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IMM-358-03

2003 CF 1524

Steven Anthony Romans (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Russell--Toronto, 6 août; Ottawa, 29 décembre 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de résidents permanents -- Contrôle judiciaire d'une décision rendue par la section d'appel de la CISR de rejeter un appel (suite à la réouverture) d'une mesure de renvoi et de refuser également d'accorder un sursis d'exécution de la mesure de renvoi -- Le demandeur est arrivé au Canada en provenance de la Jamaïque en 1967 alors qu'il était âgé d'environ 18 mois -- Les parents ont obtenu la citoyenneté, mais, par ignorance, ils n'ont pas fait de demande de citoyenneté pour le demandeur qui a donc toujours le statut de résident permanent -- Il souffre de schizophrénie depuis l'adolescence -- Il a été déclaré coupable de 36 infractions criminelles -- L'enquête tenue en vertu de l'art. 27 de l'ancienne Loi sur l'immigration a donné lieu à la délivrance d'une mesure de renvoi -- Lorsqu'elle a rejeté l'appel, la section d'appel ne pouvait tenir compte des conditions qui prévalaient en Jamaïque suite à la jurisprudence établie -- Le tribunal a conclu que le demandeur ne serait pas soumis à un changement significatif s'il était expulsé, parce que cela ne changerait pas grand-chose à sa vie -- La demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée car il n'y a pas eu violation des principes de justice fondamentale -- Une question a été certifiée mais la C.A.F. a confirmé la décision et la C.S.C. a refusé la demande d'autorisation d'en appeler -- La demande de réouverture du dossier sur la foi de l'existence d'un nouveau médicament qui, s'il était administré au demandeur, il offrirait une possibilité de traitement et d'une nouvelle preuve que, en Jamaïque, les malades mentaux peuvent faire l'objet d'abus très graves -- Position du M.C.I.:  le demandeur pose toujours un danger pour le public -- La section d'appel a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour entendre des questions relatives à la Charte et a rejeté l'appel -- Demande de contrôle judiciaire accordée -- La C.S.C. a décidé que l'on doit généralement refuser d'expulser un réfugié lorsqu'il existe un risque sérieux de torture -- L'argument du ministre: la Cour est liée par l'arrêt de la C.S.C. dans Chiarelli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) -- La section d'appel a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'elle ne peut tenir aucun compte de la Charte en exerçant son pouvoir discrétionnaire dans le cadre d'une réouverture -- Le tribunal aurait dû examiner la question de savoir si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux impératifs de la Charte, comme l'a précisé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) -- Discussion sur l'applicabilité de l'arrêt Suresh -- Les droits garantis par l'art. 7 de la Charte sont-ils mis en cause par le renvoi d'un résident permanent? -- Compte tenu de son état mental, le demandeur a-t-il manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il lui soit permis de demeurer au Canada? -- L'arrêt Chiarelli ne lie pas la Cour lorsqu'il s'agit de la nouvelle preuve sur les conditions en Jamaïque -- Le régime d'immigration n'est pas équipé pour traiter d'une situation comme celle en l'espèce -- Le ministre a eu recours à l'expédient rudimentaire qu'est l'expulsion afin de s'acquitter de son obligation de protéger le public -- Bien que les principes de la justice fondamentale exigent un nouvel examen, la sécurité du public doit demeurer une question importante -- On ne devrait pas négliger la question de savoir si la mesure de renvoi respecte les principes de justice fondamentale en prétendant que la situation du demandeur ne serait pas pire s'il était renvoyé -- La section d'appel a-t-elle compétence pour ordonner que le demandeur soit incarcéré jusqu'à ce qu'il ait obtenu les traitements nécessaires? -- Par diverses modifications à la loi, on a spécifiquement révoqué la compétence du tribunal d'ordonner la détention, ou même de surveiller l'application des ordonnances de détention -- Il serait dangereux que l'on confère au tribunal la compétence de la détention des malades mentaux -- La question de la détention des malades mentaux est de compétence provinciale.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Vie, liberté et sécurité -- Contrôle judiciaire d'une décision de rejeter un appel (suite à la réouverture) d'une mesure de renvoi -- Questions en litige: la section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu'elle ne peut tenir compte de la Charte lors de la réouverture d'un appel? -- La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en n'examinant pas la question de savoir si elle aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux impératifs de la Charte, comme l'exige l'arrêt Suresh? -- L'art. 7 de la Charte est-il en cause dans le processus d'appel en l'espèce? -- Si l'art. 7 de la Charte est en cause, la mesure de renvoi en l'espèce respecte-t-elle les principes de justice fondamentale? -- Demande accueillie -- La C.S.C. a jugé dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) que, lorsqu'il est question de l'expulsion d'un criminel, il n'est pas nécessaire d'examiner si l'art. 7 de la Charte est respecté -- Mais, comme le demandeur est atteint de graves troubles mentaux, peut-on affirmer qu'il a manqué volontairement à une condition essentielle? -- Le tribunal a commis une erreur susceptible de révision lorsqu'il a conclu qu'il ne peut tenir aucun compte de la Charte en exerçant son pouvoir discrétionnaire dans le cadre d'une réouverture -- Le tribunal aurait dû examiner la question de savoir dans quelle mesure l'exercice de son pouvoir discrétionnaire est affecté par les principes de la Charte -- Nouvelle preuve documentaire selon laquelle, en Jamaïque, les malades mentaux se retrouvent généralement en prison, où ils font l'objet de sévices et de torture -- L'arrêt Chiarelli ne lie pas le tribunal lorsqu'il s'agit de la nouvelle preuve sur les conditions dans le pays -- Les principes de la justice fondamentale exigent un nouvel examen.

La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de rejeter l'appel (suite à la réouverture) du demandeur d'une mesure de renvoi et de refuser également d'accorder un sursis d'exécution de la mesure de renvoi.

Le demandeur est arrivé au Canada en provenance de la Jamaïque en 1967 alors qu'il était âgé d'environ 18 mois et est maintenant résident permanent. Au cours de l'adolescence, il a commencé à manifester des signes de schizophrénie. Il a eu des ennuis avec la police. Il a été déclaré coupable de 36 infractions criminelles, notamment de voies de fait causant des lésions corporelles, d'agression sexuelle et de trafic de crack. L'enquête tenue en vertu de l'article 27 de l'ancienne Loi sur l'immigration a donné lieu à la délivrance d'une mesure de renvoi.

Lors du rejet de l'appel, la section d'appel ne pouvait tenir compte des conditions qui prévalaient en Jamaïque suite à la jurisprudence établie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). La section d'appel a conclu que la preuve démontrait que le risque de récidive du demandeur était très élevé et qu'il causait un danger pour le public. La section d'appel a aussi conclu que le demandeur ne serait pas soumis à un changement significatif s'il était expulsé, parce que cela ne changerait pas grand-chose à sa vie.

Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la juge Dawson. La juge a conclu que même si l'expulsion mettait en cause l'article 7 de la Charte, il n'y avait pas eu violation des principes de justice fondamentale. De plus, elle se considérait liée par l'arrêt de la Cour suprême du Canada Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) où la Cour suprême a conclu qu'il était loisible au législateur d'adopter des lois prescrivant les conditions en vertu desquelles il sera permis aux non-citoyens d'entrer et de demeurer au Canada. Elle a tout de même certifié la question de savoir si l'expulsion d'un résident permanent constituait une violation des principes de justice fondamentale lorsque cette personne réside au Canada depuis sa plus tendre enfance et qu'elle souffre d'une maladie mentale grave au point de la rendre incapable de fonctionner dans la société suivante. La Cour d'appel fédérale a répondu à cette question certifiée par la négative. La Cour suprême du Canada a refusé la demande d'autorisation d'en appeler.

Le demandeur a ensuite demandé la réouverture du dossier sur la foi de l'affidavit de sa mère dans lequel elle mentionne l'existence d'un nouveau médicament qui, s'il était administré à son fils, offrirait une possibilité de traitement. De plus, le demandeur a présenté une preuve documentaire abondante, en plus de s'appuyer sur la connaissance personnelle de sa mère, pour démontrer qu'en Jamaïque les personnes emprisonnées sont humiliées et font souvent l'objet de voies de fait et d'agressions sexuelles, ce qui fait que sa vie serait en danger. Malgré qu'elle et son mari aient obtenu la citoyenneté cinq ans après être arrivés au Canada, par ignorance, elle n'a pas fait de demande de citoyenneté pour le demandeur. Un psychiatre a témoigné à titre d'expert que le demandeur était susceptible de réadaptation et qu'il y avait une bonne chance qu'on puisse l'aider à devenir semi-indépendant. L'avocat a soutenu qu'il existait une nouvelle preuve quant aux conditions prévalant en Jamaïque, preuve qu'on n'avait pas pu présenter antérieurement puisque la jurisprudence de l'époque ne permettait pas d'en tenir compte. Se fondant sur son point de vue que le demandeur posait toujours un danger pour le public, le ministre a soutenu que l'appel devait être rejeté. L'audience a alors été ajournée, étant entendu que si l'appel était rejeté en equity, la section d'appel siégerait à nouveau pour recevoir une preuve et examiner les questions relatives à la Charte soulevées dans l'avis de question constitutionnelle. Après que la section d'appel eut rejeté l'appel en equity, elle a demandé les prétentions des parties sur sa compétence de tenir compte de la Charte dans le cas de réouverture d'un appel. Après avoir reçu ces prétentions, la section d'appel a conclu qu'elle avait compétence pour procéder à la réouverture d'un appel interjeté contre une mesure de renvoi seulement pour des motifs d'ordre discrétionnaire et elle a rejeté l'appel.

La section d'appel a renvoyé à la conclusion antérieure voulant qu'il y ait une très forte probabilité que le demandeur récidive et a souligné le témoignage de l'expert selon lequel la schizophrénie du demandeur est exacerbée par sa cocaïnomanie. La section d'appel n'a pas été convaincue qu'il était motivé à demeurer à l'hôpital afin d'y subir des traitements. La protection du public ne pourrait être assurée s'il était sursis à l'exécution de la mesure de renvoi. Elle a conclu que des soins psychiatriques étaient disponibles en Jamaïque mais que la qualité de ces soins est inférieure à celle offerte au Canada. La section d'appel a écrit que les conditions réservées aux personnes atteintes de maladies mentales dans les prisons, les hôpitaux et les rues de la Jamaïque sont pires que celles qui existent au Canada, mais elle n'est pas persuadée que les conditions dans les rues de la Jamaïque sont telles que les difficultés auxquelles ferait face l'appelant seraient nettement pires que celles qu'il vit au Canada. Quant à la compétence, la section d'appel a écrit que, à la réouverture de l'appel, l'appelant ne peut contester la validité constitutionnelle de la mesure de renvoi.

Le demandeur soulève les questions suivantes: 1) La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu'elle ne pouvait examiner la Charte lors de la réouverture d'un appel? 2) La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en n'examinant pas la question de savoir si elle aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux impératifs de la Charte, comme l'a précisé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)? 3) L'article 7 de la Charte est-il en cause dans le processus d'appel en l'espèce? 4) Si l'article 7 de la Charte est en cause, la mesure de renvoi en l'espèce respecte-t-elle les principes de justice fondamentale? 5) La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu'elle n'avait pas compétence pour ordonner que le demandeur soit incarcéré jusqu'à ce qu'il ait obtenu les traitements nécessaires? 6) La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit par la façon dont elle a exercé sa compétence en l'espèce?

Jugement: la demande doit être accueillie.

1) Le demandeur soutient qu'il est très clair que tous les tribunaux doivent appliquer la loi conformément à la Charte. Malgré que la constitutionnalité de la mesure de renvoi n'ait pas été mise en question lors du premier appel, elle a toutefois été soulevée lors de la demande de contrôle judiciaire de la décision dans cet appel et, notre Cour, au vu du dossier, a conclu que l'article 7 de la Charte était en cause. Dans Suresh, la Cour suprême a fait remarquer que, lorsqu'elle exerce le pouvoir discrétionnaire que lui accorde la loi, la ministre doit mettre en balance les facteurs pertinents de l'affaire dont elle est saisie en conformité avec les principes de justice fondamentale garantis à l'article 7 de la Charte. En règle générale, la ministre doit généralement refuser d'expulser le réfugié lorsque la preuve révèle l'existence d'un risque sérieux de torture. Le demandeur soutient que, bien qu'il soit possible que la section d'appel ne puisse examiner d'autres questions de droit qui ont déjà été tranchées lors du premier appel, ce raisonnement ne peut être appliqué aux questions fondées sur la Charte. Le ministre a invoqué l'arrêt Chiarelli, dans lequel la Cour suprême du Canada a décidé qu'il n'était pas nécessaire, dans l'examen de la question de savoir si l'expulsion d'un criminel respectait la Charte, de déterminer si le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne est mis en cause par une expulsion. Lorsqu'un résident permanent a manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il lui soit permis de demeurer au Canada, le fait de mettre effectivement fin à son droit d'y demeurer ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale. Dans le cas d'un résident permanent, la Cour a conclu que seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat. Selon le ministre, l'arrêt Chiarelli, est directement applicable en l'espèce.

Il existe une jurisprudence qui étaye la décision de la section d'appel qui veut que la constitutionnalité de la mesure de renvoi ne pouvait être soulevée à ce moment-là, sa conclusion qu'elle ne peut tenir aucun compte de la Charte en exerçant son pouvoir discrétionnaire dans le cadre d'une réouverture est clairement erronée. La section d'appel semble dire qu'elle ne tiendra compte que des motifs d'ordre discrétionnaire. La section d'appel a commis une erreur susceptible de révision en décidant qu'elle ne pouvait examiner les arguments fondés sur la Charte au sujet de l'exécution de la mesure de renvoi.

2) Le demandeur déclare que, en se fondant sur l'arrêt Suresh, au vu de la nouvelle preuve, le renvoi du demandeur viendrait inévitablement violer les principes de justice fondamentale et que, par conséquent, la section d'appel n'avait d'autre choix que d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur quelles que soient les autres préoccupations--y compris tout risque pour le public au Canada. En réponse, le ministre soutient que les faits en l'espèce justifient une distinction avec l'arrêt Suresh: 1) Le demandeur en l'espèce n'est pas un réfugié au sens de la Convention 2) on n'a pas non plus soulevé que le demandeur pourrait être torturé s'il était renvoyé en Jamaïque. Le ministre a également prétendu que la section d'appel n'a aucune obligation de mentionner spécifiquement les arguments portant sur la Charte dans ses motifs. Elle n'a qu'à exercer son pouvoir discrétionnaire en accord avec la Charte et les principes de justice fondamentale. Cette prétention ne peut être acceptée. Le tribunal aurait dû examiner la question de savoir jusqu'à quel point l'exercice de son pouvoir discrétionnaire était affecté par les principes de la Charte ainsi que les implications de l'arrêt Suresh sur la décision qu'il devait rendre. Il n'est pas clair au vu de la décision si la section d'appel considérait que les questions liées à la Charte avaient quelque pertinence dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Étant donné que l'impact de la Charte constituait une partie significative des arguments du demandeur, la section d'appel aurait dû traiter de ces questions dans ses motifs de décision et son défaut de le faire constitue une erreur susceptible de révision.

Bien que les faits en l'espèce soient différents de ceux de l'arrêt Suresh, cela n'enlève rien aux considérations de fond qui s'appliquent aux décisions de cette nature selon l'arrêt Suresh. Bien que la Cour ne partage pas l'avis de l'avocat du demandeur qui veut qu'en l'instance, la justice fondamentale exige que le demandeur puisse demeurer au Canada quel que soit le risque qu'il constitue pour le public, il s'agit d'une question importante que la section d'appel aurait dû examiner en décidant si elle exercerait ou non son pouvoir discrétionnaire. Il semble que la section d'appel n'a pas abordé en l'espèce l'analyse qui lui est maintenant prescrite par l'arrêt Suresh. Cet arrêt de la Cour suprême est un aspect important du cadre juridique qui s'impose à la section d'appel lorsqu'elle examine les appels de mesures de renvoi. Sa déclaration que sa compétence se limitait à des motifs d'ordre discrétionnaire amène la Cour à conclure qu'il s'agit là d'une erreur susceptible de révision.

(3) Le demandeur s'appuie sur l'analyse de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Blencoe c. Colombie- Britannique (Human Rights Commission) quant à sa prétention que son appel met en cause ses droits garantis par l'article 7 de la Charte. L'expulsion du demandeur va considérablement affecter sa capacité de faire les choix les plus fondamentaux de sa vie, ainsi qu'affecter la capacité de ceux qui se chargent de lui de pouvoir l'aider et d'en avoir soin. Il souffrirait du genre de tension psychologique dont la Cour suprême fait état dans l'arrêt Blencoe.

Le ministre fait remarquer que la Cour d'appel fédérale, dans Romans 1, a décidé qu'elle n'avait pas à déterminer si l'article 7 s'applique. La Cour suprême du Canada a adopté le même point de vue dans l'arrêt Chiarelli. Le ministre soutient que la prétention du demandeur qu'il a un droit absolu de demeurer au Canada, nonobstant les violences qu'il a perpétrées et les diverses déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles, est contraire à l'article 6 de la Charte et au paragraphe 4(2) de la Loi sur l'immigration. Seuls les Canadiens ont le droit absolu de demeurer au Canada. Le défendeur soutient aussi que le demandeur s'appuie à tort sur la jurisprudence en matière d'extradition, notamment l'arrêt États-Unis c. Burns, pour établir les principes de justice fondamentale applicables dans le contexte de l'expulsion. Le ministre soutient que l'arrêt Burns porte sur des faits très particuliers--le contenu précis du traité d'extradition avec les États-Unis et le rôle que joue le Canada, à l'interne comme à l'externe, dans l'abolition de la peine capitale.

Dans Romans 1, la juge Dawson est arrivée à la conclusion que les droits du demandeur garantis par l'article 7 de la Charte étaient mis en cause et le juge Décary, J.C.A., a déclaré qu'il était entendu, pour fins de discussion, que «l'article 7 de la Charte s'applique lors de l'expulsion d'un résident permanent faite en vertu de l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration». Les droits dont la juge Dawson a conclu à l'existence sont toujours en jeu lors de la réouverture de l'appel.

4) Quant à savoir si la mesure de renvoi en l'espèce respecte les principes de justice fondamentale, le demandeur prétend que, au vu de cette preuve, le demandeur soutient qu'il n'est pas possible d'arriver à la conclusion qu'il a manqué volontairement à une condition de son renvoi. Le psychiatre a témoigné que le demandeur avait commis des actes criminels lorsqu'il ne suivait pas de traitement et qu'il avait des hallucinations. Le demandeur soutient avoir déposé une preuve nouvelle devant la section d'appel au sujet de la situation épouvantable à laquelle il serait confronté en Jamaïque du fait de sa maladie mentale. Aucune preuve n'étaye la conclusion de la section d'appel que le demandeur pourrait y être soigné adéquatement pour ses problèmes très sérieux et complexes. Une partie de la preuve documentaire fait ressortir que, en Jamaïque, les malades mentaux chroniques se retrouvent généralement en prison, où ils font l'objet de sévices et de torture. Cette preuve n'était pas devant la Cour dans Romans 1. La Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel étant donné qu'au vu des faits qui lui étaient présentés, elle a conclu que la preuve ne suffisait pas à satisfaire au critère du «choc de la conscience» énoncé par la Cour suprême du Canada. Dans l'arrêt Chiarelli, la Cour suprême déclare que le sous-alinéa 27(1)d)(ii) de la Loi sur l'immigration s'applique aux résidents permanents qui ont «manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada». La Cour a des réserves importantes quant à l'affirmation du demandeur que la preuve du psychiatre démontre que le demandeur n'était pas responsable de ses crimes. Il s'agit avant tout d'une question de capacité pour laquelle l'arrêt Chiarelli est obligatoire et définitif. L'arrêt Chiarelli, ne lie pas la Cour lorsqu'il s'agit de la nouvelle preuve sur les conditions en Jamaïque. Cette question n'a pas été soulevée devant la juge Dawson. La question de fond consiste à savoir si, au vu de la nouvelle preuve, la décision constitue un «équilibre approprié de la justice  fondamentale», qui selon la Cour suprême du Canada, fait généralement obstacle à une expulsion impliquant un risque de torture.

La lecture des motifs de décision contestée indique que l'on n'a pas tenu compte des implications de l'arrêt Suresh.

Il s'agit d'un cas extrêmement difficile et le régime d'immigration n'est pas équipé pour traiter d'une telle situation. Mais, comme le ministre doit s'assurer que le public est protégé, on a eu recours à l'expédient rudimentaire qu'est l'expulsion ce qui a donné lieu à la déplorable histoire soumise à la Cour dans cette demande. La décision contestée fait ressortir que ces aspects inconciliables ont été débattus mais on est arrivé à la conclusion que le demandeur semble être voué à son triste sort où qu'il soit et donc qu'il est aussi bien qu'on le renvoie en Jamaïque où il ne constituera pas une menace pour le public canadien.

Bien que les principes de la justice fondamentale exigent un nouvel examen, la Cour d'appel fédérale n'accepte toutefois pas l'argument voulant qu'il n'y a qu'un résultat possible. La sécurité du public doit demeurer une question importante dans la mesure où le demandeur peut refuser tout traitement et obtenir sa liberté de mouvement. Il est clair que le demandeur est dans une meilleure situation au Canada, mais il reste toujours à déterminer si, au vu de la pondération de ces considérations avec le danger posé pour les tiers, la mesure de renvoi respecte les principes de justice fondamentale. On ne devrait pas négliger cette question en prétendant que la situation du demandeur ne serait pas pire s'il était renvoyé.

5) Le demandeur prétend que la section d'appel a commis une erreur en concluant qu'elle n'avait pas compétence pour ordonner que le demandeur soit incarcéré jusqu'à ce qu'il ait obtenu les traitements nécessaires. La section d'appel a toutes les compétences d'une cour d'archives et c'est elle qui fixe les conditions lorsqu'elle octroie un sursis d'exécution. Par conséquent, elle peut ordonner que le demandeur soit maintenu sous garde jusqu'à ce qu'un psychiatre certifie qu'il n'est plus un danger pour le public. Le ministre exprime son désaccord et soutient que le fait d'imposer une condition à l'octroi d'un sursis d'exécution de la mesure de renvoi du demandeur a pour effet de retarder son renvoi. Le législateur, par suite de diverses modifications , a spécifiquement révoqué la compétence de la section d'appel d'ordonner la détention, ou même de surveiller l'application des ordonnances de détention. Le ministre soutient qu'en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, le pouvoir extraordinaire d'ordonner qu'une personne soit mise en détention de façon continue a été accordé aux arbitres de façon explicite en vertu du paragraphe 103(3) et non par le paragraphe 74(2), où il n'est question que de conditions générales. Les arbitres n'ont aucune compétence de mettre un malade mental en détention pour sa propre protection. Le ministre soutient que dans Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le juge Rothstein a indiqué qu'il n'y avait pas de disposition dans la Loi sur l'immigration qui permettait de prolonger indéfiniment la détention d'une personne. Le juge Rothstein a fait une liste non exhaustive des facteurs que les arbitres devraient prendre en considération lorsqu'ils examinent la possibilité d'ordonner la mise en détention mais l'obtention de traitements psychiatriques ne figurent pas sur cette liste. Le ministre prétend que la détention des malades mentaux est de compétence provinciale notamment en vertu de la Loi sur la santé mentale de l'Ontario. Il serait dangereux que l'on confère une compétence aussi large en matière de détention à la section d'appel. La section d'appel outrepasserait sa compétence en prévoyant des conditions qui supposent l'application d'une loi provinciale ou l'intervention d'organismes provinciaux, sans que le législateur ne l'y ait autorisé. La section d'appel n'a pas commis une erreur de droit en décidant qu'elle n'avait pas compétence pour ordonner que le demandeur soit maintenu en détention jusqu'à ce qu'il obtienne les traitements nécessaires.

6) La dernière question consiste à savoir si la section d'appel a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en concluant que même si les conditions en Jamaïque n'étaient pas aussi bonnes que celles qui existent au Canada le demandeur pourrait y être traité. Le demandeur a prétendu que le tribunal n'a pas tenu compte du fait qu'il y avait maintenant un psychiatre chargé de le traiter, que ce psychiatre avait préparé un régime de traitement, qu'il avait déclaré que, dans l'année du traitement, le demandeur pourrait se débrouiller efficacement dans une maison de transition. Le psychiatre a clairement indiqué que le demandeur n'avait pas reçu l'attention nécessaire du régime de santé mentale par le passé et que ses actes criminels étaient dus à un traitement inadéquat. Le demandeur soutient qu'en suggérant qu'il ne serait pas conscient de la différence même s'il était renvoyé dans un pays où les conditions sont épouvantables, la section d'appel a démontré qu'elle ne comprenait pas la situation des malades mentaux. Le ministre a exprimé sa crainte qu'il y avait un risque que, s'il n'était pas hospitalisé contre son gré, le demandeur disparaisse et qu'il ne prenne pas les médicaments prescrits. Bien qu'il soit possible que ses symptômes soient diminués par de nouveaux médicaments, rien dans la preuve ne démontre qu'il sera vraiment guéri. L'avocat du ministre a ajouté que les mauvais traitements infligés aux personnes sans domicile fixe, qui peuvent aller jusqu'à l'assassinat, existent au Canada.

Cette question a déjà été tranchée, en partie, dans les présents motifs, en faveur du demandeur. Le tribunal a commis une erreur de droit dans la façon dont elle a exercé sa compétence. Cela étant dit, il devra être démontré que le demandeur sera soigné de telle manière qu'il ne constitue pas un danger pour le public canadien. Son obligation de demeurer en institution et son traitement ne peuvent être fondés sur de la spéculation. Lorsque cette affaire sera réexaminée, ces questions auront une importance vitale. Une ordonnance en l'espèce sera délivrée après qu'un délai aura été accordé afin de permettre le dépôt d'observations sur la certification d'une question de portée générale.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 6, 7, 12.

Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1990, ch. M.7.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 4(2), 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5), 74(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 67), b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), (2) (mod. idem), 103 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 27; L.C. 1992, ch. 49, art. 94; 1995, c. 15, art. 19), 103.1(3) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 12), (6) (édicté, idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 95).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

jurisprudence

décisions appliquées:

Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161 (quant à la question de la capacité); Beaumont c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 25 Imm. L.R. (3d) 189 (C.F. 1re inst.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1; Barone c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 38 Imm. L.R. (2d) 93 (S.A.I.); États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283; (2001), 196 D.L.R. (4th) 1; [2001] 3 W.W.R. 193; 85 B.C.L.R. (3d) 1; 148 B.C.A.C. 1; 151 C.C.C. (3d) 97; 39 C.R. (5th) 205; 81 C.R.R. (2d) 1; 265 N.R. 212; Velupillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] D.S.A.I. no 863 (QL); Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; (2000), 190 D.L.R. (4th) 513; [2000] 10 W.W.R. 567; 23 Admin. L.R. (3d) 175; 81 B.C.L.R. (3d) 1; 3 C.C.E.L. (3d) 165; 77 C.R.R. (2d) 189; 260 N.R. 1; Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 214; (1994), 24 C.R.R. (2d) 276; 85 F.T.R. 99; 30 Imm. L.R. (2d) 33 (1re inst.).

distinction faite d'avec:

Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 86 C.R.R. (2d) 139; 14 Imm. L.R. (3d) 215; 203 F.T.R. 108 (C.F. 1re inst.); Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 17 Imm. L.R. (3d) 34; 281 N.R. 357 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2001] C.S.C.R. no 471.

décisions examinées:

Fernandes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 104 F.T.R. 49 (C.F. 1re inst.); Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; (2002), 208 D.L.R. (4th) 107; 37 Admin. L.R. (3d) 252; 18 Imm. L.R. (3d) 93; 280 N.R. 268; Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646; (1997), 147 D.L.R. (4th) 93; 212 N.R. 63 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1997] 3 R.C.S. xv.

décisions citées:

Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 1 C.F. 605; (1998), 169 D.L.R. (4th) 173; 46 Imm. L.R. (2d) 163; 234 N.R. 112 (C.A.); Armadale Communications Ltd. c. Arbitre (Loi sur l'immigration), [1991] 3 C.F. 242; (1991), 83 D.L.R. (4th) 440; 14 Imm. L.R. (2d) 13; 127 N.R. 342 (C.A.); Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270; (1992), 93 D.L.R. (4th) 589; 10 C.R.R. (2d) 348; 145 N.R. 121 (C.A.); Da Costa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 182; (1997), 137 F.T.R. 268; 41 Imm. L.R. (2d) 12 (1re inst.); Almonte c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'mmigration), [1995] D.S.A.I. no 1254 (S.A.I.) (QL); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ledwich, [1998] D.S.A.I. no 831 (QL); Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779; (1991), 84 D.L.R. (4th) 438; 67 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 1; 6 C.R.R. (2d) 193; 129 N.R. 81.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la section d'appel de la CISR ([2002] D.S.A.I. no 1 (QL)) de rejeter un appel (suite à la réouverture) d'une mesure de renvoi et de refuser également d'accorder un sursis d'exécution de la mesure de renvoi. Demande accueillie.

ont comparu:

Lorne Waldman pour le demandeur.

David W. Tyndale pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Russell: La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision de James Waters, commissaire à la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section d'appel), datée du 3 janvier 2003 [[2003] D.S.A.I. no 1 (QL)] et transmise au demandeur le 7 janvier 2003, ou vers cette date (la décision). La décision de la section d'appel rejetait (suite à la réouverture) l'appel du demandeur d'une mesure de renvoi datée du 7 juin 1999 (la mesure de renvoi) et refusait aussi d'accorder un sursis d'exécution de la mesure de renvoi. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant la question à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

LE CONTEXTE

[2]Le demandeur est un résident permanent du Canada. Il est arrivé au Canada en provenance de la Jamaïque alors en 1967 qu'il était âgé d'environ 18 mois. Il a reçu le droit d'établissement en qualité de résident permanent, statut qu'il possède toujours. Au cours de l'adolescence, il a commencé à manifester des signes de schizophrénie. Il a eu des ennuis avec la police. Suite à plusieurs arrestations, il a été déclaré coupable de 36 infractions criminelles, dont trois pour agression sexuelle et d'autres pour trafic de cocaïne. Il a aussi été reconnu coupable de voies de fait et de voies de fait causant des lésions corporelles. Le 12 mars 1999, un rapport fondé sur l'article 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5] de l'ancienne Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] a été transmis à un arbitre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. L'enquête tenue en vertu de l'article 27 a donné lieu à la délivrance d'une mesure de renvoi le 7 juin 1999.

[3]Le demandeur a fait appel auprès de la section d'appel, qui a rejeté son appel. Le demandeur ne pouvant prendre part à cette instance en raison de sa maladie, un représentant a été désigné pour agir en son nom. Lors de cette première audience, la mère du demandeur (son représentant désigné), qui est travailleur social, a apporté son témoignage. Lors du rejet de l'appel, la section d'appel ne pouvait tenir compte des conditions qui prévalaient en Jamaïque suite à la jurisprudence établie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 1 C.F. 605 (C.A.).

[4]La section d'appel a conclu que la preuve démontrait que le risque de récidive du demandeur est très élevé et qu'il cause un danger pour le public. La section d'appel a aussi conclu que le demandeur ne serait pas soumis à un changement significatif s'il est expulsé, parce que cela ne changerait pas grand-chose à sa vie.

[5]La demande de contrôle judiciaire de la décision de la section d'appel a été rejetée par la juge Dawson, dans Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 86 C.R.R. (2d) 139 (C.F. 1re inst.) (Romans 1). Dans ses motifs, la juge Dawson a conclu que même si l'expulsion mettait en cause l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], il n'y avait pas eu violation des principes de justice fondamentale. Elle se considérait liée par l'arrêt de la Cour suprême du Canada Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, où la Cour suprême a conclu qu'il était loisible au législateur d'adopter des lois prescrivant les conditions en vertu desquelles il sera permis aux non-citoyens d'entrer et de demeurer au Canada. La juge Dawson a conclu que la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chiarelli, précité, ne «reposait [pas] sur l'âge ou la capacité de M. Chiarelli» (paragraphe 28).

[6]La juge Dawson a certifié la question suivante:

À la lumière de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans États-Unis d'Amérique c. Burns, [2001] A.C.S. no 8, 2001 CSC 7, et de l'évolution de l'interprétation de la Charte, l'expulsion d'un résident permanent en application de l'alinéa 27(1)d) de la Loi constitue-t-elle une violation des principes de justice fondamentale lorsque cette personne réside au Canada depuis sa plus tendre enfance, et qu'elle n'a donc pas de résidence à l'extérieur du Canada, et lorsque cette personne souffre d'une maladie mentale grave au point de la rendre incapable de fonctionner dans la société?

[7]La Cour d'appel fédérale [Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 17 Imm. L.R. (3d) 34 (C.A.F.), aux paragraphes 2 et 4] a répondu à la question certifiée par la négative et elle a rejeté l'appel du demandeur:

Le fait que l'appelant réside au Canada depuis sa petite enfance, qu'il n'ait établi aucun domicile à l'extérieur du Canada et qu'il souffre de schizophrénie paranoïde chronique ne lui confère pas le droit absolu de rester au Canada, ce droit étant accordé uniquement aux citoyens canadiens au paragraphe 6(1) de la Charte.

[. . .]

Nous sommes d'avis que dans sa décision, la Section d'Appel a su pondérer les intérêts divergeants, tel que dicté par la Cour Suprême du Canada (quoique dans des circonstances différentes) dans l'arrêt États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283, et, en se fondant sur la preuve qui lui a été présentée, a pu conclure que l'expulsion de l'appelant, dans les circonstances de la présente affaire, était conforme aux principes de justice fondamentale. C'est avec raison que Madame le juge Dawson a choisi de ne pas intervenir, ([2001] A.C.F. no 740, 2001 CFPI 466).

[8]La Cour suprême du Canada a refusé la demande d'autorisation d'en appeler de la décision de la Cour d'appel fédérale Romans 1 [[2001] C.S.C.R. no 471].

[9]Le demandeur s'est adressé à la section d'appel pour obtenir la réouverture du dossier. La demande contient un affidavit de la fort exemplaire mère du demandeur. Elle y indique qu'elle est entrée en rapport avec des psychiatres et découvert que l'existence d'un nouveau médicament constituait une possibilité de traitement pour son fils. Elle a aussi indiqué qu'on lui avait dit que si le demandeur recevait le traitement adéquat, il avait de fortes chances de réagir positivement et donc qu'il serait préférable qu'il soit transféré du Centre de détention ouest à l'établissement Penetang. Le demandeur a présenté une preuve documentaire abondante, en plus de s'appuyer sur la connaissance personnelle de sa mère, pour démontrer qu'en Jamaïque les personnes emprisonnées sont humiliées et font souvent l'objet de voies de fait et d'agressions sexuelles, ce qui fait que sa vie serait en danger.

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

[10]Lors de l'audition devant la section d'appel qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire, la mère du demandeur, qui a été commise d'office pour le représenter, a témoigné que la famille est venue au Canada en 1965 alors que le demandeur avait 18 mois. Elle a aussi témoigné qu'elle et son mari ont obtenu la citoyenneté à peu près cinq ans plus tard, mais que par ignorance elle n'a pas fait une demande de citoyenneté pour le demandeur. Elle a déclaré que le demandeur était un enfant très obéissant jusqu'à la fin de son adolescence, époque à laquelle il a commencé à manifester des signes de maladie mentale. Au début de la vingtaine, il a été diagnostiqué comme souffrant de schizophrénie paranoïde chronique. Elle a déclaré qu'on n'avait pas fait de tentative systématique pour aider son fils. Elle a aussi déclaré que le demandeur n'avait aucune famille en Jamaïque et qu'il ne pourrait y recevoir les traitements dont il avait besoin.

[11]Le tribunal a recueilli le témoignage d'expert du Dr Sameh Hassan, en matière d'évaluation psychiatrique du demandeur. Il a témoigné que le demandeur conservait une partie de sa santé mentale et qu'il était susceptible de réadaptation. Il a aussi témoigné qu'il y avait une bonne chance qu'on puisse aider le demandeur à devenir semi-indépendant. Le Dr Hassan a aussi déclaré que si le demandeur était traité de façon appropriée, il pourrait être transféré dans un foyer de transition dans les six à douze mois et ne représenter qu'un faible risque pour la société. Le Dr Hassan a fait remarquer qu'il connaissait des cas où des patients hospitalisés à long terme avaient été réadaptés.

[12]À la réouverture de l'audition, l'avocat du demandeur a soutenu que la section d'appel devait exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité de la Charte, et qu'au vu de la jurisprudence de notre Cour, y compris le contrôle judiciaire Romans 1 devant la juge Dawson, les droits du demandeur garantis par l'article 7 de la Charte étaient mis en cause. L'avocat a soutenu que l'on pouvait maintenant faire une distinction avec Romans 1, en ce qu'il existait une nouvelle preuve quant aux conditions prévalant en Jamaïque, preuve qu'on n'avait pu présenter antérieurement puisque la jurisprudence de l'époque ne permettait pas d'en tenir compte. L'avocat a aussi fait remarquer, à la réouverture de l'audition, que la section d'appel avait une nouvelle preuve psychiatrique, qui porte que le demandeur a une bonne chance de se rétablir s'il obtient un traitement adéquat. L'avocat a soutenu qu'en exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, la section d'appel devait tenir compte des principes de la justice fondamentale. Selon l'avocat, le seul exercice possible du pouvoir discrétionnaire de la section d'appel en l'espèce, au vu de la preuve sur les conditions dans le pays, était d'accueillir l'appel. Subsidiairement, l'avocat a soutenu que la section d'appel devrait ordonner un sursis d'exécution de la mesure de renvoi, sous réserve que le demandeur soit maintenu en détention jusqu'à ce qu'un psychiatre juge qu'il pouvait vivre de façon indépendante.

[13]Se fondant sur son point de vue que le demandeur posait toujours un danger pour le public, le ministre a soutenu que l'appel devait être rejeté. L'audience a alors été ajournée, étant entendu que si l'appel était rejeté en equity, la section d'appel siégerait à nouveau pour recevoir une preuve et examiner les questions relatives à la Charte soulevées dans l'avis de question constitutionnelle présenté par le demandeur. Après que la section d'appel eut rejeté l'appel en equity, elle a demandé les prétentions des parties sur sa compétence de tenir compte de la Charte dans le cas de réouverture d'un appel. Après avoir reçu ces prétentions, la section d'appel a conclu qu'elle avait compétence pour procéder à la réouverture d'un appel interjeté contre une mesure de renvoi seulement pour des motifs d'ordre discrétionnaire et elle a rejeté l'appel.

[14]Le demandeur a déposé une preuve documentaire abondante sur les conditions en Jamaïque, y compris une preuve portant sur les brutalités policières visant les détenus souffrant d'une maladie mentale. La section d'appel a conclu que les conditions réservées aux malades mentaux dans les prisons, les hôpitaux et les rues de la Jamaïque sont pires que celles qui existent au Canada.

[15]La section d'appel a pris note du fait que le demandeur avait été frappé d'une mesure de renvoi le 7 juin 1999. Son premier appel a été rejeté, ainsi que sa demande de contrôle judiciaire subséquente. La section d'appel a accepté la demande de réouverture, tout en précisant que [aux paragraphes 2 et 3]:

Bon nombre des conclusions auxquelles est arrivé le tribunal de première instance n'ont pas été contestées par ni l'une ni l'autre des parties devant le nouveau tribunal. Le conseil de l'appelant n'a pas contesté la conclusion antérieure selon laquelle les infractions pour lesquelles l'appelant a été condamné étaient graves. Le conseil du ministre n'a pas cherché à contester les conclusions antérieures selon lesquelles «il ne fait aussi pas de doute que l'appelant est établi au Canada, dans la mesure où il est établi quelque part dans le monde» ni n'a contesté la conclusion du tribunal précédent selon laquelle «l'expulsion de l'appelant du Canada serait très pénible du point de vue émotif pour la famille de l'appelant, en particulier sa mère». Compte tenu de l'état de santé de l'appelant et de son incapacité de témoigner, la question du remords n'a pas été discutée longuement devant ni l'un ni l'autre des tribunaux.

La nouvelle preuve présentée devant le tribunal concernait la possibilité de réadaptation de l'appelant et le potentiel de préjudice à l'étranger qu'il pourrait subir en Jamaïque, qui a été établi comme le pays où il serait probablement renvoyé. [Notes de bas de page omises.]

[16]S'agissant de la possibilité de réadaptation, la section d'appel renvoie à la conclusion de Romans 1 voulant qu'il y ait une très forte probabilité que le demandeur récidive. La section d'appel ajoute que le demandeur est en détention et que le Dr Hassan l'a interviewé et a passé son dossier en revue. Elle prend aussi note du témoignage du Dr Hassan portant que le demandeur souffre de schizophrénie paranoïde chronique et d'abus d'alcool et de drogues, et qu'il peut constituer un danger pour lui-même et pour le public s'il n'est pas incarcéré. La section d'appel note le témoignage du Dr Hassan que la schizophrénie altère le jugement et perturbe les fonctions émotives et cognitives, et que la schizophrénie du demandeur est exacerbée par sa cocaïnomanie. La section d'appel prend note du témoignage du Dr Hassan qui fait état de nouveaux médicaments avec lesquels on n'a pas encore traité le demandeur, mais elle arrive à la conclusion qu'il serait très difficile d'assurer la protection du public en cas de sursis d'exécution de la mesure de renvoi [au paragraphe 10]:

Il ressort de la preuve que l'appelant a été admis aux hôpitaux Scarborough Grace Hospital, Queen Street Mental Health Centre et Wellesley Central Hospital et a obtenu son congé de chacun. En dépit de la gravité de son état de santé, l'appelant n'a effectué que de courts séjours dans chacun de ces hôpitaux. Son dossier d'hospitalisation indique que l'appelant était en mesure de quitter l'hôpital et de retourner dans la rue en peu de temps. La preuve présentée n'est pas suffisamment crédible ou digne de foi pour établir que la motivation passée de l'appelant à demeurer dans la rue plutôt que dans un hôpital a changé. Après un examen approfondi de la question, j'ai déterminé que je ne suis pas en mesure de rédiger une ébauche des conditions qui assureraient la protection du public si je consentais à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi. Le programme de traitement proposé ne prend pas expressément en compte la toxicomanie de l'appelant. Le programme envisagé en vue de traiter sa schizophrénie est chargé d'incertitude et de lacunes susceptibles de mettre en danger la sécurité du public. [Note en bas de page omise.]

[17]La section d'appel poursuit en examinant le préjudice à l'étranger, résumant la preuve du demandeur au sujet des conditions en Jamaïque et reconnaissant que ce dernier n'a aucun contact parmi les habitants de ce pays. La section d'appel déclare ensuite que le seul hôpital en Jamaïque qui reçoit les malades mentaux est Bellevue, où il y a très peu de possibilités de réadaptation parce que cet hôpital est habituellement rempli à capacité et qu'on n'y a pas accès aux médicaments requis. La section d'appel fait ensuite le commentaire important suivant [aux paragraphes 13 et 14]:

Eu égard à l'ensemble de la preuve, je suis persuadé de la disponibilité de soins psychiatriques en Jamaïque. Je suis aussi convaincu que la qualité de ces soins est inférieure à celle offerte au Canada.

La SAI a conclu, en s'appuyant sur la preuve présentée à l'audience devant le tribunal de première instance, que la maladie de l'appelant en a fait un itinérant au Canada. «S'il est expulsé, il est probable que cela ne changera pas grand-chose à sa vie».

[18]La section d'appel tire ensuite la conclusion suivante [au paragraphe 15]:

Eu égard à l'ensemble de la preuve présentée, je suis persuadé que, selon la prépondérance des probabilités, les conditions réservées aux personnes atteintes de maladies mentales dans les prisons, les hôpitaux et les rues de la Jamaïque sont pires que celles qui existent au Canada. [. . .] Je ne suis pas persuadé, selon la prépondérance des probabilités, que les conditions dans les rues de la Jamaïque sont telles que les difficultés auxquelles ferait face l'appelant seraient nettement pires que celles qu'il vit au Canada.

[19]En conséquence, l'appel a été rejeté. La section d'appel a ensuite fait le commentaire suivant au sujet de sa compétence pour examiner les questions portant sur la Charte [au paragraphe 17]:

La compétence discrétionnaire de la SAI est de nature permanente dans les cas de renvoi en vertu de la Loi sur l'immigration. La SAI a la compétence voulue pour procéder à la réouverture d'un appel interjeté contre une mesure de renvoi seulement pour des motifs d'ordre discrétionnaire. Le conseil de l'appelant a déposé un avis de question constitutionnelle avant la tenue de l'audience dans le but de contester la validité de l'alinéa 36(1)a) ainsi que des paragraphes 44(1) et 48(1) de l'actuelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le présent appel est régi par la Loi sur l'immigration. Néanmoins, à la réouverture de l'appel, l'appelant ne peut contester la validité constitutionnelle de la mesure de renvoi. L'appel est rejeté. [Note en bas de page omise.]

LES QUESTIONS EN LITIGE

[20]Le demandeur soulève les questions suivantes:

La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu'elle ne pouvait examiner la Charte lors de la réouverture d'un appel?

La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en n'examinant pas la question de savoir si elle aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux impératifs de la Charte, comme l'a précisé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh, précité?

L'article 7 de la Charte est-il en cause dans le processus d'appel en l'espèce?

Si l'article 7 de la Charte est en cause, la mesure de renvoi en l'espèce respecte-t-elle les principes de justice fondamentale?

La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu'elle n'avait pas compétence pour ordonner que le demandeur soit incarcéré jusqu'à ce qu'il ait obtenu les traitements nécessaires?

La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit par la façon dont elle a exercé sa compétence en l'espèce?

LA NORME DE CONTRÔLE

[21]La juge Snider a abordé la question de la norme de contrôle applicable aux décisions de la section d'appel dans Beaumont c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 25 Imm. L.R. (3d) 189 (C.F. 1re inst.), en se fondant sur Romans 1 [au paragraphe 20]:

Il est traité de la norme de contrôle judiciaire applicable dans Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 740 (C.F. 1re inst.), décision dans laquelle la Cour a déclaré que cette norme était la suivante eu égard aux conclusions de la SAI:

Pour analyser cette question, il faut d'abord se demander: quelle norme de contrôle convient-il d'appliquer? La Section d'appel jouit d'un large pouvoir discrétionnaire pour autoriser un individu à demeurer au Canada. Par conséquent, pour que la décision de la Section d'appel sur cette question soit susceptible de révision, on doit démontrer que la Section d'appel a soit refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire, soit exercé son pouvoir discrétion-naire autrement qu'en conformité avec les principes juridiques établis. Si la Section d'appel a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, non pas de manière arbitraire ou illégale, et en écartant les facteurs sans pertinence, la Cour ne peut modifier la décision rendue par la Section d'appel. Le fait que la Cour aurait pu avoir exercé ce pouvoir discrétionnaire différemment ne suffit pas.

LA LÉGISLATION PERTINENTE

[22]L'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés porte que:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[23]Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, sont rédigées comme suit [articles 74 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28. art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 67), 103.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 12; L.C. 1992, ch. 49, art. 95)]:

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:

[. . .]

d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, autre qu'une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions:

(i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée,

(ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;

[. . .]

74. (1) Si elle fait droit à un appel interjeté dans le cadre de l'article 70, la section d'appel annule la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel et peut:

a) soit lui substituer celle qui aurait dû être prise;

b) soit ordonner, sauf s'il s'agit d'un résident permanent, que l'appelant fasse l'objet d'un interrogatoire comme s'il demandait l'admission à un point d'entrée.

(2) En cas de sursis d'exécution de la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l'appelant est autorisé à entrer ou à demeurer au Canada aux éventuelles conditions fixées par la section d'appel. Celle-ci réexamine le cas en tant que de besoin.

[. . .]

103.1 [. . .]

(3) Le ministre peut modifier l'attestation en y incluant toute question visée aux sous-alinéas (2)a)(i) ou (ii). Le cas échéant, l'intéressé est amené sans délai devant un arbitre et, par la suite, comparaît devant lui au moins une fois tous les sept jours pour examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de sa garde.

[. . .]

(6) L'examen prévu aux paragraphes (2) ou (3) se fait à huis clos si l'intéressé est soupçonné d'appartenir à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l).

ANALYSE

La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu'elle ne pouvait examiner la Charte lors de la réouverture d'un appel?

[24]Le demandeur soutient qu'en l'espèce, la section d'appel a conclu qu'elle ne pouvait prendre la Charte en considération du fait que sa compétence de réouverture était tirée uniquement de sa compétence en equity, et que par conséquent elle ne pouvait traiter de questions de droit après la réouverture d'un appel. Le demandeur soutient qu'il est très clair que tous les tribunaux doivent appliquer la loi conformément à la Charte. La constitutionnalité de la mesure de renvoi n'a pas été mise en question lors du premier appel. Elle a toutefois été soulevée lors de la demande de contrôle judiciaire de la décision dans cet appel, Romans 1, où notre Cour, au vu du dossier, a conclu que l'article 7 de la Charte était en cause, mais qu'il n'y avait eu aucune violation des principes de justice fondamentale.

[25]Le demandeur soutient qu'il n'y a aucun doute que la section d'appel a compétence pour tenir compte de la Charte et pour l'appliquer (Armadale Communications Ltd. c. Arbitre (Loi sur l'immigration), [1991] 3 C.F. 242 (C.A.)), et que, comme la Charte est la loi suprême du Canada, tout le reste de la législation doit y être subordonné. Voici ce que la Cour suprême a fait remarquer dans l'arrêt Suresh, précité [au paragraphe 77]:

La ministre a l'obligation d'exercer conformément à la Constitution le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi sur l'immigration. À cette fin, elle doit mettre en balance les facteurs pertinents de l'affaire dont elle est saisie.

[. . .]

Au Canada, le résultat de la mise en balance des diverses considérations par la ministre doit être conforme aux principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte. Il s'ensuit que, dans la mesure où la Loi sur l'immigration n'écarte pas la possibilité d'expulser une personne vers un pays où elle risque la torture, la ministre doit généralement refuser d'expulser le réfugié lorsque la preuve révèle l'existence d'un risque sérieux de torture.

[26]Le demandeur soutient qu'au vu de ces dicta, la section d'appel a clairement commis une erreur en concluant qu'elle n'avait pas la compétence requise pour examiner les arguments fondés sur la Charte. Bien qu'il soit possible que la section d'appel ne puisse examiner d'autres questions de droit qui ont déjà été tranchées lors du premier appel, ce raisonnement ne peut être appliqué aux questions fondées sur la Charte. La section d'appel a clairement commis une erreur en déclarant ne pas avoir compétence pour examiner les questions fondées sur la Charte et en ne donnant pas au demandeur l'occasion de présenter sa preuve à ce sujet.

[27]En réponse, le défendeur soutient que la décision a été prise en conformité avec la Charte. Dans l'arrêt Romans, précité, aux paragraphes 1 et 2, la Cour d'appel fédérale a décidé qu'elle n'avait pas à déterminer si l'article 7 de la Charte s'applique. La Cour suprême du Canada a adopté le même point de vue dans l'arrêt Chiarelli, précité.

[28]Dans l'arrêt Chiarelli, précité, la Cour suprême du Canada a décidé qu'il n'était pas nécessaire, dans l'examen de la question de savoir si l'expulsion d'un criminel respectait la Charte, de déterminer si le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne est mis en cause par une expulsion. Elle a tout simplement conclu qu'il suffisait de décider qu'il n'y avait pas eu violation des principes de justice fondamentale.

[29]Dans l'arrêt Chiarelli, précité, la Cour a souligné qu'il était loisible au législateur d'adopter des lois prescrivant les conditions en vertu desquelles il sera permis aux non-citoyens d'entrer et de demeurer au Canada. Lorsqu'un résident permanent a manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il lui soit permis de demeurer au Canada, le fait de mettre effectivement fin à son droit d'y demeurer ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale. Dans le cas d'un résident permanent, la Cour a conclu que seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat.

[30]Selon le défendeur, l'arrêt Chiarelli, précité, est directement applicable en l'espèce. La décision de la Cour suprême ne reposait pas sur l'âge ou la capacité de Chiarelli. En fait, la Cour suprême a conclu que [à la page 734] «[p]oint n'est besoin, pour se conformer aux exigences de la justice fondamentale, de chercher, au-delà [des déclarations de culpabilité criminelle], des circonstances aggravantes ou atténuantes».

[31]La prétention du demandeur qu'il a un droit absolu de demeurer au Canada, nonobstant les violences qu'il a perpétrées et les diverses déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles, est contraire à l'article 6 de la Charte et au paragraphe 4(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 3] de la Loi sur l'immigration. Seuls les Canadiens ont le droit absolu de demeurer au Canada.

[32]La Cour d'appel fédérale a appliqué les arrêts Chiarelli, précité; Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.) et Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), et conclu que le fait de certifier qu'une personne est un «danger pour le public» (ce qui lui enlève le droit d'en appeler à la section d'appel) n'enfreint pas l'article 12 de la Charte, même si la personne en cause est atteinte d'une maladie mentale. Da Costa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 182 (C.A.); Canepa, précité.

[33]Le défendeur fait remarquer que le demandeur n'a pas contesté la validité de la mesure de renvoi lors de la première audition, et que le premier tribunal a conclu à sa validité en droit. Le défendeur fait remarquer qu'à la seconde audition, le demandeur a voulu soutenir que la section d'appel avait, lors d'une réouverture, la compétence requise pour réexaminer la validité en droit (c.-à-d. constitutionnelle) de la mesure de renvoi. Le défendeur a présenté ses allégations voulant que la section d'appel n'a pas compétence, lors d'une réouverture, pour examiner la validité constitutionnelle d'une mesure de renvoi puisqu'elle ne peut contrôler une question de droit tranchée par un autre tribunal. La façon appropriée de procéder en ce sens est le contrôle judiciaire devant notre Cour.

[34]Le défendeur souligne le fait que notre Cour a examiné la contestation de la première décision de la section d'appel lors d'un contrôle judiciaire, Romans 1, et il soutient que notre Cour a constaté qu'on n'a pas contesté la validité de la mesure de renvoi devant la section d'appel et que, par conséquent, le contrôle judiciaire se limitait à un examen de la façon dont la section d'appel avait, au vu de l'ensemble des circonstances, examiné la question de savoir si le demandeur ne devrait pas être renvoyé du Canada (Romans 1, précité, au paragraphe 7).

[35]Le défendeur a présenté une jurisprudence tirée des décisions de la section d'appel, où l'on trouve qu'à l'occasion d'une réouverture la compétence de la section d'appel se limite aux considérations en equity qui lui sont régulièrement soumises. Dans ses motifs, la section d'appel s'est appuyée sur cette jurisprudence pour conclure que le demandeur ne pouvait être autorisé à contester la légalité de la mesure de renvoi (Barone c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 38 Imm. L.R. (2d) 93 (S.A.I.), au paragraphe 21):

Outre les restrictions apportées à son pouvoir de rouvrir les appels, telles qu'énoncées dans Grillas, la Section d'appel de l'immigration est, à l'instar de tous les autres tribunaux administratifs, liée par les principes d'un autre arrêt de la Cour suprême du Canada, savoir Chandler c. Alberta Association of Architects ((1989), 2 R.C.S. 848). Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a exposé quatre circonstances dans lesquelles un tribunal administratif aurait compétence pour réexaminer ses propres décisions. L'une de ces circonstances est l'erreur entraînant la nullité de la décision. Selon moi, l'erreur de compétence constitue une telle circonstance. Par exemple, si la Section d'appel de l'immigration conclut à tort que l'appelant n'est pas un résident permanent, alors qu'il l'est en fait, et qu'elle se fonde sur cette conclusion pour refuser d'entendre l'appel de ce dernier, la décision de la Section d'appel de l'immigration est frappée de nullité. Pareille circonstance peut donner lieu à la réouverture de l'appel. Il peut s'agir d'un cas où la Section d'appel de l'immigration est tenue de revoir la décision qu'elle a rendue antérieurement pour ce qui est de sa propre compétence. Si je comprends bien les arguments du requérant, la décision de la Section d'appel de l'immigration de rejeter son appel pour défaut de compétence équivaut à une erreur de compétence qui rend nulle la décision en question à la lumière du raisonnement adopté dans Williams.

[36]Je constate qu'il n'est pas beaucoup fait mention des questions liées à la Charte dans la décision elle-même. La section d'appel [dans Romans, précité] se limite à déclarer ce qui suit, au paragraphe 17:

La compétence discrétionnaire de la SAI est de nature permanente dans les cas de renvoi en vertu de la Loi sur l'immigration. La SAI a la compétence voulue pour procéder à la réouverture d'un appel interjeté contre une mesure de renvoi seulement pour des motifs d'ordre discrétionnaire. Le conseil de l'appelant a déposé un avis de question constitutionnelle avant la tenue de l'audience dans le but de contester la validité de l'alinéa 36(1)a) ainsi que des paragraphes 44(1) et 48(1) de l'actuelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le présent appel est régi par la Loi sur l'immigration. Néanmoins, à la réouverture de l'appel, l'appelant ne peut contester la validité constitutionnelle de la mesure de renvoi. (Almonte, Antoniov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (S.A.I. T89-00826).)

[37]Selon moi, la section d'appel déclare clairement qu'elle ne peut examiner la constitutionnalité de la mesure de renvoi elle-même. Elle déclare aussi qu'elle n'a compétence pour procéder à la réouverture d'un appel interjeté contre une mesure de renvoi que pour des «motifs d'ordre discrétionnaire». Ceci m'amène à penser que la section d'appel a décidé qu'elle n'examinerait pas les questions relatives à la Charte soulevées par le demandeur, croyant qu'elle n'avait pas la compétence pour le faire.

[38]S'agissant de la décision de la section d'appel qui veut que la constitutionnalité de la mesure de renvoi ne pouvait être soulevée à ce moment-là, je suis d'avis qu'il existe une jurisprudence à cet effet. Voir Almonte c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] D.S.A.I. no 1254 (QL); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ledwich, [1998] D.S.A.I. no 831 (QL); Barone, précité. Toutefois, dans la mesure où la conclusion de la section d'appel porte qu'elle ne peut tenir aucun compte de la Charte en exerçant son pouvoir discrétionnaire dans le cadre d'une réouverture, il est clair qu'elle est dans l'erreur. On pourrait dire cela d'une autre façon, comme le suggère le défendeur, savoir que la section d'appel devait, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire dans le cadre d'une réouverture, décider «si l'exécution de la mesure de renvoi» violerait les droits du demandeur garantis par la Charte. La décision n'est pas très claire à ce sujet, mais, selon moi, la section d'appel semble dire qu'elle ne tiendra compte que des «motifs d'ordre discrétionnaire».

[39]S'agissant de la première question soulevée par le demandeur, selon moi la section d'appel a commis une erreur susceptible de révision en décidant qu'elle ne pouvait examiner les arguments fondés sur la Charte que le demandeur voulait présenter au sujet de l'exécution de la mesure de renvoi.

La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en n'examinant pas la question de savoir si elle aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux impératifs de la Charte, comme l'a précisé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh, précité?

[40]Le demandeur soutient que la section d'appel a commis une erreur en n'examinant pas les questions pertinentes relatives à la Charte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, et en n'appliquant pas la Charte. En l'espèce, l'avocat du demandeur se fonde sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Suresh, précité, pour soutenir que la section d'appel doit exercer son pouvoir discrétionnaire conformément à la Charte. Le demandeur déclare qu'au vu de la nouvelle preuve présentée à la section d'appel en l'espèce (preuve qui n'avait été examinée ni par le tribunal précédent de la section d'appel, ni par cette Cour dans Romans 1), le renvoi du demandeur viendrait inévitablement violer les principes de justice fondamentale. Par conséquent, la section d'appel n'avait d'autre choix que d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur.

[41]Le demandeur soutient qu'il y a une preuve claire soumise à la section d'appel qui démontre les faits suivants:

1. le demandeur est arrivé au Canada alors qu'il avait 18 mois et il a passé toute sa vie au Canada;

2. c'est au Canada qu'il est tombé malade;

3. le Dr Hassan a témoigné qu'il ne pouvait considérer que le demandeur était responsable des actes criminels qu'il avait commis, puisqu'il était un malade mental à l'époque des faits;

4. par le passé, le demandeur n'a pas été traité de façon adéquate pour sa maladie;

5. il y a présentement des traitements disponibles qui comportent une bonne chance de succès;

6. le demandeur n'a aucun lien avec la Jamaïque;

7. en Jamaïque, les malades mentaux font l'objet d'abus systématiques;

8. l'hôpital Bellevue (le seul hôpital de la Jamaïque qui pourrait potentiellement admettre le demandeur) n'est pas bien équipé, il est habituellement rempli à capacité et il offre très peu de possibilités de réadaptation; et

9. compte tenu de ces facteurs, la vie du demandeur sera sérieusement mise en danger s'il est renvoyé en Jamaïque.

[42]Le demandeur soutient qu'au vu de telles circonstances, son renvoi en Jamaïque ne peut que violer les principes de justice fondamentale et que, quelles que soient les autres préoccupations, y compris tout risque pour le public au Canada, la section d'appel aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur (voir l'arrêt Suresh, précité, et l'arrêt États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283). Le demandeur est d'avis que les motifs de décision ne font pas ressortir que la section d'appel aurait même examiné ces questions.

[43]En réponse, le défendeur soutient que les faits en l'espèce justifient une distinction avec l'arrêt Suresh, précité. Le demandeur en l'espèce n'est pas un réfugié au sens de la Convention. On n'a pas non plus soulevé d'allégations sérieuses fondées sur les motifs réels qui permettraient de croire que le demandeur pourrait être torturé s'il est renvoyé en Jamaïque. Bien qu'il y ait lieu d'examiner les principes établis en matière d'expulsion par l'arrêt Suresh, précité, leur application est limitée en l'espèce étant donné les différences importantes entre les faits.

[44]En sus de la constitutionnalité de la mesure de renvoi, l'avocat du demandeur a aussi soulevé devant la section d'appel la question de savoir jusqu'à quel point la Charte venait restreindre sa compétence discrétionnaire générale en l'espèce et, notamment, les implications de l'arrêt Suresh, précité, de la Cour suprême du Canada, sur l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[45]L'argument du défendeur sur cette question porte essentiellement que la section d'appel n'a aucune obligation de mentionner spécifiquement les arguments portant sur la Charte. Elle n'a qu'à exercer son pouvoir discrétionnaire en se déchargeant de son obligation en vertu de la loi tout en respectant la Charte et en accord avec les principes de justice fondamentale. C'est ce qu'elle a fait.

[46]Selon moi, la section d'appel aurait dû examiner la question de savoir jusqu'à quel point l'exercice de son pouvoir discrétionnaire était affecté par les principes de la Charte, ainsi que les implications de l'arrêt Suresh, précité, sur la décision qu'elle devait rendre, notamment au vu de la nouvelle preuve présentée sur les conditions en Jamaïque et sur ce qui attendait le demandeur à supposer qu'on l'y renvoie. L'argument du défendeur que la section d'appel n'est aucunement obligée de mentionner expressément la Charte et les questions soulevées en vertu de la Charte par le demandeur au vu de l'arrêt Suresh, précité, ne répond pas vraiment, à mon avis, à l'objection soulevée par le demandeur. Ceci parce qu'il n'est pas clair au vu de la décision si la section d'appel considérait que les questions liées à la Charte avaient quelque pertinence dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Étant donné que l'impact de la Charte, surtout depuis l'arrêt Suresh, précité, constituait une partie significative des arguments du demandeur, la section d'appel aurait dû traiter de ces questions dans ses motifs de décision. Selon moi, son défaut de le faire constitue une erreur susceptible de révision.

[47]Le défendeur tente de distinguer les faits dans l'arrêt Suresh, précité, des faits en l'espèce. C'est vrai qu'ils sont différents. Mais les distinctions de fait n'enlèvent rien aux considérations de fond qui s'appliquent aux décisions de cette nature selon l'arrêt Suresh, précité. Dans l'arrêt Suresh, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré que: «nous examinons les facteurs reconnus en common law non pas comme une fin en soi, mais pour nous guider dans notre analyse de la procédure au regard de l'art. 7, tout comme nous l'avons fait dans le cas des aspects substantiels de l'art. 7 par rapport à l'expulsion impliquant un risque de torture» (paragraphe 114). Je ne veux pas suggérer ici que la preuve des conditions qui prévalent en Jamaïque et de ce qui attend le demandeur fait nécessairement ressortir quelque chose d'équivalent à ce qui attendait M. Suresh, et je ne partage pas l'avis de l'avocat du demandeur qui veut qu'en l'instance, la justice fondamentale exige que le demandeur puisse demeurer au Canada quel que soit le risque qu'il constitue pour le public. Mais c'est là une question importante que la section d'appel aurait dû examiner en décidant si elle exercerait ou non son pouvoir discrétionnaire. Au vu des motifs de décision, il n'est pas clair qu'elle l'aurait fait ou qu'elle considérait qu'il s'agissait là d'une question de droit liée à la constitutionnalité de la mesure de renvoi et dont elle ne pouvait tenir compte.

[48]Selon moi, la section d'appel n'a pas abordé en l'espèce l'analyse qui lui est maintenant prescrite par l'arrêt Suresh, précité. Je constate que l'arrêt Suresh, précité, a été examiné et appliqué en faveur d'un demandeur devant la section d'appel au moins à une occasion. Dans Velupillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] D.S.A.I. no 863 (QL), le commissaire Egya Sangmuah était saisi de l'appel d'une personne reconnue coupable de complot en vue de faire le trafic de l'héroïne, qui avait été condamnée à huit années de détention. M. Velupillai a été frappé d'une mesure de renvoi et il s'est pourvu devant la section d'appel, qui déclare ceci [aux paragraphes 26 à 28]:

Dans l'arrêt Chieu, la Cour suprême du Canada a établi que, si l'appelant pouvait désigner selon la prépondérance des probabilités le pays où il sera vraisemblablement renvoyé, la SAI peut prendre en compte des éléments de preuve concernant les difficultés possibles à l'étranger. L'appelant a déclaré qu'il sera vraisemblablement renvoyé au Sri Lanka. Il ne possède ni la nationalité ni le statut de résident permanent d'aucun autre pays. Il n'est pas un réfugié au sens de la Convention, puisque la SSR l'a débouté, et il n'est pas protégé contre le refoulement. Le conseil du ministre n'a pas contesté que le pays de destination sera probablement le Sri Lanka. L'appelant a soutenu qu'étant donné les liens qui unissent ses complices aux TLET et les allégations selon lesquelles il appartient à ce mouvement, il risque d'être torturé et de subir d'autres graves violations des droits de la personne s'il était renvoyé au Sri Lanka. Je suis d'accord. La SSR, qui connaît très bien ces questions, a conclu que l'appelant risquait fortement d'être torturé s'il retournait au Sri Lanka. La preuve documentaire soumise par l'appelant corrobore cette opinion. Je remarque que dans Suresh, la Cour suprême du Canada a aussi conclu que le renvoi d'une personne dans un pays où le risque de torture est considérable violerait, dans tous les cas sauf les plus exceptionnels, les principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. En l'espèce, dire que les difficultés possibles à l'étranger sont énormes serait encore peu dire. Ce facteur joue fortement contre le renvoi de l'appelant.

En conclusion, l'appelant a établi, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, qu'il ne devait pas être renvoyé du Canada. J'ai accordé énormément de poids aux difficultés possibles à l'étranger, à l'absence d'activités criminelles de la part de l'appelant depuis 1988 et à l'intérêt supérieur des enfants de l'appelant. À mes yeux, les circonstances qui ont entouré l'infraction (notamment que l'appelant savait que ses complices appartenaient aux TLET et qu'il aurait dû se douter que les profits allaient en partie aux TLET) ont beaucoup joué contre lui, mais les facteurs favorables l'ont emporté sur les facteurs défavorables. Étant donné ces facteurs favorables, y compris le risque minime de récidive de la part de l'appelant, il serait inutile de surseoir à la mesure de renvoi.

Par conséquent, l'appel est accueilli eu égard aux circonstances particulières de l'espèce et la mesure de renvoi prise le 22 juin 1992 est annulée. [Notes en bas de page omises.]

[49]Selon moi, l'arrêt Suresh, précité, est un aspect important du cadre juridique qui s'impose à la section d'appel lorsqu'elle examine les appels de mesures de renvoi. Au vu des motifs de sa décision, il ne m'apparaît pas clair que la section d'appel a considéré que ces considérations étaient de sa compétence. Sa déclaration que sa compétence se limitait à des «motifs d'ordre discrétionnaire» m'amène à penser qu'elle croyait que ce n'était pas le cas. Selon moi, il s'agit là d'une erreur susceptible de révision.

L'article 7 de la Charte est-il en cause dans le processus d'appel en l'espèce?

[50]Le demandeur soutient que cet appel met en cause ses droits garantis par l'article 7 de la Charte. Lors du contrôle judiciaire de la première décision de la section d'appel dans Romans 1, la juge Dawson a conclu que les droits du demandeur garantis par la Charte étaient mis en cause. Le demandeur s'appuie sur l'analyse de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307. La juge Dawson s'est aussi appuyée sur cet arrêt. L'expulsion du demandeur va considérablement affecter sa capacité de faire les choix les plus fondamentaux de sa vie, ainsi qu'affecter la capacité de ceux qui se chargent de lui de pouvoir l'aider et d'en avoir soin.

[51]Le demandeur soutient que la tension psychologique associée au fait qu'on le prive du seul support disponible, ainsi que du seul pays qu'il ait jamais connu, le tout dans des circonstances où il est extrêmement vulnérable, est le genre de tension psychologique dont la Cour suprême fait état dans l'arrêt Blencoe, précité.

[52]Le défendeur soutient que l'expulsion du demandeur, un résident permanent qui a commis des crimes graves, n'enfreint pas l'article 7 de la Charte. Le défendeur renvoie aux motifs du juge Strayer, J.C.A., dans l'arrêt Williams, précité [aux paragraphes 24 et 26], autorisation d'appel à la C.S.C. refusée le 16 octobre 1997, [1997] 3 R.C.S. xv:

[. . .] j'ai du mal à comprendre comment on peut considérer que le refus d'accorder une dispense discrétionnaire de l'exécution d'une mesure d'expulsion légale prise contre un non-réfugié auquel la loi ne reconnaît pas le droit d'être au Canada entraîne une perte de liberté. À moins de considérer que la «liberté» comprend la liberté d'être partout où l'on veut, sans égard à la loi, comment l'exécution légale d'une mesure d'expulsion peut-elle faire perdre cette liberté?

[. . .]

Eu égard aux décisions rendues jusqu'à ce jour, donc, je suis incapable de conclure que la «liberté» comprend le droit pour les résidents permanents de faire le choix personnel de demeurer au Canada lorsque, comme la Cour suprême l'a déclaré dans l'arrêt Chiarelli:

[. . .] [ils] ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada. [Note en bas de page omise.]

[53]Le défendeur fait remarquer qu'en examinant les circonstances du renvoi du demandeur dans Romans 1, la Cour d'appel fédérale a décidé qu'elle n'avait pas à déterminer si l'article 7 s'applique. (Romans, (C.A.F., précité.) La Cour suprême du Canada a adopté le même point de vue dans l'arrêt Chiarelli, précité. Dans l'arrêt Chiarelli, la Cour suprême du Canada a décidé qu'il n'était pas nécessaire, dans l'examen de la question de savoir si l'expulsion d'un criminel respectait la Charte, de déterminer si le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne est mis en cause par une expulsion. Elle a tout simplement conclu qu'il suffisait de décider qu'il n'y avait pas eu violation des principes de justice fondamentale.

[54]Le défendeur soutient que, dans l'arrêt Chiarelli, précité, la Cour à l'unanimité a souligné qu'il était loisible au législateur d'adopter des lois prescrivant les conditions en vertu desquelles il sera permis aux non-citoyens d'entrer et de demeurer au Canada. Lorsqu'un résident permanent a manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il lui soit permis d'entrer et de demeurer au Canada, le fait de mettre effectivement fin à son droit d'y demeurer ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale. Le défendeur ajoute que dans le cas d'un résident permanent, notre Cour a conclu, dans Romans 1, que seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat.

[55]Selon le défendeur, l'arrêt Chiarelli, précité, ne reposait pas sur l'âge ou la capacité de Chiarelli. En fait, la Cour a conclu que «[p]oint n'est besoin, pour se conformer aux exigences de la justice fondamentale, de chercher, au-delà [des déclarations de culpabilité criminelle], des circonstances aggravantes ou atténuantes» (à la page 734).

[56]Le défendeur soutient que la prétention du demandeur qu'il a un droit absolu de demeurer au Canada, nonobstant les violences qu'il a perpétrées et les diverses déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles, est contraire à l'article 6 de la Charte et au paragraphe 4(2) de la Loi sur l'immigration. Seuls les Canadiens ont le droit absolu de demeurer au Canada.

[57]Le défendeur soutient que dans les arrêts Chiarelli, Canepa et Williams, précités, la Cour d'appel fédérale a conclu que le fait de certifier qu'une personne est un «danger pour le public» n'enfreint pas l'article 12 de la Charte, même si la personne en cause est atteinte d'une maladie mentale.

[58]Le défendeur soutient aussi que le demandeur s'appuie à tort sur la jurisprudence en matière d'extradition, notamment l'arrêt Burns, précité, au paragraphe 65, pour établir les principes de justice fondamentale applicables dans le contexte de l'expulsion. Le défendeur soutient que dans l'arrêt Burns, précité, la Cour a confirmé l'utilisation d'une approche contextuelle lorsqu'il s'agit de déterminer quels sont les principes de justice fondamentale applicables dans un contexte d'extradition. Le défendeur soutient que l'arrêt Burns, précité, porte sur des faits très particuliers, sur le contenu précis du traité d'extradition avec les États-Unis, et sur le rôle que joue le Canada, à l'interne comme à l'externe, dans l'abolition de la peine capitale.

[59]Le défendeur soutient que les principes établis dans un contexte d'extradition ne s'appliquent pas automatiquement dans un contexte d'immigration, comme l'a reconnu la Cour suprême dans Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779.

[60]Dans Romans 1, la juge Dawson est arrivée à la conclusion que les droits du demandeur garantis par l'article 7 de la Charte étaient mis en cause. Le défendeur soutient qu'en examinant les circonstances entourant l'expulsion du demandeur, la Cour d'appel fédérale a décidé qu'elle n'avait pas à trancher la question de savoir si l'article 7 était en cause (Romans (C.A.F.), précité). Toutefois, je veux faire remarquer que dans cet arrêt, le juge Décary, J.C.A., a déclaré qu'il était entendu, pour fins de discussion, que [au paragraphe 1] «l'article 7 de la Charte s'applique lors de l'expulsion d'un résident permanent faite en vertu de l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration».

[61]Comme la juge Dawson le fait remarquer dans Romans 1, au paragraphe 22, les «conséquences attribuables à la prise d'une mesure d'expulsion contre un individu sont importantes». En l'espèce, elle «empêche M. Romans de faire le choix personnel fondamental de demeurer au Canada, là où il reçoit l'amour et le soutien de sa famille, un soutien financier, ainsi que le soutien de son travailleur social et du système de soins de santé». En conséquence, la juge Dawson a conclu que la délivrance d'une mesure de renvoi visant le demandeur mettait en jeu ses droits garantis par l'article 7 de la Charte. Selon moi, ces droits sont toujours en jeu lors de la réouverture de son appel et les justifications présentées par la juge Dawson s'appliquent également aux questions qui me sont soumises en l'espèce.

Si l'article 7 de la Charte est en cause, la mesure de renvoi en l'espèce respecte-t-elle les principes de justice fondamentale?

[62]Le demandeur admet que dans Romans 1, la juge Dawson a conclu qu'il n'y avait pas eu violation des principes de justice fondamentale puisque, au vu des faits qui lui étaient soumis, elle ne pouvait distinguer l'affaire de l'arrêt Chiarelli, précité. Dans l'arrêt Chiarelli, précité, la Cour suprême du Canada a conclu que le fait d'expulser du Canada un non-citoyen qui avait manqué volontairement à une condition de son admission au Canada n'allait pas à l'encontre de la justice fondamentale.

[63]Le demandeur soutient que la preuve devant la section d'appel et devant notre Cour indique maintenant que le demandeur souffre d'une maladie mentale depuis l'adolescence. Le Dr Hassan a témoigné que les agissements criminels du demandeur étaient liés à sa maladie, surtout lorsqu'il ne suivait pas de traitement et qu'il avait des hallucinations. Au vu de cette preuve, le demandeur soutient qu'il n'est pas possible d'arriver à la conclusion qu'il a manqué «volontairement» à une condition de son admission au Canada. Il y aurait donc maintenant une différence significative entre la situation en l'espèce et celle qui était visée dans l'arrêt Chiarelli, précité.

[64]De plus, le demandeur soutient avoir déposé une preuve nouvelle et sérieuse devant la section d'appel au sujet de la situation épouvantable à laquelle il serait confronté en Jamaïque du fait de sa maladie mentale. Contrairement à l'affirmation que l'on trouve dans les motifs de décision de la section d'appel, la preuve n'indique absolument pas que le demandeur pourrait y être soigné adéquatement pour ses problèmes très sérieux et complexes. La lettre du consul en Jamaïque confirme qu'il y a très peu de possibilités de réadaptation et que la seule institution du pays apte à traiter un tel cas est habituellement remplie à pleine capacité. Le psychiatre a aussi témoigné que la maladie du demandeur pouvait être traitée, mais qu'il fallait pour ce faire un traitement et des médicaments sophistiqués. La preuve démontre que ce traitement n'est pas disponible en Jamaïque. Une autre partie de la preuve documentaire fait ressortir l'existence d'une société où les malades mentaux chroniques se retrouvent généralement en prison, où ils font l'objet de sévices et de torture. Les malades mentaux qui ne sont pas emprisonnés font l'objet de sévices et de voies de fait dans la rue. Ils n'ont à peu près aucune protection.

[65]Le demandeur soutient que suite aux décisions de la Cour suprême dans les arrêts Suresh, précité, et Burns, précité, on ne peut maintenant contester le fait que le traitement potentiellement réservé au demandeur dans le pays où il est renvoyé est pertinent à l'analyse en vertu de l'article 7. Cette preuve n'était pas devant la Cour dans Romans 1. Cette preuve très forte suggère que le traitement qui serait infligé au demandeur serait aussi épouvantable que la torture anticipée par M. Suresh. Il serait tout aussi choquant de renvoyer le demandeur dans de telles conditions alors qu'il est sans défense, qu'il l'aurait été de renvoyer MM. Burns et Rafay pour faire face à la peine de mort.

[66]Dans l'arrêt Romans, précité, la Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel étant donné qu'au vu des faits qui lui étaient présentés, elle a conclu que la preuve ne suffisait pas à satisfaire au critère du «choc de la conscience» énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Burns, précité.

[67]En l'espèce, le demandeur est un malade mental. Comme je l'ai fait remarquer, on a suggéré dans la preuve qu'au vu de sa maladie, on ne pouvait dire qu'il avait manqué volontairement à une condition de son admission au Canada. Dans l'arrêt Chiarelli, précité, à la page 734, la Cour suprême déclare ceci: «Toutes les personnes qui entrent dans la catégorie des résidents permanents mentionnés au sous-al. 27(1)d)(ii) [de la Loi sur l'immigration] ont cependant un point commun: elles ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada» (non souligné dans l'original), ce qui fait que «mettre effectivement fin à leur droit d'y demeurer ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale». Le demandeur est dans un état tel qu'il ne peut prendre soin de sa personne. De plus, il a passé toute sa vie au Canada et il n'a aucun lien avec la Jamaïque. Finalement, la preuve démontre qu'il fera face à un risque considérable s'il est renvoyé dans ce pays. Au vu de ces facteurs, le demandeur soutient que le fait de le renvoyer en Jamaïque «choquerait la conscience».

[68]Le défendeur soutient que notre Cour a déjà examiné et rejeté l'argument qui veut que l'arrêt Chiarelli, précité, peut être distingué des faits en l'espèce parce que le demandeur est un produit de la société canadienne qui, en raison de sa maladie mentale, n'était pas responsable de ses agissements. Dans Romans 1, la juge Dawson renvoie spécifiquement à l'extrait de l'arrêt Chiarelli, précité, qui traite des personnes qui ont «manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada», avant de conclure qu'elle était liée par l'arrêt Chiarelli, précité. La juge Dawson a conclu que le fait d'expulser du Canada un malade mental comme le demandeur n'enfreignait pas l'article 7 de la Charte. Les principes de justice fondamentale ont été respectés.

[69]Le défendeur soutient que les principes de justice fondamentale applicables en l'espèce sont fondés sur le contexte sociétal et législatif du droit de l'immigration et qu'ils découlent des préceptes fondamentaux de notre régime juridique, régime qui n'accorde pas aux non-Canadiens un droit absolu de demeurer au Canada.

[70]Le défendeur soutient de plus que la procédure suivie en l'espèce a pleinement respecté les principes de justice fondamentale. Un arbitre a délivré la mesure de renvoi suite à une enquête à laquelle le demandeur a participé et où il a pu présenter sa preuve et ses arguments. La mesure de renvoi a fait l'objet d'un appel à la section d'appel, pour des motifs juridiques et d'equity, lors d'une audition de novo. La section d'appel peut accueillir une nouvelle preuve et elle n'est pas tenue de se limiter à la preuve présentée à l'arbitre qui a délivré la mesure de renvoi. À l'audition de cet appel, le demandeur a eu l'occasion de présenter son point de vue de vive voix, d'être représenté par avocat, de faire nommer un représentant désigné, de présenter une nouvelle preuve, d'assigner des témoins en sa faveur et de présenter toute la documentation qu'il voulait voir examiner par la section d'appel.

[71]J'ai examiné la décision du juge Dawson dans Romans 1. Dans cette affaire, le demandeur avait soutenu que la situation pouvait être distinguée de la décision visée par l'arrêt Chiarelli, précité, parce que le demandeur est devenu ce que le Canada a fait de lui et qu'en raison de sa maladie mentale il n'était «pas responsable de ses agissements au même degré». La juge Dawson est arrivée aux conclusions suivantes sur ces questions [aux paragraphes 26 à 31]:

En ce qui concerne la décision antérieure rendue par la Cour suprême dans l'arrêt Chiarelli, M. Romans a plaidé que la Charte était un document vivant, de sorte que l'arrêt Chiarelli doit être revu aujourd'hui à la lumière des nouveaux développements jurisprudentiels. Quoi qu'il en soit, on a considéré que l'arrêt Chiarelli se distinguait de la présente affaire en ce que M. Chiarelli est arrivé au Canada à l'adolescence, à l'âge de 15 ans, et qu'il n'était donc pas le produit de la société canadienne. On a prétendu que ce facteur établissait une distinction d'avec la situation de M. Romans. M. Romans est devenu ce que le Canada a fait de lui et, en raison de sa maladie mentale, il n'est pas responsable de ses agissements au même degré.

Enfin, M. Romans a renvoyé à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, où on a observé que, dans un contexte d'extradition, certaines circonstances pourraient faire en sorte que l'extradition porte atteinte à l'article 7 de la Charte lorsque le traitement réservé par l'État de destination choquerait les valeurs canadiennes.

Malgré l'argument convaincant avancé par l'avocat de M. Romans, je ne peux distinguer la présente affaire de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chiarelli, par lequel je suis liée. Je ne peux conclure que la décision de la Cour suprême reposait sur l'âge ou la capacité de M. Chiarelli.

Dans l'arrêt Chiarelli, à la page 733, la Cour suprême a souligné à l'unanimité qu'il était loisible au législateur d'adopter des lois prescrivant les conditions en vertu desquelles il sera permis aux non-citoyens d'entrer et de demeurer au Canada. La Cour a conclu à la page 734:

L'une des conditions auxquelles le législateur fédéral a assujetti le droit d'un résident permanent de demeurer au Canada est qu'il ne soit pas déclaré coupable d'une infraction punissable d'au moins cinq ans de prison. Cette condition traduit un choix légitime et non arbitraire fait par le législateur d'un cas où il n'est pas dans l'intérêt public de permettre à un non-citoyen de rester au pays. L'exigence que l'infraction donne lieu à une peine de cinq ans d'emprisonnement indique l'intention du législateur de limiter cette condition aux infractions relativement graves. Les circonstances personnelles de ceux qui manquent à cette condition peuvent certes varier énormément. La gravité des infractions visées au sous-al. 27(1)d)(ii) varie également, comme le peuvent aussi les faits entourant la perpétration d'une infraction en particulier. Toutes les personnes qui entrent dans la catégorie des résidents permanents mentionnés au sous-al. 27(1)d)(ii) ont cependant un point commun: elles ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada. En pareil cas, mettre effectivement fin à leur droit d'y demeurer ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale. Dans le cas du résident permanent, seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat. Une ordonnance impérative n'a rien d'intrinsèquement injuste. La violation délibérée de la condition prescrite par le sous-al. 27(1)d)(ii) suffit pour justifier une ordonnance d'expulsion. Point n'est besoin, pour se conformer aux exigences de la justice fondamentale, de chercher, au-delà de ce seul fait, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

À mon avis, cette conclusion est déterminante à l'égard de la question de savoir si le renvoi de M. Romans va à l'encontre de l'article 7 de la Charte.

Quant à la référence à l'arrêt Kindler, je note que celui-ci précède l'arrêt Chiarelli, et je ne vois pas comment on peut affirmer que la décision explicitement rendue dans Chiarelli peut être modifiée par la décision antérieure de la Cour. De plus, on doit traiter les décisions rendues en contexte d'extradition avec une grande prudence pour les fins de la présente affaire, car l'extradition concerne les individus qui sont accusés, et non déclarés coupables, d'infractions.

[72]Encore une fois, l'avocat du demandeur a présenté une nouvelle preuve ainsi que des arguments très habiles pour demander à la Cour d'arriver à une conclusion différente de celle à laquelle la juge Dawson était arrivée dans Romans 1, précité. Quoi qu'il en soit, j'ai beaucoup de réserves quant à son affirmation que la preuve du Dr Hassan démontre que le demandeur n'était pas responsable de ses crimes. De plus, après avoir suivi la même démarche que la juge Dawson et examiné la jurisprudence, je ne peux voir comment la nouvelle preuve présentée par le demandeur au sujet de sa capacité mentale peut l'aider en l'espèce.

[73]La preuve au sujet de l'impact de sa maladie mentale sur les crimes qu'il a commis est d'abord et avant tout une question de capacité. Reprenant les mots du juge Dawson dans Romans 1 [au paragraphe 28] «[j]e ne peux conclure que la décision de la Cour suprême reposait sur l'âge ou la capacité [du demandeur]». L'arrêt Chiarelli, précité, me lie de la même façon et il est déterminant en l'espèce. Toutefois, je suis d'avis que l'arrêt Chiarelli, précité, ne me lie pas lorsqu'il s'agit de la nouvelle preuve sur les conditions en Jamaïque. Cette question n'a pas été soulevée devant la juge Dawson dans Romans 1.

[74]Dans l'arrêt Suresh, précité, la Cour suprême s'exprime ainsi [aux paragraphes 54, 56, 58, 77 à 79 et 129]:

Bien que, en l'espèce, il soit question d'expulsion et non d'extradition, nous ne voyons aucune raison pour laquelle le principe énoncé dans Burns ne s'appliquerait pas avec le même effet. Dans l'arrêt Burns, aucun aspect de notre analyse fondée sur l'art. 7 ne dépendait du fait qu'il s'agissait d'une affaire d'extradition plutôt que de refoulement. Au contraire, le principe pertinent était un principe de portée générale, savoir que la garantie relative à la justice fondamentale s'applique même aux atteintes au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui sont le fait d'acteurs autres que le gouvernement canadien, à condition qu'il existe un lien causal suffisant entre la participation de notre gouvernement et l'atteinte qui survient en bout de ligne. Nous réaffirmons ce principe en l'espèce. À tout le moins, dans les cas où la participation du Canada est un préalable nécessaire à l'atteinte et où cette atteinte est une conséquence parfaitement prévisible de la participation canadienne, le gouvernement ne saurait être libéré de son obligation de respecter les principes de justice fondamentale uniquement parce que l'atteinte en cause serait le fait d'autrui.

[. . .]

Bien qu'elle n'ait jamais examiné directement la question de savoir si une expulsion impliquant un risque de torture est incompatible avec les principes de justice fondamentale, notre Cour a indiqué à plusieurs occasions que l'extradition d'une personne vers un pays où elle risque la torture serait contraire à ces principes. Comme nous l'avons mentionné plus tôt, le juge La Forest a fait observer, dans l'arrêt Schmidt, précité, que l'art. 7 ne s'attache pas seulement aux conséquences immédiates de l'ordonnance d'extradition, mais également au «traitement que l'État étranger réservera au fugitif extradé, que ce traitement soit ou non justifiable en vertu des lois de ce pays-là» (p. 522). Il a poursuivi en mentionnant expressément la possibilité qu'un pays requérant puisse soumettre l'accusé à la torture et il a dit qu'«[i]l est fort possible que se présentent des cas bien moins graves où la nature des procédures criminelles dans un pays étranger ou des peines prévues choque suffisamment la conscience pour qu'une décision de livrer un fugitif afin qu'il y subisse son procès constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale consacrés dans l'art. 7» (p. 522).

[. . .]

La jurisprudence canadienne n'indique pas que le Canada ne peut jamais expulser une personne vers un pays où elle risque un traitement qui serait inconstitutionnel s'il était infligé directement par le Canada, en sol canadien. Comme nous l'avons dit plus tôt, la démarche qu'il convient d'appliquer est essentiellement un processus de pondération dont l'issue dépend non seulement de considérations inhérentes au contexte général, mais également de facteurs liés aux circonstances et à la situation de la personne que l'État veut expulser. D'un côté, il y a l'intérêt légitime qu'a le Canada à combattre le terrorisme, à empêcher que notre pays devienne un refuge pour les terroristes et à protéger la sécurité publique. De l'autre côté, il y a l'engagement constitutionnel du Canada envers la liberté et l'équité procédurale. Cela dit, la jurisprudence indique que le résultat de cette mise en balance s'opposera généralement à l'expulsion de la personne visée vers un pays où elle risque la torture.

[. . .]

Au Canada, le résultat de la mise en balance des diverses considérations par la ministre doit être conforme aux principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte. Il s'ensuit que, dans la mesure où la Loi sur l'immigration n'écarte pas la possibilité d'expulser une personne vers un pays où elle risque la torture, la ministre doit généralement refuser d'expulser le réfugié lorsque la preuve révèle l'existence d'un risque sérieux de torture.

Nous n'excluons pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture puisse être justifiée, soit au terme du processus de pondération requis par l'art. 7 de la Charte soit au regard de l'article premier de celle-ci. (Une violation de l'art. 7 est justifiée au regard de l'article premier «seulement dans les circonstances qui résultent de conditions exceptionnelles comme les désastres naturels, le déclenchement d'hostilités, les épidémies et ainsi de suite»: voir Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., précité, p. 518, et Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, par. 99.) Dans la mesure où le Canada ne peut expulser une personne lorsqu'il existe des motifs sérieux de croire qu'elle sera torturée dans le pays de destination, ce n'est pas parce que l'art. 3 de la CCT limite directement les actions du gouvernement canadien, mais plutôt parce que la prise en compte, dans chaque cas, des principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte fera généralement obstacle à une expulsion impliquant un risque de torture. Nous pouvons prédire que le résultat du processus de pondération sera rarement favorable à l'expulsion lorsqu'il existe un risque sérieux de torture. Toutefois, comme tout est affaire d'importance relative, il est difficile de prédire avec précision quel sera le résultat. L'étendue du pouvoir discrétionnaire exceptionnel d'expulser une personne risquant la torture dans le pays de destination, pour autant que ce pouvoir existe, sera définie dans des affaires ultérieures.

Vu les circonstances, l'al. 53(1)b) ne porte pas atteinte aux droits garantis par l'art. 7 de la Charte. Ce n'est pas le texte de loi qui est en litige, mais l'obligation de la ministre d'exercer de façon constitutionnelle le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'art. 53.

[. . .]

Nous concluons que, règle générale, lorsqu'il existe des motifs de croire que l'expulsion d'un réfugié lui fera courir un risque sérieux de torture, son expulsion est inconstitutionnelle parce qu'elle porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité du réfugié que lui garantit l'art. 7 de la Charte. Cela dit, nous n'écartons pas la possibilité que, dans un cas exceptionnel, son expulsion puisse se justifier soit dans le cadre de la pondération effectuée en application de l'art. 7, soit au regard de l'article premier de la Charte.

[75]Ceci étant, je considère que la question de fond qui m'est posée par le demandeur consiste à savoir si, au vu de la nouvelle preuve que le demandeur et les personnes qui l'appuient ont présentée au sujet du sort qui l'attend en Jamaïque, la décision constitue un équilibre approprié de la justice fondamentale, compte tenu de la déclaration de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh, précité, voulant que [au paragraphe 78] «la prise en compte, dans chaque cas, des principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte fera généralement obstacle à une expulsion impliquant un risque de torture».

[76]Bien sûr, je reconnais que ce n'est pas l'intention du ministre en l'espèce d'expulser le demandeur pour qu'il soit torturé. De plus, il peut y avoir un débat au sujet de savoir quelle sera sa situation s'il est effectivement renvoyé en Jamaïque. Toutefois, la lecture des motifs de décision m'indique que le commissaire n'a pas vraiment confronté cette question et qu'il n'a pas tenu compte des implications de l'arrêt Suresh, précité, sur la situation dont il était saisi.

[77]Le cas du demandeur est extrêmement difficile. Il constitue un danger pour lui-même et pour la société canadienne, mais il est aussi extrêmement vulnérable et il fait face à un danger grave et possiblement à la mort s'il est renvoyé en Jamaïque. Il ne peut prendre soin de lui-même et il a besoin du soutien de sa mère et d'autres personnes. Il a besoin de soins médicaux poussés. Il est au Canada depuis qu'il est tout petit. C'est suite à une simple omission de sa mère qu'il n'a pas obtenu la citoyenneté canadienne. Les lois provinciales applicables auraient dû être utilisées depuis longtemps pour lui assurer le traitement dont il a besoin pour sa maladie et le maintenir sous garde dans une institution appropriée jusqu'à ce qu'il cesse d'être un danger pour lui-même et pour le public.

[78]Le régime d'immigration n'est pas équipé pour traiter d'une telle situation. Il n'a pas cette souplesse. Pourtant, le ministre doit s'assurer que le public est protégé. D'où l'utilisation de l'expédient rudimentaire qu'est l'expulsion et la déplorable histoire soumise à la Cour dans cette demande.

[79]Les motifs de décision font ressortir le fait que le commissaire s'est débattu avec ces aspects inconciliables. Toutefois, tout bien considéré il est arrivé à la conclusion que le demandeur semble être voué à son triste sort où qu'il soit et donc qu'il est aussi bien qu'on le renvoie en Jamaïque où il ne constituera pas une menace pour le public canadien. Il fallait prendre une décision. À ce sujet, je veux rappeler les termes utilisés par le juge Joyal dans Fernandes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 104 F.T.R. 49 (C.F. 1re inst.) [aux paragraphes 15 et 16]:

Lorsqu'elle prononce sur un appel formé contre une mesure d'expulsion comme celle dont il s'agit en l'espèce, la Commission exerce une compétence en equity. Cette compétence vise naturellement à tempérer ce que l'on pourrait appeler les rigueurs de la loi, laquelle, le plus souvent, ne peut s'exprimer qu'en des termes ne laissant place à aucune équivoque. Saisie d'un tel appel, la Commission doit nécessairement marquer un respect judicieux tant pour la règle de droit que pour les considérations humanitaires que l'affaire soulève. Ce n'est pas là tâche facile, et il est évident, comme c'est le cas ici, qu'une telle responsabilité oblige les membres de la Commission à accorder une attention particulière à chacune des circonstances de l'affaire. Tôt ou tard, cependant, la Commission est contrainte de trancher dans un sens ou dans l'autre.

Naturellement, la décision du tribunal ne remportera pas toujours les suffrages populaires. Pourtant, dans la mesure où le tribunal a étudié attentivement l'affaire et apprécié comme il se doit l'ensemble de la preuve produite, sa décision est digne de respect.

[80]Comme je l'indiquerai par après, je ne crois pas que le commissaire avait la compétence requise pour ordonner que le demandeur soit détenu de façon indéterminée jusqu'à ce qu'il reçoive, en vertu de la loi provinciale, les soins médicaux et autres dont il a besoin pour assurer qu'il ne constitue plus un danger pour lui-même ou pour le public. Il fallait donc faire un choix et, à moins que le groupe de soutien du demandeur ne s'assure qu'il reçoit l'aide requise pour qu'il ne soit plus un danger pour le public, ce choix devra être fait à nouveau.

[81]Je ne crois pas qu'en l'espèce le commissaire a soupesé les principes de justice fondamentale de façon adéquate. Je crois aussi, notamment au vu de l'arrêt Suresh, précité, et des droits garantis au demandeur par l'article 7 de la Charte, qu'il faut revenir sur cette question. Je n'accepte toutefois pas l'argument de l'avocat du demandeur voulant que si la bonne procédure est suivie il n'y a qu'un résultat possible. Dans tous les aspects de la présente affaire, la sécurité du public doit demeurer une question importante dans la mesure où le demandeur peut refuser tout traitement et obtenir sa liberté de mouvement. Le défendeur soutient qu'on a soupesé tous les facteurs adéquatement, mais je ne suis pas à l'aise avec une conclusion qui se lit comme suit: «Je ne suis pas persuadé, selon la prépondérance des probabilités, que les conditions dans les rues de la Jamaïque sont telles que les difficultés auxquelles ferait face l'appelant seraient nettement pires que celles qu'il vit au Canada.» Cette conclusion me semble arbitraire au vu de la preuve présentée au commissaire au sujet de la situation qui est celle des malades mentaux en Jamaïque, par rapport au soutien qui est accordé au demandeur au Canada. Le demandeur est un être humain extrêmement vulnérable. Il ne peut prendre soin de lui-même. Selon moi, il est clair qu'il est dans une meilleure situation au Canada. Il reste toujours à déterminer si, au vu de la pondération de ces considérations avec le danger posé pour les tiers, la mesure de renvoi respecte les principes de justice fondamentale. Mais on ne devrait pas négliger cette question en prétendant que la situation qui attend le demandeur en Jamaïque n'est pas nettement pire que celle qu'il vit au Canada.

La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu'elle n'avait pas compétence pour ordonner que le demandeur soit incarcéré jusqu'à ce qu'il ait obtenu les traitements nécessaires?

[82]Le demandeur soutient que la section d'appel a indûment entravé son pouvoir discrétionnaire en arrivant à la conclusion qu'elle n'avait pas la compétence d'ordonner sa détention ou d'imposer des conditions qui protégeraient le public. La section d'appel a déclaré avoir examiné l'imposition de telles conditions, mais elle a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour agir comme le demandeur le désirait. L'on soutient qu'en arrivant à cette conclusion, la section d'appel a interprété de façon indûment restrictive sa compétence d'accorder un sursis d'exécution. Cet appel a été tranché en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration. La compétence de fixer des conditions est prévue au paragraphe 74(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de l'ancienne Loi, une disposition semblable à celle que l'on trouve maintenant dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27] LIPR:

74. [. . .]

(2) En cas de sursis d'exécution de la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l'appelant est autorisé à entrer ou à demeurer au Canada aux éventuelles conditions fixées par la section d'appel. Celle-ci réexamine le cas en tant que de besoin.

[83]Le demandeur soutient que rien dans la formulation de ce texte ne vient limiter la compétence de la section d'appel d'imposer des conditions à l'octroi d'un sursis d'exécution. La compétence d'octroyer un sursis d'exécution est accordée aux conditions «fixées par la section d'appel». La section d'appel a toutes les compétences d'une cour d'archives et rien dans la formulation de ce texte ne l'empêche d'ordonner que le demandeur soit maintenu sous garde jusqu'à ce qu'un psychiatre certifie qu'il n'est plus un danger pour le public. De plus, le demandeur soutient que les dicta de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, permettent de mieux comprendre l'étendue de la compétence de la section d'appel à ce sujet [aux paragraphes 46 et 47]:

Le législateur a structuré la S.A.I. de manière à fournir de solides garanties procédurales aux individus qui se présentent devant elle ainsi qu'une grande latitude administrative aux commissaires et au personnel. La S.A.I. est une cour d'archives (par. 69.4(1)) jouissant de vastes pouvoirs de citer des témoins à comparaître et de les interroger, d'ordonner la production de documents, et de faire exécuter ses ordonnances (par. 69.4(3)). L'appel d'une mesure de renvoi est essentiellement une audience de novo car on peut y présenter des preuves qui n'étaient pas disponibles au moment de la prise de la mesure de renvoi. La S.A.I. a des règles de preuve souples et peut «recevoir [. . .] les éléments de preuve supplémentaires qu'elle estime utiles, crédibles et dignes de foi» (al. 69.4(3)c)). Les motifs écrits de la décision relative à un appel en vertu de l'art. 70 ou 71 doivent être fournis lorsqu'ils sont demandés par l'une des parties à l'appel (par. 69.4(5)). Comme en matière de sursis, le législateur n'a pas prévu des garanties procédurales semblables pour les décisions du ministre.

En outre, les pouvoirs de réparation de la S.A.I. sont très souples. En vertu du par. 73(1) de la Loi, la S.A.I. peut statuer sur un appel interjeté en vertu de l'art. 70 de trois façons: en l'accueillant; en le rejetant; ou en exerçant sa compétence d'equity en vertu des al. 70(1)b) et 70(3)b) pour ordonner le sursis à l'exécution de la mesure. Lorsqu'une mesure de renvoi est annulée, la S.A.I. a le pouvoir de prendre toute autre mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel qui aurait dû être prise (par. 74(1)). Lorsqu'une mesure de renvoi est suspendue, la S.A.I. peut imposer les conditions qu'elle estime appropriées et réexaminer le cas de temps en temps selon ce qu'elle juge nécessaire (par. 74(2)). La S.A.I. peut annuler ou modifier un sursis à tout moment (par. 74(3)). Lorsque le sursis est annulé, l'appel doit être rejeté ou accueilli, mais la S.A.I. conserve son pouvoir en vertu du par. 74(1) de remplacer la mesure de renvoi par une autre. [Soulignement dans l'original.]

[84]Le demandeur soutient qu'au vu de ces dicta, la section d'appel a clairement commis une erreur en arrivant à la conclusion que sa compétence d'octroyer un sursis d'exécution ne l'autorisait pas à ordonner le maintien sans garde du demandeur.

[85]En réponse, le défendeur soutient que le fait d'imposer une condition à l'octroi d'un sursis d'exécution de la mesure de renvoi du demandeur a pour effet de retarder son renvoi. Si le demandeur décide d'enfreindre les conditions de son sursis d'exécution, la section d'appel peut utiliser ce fait comme un facteur dans sa décision d'exercer ou non son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur. Si le maintien en détention fait partie des «conditions», il ne s'agit alors pas d'une condition mais plutôt d'une sentence d'emprisonnement qui pourrait être indéfinie. Le point de vue du défendeur est que le législateur a spécifiquement révoqué la compétence de la section d'appel d'ordonner la détention, ou même de surveiller l'application des ordonnances de détention, par suite de diverses modifications adoptées de 1976 à 1992. Le défendeur soutient que la section d'appel n'a plus aucune compétence pour ordonner la détention des demandeurs, ce qui fait que les arguments du demandeur ne sont pas pertinents.

[86]De 1992 jusqu'au 28 juin 2002 (date à laquelle l'ancienne Loi sur l'immigration a été remplacée par la LIPR), la compétence d'ordonner la détention était prévue à l'article 103 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 27; L.C. 1992, ch. 49, art. 94; 1995, ch. 15, art. 19] de la Loi sur l'immigration. Seuls les agents supérieurs de l'immigration et les arbitres pouvaient exercer ce pouvoir extraordinaire.

[87]Le défendeur soutient que le demandeur est dans l'erreur lorsqu'il prétend que le paragraphe 74(2) de l'ancienne Loi sur l'immigration accordait à la section d'appel la compétence d'ordonner la détention du demandeur. Le défendeur soutient qu'il n'y a aucune autorisation du législateur dans le paragraphe 74(2) qui permettrait à la section d'appel d'ordonner la détention comme une des «conditions» d'octroi d'un sursis d'exécution en vertu du paragraphe 74(1).

[88]Le défendeur soutient qu'en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, le pouvoir extraordinaire d'ordonner qu'une personne soit mise en détention de façon continue a été accordé aux arbitres de façon explicite en vertu du paragraphe 103(3) et non par le paragraphe 74(2), où il n'est question que de «conditions» générales:

103. [. . .]

(3) Dans le cas d'une personne devant faire l'objet d'une enquête ou d'une enquête complémentaire ou frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l'arbitre peut ordonner:

a) soit de la mettre en liberté, aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution;

b) soit de la faire garder, s'il croit qu'elle constitue vraisemblablement une menace pour la sécurité publique ou qu'à défaut de cette mesure, elle se dérobera vraisemblablement à l'enquête ou à sa reprise ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi;

c) soit de fixer les conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution.

[89]Le défendeur soutient de plus que la détention en vertu du paragraphe 103(3) est assortie de garanties procédurales explicites au paragraphe 103(6) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 94; 1995, ch. 15, art. 19], texte qui exige qu'un arbitre examine les motifs de garde à intervalles réguliers. Le paragraphe 103(6) n'accorde aucune compétence aux arbitres de mettre une personne (ce qui comprend un malade mental) en détention pour sa propre protection:

103. [. . .]

(6) Si l'interrogatoire, l'enquête ou le renvoi aux fins desquels il est gardé n'ont pas lieu dans les quarante-huit heures, ou si la décision n'est pas prise aux termes du paragraphe 27(4) dans ce délai, l'intéressé est amené, dès l'expiration de ce délai, devant un arbitre pour examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de sa garde; par la suite, il comparaît devant un arbitre aux mêmes fins au moins une fois:

a) dans la période de sept jours qui suit l'expiration de ce délai;

b) tous les trente jours après l'examen effectué pendant cette période.

[90]Le défendeur soutient que les principes fondamentaux d'interprétation des lois militent contre une interprétation du paragraphe 74(2) de la Loi sur l'immigration qui accorderait un pouvoir extraordinaire de mettre une personne en détention, en l'absence d'une disposition législative expresse et de garanties procédurales comme celles que l'on trouve à l'article 103.

[91]Le défendeur soutient que le demandeur semble prétendre que la section d'appel a la compétence d'ordonner la détention du demandeur pour une «période indéfinie», savoir jusqu'à ce qu'il suive un traitement aléatoire pour guérir sa schizophrénie.

[92]Le défendeur soutient que dans Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 214 (1re inst.), le juge Rothstein a indiqué qu'il n'y avait pas de disposition dans la Loi sur l'immigration qui permettait de prolonger indéfiniment la détention d'une personne. La détention d'immigration est une contrainte extraordinaire et elle ne devrait pas être pour une période indéfinie. Le juge Rothstein a fait une liste non exhaustive des facteurs que les arbitres devraient prendre en considération lorsqu'ils examinent la possibilité d'ordonner la mise en détention en vertu du paragraphe 103(6) de la Loi sur l'immigration. Ces critères, qui sont énumérés à la page 231 de la décision, n'indiquent aucunement l'existence d'une compétence d'ordonner la détention d'une personne pour sa propre protection ou pour qu'elle puisse recevoir un traitement psychiatrique:

(1) Les motifs de détention, savoir si le requérant peut constituer une menace pour la sécurité publique ou peut se dérober à la mesure de renvoi. À mon avis, une longue détention est d'autant justifiable que l'intéressé est considéré comme une menace pour la sécurité publique.

(2) La durée de la détention et le temps pendant lequel la détention sera vraisemblablement prolongée. Si l'individu a été déjà détenu pendant un certain temps comme en l'espèce et s'il est prévu que la détention sera prolongée pour une longue période ou si on ne peut en prévoir la durée, je dirais que ces facteurs favorisent la mise en liberté.

(3) Le requérant ou l'intimé a-t-il causé un retard ou ne s'est-il pas montré aussi diligent qu'il est raisonnablement possible de l'être? Les retards inexpliqués ou même le manque inexpliqué de diligence doivent compter contre la partie qui en est responsable.

(4) La disponibilité, l'efficacité et l'opportunité d'autres solutions que la détention, telles que la mise en liberté, la liberté sous caution, la comparution au contrôle périodique, la résidence surveillée dans un lieu ou une localité, l'obligation de signaler les changements d'adresse ou de numéro de téléphone, la détention sous une forme moins restrictive de liberté, etc.

[93]Le défendeur soutient que si la Cour accepte l'argument du demandeur, le paragraphe 74(2) de la Loi sur l'immigration pourrait autoriser la section d'appel à maintenir indéfiniment une personne en détention pour qu'elle reçoive des traitements psychiatriques, le tout sans aucune des protections prévues par la législation et la jurisprudence. Le défendeur soutient que ceci serait contraire à l'intention claire du législateur d'utiliser les protections prévues au paragraphe 103(6) de la Loi sur l'immigration pour circonscrire avec soin le pouvoir extraordinaire d'ordonner la détention d'une personne.

[94]Le défendeur conclut son argument en disant que c'est avec raison que la section d'appel a conclu que la détention des malades mentaux est de compétence provinciale, notamment en vertu de la Loi sur la santé mentale [L.R.O. 1990, ch. M. 7] de l'Ontario. La Loi sur l'immigration fédérale ne contient aucun octroi de compétence à la section d'appel d'ordonner une détention indéfinie à des fins psychiatriques.

[95]Je partage l'avis du défendeur quant à l'interprétation de la compétence de la section d'appel en matière de détention.

[96]Je n'ai trouvé aucune utilisation antérieure du paragraphe 74(2) de la Loi sur l'immigration qui viendrait appuyer le point de vue du demandeur en l'espèce, savoir qu'on pourrait l'utiliser pour accorder à la section d'appel une compétence discrétionnaire en matière d'ordonnances de détention qui correspondrait à ce que réclame le demandeur. Les règles d'interprétation des lois font que je suis tenu d'utiliser la disposition législative plus spécifique de la Loi sur l'immigration, qui est la disposition appropriée en l'espèce.

[97]On ne trouve dans les paragraphes 103(3) et 103(6) de la Loi sur l'immigration rien qui ressemblerait aux circonstances de l'espèce, savoir la situation où une personne serait mise en détention pour sa propre protection. Comme le soutient le défendeur, on pourrait prétendre que ceci mènerait à une détention indéfinie. Il est possible que le législateur n'ait pas envisagé les circonstances auxquelles le demandeur fait face, mais il serait dangereux que la section d'appel ou notre Cour confère une compétence aussi large en matière de détention à la section d'appel. Le paragraphe 103(6) de la Loi sur l'immigration comporte des garanties procédurales importantes lorsque l'interrogatoire, l'enquête ou le renvoi de l'intéressé ne peuvent avoir lieu rapidement. Il est clair que la section d'appel outrepasserait sa compétence en prévoyant des conditions qui supposent l'application d'une loi provinciale ou l'intervention d'organismes provinciaux, sans que le législateur ne l'y ait autorisé.

[98]Même si la détention pendant une période limitée pourrait être à l'avantage du demandeur en l'espèce, ainsi que possible en vertu du paragraphe 74(2), je conclus que la section d'appel n'a pas commis une erreur de droit en décidant qu'elle n'avait pas compétence pour ordonner que le demandeur soit maintenu en détention jusqu'à ce qu'il obtienne les traitements nécessaires.

La section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit par la façon dont elle a exercé sa compétence en l'espèce?

[99]Finalement, le demandeur soutient que la section d'appel a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en concluant que même si les conditions en Jamaïque n'étaient pas aussi bonnes que celles qui existent au Canada le demandeur pourrait y être traité. La section d'appel a déclaré ceci au sujet de cette question [au paragraphe 15]:

Eu égard à l'ensemble de la preuve présentée, je suis persuadé que, selon la prépondérance des probabilités, les conditions réservées aux personnes atteintes de maladies mentales dans les prisons, les hôpitaux et les rues de la Jamaïque sont pires que celles qui existent au Canada. L'appelant a éprouvé des difficultés dans les rues du Canada. Je ne suis pas persuadé, selon la prépondérance des probabilités, que les conditions dans les rues de la Jamaïque sont telles que les difficultés auxquelles ferait face l'appelant seraient nettement pires que celles qu'il vit au Canada.

[100]Le demandeur soutient qu'en arrivant à cette conclusion, la section d'appel n'a pas tenu compte et n'a même pas mentionné toute la preuve importante liée aux conditions en Jamaïque qui démontrait clairement qu'il y aurait des risques pour la vie et la sécurité de la personne du demandeur en Jamaïque. La section d'appel n'a pas tenu compte du fait qu'il y avait maintenant un psychiatre chargé de traiter le demandeur, que ce psychiatre avait préparé un régime de traitement, qu'il avait déclaré que le demandeur s'était engagé à suivre le traitement, qu'on trouvait maintenant de nouveaux médicaments au Canada et que, dans l'année du traitement, les probabilités étaient de plus de 50 p. 100 que le demandeur pourrait se débrouiller efficacement dans une maison de transition. La section d'appel a conclu qu'il y avait un risque que le demandeur soit autorisé à sortir et qu'il pose un danger pour le public. Le demandeur déclare qu'en arrivant à cette conclusion, la section d'appel n'a pas tenu compte du témoignage du Dr Hassan qui a déclaré qu'il signerait pour obtenir l'admission involontaire du demandeur si sa condition ne changeait pas, c'est-à-dire s'il était toujours un danger pour lui-même et pour les autres. Le Dr Hassan a clairement indiqué que le demandeur n'avait pas reçu l'attention nécessaire du régime de santé mentale par le passé et que ses actes criminels étaient dus à un traitement inadéquat. En concluant que le demandeur ne serait pas dans une situation différente s'il était expulsé, la section d'appel n'a pas tenu compte de la preuve des conditions épouvantables qui existent en Jamaïque, non plus que de la preuve qui porte sur le traitement potentiel au Canada. Le demandeur soutient qu'en suggérant qu'il ne serait pas conscient de la différence, la section d'appel a démontré qu'elle ne comprenait pas la situation des malades mentaux. La section d'appel semble croire que parce que le demandeur est un malade mental il ne ressent rien, ce qui fait que sa situation ne serait pas très différente quel que soit l'endroit où il se trouve. L'on soutient que rien dans la preuve ne vient indiquer que si le demandeur était détenu en Jamaïque, dans des circonstances où il serait soumis à des sévices ou à des abus sexuels, il n'en souffrirait pas. Le demandeur soutient que cette conclusion est manifestement déraisonnable.

[101]En réponse, le défendeur soutient que la décision de la section d'appel était raisonnable et qu'elle tenait compte de la preuve qui lui était présentée.

[102]Le défendeur soutient que, contrairement aux assertions du demandeur, le Dr Hassan ne s'est jamais engagé à commettre le demandeur dans un hôpital contre son gré. Le Dr Hassan a parlé de situations hypothétiques et il a spécifiquement dit qu'il ne serait pas chargé des soins au demandeur si celui-ci était hospitalisé contre son gré. Le Dr Hassan a déclaré que si le demandeur était libéré il pourrait évaluer son cas, mais il n'a offert aucune garantie. Le Dr Hassan n'a pris aucune mesure pour faire placer le demandeur en détention psychiatrique contre son gré et pour sa propre protection, considérant que la détention en matière d'immigration suffisait à empêcher le demandeur de se faire violence à lui-même ou de faire violence à d'autres. Le Dr Hassan a aussi déclaré que si le demandeur sollicitait volontairement son hospitalisation on ne pouvait le garder contre son gré et qu'en sa qualité de patient, il était tout à fait possible qu'il quitte l'hôpital. Si le demandeur n'était pas hospitalisé contre son gré, il déciderait lui-même s'il prend ses médicaments ou non. Le Dr Hassan a indiqué qu'il y avait un risque que le demandeur disparaisse et qu'il ne prenne pas les médicaments prescrits.

[103]Le défendeur soutient que la section d'appel a tenu compte de la situation spécifique du demandeur en tant que malade mental. Le demandeur a fait la démonstration par le passé qu'il peut tout à fait refuser de prendre ses médicaments et quitter l'hôpital pour vivre dans la rue, lorsqu'il n'est pas détenu par l'immigration en attente de son expulsion. Il n'y a aucune garantie qu'un hôpital psychiatrique détienne le demandeur contre son gré ou qu'il réagisse aux médicaments qui pourraient diminuer certaines de ses tendances psychotiques, ou même qu'il les prendrait. Le demandeur considère sa famille canadienne, qui lui accorde un appui important, comme une menace. La section d'appel pouvait tout à fait conclure qu'en l'absence de garantie que le demandeur pouvait être traité même contre son gré au Canada, et au vu de son comportement passé, le demandeur pouvait tout à fait se retrouver dans la rue au Canada s'il n'était pas renvoyé en Jamaïque. Il se peut que ses symptômes soient diminués par de nouveaux médicaments, mais rien dans la preuve ne démontre qu'il sera vraiment guéri.

[104]C'est à regret que le défendeur soutient qu'il n'est pas possible de trouver un équilibre qui assure la sécurité des Canadiens ou l'amélioration de l'état du demandeur. Le régime de traitement présenté par le témoin du demandeur est fondé sur des spéculations. Il n'y a aucune garantie que le demandeur serait disposé à respecter les conditions mentionnées, ou même qu'il en serait capable. De plus, la section d'appel n'a pas compétence pour ordonner la détention à des fins psychiatriques, non plus qu'un traitement psychiatrique administré contre la volonté du demandeur.

[105]Le défendeur soutient que la section d'appel pouvait tout à fait conclure que la preuve présentée par le demandeur ne lui permettait pas d'arriver à une conclusion correcte au sujet de la situation des personnes qui vivent dans la rue au Canada par rapport à celles qui sont dans la même situation en Jamaïque. Le demandeur ne s'est pas acquitté de son fardeau de présenter une preuve au sujet des préjudices subis par les patients psychiatriques au Canada, qu'ils soient dans des établissements ou dans la rue, qui aurait permis à la section d'appel de placer dans son contexte la preuve documentaire au sujet des mauvais traitements infligés aux patients psychiatriques ou aux personnes sans domicile fixe en Jamaïque. Malheureusement, les mauvais traitements infligés aux personnes sans domicile fixe, qui peuvent aller jusqu'à l'assassinat, existent au Canada. En définitive, ce que le demandeur conteste est la valeur probante accordée par la section d'appel dans l'évaluation de la preuve documentaire au vu de toutes les circonstances de l'affaire du demandeur. Le défendeur soutient qu'une telle contestation de la valeur probante ne justifie pas l'intervention de notre Cour.

[106]J'ai déjà dit qu'en évaluant le dossier, la section d'appel n'a pas tenu compte des droits du demandeur en vertu de l'article 7 de la Charte, non plus que des implications de l'arrêt Suresh, précité, et de l'équilibre de la justice fondamentale.

[107]J'ai aussi dit que je considérais arbitraires les conclusions du commissaire voulant que les difficultés auxquelles le demandeur serait confronté en Jamaïque ne seraient pas nettement pires que celles qu'il vit au Canada, où il reçoit du soutien et où il existe une possibilité de traitement.

[108]C'est donc en ce sens que je suis d'avis que la section d'appel a commis une erreur de droit dans la façon dont elle a exercé sa compétence.

[109]Toutefois, je considère que le demandeur et les personnes qui l'appuient sont tenus de démontrer qu'il sera soigné de telle manière qu'il ne constitue pas un danger pour le public canadien. Par le passé, il a fait la démonstration qu'il était tout à fait capable de quitter sa famille ainsi que les établissements médicaux où il était placé. Son obligation de demeurer en institution et son traitement ne peuvent être fondés sur de la spéculation. Lorsque cette affaire sera réexaminée, ces questions auront une importance vitale.

[110]Dans les sept jours de la réception des présents motifs, les avocats devront signifier et déposer leurs observations sur la certification d'une question de portée générale. Chaque partie disposera de trois jours additionnels pour signifier et déposer ses observations en réponse à celles de la partie adverse. Après ce délai, je délivrerai une ordonnance.

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