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A-245-03

2004 CAF 166

Parcs Canada, Sheila Copps, ministre du Patrimoine canadien, le directeur du Parc national de Banff et le Procureur général du Canada (appelants)

c.

Sunshine Village Corporation (intimée)

Répertorié: Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Rothstein, Sharlow et Malone, J.C.A.--Edmonton, 25 mars; Ottawa, 27 avril 2004.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Appel à l'encontre d'un jugement de la Section de première instance selon lequel le règlement pris en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada est discriminatoire et illégal parce qu'il prévoit, pour les permis de construire, des droits plus élevés dans les parcs nationaux de Banff et de Jasper que dans les autres parcs nationaux -- Il ressort de la jurisprudence que, lorsque le gouverneur en conseil est autorisé par le législateur à prendre des règlements fixant des droits, les règlements peuvent classer par catégories les payeurs des droits en question ou les diverses situations dans lesquelles les droits doivent être payés -- La validité de règlements pris en vertu de dispositions semblables autorisant la fixation de droits doit être analysée avec retenue et circonspection -- La Loi, art. 16(1)r), confère au gouverneur en conseil un pouvoir étendu de fixer, pour les parcs nationaux de Banff et de Jasper, des droits différents en matière de permis de construire -- Le droit plus élevé fixé dans le Règlement n'est pas illégal.

Il s'agissait d'un appel interjeté à l'encontre d'un jugement de la Section de première instance, qui a estimé que le droit plus élevé demandé pour les permis de construire dans les parcs nationaux de Banff et de Jasper était discriminatoire et que la Loi sur les parcs nationaux du Canada n'autorisait pas cette discrimination, expressément ou par déduction nécessaire. Le point soulevé était celui de savoir si le gouverneur en conseil pouvait, à la faveur d'un pouvoir général de fixer les droits des permis de construire, un pouvoir qui lui est conféré par le Parlement dans l'alinéa 16(1)r) de la Loi, fixer des droits différents pour différents parcs nationaux.

L'intimée exploite une station de sports d'hiver au Parc national de Banff, appelée «Sunshine Village». En juin 2001, l'intimée obtenait du directeur du Parc un permis de construire qui l'autorisait à remplacer une télécabine par une autre plus perfectionnée. L'intimée devait pour le permis de construire verser un droit de 105 000 $, calculé en conformité avec le Règlement sur les bâtiments des parcs nationaux, lequel prévoit que, dans les parcs nationaux de Banff et de Jasper, les droits applicables à un permis de construire sont calculés à raison de 7 $ pour chaque tranche de 1 000 $ de la valeur estimative d'un édifice ou d'une structure. Pour tous les autres parcs nationaux, le taux est de 5 $ pour chaque tranche de 1 000 $. L'intimée a sollicité devant la Section de première instance le contrôle judiciaire de la décision du directeur, et la juge a estimé que le droit plus élevé était illégal. Appel a été interjeté à la Cour d'appel fédérale.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

La validité d'un texte réglementaire doit toujours être examinée selon la norme de la décision correcte. Aux fins de la présente affaire, on a présumé que la fixation de droits plus élevés était discriminatoire au sens du droit administratif. Cependant, une telle discrimination n'était pas proscrite. Il ressort de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et de la Cour d'appel fédérale que, lorsque le gouverneur en conseil est autorisé à prendre des règlements fixant des droits pour des services gouvernementaux, des licences ou des permis, les règlements peuvent classer par catégories les payeurs des droits en question ou les diverses situations dans lesquelles les droits doivent être payés, et ils peuvent fixer des droits différents pour chaque catégorie. C'est avec retenue et circonspection que les tribunaux s'appliqueront à analyser la validité de tels règlements. Il s'agira simplement d'interpréter, dans leur contexte, les mots que le législateur a employés, d'une manière qui s'accorde avec leur sens ordinaire et grammatical. L'alinéa 16(1)r) de la Loi conférait au gouverneur en conseil le pouvoir de fixer les droits applicables à des services fournis par l'État, et il était formulé assez largement pour conférer au gouverneur en conseil le pouvoir de fixer, en matière de permis de construire, des droits différents pour les parcs nationaux de Banff et de Jasper, quand bien même il en résulterait une discrimination au sens du droit administratif.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15.

Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, ch. A-3, art. 5.

Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233, art. 3.

Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32, art. 16.

Règlement sur les bâtiments des parcs nationaux, C.R.C., ch. 1114, art. 5(1), 15(1), ann. I (édicté par DORS/81-667, art. 4; 96-427, art. 2).

Règlement sur les taxes des services aéronautiques, C.R.C., ch. 5.

jurisprudence

décision suivie:

Procureur général du Canada c. La Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60; (1966), 63 D.L.R. (2d) 396; 66 DTC 5492.

décision appliquée:

Aerlinte Eireann Teorante c. Canada (Ministre des Transports) (1990), 68 D.L.R. (4th) 220; 107 N.R. 120 (C.A.F.).

décisions examinées:

United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485; (2004), 346 A.R. 4; 236 D.L.R. (4th) 385; [2004] 7 W.W.R. 603; 26 alta. L.R. (4th) 1; 12 Admin. L.R. (4th) 1; 318 N.R. 170; 46 M.P.L.R. (3d) 1; R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650; (1993), 100 D.L.R. (4th) 167; 10 Admin. L.R. (2d) 196; 79 C.C.C. (3d) 142; 19 C.R. (4th) 329; 14 M.P.L.R. (2d) 35; 149 N.R. 161; 61 O.A.C. 161.

doctrine

Brown, Donald J.M. et John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles. Toronto: Canvasback Pub., 1998.

APPEL à l'encontre d'un jugement de la Section de première instance ([2003] 4 C.F. 459; (2003) 3 Admin. L.R. (4th) 138; 39 M.P.L.R. (3d) 96), selon lequel le droit plus élevé demandé pour des permis de construire dans les parcs nationaux de Banff et de Jasper, un droit prévu par l'article 1 de la partie I de l'annexe du Règlement sur les bâtiments des parcs nationaux, était discriminatoire, et selon lequel cette discrimination n'était pas autorisée par la Loi sur les parcs nationaux du Canada. Appel accueilli.

ont comparu:

Kirk N. Lambrecht, c.r. et David J. Stam, pour les appelants.

Daniel P. Carroll et Jeremiah J. Kowalchuk, pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada, pour les appelants.

Field LLP, Edmonton, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A.:

POINT LITIGIEUX

[1]Le point soulevé dans le présent appel interjeté à l'encontre d'un jugement de la Section de première instance [[2003] 4 C.F. 459] (sa désignation à l'époque) est celui de savoir si le gouverneur en conseil peut, à la faveur d'un pouvoir général de fixer les droits des permis de construire, un pouvoir qui lui est conféré par le Parlement dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32 (la Loi), fixer des droits différents pour différents parcs nationaux.

POSITION DES APPELANTS ET DE L'INTIMÉE

[2]Selon les appelants, le pouvoir illimité de fixer des droits par règlement autorise la fixation de droits différents pour des parcs différents. Selon l'intimée, la fixation de droits différents est discriminatoire et, en l'absence d'un pouvoir exprès ou nécessairement implicite dans la loi habilitante, le gouverneur en conseil ne peut pas prendre de règlements qui, par l'imposition de droits différents d'un parc à un autre, sont discriminatoires.

LES FAITS

[3]L'intimée exploite une station de sports d'hiver au parc national de Banff, appelée «Sunshine Village». Les installations comprennent une télécabine qui permet de transporter les skieurs depuis des équipements de base jusqu'à un village situé en hauteur. En décembre 2000, l'intimée demandait à Parcs Canada l'autorisation de remplacer la télécabine par une autre plus perfectionnée. Un permis de construire fut délivré par le directeur du parc national de Banff le 27 juin 2001.

[4]Le Règlement sur les bâtiments des parcs nation-aux, C.R.C., ch. 1114, modifié (le Règlement), prévoit que, dans les parcs nationaux de Banff et de Jasper, les droits applicables à un permis de construire sont calculés à raison de 7 $ pour chaque tranche de 1 000 $ de la valeur estimative d'un édifice ou d'une structure, tandis que, pour tous les autres parcs nationaux, le taux est de 5 $ pour chaque tranche de 1 000 $. En conséquence, puisque la valeur estimative de la télécabine était de 15 millions de dollars, l'intimée devait pour le permis de construire verser un droit de 105 000 $.

[5]L'intimée a sollicité devant la Section de première instance le contrôle judiciaire de la décision du directeur, en alléguant plusieurs moyens. La juge de la Section de première instance a estimé que la télécabine était une «construction ou structure» au sens du Règlement, mais que le droit plus élevé demandé pour les permis de construire dans les parcs nationaux de Banff et de Jasper était discriminatoire et que la Loi n'autorisait pas cette discrimination, expressément ou par déduction nécessai-re. Elle a donc déclaré illégal le droit plus élevé. Il n'est fait appel à la Cour que de la seule question de la discrimination. Je suis d'avis que la juge de la Section de première instance s'est fourvoyée lorsqu'elle a dit que le droit plus élevé applicable aux parcs de Banff et de Jasper en vertu du Règlement était illégal. L'appel doit donc être accueilli.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[6]Les parcs nationaux sont gérés par le ministre du Patrimoine canadien, sous réserve des règlements pris par le gouverneur en conseil en application de l'article 16 de la Loi, dont les portions qui nous intéressent ici sont ainsi rédigées:

16. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant:

[. . .]

m) la réglementation de l'emplacement, de la conception, [et] de la construction [. . .] de bâtiments [. . .] et autres structures, des normes à appliquer et des matériaux à utiliser [. . .]

[. . .]

r) la fixation des droits à percevoir [. . .] pour la délivrance [. . .] des licences, permis et autres autorisations visés au paragraphe (3);

[. . .]

(3) Les règlements pris sous le régime du présent article peuvent habiliter le directeur d'un parc, dans les circonstances et sous réserve des limites qu'ils prévoient, à:

[. . .]

b) délivrer, modifier, suspendre ou révoquer des licences, permis ou autres autorisations relativement à ces matières et en fixer les conditions;

[7]L'alinéa 5(1)b) du Règlement prévoit qu'il est interdit à quiconque de commencer l'érection ou la reconstruction d'un bâtiment à moins d'avoir obtenu au préalable un permis:

5. (1) Il est interdit à quiconque

[. . .]

b) de commencer l'érection, la réfection, la reconstruction d'un bâtiment ou l'exécution de réparations à sa charpente, ou

[. . .]

à moins d'avoir obtenu au préalable la permission du surintendant à cette fin.

[8]Le paragraphe 15(1) du Règlement prévoit les droits qui sont demandés pour les permis. En voici le texte:

15. (1) Les droits des permis exigés dans le présent règlement s'établissent aux montants indiqués à l'annexe ci-après.

[9]L'article 1 de la partie I de l'annexe [édicté par DORS/81-667, art. 4; 96-427, art. 2] fixe les droits des permis de construire:

Article     Permis                     Droits ($)

1.     Permis de construction, pour chaque

        tranche de 1 000 $ ou fraction de celle-

        ci de la valeur estimative du

        bâtiment ou de la construction:

a) dans les parcs nationaux Banff ou Jasper     7

b) dans tout autre parc national     5

ANALYSE

1. Norme de contrôle

[10]Le seul point soulevé dans le présent appel est celui de savoir si l'article 1a) de la partie I de l'annexe du Règlement est ou non illégal. L'analyse qui consiste à se demander si un texte réglementaire est autorisé par sa loi habilitante ne requiert pas l'application de l'approche pragmatique et fonctionnelle. La validité d'un texte réglementaire doit plutôt être toujours examinée selon la norme de la décision correcte. Pour une situation analogue se rapportant aux règlements municipaux, voir l'arrêt United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, au paragraphe 5.

2. Y a-t-il discrimination?

[11]Le premier point à régler est celui de savoir s'il y a discrimination dans le fait de fixer des droits différents pour les permis de construire selon le parc national concerné. Les appelants disent que le fait de fixer des droits différents n'est pas en soi discriminatoire. Selon eux, l'intimée doit plutôt prouver que les circonstances qui ont cours dans les parcs qu'elle veut comparer sont semblables. Si je comprends bien les appelants, ceux qui sollicitent des permis de construire dans les parcs censément comparables sont en concurrence, ou peut-être les coûts engagés par le gouvernement pour les services entraînés par la délivrance des permis de construire sont-ils semblables.

[12]L'intimée dit qu'il lui suffit de prouver que le Règlement fixant des droits différents s'applique à la même catégorie, c'est-à-dire aux personnes qui demandent des permis de construire pour utilisation dans des parcs nationaux.

[13]Il n'est pas question ici de discrimination selon l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] ni selon les lois sur les droits de la personne. Il s'agit plutôt d'une présumée discrimination de droit administratif. Il y a discrimination de droit administratif lorsque [traduction] «des règlements municipaux et autres genres de textes réglementaires [. . .] sont discrimina-toires, en ce sens qu'ils ne s'appliquent pas de la même façon à tous ceux qui s'adonnent à l'activité faisant l'objet du texte en question» (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles (Toronto: Canvasback, 1998), au paragraphe 15:3212).

[14]Vu la manière dont je dispose de l'appel, il est inutile de décider à titre final si cette définition de la discrimination de droit administratif vaut pour les règlements pris par le gouverneur en conseil. Je présumerai, sans trancher la question, que l'article 1a) de la partie I de l'annexe du Règlement, qui fixe les droits pour les permis de construire dans les parcs nationaux de Banff et de Jasper à 7 $ pour chaque tranche de 1 000 $ de valeur estimative, contre 5 $ pour chaque tranche de 1 000 $ de valeur estimative dans tous les autres parcs, est discriminatoire au sens du droit administratif.

3. La discrimination est-elle proscrite?

[15]La juge de la Section de première instance s'est fondée sur des précédents relevant du droit municipal pour dire que des règlements qui établissent, à l'égard de permis de construire, des droits différents pour des parcs différents sont illégaux pour cause de discrimination. Les municipalités n'ont jamais été habilitées à prendre des règlements discriminatoires si leurs lois organiques ne les y autorisent pas expressément ou par déduction nécessaire ou raisonnable. Ainsi que l'écrivait le juge Iacobucci dans l'arrêt R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650, à la page 668:

La règle interdisant les règlements discriminatoires est une excroissance du principe selon lequel, en tant qu'organismes créés par la loi, les municipalités [traduction] «peuvent exercer seulement les pouvoirs qui leur sont conférés expressément par la loi, les pouvoirs qui découlent nécessairement ou vraiment du pouvoir explicite conféré dans la loi, et les pouvoirs indispensables qui sont essentiels et non pas seulement commodes pour réaliser les fins de l'organisme» (Makuch, Canadian Municipal and Planning Law (1983), à la p. 115).

[16]Cette manière d'interpréter les règlements municipaux coïncidait avec la pratique consistant pour les provinces à accorder aux municipalités des pouvoirs précis dans des domaines particuliers, plutôt qu'à leur conférer un pouvoir général dans des domaines définis en termes généraux. Voir l'arrêt United Taxi Drivers', précité, au paragraphe 6. Cet arrêt, qui n'avait pas encore été publié quand la juge de la Section de première instance a rendu son jugement, atteste un abandon progressif de cette approche en ce qui a trait aux municipalités (paragraphe 6). Cependant, il n'est pas nécessaire, aux fins du présent appel, de prendre la mesure de ce changement en ce qui concerne les municipalités.

[17]Le texte qui, dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada, confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements concernant les droits relatifs aux permis de construire est le suivant:

16. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant:

[. . .]

r) la fixation des droits [. . .] pour la délivrance [. . .] des [. . .] permis [. . .];

[18]Contrairement à la pratique traditionnelle des provinces consistant à accorder aux municipalités des pouvoirs particuliers, ces mots confèrent à première vue un pouvoir général au gouverneur en conseil. Il n'apparaît pas qu'ils soient de quelque façon limités. La Cour doit prendre le texte tel qu'il existe. En l'absence de mots restrictifs dans le texte, la Cour n'y présumera l'existence d'aucune limite.

[19]La Cour suprême du Canada et la Cour d'appel fédérale ont toujours adopté cette approche dans l'interprétation de lois conférant au gouverneur en conseil un pouvoir général de fixer des droits. Il ressort de leur jurisprudence que, lorsque le gouverneur en conseil est autorisé à prendre des règlements fixant des droits pour des services gouvernementaux, des licences ou des permis, les règlements peuvent classer par catégories les payeurs des droits en question ou les diverses situations dans lesquelles les droits doivent être payés, et ils peuvent fixer des droits différents pour chaque catégorie. Puisque l'alinéa 16(1)r) de la Loi confère le pouvoir général de fixer des droits, il s'ensuit donc que le gouverneur en conseil peut fixer, en matière de permis de construire, des droits différents pour des parcs nationaux différents, quand bien même il en résulterait une discrimination au sens du droit administratif.

[20]La décision de principe en la matière est l'arrêt Procureur général du Canada c. La Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60, qui concernait la contestation d'un règlement établissant des droits pour les radiodiffuseurs, droits qui variaient selon le chiffre d'affaires réalisé. Le texte habilitant, à savoir l'article 3 de la Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233, autorisait le gouverneur en conseil à «prescrire le tarif des droits à payer pour les licences [. . .] détenues et émis[es] en vertu de la présente loi». Le juge Abbott, s'exprimant pour les juges majoritaires, avait écrit, à la page 75:

[traduction] Quant au présumé caractère discriminatoire du règlement, je ne crois pas qu'il soit en réalité discriminatoire. Quoi qu'il en soit, l'art. 3 de la Loi ne fixe aucune limite aux pouvoirs du gouverneur en conseil d'établir des droits de licence. Le fait que de tels droits puissent en réalité être discriminatoires n'offre à mon avis aucun moyen juridique de mettre en doute la validité du décret.

[21]Des observations semblables apparaissent dans l'arrêt Aerlinte Eireann Teorante c. Canada (Ministre des Transports) (1990), 68 D.L.R. (4th) 220 (C.A.F.). Dans cette affaire était contesté le Règlement sur les taxes des services aéronautiques, C.R.C., ch. 5, qui fixait des droits d'atterrissage différents selon qu'il s'agissait de vols intérieurs, de vols internationaux ou de vols transocéaniques. L'article 5 de la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, ch. A-3, autorisait le gouverneur en conseil à prendre des règlements, ou à laisser le ministre prendre des règlements, établissant une taxe pour l'utilisation d'installations ou services mis à la disposition d'un aéronef ou d'un aéroport. Les dispositions relatives aux droits d'atterrissage étaient contestées selon plusieurs moyens, notamment la discrimination. Tous les arguments concluant à l'invalidité du règlement ont été jugés irrecevables. Le juge Heald, s'exprimant pour la Cour, écrivait, à la page 228, à propos de la discrimination:

Compte tenu de cette situation factuelle, la prétention formulée au sujet de la discrimination est mal fondée. Toutefois, ceci étant dit, je dois ajouter que même si les faits établis par le dossier permettaient de conclure à la discrimination, le résultat serait le même. Je suis d'accord avec le juge de première instance pour dire que «ni la discrimination ni même le caractère déraisonnable des règlements pris par l'exécutif lui-même ne constituent des motifs de les annuler» . Je suis également d'accord avec lui pour dire que:

«Le pouvoir d'établir des règlements prescrivant une taxe pour l'utilisation d'installations et de services sans entraves comporte le pouvoir de créer des catégories d'usagers.» [Non souligné dans le texte; références omises].

[22]Les tribunaux ont toujours exigé une autorisation expresse ou nécessairement implicite dans les lois organiques des municipalités avant que celles-ci ne soient autorisées à prendre des règlements discriminatoires. Inversement, lorsque le législateur confère un pouvoir de réglementation au gouverneur en conseil en des termes généraux, en ce qui concerne les droits applicables aux services fournis par l'État, c'est avec retenue et circonspection que les tribunaux s'appliqueront à analyser la validité de tels règlements. Il s'agira simplement d'interpréter, dans leur contexte, les mots que le législateur a employés, d'une manière qui s'accorde avec leur sens ordinaire et grammatical.

[23]L'alinéa 16(1)r) de la Loi est formulé assez largement pour conférer au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements qui imposent, à l'égard des permis de construire, des droits plus élevés pour les parcs nationaux de Banff et de Jasper que pour les autres parcs nationaux. Le contexte de l'alinéa 16(1)r) ne milite pas en faveur d'une quelconque limite du genre que préconise l'intimée.

DISPOSITIF

[24]J'arrive à la conclusion que la juge de la Section de première instance a commis une erreur lorsqu'elle a déclaré illégale la partie du Règlement contenue dans l'annexe I, partie I, qui fixe pour les permis de construire un droit de 7 $ par tranche de 1 000 $ de valeur estimative d'une construction ou d'une structure dans le Parc national de Banff. Je ferais droit à l'appel, avec dépens, devant la Cour d'appel et devant la Section de première instance, j'annulerais le jugement de la Section de première instance et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire présentée par la Sunshine Village Corporation.

[25]Le prononcé officiel du jugement sera différé afin que puissent être présentées des conclusions relatives aux dépens, s'il est impossible aux parties de s'entendre. Dans un délai de sept jours après que les présents motifs auront été délivrés, les appelants devront soit informer la Cour qu'ils ne souhaitent pas présenter de conclusions sur les dépens (auquel cas le jugement dira que l'appel est accueilli, avec dépens, devant la Cour d'appel et devant la Section de première instance), soit signifier et déposer des conclusions sur les dépens, conclusions qui ne pourront dépasser trois pages, à double interligne. Les conclusions pourront demander que les dépens soient fixés selon une somme forfaitaire comprenant les débours. Dans un délai de sept jours après la signification de telles conclusions, l'intimée pourra présenter une réponse d'au plus trois pages, à double interligne.

Le juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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