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T-2287-03

2004 CF 579

Bande indienne de Musqueam (demanderesse)

c.

Le gouverneur en conseil du Canada, le Conseil du Trésor du Canada, l'honorable Robert Thibault, ministre des Pêches et Océans, la Société immobilière du Canada limitée, la Société immobilière du Canada CLC limitée, la ville de Richmond, le procureur général de la Colombie-Britannique et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (défendeurs)

Répertorié: Bande indienne de Musqueam c. Canada (Gouverneur en conseil) (C.F.)

Cour fédérale, juge Phelan--Vancouver, 19, 20 et 21 janvier; Ottawa, 16 avril 2004.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Injonctions -- La bande indienne demanderesse sollicite l'octroi d'une injonction interlocutoire ayant pour effet d'empêcher les défendeurs fédéraux de transférer, d'aliéner ou de grever une propriété à l'égard de laquelle la Bande revendique un droit -- Application du critère énoncé dans RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) -- L'obligation de négocier et de composer constitue une question sérieuse -- La perte du droit à ce qu'on négocie et compose constitue un préjudice irréparable -- La balance des inconvénients penchant en faveur de la Bande, il n'y a aucun motif pour qu'on procède au transfert de la propriété avant l'issue du contrôle judiciaire -- Demande accueillie.

Compétence de la Cour fédérale -- La bande indienne demanderesse sollicite l'octroi d'une injonction interlocutoire ayant pour effet d'empêcher les défendeurs fédéraux de transférer, d'aliéner ou de grever une propriété à l'égard de laquelle la Bande revendique un droit -- Les défendeurs soutiennent que la Cour n'a pas compétence pour délivrer une injonction interlocutoire à l'encontre de la Couronne ou du ministre -- L'art. 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif ne s'applique pas aux recours en contrôle judiciaire visés à l'art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales -- La Cour a compétence pour prononcer une injonction.

Couronne -- Biens immeubles -- La Couronne désire transférer un terrain à une société d'État «non mandataire» -- La bande indienne demanderesse revendique un droit sur le terrain -- Le Canada a pour responsabilité de protéger les intérêts des Autochtones, tout en agissant dans le meilleur intérêt du public -- Une indemnisation pécuniaire ne suffit pas lorsque les questions en cause ont trait à la compétence -- Les questions de l'obligation de négocier et de composer, de la perte du droit à ce qu'on négocie et compose ainsi que de la balance des inconvénients justifient l'octroi de l'injonction.

Il s'agissait d'une demande d'injonction interlocutoire ayant pour effet d'enjoindre aux défendeurs, le gouverneur en conseil du Canada, le Conseil du Trésor du Canada et le ministre des Pêches et Océans (les défendeurs fédéraux) de ne pas transférer, aliéner ou grever une propriété connue sous le nom de propriété Garden City dans la ville de Richmond jusqu'à l'instruction de la demande de contrôle judiciaire présentée par la bande indienne de Musqueam (la Bande). Celle-ci conteste par cette demande la décision de transférer la propriété Garden City à la Société immobilière du Canada limitée et à la Société immobilière du Canada CLC limitée (société immobilière du Canada). La Bande a soutenu qu'elle disposait d'un droit sur cette propriété et que le gouvernement du Canada était tenu de négocier et de composer avec elle avant d'aliéner des terres sur lesquelles elle avait un droit. Les défendeurs fédéraux ont nié l'existence d'un tel droit et de l'obligation juridique de négocier et de composer. Ils ont également soutenu que la Cour n'avait pas compétence pour délivrer une injonction interlocutoire à leur encontre.

Arrêt: la demande doit être accueillie.

En vue de décider si une injonction devrait être prononcée, la Cour doit, en plus de se pencher sur le critère en trois volets énoncé dans RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), tenir compte de l'intérêt public et de la légitimité présumée d'une action prise par le gouvernement dans cet intérêt. Puisque la mesure de redressement sollicitée était en partie semblable à celle qu'on demandait d'octroyer par la décision définitive dans le cadre du contrôle judiciaire, il y avait lieu de se pencher de façon plus approfondie au fond qu'à l'ordinaire sur le seuil requis pour la «question sérieuse» à juger.

Quant au premier élément du critère (la question sérieuse), il était raisonnable de prétendre que le gouvernement canadien n'a pas négocié ni composé avec la demanderesse tel qu'il en était requis selon cette dernière. Compte tenu de la décision Taku River Tlingit First Nation v. Tulsequah Chief Mine Project de la Cour d'appel de la C.-B., les défendeurs fédéraux ont pour responsabilité de protéger les intérêts des Autochtones. Ils ont aussi pour responsabilité d'agir dans le meilleur intérêt du public. Les défendeurs fédéraux pourraient en l'espèce, en passant outre à l'obligation de consulter et de composer (si tant est qu'elle existe), vendre ou aliéner l'objet même de l'obligation. La Cour d'appel de la C.-B. a aussi clairement déclaré, dans Haida Nation v. British Columbia (Minister of Forests) (appel instruit par la C.S.C. en mars 2004), qu'il y a obligation de consulter et de composer avant toute atteinte à un titre ou à un droit, même si la question de leur existence demeure toujours à trancher. La Cour a donc conclu que la question de l'obligation de négocier et de composer, en plus d'être sérieuse, constituait une question réelle et actuelle.

Quant au second élément du critère (le préjudice irréparable), la Cour a dû examiner la nature véritable de ce qui pouvait être perdu. La nature du préjudice subi en cas de transfert de la propriété Garden City ce serait la perte du droit à ce qu'on négocie et compose au sujet de ce terrain. Si ce droit était déclaré exister, le gouvernement du Canada et plus particulièrement les défendeurs fédéraux auraient l'obligation, avant de transférer le terrain, d'en permettre l'exercice. C'est là en fait une condition de l'exercice du pouvoir, conféré par la loi, de transférer le terrain. La question soulevée mettait en cause la compétence des défendeurs fédéraux à agir de la manière envisagée. Les principes et recours applicables étaient ceux du droit public; la nature de la question, plutôt que d'être pécuniaire, était alors liée à la compétence. Si on veut que le droit de la Bande ait un sens, on ne peut permettre qu'il soit perdu en présumant qu'une indemnisation pécuniaire suffira dans tous les cas. Il fallait également tenir compte de l'efficacité de tout redressement obtenu dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Si la propriété Garden City était transférée, l'annulation de la décision de procéder à la vente serait de peu d'effet pratique, puisqu'il n'est pas assuré que la rectification constitue une mesure de redressement valable et puisque la position des défendeurs fédéraux permet de faire valoir que tout transfert est «franc et quitte» d'autres obligations (comme le droit de la Bande). On a également traité de la question de la prépondérance des inconvénients sous cette rubrique. Les défendeurs n'ont fait état à la Cour d'aucun type de perte autre que de nature commerciale, et ce type de perte peut être pris en compte au moyen de l'engagement qu'on a ordonné de prendre dans l'injonction interlocutoire. Une distinction est établie d'avec l'affaire Bande indienne de Soowahlie c. Canada (Procureur général) que les défendeurs ont fait valoir. La question de droit en cause en l'espèce concernait la violation d'une condition requise de la compétence pour transférer des terres (qui ne peut habituellement donner lieu à indemnisation), et non la violation d'une obligation fiduciaire (qui peut habituellement être indemnisée par des dommages- intérêts). Contrairement à la situation dans Soowahlie, en outre, aucun terrain n'avait été réservé en l'espèce et des circonstances particulières justifiaient l'injonction. La Bande a donc démontré l'existence d'un préjudice irréparable.

Quant à la prépondérance des inconvénients, il n'y avait en outre aucun motif pour procéder au transfert de la propriété Garden City avant l'issue du contrôle judiciaire, et des mesures pouvaient être prises pour atténuer tout préjudice éventuellement causé aux défendeurs par une injonction.

Les défendeurs fédéraux ont soutenu que la Cour n'avait pas compétence pour délivrer à leur rencontre une injonction interlocutoire, en faisant valoir la décision Paul c. Canada ainsi que la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif; or cette décision et cette loi ne sont pas applicables à un recours en vertu de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales. On a statué dans Paul qu'il n'y a pas lieu d'accorder une injonction interlocutoire lorsque le défendeur est la Couronne ou un ministre et qu'on fait valoir dans l'action des moyens constitutionnels. Il ne s'agissait en l'espèce ni d'une contestation constitutionnelle ni d'une contestation fondée sur la Charte. En outre, le contrôle judiciaire n'est pas un recours contre la Couronne, mais vise plutôt à contester la décision d'un «office fédéral» et les défendeurs fédéraux étaient un tel type d'organisme. Il serait incohérent que le législateur, d'un côté, ait conçu un mécanisme détaillé pour contrôler l'exercice de pouvoirs conférés par la loi et ait prévu des mesures de redressement efficaces, dont l'injonction, dans la Loi sur les Cours fédérales et, d'un autre côté, ait rendu le tout inefficace par les dispositions de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. Étant donné le contexte législatif de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales et son adoption postérieure à celle de l'article 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, le législateur entendait viser par l'article 18 autre chose que les actions intentées contre la Couronne. La Cour avait donc compétence pour prononcer une injonction interlocutoire contre les défendeurs fédéraux.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), 22(1) (mod., idem, art. 28; 2001, ch. 4, art. 46).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 2(1) «office fédéral» (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 17 (mod., idem, art. 3), 18 (mod. idem, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26).

jurisprudence

décisions appliquées:

RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 54 C.P.R. (3d) 114; 164 N.R. 1; 60 Q.A.C. 241; Taku River Tlingit First Nation v. Tulsequah Chief Mine Project (2002), 211 D.L.R. (4th) 89; [2002] 4 W.W.R. 19; 98 B.C.L.R. (3d) 16; 163 B.C.A.C. 164; 43 C.E.L.R. (N.S.) 169; [2002] 2 C.N.L.R. 312; 91 C.R.R. (2d) 260 (C.A.); Haida Nation v. British Columbia (Minister of Forests), [2002] 6 W.W.R. 243; 99 B.C.L.R. (3d) 209; 164 B.C.A.C. 217; 44 C.E.L.R. (N.S.) 1; [2002] 2 C.N.L.R. 121 (C.A.); Mundle c. Canada (1994), 28 Admin. L.R. (2d) 69; 85 F.T.R. 258 (C.F. 1re inst.).

distinction faite d'avec:

Bande indienne de Soowahlie c. Canada (Procureur général) (2001), 209 D.L.R. (4th) 677 (C.A.F.); conf. Bande indienne de Soowahlie c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1334; [2001] A.C.F. no 1846 (1re inst.) (QL); Paul c. Canada (2002), 219 F.T.R. 275 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; TransCanada Pipelines Ltd. v. Beardmore (Township) (2000), 186 D.L.R. (4th) 403; [2000] 3 C.N.L.R. 153; 137 O.A.C. 201 (C.A. Ont.); autorisation d'appel à la C.S.C. rejetée [2000] S.C.C.A. no 264 (QL).

DEMANDE d'injonction interlocutoire ayant pour effet d'enjoindre au gouverneur en conseil du Canada, au Conseil du Trésor du Canada et au ministre des Pêches et Océans de ne pas transférer, aliéner ou grever une propriété jusqu'à l'instruction de la présente demande de contrôle judiciaire. Demande accueillie.

ont comparu:

Maria A. Morellato et Roy W. Millen pour la demanderesse.

Harry J. Wruck, c.r. et Alexander J. Semple pour le gouverneur en conseil du Canada, le Conseil du Trésor du Canada, l'honorable Robert Thibault, ministre des Pêches et Océans et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, défendeurs.

Simon B. Margolis pour la Société immobilière du Canada limitée et la Société immobilière du Canada CLC limitée, défenderesses.

Reece Harding pour la ville de Richmond, défenderesse.

Personne n'a comparu au nom du procureur général de la Colombie-Britannique, défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Blake, Cassels & Graydon LLP, Vancouver, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le gouverneur en conseil du Canada, le Conseil du Trésor du Canada, l'honorable Robert Thibault, ministre des Pêches et Océans et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, défendeurs.

Bull, Housser and Tupper, Vancouver, pour la Société immobilière du Canada limitée et la Société immobilière du Canada CLC limitée, défenderesses.

Lidstone, Young, Anderson, Vancouver, pour la ville de Richmond, défenderesse.

Ministère du procureur général de la Colombie-Britannique, Victoria, pour le procureur général de la Colombie-Britannique, défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Phelan:

Aperçu

[1]Je vais exposer les motifs de l'ordonnance de la Cour datée du 26 janvier 2004 et enjoignant aux défendeurs, le gouverneur en conseil du Canada, le Conseil du Trésor et l'honorable Robert Thibault, ministre des Pêches et Océans (désignés les «défendeurs fédéraux» dans l'ordonnance), de ne pas transférer, aliéner ou grever une propriété connue sous le nom de propriété Garden City dans la ville de Richmond jusqu'à l'instruction de la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]Il fallait rendre rapidement la décision relative à la demande d'injonction, les défendeurs fédéraux ayant laissé savoir qu'ils ne prolongeraient pas au-delà de l'heure de fermeture des bureaux le 26 janvier 2004, avant d'agir, le délai d'examen de cette demande. Étant donné le caractère urgent de la procédure et pour s'assurer d'être saisie de tout élément pertinent, la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire et admis certains éléments de preuve à une étape tardive de l'instruction. Ceux-ci n'étaient pas essentiels en vue de rendre la décision à trancher.

[3]La demande a nécessité trois jours de plaidoirie. Quoiqu'il aurait été possible de contre-interroger les auteurs d'affidavits, les parties ne l'ont pas fait. La preuve de chacune des parties n'a pas été contestée mais elle est parfois contradictoire, particulièrement quant à la nature et à la portée des négociations (s'il doit y en avoir).

[4]Les défendeurs ont soulevé diverses questions en réplique à la présente demande, touchant notamment le pouvoir de la Cour de décerner une injonction, sa compétence à l'égard de la Société immobilière du Canada limitée et de la Société immobilière du Canada CLC limitée (collectivement désignées «Société immobilière du Canada»), la qualité ou non de défenderesse de la ville de Richmond (Richmond) (la question à trancher pourrait en fait être celle des parties ayant véritablement qualité pour agir) et la question de savoir s'il y a lieu ou non de procéder par voie d'action.

[5]Les objections ont été soulevées non au moyen d'une requête mais parmi les arguments présentés en réponse. Cette voie ayant été adoptée, j'ai conclu que les défendeurs n'avaient pas le droit de répliquer à la réponse de la demanderesse.

[6]Pour ce qui est de ces questions préliminaires, la Cour ne s'est prononcée sur le fond que sur son pouvoir d'accorder une injonction, une conclusion à cet égard étant nécessaire pour disposer de la demande d'injonction. Les autres questions pouvaient être tranchées à un autre moment. Il n'y avait pas non plus assez d'éléments pour rendre une décision définitive relativement à certaines des questions préliminaires, sans doute en raison de la rapidité avec laquelle il a fallu régler l'affaire.

Contexte

[7]La bande indienne de Musqueam demanderesse (la Bande) a d'abord présenté une demande de contrôle judiciaire pour contester la décision initiale de céder la propriété Garden City (dossier de la Cour no T-1832-02) à des acquéreurs inconnus. La Bande a ensuite intenté le présent recours en contrôle judiciaire pour contester la décision subséquente de transférer le terrain à Société immobilière du Canada.

[8]La propriété Garden City, actuellement détenue par le ministère des Pêches et des Océans, est un lopin de terre d'environ 136 acres situé au centre de la ville de Richmond. La preuve révèle que la valeur commerciale en est considérable, comme en fait foi l'affidavit d'un fonctionnaire de la ville de Richmond.

[9]La propriété Garden City est censée faire partie de ce que la Bande prétend être le «territoire des Musqueams», près de la petite réserve indienne et très près du lieu de peuplement traditionnel des Musqueams, de date antérieure à la colonisation européenne.

[10]La demanderesse a soutenu avoir tenté, pendant environ dix ans, d'empêcher l'aliénation de la propriété Garden City. Elle y a réussi à ce jour.

[11]Des fonctionnaires du gouvernement du Canada ont plus récemment tenté, pour leur part, de transférer le terrain à Société immobilière du Canada (CLC), une société d'État «non mandataire» qui soutient n'être liée par aucune obligation fiduciaire ou constitutionnelle de la Couronne envers la Bande.

[12]Il importe de noter qu'il n'y a pratiquement aucun terrain dans le territoire des Musqueams qui puisse faire l'objet d'un règlement pour droits issus de traité. Plus précisément, rien n'indique que le gouvernement du Canada, malgré ses prétentions, a prévu que d'autres terres pouvaient faire l'objet de négociations en cas de transfert de la propriété Garden City.

[13]La Bande soutient qu'elle dispose d'un droit sur cette propriété, que la Cour suprême du Canada a reconnu ses droits dans la région dans R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 et que le gouvernement du Canada est tenu de négocier et de composer avec la Bande avant d'aliéner des terres sur lesquelles elle a un droit.

[14]Les défendeurs fédéraux nient l'existence d'un tel droit et de l'obligation juridique de négocier et de composer. Ils ajoutent n'avoir ménagé aucun effort pour consulter la Bande, mais que celle-ci a fait la sourde oreille.

[15]Il y a des différences considérables entre les faits présentés par l'une et l'autre partie et, en l'absence de tout contre-interrogatoire, on ne peut discerner les forces et les faiblesses des prétentions concurrentes.

[16]Ce qu'on peut toutefois discerner, c'est que la Bande prétend non seulement disposer d'un droit sur le terrain, mais que celui-ci a pour elle une importance unique. La preuve par affidavit étaye cette prétention.

[17]Il est également clair que la Bande et les défendeurs fédéraux ont des opinions très divergentes quant aux obligations qui existent et quant au respect de ces obligations. Si tant est que des négociations ont été engagées, toute négociation valable semble avoir désormais cessé.

[18]Il est ainsi possible de soutenir, étant donné la position avancée par les défendeurs fédéraux, que ceux-ci ne se sont pas acquittés de leur obligation de négocier et de composer avec la Bande, du moins après examen préliminaire de la preuve inéprouvée.

[19]Il y a toutefois eu une certaine reconnaissance par le gouvernement du Canada du fait que la Bande peut revendiquer le titre aborigène à l'égard de parties des basses-terres continentales de la Colombie-Britannique.

[20]Les avocats des défendeurs fédéraux ont confirmé à la Cour que la date limite du 26 janvier 2004 avait un caractère arbitraire. Le choix de cette date ne reposait sur aucun motif particulièrement impérieux, mis à part la nécessité de finir par s'occuper de la propriété et le souci de bien administrer des biens de l'État.

Analyse

[21]Toutes les parties conviennent que la demande-resse doit satisfaire au critère en trois volets énoncé dans RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334.

[22]Je conclus qu'en plus des facteurs habituels devant être examinés, même s'il ne s'agit pas ici d'une affaire constitutionnelle, la Cour doit tenir compte de l'intérêt public et de la légitimité présumée d'une action prise par le gouvernement dans cet intérêt.

[23]En outre, puisque la mesure de redressement sollicitée est semblable en partie à celle qu'on demande d'octroyer par la décision définitive dans le cadre du contrôle judiciaire, il y a lieu de se pencher de façon plus approfondie au fond qu'à l'ordinaire sur le seuil requis pour la «question sérieuse» à juger.

Question sérieuse

[24]L'essentiel de l'argumentation de la Bande est décrit comme suit dans son mémoire des faits et du droit:

[traduction]

9. Ce que la bande de Musqueam vise dans la présente instance c'est d'avoir l'occasion de négocier de bonne foi et d'obtenir que la Couronne s'efforce sincèrement de composer au sujet de ses droits et intérêts sur la propriété Garden City. La bande cherche à obtenir cette occasion avant que le terrain soit transféré à CLC ou à quelqu'un d'autre. C'est là le fondement de sa demande d'injonction.

[25]Cela ressemble, si je comprends bien, à une demande de négociation de «bonne foi» en contexte de relations de travail, rendue plus complexe par les principes généraux de l'obligation fiduciaire envers les Autochtones, les principes de droit public et la question de la compétence des défendeurs fédéraux.

[26]Après examen des faits établis par la demanderesse et comme il est mentionné au paragraphe 18, il est raisonnable de prétendre que le gouvernement canadien n'a ni négocié ni composé avec la demanderesse tel qu'il en est requis selon cette dernière.

[27]La question essentielle, eu égard au paragraphe 23, est celle de savoir si constitue une question suffisamment sérieuse celle de l'existence ou non de pareille obligation de négocier et de composer.

[28]Dans Taku River Tlingit First Nation v. Tulsequah Chief Mine Project (2002), 211 D.L.R. (4th) 89, aux paragraphes 173 et 193, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique s'est prononcée comme suit sur l'existence et la nature de l'obligation:

[traduction] Souscrire à la prétention de la Couronne, selon laquelle l'obligation de consulter n'est déclenchée que lorsqu'on a établi l'existence d'un droit ancestral dans une instance, ce serait faire abstraction de l'essence des déclarations de la Cour suprême non seulement dans Sparrow mais aussi dans des décisions antérieures, alors qu'elle a insisté sur l'obligation incombant au gouvernement de protéger les droits des Indiens en raison de la relation fiduciaire particulière créée par l'histoire, les traités et les lois [. . .] Si on souscrivait à cette prétention, de fait, le paragraphe 35(1) verrait de beaucoup réduite sa portée constitutionnelle.

[. . .]

La jurisprudence va dans le même sens à mon avis que le juge en chambre, selon lequel, avant de délivrer le certificat d'approbation de projet, le ministre devait «tenir compte de la possibilité que cette décision enfreigne des droits ancestraux» et veiller à s'assurer, par conséquent, de la prise en compte de l'essentiel des préoccupations des Tlingits.

[29]Les défendeurs fédéraux ont donc pour responsabilité de protéger les intérêts des Autochtones, une obligation dont selon la Bande, ils ne seraient pas acquittés.

[30]Les défendeurs fédéraux ont toutefois l'obligation concurrente d'agir dans le meilleur intérêt du public, ce qui peut nécessiter d'engager des négociations serrées. Il n'est pas facile de mettre en balance ces obligations concurrentes, et cette question devra être tranchée dans le cadre du contrôle judiciaire.

[31]En 2002, la Cour d'appel de la Colombie- Britannique a donné des précisions quant à la nature des obligations en cause. Dans Haida Nation v. British Columbia (Minister of Forests), [2002] 6 W.W.R. 243 (affaire parfois désignée sous le nom de Haida #2), la Cour d'appel a décrit comme suit la question dont elle avait à connaître [au paragraphe 1]:

[traduction] La principale question en litige dans le présent appel, c'est celle de savoir si la Couronne et des tiers ont l'obligation de consulter des Autochtones qui ont revendiqué expressément un titre aborigène ou des droits ancestraux en regard d'atteintes éventuelles à ce titre ou à ces droits avant qu'un tribunal compétent ne se soit prononcé à leur sujet.

[32]La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a conclu que c'était là une question importante, puisque la Couronne pouvait, si on en faisait abstraction, passer outre à un titre aborigène ou à des droits ancestraux ou y déroger avant que ceux-ci aient été établis par traité ou par jugement.

[33]Les défendeurs fédéraux pourraient de même en l'espèce, en passant outre à l'obligation de consulter et de composer (si tant est qu'elle existe), vendre ou aliéner l'objet même de l'obligation.

[34]La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a également conclu que l'obligation de consulter découle de la relation de type fiduciaire qui existe entre la Couronne et les Autochtones.

[35]La Cour d'appel a aussi clairement déclaré qu'il y a obligation de consulter et de composer avant toute atteinte à un titre ou à un droit, même si la question de leur existence demeure toujours à trancher.

[36]Les défendeurs se fondent sur TransCanada Pipelines Ltd. v. Beardmore (Township) (2000), 186 D.L.R. (4th) 403 (C.A. Ont.) (autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême rejetée [[2000] S.C.C.A. no 264 (QL)]) pour faire valoir que l'obligation de négocier et de composer n'existe qu'une fois tirée une conclusion d'atteinte.

[37]La Cour suprême du Canada a instruit en mars 2004 l'appel interjeté dans Haida #2.

[38]Je conclus donc que la demanderesse a démontré qu'en plus de constituer une question sérieuse, la question de l'obligation de négocier et de composer constitue une question réelle et actuelle.

[39]Le fait que la Cour suprême examine la question ne confère pas, en soi, le droit à la demanderesse à une injonction, ni ne justifie d'attendre que la Cour suprême rende sa décision, dont l'issue est incertaine. Cela aide toutefois à démontrer, d'une manière suffisante aux fins de l'injonction, le degré d'examen requis étant respecté, qu'il est raisonnable de faire valoir les questions soulevées en l'espèce.

Préjudice irréparable

[40]Une fois conclu qu'il existe une question sérieuse, la demanderesse doit également démontrer que le transfert de la propriété Garden City entraînerait un préjudice irréparable.

[41]La Cour doit examiner non pas l'ampleur mais la «nature» du préjudice qui serait causé.

[42]Il est vrai qu'une compensation pécuniaire peut être versée pour à peu près tout, y compris un décès, mais le simple fait qu'une indemnisation puisse être ordonnée ne règle pas en soi la question. La Cour doit en effet examiner la nature véritable de ce qui peut être perdu.

[43]La Bande soutient ce qui suit, tel qu'en atteste l'affidavit (paragraphe 25) d'Ernest Campbell (le chef de la Bande):

[traduction] La disponibilité de terres dans la région revendiquée est essentielle pour nous. Je le répète, il est essentiel pour la survie des Musqueams en tant que peuple distinct qu'ils disposent de terres. Le versement d'un règlement en espèces ne suffit tout simplement pas à compenser intégralement la perte de nos terres. Les terres dans la réserve de Musqueam sont d'étendue restreinte et sont presque toutes mises en valeur. Nous requerrons des terres additionnelles pour les besoins actuels et futurs de notre peuple. Notre assise territoriale actuelle est totalement insuffisante.

[44]La nature du préjudice subi en cas de transfert de la propriété Garden City c'est la perte du droit à ce qu'on négocie et compose au sujet de ce terrain. Une fois le terrain transféré, il y a perte de ce droit dans les faits.

[45]Si ce droit existe, tel qu'on peut le soutenir, le gouvernement du Canada et plus particulièrement les défendeurs fédéraux ont l'obligation, avant de transférer le terrain, de permettre que le droit soit exercé. C'est là en fait une condition de l'exercice du pouvoir, conféré par la loi, de transférer le terrain. La question soulevée met en cause la compétence des défendeurs fédéraux à agir de la manière envisagée.

[46]La situation ressemble à celle où il faut procéder à une étude sur l'environnement avant de délivrer un permis, ou donner un avis approprié avant de prendre une décision. Les principes et recours applicables sont ceux de droit public. La nature de la question, plutôt que d'être pécuniaire, est alors liée à la compétence.

[47]Le redressement définitif approprié dans ces situations, tout comme en l'espèce, peut être l'annulation du permis ou de la décision ainsi que des mesures prises en vertu du permis ou en application de la décision. L'octroi de dommages-intérêts n'est pas alors suffisant.

[48]Si on veut que le droit de la Bande ait un sens, on ne peut permettre qu'il soit perdu en présumant que «l'envoi d'un chèque par le gouvernement» suffira dans tous les cas. Il serait trop tentant pour l'administration de pouvoir, simplement en versant une indemnité de substitution, laisser de côté ce type de conditions à l'exercice en bonne et due forme de ses pouvoirs.

[49]Il faut également tenir compte de l'efficacité de tout redressement obtenu dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Si la propriété Garden City était transférée, et passait particulièrement de Société immobilière du Canada à un tiers, l'annulation de la décision de procéder à la vente pourrait être de peu d'effet pratique. Il se pourrait alors que les défendeurs fédéraux et Société immobilière du Canada ne puissent rétablir la situation telle qu'elle existait avant le transfert. Il n'est donc pas assuré que la rectification constitue une mesure de redressement valable.

[50]La Cour a soulevé la question de savoir dans quelle mesure l'avis de demande de la Bande produirait ses effets à l'égard d'un acquéreur subséquent. Or il semble qu'on ne puisse déposer une opposition (ou un avis semblable) à l'égard d'un terrain et d'une demande du type concerné. Étant donné la nature d'un régime d'enregistrement foncier, par conséquent, il y a à tout le moins incertitude quant aux droits et obligations d'un acheteur eu égard à la demande de la Bande.

[51]La position des défendeurs fédéraux et de Société immobilière du Canada c'est que nulle obligation envers la Bande n'est transférée à un acheteur, même s'il s'agit de Société immobilière du Canada, une société dont le gouvernement du Canada est propriétaire et dont il assume le contrôle. Le bien-fondé de cette position reste à déterminer en droit, mais celle-ci permet de faire valoir que tout transfert est irréversible et «franc et quitte» d'autres obligations.

[52]Le préjudice pour la Bande, c'est la perte du droit qu'on négocie et compose avec elle dans le cas où une injonction n'est pas délivrée. La Cour a également examiné la nature du préjudice subi par les défendeurs fédéraux, Société immobilière du Canada et la ville de Richmond en cas de délivrance de l'injonction.

[53]Le tribunal procède souvent à l'examen comparatif du préjudice de l'une et l'autre partie uniquement lorsqu'elle se penche sur la question de la prépondérance des inconvénients. Pour la commodité du propos, toutefois, nous traiterons de cette question également sous la présente rubrique.

[54]La ville de Richmond sera également prise en compte aux fins de cet examen parce que, bien qu'en bout de ligne elle puisse ne pas être un défendeur dans l'affaire, ni nécessairement être l'acheteur, il y aura incidence sur l'obtention par elle de taxes, droits et autres avantages, soit s'il y a un autre acheteur, soit si elle conserve le terrain en totalité ou en partie.

[55]Les défendeurs n'ont fait état à la Cour d'aucun type de perte autre que de nature commerciale (comme le retard dans l'obtention du produit de la vente et dans l'utilisation de la propriété). Ce type de perte peut être pris en compte au moyen de l'engagement qu'on a ordonné de prendre dans l'injonction interlocutoire.

[56]Les défendeurs font valoir la décision de la Cour d'appel fédérale et celle du juge Nadon de notre Cour (tel était alors son titre) dans Bande indienne de Soowahlie c. Canada (Procureur général) (2001), 209 D.L.R. (4th) 677 (C.F.A.) et 2001 CFPI 1334; [2001] A.C.F. no 1846 (QL) (qu'on désigne parfois l'affaire Commodore). En toute déférence, je conclus que cette affaire et celle qui nous occupe peuvent être distinguées tant en ce qui concerne les questions de fait que les questions de droit.

[57]Quant aux questions de droit, on faisait valoir dans ces affaires la violation d'une obligation fiduciaire, tandis qu'en l'espèce on invoque la violation d'une condition requise de la compétence pour transférer des terres. Les décisions dans ces affaires, en outre, sont antérieures à la décision de la Cour d'appel dans Haida #2.

[58]La violation d'une obligation fiduciaire, du type que peut occasionner l'administration d'une fiducie, peut habituellement être indemnisée par des dommages- intérêts. La violation d'une condition requise à l'exercice d'une compétence ne peut habituellement donner lieu à indemnisation; les mesures de redressement appropriées sont alors traditionnellement celles du droit administratif.

[59]Il importe de relever certaines différences fondamentales entre la situation de fait dans la présente affaire et dans Soowahlie. Dans celle-ci, seule une partie de la Base des Forces canadiennes Chilliwack était en cause; on avait réservé 180 hectares à des fins de négociation, ce qu'on pouvait considérer répondre à l'obligation de négocier et de composer.

[60]Il n'y a aucun terrain réservé en l'espèce, on nie l'existence de toute pareille obligation et on soutient qu'en cas de vente du bien-fonds, aucune obligation du vendeur envers la Bande ne passe de ce dernier à l'acheteur.

[61]Dans Soowahlie, les cours n'ont conclu en l'existence d'aucun facteur ou circonstance particulier. Il y a toutefois matière à injonction en l'espèce, étant donné le fondement du contrôle judiciaire, la nature de la demande de la Bande et l'incapacité des défendeurs, si la Bande a gain de cause en bout de ligne, de s'acquitter de leurs obligations envers la Bande.

[62]Je conclus, par conséquent, que la Bande a démontré l'existence d'un préjudice irréparable, d'un type requis pour justifier la délivrance d'une injonction.

Prépondérance des inconvénients

[63]Nous avons déjà traité de la plupart des facteurs liés à la prépondérance des inconvénients, et la balance à cet égard penche en faveur de la Bande.

[64]Aucun motif prépondérant n'a été avancé pour qu'on procède au transfert de la propriété Garden City avant l'issue du présent contrôle judiciaire.

[65]La période pendant laquelle une injonction peut être en vigueur constitue un facteur pertinent. La Cour estime que tout préjudice subi par les défendeurs peut être atténué si l'on accélère le présent recours en contrôle judiciaire et si est pris un engagement. Les demandeurs peuvent dans une certaine mesure, toutefois relative, atténuer toute perte ou tout inconvénient qu'ils pourraient subir. La Bande ne saurait être autorisée à laisser traîner l'affaire en longueur, et je ne veux pas laisser entendre qu'elle l'a fait. Puisqu'il peut y avoir gestion d'instance à l'égard des recours en contrôle judiciaire, pour assurer un examen rapide et équitable sur le fond, des mesures peuvent être prises pour contrer tout préjudice éventuellement causé aux défendeurs par une injonction.

Mesure de redressement

[66]Les défendeurs fédéraux ont soutenu que notre Cour n'a pas compétence pour délivrer à leur encontre une injonction interlocutoire. Ils font valoir à cet égard le paragraphe 22(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 28; 2001, ch. 4, art. 46] de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 [art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21)], ainsi que la décision du juge Lemieux de notre Cour dans Paul c. Canada (2002), 219 F.T.R. 275 (C.F. 1re inst.).

[67]En toute déférence, on a uniquement statué dans Paul qu'il n'y a habituellement pas lieu d'accorder une injonction interlocutoire lorsque le défendeur est la Couronne ou un ministre et qu'on fait valoir dans l'action des moyens constitutionnels. Cela découle de la validité présumée des lois et mesures constitutionnelles. Il ne s'agit en l'espèce ni d'une contestation constitutionnelle ni d'une contestation fondée sur la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

[68]Il y a une autre importante distinction à faire d'avec la décision Paul; il s'agissait alors d'une action fondée sur l'article 17 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 et sur la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. En l'espèce, nous avons affaire à un recours en contrôle judiciaire, en application de l'article 18 [mod., idem, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)].

[69]À mon avis, la décision Paul n'est pas applicable à un recours en vertu de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales. Le contrôle judiciaire n'est pas un recours contre la Couronne, mais vise plutôt à contester la décision (action ou refus d'agir) d'un «office fédéral». On donne à cette expression une définition large au paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de la Loi sur les Cours fédérales, qui englobe tout organisme exerçant une compétence ou des pouvoirs en vertu d'une loi fédérale. Les défendeurs fédéraux sont un tel type d'organisme.

[70]Il serait incohérent que le législateur, d'un côté, ait conçu un mécanisme détaillé pour contrôler l'exercice de pouvoirs conférés par la loi et ait prévu des mesures de redressement efficaces, dont l'injonction, dans la Loi sur les Cours fédérales et, d'un autre côté, ait rendu le tout inefficace par les dispositions de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif.

[71]Étant donné le contexte législatif de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales et son adoption postérieure à celle de l'article 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, le législateur entendait viser par l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales autre chose que les actions intentées contre la Couronne.

[72]Si la prétention des défendeurs fédéraux était fondée, la Cour fédérale n'aurait pas (et n'aurait jamais eu) le pouvoir d'ordonner un sursis d'instance ou de prononcer une injonction provisoire ou interlocutoire, quelque importance qu'il y ait à préserver le statu quo jusqu'au prononcé de la décision définitive sur le fond. Ce n'est pas là, selon moi, une interprétation valable des deux dispositions législatives concernées.

[73]Je fais mien le raisonnement du juge Strayer (tel était alors son titre) dans Mundle c. Canada (1994), 28 Admin. L.R. (2d) 69 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 8 à 10.

[74]Je conclus, par conséquent, que la Cour a compétence pour prononcer une injonction interlocutoire, tout au moins à l'égard des défendeurs fédéraux.

Conclusion

[75]L'ordonnance du 26 janvier 2004 a été décernée pour ces motifs.

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