ne devrait pas être modifiée. Cependant, les questions liées à l'indemnité pour licenciement abusif et au privilège maritime, s'appuyant en grande partie sur une interprétation correcte du droit applicable, devraient être examinées de nouveau. Quant à la conclusion du protonotaire sur la question des primes annuelles, le requérant n'a pu déterminer d'erreur précise et n'a fait que mentionner la même preuve que le protonotaire avait examinée. En conséquence, il convient de ne pas infirmer cette conclusion. De même, le protonotaire a conclu à bon droit que le requérant avait droit à une indemnité pour licenciement abusif, étant donné que la relation d'emploi a été terminée du fait de l'employeur, que le licenciement n'était pas motivé et a été fait sans préavis.

La question de savoir si les montants réclamés donnaient droit à un privilège maritime doit être examinée dans le contexte de la compétence en droit maritime. La portée de la compétence en droit maritime relative aux droits des marins s'est élargie dans le but d'assurer le traitement le plus équitable possible des personnes qui travaillent à bord des navires. Dans le passé, seuls les salaires directement gagnés sur les navires en question étaient protégés. Cependant, l'interprétation du mot «salaire» s'est élargie afin de s'adapter à la nature changeante de l'emploi en général et des droits des marins en particulier. Ainsi, le concept de «salaire» comporte une indemnité pour licenciement abusif dans la mesure où cette indemnité découle des faits. Le droit canadien semble avoir accepté qu'un privilège maritime se rattache à une indemnité pour licenciement abusif. Lorsqu'il est lu en corrélation avec les paragraphes 22(1), 43(2) et 43(3) de la Loi sur les Cours fédérales, l'alinéa 22(2)o) de cette Loi donne naissance à un privilège d'origine législative pour «une demande formulée par un capitaine, un officier ou un autre membre de l'équipage d'un navire relativement au salaire, à l'argent, aux biens ou à toute autre forme de rémunération ou de prestations découlant de son engagement». Les indemnités pour licenciement abusif seraient généralement incluses à titre d'«autre forme de rémunération ou de prestations». Un privilège maritime peut trouver sa source dans une réclamation d'indemnité pour licenciement abusif puisque ces indemnités font partie du salaire gagné à bord d'un navire. Le facteur clé de la question de savoir si un privilège maritime existe réside dans le service effectué sur le navire. Le privilège ne dépend pas de la personne qui a embauché le marin et trouve sa source indépendamment du contrat. Si, durant la période pertinente, le réclamant offrait ses services sur le navire à titre de membre d'équipage, il a le droit de voir un privilège maritime grever son salaire en ce qui concerne la période examinée, conformément à son contrat. Le droit à un privilège maritime ne dépend pas de la nature des arrangements contractuels du marin. Le service du requérant se rapportait à un ou plusieurs des navires défendeurs à titre de membre d'équipage. On a retenu ses services pour travailler à titre de membre d'équipage sur l'un des navires de Socanav et, au moment de son licenciement, il était membre d'équipage de l'un des navires défendeurs. Ces faits établissent un lien entre les services du requérant et les navires défendeurs. Le requérant avait droit à une période d'avis raisonnable lorsqu'il a été licencié. Un privilège maritime existait, peu importe s'il avait réellement travaillé pendant la période d'avis ou s'il avait reçu un salaire à titre d'avis au moment du licenciement. En général, le privilège maritime gréve le navire sur lequel le requérant aurait travaillé s'il n'y avait pas eu licenciement abusif. En l'espèce, il s'agit du navire Le Chêne no 1. Pour ce qui est du montant de l'indemnité, les parties se sont entendues pour dire que, si le bien-fondé d'une réclamation pour licenciement abusif était reconnu selon les faits, un salaire de huit mois à titre d'avis serait approprié. Ce montant devrait être versé au requérant en priorité par rapport à la réclamation de la CIBC.

lois et règlements

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), art. 22(1) (mod., idem, art. 31), (2)o), 43(2) (mod., idem, art. 40), (3) (mod., idem).

Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2).

jurisprudence

décisions appliquées:

Halcyon Skies, The, [1976] 1 Lloyd's Rep. 461 (Q.B.D.); Llido c. Lowell Thomas Explorer (Le), [1980] 1 C.F. 339 (1re inst.); Ever Success, The, [1999] 1 Lloyd's Rep. 824 (Q.B.).

distinction faite d'avec:

Tacoma City, The, [1991] 1 Lloyd's Rep. 330 (C.A.).

décisions citées:

Demetries Karamanlis c. Norsland (Le), [1971] C.F. 487 (1re inst.); Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.); Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndic) (2000), 16 C.B.R. (4th) 188 (C.F. 1re inst.).

doctrine

Tetley, William. Maritime Liens and Claims, 2nd ed. Montréal: International Shipping Publications, 1998.

REQUÊTE visant à faire infirmer la décision du protonotaire ((2003), 41 C.B.R. (4th) 13; 229 F.T.R. 181) portant que le requérant n'avait pas droit à des primes annuelles, qu'il avait droit à une indemnité pour licenciement abusif et que les montants réclamés ne donnaient pas droit à un privilège maritime. La requête est accueillie quant au privilège maritime revendiqué par le requérant pour la réclamation d'une indemnité.

ont comparu:

Edouard Baudry pour la demanderesse.

Garri Benjamin Hendell pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Lavery, de Billy, Montréal, pour la demanderesse.

Borden Ladner Gervais s.r.l., Toronto, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Snider: Le mécanicien en chef Donald MacKenzie a travaillé pendant de nombreuses années sur des navires possédés et exploités par Socanav Inc. (Socanav). Il soutient qu'il a le droit de recevoir des salaires impayés pour ses services et qu'en outre, ces montants sont garantis par un privilège maritime grevant le produit de la vente des navires Le Chêne no 1, L'Orme no 1 et Le Saule no 1 (les navires défendeurs). La réclamation de M. MacKenzie est en concurrence avec celle de la demanderesse, la Banque Canadienne Impériale de Commerce (la CIBC) qui prétend avoir priorité vu ses hypothèques grevant les navires défendeurs.

[2]Au moment où la requête a été déposée devant le protonotaire Lafrenière par M. MacKenzie, le montant en litige s'élevait à 73 286,84 $, moins les avantages reçus au titre de l'emploi, plus les intérêts et les dépens. Le montant consiste en deux types de paiements: une somme pour primes impayées et huit mois de salaires à titre d'indemnité pour licenciement abusif. La décision du protonotaire Lafrenière, en date du 10 mars 2003 et publiée sous le nom Banque canadienne impériale de commerce c. Le Chêne no 1 (Le) (2003), 41 C.B.R. (4th) 13 (C.F. 1re inst), peut être résumée de la façon suivante:

1. La réclamation de 12 500 $ de M. MacKenzie en primes n'était pas appuyée par la preuve et a été rejetée.

2. La réclamation de M. MacKenzie pour obtenir une indemnité en raison du fait que l'employeur ne lui a pas donné un avis adéquat de cessation d'emploi a été accueillie.

3. M. MacKenzie n'avait pas droit à un privilège maritime en ce qui concerne sa réclamation pour obtenir une indemnité pour licenciement abusif.

[3]M. MacKenzie, dans le cadre de sa requête, demande à cette Cour d'infirmer la décision pour ce qui est des conclusions du protonotaire portant sur le paiement de la prime et le privilège maritime.

[4]La banque CIBC n'a pas contesté le fait que M. MacKenzie a droit au paiement de vacances pour la somme de 9 878,40 $, ainsi qu'au remboursement de dépenses personnelles pour la somme de 320 $. De plus, elle admet que ces sommes sont garanties par des privilèges maritimes et ont donc préséance sur ses hypothèques. Deuxièmement, la banque CIBC admet, au vu de la décision du juge Pratte (siégeant alors à la Section de première instance) dans Demetries Karamanlis c. Norsland (Le), [1971] C.F. 487 (1re inst.), que cette Cour est compétente pour accorder une indemnité pour licenciement abusif. Elle admet aussi, aux fins de la présente requête, qu'en l'instance, huit mois était une période raisonnable pour l'avis de licenciement. Toutefois, la banque CIBC conteste le fait que M. MacKenzie aurait fait l'objet d'un licenciement abusif, ou qu'il aurait droit à des primes annuelles. Elle soutient de plus, que même si les réclamations étaient valables, elles n'ont pas droit à la protection d'un privilège maritime et, par conséquent, elles n'ont pas préséance sur les garanties détenues par la banque CIBC.

Questions en litige

[5]Les questions en litige dont le protonotaire Lafrenière et moi-même étions saisis sont les suivantes:

1. M. MacKenzie a-t-il droit à des primes impayées au motif qu'il s'agit d'une condition implicite de son emploi auprès de Socanav?

2. Étant donné que Socanav a déclaré faillite, M. MacKenzie a-t-il droit à une indemnité pour licenciement abusif en conséquence de ses huit années de service sur les navires défendeurs?

3. Si M. MacKenzie a droit à l'un ou l'autre de ces montants ou aux deux, ceux-ci donnent-ils droit à un privilège maritime alors que son contrat d'emploi prévoyait qu'il travaillerait «sur l'un des navires de Sofati/Socanav» plutôt que sur un navire précis?

Contexte

[6]Les navires défendeurs étaient la propriété de Socanav, une grande société commerciale de Montréal qui exploite des pétroliers. M. MacKenzie a commencé à travailler pour Socanav le 1er juillet 1985. La lettre d'entente d'une page, en date du 4 juin 1985, signée par la Société Sofati/Socanav et M. MacKenzie, précisait que [traduction] «nous vous offrons par la présente, à compter du 1er juillet 1985, un poste de mécanicien en chef sur l'un des navires de la Société Sofati/Socanav». Ce contrat prévoyait également le salaire quotidien de M. MacKenzie (payable 365 jours par année), son quart de travail et ses avantages sociaux. Sur les 12 années écoulées depuis le 1er juillet 1985, M. MacKenzie a été membre d'équipage des navires Le Chêne no 1, L'Orme no 1 et Le Saule no 1 pendant 2 894 jours ou huit ans. Au moment de son licenciement, il travaillait sur le navire Le Chêne no 1.

[7]Le 20 septembre 1996, Socanav a produit un avis d'intention de présenter une proposition aux créanciers en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2]. La Cour supérieure du Québec, siégeant en matière de faillite (le tribunal des faillites), a accueilli la demande de Socanav visant à nommer un séquestre intérimaire, ayant compétence pour vendre certains actifs et réaliser la vente à une autre société commerciale. Cette vente a toutefois échoué après qu'un des navires de Socanav eut été saisi par des fournisseurs impayés dans un port de France, le 21 octobre 1996.

[8]Étant donné que Socanav avait toujours des difficultés financières, elle a conclu une entente à court terme avec une société à numéros le 21 novembre 1996. Cette entente portait sur l'exploitation des navires défendeurs et prévoyait le paiement de tous les coûts liés à leur entretien. Elle a expiré au début de janvier 1997, et l'emploi de M. MacKenzie a pris fin peu de temps après. Quelques semaines plus tard, le tribunal des faillites a prononcé la faillite de Socanav, rétroactivement à la production de son avis.

[9]Les navires défendeurs, Le Chêne no 1, L'Orme no 1 et Le Saule no 1 ont été saisis par leur créancière hypothécaire, la banque CIBC, et ils ont fait l'objet d'une ordonnance de vente de cette Cour le 10 mars 1997. Le 7 avril 1997, le proudit de la vente des navires, au montant de 2,7 millions de dollars, a été versé à la Cour, en attente du règlement des réclamations des tiers. Toutes les réclamations des tiers, sont maintenant réglées et plusieurs versements ont été faits. M. MacKenzie est le seul réclamant qui vise le solde des fonds en cette affaire, qui est de 120 000 $ plus les intérêts accumulés. Ces montants n'ont pas été versés à la banque CIBC, en attente de la détermination du montant de la réclamation de M. MacKenzie, ainsi que de son ordre de préséance par rapport à la banque CIBC. Au vu du solde négatif important à la suite de la liquidation de Socanav, il est essentiel pour M. MacKenzie que sa réclamation soit protégée par un privilège maritime.

Analyse

[10]Pour les raisons qui suivent, je suis d'avis que l'analyse et les conclusions du protonotaire Lafrenière étaient justes en ce qui concerne le droit de M. MacKenzie au paiement des primes et l'indemnité pour défaut d'un avis de cessation d'emploi adéquat. Cependant, je conclus que M. MacKenzie a droit à un privilège maritime pour protéger sa réclamation en indemnité.

Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[11]La CIBC soutient que, comme les décisions du protonotaire portaient sur des questions de droit, elles doivent être examinées de nouveau par cette Cour. M. MacKenzie n'était pas en total désaccord, même s'il soutient que la décision du protonotaire relative au paiement des primes s'appuyait sur une mauvaise compréhension des faits.

[12]Il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la décision d'un protonotaire de cette cour. La conclusion du protonotaire Lafrenière relative au droit de M. MacKenzie au paiement des primes était fondée sur la preuve déposée devant lui. Sauf si elle s'appuyait sur un principe erroné ou sur une mauvaise compréhension des faits, sa décision ne devrait pas être modifiée (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.)). Cependant, les questions liées à l'indemnité pour licenciement abusif et au privilège maritime, s'appuyant en grande partie sur une interprétation correcte du droit applicable, devraient être examinées de nouveau.

M. MacKenzie a-t-il droit à des primes annuelles?

[13]Selon le témoignage par affidavit de M. MacKenzie, des primes annuelles pouvant atteindre 5 000 $ ont été payées aux employés entre 1986 et 1991. M. MacKenzie réclame donc un montant de 12 500 $ représentant les primes annuelles moyennes qui, selon lui, auraient dû lui être payées au cours des cinq dernières années d'exploitation de la société. Le protonotaire a conclu, au paragraphe 9, que cette réclamation n'était pas appuyée par la preuve:

[. . .] la preuve ne suffit pas à démontrer l'existence d'un engagement ferme de la part de l'employeur de verser à nouveau des bonis annuels. Le fait que les employés n'ont pas logé de griefs suite au défaut de leur employeur de leur verser les bonis au fil des ans indique qu'ils reconnaissaient que ces versements étaient totalement discrétionnaires. Étant donné qu'on n'a pas démontré que MacKenzie avait droit aux bonis en vertu de son contrat d'emploi, ou de toute autre considération (voir Llido c. Le «Lowell Thomas Explorer», [1980] 1 C.F. 339), je conclus que cette partie de sa réclamation doit être rejetée.

[14]M. MacKenzie soutient que la décision du protonotaire s'appuyait sur une mauvaise compréhension des faits. Cependant, il n'a pu déterminer d'erreur précise et n'a fait que mentionner la même preuve que le protonotaire avait clairement examinée. M. MacKenzie aurait plutôt voulu m'amener à évaluer la preuve différemment. Je refuse de le faire. En conséquence, je ne suis pas disposée à infirmer la conclusion du protonotaire Lafrenière sur cette question.

M. MacKenzie a-t-il droit à une indemnité pour licenciement abusif?

[15]Ayant examiné les observations des parties, je suis convaincue que M. MacKenzie a droit à une indemnité pour licenciement abusif. Après avoir entendu les observations des parties, je souscris au raisonnement suivant du protonotaire Lafrenière aux paragraphes 10 et 11:

MacKenzie soutient que parmi les conditions implicites de son emploi il y en a une qui prévoit un avis raisonnable, ou un versement de substitution, en cas de licenciement. Il n'y a pas de litige quant au fait que la déclaration de faillite de Socanav est venue mettre fin à l'emploi de MacKenzie. La réclamation de MacKenzie pour obtenir une indemnité à ce titre trouve sa source dans le fait que l'employeur ne lui a pas donné un avis adéquat de cessation d'emploi. La banque CIBC soutient qu'on ne peut reprocher à Socanav de n'avoir pas donné un tel avis à ses employés, étant donné que le fait de rendre ses difficultés financières publiques aurait eu pour conséquence d'accélérer sa chute. Elle soutient que Socanav a agi de façon raisonnable dans une tentative d'éviter la faillite et de continuer ses opérations et, par conséquent, que MacKenzie n'a pas été licencié volontairement mais bien plutôt en vertu de la législation. Je ne suis pas de cet avis.

En common law, la possibilité pour un employé d'obtenir une indemnité pour licenciement abusif d'un employeur en faillite est directement liée à la procédure utilisée pour la mise en faillite. Si la mise en faillite est le fait d'un créancier, le droit de l'employé à une indemnité peut être inexistant. Toutefois, lorsque la mise en faillite est volontaire, au sens où c'est l'employeur qui a décidé de déclarer faillite, ce dernier met effectivement fin à l'emploi: Re Kemp Products Ltd. (1978), 27 C.B.R. (N.S.) 1; Re Penningtons' Stores Ltd. (1996), 21 C.C.E.L. (2d) 318; et In Re Bryant, Isard and Co. (1922), 3 C.B.R. 352. Au vu de la preuve qui m'est présentée, je conclus que la relation d'emploi entre la société et MacKenzie a été terminée du fait de l'employeur. Étant donné que le licenciement n'était pas motivé et qu'il a été fait sans préavis, MacKenzie a droit à une indemnité pour licenciement abusif.

Les montants réclamés donnent-ils droit à un privilège maritime?

[16]Comme il est indiqué ci-dessus, le protonotaire Lafrenière a conclu ce qui suit au paragraphe 18:

[. . .] même si MacKenzie a travaillé huit de ses 12 années de service avec Socanav au sein des équipages des navires défendeurs, je ne peux arriver à la conclusion que sa réclamation d'indemnité de départ ou d'indemnité de licenciement est liée aux services qu'il fournissait sur les navires défendeurs. Pour ces motifs, je conclus que le salaire réclamé à titre d'avis d'indemnité de licenciement abusif ne donne naissance à aucun privilège portant sur les navires défendeurs, sauf pour le salaire de vacances et les dépenses personnelles acceptées par la banque CIBC.

[17]En toute déférence, je ne peux souscrire à cette conclusion. Comme il s'agit d'une question devant être examinée de nouveau, il n'est pas nécessaire d'en faire l'analyse pour trouver des erreurs. J'ai plutôt procédé à une nouvelle analyse et je suis parvenue à une conclusion différente.

(i) Portée de la compétence en droit maritime

[18]Depuis les années 1880, les réclamations d'indemnité pour licenciement abusif ont été reconnues comme des réclamations relevant de la compétence des cours d'amirauté parce qu'elles étaient considérées comme faisant partie d'un «salaire». La portée de la compétence en droit maritime relative aux droits des marins s'est élargie dans le but d'assurer le traitement le plus équitable possible des personnes qui travaillent à bord des navires. Dans le passé, seuls les salaires directement gagnés sur les navires en question étaient protégés. Cependant, l'interprétation du mot «salaire» s'est élargie afin de s'adapter à la nature changeante de l'emploi en général et des droits des marins en particulier. Ce processus a été décrit par M. le juge Brandon dans l'affaire Halcyon Skies, The, [1976] 1 Lloyd's Rep. 461 (Q.B.D.), à la page 464 où il a déclaré ce qui suit:

[traduction] Même si la compétence en droit maritime sur les réclamations de salaire était limitée aux salaires gagnés à bord du navire, ce concept a été interprété de façon très générale. En particulier, la compétence a été régulièrement exercée, avant et après 1861, non seulement à l'égard des demandes pour salaire impayé au sens strict, mais également à l'égard des réclamations pour obtenir une indemnité pour licenciement abusif, y compris les réclamations pour salaire perdu et pour le coût de rapatriement (viatique). [Non souligné dans l'original.]

[19]Ainsi, le concept de «salaire» comporte une indemnité pour licenciement abusif dans la mesure où cette indemnité découle des faits.

(ii) Privilège maritime

[20] Dans l'affaire The Halcyon Skies, le juge Brandon a également examiné l'étendue des privilèges maritimes liés aux salaires et, en particulier, les types de paiements versés aux membres d'équipage qui donneraient lieu à ce type de privilège. Même si la Cour dans l'affaire The Halcyon Skies, précitée, se demandait si un privilège maritime grevait les cotisations de retraite dues par les propriétaires du navire, le raisonnement suivant du juge Brandon à la page 470 s'applique autant à une indemnité pour licenciement abusif.

[traduction] Comme je l'ai dit plus tôt, l'exigence selon laquelle les salaires, pour être récupérables devant le tribunal d'amirauté, devaient avoir été gagnés à bord des navires existait, en théorie du moins, en vertu du droit administré par la Haute Cour d'amirauté avant 1861. En pratique, cependant, une telle limitation n'a jamais été interprétée strictement et n'a pas empêché cette Cour, comme on l'a reconnu dans The British Trade aux pages 108 à 110, d'exercer sa compétence sur les réclamations pour obtenir une indemnité pour licenciement abusif, au titre de salaire, découlant des contrats des marins ordinaires ni d'accorder aux marins le même privilège maritime à l'égard des réclamations qu'ils avaient à l'égard des réclamations pour salaire au sens strict. Dans ces circonstances, il me semble raisonnable d'inférer que lorsque l'assemblée législative, en vertu de l'article 10 de la Loi de 1861, a étendu la compétence actuelle sur les réclamations pour salaire dû en vertu des contrats des marins ordinaires, de façon à couvrir les réclamations semblables dues en vertu de contrats spéciaux, elle souhaitait, malgré l'utilisation de l'expression consacrée «gagné à bord du navire», que la compétence étendue ait la même portée que la compétence actuelle, en ce qui concerne le type de réclamations couvertes.

[21]Le droit canadien semble avoir accepté qu'un privilège se rattache à une indemnité pour licenciement abusif. Dans l'affaire Llido c. Lowell Thomas Explorer (Le), [1980] 1 C.F. 339 (C.F. 1re inst.), M. le juge Marceau a examiné la réclamation d'un ingénieur maritime pour un mois de salaire qui lui aurait été promis vers la fin de son emploi. En décidant que ce montant n'était pas garanti par un privilège maritime, le juge Marceau a déclaré ce qui suit aux pages 352 et 353:

Un privilège maritime affecte un navire à raison des salaires ou gages gagnés à bord [souligné dans l'original] par le commandant et les membres de l'équipage. Si le supplément de traitement qui fait l'objet de la demande avait été une condition de l'emploi du capitaine Holland, je pense qu'il aurait fait partie de ses gages gagnés à bord. S'il s'agissait d'une compensation pour licenciement abusif, on pourrait trouver un motif de l'inclure dans les gages gagnés à bord. [Non souligné dans l'original.]

[22]Cette analyse est compatible avec la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14]. Lorsqu'il est lu en corrélation avec les paragraphes 22(1) [mod. idem, art. 31], 43(2) [mod., idem, art. 40] et 43(3) [mod., idem], l'alinéa 22(2)o) donne naissance à un privilège d'origine législative pour «une demande formulée par un capitaine, un officier ou un autre membre de l'équipage d'un navire relativement au salaire, à l'argent, aux biens ou à toute autre forme de rémunération ou de prestations découlant de son engagement». À mon avis, les indemnités pour licenciement abusif seraient généralement incluses à titre d'«autre forme de rémunération ou de prestations».

[23]En conséquence, je suis convaincue qu'un privilège maritime peut trouver sa source dans une réclamation d'indemnité pour licenciement abusif puisque ces indemnités font partie du salaire gagné à bord d'un navire. Cela revient donc à se demander si un privilège maritime trouve sa source dans les faits de la présente affaire.

(iii) Application au cas de M. MacKenzie

[24]M. MacKenzie était employé comme mécanicien en chef sur l'un des navires de la Société Sofati/Soconav. La CIBC soutient que le fait que son contrat ne l'a pas affecté à un navire en particulier constitue un facteur déterminant. Si M. MacKenzie n'avait travaillé que sur un navire, la CIBC aurait été d'accord pour dire que son indemnité aurait été garantie par un privilège maritime. Cependant, selon son contrat, M. MacKenzie a travaillé sur un certain nombre de navires. Son dossier de service en mer indique un déplacement important entre plusieurs navires. Ainsi, la CIBC fait valoir qu'il «n'existe pas de lien entre un navire défendeur précis et un droit que Donald [MacKenzie] pourrait avoir en vertu d'un contrat de service qui pourrait appuyer un privilège maritime».

[25]L'intimée se fonde sur l'affaire Tacoma City, The, [1991] 1 Lloyd's Rep. 330 (C.A.) pour faire valoir que la réclamation pour licenciement abusif, en l'espèce, ne donne pas naissance à un privilège maritime. Dans l'affaire The Tacoma City, précitée, la England and Wales Court of Appeal (Civil Division) a abordé la question de savoir si un privilège était rattaché à des indemnités de départ, par opposition à des indemnités pour licenciement abusif, qui découlaient d'un arrangement contractuel complexe conclu entre une société et les marins touchés. Comme pour les faits de l'espèce, il n'y avait pas de navire précisément nommé dans le contrat. En analysant la nature des indemnités de départ dues aux marins, les trois juges se sont donné beaucoup de mal pour analyser la nature des indemnités de départ selon les arrangements contractuels et pour distinguer ces indemnités du «salaire». Les commentaires du lord juge Dillon, qui a décrit les indemnités de départ de la façon suivante aux pages 347 et 348, illustrent le raisonnement de la Cour:

[traduction] L'indemnité de départ est payable lorsque le marin devenait en trop selon les exigences de la société ou du groupe d'expédition [. . .] l'indemnité de départ doit être calculée d'après l'ensemble du service du marin auprès de la société ou du groupe en question [. . .] En effet, elle n'est pas du tout versée à titre de rémunération pour les services de ce dernier. Elle est versée à titre de compensation pour la perte de l'espérance qu'il aurait eu par ailleurs parce que, en raison de son long service, il aurait obtenu un nouvel emploi auprès de la société ou du groupe après la fin de ce qui était en l'occurrence son dernier voyage sur le navire de la société ou du groupe.

Un tel paiement n'est donc pas, selon moi, un «salaire» même au sens large dans lequel ce mot est utilisé dans le contexte du privilège maritime.

[26]La conclusion fondamentale de la Cour dans l'affaire The Tacoma City, précitée, n'était pas, à mon avis, celle qui a été débattue devant moi par la CIBC. La Cour a plutôt traité de la nature d'un droit contractuel à des indemnités de départ et a conclu que ces paiements n'étaient pas, en réalité, des «salaires». On ne devrait pas en conclure, à mon avis, que le salaire gagné en vertu d'un contrat d'application générale ne peut bénéficier d'un privilège maritime. Les conclusions de l'affaire The Tacoma City, précitée, ne devraient s'appliquer qu'à ses faits inhabituels.

[27]Cependant, un aspect secondaire intéressant de l'affaire The Tacoma City, précitée, consistait en une réclamation présentée par trois des marins pour obtenir un salaire à titre d'avis. La Cour n'était pas tenue de se demander si un privilège maritime était rattaché à cette réclamation puisqu'il n'y avait pas de droit à une indemnité pour licenciement abusif. Il importe de noter que la banque créancière n'a pas contesté la possibilité qu'un privilège maritime grève la réclamation pour licenciement abusif en l'espèce dans la mesure où les faits appuyaient les réclamations de salaire à titre d'avis.

[28] Dans le cas dont je suis saisie, contrairement à celui qui était devant la Cour dans l'affaire The Tacoma City, précitée, je dois me prononcer, non pas sur une indemnité de départ, mais bien sur une réclamation en vue d'obtenir un montant qui représenterait le salaire que M. MacKenzie aurait gagné pour ses services en tant que membre d'équipage si son emploi s'était poursuivi. Cela est directement évalué et quantifié en tant que salaire relativement au navire sur lequel il a travaillé et, à ce titre, il s'agit du type même de paiement donnant naissance à un privilège maritime en vue de la protection de M. MacKenzie et d'autres marins dans sa position.

[29]Le facteur clé de la question de savoir si un privilège maritime existe réside dans le service effectué sur le navire (W. Tetley, Maritime Liens and Claims, 2e éd. (Montréal: International Shipping Publications, 1998; l'affaire The Tacoma City, précitée). Le privilège ne dépend pas de la personne qui a embauché le marin (Maritime Liens and Claims, précité) et trouve sa source indépendamment du contrat (l'affaire The Tacoma City, précitée; Ever Success, The, [1999] 1 Lloyd's Rep. 824 (Q.B.)). L'approche appropriée consiste à se demander «si, durant la période pertinente, le réclamant offrait ses services sur le navire à titre de membre d'équipage. Si c'était le cas, il a le droit de voir un privilège maritime grever son salaire en ce qui concerne la période examinée, conformément à son contrat» (l'affaire The Ever Success, précitée, à la page 824).

[traduction] [. . .] si, durant la période pertinente, le réclamant offrait ses services sur le navire à titre de membre d'équipage. Si c'était le cas, il a le droit de voir un privilège grever son salaire en ce qui concerne la période examinée, conformément à son contrat.

[30]Le service de M. MacKenzie se rapportait-il à un ou plusieurs des navires défendeurs à titre de membre d'équipage? À mon avis, c'était le cas. Contrairement aux observations de la CIBC, le droit à un privilège maritime ne dépend pas de la nature des arrangements contractuels du marin. Le fait qu'un navire n'a pas été précisément nommé dans ce contrat ne suffit pas selon moi à priver M. MacKenzie de la protection d'un privilège maritime en ce qui concerne les montants qui lui sont dus. En vertu des conditions simples et claires de la lettre d'entente, M. MacKenzie a été embauché par Socanav afin de travailler à titre de mécanicien en chef sur l'un de ses navires de Socanav. En d'autres termes, on a retenu ses services pour travailler à titre de membre d'équipage sur l'un de ses navires. Au moment de son licenciement, il était membre d'équipage de l'un des navires défendeurs, Le Chêne no 1. À mon avis, ces faits établissent un lien entre les services de M. MacKenzie et les navires défendeurs. M. MacKenzie avait droit à une période d'avis raisonnable lorsqu'il a été licencié. S'il avait reçu cet avis, il aurait travaillé pendant encore une certaine période et il aurait gagné un salaire pour son travail. Un privilège maritime existe, peu importe si M. MacKenzie a réellement travaillé pendant la période d'avis ou s'il a reçu un salaire à titre d'avis au moment du licenciement.

(iv) Saisie et montant

[31]En général, le privilège maritime grève le navire qui a reçu le bénéfice sur lequel s'appuie la réclamation (Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndic), (2000), 16 C.B.R. (4th) 188 (C.F. 1re inst.)). En conséquence, le privilège se rattache au navire sur lequel M. MacKenzie aurait travaillé s'il n'y avait pas eu licenciement abusif. En l'espèce, il s'agit du navire Le Chêne no 1 sur lequel il travaillait au moment de son licenciement. Malgré le fait qu'en vertu de son contrat il aurait pu être affecté sur d'autres navires, rien dans la preuve déposée devant moi n'indique qu'il n'aurait pas continué à travailler comme mécanicien en chef à bord du navire Le Chêne no 1. En conséquence, j'attache le privilège à ce navire.

[32]Le montant de l'indemnité pour licenciement abusif sera calculé en fonction du contrat conclu entre M. MacKenzie et Socanav. En l'espèce, les parties se sont entendues pour dire que, si le bien-fondé d'une réclamation pour licenciement abusif était reconnu selon les faits, un salaire de huit mois à titre d'avis serait approprié. Je conclus que ce montant devrait être versé à M. MacKenzie en priorité par rapport à la réclamation de la CIBC.

ORDONNANCE

La Cour ordonne que:

1. Le montant de 50 588 $, représentant une paie de huit mois à titre d'avis de licenciement, plus les intérêts accumulés, ainsi qu'une paie de vacances de 9 878,40 $ et des dépenses personnelles de 320 $, plus les intérêts accumulés, soient versés à Donald MacKenzie en priorité par rapport à la réclamation de la CIBC.

2. Les parties disposent de 15 jours, à compter de la date de la présente ordonnance, pour signifier et produire des observations écrites quant aux dépens de la présente requête et de la précédente, et de cinq jours par la suite pour signifier et produire des observations écrites en guise de réponse.

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