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A-249-03

2004 CAF 85

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (appelant)

c.

Olga Medovarski (intimée)

Répertorié: Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Rothstein, Evans et Pelletier, J.C.A.--Toronto, 10 février et 3 mars 2004.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et Renvoi -- Renvoi de résidents permanents -- L'intimée, qui possède le statut de résident permanent, a été déclarée coupable de négligence criminelle causant la mort et condamnée à deux ans de prison; elle a fait l'objet d'une mesure de renvoi du Canada -- La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est entrée en vigueur avant que l'appel de la mesure de renvoi puisse être entendu -- Interprétation des termes «fait [. . .] l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi» dans une disposition transitoire (art. 196 de la Loi) -- La disposition transitoire, conjuguée à l'art. 64(1) de la Loi, prive l'intimée de son droit d'appel automatique à la section d'appel de l'immigration (juge Pelletier J.C.A., dissident).

Interprétation des lois -- Interprétation d'une disposition transitoire de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ( LIPR) (art. 196) -- La LIPR est entrée en vigueur avant que l'appel de l'intimée contre la mesure de renvoi puisse être entendu, supprimant le droit d'appel à la section d'appel de l'immigration (SAI) contre les mesures de renvoi si l'intéressé «ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi» -- Au vu du sens ordinaire du texte anglais, de la règle du sens partagé, des présomptions de cohérence et d'absence de redondance, et de l'objectif de la Loi, l'art. 196 ne s'applique qu'aux sursis prononcés par un décideur et non aux sursis automatiques (juge Pelletier J.C.A., dissident) -- La présomption de la Loi d'interprétation contre le retrait d'un droit existant n'est pas applicable en l'espèce -- L'art. 196 de la Loi prive l'intimée de son droit d'appel à la SAI.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Vie, liberté et sécurité -- Comme l'art. 196 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés n'enfreint pas les principes de justice fondamentale, il n'est pas nécessaire de décider si, en mettant fin aux appels contre les ordonnances de renvoi, l'art. 196 de la Loi viole l'art. 7 de la Charte -- Même en présumant que l'intimée est privée du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, il n'y a pas eu violation de l'art. 7 de la Charte.

L'intimée, une citoyenne de la Yougoslavie qui possède le statut de résident permanent depuis 1997, a été déclarée coupable de négligence criminelle causant la mort et condamnée à deux ans de prison. Une mesure de renvoi a été prise contre l'intimée, mais elle a déposé un avis d'appel devant la section d'appel de l'immigration (SAI). La Loi sur l'immigration et la protection de réfugiés (LIPR) est entrée en vigueur avant que l'appel puisse être entendu. L'article 64 de cette Loi a supprimé le droit d'appel des résidents permanents contre les mesures de renvoi, pour divers motifs dont la condamnation au Canada pour une infraction criminelle punie par un emprisonnement d'au moins deux ans. L'article 196 de la LIPR précise qu'il est mis fin à l'appel «alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi». Le registraire de la SAI a informé l'intimée qu'il était mis fin à son appel en vertu de la nouvelle législation. Ayant conclu que, correctement interprétée, la LIPR ne supprimait pas le droit d'appel de l'intimée, une juge de la Cour fédérale, Section de première instance, a accueilli la demande de contrôle judiciaire. D'où le présent appel. La juge qui a entendu la demande a certifié la question suivante aux fins d'un appel: «Le mot "sursis" utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage-t-il un sursis qui a pris effet en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, par suite de l'application de l'alinéa 49(1)b)?» La question consiste à décider si le paragraphe 64(1) s'applique à l'appel de l'intimée à la SAI. Si oui, il est mis fin à son appel. La question de savoir si ce paragraphe s'applique dépend de l'interprétation donnée aux dispositions transitoires qui portent sur les appels à la SAI, déposés avant l'entrée en vigueur de la LIPR le 28 juin 2002.

Arrêt (juge Pelletier, J.C.A. dissident): l'appel est accueilli.

Le juge Evans, J.C.A. (le juge Rothstein, J.C.A. ayant souscrit à ses motifs): La première question consiste à décider si la juge qui a entendu la demande a commis une erreur de droit en interprétant les termes «fait [. . .] l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi» de l'article 196 de la LIPR, de telle façon qu'ils comprennent le sursis d'exécution d'une mesure de renvoi prescrit par l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi lors du dépôt d'un avis d'appel de l'ordonnance.

Il est convenu que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte et que l'interprétation de l'article 196 doit respecter l'approche qui consiste à lire les termes d'une loi dans leur contexte global.

La version anglaise de l'article 196 parle d'un sursis «under» l'ancienne loi, alors que le sursis prévu à («by») l'alinéa 49(1)b) de la Loi sur l'immigration est automatique. Cela indique qu'il s'agit d'un sursis accordé en vertu d'une décision prise dans l'exercice du pouvoir décisionnel délégué par la Loi. La version française, «au titre de l'ancienne loi», peut vouloir dire soit par soit en vertu de l'ancienne loi. La version anglaise est à retenir en vertu de la règle du sens commun. Le terme «grant» indique qu'il s'agit d'un sursis résultant d'un geste positif plutôt que d'une situation prescrite par la loi. La version française est moins précise. Bien qu'elle puisse couvrir à la fois un sursis accordé et un sursis automatique, la version française peut aussi ne couvrir que les sursis accordés. Ainsi, dans la mesure où la version anglaise isolée de son contexte ne comprend pas les sursis automatiques, il faut donner la même interprétation à la version française.

Tout bien pesé, le sens «ordinaire» des termes «granted under the former Act», indique qu'on doit les interpréter comme portant sur les décisions rendues par la SAI en vertu de l'alinéa 73(1)c), plutôt que sur les sursis automatiques prescrits par l'alinéa 49(1)b). Toutefois, il faut aussi les analyser en contexte. La présomption de cohérence dans l'utilisation de la phrase en cause aux articles 192, 196 et 197 mène aussi à la conclusion qu'elle ne comprend pas les sursis automatiques. S'agissant de la présomption qu'il n'y a pas redondance, aucune des deux parties n'a démontré que l'interprétation donnée à l'article 196 par la partie adverse fait que les articles 192 ou 196 sont redondants. Un examen de l'objectif de la Loi (protéger l'intérêt public en autorisant le renvoi rapide du Canada de ceux qui ont commis des crimes graves) appuie aussi la conclusion que l'article 196 prive l'intimée de son droit d'appel à la SAI. La présomption contre le retrait d'un droit existant n'est pas applicable en l'espèce. Il est assez clair que le législateur ne voulait pas maintenir le droit d'appel des résidents permanents contre leur renvoi du Canada, alors qu'ils avaient simplement déposé un appel avant l'entrée en vigueur de la LIPR et que ce dernier n'avait pas encore été tranché par la SAI. L'article 196 ne met fin à un appel que lorsqu'un sursis a été accordé après audition en vertu de l'alinéa 73(1)c) de la Loi sur l'immigration.

Comme l'article 196 n'enfreint pas les principes de justice fondamentale, il n'est pas nécessaire de décider si le renvoi du Canada de l'intimée met en cause l'article 7 de la Charte en la privant de son droit à la liberté ou à la sécurité de la personne. Même en présumant que c'est le cas, dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), la Cour suprême du Canada a rejeté l'argument voulant que les principes de justice fondamentale exigent que le législateur accorde un droit d'appel pour motifs humanitaires avant le renvoi d'un résident permanent pour grande criminalité. Rien dans les faits de la présente affaire ne la distingue de l'arrêt Chiarelli. En l'absence d'une disposition dans la Constitution qui accorde le droit d'en appeler d'une mesure de renvoi, le fait d'appliquer l'article 196 à l'intimée ne constitue pas une violation de l'article 7. Personne ne peut avoir une attente légitime que des droits accordés par le législateur en matière de procédure ne soient jamais supprimés. L'évaluation du risque avant renvoi et le droit de présenter une demande pour motifs humanitaires accordent à l'intimée l'occasion de présenter son point de vue quant à la question de savoir si elle doit être renvoyée.

Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident): La question en litige ici n'est pas celle de la préservation d'un droit d'appel à la SAI, mais bien la question plus restreinte de la préservation d'un droit d'appel à la SAI d'une mesure de renvoi fondée sur la sécurité ou la grande criminalité.

La différence entre les versions anglaise et française des articles 196 et 197 n'était pas la question principale en l'espèce, mais elle avait une certaine importance. Un lecteur qui ne lirait que la version française des articles en cause sans se rapporter à la version anglaise n'y trouverait aucune ambiguïté. Étant donné que les deux versions de la législation font également autorité, nous nous trouvons avec deux versions d'une même loi, l'une qui pose certains problèmes d'interprétation et l'autre qui, à sa face même, n'en pose pas. Même si la règle fondamentale qui régit l'interprétation de la législation bilingue est la règle du «sens partagé ou commun», ce sens doit être compatible avec l'intention du législateur telle qu'on peut la déduire en appliquant les règles ordinaires d'interprétation. Au vu des faits de l'espèce, le fait que le texte anglais puisse être considéré ambigu, ou non, n'a pas d'importance. Il est tout aussi logique de soutenir que la version anglaise doit être interprétée au vu du sens plus large de la version française que de dire que la version française doit être interprétée de façon restrictive pour correspondre au sens plus étroit de la version anglaise. Une telle approche dépend totalement du point de départ.

La règle applicable aux appels à la SAI est celle de l'article 192, telle que qualifiée par l'article 196. Le paragraphe 350(5) du Règlement illustre l'objectif de l'article 196. Il prescrit qu'il est disposé conformément à l'ancienne loi de toute décision prise par la SAI sous le régime de l'ancienne loi qui lui est renvoyée et dont il n'a pas été disposé avant l'entrée en vigueur de la LIPR. Cela pourrait comprendre des appels de mesures de renvoi prononcées pour grande criminalité. Le traitement accordé aux questions renvoyées à la SAI par la cour chargée du contrôle doit être cohérent avec le traitement accordé aux autres affaires du même genre. Ce sont les appels du rejet de demandes parrainées lorsque la grande criminalité est en cause qui constituent la raison d'être de l'article 196. Étant donné que nous traitons de dispositions transitoires, il est logique de dire que le processus visant à faire passer tous les intéressés au nouveau régime verra d'abord à limiter les droits de ceux dont les revendications sont les plus faibles. Par conséquent, l'article 192 s'applique à tous les cas où il y a sursis, que ce dernier soit d'origine législative ou qu'il soit discrétionnaire et prescrit par la SAI en vertu de l'alinéa 77(1)c). La rédaction de la LIPR est peu satisfaisante, non seulement à cause des différences entre les versions anglaise et française, mais aussi lorsqu'il s'agit de la précision et de la cohérence internes. On ne devrait pas s'appuyer trop lourdement sur ce qui peut n'être qu'une phrase tournure maladroite.

L'appelant a présenté un régime cohérent. Mais, à choisir entre deux régimes cohérents, il faut choisir celui qui préserve les droits prévus à l'article 192 et qui s'accorde avec le paragraphe 350(5) du Règlement. Ce point de vue s'aligne sur la formulation non ambiguë de la version française de la Loi.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 43, 44.

Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5), 49(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41), 70(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1995, ch. 15, art. 13), (5) (mod., idem), 73(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 74 (mod., idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 67), 77 (mod., idem, art. 68; 1995, ch. 15, art. 15).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25(1), 48(1), 49(1), 50c), 64, 112(1), 190, 192, 196, 197, 198.

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 231(1), 232, 350(5), 365(1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161.

décisions citées:

Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2003] 4 C.F. 672; (2003), 1 Admin. L.R. (4th) 103; 1 C.E.L.R. (3d) 20 (C.A.); Grillas c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1972] R.C.S. 577; (1971), 23 D.L.R. (3d) 1.

doctrine

Côté, P.-A. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal: Éditions Thémis, 1999.

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto: Butterworths, 2002.

APPEL d'une décision de la Section de première instance ([2003] 4 C.F. 227; (2003), 28 Imm. L.R. (3d) 50) accueillant une demande de contrôle judiciaire de la décision de la section d'appel de l'immigration de mettre fin à l'appel de l'intimée contre une mesure de renvoi. Appel accueilli.

ont comparu:

Marianne Zoric et Catherine C. Vasilaros pour l'appelant.

Lorne Waldman pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.

Waldman & Associates, Toronto, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A.:

A. INTRODUCTION

[1]Olga Medovarski est citoyenne de l'ancienne république yougoslave et elle possède le statut de résident permanent au Canada depuis 1997. En novembre 1999, elle conduisait un véhicule automobile sous l'influence de l'alcool et elle a eu un accident qui a entraîné la mort d'une personne. Le 2 avril 2001, elle a été déclarée coupable de négligence criminelle causant la mort et a été condamnée à deux ans de prison.

[2]Suite à cette condamnation, une mesure de renvoi a été prise contre Mme Medovarski le 21 novembre 2001, suite à une décision par la section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le même jour, l'intéressée a déposé un avis d'appel de la mesure de renvoi devant la section d'appel de l'immigration de la Commission (SAI), en vertu de l'alinéa 70(1)b) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la LI). Son avis d'appel indique que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada. Dans un avis de la section d'appel daté du 24 avril 2002, elle a été informée que son appel serait entendu le 26 septembre 2002.

[3]Toutefois, le 28 juin 2002 la Loi sur l'immigration et la protection de réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) est entrée en vigueur, avant que l'appel de Mme Medovarski puisse être entendu. Les paragraphes 64(1) et (2) de la nouvelle loi suppriment le droit d'appel des résidents permanents contre les mesures de renvoi, pour divers motifs dont la condamnation au Canada pour une infraction punie par un emprisonnement d'au moins deux ans. Dans une lettre datée du 12 août 2002, le registraire de la SAI a informé Mme Medovarski qu'il était mis fin à son appel en vertu de la nouvelle législation.

[4]La question posée dans le présent appel consiste à déterminer si le paragraphe 64(1) s'applique à l'appel de Mme Medovarski à la SAI. Si oui, il est mis fin à son appel. La question de savoir si le paragraphe 64(1) s'applique dépend de l'interprétation donnée aux dispositions transitoires qui portent sur les appels à la SAI déposés avant le 28 juin 2002. L'article 192 de la LIPR porte que ces appels sont continués sous le régime de l'ancienne loi, savoir la Loi sur l'immigration. Toutefois, l'article 196 précise que nonobstant l'article 192 il est mis fin à l'appel si l'intéressé «ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi».

[5]Le ministre déclare que Mme Medovarski «ne fait pas l'objet d'un sursis» aux fins de l'article 196, puisque le sursis en cause est celui qui porte sur l'exécution d'une mesure de renvoi que la SAI accorde en vertu de l'alinéa 73(1)c) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la LI lorsque, «eu égard aux circonstances particulières de l'espèce», une personne ne devrait pas être renvoyée du Canada. Comme l'audition de l'appel de Mme Medovarski n'avait pas encore eu lieu le 28 juin 2002, la SAI ne lui avait pas accordé un sursis aux fins de l'article 196 à l'entrée en vigueur de la LIPR. Par conséquent, c'est à bon droit qu'on a mis fin à son appel.

[6]Pour sa part, l'avocat de Mme Medovarski soutient que le sursis dont il est question comprend un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi qui s'applique automatiquement lors du dépôt d'un avis d'appel en vertu de l'alinéa 49(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41] de la LI. Comme Mme Medovarski a déposé son appel avant le 28 juin 2002, elle «fait [. . .] l'objet d'un sursis» à l'entrée en vigueur de la LIPR, en vertu de l'article 196. Par conséquent, on n'aurait pas dû mettre fin à son appel.

[7]Mme Medovarski a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, pour obtenir que la décision de la SAI de mettre fin à son appel soit annulée en tant qu'erronée en droit parce qu'elle était fondée sur une mauvaise interprétation de l'article 196. La juge qui a entendu la demande a adopté l'interprétation que faisait la demanderesse de l'article 196, accueilli la demande de contrôle judiciaire et certifié la question suivante:

Le mot «sursis» utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage-t-il un sursis qui a été accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, par suite de l'application de l'alinéa 49(1)b)?

[8]Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration s'est pourvu en appel de la décision de la juge qui a entendu la demande, décision répertoriée sous Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 227.

[9]Cet appel a été entendu avec les appels du ministre dans les dossiers A-267-03 et A-374-03, qui portent sur les décisions rendues dans Jones c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 661; [2003] A.C.F. no 876 (1re inst.) (QL) et Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 237 F.T.R. 264 (C.F. 1re inst.). Ces trois appels soulèvent les mêmes questions quant à l'interprétation de l'article 196. Les avocats nous ont fait savoir qu'il y a approximativement une douzaine d'autres affaires qui soulèvent la même question, certaines ayant été tranchées et d'autres étant toujours en instance devant la Cour fédérale.

[10]Nonobstant quelques différences dans les faits de chaque affaire, la décision et les motifs dans l'appel Medovarski s'appliquent aux appels Jones et Esteban et permettent d'en décider. Copie des motifs dans Medovarski sera donc annexée aux dossiers des deux autres appels. En tranchant l'appel de Mme Medovarski, je tiendrai compte des arguments présentés par les avocats représentant les intimés dans les trois appels en cause.

B. LA DÉCISION DE LA JUGE QUI A ENTENDU LA DEMANDE

[11]La juge qui a entendu la demande a interprété les dispositions législatives pertinentes en utilisant le cadre d'analyse prescrit par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27. Elle est arrivée à la conclusion que le sens ordinaire des termes utilisés dans l'article 196 comprend le sursis prescrit par l'alinéa 49(1)b) de la LI lors du dépôt d'un avis d'appel.

[12]Elle a ensuite replacé l'article 196 dans le contexte général de la Loi. Elle a reconnu que le législateur avait adopté l'article 64 de la LIPR afin de garantir la sécurité du public en interdisant aux résidents permanents d'en appeler à la SAI de mesures de renvoi fondées sur la grande criminalité, le crime organisé, l'atteinte aux droits humains ou internationaux, ou sur des raisons de sécurité. Elle a toutefois conclu que les objectifs généraux qui sous-tendent les restrictions apportées au droit d'appel ne permettaient pas à eux seuls d'interpréter les dispositions transitoires. Elle s'est plutôt fondée sur les trois facteurs suivants.

[13]Premièrement, il faut postuler que le législateur a inclus des dispositions transitoires qui font que les personnes dont les appels sont touchés par le changement législatif sont traitées équitablement. Par conséquent, une disposition enlevant un droit d'appel doit recevoir une interprétation restrictive afin de minimiser l'impact négatif sur les personnes qui avaient déjà déposé un avis d'appel au moment où la LIPR est entrée en vigueur. Elle a souligné que l'interprétation que le ministre donne à l'article 196 n'atteint pas cet objectif, puisqu'elle supprime le droit d'appel dans plus de cas que ce qui est requis de façon non équivoque par la Loi.

[14]Ainsi, bien que le dépôt d'un avis d'appel avant le 28 juin 2002 peut ne pas avoir conféré à Mme Medovarski un droit acquis de voir son appel entendu en vertu de la LI, la juge qui a entendu la demande a néanmoins déclaré ceci (au paragraphe 38):

[. . .] je serais certainement d'avis que, comme elle a exercé son droit en vertu de l'ancienne Loi et que les gestes du défendeur l'ont amenée à croire qu'elle pourrait se faire entendre par la Cour, l'équité exigerait que la procédure continue, à moins qu'elle n'ait été abrogée par des conditions claires et sans équivoque.

[15]Deuxièmement, le comportement des parties n'est pas compatible avec l'interprétation donnée à l'article 196 par le ministre. Par exemple, lorsque Mme Medovarski a reçu un avis de comparaître en avril 2002, indiquant que son appel à la SAI serait entendu en septembre 2002, cet avis ne mentionnait aucunement que la LIPR aurait un impact sur son appel et on peut présumer que ceci veut dire que le ministre «a estimé que l'article 196 de la LIPR ne s'appliquait pas à la demanderesse» (au paragraphe 36).

[16]Troisièmement, en réponse à l'argument du ministre qu'il faut présumer que le législateur a l'intention de donner un sens à toutes les dispositions d'une loi, la juge qui a entendu la demande a examiné l'interprétation que donne Mme Medovarski à l'article 196 au vu de ses conséquences. La juge a conclu que nonobstant le fait que très peu d'appels initiés avant le 28 juin 2002 seraient discontinués si l'article 196 comprend le sursis prescrit par l'ancienne loi en cas de dépôt d'un avis d'appel, l'article continuerait à s'appliquer, bien que rarement.

[17]Ayant conclu que correctement interprétée la LIPR ne supprimait pas le droit d'appel de Mme Medovarski, la juge qui a entendu la demande a considéré qu'il n'était pas nécessaire de traiter la question de savoir si le fait de supprimer le droit d'appel portait atteinte aux droits de Mme Medovarski garantis par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitution-nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

C. LE CADRE LÉGISLATIF

Loi sur l'immigration [art. 74(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), (3) (mod., idem)] (abrogée)

49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi:

[. . .]

b) en cas d'appel, jusqu'à ce que la section d'appel ait rendu sa décision ou déclaré qu'il y a eu désistement d'appel;

[. . .]

70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants:

[. . .]

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

[. . .]

73. (1) Ayant à statuer sur un appel interjeté dans le cadre de l'article 70, la section d'appel peut:

a) soit y faire droit;

b) soit le rejeter;

c) soit, s'il s'agit d'un appel fondé sur les alinéas 70(1)b) ou 70(3)b) et relatif à une mesure de renvoi, ordonner de surseoir à l'exécution de celle-ci;

[. . .]

74. [. . .]

(2) En cas de sursis d'exécution de la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l'appelant est autorisé à entrer ou à demeurer au Canada aux éventuelles conditions fixées par la section d'appel. Celle-ci réexamine le cas en tant que de besoin.

(3) Dans le cas visé au paragraphe (2), la section d'appel peut, à tout moment:

a) modifier les conditions imposées ou en imposer de nouvelles;

b) annuler son ordre de surseoir à l'exécution de la mesure, et parallèlement:

(i) soit rejeter l'appel et ordonner l'exécution dès que les circonstances le permettent,

(ii) soit procéder conformément au paragraphe (1).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d'effet dès lors qu'elle ne fait pas l'objet d'un sursis.

[. . .]

49. (1) La mesure de renvoi non susceptible d'appel prend effet immédiatement; celle susceptible d'appel prend effet à l'expiration du délai d'appel, s'il n'est pas formé, ou quand est rendue la décision qui a pour résultat le maintien définitif de la mesure.

[. . .]

50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants:

[. . .]

c) pour la durée prévue par la Section d'appel de l'immigration ou toute autre juridiction compétente;

[. . .]

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

[. . .]

192. S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission.

[. . .]

196. Malgré l'article 192, il est mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi.

197. Malgré l'article 192, l'intéressé qui fait l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi et qui n'a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable.

D. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Question no 1:     La juge qui a entendu la demande a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant les termes «fait [. . .] l'objet d'un sursis» de l'article 196 de la LIPR, pour qu'ils comprennent le sursis d'exécution d'une mesure de renvoi prescrit par l'alinéa 49(1)b) lors du dépôt d'un avis d'appel?

i) terrain d'entente

[18]Comme l'interprétation d'une loi est une question de droit, il est convenu que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte. Il est aussi convenu que l'interprétation de l'article 196 doit respecter le cadre analytique suivant, établi dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes [au paragraphe 21] et appliqué par la juge qui a entendu la demande (au paragraphe 22 de ses motifs):

Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre [. . .] Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

ii) L'application du principe de Driedger

a) le sens «ordinaire» des termes «fait [. . .] l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi»

[19]Je veux faire trois commentaires au sujet de l'interprétation de l'article 196, en me fondant sur les termes utilisés par le législateur. Premièrement, la version anglaise de l'article parle d'un sursis «under» l'ancienne loi. Ceci m'indique qu'il s'agit d'un sursis accordé en vertu d'une décision prise dans l'exercice des pouvoirs délégués par la Loi, comme c'est le cas du sursis accordé par la SAI «under» l'autorité de l'alinéa 73(1)c) de la LI. Par contre, le sursis automatique prévu à l'alinéa 49(1)b) de la LI est prescrit «by» la Loi elle-même. Comparer avec l'arrêt Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2003] 4 C.F. 672 (C.A.), aux paragraphes 55 et 56.

[20]La version française, «au titre de l'ancienne loi», a un sens plus global et peut vouloir dire soit «by» soit «under» l'ancienne loi, ou les deux à la fois. Toutefois, dans la mesure où la version anglaise a un sens plus restrictif que la version française, la règle du sens commun aux deux versions indique qu'il faut adopter la version anglaise: Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham Ont.: Butterworths, 2002), aux pages 82 à 85; Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e édition (Éditions Thémis, 1999), aux pages 412 à 415.

[21]Deuxièmement, le verbe «grant» indique qu'il s'agit d'un sursis résultant d'un geste positif du décideur plutôt que d'une situation prescrite par la loi. Par ailleurs, la version française de l'article 196, «il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi», est moins précise que la version anglaise. Ce membre de phrase ne se retrouve pas au paragraphe 49(1) de la LI, qui ne traite que du sursis automatique, où l'on trouve la formulation suivante: «il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi».

[22]Je constate que la LIPR ne prévoit pas un sursis automatique lors du dépôt d'un avis d'appel de la mesure de renvoi. Il n'y a sursis à l'exécution de mesure de renvoi jusqu'à ce que l'appel soit tranché que si la SAI ou toute autre juridiction compétente en décide ainsi: LIPR, alinéa 50c). Toutefois, bien que le texte de la LIPR ne prévoit pas de sursis automatique, le paragraphe 231(1) et l'article 232 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, en prévoient un. Par conséquent, la mention d'un sursis au paragraphe 48(1) de la LIPR («qu'elle ne fait pas l'objet d'un sursis») doit être interprétée comme recouvrant les deux possibilités, savoir le sursis accordé et le sursis automatique.

[23]Par conséquent, bien que j'accepte que la version française de l'article 196 peut couvrir à la fois un «sursis accordé» et un «sursis automatique», elle peut aussi ne couvrir que les sursis accordés. On ne peut donc dire que l'expression «faire l'objet d'un sursis» a toujours un sens plus large que l'expression anglaise «granted a stay». Ainsi, dans la mesure où la version anglaise de l'article 196, isolée de son contexte, ne comprend pas les sursis automatiques prescrits par la loi, il faut donner la même interprétation à la version française.

[24]Troisièmement, l'avocat de Mme Medovarski souligne que le verbe «grant» n'apparaît pas à l'alinéa 73(1)c) de la LI, alors que le ministre soutient que l'article 196 de la LIPR renvoie à ce texte. En fait, l'alinéa 73(1)c) porte que, lorsqu'un appel est fondé sur le motif que la personne en cause ne devrait pas être renvoyée «eu égard aux circonstances particulières en l'espèce», la SAI peut «ordonner (directing) de surseoir à l'exécution [de la mesure de renvoi]». Par contre, la version française de l'article 196 de la LIPR utilise la terminologie du paragraphe 49(1) de la LI: «il ne fait pas l'objet d'un sursis» à l'article 196, et «il est sursis» au paragraphe 49(1).

[25]Je ne considère aucun de ces trois arguments convaincants. Bien que les articles 73 et 74 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 67] de la LI ne mentionnent pas spécifiquement qu'un sursis est «granted», ce terme semble avoir couramment été utilisé par la SAI et par la Cour fédérale lorsqu'il s'agit de sursis accordés en vertu de l'alinéa 73(1)c) de la LI. De plus, comme je l'ai déjà dit, les termes pertinents dans la version française du paragraphe 49(1) de la LI et de l'article 196 de la LIPR ne sont pas identiques.

[26]Tout bien pesé, le sens «ordinaire» des termes «granted under the former Act», indique qu'on doit les interpréter comme portant sur les décisions rendues par la SAI en vertu de l'alinéa 73(1)c), plutôt que sur les sursis automatiques prescrits par l'alinéa 49(1)b). Toutefois, on ne peut interpréter les termes d'une loi sans les analyser en contexte, démarche qui peut venir confirmer, ou infirmer, le sens ordinaire des termes «granted a stay under the former Act» et «il ne fait pas l'objet d'un sursis», que l'on trouve à l'article 196.

b) «granted a stay under the former Act» et le principe de l'uniformité d'expression

La présomption de cohérence

[27]Lorsque le législateur utilise le même terme ou la même formulation dans une loi donnée, il y a une présomption que le terme ou la formulation en cause ont le même sens aux divers endroits où ils apparaissent dans la loi: Sullivan and Driedger, aux pages 162 à 167. Cette présomption n'a pas toujours le même poids. Toutefois, selon moi, elle est relativement probante ici étant donné que le membre de phase en cause se trouve dans deux articles qui se suivent dans la même loi: les articles 196 et 197 de la LIPR.

[28]Il est admis que les articles 192, 196 et 197 de la LIPR font partie des dispositions transitoires de la partie 5 de la Loi et qu'il faut les examiner de concert. L'article 197 est rédigé comme suit:

197. Malgré l'article 192, l'intéressé qui fait l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi et qui n'a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable.

[29]La mention à l'article 197 d'une personne «who has been granted a stay under the former Act» ne peut comprendre quelqu'un qui a obtenu un sursis automatique en déposant un appel. Étant donné que l'alinéa 49(1)b) de la LI ne parle pas d'imposer des conditions, il ne peut être question de ne pas les respecter. Par contre, le paragraphe 74(2) de la LI portait que, lorsque la SAI tranchait un appel «by directing that execution of a removal order [. . .] be stayed», l'intéressé était autorisé à demeurer au Canada «aux éventuelles conditions fixées par la section d'appel».

[30]Donc, comme les termes de l'article 197 de la LIPR «granted a stay under the former Act» s'appliquent aux décisions prises en vertu de l'alinéa 73(1)c), mais non aux sursis prescrits par l'alinéa 49(1)b) de la LI, on peut présumer que le même membre de phrase a le même sens à l'article 196 et qu'il ne comprend pas les sursis automatiques.

La présomption qu'il n'y a pas redondance

[31]Les avocats des deux parties ont invoqué la présomption qui veut que le législateur n'a pas l'intention que les termes de la législation soient superflus. En conséquence, on ne devrait pas normalement interpréter une disposition législative comme créant une catégorie de personnes qui n'aurait aucun membre.

[32]Le ministre soutient qu'au vu de l'interprétation donnée à l'article 196 par Mme Medovarski, aucun appel déposé avant le 28 juin 2002 ne pourrait être discontinué, puisque tous les appelants ont eu droit à un sursis d'exécution de leur mesure de renvoi lors du dépôt de leur appel. Donc, l'exception à l'article 192 créée par l'article 196 n'aurait aucun contenu et tous les appels à la SAI déposés avant le 28 juin 2002 seraient continués en vertu de l'ancienne Loi.

[33]Par contre, Mme Medovarski soutient qu'au vu de l'interprétation de l'article 196 par le ministre, l'article 192 serait sans effet. Ceci parce que, si l'article 196 ne s'applique qu'aux sursis accordés en vertu de l'alinéa 73(1)c) de la LI lorsqu'un appel est tranché, il aurait pu ne pas y avoir d'appels en instance le 28 juin 2002 dans le cadre desquels un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi était efficace au moment où la LIPR est entrée en vigueur. Donc, si l'article 196 ne s'applique pas au sursis automatique en vertu de l'alinéa 49(1)b) de la LI, il n'y aura pas d'appels qui seront continués en vertu de l'ancienne Loi et l'article 192 deviendra superflu.

[34]Selon moi, aucune des deux parties n'a démontré que l'interprétation donnée à l'article 196 par la partie adverse fait que les articles 192 ou 196 sont redondants.

[35]L'interprétation donnée à l'article 196 par le ministre n'a pas les conséquences mises de l'avant par Mme Medovarski, au vu de la nature particulière du sursis prescrit par la SAI en vertu de l'alinéa 73(1)c) de la LI. Même si la SAI statuait sur un appel lorsqu'elle ordonnait de surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi, sa décision n'était pas définitive: Grillas c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1972] 2 R.C.S. 577.

[36]Donc, lorsque la SAI fixait des conditions à un sursis elle devait réexaminer le cas en tant que besoin (paragraphe 74(2)) et modifier les conditions imposées ou annuler le sursis et rejeter (ou accueillir) l'appel. Par conséquent, même si la SAI concluait que, «eu égard aux circonstances particulières de l'espèce», l'intéressé ne devrait pas être renvoyé et ordonnait un sursis avant le 28 juin 2002, il y aurait toujours un appel qui pourrait être continué en vertu de l'ancienne Loi après l'entrée en vigueur de la LIPR.

[37]Pour sa part, l'avocat de Mme Medovarski soutient que même si l'article 196 comprend le sursis prescrit par l'alinéa 49(1)b) de la LI, certains appels déposés avant le 28 juin 2002 peuvent toujours être discontinués en vertu de l'article 196 de la LIPR. Par exemple, selon l'avocat, l'article 196 viendrait discontinuer l'appel d'un répondant qui avait déposé un avis d'appel avant le 28 juin 2002, en vertu du paragraphe 77(3) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15] de la LI, suite au refus d'admettre un parent au Canada parce que non admissible en vertu du paragraphe 64(1) de la LIPR. Comme les parents parrainés ne sont pas au Canada, les sursis ne s'appliquent pas aux appels qui les concernent.

[38]Il avance aussi le cas d'un résident permanent dont l'appel à la SAI d'une mesure de renvoi a été rejeté avant le 28 juin 2002, mais qui a été repris après cette date par suite de l'accueil d'une demande de contrôle judiciaire ou d'une décision de la SAI de rouvrir le dossier. Comme le sursis prescrit par la loi lors du dépôt d'un avis d'appel est devenu caduc lorsque la SAI a rejeté l'appel, l'article 196 s'appliquerait et l'appel serait discontinué.

[39]Sans en décider, je suis disposé à présumer aux fins de cet appel que l'article 196 s'appliquerait aux cas évoqués par un avocat ingénieux. Sur cette base, l'interprétation donnée à l'article 196 au nom de Mme Medovarski ferait qu'il n'est pas redondant.

[40]Je note que le paragraphe 350(5) du Règlement porte que toute décision prise par la SAI avant le 28 juin 2002, qui lui est renvoyée par la Cour fédérale ou par la Cour suprême du Canada, fera l'objet d'un nouvel examen conformément à l'ancienne Loi, même si on n'en avait pas disposé à l'entrée en vigueur de la LIPR. Cette disposition n'a pas d'impact sur les questions en litige ici, mais elle vient diminuer le nombre de cas visés par l'article 196 en vertu de l'interprétation qui lui est donnée par Mme Medovarski.

c) l'objectif de la Loi

[41]Malgré que la présomption contre la redondance ne s'applique à aucune des deux interprétations des parties, un examen des appels continués en vertu de l'article 196 est néanmoins très instructif. Selon l'interprétation du ministre, l'objectif de l'article 196 est d'instituer une exception à la règle générale en mettant fin à des appels pendants au 28 juin 2002. Toutefois, si eu égard aux circonstances particulières de l'espèce la SAI considérait qu'il y a lieu de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi, l'article 196 permet à l'appelant de conserver le bénéfice de la décision de la SAI de le mettre «en probation», et il y a lieu de maintenir la compétence de la SAI sur l'affaire.

[42]Ce point de vue quant à l'intention du législateur est renforcé par l'article 197. Cette disposition met fin à l'appel d'un résident permanent qui a fait l'objet d'un sursis au titre de l'alinéa 73(1)c) de la LI avant le 28 juin 2002, et qui n'a pas respecté les conditions du sursis. Dans ce cas, l'article 197 s'applique et il est mis fin à l'appel si l'intéressé a été trouvé coupable et condamné à deux ans de prison, avant ou après l'octroi du sursis. Dans ces circonstances, la politique générale énoncée à l'article 64 de la LIPR s'applique: les personnes qui ont commis une infraction grave ne devraient pas avoir le droit d'en appeler à la SAI. En l'absence de l'article 197, l'appel aurait été continué sous le régime de l'ancienne Loi, étant donné que la SAI avait accordé un sursis en vertu de l'alinéa 73(1)c) de la LI.

[43]Par contre, il n'est pas plausible que le législateur ait adopté l'article 196 pour mettre fin aux appels dans les divers cas soulevés par l'avocat de Mme Medovarski. Je ne suis pas convaincu qu'on peut trouver un objectif convaincant qui permette d'expliquer pourquoi le législateur aurait apporté ces exceptions à ce que l'avocat de Mme Medovarski dit être la règle générale, savoir qu'un appel déposé à la SAI avant le 28 juin 2002 est continué sous le régime de l'ancienne Loi.

d) le retrait d'un droit existant

[44]L'argument central présenté au nom de Mme Medovarski est que les dispositions transitoires d'une loi doivent recevoir l'interprétation qui affecte le moins possible les droits existants. En l'espèce, il s'agit du droit d'appel à la SAI et, notamment, du droit de s'en remettre à sa compétence «en équité».

[45]Toutefois, la règle de la common law qui proscrit la rétroactivité ne s'applique pas aux droits créés par des lois qui sont ensuite abrogées: Sullivan and Driedger, aux pages 565 à 568. En conséquence, s'il existe une présomption générale en faveur de maintenir le droit d'appel de ceux qui ont déposé un appel en vertu de la Loi sur l'immigration avant le 28 juin 2002, il faut la trouver aux articles 43 et 44 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. En l'espèce, je considère que l'alinéa 43c) est la seule disposition applicable et qu'au 28 juin 2002, Mme Medovarski avait un droit acquis de se pourvoir en appel devant la SAI de la mesure de renvoi la visant.

[46]L'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation est rédigé comme suit:

43. L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence:

[. . .]

c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

[47]Selon moi, cette présomption n'est guère utile à Mme Medovarski. Premièrement, la LIPR traite expressément et de façon détaillée de la transition de l'ancienne à la nouvelle Loi, ce qui comprend le fait de continuer ou de mettre fin aux appels à la SAI. Il est plus probable que le sens à donner à ces dispositions soit régi par le régime législatif--LIPR, partie 5, articles 187 à 201-- dont l'objectif précis est d'assurer la transition entre deux lois complexes, que par une présomption générale d'interprétation des lois: voir Sullivan and Driedger, à la page 566.

[48]Deuxièmement, après avoir examiné avec attention le régime législatif pertinent en l'espèce, je suis convaincu qu'il n'est pas possible d'appliquer la présomption pour conserver le droit d'appel existant à la SAI. Il est assez clair que le législateur ne voulait pas maintenir le droit d'appel des résidents permanents contre leur renvoi du Canada, alors qu'ils avaient simplement déposé un appel et que ce dernier n'avait pas encore été tranché par la SAI à l'entrée en vigueur de la LIPR.

[49]Il est utile à cette étape d'examiner brièvement le régime législatif transitoire, en particulier les dispositions qui traitent des appels à la SAI. Premièrement, la règle générale est que la LIPR s'applique «dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur»: LIPR, article 190.

[50]Deuxièmement, l'article 192 institue une exception à l'article 190 en prévoyant le contraire comme règle générale pour les appels à la SAI. Ainsi, l'article 192 porte que: «[s]'il y a eu dépôt d'une demande d'appel [. . .] à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi».

[51]Troisièmement, l'article 196 crée une exception spécifique à l'article 192 en édictant qu'il est mis fin à un appel porté devant la SAI à l'entrée en vigueur de la LIPR, si «l'intéressé est, alors qu'il n'a pas fait l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévu par l'article 64 de la présente loi». J'ai déjà examiné la disposition très spécifique que constitue l'article 197.

[52]Selon moi, l'avocate du ministre a présenté une explication très convaincante de ces dispositions, en se fondant sur leurs libellé, objectif et cohérence, à l'appui du point de vue qui veut que l'article 196 ne met fin à un appel que lorsqu'un sursis a été accordé après audition en vertu de l'alinéa 73(1)c) de la LI. Comme je l'ai mentionné plus tôt, la Loi porte que seuls les appels à la SAI où la Commission a rendu une décision favorable à l'intéressé sont continués sous le régime de l'ancienne Loi. Cette explication cadre avec l'objectif de la LIPR de protéger l'intérêt public en autorisant le renvoi rapide du Canada de ceux qui ont, notamment, commis des crimes graves.

[53]L'avocat de Mme Medovarski a suggéré à la Cour de ne pas donner un grand poids à ce facteur, étant donné que la Loi sur l'immigration autorisait aussi le ministre à circonscrire ou à enlever le droit d'appel d'une mesure de renvoi visant un résident permanent pour des motifs de sécurité publique. Ainsi, l'infraction commise par Mme Medovarski était suffisamment grave pour pouvoir justifier la délivrance d'un avis de «danger pour le public» en vertu du paragraphe 70(5) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la LI, ce qui l'aurait empêchée de faire appel à la SAI. Toutefois, étant donné que le ministre n'a pas délivré un avis de danger au sujet de Mme Medovarski il serait déraisonnable d'arriver à la conclusion que l'article 196 met fin à son appel.

[54]Je ne peux accorder que très peu de poids à cet argument. Nous ne savons pas pourquoi le ministre n'a pas délivré un avis de danger en vertu de l'ancienne Loi. Il se peut que la raison en soit que l'ancienne Loi serait bientôt remplacée par la LIPR. En fait, on peut dire que l'existence du pouvoir prévu par la LI d'enlever le droit d'appel à une personne trouvée coupable d'une infraction criminelle grave en délivrant un avis de danger donne à penser que le droit d'appel supprimé par la LIPR était fortement contingent.

[55]De toute façon, en adoptant la LIPR, le législateur a rééquilibré la sécurité du public et les droits individuels en élargissant les catégories de personnes qui peuvent être renvoyées sans droit d'appel à la SAI. D'ailleurs, la présomption des droits acquis n'est pas la seule présomption pertinente à l'interprétation en l'espèce. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, la présomption que le législateur avait l'intention de donner le même sens au membre de phrase utilisé dans des dispositions adjacentes et liées d'une même loi indique que les termes «fait [. . .] l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi» ont présumément le même sens dans les articles 196 et 197.

[56]Finalement, les personnes qui sont dans la même situation que Mme Medovarski ont d'autres occasions de faire connaître aux fonctionnaires de l'immigration les motifs pour lesquels elles ne devraient pas être renvoyées, nonobstant leur condamnation pour infractions criminelles. Plus particulièrement, Mme Medovarski ne sera pas renvoyée avant qu'on ait évalué les risques pour sa vie, sa sécurité physique ou sa liberté, en cas de renvoi dans le pays dont elle possède la citoyenneté: LIPR, paragraphe 112(1). De plus, elle peut demander un droit de séjour pour motifs d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Bien sûr, elle peut être renvoyée avant la fin du processus, mais l'obligation d'équité n'exige pas qu'un tel facteur fasse l'objet d'un appel à un tribunal indépendant.

iii) Conclusion

[57]Ayant conclu pour les motifs précités que l'article 196 supprime le droit d'appel à la SAI de Mme Medovarski, je dois maintenant examiner la question de savoir si la législation dans l'interprétation que je lui donne est constitutionnelle.

Question no 2:     En discontinuant les appels contre les mesures de renvoi lorsque les avis d'appel ont été déposés avant le 28 juin 2002 par des personnes visées par l'article 64 de la LIPR, l'article 196 les privent-elles du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne d'une façon qui ne respecte pas les principes de justice fondamentale, contrairement à ce qui est prévu à l'article 7 de la Charte?

[58]Comme je suis d'avis que l'article 196 n'enfreint pas les principes de justice fondamentale, je n'ai pas à décider si le renvoi du Canada de Mme Medovarski met en cause l'article 7 de la Charte en la privant de son droit à la liberté ou à la sécurité de la personne. Présumons aux fins de la présente espèce que c'est le cas.

[59]Dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 739, la Cour suprême du Canada a rejeté l'argument voulant que les principes de justice fondamentale exigent que le législateur accorde un droit d'appel pour motifs humanitaires avant le renvoi d'un résident permanent pour grande criminalité.

[60]Je ne trouve rien dans les faits de la présente affaire qui la distingue de l'arrêt Chiarelli. Je n'accepte pas que Mme Medovarski aurait été trompée par le ministre pour qu'elle croie avoir un droit d'appel. Personne ne peut légitimement s'attendre à ce que les lois ne soient pas changées à l'occasion. Rien dans la preuve n'indique que Mme Medovarski aurait présenté une défense différente à son procès criminel (ou que, si elle l'avait fait, le résultat aurait été différent) si elle s'était rendu compte qu'une condamnation à deux ans lui enlèverait son droit d'appel à la SAI.

[61]L'avocat de Mme Medovarski a aussi soutenu qu'au vu des considérations précitées, les principes de justice fondamentale exigent que le législateur donne à Mme Medovarski une occasion véritable de s'opposer à son renvoi. Il déclare que le droit de présenter une demande pour motifs d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR ne suffit pas, étant donné que le ministre voudra probablement la renvoyer avant le règlement de sa demande et que la Cour fédérale n'accorde généralement pas de sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi en attente du résultat d'une demande pour motifs humanitaires.

[62]En l'absence d'une disposition dans la Constitution qui accorde le droit d'en appeler d'une mesure de renvoi, je ne suis pas convaincu que le fait d'appliquer l'article 196 à Mme Medovarski constitue une violation de l'article 7. Comme je l'ai déjà dit, il n'y a rien dans la preuve qui indique que le ministre ou les fonctionnaires de l'immigration l'auraient trompée en lui faisant croire que son droit d'appel serait continué nonobstant la modification de la loi. Elle ne peut pas non plus soutenir qu'il y a eu violation de l'article 7 au motif que la modification de la loi lui a causé un préjudice dans la conduite de sa défense dans la procédure au criminel, aucune preuve n'ayant été présentée à ce sujet. Encore une fois, comme je l'ai déjà dit, personne ne peut avoir une attente légitime que des droits accordés par le législateur en matière de procédure ne soient jamais supprimés. L'évaluation du risque avant renvoi et le droit de présenter une demande pour motifs humanitaires accordent à Mme Medovarski l'occasion de présenter son point de vue quant à la question de savoir si elle doit être renvoyée.

E. CONCLUSIONS

[63]Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, confirmerais la décision de la Cour fédérale et rejetterais la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI qui porte que l'appel de Mme Medovarski est discontinué.

Le juge Rothstein, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[64]Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident): J'ai pris connaissance des motifs fort clairs de mon collègue le juge Evans, mais en toute humilité je ne peux partager son point de vue.

[65]Il importe que les appels à la SAI qui font l'objet de la présente demande soient replacés dans leur contexte. En vertu de la LI, les résidents permanents pouvaient faire l'objet d'une mesure de renvoi pour les motifs énoncés au paragraphe 27(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5]. Un examen des motifs précis de renvoi démontre qu'il s'agit la plupart du temps de crimes, commis à l'étranger ou au Canada, ainsi que de menaces à la sécurité du Canada. Toutefois, il y a des motifs qui n'ont rien à voir avec la criminalité ou une menace à la sécurité du Canada, notamment:

- une contravention aux conditions dont était assorti le droit d'établissement (alinéa 27(1)b));

- une condamnation en vertu de la Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47, qui traite essentiellement des infractions visées par une procédure sommaire en vertu d'une loi fédérale autre que le Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]. On peut dire qu'il s'agit dans ces cas de petite criminalité, par rapport à la grande criminalité qui est visée par d'autres parties de l'article 27;

- l'obtention du droit d'établissement par fraude ou fausse indication, ou par l'utilisation de documents faux ou obtenus irrégulièrement; et

- un manquement délibéré à l'obligation de l'intéressé de subvenir à ses besoins ou à ceux d'un membre de sa famille.

[66]Aucun de ces motifs n'est visé par l'article 64 de la LIPR. Donc, quelle que soit la portée donnée à l'expression «fait l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi», l'article 192 porte que les appels de mesures de renvoi présentés pour ces motifs sont continués. Par conséquent, la question en litige ici n'est pas celle de la préservation d'un droit d'appel, mais bien la question plus restreinte de la préservation d'un droit d'appel à la SAI d'une mesure de renvoi fondée sur la sécurité ou la grande criminalité.

[67]La différence entre les versions anglaise et française des articles 196 et 197 n'est pas la question principale en l'espèce, mais elle a une certaine importance. J'ai donc l'intention de résumer brièvement l'approche de mon collègue à ce sujet et d'expliquer pourquoi je ne partage pas son avis. J'indiquerai ensuite mon point de vue quant à l'interprétation appropriée de ces articles.

[68]Mon collègue commence en faisant remarquer qu'un sursis accordé under l'ancienne Loi n'est pas la même chose qu'un sursis d'origine législative accordé by l'ancienne Loi. Ceci l'amène à la conclusion que les sursis d'origine législative ne font pas partie de la catégorie des sursis qui sont «granted under the former Act». Deuxièmement, le verbe grant décrit un geste positif du décideur plutôt qu'une application impersonnelle de la loi. Ceci l'amène aussi à la conclusion que les sursis dont il est question sont des sursis discrétionnaires, accordés par la SAI en vertu de l'alinéa 73(1)c) de l'ancienne Loi.

[69]Afin de contrer l'argument de l'avocate de l'intimée qui porte que l'alinéa 73(1)c) n'utilise pas le verbe grant, mais bien le verbe direct, il fait observer que le verbe «grant» ou sa variante «granted» sont d'usage courant par les cours comme s'appliquant à des sursis discrétionnaires.

[70]Plus loin, on trouve l'argument qui veut que la présomption de l'uniformité d'expression mène à la conclusion que les sursis dont il est question à l'article 197 ne peuvent correspondre qu'aux sursis accordés par la SAI en vertu de l'alinéa 73(1)c). Donc, l'expression «stays granted under the former Act» doit recevoir le même sens aux articles 196 et 197.

[71]Poursuivant son analyse, le juge Evans vérifie la conclusion à laquelle il est arrivé au sujet du sens de la version anglaise de la Loi en comparant celle-ci à la version française. S'agissant de l'argument qui porte sur by ou under l'ancienne Loi, la question consiste à savoir si l'expression française «au titre de l'ancienne loi» renvoie à by, à under, ou aux deux. Il arrive à la conclusion que la formulation française est assez large pour couvrir les deux réalités, mais postulant que le sens commun des deux versions mène à une interprétation étroite des deux, il interprète l'expression «au titre de l'ancienne loi» comme renvoyant à under l'ancienne Loi.

[72]S'agissant du sens de «granted a stay», il fait remarquer que l'expression «ne fait pas l'objet d'un sursis» est moins précise que la version anglaise. Toutefois, un examen du libellé de la LIPR et du Règlement démontre qu'alors que les sursis sont généralement discrétionnaires, on trouve mention dans le Règlement des sursis d'origine législative. Par conséquent, «ne fait pas l'objet d'un sursis» pourrait être interprété comme recouvrant le sursis d'origine législative et le sursis discrétionnaire. Comme la version française peut ne couvrir que les sursis discrétionnaires, alors que l'expression anglaise «granted a stay» ne traite clairement que du sens discrétionnaire, la version française devrait recevoir la même interprétation limitée que la version anglaise.

[73]Par ailleurs, un lecteur qui ne lirait que la version française des articles en cause sans se rapporter à la version anglaise n'y trouverait aucune ambiguïté. Ce lecteur constaterait que l'article 192 porte continuation de tous les appels dans lesquels un avis d'appel avait été déposé au moment de l'entrée en vigueur de l'article 196. La confusion qui ressort de l'utilisation du membre de phrase «immediately before the coming into force of this section» dans la version anglaise n'existe pas dans la version française.

[74]Le même lecteur constaterait ensuite que si l'intéressé ne faisait pas l'objet d'un sursis et qu'il est couvert par l'article 64 ou par la LIPR, son appel serait discontinué. L'expression «ne fait pas l'objet d'un sursis» est sans ambiguïté. Elle ne soulève aucune question, explicitement ou implicitement, au sujet de la façon par laquelle l'intéressé en est venu à faire l'objet d'un sursis. On ne trouve aussi aucune ambiguïté dans l'expression «il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi», qui apparaît au paragraphe 49(1) de la LI. Dans ce contexte, le terme sursis est le participe passé du verbe surseoir (to stay). La structure de la version française est similaire à celle de la version anglaise, où l'on utilise aussi le participe passé.

[75]Finalement, le lecteur francophone de l'article 197 ne verrait pas pourquoi il restreindrait la portée de l'article 196 à cause du libellé de l'article 197. La catégorie «personnes qui font l'objet d'un sursis» comprend les «personnes qui font l'objet d'un sursis assorti de conditions». Le fait que l'article 197 renvoie à certaines personnes qui font l'objet d'un sursis et non à toutes ne permet pas de présumer que l'article 196 ne se rapporte qu'à celles qui font l'objet d'un sursis assorti de conditions. L'utilisation d'une expression donnée pour renvoyer à la fois à une catégorie donnée et à une partie de cette catégorie n'est pas une construction inhabituelle, en anglais comme en français.

[76]Étant donné que les deux versions de la législation font également autorité, nous nous trouvons avec deux versions d'une loi, l'une qui pose certains problèmes d'interprétation et l'autre qui, à sa face même, n'en pose pas. Comme il ne peut y avoir qu'une loi, la différence entre les versions doit être résolue. La règle des versions également authentiques porte que les deux versions d'un texte législatif font pareillement autorité (R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. Toronto: Butterworths, 2002, aux pages 74 et 75):

[traduction] L'exigence que la législation soit préparée, et non seulement publiée, en anglais et en français a des conséquences importantes. Elle veut dire que les deux versions d'une loi ou d'un règlement bilingue ont le même caractère officiel et original et qu'elles font pareillement autorité. Aucune des deux versions n'a le statut d'une copie ou d'une traduction, et aucune ne doit être préférée à l'autre. Ce corollaire est connu comme la règle des versions également authentiques.

[77]L'approche fondamentale à l'interprétation des lois bilingues est décrite à la page 80 de Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes:

[traduction] La règle fondamentale qui régit l'interprétation de la législation bilingue est la règle du sens partagé ou commun. Lorsque les deux versions de la législation bilingue ne disent pas la même chose, le sens qui est commun aux deux est celui qu'il faut adopter à moins qu'il soit inacceptable pour une raison quelconque.

[. . .]

La première étape dans l'interprétation de la législation bilingue est la recherche ou la construction du sens commun. Toutefois, ce sens commun n'est pas nécessairement le dernier mot. Il y a d'autres indications du sens dont on doit tenir compte et, si ces facteurs indiquent que le sens commun n'est pas approprié, la cour peut le rejeter et adopter une alternative plus appropriée. En rejetant le sens commun, la cour adopte en fait un sens plausible dans le contexte d'une version, mais non dans le contexte de l'autre.

[78]Le professeur Pierre-André Côté arrive à la même conclusion à la page 415 de son ouvrage «Interprétation des lois» (3e éd.) (les Éditions Thémis, 1999):

Le travail de l'interprète ne devrait cependant jamais être jugé complètement accompli une fois que le sens commun a été établi. Il faut, dans tous les cas, se reporter aux autres dispositions de la loi pour vérifier si ce sens commun est bien compatible avec l'intention du législateur telle qu'on peut la déduire en appliquant les règles ordinaires d'interprétation.

[79]Finalement, il ne semble pas y avoir de règle qui fixe le sens commun en se fondant sur la portée de l'interprétation choisie (Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, aux pages 82 et 83):

[traduction] Dans R. c. Hinchey, l'adoption du sens commun a eu pour effet de restreindre la portée de la disposition. Toutefois, il est important de faire remarquer que le sens commun peut tout aussi bien correspondre à l'interprétation plus large. Comme le juge en chef Isaacs [sic] l'a explicité dans l'arrêt Beothuk Data Systems Ltd c. Dean, il faut distinguer entre 1) un cas où une version était ambiguë et l'autre claire et 2) un cas où une version autorisait une interprétation plus large que l'autre. La règle du sens commun indique aux cours qu'on doit s'appuyer sur la version dont le sens est clair et non sur celle dont le sens est le plus restrictif. En pratique, la règle du sens commun favorise souvent l'adoption de la version plus large plutôt que de la plus étroite.

[80]Je m'arrête un instant pour faire remarquer que l'expression «sens commun» semble être utilisée d'une manière ambiguë dans ces extraits. Dans certains cas, il semble renvoyer à un sens commun littéral, ce qui suppose une interprétation commune des deux versions. Mais, dans d'autres cas, il renvoie clairement au sens commun notionnel, c'est-à-dire le sens donné par la cour aux deux versions, qu'on puisse le discerner dans les deux textes ou non. Par exemple, lorsque le sens commun correspond à l'interprétation plus large, on ne peut avoir un sens commun littéral étant donné que la version plus large comprend des éléments qu'on ne trouve pas dans la version plus étroite.

[81]Au vu des faits de l'espèce, je ne crois pas que le fait que le texte anglais puisse être considéré ambigu, ou non, ait une importance. Présumons qu'il n'est pas ambigu et qu'il correspond à l'interprétation qu'en donne l'appelant. Ceci ne change rien au sens de la version française, que je considère également sans ambiguïté. Nous n'arrivons pas au sens commun de l'article 196 en interprétant une version par l'autre. Il est tout aussi logique de soutenir que «stay granted under the former Act» doit être interprété au vu du sens plus large de l'expression «objet d'un sursis aux termes de l'ancienne loi», comme il est de dire que l'expression «objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi» doit être interprétée de façon restrictive pour correspondre au sens plus étroit de l'expression «stay granted under the former Act». Une telle approche dépend totalement du point de vue de départ.

[82]Étant donné cet état de choses, il reste à essayer de trouver un sens au régime législatif. Je ne conteste pas que le régime législatif tel que conçu par l'appelant est cohérent, mais ce n'est pas nécessairement le seul régime cohérent qu'on puisse trouver. J'adopte comme point de départ la préservation du droit d'appel à la SAI prescrite par l'article 192 de la LIPR. Je partage l'avis de mon collègue qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours à la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. Les dispositions transitoires de la LIPR occupent le champ qui serait normalement celui des articles 43 et 44 de la Loi d'interprétation. En conséquence, il n'est pas nécessaire de s'appuyer sur la présomption de non-interférence avec des droits acquis.

[83]La question qui est soulevée consiste à savoir si la préservation des droits d'appel prévue à l'article 192 est la règle générale, ou s'il s'agit simplement d'une exception à la règle générale formulée à l'article 190:

190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

[84]Selon moi, c'est le fait que l'article 190 prévoit l'application générale de la LI qui donne à la préservation des droits d'appel prévue à l'article 192 toute sa force. Comme ces droits seraient disparus en vertu de l'article 190, j'attache une certaine signification à la portée de la formulation de l'article 192 qui vient les conserver. Tout ce qui est nécessaire, c'est qu'on ait déposé un avis d'appel avant l'entrée en vigueur de la Loi. En conséquence, je ne suis pas sûr que la question est de savoir quelle est la règle générale, mais plutôt quelle est la règle qui doit régir les appels à la SAI? Il est clair que la règle applicable aux appels à la SAI est celle de l'article 192, telle que qualifiée par l'article 196. L'article 190 ne s'applique pas aux questions qui sont du ressort de l'article 192.

[85]Le point de vue de l'appelant est que tous les appels de mesures de renvoi fondés sur la criminalité grave ont été discontinués par l'article 196, ce qui ne tient pas compte du paragraphe 350(5) du Règlement adopté en vertu de la LIPR:

350. [. . .]

(5) Il est disposé conformément à l'ancienne loi de toute décision prise par la section d'appel de l'immigration sous le régime de l'ancienne loi qui lui est renvoyée par la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada pour nouvel examen et dont il n'a pas été disposé avant l'entrée en vigueur du présent article

[. . .]

365. (1) Le présent règlement, sauf l'alinéa 117(1)e), le paragraphe 117(5) et les alinéas 259a) et f), entre en vigueur le 28 juin 2002.

[86]Les questions renvoyées à la SAI par une cour chargée du contrôle judiciaire, et qui n'ont pas été tranchées avant l'entrée en vigueur de la LIPR, pourraient très bien comprendre des appels de mesures de renvoi prononcées pour grande criminalité. Il n'est pas évident que ces appels, qui ont déjà fait l'objet d'une audition, même si la cour chargée du contrôle a considéré que cette audition n'était pas adéquate, devraient être continués en vertu de la LI alors que les appels d'autres personnes qui sont aussi coupables de grande criminalité, mais qui n'ont pas eu d'audition, seraient discontinués. J'ai tendance à penser que le traitement accordé aux questions renvoyées à la SAI par la cour chargée du contrôle doit être cohérent avec le traitement accordé aux autres affaires du même genre. Le paragraphe 350(5) est, à mon avis, un indicateur de l'intention exprimée à l'article 196.

[87]J'admets que mon interprétation de l'article 192 soulève le problème de la redondance. Que reste-t-il qui serait couvert par l'article 196? L'avocate de l'intimée a identifié une série d'affaires exceptionnelles qui seraient couvertes par l'article 196, mais je ne suis pas convaincu que ces affaires exceptionnelles aient grand-chose en commun, sauf qu'elles pourraient être couvertes par l'article 196. En d'autres mots, je ne vois aucun fondement de principe pour dire qu'on peut restreindre les droits d'appel de certains appelants en particulier en les considérant comme membres du même groupe. Je considère que les exemples de l'avocate sont le résultat d'une analyse ex post facto de l'article en cause.

[88]Selon moi, ce sont les appels du rejet de demandes parrainées qui constituent la raison d'être de l'article 196. L'article 77 de la LI accorde aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents le droit d'appel du refus d'accorder le droit d'établissement aux membres de la catégorie des parents dont la demande était parrainée par un citoyen ou un résident permanent. Comme le candidat à l'immigration est hors du Canada, en général la question de surseoir à une mesure de renvoi, que le sursis soit automatique ou autre, ne se posera pas. Je dis «en général», parce qu'il pourrait y avoir des cas l'où on a accordé un visa pour ensuite refuser l'admission au point d'entrée. Alors, le candidat à l'immigration serait détenu plutôt que renvoyé. Certaines de ces affaires pourraient donner lieu à une demande de sursis, mais je crois qu'elles sont de la même nature que les autres exemples «évoqués par un avocat ingénieux». Quant à moi, je suis disposé à procéder en tenant pour acquis que les demandes parrainées ne donnent lieu ni à un sursis d'origine législative ni à un sursis discrétionnaire.

[89]De la même façon que j'ai établi une distinction plus tôt entre des appels de mesures de renvoi prises au motif de grande criminalité et celles prises pour d'autres motifs, il y aussi lieu de distinguer entre les appels des demandes parrainées où il y a grande criminalité et les autres. Il peut y avoir plusieurs motifs pour lesquels les demandes parrainées sont rejetées. Si l'article 196 s'applique aux demandes parrainées, il ne s'applique qu'à celles qui font état d'une grande criminalité.

[90]L'argument qu'on peut opposer à ce point de vue est que l'article 196 s'appliquerait à toutes les demandes parrainées puisque, à toutes fins pratiques, il n'y a pas de possibilité de sursis. Ceci ne crée pas pour autant une catégorie vide, ou une redondance. En l'absence de l'article 196, les répondants de candidats qui se sont vu refuser le droit d'établissement pour motif de grande criminalité conserveraient leur droit d'appel en vertu de l'article 192. Mais les appels de toutes les demandes parrainées sont continués par l'article 192. En conséquence, l'article 196 apporte une distinction avec les affaires où le droit d'appel trouve son origine dans l'article 77 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 68; 1995, ch. 15, art. 15] de la LI.

[91]Étant donné que nous traitons de dispositions transitoires, il est plus que logique de dire que le processus visant à faire passer tous les intéressés au nouveau régime verra d'abord à limiter les droits de ceux qui ne sont pas encore au Canada et dont les revendications sont les plus faibles. Ceci ne veut pas dire que je minimise les intérêts des répondants dans de tels appels, mais malgré cet intérêt ils ne sont pas dans la même situation que ceux qui peuvent être renvoyés du fait que la loi est venue discontinuer leurs appels.

[92]Pour ces motifs, j'ai tendance à considérer que l'article 192 s'applique à tous les cas où il y a sursis, que ce dernier soit d'origine législative ou qu'il soit discrétionnaire et prescrit par la SAI en vertu de l'alinéa 77(1)c). La rédaction de la LIPR est peu satisfaisante, non seulement à cause des différences entre les versions anglaises et françaises, mais aussi lorsqu'il s'agit de la précision et de la cohérence internes. Examinons, par exemple, l'article 198 de la LIPR:

198. La Section de la protection des réfugiés connaît des décisions de la Section du statut de réfugié qui lui sont renvoyées et en dispose sous le régime de la présente loi.

[93]La version anglaise de la Loi ne tient pas compte de la possibilité que les décisions de la section du statut de réfugié soient annulées par la Cour d'appel fédérale, au même titre que par la Cour fédérale. La version française n'a pas ce défaut, puisqu'elle ne parle que des décisions qui sont renvoyées à la section du statut de réfugié. Je soulève ce point uniquement pour indiquer que la rédaction de la Loi soulève plusieurs anomalies. Une de ces anomalies se trouve dans l'utilisation du terme «immediately» à l'article 192, lorsque le droit d'appel est continué dans les affaires où l'avis d'appel a été déposé «immediately» avant l'entrée en vigueur de la Loi. On pourrait soutenir que les personnes qui font l'objet d'un sursis prescrit par la SAI ne peuvent pas être des personnes dont l'avis d'appel a été déposé «immediately» avant l'entrée en vigueur de la LIPR, puisqu'elles ont déjà eu une audience et qu'on a tranché leur appel. Leur avis d'appel aurait pu être déposé des années avant l'entrée en vigueur de la LIPR. Une interprétation littérale de l'article 192 ferait que leur droit d'appel n'est pas conservé, ce qui fait qu'on n'aurait jamais besoin d'avoir recours à l'article 196 dans ces cas.

[94]Je ne présente pas ceci comme un argument à l'appui de ma position, puisque l'utilisation du terme «immediately» n'a pas plus de sens dans mon interprétation de l'article qu'elle n'en a dans celle de mon collègue. Mais une utilisation aussi peu rigoureuse de la langue vient justifier qu'on puisse avoir une certaine réticence à s'appuyer trop lourdement sur ce qui peut n'être qu'une tournure maladroite dans une loi mal rédigée.

[95]Ceci étant, je conviens que l'appelant a présenté un régime cohérent. Mais, à choisir entre deux régimes cohérents, je préfère celui qui préserve les droits à l'article 192 et qui s'accorde avec le paragraphe 350(5) du Règlement. Finalement, je suis conforté dans mon point de vue sur cette législation par le fait qu'il s'aligne sur la formulation non ambiguë de la version française de la Loi. Par conséquent, je rejetterais l'appel.

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