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A-481-01

2004 CAF 113

Commission canadienne des droits de la personne (appelante)

c.

Air Canada, Lignes aériennes Canadien International Limitée et Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) (intimés)

Répertorié: Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Rothstein, Nadon et Evans, J.C.A.--Ottawa, 25, 26 mars 2003 et 18 mars 2004.

Droits de la personne -- Plaintes déposées auprès de la CCDP par un syndicat à l'encontre de compagnies aériennes, alléguant une discrimination salariale contre les agents de bord, surtout des femmes, par rapport à deux groupes d'employés à prédominance masculine -- Un point préliminaire était de savoir si les groupes d'employés faisaient partie,du même «établissement» aux fins de l'art. 11(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, tel que ce mot est «défini» à l'art. 10 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale -- Pour partager «la même politique en matière de personnel et de salaires» (art. 10 de l'Ordonnance), les groupes d'employés qui sont comparés doivent être soumis aux mêmes principes généraux ou modes d'action qui guident l'employeur dans les questions relatives au personnel et aux salaires -- La prise en compte du détail des conventions collectives à ce stade est prématurée -- Pour faire partie du même établissement, les groupes d'employés doivent être considérés par l'employeur comme parties d'une entreprise unique et intégrée -- Air Canada considérait tous ses groupes d'employés comme parties d'une entreprise intégrée et unique ayant un objectif commun -- L'art. 10 de l'Ordonnance, doit être interprétée de la manière qui peut le mieux réaliser l'équité salariale.

Interprétation des lois -- Les points à décider concernaient le sens du mot «établissement» à l'art. 11(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et l'interprétation de l'art. 10 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale -- Examen de l'historique législatif de l'art. 10 -- Les textes législatifs sur les droits de la personne doivent être interprétés largement et en accord avec l'objet visé -- L'objet général de l'art. 11 de la Loi est de prévenir la discrimination salariale fondée sur le sexe -- Le terme «établissement» comprend, indépendamment des conventions collectives, tous les groupes d'employés qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires -- La définition ne repose pas sur le détail des conventions collectives -- Les groupes d'employés sujets à comparaison étaient visés par une politique commune en matière de personnel et de salaires et ils faisaient donc partie du même établissement -- L'art. 10 de l'Ordonnance doit être interprétée de la manière qui permet le mieux de réaliser l'équité salariale, même si cela signifie que les employés d'un employeur unique feront normalement partie du même établissement.

Il s'agissait d'un appel formé contre un jugement de la Section de première instance rejetant une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre de la décision d'un tribunal canadien des droits de la personne, qui avait jugé que trois groupes d'employés travaillant pour Air Canada ne faisaient pas partie du même établissement. En 1991 et 1992, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) déposait des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne à l'encontre des compagnies aériennes intimées (ci-après appelées «Air Canada»), plaintes qui alléguaient une discrimination salariale exercée contre les agents de bord, surtout des femmes, par rapport à deux groupes d'employés à prédominance masculine--les premiers et seconds officiers (pilotes) et le personnel des opérations techniques. Un point préliminaire était de savoir si les trois groupes d'employés faisaient partie du même établissement. Pour répondre à cette question, la Commission devait considérer le mot «établissement», au paragraphe 11(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, disposition qui prévoit que constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. Selon l'article 10 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, les employés d'un établissement comprennent, indépendamment des conventions collectives, tous les employés au service de l'employeur qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires, que celle-ci soit ou non administrée par un service central. Le Tribunal a jugé que la Commission et le SCFP n'avaient pas montré «le moindre semblant de politiques essentielles communes des salaires et du personnel s'appliquant à l'ensemble des unités de négociation». Il est arrivé à la conclusion que les trois groupes d'employés ne faisaient pas partie du même établissement pour l'application du paragraphe 11(1) de la Loi et que, par conséquent, les plaintes ne pouvaient aller de l'avant. La Section de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire déposée par l'appelante et le SCFP. Le point que soulevait l'appel était de savoir si les trois groupes d'employés en cause appartiennent au même établissement pour l'application du paragraphe 11(1) de la Loi et de l'article 10 de l'Ordonnance.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Le juge Rothstein, J.C.A. (aux motifs duquel le juge Nadon, J.C.A. a souscrit): Les parties se sont accordées pour dire que la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer à la décision du Tribunal est celle de la décision correcte. Le Tribunal devait décider un point d'interprétation législative; l'interprétation que donne un tribunal administratif d'un texte législatif sur les droits de la personne n'appelle aucune retenue judiciaire.

L'article 10 de l'Ordonnance exige d'identifier une politique commune en matière de personnel et de salaires afin que l'on puisse conclure que les groupes d'employés font partie du même établissement aux fins de l'analyse de la discrimination sous le régime du le paragraphe 11(1) de la Loi. L'article 10 est ambigu. Néanmoins, en raison du paragraphe 27(3) de la Loi, il s'impose à la Commission et au Tribunal et il doit les guider lorsqu'ils se demandent si des groupes d'employés devant être comparés font partie du même établissement.

Les textes législatifs sur les droits de la personne doivent être interprétés largement et en accord avec l'objet visé, et l'Ordonnance ne doit pas servir à entraver l'objet que l'article 11 de la Loi cherche à réaliser. Cependant, une interprétation large et conforme à l'objet visé ne signifie pas qu'un tribunal ou une cour de justice peut à loisir ignorer le texte d'une loi ou, en l'occurrence, d'une ordonnance contraignante, pour interdire la discrimination en général. L'objet général de l'article 11 de la Loi est de prévenir la discrimination salariale fondée sur le sexe. Les mots «employés d'un établissement comprennent [. . .] tous les employés [. . .] qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires» doivent être lus d'une manière qui limite les groupes d'employés d'un seul établissement aux employés qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires. Il est évident que le verbe «comprennent» se rapporte uniquement aux «employés», au pluriel, et non à l'«établissement», au singulier. La définition du terme «établissement» ne devrait pas dépendre des innombrables détails donnés dans les conventions collectives. Ce point de vue est appuyé par le fait que c'est le mot «politique» au singulier et non le mot «politiques» au pluriel qui est employé à l'article 10 de l'Ordonnance. Le mot «politique» doit être interprété comme l'ensemble des principes généraux ou modes d'action qui guident l'employeur dans les questions d'emploi et plus précisément dans les questions relatives au personnel et aux salaires. Pour partager la même politique en matière de personnel et de salaires, les groupes d'employés qui sont comparés doivent être soumis aux mêmes principes généraux ou modes d'action qui guident l'employeur dans les questions relatives au personnel et aux salaires. Il doit être établi que l'employeur considère les groupes d'employés comme parties d'une entreprise unique et intégrée, auquel cas les employés font alors partie du même établissement. La prise en compte du détail des conventions collectives au moment de décider si des employés font partie du même établissement était prématurée. Au lieu de tenir compte du détail des conventions collectives des pilotes, du personnel des opérations techniques et des agents de bord pour savoir s'ils faisaient partie du même établissement, le Tribunal aurait dû plutôt examiner si les mêmes principes généraux ou les mêmes modes d'action guidaient l'employeur dans les questions salariales et de gestion du personnel qui intéressaient les groupes en cause. Un document intitulé «Politique et principes d'Air Canada en matière de relations de travail» tranchait la question. Il traite de personnel et de rémunérations; il est applicable aux employés et aux syndicats d'Air Canada et ne fait aucune distinction entre les divers groupes d'employés. Ce document prouve qu'Air Canada considérait tous ses groupes d'employés comme parties d'une entreprise intégrée et unique ayant un objectif commun. Le Tribunal a commis une erreur parce qu'il a tenu compte du détail des conventions collectives et qu'il n'a pas été guidé par le document susmentionné lorsqu'il a rendu sa décision. Les groupes d'employés sujets à comparaison étaient visés par une politique commune en matière de personnel et de salaires, et ils faisaient donc partie du même établissement.

Le juge Evans, J.C.A. (motifs concordants): Les termes des conventions collectives qui s'appliquent aux plaignants et aux autres employés avec lesquels les plaignants souhaitent être comparés aux fins de l'équité salariale sont sans rapport avec la question de savoir si les plaignants et les groupes de référence font partie du même établissement au sens de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l'article 10 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Le Tribunal et le juge de la Section de première instance se sont fourvoyés parce qu'ils se sont attaqués au problème d'interprétation qui se posait à eux sans tenir compte suffisamment de son contexte, savoir les droits de la personne, ni de la méthode d'interprétation des lois sur les droits de la personne, telle que cette méthode est prescrite par la Cour suprême du Canada. Toute analyse d'une question relative aux droits de la personne conférés par une loi doit être conduite d'une manière qui respecte les objets du régime législatif et les grands objectifs des dispositions particulières contestées. Les lois sur les droits de la personne doivent être interprétées d'une manière libérale et en fonction de l'objet visé, de sorte à renforcer le droit de quiconque de ne pas être victime de discrimination. La définition de «même établissement», à l'article 10 de l'Ordonnance, doit être interprétée d'une manière qui soit adaptée à l'objectif législatif, en restreignant le principe de l'équité salariale aux employés du même employeur qui sont «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires». Le point central de la présente affaire était une question d'interprétation des lois et, si l'interprétation donnée par le Tribunal est erronée, sa décision doit être annulée pour erreur de droit.

Le présent appel tenait à l'interprétation de deux expressions de l'article 10: «qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires» et «indépendamment des conventions collectives». Selon le Tribunal, le contenu de la «politique en matière de personnel et de salaires» d'un employeur de travailleurs syndiqués se trouve, pour l'essentiel, dans les conventions collectives qui leur sont applicables, parce que ces conventions renfermeront généralement la totalité ou la quasi-totalité des conditions d'emploi. De plus, le Tribunal a exprimé l'avis que les politiques générales établies en vertu des droits réservés de la direction dans les lieux de travail syndiqués «sont peu susceptibles de constituer, par elles-mêmes, "une politique commune des salaires et du personnel». Partant, les employés visés par diverses conventions collectives ne seraient soumis à «la même politique en matière de personnel et de salaires» que si leurs conditions d'emploi, y compris toute politique applicable de l'entreprise, étaient les mêmes ou très semblables. Vu l'objectif officiel d'élimination des écarts, fondés sur le sexe, entre les salaires versés par un employeur aux hommes et aux femmes qui exécutent des fonctions équivalentes, la manière dont le Tribunal a interprété la disposition était peu plausible, parce que cette interprétation ne servira guère à favoriser cet objectif. La Commission avait exprimé un tout autre point de vue sur la signification de l'article 10 de l'OPS de 1986. Selon elle, les mots «dans le même établissement» évoquent non pas les conditions particulières d'emploi, mais le siège de la responsabilité, au sein d'une entreprise, de l'établissement des politiques de rémunération et autres politiques liées à l'emploi. Ainsi, les employés du même employeur seront en principe soumis à la «même politique en matière de personnel et de salaires» s'ils travaillent au sein de la même entité commerciale. Puisque les agents de bord, les pilotes et les mécaniciens d'entretien travaillent dans les activités essentielles d'Air Canada, à savoir la fourniture de services de transport aérien, on peut présumer qu'ils travaillent «dans le même établissement» et la valeur de leurs fonctions peut être comparée pour les fins de l'équité salariale. L'interprétation que donne la Commission de l'article 10 est une lecture linguistiquement possible d'un texte mal rédigé et plutôt obscur. Elle favorise l'objectif de la loi d'éliminer les différences, fondées sur le sexe, entre les salaires payés par un employeur aux hommes et aux femmes exécutant des fonctions équivalentes, et cela sans mettre en péril tout intérêt rival et clairement exprimé; elle est également facile à administrer. Il n'a pas été contesté qu'Air Canada exploite une entreprise intégrée et que, sous réserve de sa capacité de négocier des conventions avec les syndicats représentant ses employés, il lui appartient d'établir une politique en matière d'emploi et de salaires pour les employés en question.

La fonction de l'expression «indépendamment des conventions collectives», à l'article 10 de l'Ordonnance, est simplement de souligner que tous les employés visés par «la même politique en matière de personnel et de salaires» travaillent dans «le même établissement», qu'une convention collective s'applique ou non à l'un quelconque d'entre eux. L'article 10 dispose que l'existence d'une convention collective n'entraîne pas une politique distincte en matière de personnel et de salaires. L'expression «indépendamment des conventions collectives» signifie que les employés visés par une politique commune en matière de personnel et de salaires travaillent dans le même établissement, même si une convention collective s'applique à eux. Il n'y a rien, dans l'historique de l'article 10, qui modifie l'application du principe selon lequel les lois sur les droits de la personne doivent être interprétées d'une manière libérale, et les exceptions et limites d'une manière étroite. Ainsi, l'article 10 de l'Ordonnance doit être interprété d'une manière qui, en accord avec le texte de loi, permet le mieux d'atteindre à l'équité salariale, principe d'une importance fondamentale que le législateur a adopté pour corriger les injustices du milieu de travail qui découlent d'une discrimination systémique envers les femmes et d'un cloisonnement du marché du travail. Un examen attentif de la genèse de l'article 10 semble favoriser l'idée selon laquelle cet article devrait être interprété comme une disposition signifiant que, lieu de travail syndiqué ou non, les employés d'un employeur unique feront normalement partie du même établissement.

lois et règlements

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 11, 27(2) (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 20), (3) (mod., idem).

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36.

Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082, art. 10.

Ordonnances sur l'égalité de rémunération, TR/78-155.

jurisprudence

décisions appliquées:

Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571; (1996), 133 D.L.R. (4th) 449; 18 B.C.L.R. (3d) 1; 37 Admin. L.R. (2d) 1; 72 B.C.A.C. 1; 25 C.H.R.R. D/87; 194 N.R. 81; 119 W.A.C. 1; Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353; (1993), 102 D.L.R. (4th) 665; 79 B.C.L.R. (2d) 273; 13 Admin. L.R. (2d) 141; 26 B.C.A.C. 241; 18 C.H.R.R. D/310; 152 N.R. 99; 44 W.A.C. 241.

décisions examinées:

Air Canada (Re), [2003] O.J. no 1157 (C. sup.) (QL); Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; (1992), 9 O.R. (3d) 224; 93 D.L.R. (4th) 346; 12 C.C.L.I. (2d) 206; 39 M.V.R. (2d) 1; 138 N.R. 1; 55 O.A.C. 81; Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] 3 C.F. 789; (1996), 27 C.H.R.R. D/488; 199 N.R. 81 (C.A.); Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884; (2003), 227 D.L.R. (4th) 193; [2004] 1 W.W.R. 1; 3 Admin. L.R. (4th) 163; 109 C.R.R. (2d) 65; 306 N.R. 34.

décisions citées:

Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146; (1999), 180 D.L.R. (4th) 95; 176 F.T.R. 161 (1re inst.); Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114; (1987), 40 D.L.R. (4th) 193; 27 Admin. L.R. 172; 87 CLLC 17,022; 76 N.R. 161; Bhinder et autre c. Compagnie des chefs de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th) 481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 CLLC 17,003; 63 N.R. 185; Dickason c. Université de l'Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103; (1992), 127 A.R. 241; 95 D.L.R. (4th) 439; [1992] 6 W.W.R. 385; 4 Alta. L.R. (3d) 193; 17 C.H.R.R. D/87; 92 CLLC 17,033; 11 C.R.R. (2d) 1; 141 N.R. 1; 20 W.A.C. 241.

doctrine

Canada. Commission d'enquête sur l'égalité en matière d'emploi. Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi. Ottawa: Approvisionnements et Services Canada, 1984 (Commissaire: Rosalie Silberman Abella).

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la Justice et des questions juridiques. Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 11 (17 mai 1977).

Commission canadienne des droits de la personne. Égalité de rémunération pour des fonctions équivalentes: guide d'interprétation de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ottawa: Commission canadienne des droits de la personne, 1984.

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto: Butterworths, 2002.

Weiner, Nan et Morley Gunderson. Pay Equity: Issues, Options and Experiences. Toronto: Butterworths, 1990.

APPEL d'un jugement de la Section de première instance ([2002] 1 C.F. 158; (2001), 202 D.L.R. (4th) 737; 209 F.T.R. 111) rejetant une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre de la décision d'un Tribunal canadien des droits de la personne ([1998] C.H.R.D. no 8 (QL)), selon laquelle trois groupes d'employés travaillant pour Air Canada n'appartenaient pas au même établissement, au sens du paragraphe 11(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l'article 10 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. Appel accueilli.

ont comparu:

Andrew J. Raven, David Yazbeck et Salim Fakirani, pour l'appelante.

Thomas E. F. Brady et Robert Grant, pour Air Canada, l'intimée.

Douglas J. Wray, pour le Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien), l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour l'appelante.

Heenan Blaikie LLP, Montréal, pour Air Canada, l'intimée.

Caley Wray, Toronto, pour le Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien), l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Rothstein, J.C.A.: Le point que soulève le présent appel interjeté contre un jugement de la Section de première instance [[2002] 1 C.F. 158] (sa désignation à l'époque) est celui de savoir si des groupes d'employés appartiennent au même établissement pour l'application du paragraphe 11(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi) et de l'article 10 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082 (OPS de 1986).

LES FAITS

[2]En 1991 et 1992, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) déposait des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP, ou la Commission) à l'encontre d'Air Canada et des Lignes aériennes Canadien International Ltée (sociétés désignées toutes deux ci-après sous l'appellation Air Canada), plaintes qui alléguaient une discrimination salariale contre les agents de bord, surtout des femmes, par rapport à deux groupes d'employés à prédominance masculine--les premiers et seconds officiers (pilotes) et le personnel des opérations techniques.

[3]Un point préliminaire est celui de savoir si les trois groupes d'employés font partie du même établissement, condition préalable de l'application de l'article 11 de la Loi. Par une décision datée du 15 décembre 1998, un Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) jugeait que les trois groupes d'employés ne faisaient pas partie du même établissement. Le Tribunal estimait donc que les plaintes ne pouvaient pas aller de l'avant. (Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [1998] D.C.D.P. no 8 (QL)).

[4]Par ordonnance en date du 27 juillet 2001, la Section de première instance rejetait la demande de contrôle judiciaire de l'appelante et du SCFP. Il est fait appel de cette ordonnance (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2002] 1 C.F. 158 (1re inst.)).

[5]Le présent appel a été instruit les 25 et 26 mars 2003. Le 1er avril 2003, le juge Farley, de la Cour supérieure de l'Ontario, rendait, en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36, une ordonnance suspendant toutes les procédures judiciaires engagées contre Air Canada. Le paragraphe 70 de cette ordonnance mentionnait notamment ce qui suit [Air Canada (Re), [2003] O.J. no 1157 (C. sup.) (QL)]:

[traduction] LA COUR DEMANDE l'aide et la reconnaissance de tout tribunal ou de tout organe judiciaire ou administratif ou organe de régulation de toute province ou territoire du Canada [. . .] et de la Cour fédérale du Canada [. . .] pour qu'ils joignent leurs efforts à ceux de la Cour dans l'exécution des modalités de cette ordonnance.

[6]Par avis de requête en date du 17 avril 2003, Air Canada tentait d'obtenir la suspension de toute procédure additionnelle dans le présent appel, y compris la suspension du prononcé du jugement. Par ordonnance datée du 13 juin 2003, la Cour suspendait le prononcé de son arrêt dans le présent appel jusqu'à l'expiration de la période de suspension ordonnée par le juge Farley. Le 10 décembre 2003, le juge Farley ordonnait [traduction] «que l'arrêt des procédures commandé par l'ordonnance initiale soit levé aux fins de permettre à la Cour d'appel fédérale de communiquer son arrêt motivé [dans le présent appel] et à nulle autre fin». Par lettre datée du 11 décembre 2003, la Cour était informée de la levée de l'ordonnance de suspension rendue par le juge Farley, et l'ordonnance de suspension rendue par la Cour expirait de par ses propres termes.

NORME DE CONTRÔLE

[7]Les parties s'accordent pour dire que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la décision du Tribunal est celle de la décision correcte. Le Tribunal devait décider un point d'interprétation législative--le sens du mot «établissement», au paragraphe 11(1) de la Loi, en précisant ce que la Loi et l'OPS de 1986 obligeaient ou autorisaient le Tribunal à considérer pour savoir si des groupes d'employés font partie du même établissement. L'interprétation que donne un tribunal administratif d'un texte législatif sur les droits de la personne n'appelle aucune retenue judiciaire. Voir l'arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146 (1re inst.), au paragraphe 73, le juge Evans (son titre à l'époque).

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[8]Le paragraphe 11(1) de la Loi précise que l'employeur commet un acte discriminatoire lorsqu'il pratique la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. Voici le texte de cette disposition:

11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

[9]L'article 10 de l'OPS de 1986 est censé préciser le sens du mot «établissement», pour l'application du paragraphe 11(1) de la Loi. En voici le texte:

10. Pour l'application de l'article 11 de la Loi, les employés d'un établissement comprennent, indépendamment des conventions collectives, tous les employés au service de l'employeur qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires, que celle-ci soit ou non administrée par un service central.

[10]L'OPS de 1986 a été prise conformément au pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 27(2) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 20] de la Loi de prendre des ordonnances. Voici le texte du paragraphe 27(2):

27. [. . .]

(2) Dans une catégorie de cas donnés, la Commission peut, sur demande ou de sa propre initiative, décider de préciser, par ordonnance, les limites et les modalités de l'application de la présente loi.

[11]Le paragraphe 27(3) [mod., idem] prévoit que les ordonnances lient la Commission de même qu'un tribunal. En voici le texte:

27. [. . .]

(3) Les ordonnances prises en vertu du paragraphe (2) lient, jusqu'à ce qu'elles soient abrogées ou modifiées, la Commission et le membre instructeur désigné en vertu du paragraphe 49(2) lors du règlement des plaintes déposées conformément à la partie III.

La validité de l'OPS de 1986 a plusieurs fois été contes-tée, et tout récemment dans l'arrêt Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884. Cependant, la Cour suprême a jugé que l'OPS de 1986 était valide.

LE PROCESSUS DE LA PARITÉ SALARIALE

[12]Si un groupe d'employés à prédominance féminine souhaite se comparer à un groupe d'employés à prédominance masculine et s'il prouve que les deux groupes font partie du même établissement, alors une plainte fondée sur le paragraphe 11(1) de la Loi peut suivre son cours jusqu'à décision sur le fond. En général, l'enquête sur le fond suppose une évaluation des tâches exécutées par les groupes d'employés, ainsi qu'une comparaison des rémunérations versées aux employés de chaque groupe. La plainte suivra son cours jusqu'à décision sur le fond s'il est établi à titre préjudiciel que les deux groupes d'employés font partie du même établissement.

DÉCISION DU TRIBUNAL

[13]Le Tribunal était prié de dire si les trois groupes d'employés faisaient partie du même établissement. Il devait donc considérer le mot «établissement», au paragraphe 11(1) de la Loi. Le Tribunal a rejeté une définition globale du mot «établissement», estimant qu'une telle définition assimilerait l'établissement à l'employeur. Le Tribunal est arrivé à la conclusion qu'une définition globale n'était autorisée ni par le texte ni par l'esprit de l'article 11 de la Loi. Il s'est plutôt demandé si les groupes d'employés devant être comparés étaient soumis à des politiques communes du personnel et des salaires. Il a jugé que «la recherche de politiques communes du personnel et des salaires doit inclure les conventions collectives négociées par les unités de négociation» (paragraphe 91). Au paragraphe 94, le Tribunal écrivait:

Par conséquent, une définition logique et fonctionnelle du terme «établissement» dans le contexte de l'article 11 de la LCDP, telle qu'«influencée» par les dispositions ambiguës de l'article 10 de l'OPS, 1986, serait que les établissements sont des unités fonctionnelles où les employés sont soumis à des politiques communes des salaires et du personnel, y compris les politiques générales des ressources humaines, mais sans exclure l'examen des conventions collectives dans les lieux de travail syndiqués.

[14]Eu égard aux conventions collectives et aux manuels propres à chaque secteur, et nonobstant les politiques générales des ressources humaines et les stratégies de négociation d'Air Canada qui peuvent s'appliquer à tous les employés, le Tribunal a jugé que la Commission et le SCFP n'avaient pas montré «le moindre semblant de politiques essentielles communes des salaires et du personnel s'appliquant à l'ensemble des unités de négociation» (paragraphe 100). Le Tribunal est arrivé à la conclusion que les trois groupes d'employés ne faisaient pas partie du même établissement pour l'application du paragraphe 11(1) de la Loi et que, par conséquent, la plainte ne pouvait aller de l'avant. Au paragraphe 100 de ses motifs, le Tribunal écrivait:

Le présent Tribunal juge que les unités de négociation actuelles à Air Canada et aux Lignes aériennes Canadien, formées de pilotes, d'agents de bord et d'employés des opérations techniques négocient des conventions collectives séparées qui contiennent une vaste majorité des politiques des salaires et du personnel applicables à chacun des secteurs fonctionnels des compagnies intimées. Ces conventions collectives, jointes aux manuels propres à chaque secteur, empêchent la création d'un même établissement comprenant les pilotes, les agents de bord et les opérations techniques à Air Canada et aux Lignes aériennes Canadien. L'existence de politiques générales des ressources humaines et de stratégies de négociation communes chez chacune des compagnies intimées, applicables à tous les employés, à moins qu'elles ne soient remplacées par la convention collective pertinente, ne peut en elle-même établir un établissement unique comprenant les pilotes, les agents de bord et les opérations techniques chez chacune des compagnies intimées. La Commission et le plaignant ont été remarquablement incapables de démontrer le moindre semblant de politiques essentielles communes des salaires et du personnel s'appliquant à l'ensemble des unités de négociation.

ANALYSE

1. Les règles que sont le «même établissement» et la «politique commune en matière de personnel et de salaires» ne peuvent être ignorées

[15]La Loi elle-même ne donne guère de précisions sur le sens du mot «établissement». Tout ce que l'on retient du texte du paragraphe 11(1), c'est qu'un établissement se limite à un seul employeur et que, même si un établissement peut correspondre à l'employeur, il ne peut autrement correspondre qu'à un sous-ensemble de l'employeur. Mais l'on ne trouve rien dans la Loi sur la manière de déterminer le sous-ensemble.

[16]Cependant, l'article 10 de l'OPS de 1986 est censé faciliter la réponse à cette question. Il est clair que l'OPS ne donne pas à un groupe d'employés la latitude de choisir, pour comparaison, un autre groupe d'employés de l'employeur. L'article 10 exige plutôt d'identifier une politique commune en matière de personnel et de salaires afin que l'on puisse conclure que les groupes d'employés font partie du même établissement aux fins de l'analyse de la discrimination sous le régime du paragraphe 11(1) de la Loi.

[17]L'article 10 est ambigu. D'ailleurs, je ne suis pas persuadé qu'«une politique commune en matière de personnel et de salaires» soit le moyen idéal de dire si des employés font partie du même établissement. Néanmoins, en raison du paragraphe 27(3) de la Loi, l'article 10 s'impose à la Commission et au Tribunal et il doit les guider lorsqu'ils se demandent si les groupes d'employés devant être comparés font partie du même établissement. L'interprétation de cet article peut se révéler difficile, mais c'est une tâche que la Cour doit entreprendre.

[18]La Commission a fait valoir, et je reconnais avec elle, que les textes législatifs sur les droits de la personne doivent être interprétés largement et en accord avec l'objet visé et que l'OPS de 1986 ne doit pas servir à entraver ou à contrarier l'objet que l'article 11 de la Loi cherche à réaliser. Cependant, une interprétation large et conforme à l'objet visé ne signifie pas qu'un tribunal ou une cour de justice peut à loisir ignorer le texte d'une loi ou, en l'occurrence, d'une ordonnance contraignante, pour interdire la discrimination en général.

[19]Dans l'arrêt Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571, le juge Iacobucci, s'exprimant pour les juges majoritaires, écrivait, à la page 585:

Pour ce qui est de la façon d'interpréter les lois en matière de droits de la personne, la nécessité d'examiner la loi en fonction de l'objet visé, en lui donnant une interprétation équitable, large et libérale propre à favoriser la réalisation de cet objet, est bien établie. Mais il est aussi bien établi que le texte de la loi joue un rôle important dans cette démarche.

Puis le juge Iacobucci s'est référé, à la page 586, à l'explication donnée par le juge en chef Lamer dans l'arrêt Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353, à la page 371:

D'autre part, toutefois, comme l'explique le Juge en chef, à la page 371,

[c]ette méthode d'interprétation (c.-à-d. large, libérale et fondée sur l'objet visé) ne permet pas à une commission ou à une cour de justice de faire abstraction des termes de la Loi pour empêcher la pratique discriminatoire où que ce soit. Bien que ce puisse être là un but louable, la législature a affirmé, au moyen des termes restrictifs de l'art. 3 (c.-à-d. l'expression «habituellement offerts au public»), que certaines relations ne seront pas sujettes à un examen fondé sur la loi en matière de droits de la personne. Il incombe aux commissions et aux cours de justice de donner à l'art. 3 une interprétation libérale et fondée sur l'objet visé, sans faire abstraction des termes restrictifs de la Loi ni autrement contourner l'intention de la législature.

L'interprétation véritablement fondée sur l'objet visé prend en considération le texte même de la loi, afin de discerner l'intention du législateur et d'en favoriser la réalisation. Notre tâche est d'insuffler la vie, de façon généreuse, aux dispositions particulières qui nous sont soumises.

L'interprétation législative fondée sur l'objet visé n'habilite pas la Cour à donner effet à une politique qu'elle croit légitime, en se dispensant de prêter attention aux mots employés par le législateur.

[20]L'objet général de l'article 11 de la Loi est de prévenir la discrimination salariale fondée sur le sexe. Cependant, le paragraphe 11(1) de la Loi et l'article 10 de l'OPS de 1986 précisent quels groupes d'employés l'on peut comparer pour savoir s'il y a discrimination. L'analyse doit se limiter à l'établissement d'un seul employeur. Un établissement s'entend d'une unité comprenant tous les groupes d'employés soumis à une politique commune en matière de personnel et de salaires. Ces mots ne peuvent être ignorés.

2. L'article 10 limite l'«établissement» aux employés soumis à une politique commune en matière de personnel et de salaires

[21]Dans sa plaidoirie, la Commission a fait valoir que l'emploi du mot «comprennent», à l'article 10, signifie qu'un établissement englobe, sans y être limité, les groupes d'employés soumis à une politique commune en matière de personnel et de salaires. Si cela est juste, on pourrait conclure à l'existence d'un établissement lors même que les groupes d'employés qui sont comparés ne sont pas soumis à une politique commune en matière de personnel et de salaires.

[22]Ce que sous-entend l'argument de la Commission, c'est que le sujet du verbe «comprennent» est le nom «établissement», au singulier. Si tel était le cas, la position de la Commission serait vraisemblable. Un établissement comprendrait tous les groupes d'employés soumis à une politique commune en matière de personnel et de salaires et pourrait comprendre également d'autres groupes. Cependant, le verbe employé est «comprennent» et non «comprend». Parmi les sujets possibles, c'est-à-dire «employés» ou «établissement», il est évident que le verbe «comprennent» se rapporte uniquement aux «employés» et non à l'«établissement». Les mots «les employés d'un établissement comprennent [. . .] tous les employés [. . .] qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires» doivent être lus d'une manière qui limite les groupes d'employés d'un seul établissement aux employés qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires.

[23]Je ne crois pas qu'il serait logique pour l'OPS de 1986 d'identifier une politique commune en matière de personnel et de salaires en tant que critère permettant de définir la composition d'un établissement aux fins du paragraphe 11(1) de la Loi, si l'intention était que les groupes d'employés non visés par une politique commune en matière de personnel et de salaires puissent eux aussi faire partie du même établissement.

3. Les termes des conventions collectives sont hors de propos

a) L'OPS de 1986 emploie le mot «politique» et non «politiques»

[24]Le sens précis de l'expression «politique en matière de personnel et de salaires» n'apparaît pas d'emblée à la lecture de l'OPS de 1986. Si ce n'est qu'elle précise que la politique concerne les questions de personnel et les salaires et qu'il n'importe pas qu'elle soit ou non administrée par un service central, l'OPS de 1986 donne peu d'indices sur le sens de l'expression.

[25]La tâche consistant à déterminer si les groupes d'employés en cause font partie du même établissement est une condition préalable à l'exercice fondamental consistant à comparer les fonctions exécutées et les rémunérations respectives reçues par les membres des groupes. Les détails précis des conditions de travail et des rémunérations, y compris des avantages, dont il fait état dans les conventions collectives sont des aspects qu'il faut considérer à l'étape de l'exercice fondamental. Je me range donc à l'avis de la Commission, pour qui la définition du terme «établissement» ne devrait pas dépendre des innombrables détails donnés dans les conventions collectives.

[26]Ce point de vue est appuyé par le fait que c'est le mot «politique» au singulier et non le mot «politiques» au pluriel qui est employé dans l'article 10. Le Tribunal a souvent utilisé l'expression, dans ses motifs, «politiques communes du personnel et des salaires». Dans ce contexte, le Tribunal a jugé, au paragraphe 91 de ses motifs, que «la recherche de politiques communes du personnel et des salaires doit inclure les conventions collectives négociées par des unités de négociation».

[27]Il ne m'est pas nécessaire de dire si, l'OPS de 1986 eût-elle employé le mot «politiques», le Tribunal aurait pu alors comparer les politiques en matière de personnel et de salaires contenues dans les diverses conventions collectives. L'OPS de 1986 emploie le mot «politique» et le Tribunal n'avait donc pas le loisir de tirer cette conclusion.

b) La comparaison ne doit pas être impossible en pratique

[28]Par ailleurs, dans une certaine mesure tout au moins, il y aura toujours des différences entre les politiques détaillées en matière de personnel et de salaires qui sont inscrites dans les conventions collectives applicables à des groupes d'employés exécutant des tâches différentes. Je ne crois pas que l'article 10 de l'OPS de 1986 soit censé limiter les comparaisons aux groupes dont les conventions collectives renferment des politiques identiques en matière de personnel et de salaires. Une telle interprétation rendrait les comparaisons impossibles en pratique. L'OPS de 1986 ne peut être interprétée comme si elle envisageait l'impossible.

c) L'accent doit être mis sur la politique de l'employeur

[29]L'objet général du paragraphe 11(1) de la Loi est d'éliminer la discrimination salariale sur le lieu de travail entre les employés des deux sexes. C'est l'employeur qui  a causé la présumée discrimination et qui, vraisemblablement, a le pouvoir d'y mettre fin. Par conséquent, le point de mire de l'analyse du mot «établissement» devrait être l'employeur, en totalité ou en partie.

[30]Ce point de mire est confirmé par les termes de l'article 10, qui se réfèrent à l'employeur, par exemple «visés par» et «que celle-ci soit ou non administrée par un service central». Il est donc plus indiqué de se focaliser sur une politique de l'employeur plutôt que sur les politiques contenues dans des conventions collectives qui sont négociées entre l'employeur et les groupes d'employés.

[31]Vu la nécessité de se focaliser sur une politique de l'employeur, il est nécessaire de tenir compte de ce qui demeure du ressort de l'employeur. En interprétant l'article 10 selon cette approche, je dirais que le mot «politique» s'entend des principes généraux ou des modes d'action par lesquels l'employeur est guidé dans les questions d'emploi, et plus exactement dans les questions touchant le personnel et les salaires.

[32]Pour partager la même politique en matière de personnel et de salaires, les groupes d'employés qui sont comparés doivent être soumis aux mêmes principes généraux ou modes d'action qui guident l'employeur dans les questions relatives au personnel et aux salaires. Plus exactement, il doit être établi que l'employeur considère les groupes d'employés comme parties d'une entreprise unique et intégrée. Si tel est le cas, alors les employés font partie du même établissement. Dans un tel cas, une enquête plus attentive portant sur le détail des fonctions, des conditions de travail et des rémunérations est alors justifiée.

d) Se focaliser sur la politique de l'employeur n'assimile pas l'établissement à l'employeur

[33]Le Tribunal a pris soin de ne pas assimiler l'établissement à l'employeur, ce qui aurait pour effet d'ignorer les dispositions explicites du paragraphe 11(1). Selon l'approche évoquée précédemment, cependant, un employeur ne correspond pas nécessairement à un établissement unique. La Commission a donné l'exemple d'un conglomérat dans lequel, bien que l'employeur soit le même, il n'existe pas de politique commune en matière de personnel et de salaires entre les groupes d'employés des diverses unités du conglomérat. Je n'exclurais pas non plus d'autres circonstances. La question est de savoir si l'employeur applique les mêmes principes généraux ou les mêmes modes d'action aux questions touchant le personnel et les salaires pour les groupes que l'on cherche à comparer. Si la réponse est affirmative, alors ils font partie du même établissement.

e) L'historique de la rédaction de l'OPS de 1986 n'impose pas de considérer le détail des conventions collectives

[34]Néanmoins, eu égard au processus de consultation qui a conduit à l'OPS de 1986, Air Canada a fait valoir que l'article 10 n'interdit pas d'examiner les détails des conventions collectives. Durant les consultations qu'avait menées la Commission et qui avaient conduit à l'OPS de 1986, des mémoires avaient été reçus à la fois des groupes de travail et de gestion. Les groupes de travail souhaitaient que l'OPS n'empêche pas les comparaisons entre diverses unités de négociation. Les groupes de gestion voulaient que chaque convention collective constitue une politique autonome en matière de personnel et de rémunérations.

[35]Les premières ébauches de l'OPS rédigées par la Commission semblent avoir expressément exclu la prise en compte des conventions collectives lorsqu'il s'agissait de savoir si des employés faisaient partie du même établissement. La version finale de l'article 10 de l'OPS de 1986 ne dit rien sur cet aspect. Selon Air Canada, c'est là reconnaître que la prise en compte des conventions collectives n'est pas nécessairement exclue lorsqu'on se demande si des groupes d'employés sont visés par une politique commune en matière de personnel et de salaires.

[36]Je n'arrive pas à la même conclusion. L'article 10 n'exclut pas expressément la prise en compte de conventions collectives (et ici je souscris à l'analyse textuelle faite par le Tribunal et par le juge de la Section de première instance à propos des mots de l'article 10 «indépendamment des conventions collectives»), mais il n'impose pas non plus leur prise en compte. Il s'agit d'une question d'interprétation et, pour les motifs que j'ai exposés, je suis arrivé à la conclusion que la prise en compte du détail des conventions collectives lorsque vient le temps de déterminer si des employés font partie du même établissement est prématurée.

4. Application aux faits

[37]Pour ces motifs, je crois que le Tribunal a commis une erreur quand il a tenu compte du détail des conventions collectives des pilotes, du personnel des opérations techniques et des agents de bord pour savoir s'ils faisaient partie du même établissement. Le Tribunal aurait dû plutôt examiner si les mêmes principes généraux ou les mêmes modes d'action guidaient l'employeur dans les questions salariales et de gestion du personnel qui intéressaient les groupes en cause. Appliquant cette approche, je passe maintenant à la preuve.

[38]Un document intitulé «Politique et principes d'Air Canada en matière de relations de travail», daté du 22 mai 1991, tranche, je crois, la question. Il est rédigé selon une optique très générale. Il traite de personnel et de rémunérations. Il est applicable aux employés et aux syndicats d'Air Canada et il ne fait aucune distinction entre les divers groupes d'employés.

[39]Le document parle d'une mission unique pour la société Air Canada considérée globalement, à savoir «exceller en matière de rentabilité», et il se réfère expressément à la reconnaissance de la légitimité et du statut juridique des agents de négociation certifiés des employés d'Air Canada «dans toute l'organisation». Je crois que ce document dispose du présent appel, et c'est pourquoi je le reproduis ici intégralement:

[traduction]

Air Canada a pour mission officielle d'exceller en matière de rentabilité, de service à la clientèle et de rendement individuel.

Des relations de travail favorables aideront à l'accomplissement de cette mission et sont donc une bonne pratique, outre qu'elles remplissent notre responsabilité sociale. Air Canada croit que des relations de travail favorables seront possibles grâce à des relations constructives avec les employés et leurs représentants. Des relations constructives sont fondées sur une communication franche et sur la confiance entre les parties et elles ne peuvent exister que si les employés et leurs représentants sont traités équitablement, avec respect et dignité.

Au soutien de l'objectif de parvenir à des relations de travail favorables, la société Air Canada est résolue à suivre les principes fondamentaux suivants.

-     Les syndicats, qui sont les agents de négociation certifiés des employés d'Air Canada, ont un statut juridique et sont les représentants légitimes du personnel syndiqué. Ils doivent être reconnus comme tels dans toute l'organisation, à tous les niveaux de la gestion, et ils doivent être traités avec courtoisie et respect.

-     La convention collective établit le cadre des relations entre le syndicat et la direction et elle régit la conduite du lieu de travail. Cette convention négociée entre Air Canada (Relations du travail et autorité hiérarchique) et ses syndicats lie les deux parties et doit être reconnue comme telle par tous les niveaux de la direction.

-     L'autorité hiérarchique administre au quotidien la convention collective (manuel de travail) avec l'aide des Relations du travail. Dans cette mesure, les cadres hiérarchiques seront formés à l'application de la convention collective et auront accès à des conseils d'expert, selon le besoin. L'autorité hiérarchique sera également informée des stratégies et plans qui pourraient influer sur l'application de la convention collective.

-     Les divergences qui surgiront dans toute relation seront réglées promptement et avec professionnalisme au moyen de la procédure de règlement des griefs. Les cadres hiérarchiques devront veiller à ce que les griefs soient réglés promptement, en concertation avec le Service des relations du travail. Les Relations du travail fourniront des conseils techniques, mais les cadres hiérarchiques prendront les décisions.

-     Outre la négociation collective et le règlement des griefs, une relation constructive entre syndicat et direction suppose un engagement envers des objectifs communs et des consultations permanentes. S'ils sont bien informés, les dirigeants syndicaux ont les meilleures chances de prendre les bonnes décisions, décisions qui seront susceptibles d'être dans l'intérêt de leurs membres et de l'entreprise. Par conséquent, le Service des relations du travail interviendra dans la définition des stratégies et plans de l'entreprise intéressant les employés, et cela jusqu'à leur étape finale. Les Relations du travail veilleront aussi à ce que les syndicats soient informés rapidement des stratégies et plans, et elles devront assurer un processus consultatif efficace offrant aux dirigeants syndicaux un moyen d'intervenir dans les stratégies et plans de l'entreprise.

[40]Je crois que ce document est l'exemple type de la politique commune en matière de personnel et de salaires dont parle l'article 10 de l'OPS de 1986. Il prouve qu'Air Canada considérait tous ses groupes d'employés, y compris les groupes en cause dans le présent appel, comme parties d'une entreprise intégrée et unique ayant un objectif commun. Air Canada n'a pas porté à l'attention de la Cour une preuve contraire. Sa position était même largement fondée sur une comparaison des détails des conventions collectives.

[41]Je suis d'avis que le Tribunal a commis une erreur parce qu'il a tenu compte des détails de ces conventions collectives et parce qu'il n'a pas été guidé par le document susmentionné lorsqu'il a rendu sa décision. S'il s'en était rapporté au document, il aurait constaté que les groupes d'employés sujets à comparaison étaient visés par une politique commune en matière de personnel et de salaires et qu'ils faisaient donc partie du même établissement.

5. Autres arguments avancés par Air Canada

[42]Air Canada a avancé plusieurs autres arguments, que j'ai d'abord trouvés convaincants. Toutefois, réflexion faite, ils ne m'ont pas persuadé.

[43]Air Canada a fait valoir que la nature disparate des postes en question est un facteur à prendre en compte lorsqu'on se demande si les groupes d'employés en cause sont visés par une politique commune en matière de personnel et de salaires. Son point de vue, c'est que, lorsque l'on compare des postes présentant de grandes dissemblances, la comparaison devient sujette à caution. Air Canada dit que l'article 10 de l'OPS de 1986 était censé favoriser des comparaisons fiables et donc limiter les comparaisons hautement subjectives entre divers types de fonctions.

[44]Je ne dis pas que la comparaison de fonctions fort différentes ne sera pas difficile, ni qu'elle sera exempte d'appréciations subjectives susceptibles de provoquer une controverse. Cependant, le point de savoir si de telles comparaisons donnent un résultat suffisamment fiable est du ressort du Tribunal qui conduit l'enquête. Il est prématuré de soulever ce point à l'étape où l'on détermine si des employés font partie du même établissement de l'employeur.

[45]Air Canada dit que diverses unités de négociation peuvent avoir diverses priorités. Ce n'est que lorsque ces priorités sont les mêmes qu'il pourra y avoir une politique commune en matière de personnel et de salaires. Encore une fois, je pense que cet argument est prématuré. Diverses priorités seront manifestées dans les rémunérations et les avantages sociaux et elles seront prises en compte à l'étape de l'analyse fondamentale. Celle-ci dira quel rapport, le cas échéant, ces diverses priorités peuvent présenter avec la question de savoir si les agents de bord ont été victimes d'une discrimination fondée sur le sexe.

[46]Selon Air Canada, les atouts relatifs des diverses unités de négociation peuvent expliquer les différences salariales entre divers groupes d'employés. L'article 11 de la Loi et l'OPS de 1986 énoncent les facteurs dont le Tribunal doit tenir compte pour savoir si des employés reçoivent des salaires égaux et exécutent des fonctions équivalentes. Dans la mesure où la preuve d'une force particulière de négociation porte sur les facteurs en question, elle est pertinente et elle sera étudiée par le Tribunal à l'étape de l'analyse de fond. Par conséquent, il est prématuré de considérer à ce stade la preuve des atouts relatifs de négociation des groupes d'employés.

DISPOSITIF

[47]Pour ces motifs, et appliquant le bon critère juridique à la preuve pertinente, j'arrive à la conclusion que les groupes d'employés sujets à comparaison ici sont composés d'employés faisant partie du même établissement.

[48]J'estime que l'appel doit être accueilli, avec les dépens adjugés par la Cour d'appel et la Section de première instance, que le jugement de la Section de première instance doit être annulé et je lui substitue le jugement que la Section de première instance aurait dû rendre. La décision du Tribunal doit être cassée et l'affaire renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision, étant entendu que les employés compris dans les groupes sujets à comparaison font partie du même établissement.

Le juge Nadon, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A.:

A. INTRODUCTION

[49]J'ai eu l'avantage de lire les motifs du juge Rothstein, et je souscris à la manière dont il dispose de l'appel. La décision du Tribunal doit être annulée pour erreur de droit. Les termes des conventions collectives qui s'appliquent aux plaignants et autres employés avec lesquels les plaignants souhaitent être comparés aux fins de l'équité salariale sont sans rapport avec la question de savoir si les plaignants et les groupes de référence font partie du même établissement au sens de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 et de l'article 10 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082.

[50]Si j'ai rédigé des motifs concourants, c'est pour réaffirmer la bonne manière d'aborder les points de droit qui concernent les droits de la personne. À mon avis, le Tribunal et le juge de la Section de première instance se sont fourvoyés parce qu'ils se sont attaqués au problème d'interprétation qui se posait à eux sans tenir compte suffisamment de son contexte, savoir les droits de la personne, ni de la méthode d'interprétation des lois sur les droits de la personne, telle que cette méthode est prescrite par la Cour suprême du Canada. Au lieu de cela, ils semblent être arrivés à leur conclusion en se fondant essentiellement sur le sens «ordinaire et grammatical» de l'article 10, qu'ils ont jugé ambigu, sans d'abord considérer l'objet de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, objet que l'OPS de 1986 est censé expliciter.

[51]Toute analyse d'une question relative aux droits de la personne conférés par une loi doit être conduite d'une manière qui respecte les objets du régime législatif et les grands objectifs des dispositions particulières contestées. La quête du sens d'un texte législatif sur les droits de la personne, y compris d'un texte réglementaire, doit débuter par l'objectif essentiel du texte en question et doit s'articuler constamment autour de cet objectif. Comme le disait le juge McIntyre dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 546:

Nous constaterons immédiatement que le problème auquel fait face la Cour comporte l'examen de la discrimination involontaire de la part de l'employeur ainsi que de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Tout d'abord, nous devons examiner la nature et l'objet d'une loi concernant les droits de la personne. [Non souligné dans l'original.]

Ce point a également été souligné par la juge L'Heureux-Dubé dans son avis dissident concernant l'affaire Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, à la page 358:

Le point de départ de toute analyse des lois en matière de droits de la personne est la reconnaissance que l'objet de ces lois est la protection des droits fondamentaux de la personne.

[52]L'objet plus particulier à la base de l'article 11 est la promotion de l'équité salariale: plus exactement, l'élimination de l'écart salarial entre hommes et femmes accomplissant des tâches équivalentes, écart qui résulte de la sous-évaluation historique et systémique du travail des femmes, ainsi que du cloisonnement du marché du travail selon le sexe. Voir aussi Nan Weiner et Morley Gunderson, Pay Equity: Issues, Options and Experiences (Toronto: Butterworths, 1990), chapitre 2.

[53]Par conséquent, un examen contextuel du problème en fonction duquel ont été promulguées les dispositions sur l'équité salariale est fort à propos dans la compréhension du mandat du Tribunal touchant l'application du texte législatif. Ainsi, dans l'arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] 3 C.F. 789 (C.A.), au paragraphe 16, la Cour d'appel fédérale avait examiné, au tout début de ses motifs, la nature de la discrimination systémique, afin de placer dans une perspective indispensable les points de droit qu'elle devait décider.

[54]De plus, la Cour suprême du Canada a toujours dit que les lois sur les droits de la personne doivent être interprétées d'une manière libérale et en fonction de l'objet visé, de sorte à renforcer le droit de quiconque de ne pas être victime de discrimination: pour une explication que l'on pourrait dire classique de cette méthode d'interprétation, voir l'arrêt Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114, à la page 1134 (le juge en chef Dickson).

[55]Cela ne veut pas dire évidemment que le Tribunal ou la Cour peut ignorer le texte même de la Loi ou les limites imposées à la réalisation de cet objectif par le législateur ou par la Commission en sa qualité d'organe de régulation: Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571, au paragraphe 5. Il n'est donc pas acceptable d'éliminer de la Loi, ou de redéfinir, la disposition restreignant le principe de l'équité salariale aux employés d'un employeur qui sont «des employés du même établissement», expression aujourd'hui définie dans l'article 10 de l'OPS de 1986.

[56]Néanmoins, lorsque, comme c'est le cas ici, le sens du texte législatif n'est pas clair, le Tribunal doit faire appel à sa compréhension de l'objectif législatif et de la nature du problème qu'il doit résoudre, s'il veut arriver à une interprétation de la Loi et de l'OPS qui soit la mieux à même de donner effet à l'objectif du texte, à savoir l'élimination des écarts salariaux entre hommes et femmes accomplissant des tâches équivalentes. La définition de «même établissement» doit donc être interprétée d'une manière qui soit adaptée à l'objectif législatif, en restreignant le principe de l'équité salariale aux employés du même employeur qui sont «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires».

[57]Le problème d'interprétation que pose la présente affaire s'explique par la mauvaise rédaction de l'article 10 et par le fait que la fonction première exercée à l'origine par la règle du «même établissement» (à savoir la protection des taux régionaux de rémunération) a plus tard été exercée par une autre disposition de l'OPS de 1986.

[58]Ni l'une ni l'autre des interprétations possibles de l'article 10 qui sont invoquées par les parties ne sont en parfaite adéquation avec chacun des aspects du régime législatif. Ainsi, le Tribunal a reconnu dans ses motifs, et Air Canada a admis, que, dans la plupart des cas, son interprétation empêchera la comparaison de la valeur des tâches effectuées par les membres des diverses unités de négociation. Cela allait entraver sérieusement la mise en oeuvre du vaste objet législatif à la base de l'article 11: combler l'écart salarial qui résulte de la discrimination systémique fondée sur le sexe et du cloisonnement du marché du travail dans les milieux de travail soumis à la réglementation fédérale.

[59]Par ailleurs, l'interprétation que privilégient la Commission canadienne des droits de la personne et le syndicat représentant les agents de bord est elle aussi problématique. Elle est susceptible, dans la plupart des cas, de faire en sorte que les employés du même employeur sont des employés du «même établissement», même si l'article 11 de la Loi admet clairement qu'un employeur peut avoir plus d'un établissement.

[60]Il convient de résoudre ce genre de problème d'interprétation, si le texte le permet, en interprétant les lois sur les droits de la personne d'une manière libérale, fondée sur l'objet visé. S'appuyant sur l'arrêt Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561, à la page 567, Ruth Sullivan disait fort à propos dans l'ouvrage Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e édition (Toronto: Butterworths, 2002), à la page 376:

[traduction] Les doutes d'interprétation doivent être résolus de telle manière que l'objet général du texte législatif--la défense et la protection de droits--soit favorisé. Ainsi, les exceptions et les défenses prévues dans les lois sur les droits de la personne sont interprétées étroitement.

Voir aussi l'arrêt Dickason c. Université de l'Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103, à la page 1121 (le juge Cory).

[61]En l'absence d'arguments contraires convain-cants, l'interprétation restrictive que donne le Tribunal de l'article 10 doit être considérée avec suspicion parce qu'elle impose de sévères limites à l'application du principe «à travail égal, salaire égal» dans un environnement syndiqué. À mon avis, l'interprétation donnée par le Tribunal n'est pas justifiée par le texte législatif, par son objet ou par son historique.

[62]Finalement, je tiens à souligner ce en quoi la présente affaire ne consiste pas. Elle ne consiste pas à se demander si le travail des agents de bord a une valeur égale à celle du travail effectué par les groupes de référence désignés, quand on se sert, pour mesurer cette valeur, du «dosage de qualification, d'efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail» (paragraphe 11(2) de la Loi). La présente affaire ne consiste pas non plus à se demander si, pour le cas où le travail est de valeur égale, le «salaire» (défini par le paragraphe 11(7) de la Loi) payé aux agents de bord, un groupe d'employés à prédominance féminine, est inférieur au salaire payé aux groupes de référence à prédominance masculine. Ce sont là les difficiles questions qui résident au coeur de toute enquête en matière d'équité salariale, mais elles n'ont pas encore été abordées dans cette plainte.

[63]Cela ne veut pas dire que la question apparem-ment technique de l'interprétation de la définition de «même établissement», dans l'OPS de 1986, est sans importance. Loin s'en faut. Si le point de vue du Tribunal s'impose, il est mis fin à la plainte, ce qui aura de très importantes conséquences pour les parties.

[64]D'une part, Air Canada s'épargnera une coûteuse et fastidieuse comparaison au titre de l'équité salariale, sans compter une importante responsabilité si les plaignants obtiennent gain de cause. De l'autre, les agents de bord se verront refuser la possibilité de savoir si leurs tâches ont été sous-évaluées par rapport à celles des mécaniciens d'entretien d'aéronef (ou, plus officiellement, du «personnel des services techniques») et à celles des pilotes et, dans l'affirmative, d'obtenir réparation.

[65]Puisque je suis arrivé à la conclusion que l'interprétation que donne le Tribunal de l'article 10 de l'OPS de 1986 est erronée et que sa décision devrait être annulée, il ne m'est pas nécessaire de dire si le Tribunal a aussi manqué à l'obligation d'équité lorsqu'il a refusé d'admettre la preuve d'un cloisonnement systémique et professionnel sur le marché du travail, preuve qu'avait présentée la Commission au soutien de son interprétation de l'article 10.

[66]Néanmoins, un indice révélateur de l'interprétation donnée par le Tribunal est offert par le passage suivant de ses motifs (exposé des faits et du droit de l'appelante, appendice A, à la page 47):

Il n'entre pas dans les prérogatives du présent Tribunal d'examiner la discrimination systémique à l'endroit des femmes dans des lieux de travail professionnellement cloisonnés aux termes de la LCDP en général, et à partir de cet examen, de redéfinir le concept d'établissement aux termes de l'article 11 de la LCDP de manière à éliminer pareille discrimination. [Non souligné dans l'original.]

B. TERRAIN D'ENTENTE

[67]Les faits à l'origine du présent litige sont fidèlement décrits dans les motifs exposés par le juge Rothstein, et il ne m'est pas nécessaire de les répéter ici. Il ne vaut pas non plus la peine que je contraigne le lecteur à une revue des motifs du Tribunal ou de ceux du juge de première instance, qui s'est pour l'essentiel rangé à l'avis du Tribunal. Cependant, je mettrai en relief dans les présents motifs certains aspects du raisonnement du Tribunal.

[68]Je reconnais avec mon collègue que le point central de la présente affaire est une question d'interprétation des lois et que, si l'interprétation donnée par le Tribunal est erronée, sa décision doit être annulée pour erreur de droit. Je reconnais aussi que le mot «comprennent», à l'article 10 de l'OPS de 1986, ne veut pas dire que des employés qui ne sont pas visés par «la même politique en matière de personnel et de salaires» peuvent malgré cela être employés «dans le même établissement».

[69]Je dois signaler un autre point préliminaire. Dans ses motifs, le Tribunal examine si le pouvoir de la Commission de prendre des ordonnances s'imposant à elle-même ainsi qu'au tribunal, pouvoir prévu par les paragraphes 27(2) et (3), est compatible avec son indépendance institutionnelle. Après une longue analyse, le Tribunal est arrivé à la conclusion (motifs du Tribunal, au paragraphe 52) que son indépendance n'était pas mise en péril et que, bien qu'il fût contraint de tenir compte des ordonnances prises en vertu du paragraphe 27(2), de telles ordonnances «n'entravent pas leurs pouvoirs quasi-judiciaires de décision [du Tribunal]».

[70]Dans l'arrêt Bell Canada c. Association canadienne des employés du téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, rendu après l'instruction du présent appel, la Cour suprême du Canada a jugé que le pouvoir de la Commission de prendre des ordonnances ne porte pas atteinte à l'indépendance institutionnelle du Tribunal qui est garantie par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III]. Elle a jugé aussi cependant que, si elles sont par ailleurs légales, les ordonnances prises par la Commission sont juridiquement aussi contraignantes pour le Tribunal que le sont des règlements.

[71]Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal a jugé à tort qu'il était libre de ne pas appliquer les ordonnances s'il jugeait opportun de ne pas le faire, mais son erreur est sans conséquence sur l'issue du présent appel, qui a été plaidé sur la base des deux moyens suivants: le Tribunal est indépendant, et l'article 10 de l'OPS de 1986 est valide et s'impose au Tribunal.

C. ANALYSE

[72]J'ai déjà fait état de la politique des droits humains sur laquelle repose l'interprétation de l'article 11 de la Loi et de l'article 10 de l'OPS de 1986. Le présent appel tient à l'interprétation de deux expressions de l'article 10: «qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires» et «indépendamment des conventions collectives». Il convient d'abord de faire ressortir les éléments pertinents de l'article 10 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale.

10. Pour l'application de l'article 11 de la Loi, les employés d'un établissement comprennent, indépendamment des conventions collectives, tous les employés au service de l'employeur qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires, que celle-ci soit ou non administrée par un service central.

(i) «qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires»

a) Interprétation donnée par le Tribunal

[73]Il faut reconnaître que les mots «même politique en matière de personnel et de salaires» sont vagues: ils n'ont aucune signification officielle dans le vocabulaire des relations de travail. La manière dont le Tribunal interprète ces mots doit être déduite de ses motifs. Le Tribunal s'exprimait donc ainsi dans sa décision, au paragraphe 61:

[. . .] la plupart des lieux de travail modernes ne sont pas régis par un seul ensemble de politiques des salaires et du personnel. Il existe au contraire de nombreuses politiques touchant les questions de salaires et de personnel, dont plusieurs, sinon la plupart, se trouvent dans les conventions collectives des lieux de travail syndiqués. L'article 10 pose donc à l'interprète une énigme. Dans un lieu de travail syndiqué, plusieurs sinon toutes les politiques des salaires et du personnel se trouvent vraisemblablement dans les conventions collectives. Dans la plupart des cas, les autres politiques des salaires et du personnel établies en vertu des droits réservés de la direction dans les lieux syndiqués sont peu susceptibles de constituer, par elles-mêmes, une «politique commune des salaires et du personnel» pour toutes les unités de négociation.

[74]Puis le Tribunal expliquait dans ses motifs, au paragraphe 62, que les politiques d'emploi établies en vertu des droits réservés de la direction dans les lieux syndiqués engloberaient

[. . .] des politiques antidiscriminatoires et sur le harcèlement sexuel, des politiques d'équité en matière d'emploi, des politiques d'aide aux employés et des politiques générales sur les avantages sociaux qui sont décrites en détail dans les conventions collectives. En outre, il pourrait exister des stratégies écrites ou non écrites de la direction pour les négociations salariales et d'autres questions à traiter dans le processus de négociation collective.

[75]Je crois comprendre que, dans les extraits susmentionnés, le Tribunal veut dire que le contenu de la «politique en matière de personnel et de salaires» d'un employeur de travailleurs syndiqués se trouve, pour l'essentiel, dans les conventions collectives qui leur sont applicables, parce que ces conventions renfermeront généralement la totalité ou la quasi-totalité des conditions d'emploi.

[76]Selon cette interprétation, il y aura en principe peu de place pour un examen des politiques générales de l'entreprise en vue de savoir ce en quoi consiste la politique d'un employeur en matière de personnel et de salaires. Au reste, ainsi que le relevait Air Canada dans son exposé des faits et du droit (au paragraphe 105):

[traduction] [. . .] les conventions collectives s'imposent juridiquement aux employeurs, aux syndicats et aux employés qui sont régis par elles et elles ont préséance sur toute politique de l'entreprise qui est en contradiction avec elles.

De plus, le Tribunal a exprimé l'avis (au paragraphe 61 de sa décision) que les politiques générales établies en vertu des droits réservés de la direction dans les lieux de travail syndiqués «sont peu susceptibles de constituer, par elles-mêmes, une "politique commune des salaires et du personnel"».

[77]Partant, selon le Tribunal, dans un lieu de travail syndiqué, on examine les conditions d'emploi du groupe d'employés plaignants et celles des groupes de référence choisis, conditions dont la plupart se trouveront dans les conventions collectives applicables. Le Tribunal n'est guère explicite sur la base de la comparaison. Cependant, il semble que son point de vue est que les employés visés par diverses conventions collectives ne seraient soumis à «la même politique en matière de personnel et de salaires», et donc ne seraient employés «dans le même établissement», que si leurs conditions d'emploi, y compris toute politique applicable de l'entreprise, étaient les mêmes ou, en tout cas, très semblables.

[78]Si les employés membres de diverses unités de négociation ne sont soumis à «la même politique en matière de personnel et de salaires» que lorsque leurs conventions collectives sont identiques, alors l'article 11 de l'OPS de 1986 empêchera les comparaisons entre unités de négociation. S'il n'est pas nécessaire que les conventions collectives soient «les mêmes», le critère employé limitera alors probablement les possibilités de comparaison en dehors de l'unité de négociation des plaignants, et il sera vague et difficile d'application en pratique.

[79]Sans connaître le niveau de similitude requis avant que les employés de diverses unités de négociation ne soient soumis à «la même politique en matière de personnel et de salaires», on ne peut d'emblée prédire la mesure dans laquelle l'interprétation de l'article 11 par le Tribunal est susceptible d'empêcher les comparaisons entre unités de négociation. Cependant, Air Canada est d'avis que, eu égard à l'interprétation donnée par le Tribunal, il sera rarement possible de faire de telles comparaisons. Dans son exposé des faits et du droit (au paragraphe 107), Air Canada écrit:

[traduction] Les conventions collectives négociées entre un employeur et un syndicat refléteront les priorités, orientations et atouts de négociation des deux parties. Un employeur confronté à divers syndicats représentant diverses unités de négociation est naturellement enclin à appliquer diverses politiques en matière de personnel et de salaires, politiques qui sont inscrites dans les diverses conventions collectives négociées entre lui et ces syndicats.

[80]Ainsi, il n'y aurait, semble-t-il, pas de «politique commune en matière de personnel et de salaires» si, par exemple, les membres d'une unité de négociation acceptaient d'être payés à la semaine sur la base d'un taux horaire et avec peu d'avantages non pécuniaires, alors qu'un autre groupe d'employés aurait obtenu de recevoir chaque mois un salaire compris dans une échelle prenant en compte le nombre d'années de service auprès de l'employeur, outre un certain nombre de congés pour convenances personnelles et un horaire mobile. Si ces facteurs suffisent à prouver que les employés concernés ne sont pas visés par une politique salariale commune, il n'y aura probablement pas de «politique commune en matière de personnel et de salaires», qu'il existe ou non, au sein de l'entreprise, des politiques d'emploi d'application générale.

[81]Si, dans un environnement syndiqué, une «politique commune en matière de personnel et de salaires» se limite pour l'essentiel aux modalités des conventions collectives, une telle politique empêchera tout probablement les comparaisons entre la valeur des tâches et des salaires des employés compris dans les unités de négociation «col bleu» et «col blanc». Une telle restriction frappe au coeur du principe de l'équité salariale, parce que les femmes exécutent souvent des tâches «col blanc», tandis que la plupart des tâches «col bleu» sont exécutées par des hommes. Les unités de négociation peuvent refléter des schémas de cloisonnement professionnel. Vu l'objectif officiel d'élimination des écarts, fondés sur le sexe, entre les salaires versés par un employeur aux hommes et aux femmes qui exécutent des fonctions équivalentes, la manière dont le Tribunal interprète la disposition est peu plausible, parce que cette interprétation ne servira guère, voire pas du tout, à favoriser cet objectif.

[82]Air Canada a avancé trois arguments au soutien de l'interprétation donnée par le Tribunal. Chacun des arguments vise à montrer que la recherche d'une «politique commune en matière de personnel et de salaires» dans les conditions des conventions collectives, et dans les politiques générales applicables, restreint la définition du mot «établissement» afin d'empêcher les comparaisons dans les cas où l'existence d'écarts salariaux entre hommes et femmes exécutant des fonctions équivalentes ne peut vraisemblablement être attribuée au sexe.

[83]D'abord, la force de négociation peut bien être le facteur, non rattaché au sexe, qui explique les écarts salariaux entre les agents de bord d'une part, et les pilotes et mécaniciens d'entretien de l'autre. La faille de ce raisonnement est qu'il suppose que les différences dans le pouvoir de négociation, et donc dans les salaires versés aux hommes et aux femmes exécutant des fonctions équivalentes, ne sont pas sexospécifiques. En réalité, le marché du travail a toujours été fortement sexiste. Il est cloisonné selon le sexe, en ce sens que certains emplois sont le plus souvent occupés par des hommes, tandis que d'autres le sont en général par des femmes. Le «travail de femme» a été systématiquement sous-évalué. Un important objectif des lois sur l'équité salariale est de corriger les effets discriminatoires du fonctionnement d'un marché du travail organisé selon le sexe de ses participants.

[84]Il vaut la peine de noter ici que les tâches effectuées par les agents de bord, qui ne sont évidemment pas tous des femmes, est largement un «travail de femmes». Il consiste à s'occuper des passagers, en leur servant aliments et boissons, ainsi que, plus généralement, à veiller à leur confort et à leur sécurité. En revanche, la maintenance et la prise en charge des aspects mécaniques d'un avion, ainsi que la navigation, le pilotage et la responsabilité d'un avion, sont par essence des «travaux d'homme».

[85]Deuxièmement, les membres de certaines unités de négociation à prédominance masculine sont souvent intéressés par des considérations autres que celles qui intéressent les membres des unités de négociation à prédominance féminine. Par exemple, a-t-on entendu dire, les unités de négociation à prédominance masculine chercheront plus souvent à obtenir le taux le plus élevé possible pour le poste, de préférence à d'autres avantages, tels des congés payés plus longs, des horaires mobiles et des congés pour convenances personnelles. En revanche, a-t-on indiqué, les femmes seront plus souvent en quête d'avantages non pécuniaires, liés au style de vie, parce qu'en général elles assument la responsabilité première de leurs familles.

[86]Ainsi, d'affirmer l'avocat d'Air Canada, l'interprétation que donne le Tribunal de l'article 10 appuie le droit à la libre négociation collective, un principe fondamental des relations de travail, en imposant un examen minutieux des conditions d'emploi qu'ont obtenues les employés.

[87]Je n'accepte pas non plus cet argument. Ainsi que l'a fait observer l'avocat de la Commission, lorsqu'une plainte en matière d'équité salariale a atteint le stade où il faut déterminer si des salaires différents sont versés aux hommes et aux femmes exécutant des fonctions équivalentes, les divers genres d'avantages obtenus par les divers groupes seront probablement tous compris dans le calcul des «salaires» versés aux employés. Le paragraphe 11(7) de la Loi définit le mot «salaire» très largement pour y englober non seulement des avantages déterminés, mais aussi «les autres avantages reçus directement ou indirectement de l'employeur»: alinéa 11(7)e).

[88]Par conséquent, il n'y a aucune raison de penser que les différences entre les «salaires» des hommes et des femmes exécutant des fonctions équivalentes dans la même entreprise puissent s'expliquer par le fait que les hommes et les femmes ne s'intéressent pas aux mêmes genres de rémunération pour leur travail.

[89]Troisièmement, la tâche d'évaluer des fonctions est difficile et subjective, et la difficulté s'accroît avec le niveau des différences dans la nature des fonctions exécutées. Ainsi, fait-on valoir, l'OPS de 1986 définit l'expression «employés dans le même établissement» d'une manière relativement étroite afin de contourner l'obligation de faire une comparaison nécessairement très subjective de la valeur relative de fonctions qui sont totalement différentes.

[90]Je ne partage pas cet avis. Je ne doute pas que l'évaluation de tâches est plus un art qu'une science et qu'elle suppose souvent une négociation entre l'employeur et les employés, souvent aidés par des consultants impartiaux en matière d'équité salariale qui sont engagés pour donner des conseils spécialisés dans le règlement de revendications. Néanmoins, l'exercice est loin d'être purement subjectif: les critères servant à déterminer la valeur de tâches sont énoncés dans l'article 11 de la Loi et précisés dans l'OPS de 1986.

[91]Il n'y a pas non plus une corrélation évidente entre d'une part les différences dans les conditions d'emploi et d'autre part la difficulté de comparer la valeur des fonctions exécutées. En avançant cet argument, Air Canada semble près de préconiser la renaissance de la norme réglementaire antérieure: à travail égal, salaire égal.

b) L'interprétation donnée par la Commission

[92]La Commission a un tout autre point de vue sur la signification de l'article 10 de l'OPS de 1986. Elle dit que les mots «dans le même établissement» évoquent non pas les conditions particulières d'emploi, mais le siège de la responsabilité, au sein d'une entreprise, de l'établissement des politiques de rémunération et autres politiques liées à l'emploi. Ainsi, les employés du même employeur seront en principe soumis à la «même politique en matière de personnel et de salaires» s'ils travaillent au sein de la même entité commerciale.

[93]Puisque les agents de bord, les pilotes et les mécaniciens d'entretien travaillent dans les activités essentielles d'Air Canada, à savoir la fourniture de services de transport aérien, on peut présumer qu'ils travaillent «dans le même établissement» et la valeur de leurs fonctions peut être comparée aux fins de l'équité salariale. Les questions de personnel et de rémunérations pour les trois groupes d'employés dont il s'agit ici relèvent de la division centrale des ressources humaines d'Air Canada, dirigée par le vice-président des ressources humaines. Ainsi que le fait observer le juge Rothstein, certaines politiques générales de l'entreprise en matière de ressources humaines (appelées par Air Canada «manuels des directives générales du personnel») s'appliquent également, entre autres, aux groupes d'employés dont il s'agit ici.

[94]De plus, alors que diverses équipes de gestion d'Air Canada négocient avec divers groupes d'employés, il revient à un seul comité au sein de l'entreprise de diriger ou de coordonner le processus de négociation. Avant et durant la négociation collective, le comité directeur approuve une «enveloppe monétaire» pour chacun des groupes de négociation, et approuve la stratégie globale que devront suivre ceux qui négocieront au nom d'Air Canada avec les divers syndicats.

[95]Si, comme le prétend la Commission, l'expression «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires» évoque le siège, au sein de l'entreprise, de la responsabilité concernant l'établissement de la politique d'emploi, il est tout simplement inutile de savoir si les conditions des conventions collectives présentent une similitude suffisante telle que l'on puisse dire que les employés auxquels elles s'appliquent sont «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires».

[96]Le Tribunal a reconnu que l'interprétation donnée par la Commission ferait progresser le principe «à travail égal, salaire égal» en accroissant les possibilités offertes aux plaignants de comparer la valeur de leurs fonctions avec la valeur des fonctions exécutées par les employés membres d'autres unités de négociation. Cependant, le Tribunal a rejeté cette interprétation parce qu'elle conduirait presque toujours à assimiler «établissement» et «employeur» et qu'elle éliminerait donc, pour ainsi dire, l'exigence légale selon laquelle les plaignants ne peuvent demander d'être comparés qu'avec des collègues «du même établissement».

[97]Néanmoins, comme l'a reconnu le Tribunal, l'interprétation donnée par la Commission n'élimine pas entièrement la règle du «même établissement», parce que les employés d'un unique employeur ne seraient pas visés par une politique commune en matière de personnel et de salaires s'ils étaient employés dans diverses entreprises exploitées par le même employeur. Par exemple, le Canadien Pacifique exploitait auparavant non seulement une compagnie aérienne, mais également un chemin de fer, une chaîne hôtelière et une ligne maritime.

[98]Des entreprises aussi diversifiées peuvent évoluer dans des environnements économiques et commerciaux très variés, ce qui peut expliquer les différences entre les rémunérations applicables à des fonctions équivalentes exécutées par des hommes et des femmes. Partant, puisque ces différences peuvent très bien ne pas être le résultat d'une discrimination systémique à l'endroit des femmes, il serait fautif de faire des comparaisons entre les diverses entreprises au titre de l'équité salariale. Il y a sans doute d'autres situations d'exception où la responsabilité de l'établissement de politiques d'emploi et de rémunérations ne repose pas sur l'employeur.

[99]De plus, le fait que, dans la plupart des cas, l'interprétation de l'article 10 préconisée par la Commission risque de conduire à la conclusion selon laquelle l'employeur est l'établissement n'est pas une objection fatale à une telle interprétation. Le régime législatif, et le dossier dont était saisi le Tribunal, ne donnent nulle part à entendre qu'un tel résultat est contraire à l'intention du législateur. D'ailleurs, une interprétation de l'article 10 qui en principe conduira à dire que les employés d'un employeur travaillent «dans le même établissement» est davantage compatible avec l'intention générale qui sous-tend l'article 11, qu'une interprétation qui aura pour effet d'empêcher les employés membres d'une unité de négociation à prédominance féminine de comparer la valeur de leurs fonctions et de leurs rémunérations avec celle des employés membres d'une unité de négociation à prédominance masculine.

c) Conclusion

[100]À mon avis, l'interprétation que donne la Commission de l'article 10 est une lecture linguistiquement possible d'un texte mal rédigé et plutôt obscur. Elle s'accorde avec la définition de «établissement» au moins aussi bien que l'interprétation donnée par le Tribunal, laquelle assimile, pour ainsi dire à toutes fins utiles, le fait pour des employés d'être «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires» avec le fait d'avoir «les mêmes conditions d'emploi, ou des conditions d'emploi très semblables».

[101]L'interprétation donnée par la Commission présente aussi deux grands avantages. D'abord, elle favorise l'objectif de la loi d'éliminer les différences, fondées sur le sexe, entre les salaires payés par un employeur aux hommes et aux femmes exécutant des fonctions équivalentes, et cela sans mettre en péril tout intérêt rival et clairement exprimé. En revanche, l'interprétation donnée par le Tribunal empêchera la réalisation de l'objectif recherché par le législateur. Deuxièmement, l'interprétation donnée par la Commission est facile à administrer, tandis que celle du Tribunal risque d'être difficile à appliquer et de provoquer la controverse.

[102]Il n'est pas véritablement contesté qu'Air Canada exploite une entreprise intégrée et que, sous réserve de sa capacité de négocier des conventions avec les syndicats représentant ses employés, il lui appartient d'établir une politique en matière d'emploi et de salaires pour les employés en question. En conséquence, je n'attache pas autant d'importance que le fait mon collègue le juge Rothstein au document apaisant intitulé «Politique et principes d'Air Canada en matière de relations de travail».

(ii) «indépendamment des conventions collectives»

[103]Le Tribunal a jugé que ces mots ne l'empêchaient pas de considérer les conditions des conventions collectives pour savoir si les plaignants et les groupes de référence travaillaient dans «le même établissement». L'interprétation par le Tribunal des mots «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires» l'obligeait à dire si les plaignants et les membres des groupes de référence travaillaient, pour l'essentiel, aux mêmes conditions et étaient assujettis, dans leur emploi, aux mêmes politiques générales ou à des politiques semblables.

[104]Air Canada s'est servi de l'expression «indépendamment des conventions collectives» pour avancer deux arguments au soutien de la conclusion tirée par le Tribunal: un argument textuel, et un argument fondé sur l'historique de l'article 10 en général et de l'expression «indépendamment des conventions collectives» en particulier.

a) argument textuel

[105]L'avocat d'Air Canada a fait sien l'avis du Tribunal selon lequel, si l'article 10 de l'OPS de 1986 était censé faire en sorte que les politiques générales de l'entreprise concernant l'emploi l'emportent sur les termes d'une convention collective, il aurait dit, «indépendamment des conventions collectives contraires».

[106]Cet argument suppose que l'existence d'une «politique commune en matière de personnel et de salaires» doit être déduite des conditions d'emploi. Mais, comme j'ai tenté de le montrer, l'expression «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires» doit de préférence être interprétée comme si elle se rapportait aux personnes employées dans la même entreprise. Partant, la fonction de l'expression «indépendamment des conventions collectives», à l'article 10, est simplement de souligner que tous les employés visés par «la même politique en matière de personnel et de salaires» (parce qu'ils travaillent dans la même entreprise) travaillent dans «le même établissement», qu'une convention collective s'applique ou non à l'un quelconque d'entre eux.

[107]Cela veut dire que, contrairement aux vues défendues par certains employeurs avant l'adoption du texte final de l'OPS de 1986, l'article 10 dispose que l'existence d'une convention collective n'entraîne pas une politique distincte en matière de personnel et de salaires. Par conséquent, puisque les conditions d'une convention collective sont en principe sans rapport avec la question de savoir si les employés auxquels elle s'applique sont visés par «la même politique en matière de personnel et de salaires», il n'aurait pas été très logique d'ajouter le mot «contraires» après l'expression «indépendamment des conventions collectives».

b) historique législatif

[108]Air Canada dit que l'historique législatif de l'article 10 de l'OPS de 1986 favorise la définition de «même établissement» qui est implicite dans la manière dont le Tribunal interprète l'expression «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires». Plus exactement, l'avocat d'Air Canada se focalise sur le changement que la Commission a apporté entre l'avant-dernière version et la version finale de l'article 10 de l'OPS de 1986. L'argument est que le texte de l'avant-dernière version signifie clairement ce que la Commission dit aujourd'hui que la version finale signifie. Partant, les changements apportés à la version finale de l'OPS ont dû être conçus d'une manière qui tenait compte des préoccupations exprimées par certains employeurs à propos de l'avant-dernière version.

[109]Donc, de soutenir l'avocat d'Air Canada, la version finale représente un compromis entre deux extrêmes. D'une part, certains employeurs voulaient écarter totalement les comparaisons entre unités de négociation au titre de l'équité salariale. D'autre part, les syndicats voulaient éliminer, ou réduire le plus possible, les limites aux comparaisons légitimes qui étaient imposées par la règle selon laquelle les plaignants et les groupes de référence devaient être «employés dans le même établissement». Plus exactement, ils voulaient s'assurer que l'expression ne faisait pas obstacle au droit des plaignants de comparer la valeur de leurs fonctions avec la valeur des fonctions exécutées par les membres d'autres unités de négociation.

[110]Ainsi, affirme-t-on, pour savoir si les employés en question sont «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires», l'OPS de 1986 autorise la comparaison, entre unités de négociation, des politiques en matière de personnel et de salaires contenues dans les conventions collectives, ainsi que la comparaison des politiques générales d'emploi qui sont applicables. Cependant, si les conditions d'emploi des membres des unités de négociation ne sont pas les mêmes, ou si elles ne sont pas très semblables, les employés concernés ne sont pas «visés par la même politique en matière de personnel et de salaires». Par conséquent, ils ne sont pas employés «dans le même établissement», et la valeur de leurs fonctions, ainsi que le niveau de leurs salaires, ne peuvent être comparés aux fins de l'équité salariale.

[111]Pour bien évaluer cet argument, il est nécessaire de remonter, dans l'historique législatif, plus loin que l'avant-dernière mouture de ce qui allait devenir l'article 10 de l'OPS de 1986.

Le mot «établissement», dans l'article 11 de la Loi

[112]La première ordonnance en matière d'équité salariale, prise par la Commission en 1978 (Ordonnance de 1978 sur la parité salariale, TR/78-155), ne définissait pas l'expression «employés dans le même établissement». Le mot «établissement» aurait été emprunté au Code canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2], qui parle d'un «établissement industriel», et il a été inséré dans l'article 11 (Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 11 (17 mai 1977), aux pages 11:37 et 11:38 (Déclaration de l'honorable Ron Basford, ministre de la Justice et procureur général du Canada)):

[. . .] pour tenir compte des différences régionales susceptibles de conduire au paiement de salaires différents par le même employeur dans différentes régions du pays.

La raison d'être était que les écarts entre les salaires payés aux hommes et aux femmes exécutant des fonctions équivalentes dans différentes régions du pays pourraient bien être attribuables à des différences régionales dans le coût de la vie et dans le niveau de chômage, plutôt qu'à une discrimination systémique à l'endroit des femmes.

[113]Dans le Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi (Ottawa: Approvisionnements et Services Canada, 1984), la commissaire Abella (aujourd'hui juge) recommandait que l'article 11 de la Loi soit modifié par élimination de la règle selon laquelle les plaignantes au titre de l'équité salariale et les groupes de référence masculins doivent travailler dans le même établissement: recommandation no 35. Le Rapport mentionnait que cette règle «est un obstacle possible à l'application intégrale des lois fédérales sur l'équité salariale» (à la page 243) parce qu'elle restreint à l'excès les comparaisons entre groupes professionnels.

[114]Cette recommandation n'a pas eu de suite. Cependant, en mars 1985, la Commission canadienne des droits de la personne joignait des notes documentaires aux modifications qu'elle se proposait d'apporter à l'OPS de 1978, affirmant (dossier d'appel, volume I, à la page 169) que l'«approche fonctionnelle» qu'elle comptait adopter pour la définition de «même établissement»:

[. . .] est un grand pas vers la résolution des difficultés qui ont conduit la juge Abella à recommander que le mot «établissement» soit supprimé de l'article 11.

L'ébauche de mars 1985

[115]Aux fins du présent appel, le changement le plus important proposé pour l'OPS de 1978 consistait à définir l'expression «dans le même établissement» en des termes «fonctionnels» plutôt qu'en des termes physiques ou géographiques. Précédemment, la Commission avait défini le mot «établissement» en se référant aux locaux ou emplacements où travaillaient les employés: Égalité de rémunération pour des fonctions équivalentes: guide d'interprétation de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (Ottawa: Commission canadienne des droits de la personne, 1984), à la page 3. Dans les notes documentaires annexées à l'ordonnance proposée de mars 1985, notes qui avaient été distribuées aux personnes concernées en vue d'obtenir leurs commentaires, la Commission disait (dossier d'appel, volume I, à la page 180):

[traduction] Les employés d'un employeur seront réputés faire partie du même établissement lorsqu'ils seront visés par un ensemble commun de politiques, de règlements et de procédures en matière de personnel et de rémunérations, et lorsque ces politiques, règlements et procédures seront développés et appliqués par un service central, quand bien même leur application serait déléguée à des unités organisationnelles plus modestes.

[116]La Commission expliquait (dossier d'appel, volume I, à la page 169) que l'une des raisons d'être de cette nouvelle approche était de régler:

[traduction] le cas où des employés travaillant dans divers emplacements ou diverses régions sont visés par la même convention collective. Avec une définition géographique du mot «établissement», il serait sans doute possible de limiter la portée d'un redressement à l'unité géographique ou organisa-tionnelle où le plaignant est situé, même s'il en est d'autres que lui qui sont soumis aux mêmes conditions en d'autres endroits.

L'idée était donc d'élargir les circonstances dans lesquelles des employés seraient réputés travailler «dans le même établissement», afin d'empêcher la possibilité que des employés membres de la même unité de négociation se trouvent dans des «établissements» différents.

[117]Comme il fallait s'y attendre, la Commission a reçu une diversité de réactions à son ébauche. La plupart étaient en faveur de l'adoption proposée d'une définition «fonctionnelle» du mot «établissement», mais le sous-ministre de Travail Canada (dossier d'appel, volume III, à la page 1612) et l'Association canadienne du camionnage craignaient que cette nouvelle définition ne mît fin à la dispense qui s'appliquait aux écarts salariaux régionaux dans les comparaisons au titre de l'équité salariale «s'il se trouve que l'employeur applique un régime central de rémunérations, quel que soit ce que l'on entend par là» (dossier d'appel, volume X, à la page 5736).

[118]La plupart des répondants craignaient aussi que la définition proposée n'empêche la comparaison entre unités de négociation en matière d'équité salariale. Ainsi, le sous-ministre de Travail Canada (dossier d'appel, volume III, à la page 1612) prédisait que le texte proposé allait priver les plaignants à col blanc du droit d'être comparés aux employés à col bleu parce qu'ils sont en principe visés par des politiques différentes en matière de personnel et de rémunérations. Des inquiétudes semblables furent exprimées par le Congrès du travail du Canada, l'Alliance de la fonction publique du Canada et le Secrétaire du Conseil du Trésor. Seule l'Association des chemins de fer du Canada (ACFC) se réjouissait que la définition proposée par la Commission pour le mot «établissement» empêcherait les comparaisons entre groupes d'employés visés par différentes conventions collectives.

[119]Fait intéressant à noter, la Banque de Montréal a bien accueilli la définition proposée de «même établissement», parce que cette définition «allait reconnaître officiellement les disparités fonctionnelles qui existent dans toute grande organisation nationale exerçant diverses activités dans des secteurs commerciaux différents». La Commission a fait valoir dans le présent appel que c'est là précisément l'effet de la version finale de l'article 10. Plus exactement, la version finale empêche la comparaison de la valeur des fonctions exécutées par les hommes et les femmes qui travaillent dans diverses entreprises exploitées par un unique employeur.

L'ébauche de septembre 1985

[120]En septembre 1985, la Commission publiait une nouvelle ébauche de la version de mars de l'ordonnance, après consultation des personnes intéressées. L'ébauche de septembre abordait expressément la question des taux régionaux, en proposant d'ajouter les différences dans les taux régionaux de rémunération à la liste des «facteurs raisonnables» qui offrent une explication non sexiste des écarts salariaux entre hommes et femmes exécutant des fonctions équivalentes. Cela n'avait pas été fait auparavant parce que la règle du «même établissement» était jugée suffisante pour exempter les structures régionales de rémunérations.

[121]La définition du terme «établissement» propo-sée dans l'ébauche de septembre était la suivante (dossier d'appel, volume III, à la page 1621):

[traduction] L'établissement sera déterminé par référence aux politiques et pratiques de l'employeur en matière de personnel et de rémunérations, plutôt que par référence à un emplacement géographique ou à une unité organisationnelle.

Les employés d'un employeur sont réputés faire partie du même établissement lorsqu'ils sont visés par une politique générale commune qui est appliquée par un service central, même si son application peut être déléguée à des unités organisationnelles plus modestes. Il est précisé, pour plus de sûreté, qu'une convention collective conclue entre un employeur et un agent négociateur n'est pas réputée constituer une politique générale en matière de personnel et de rémunérations. [Non souligné dans l'original.]

[122]Dans la note explicative d'accompagnement envoyée aux membres de la Commission en septembre 1985, T. N. Ulch, chef de la section de l'équité salariale, disait (dossier d'appel, volume III, à la page 1614):

[traduction] le texte de l'ordonnance sur l'établissement sera modifié pour refléter l'intention de la Commission de définir le mot établissement aussi largement que possible. On a craint [durant les consultations] que le texte actuel puisse être interprété d'une manière qui limiterait un établissement à une seule unité de négociation collective.

[123]L'ébauche de septembre provoqua quelques fortes réactions. Ainsi, dans une lettre datée du 12 novembre 1985, l'ACFC se déclarait déçue de constater que la Commission avait ignoré ses commentaires sur l'ébauche de mars, et elle disait (dossier d'appel, volume X, à la page 5768):

[traduction] Il est absurde de penser qu'une convention collective n'est pas réputée constituer une politique de rémunération. Manifestement, chaque convention collective est une politique distincte de rémunération.

[124]Une réaction semblable fut exprimée par une autre association d'employeurs, appelée Employeurs des transports et communications de régie fédérale (ETCOF), après une rencontre avec le ministre du Travail et le sous-ministre. Dans une lettre adressée au sous-ministre du Travail, les ETCOF réitéraient leur conviction que toute convention collective constitue une politique distincte «en matière de personnel et de rémunérations».

[125]Cependant, ajoutaient les ETCOF, ils n'en demanderaient pas davantage si la Commission retirait de la définition proposée du mot établissement la deuxième phrase, qui disait expressément qu'une convention collective n'est pas réputée constituer une politique générale en matière de personnel et de rémunérations. La lettre des ETCOF concluait ainsi (dossier d'appel, volume X, à la page 5777):

[traduction] De cette façon, la question du statut des conventions collectives individuelles devient ouverte à l'interprétation, permettant ainsi à chacune des parties concernées dans une affaire de «fonctions équivalentes» [. . .] de présenter ses propres arguments sur la question de savoir si une convention collective, dans un cas donné, est ou n'est pas une politique distincte en matière de personnel et de rémunérations.

Air Canada fait valoir que la version finale de l'article 10 de l'OPS était censée produire exactement ce résultat et qu'elle doit être interprétée en conséquence.

Conclusion

[126]Il ne fait aucun doute que la définition des mots «le même établissement», dans la version finale de l'article 10, n'est pas aussi claire que l'ébauche à laquelle s'étaient opposés l'ACFC et les ETCOF. Elle ne dit plus qu'il est précisé, «pour plus de sûreté», qu'une convention collective n'est pas une politique distincte en matière de personnel et de rémunérations. Par ailleurs, la Commission n'a pas adopté la proposition des ETCOF d'omettre toute référence aux unités de négociation.

[127]Il est utile de citer de nouveau la version finale de l'article 10 de l'OPS de 1986:

10. Pour l'application de l'article 11 de la Loi, les employés d'un établissement comprennent, indépendamment des conventions collectives, tous les employés au service de l'employeur qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires, que celle-ci soit ou non administrée par un service central.

[128]Le dossier n'explique nulle part pourquoi la Commission a modifié la définition du terme «établissement» contenue dans l'ébauche de septembre 1985. Et, à mon avis, l'historique législatif de la disposition contestée ne mène pas immanquablement à la conclusion selon laquelle la version finale de l'article 10 était censée donner suite à la recommandation des ETCOF. Si la Commission y avait donné suite, c'eût été là un recul considérable qui l'aurait forcée à rejeter toutes les autres communications qui l'avaient exhortée à bien préciser que la définition de «établissement» n'empêchait pas les plaignants en matière d'équité salariale de comparer leurs fonctions et leurs rémunérations avec celles des membres d'autres unités de négociation.

[129]Vu l'éventail des points de vue exprimés durant les consultations et vu le texte final de l'article 10, je ne suis pas persuadé que la Commission voulait s'engager dans la position préconisée par l'ACFC et les ETCOF. D'abord, en dépit de certains raffinements apportés au texte, l'élément central de la définition de «établissement» est conservé tout au long des trois ébauches qui nous ont été soumises: les employés auxquels s'applique(nt) la(les) même(s) politique(s) en matière de personnel et de rémunérations.

[130]Deuxièmement, le point le plus fréquemment soulevé en réponse à l'ébauche de mars 1985, laquelle ne disait rien sur les unités de négociation ou les conventions collectives, était que la notion de politique commune en matière de personnel et de rémunérations était imprécise. En réponse, l'ébauche de septembre disait clairement que les conventions collectives ne constituent pas des politiques en matière de personnel et de rémunérations. À mon avis, la version finale renferme la même idée.

[131]L'expression «indépendamment des conventions collectives» signifie que les employés visés par une politique commune en matière de personnel et de salaires travaillent dans le même établissement, même si une convention collective s'applique à eux. La version anglaise utilise l'expression «notwithstanding any collective agreement applicable to any employees of the establishment». Dans la version française, le mot «indépendamment» peut signifier «sans tenir compte de», et il n'y a donc pas de différence significative entre la version française et la version anglaise de l'article 10.

[132]Ainsi, les mots «indépendamment des conventions collectives», comme ceux de l'ébauche de septembre, dissipent les doutes soulevés par ceux qui craignaient que l'ébauche de mars ne fût interprétée comme un texte empêchant ou limitant les comparaisons entre unités de négociation.

[133]En résumé, je ne vois, dans l'historique de l'article 10, rien qui modifie l'application du principe selon lequel les lois sur les droits de la personne doivent être interprétées d'une manière libérale, et les exceptions et limites d'une manière étroite. Ainsi, l'article 10 de l'OPS de 1986 doit être interprété d'une manière qui, en accord avec le texte de loi, permet le mieux d'atteindre à l'équité salariale, principe d'une importance fondamen-tale que le législateur a adopté pour corriger les injustices du milieu de travail qui découlent d'une discrimination systémique envers les femmes et d'un cloisonnement du marché du travail.

[134]Le fait que, la plupart des cas, la Commission interprète la loi de telle sorte que tous les employés d'un employeur seront réputés faire partie du même établissement, n'est pas une objection fatale. En effet, à mon avis, un examen attentif de la genèse de l'article 10 semble favoriser l'idée selon laquelle cet article devrait être interprété comme signifiant que, lieu de travail syndiqué ou non, les employés d'un employeur unique feront normalement partie du même établissement.

D. DISPOSITIF

[135]Pour ces motifs, je souscris à la manière dont le juge Rothstein propose de disposer de l'appel.

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