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IMM‑4222‑06

2007 CF 575

Alex Yale Ventocilla et al. (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Ventocilla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge suppléant Teitelbaum—Vancouver, 14 mars; Ottawa, 31 mai 2007.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé l’asile au demandeur par application de la section Fa) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, parce qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il avait commis des crimes de guerre ou s’était rendu complice de crimes de guerre — La Commission a commis une erreur lorsqu’elle a supposé que des crimes de guerre pouvaient être commis au cours d’un conflit interne — À l’époque de la perpétration des crimes de guerre allégués (1985 à 1992), l’expression « crimes de guerre » s’entendait uniquement dans le cadre de conflits internationaux — Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale reconnaît que les crimes de guerre ne se limitent pas aux conflits armés internationaux, mais il n’est entré en vigueur que le 1er juillet 2002 — Le Statut de Rome ne peut s’appliquer rétroactivement — La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur s’était rendu complice de crimes de guerre était déraisonnable parce qu’elle était fondée sur des inférences et des conclusions négatives quant à la crédibilité — Demande accueillie.

Droit international — La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé l’asile au demandeur par application de l’art. 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, parce qu’il y avait des motifs sérieux de croire que, de 1985 à 1992, il avait commis des crimes de guerre ou s’était rendu complice de crimes de guerre commis au cours d’un conflit interne au Pérou — Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale reconnaît que les crimes de guerre ne se limitent pas aux conflits armés internationaux, mais il est entré en vigueur le 1er juillet 2002 — Les définitions données dans le Statut de Rome ne peuvent s’appliquer rétroactivement, notamment en raison du principe de la non‑rétroactivité qui existe en droit pénal international et de la définition de « crimes de guerre » qui est donnée dans la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre — Par conséquent, s’agissant des faits reprochés au demandeur, il n’était pas possible d’appliquer la définition des « crimes de guerre » prévue par le Statut de Rome parce que celui‑ci ne faisait pas encore partie du droit international au moment pertinent.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé l’asile au demandeur par application de la section Fa) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, parce qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il avait commis des crimes de guerre ou s’était rendu complice de crimes de guerre contre des guérilleros péruviens alors qu’il faisait partie des forces armées du Pérou (1985 à 1992).

Il s’agissait de déterminer si la Commission avait commis une erreur en concluant, aux fins de l’exclusion prévue à la section 1Fa) de l’article premier, que des crimes de guerre pouvaient être commis au cours d’un conflit interne et si la Commission avait tiré une conclusion raisonnable en estimant que le demandeur s’était rendu complice de crimes de guerre.

Jugement : la demande doit être accueillie.

À l’époque de la perpétration des crimes allégués, l’expression « crimes de guerre » s’entendait uniquement dans le cadre des conflits internationaux. Le défendeur a affirmé que la définition des crimes de guerre a évolué et qu’elle englobe les actes commis dans le cadre de conflits internes depuis l’entrée en vigueur du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Le Statut de Rome, qui est entré en vigueur le 1er juillet 2002, reconnaît que les crimes de guerre ne se limitent pas aux conflits armés internationaux. Comme le Statut de Rome ne faisait pas partie du droit international au moment de la perpétration des actes en question, on ne pouvait pas s’y reporter pour savoir comment il définit les crimes de guerre pour déterminer si les faits reprochés au demandeur constituaient ou non des crimes de guerre. Cette interprétation s’appuie sur le principe de la non‑rétroactivité qui existe en droit pénal international et sur la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, qui définit ainsi les « crimes de guerre » : « Fait—acte ou omission—commis au cours d’un conflit armé et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un crime de guerre selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel applicables à ces conflits. » La Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a supposé que des crimes de guerre pouvaient être commis au cours d’un conflit interne, compte tenu du fait que la définition actuelle des crimes de guerre qui est reconnue en droit international ne peut s’appliquer rétroactivement.

Il incombait au ministre de démontrer qu’il existait « des raisons sérieuses de penser » que le demandeur avait commis des crimes de guerre. La Commission n’a pas tiré de conclusions de fait sur la question de savoir si le demandeur était au courant des atrocités commises par les forces armées. Sa conclusion que le demandeur était au courant des atrocités était fondée sur des inférences et sur ce qui constituait essentiellement une conclusion négative quant à la crédibilité. Le ministre ne pouvait s’acquitter de son fardeau de la preuve par des inférences, surtout si elles n’étaient pas raisonnables. La conclusion de la Commission suivant laquelle le ministre s’était acquitté de son fardeau était donc déraisonnable, puisqu’elle ne reposait pas sur la preuve.

lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 7(3.76) « crime de guerre » (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 1; abr. par L.C. 2000, ch. 24, art. 42).

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa).

Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, art. 4(3) « crime de guerre ».

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 98, 162(1).

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, 2187 R.T.N.U. I‑38544, art. 8(2).

Statut du Tribunal militaire international, annexe de l’Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe, Londres, 8 août 1945, 82 R.T.N.U. 279, art. 6.

jurisprudence citée

décision appliquée :

La Hoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 762.

décision différenciée :

Petrov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 465.

décisions examinées :

Bermudez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 860 (1re inst.) (QL); Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A. ); Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.).

décisions citées :

Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL); Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.).

doctrine citée

Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Principes directeurs sur la protection internationale : Application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. HCR/GIP/03/05, 4 septembre 2003.

Jones, John R. W. D. et Steven Powles. International Criminal Practice : the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia, the International Criminal Tribunal for Rwanda, the International Criminal Court, the Special Court for Sierra Leone, the East Timor Special Panel for Serious Crimes, War Crimes Prosecutions in Kosovo, 3e éd. Ardsley, N.Y. : Transnational, 2003.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de refuser l’asile au demandeur par application de la section Fa) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés du fait de sa participation à la perpétration de crimes de guerre. Demande accueillie.

ont comparu :

Brenda J. Wemp pour le demandeur.

Cheryl D. E. Mitchell pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Brenda Wemp, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]Le juge suppléant Teitelbaum : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 17 mai 2006 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a refusé l’asile au demandeur par application de la section Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6].

Contexte

[2]La demande d’asile de M. Alex Yale Ventocilla et de son épouse, Mme Ofelia Vargas Guerrero, a été refusée le 17 mai 2006. À l’origine, la présente demande était une demande conjointe de contrôle judiciaire; il y a toutefois eu un désistement dans le cas de la demande de contrôle judiciaire de la décision concernant Mme Guerrero. Les présents motifs s’appliqueront donc à la demande de M. Ventocilla.

[3]M. Ventocilla a servi comme chef de la sécurité et de l’effectif militaire au sein du service de maintenance à la base aérienne de Las Palmas [Pérou], de 1985 à 1992. Il avait entre 150 et 200 subordonnés sous ses ordres. En plus d’être responsable de l’instruction du personnel, du bien‑être et de la discipline des troupes et des sous‑officiers au sein du service de maintenance, il était chargé d’assurer la sécurité au sein du service de maintenance.

[4]La Commission a estimé qu’il y avait lieu de refuser la demande d’asile de M. Ventocilla au motif qu’il tombait sous le coup de l’exclusion prévue à la section Fa) de l’article premier parce qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il avait commis des crimes de guerre ou s’était rendu complice de crimes de guerre alors qu’il faisait partie des forces armées.

La décision à l’examen

[5]À l’audience, le représentant du ministre avait fait valoir qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour estimer que l’exclusion prévue à la section Fa) de l’article premier s’appliquait et il a tenté de faire échec à la procédure d’exclusion. La Commission n’était pas de son avis et elle a conclu qu’il existait des motifs sérieux de penser que le demandeur avait commis ou ordonné de commettre des crimes de guerre, en particulier la torture et le meurtre de guérilleros du Sentier lumineux et du Tupac Amaru. La Commission a également estimé que, en conservant son poste de chef de la sécurité tout en sachant que des militaires avaient recours à la torture et au meurtre, le demandeur s’était rendu complice des crimes de guerre connus commis par les militaires. La Commission a expliqué que, peu importe que le ministre soit d’accord ou non, il appartenait à la Commission de conclure que la clause d’exclusion s’appliquait, car le paragraphe 162(1) de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27] lui reconnaît une compétence exclusive en la matière.

[6]La Commission a estimé que le demandeur devait être exclu par application de la section Fa) de l’article premier pour les motifs suivants : 1) il existait des motifs sérieux de considérer que le demandeur avait commis ou ordonné de commettre des crimes de guerre, en particulier la torture et le meurtre de guérilleros du Sentier lumineux et du Tupac Amaru; 2) il existait des motifs sérieux de considérer que le demandeur s’était rendu complice des crimes de guerre commis par des militaires du fait de son poste de chef de la sécurité.

[7]Il n’y avait pas d’éléments de preuve directs, c’est‑à‑dire d’aveux faits verbalement, sur lesquels ces conclusions pouvaient reposer. La Commission a estimé qu’elle ne pouvait « considérer que, parce que le demandeur d’asile nie posséder certaines connaissances ou avoir joué quelque rôle que ce soit, [la Commission] ne dispose pas de suffisamment d’information pertinente pour prendre une décision en ce qui concerne l’exclusion ». La Commission a poursuivi en expliquant qu’il existait au moins cinq motifs sur lesquels elle pouvait se fonder pour tirer une conclusion raisonnable. Premièrement, il y avait l’abondance de renseignements portant sur les événements survenus au cours des années en cause contenus dans les rapports sur le Pérou préparés par des organisations comme Amnisty International. Le deuxième motif était l’ordre militaire de [traduction] « procéder à des exécutions sans laisser de traces et ne pas faire de prisonniers » qui avait été donné à tout le personnel. Le troisième motif était l’exécution sommaire d’une centaine de prisonniers par des militaires, dans la région de Lima en 1986. Le quatrième motif était le poste de chef de la sécurité occupé par le demandeur durant la guerre civile opposant l’armée et les guérilleros. Enfin, le cinquième motif était l’avancement constant du demandeur d’asile jusqu’au poste de chef de la sécurité et le fait qu’il n’avait pas réussi à se dissocier des actes de tortures et des meurtres perpétrés autour de lui.

[8]Régime législatif

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, signée le 28 juillet 1951

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

Statut du Tribunal Militaire International, signé le 8 août 1945 [annexe de l’Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe, 82 N.U.R.T. 279]

Article 6

[. . .]

(b) Les Crimes de Guerre : c’est‑à‑dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l’assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires;

Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24

4. [. . .]

(3) [. . .]

« crime de guerre » Fait—acte ou omission—commis au cours d’un conflit armé et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un crime de guerre selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel applicables à ces conflits, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, signé le 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002 [2187 R.T.N.U. I-38544]

Article 8. Crimes de guerre

[. . .]

2. Aux fins du Statut, on entend par « crimes de guerre » :

a) Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l’un quelconque des actes ci‑après lorsqu’ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève :

[. . .]

c) En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international, les violations graves de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l’un quelconque des actes ci‑après commis à l’encontre de personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou par toute autre cause :

i)          Les atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels et la torture;

ii) Les atteintes à la dignité de la personne, notam-ment les traitements humiliants et dégradants;

iii)        Les prises d’otages;

iv)   Les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires généralement reconnues comme indispensables;

Questions en litige

[9]Les questions en litige sont les suivantes :

1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant, aux fins de l’exclusion prévue à la section Fa) de l’article premier, que des crimes de guerre pouvaient être commis au cours d’un conflit interne?

2. La Commission a‑t‑elle tiré une conclusion raisonnable en estimant que le demandeur s’était rendu complice de crimes de guerre?

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant, aux fins de l’exclusion prévue à la section Fa) de l’article premier, que des crimes de guerre pouvaient être commis au cours d’un conflit interne?

[10]Les parties conviennent que la question de savoir si la définition de l’expression « crimes de guerre » à la section (F)a) de l’article premier se limite aux délits commis au cours d’un conflit armé international est une question de droit à laquelle s’applique la norme de contrôle de la décision correcte (Bermudez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 860 (1re inst.) (QL)).

[11]La section Fa) de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés dispose :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

[12]La Commission a cité le Statut du Tribunal Militaire International pour la définition des crimes de guerre. Dans le jugement Bermudez, le juge MacKay signale, au paragraphe 12, que les documents à l’origine du concept de « crime de guerre » international sont l’Accord de Londres du 8 août 1945 et son annexe le Statut du Tribunal Militaire International. Il fait observer que, bien que la définition du crime de guerre que l’on trouve dans le Statut du Tribunal Militaire International ne spécifie pas qu’il doit avoir été commis dans le cadre d’un conflit armé international, ce critère se dégage du contexte dans lequel ce concept y figure. Il  cite  ensuite la définition que le Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] donne du « crime de guerre » [art. 7(3.76) édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 1] et conclut qu’il s’agit d’un concept qui s’entend dans le cadre des conflits internationaux.

[13]En l’espèce, la Commission ne mentionne pas l’interprétation des crimes de guerre que l’on trouve dans le jugement Bermudez; elle a simplement tenu pour acquis qu’ils pouvaient être commis dans le cadre d’un conflit interne. Ce faisant, la Commission a commis une erreur de droit. Le défendeur affirme qu’il s’agit d’une erreur de forme et non de fond au motif que le jugement Bermudez ne fait plus jurisprudence et que la définition des crimes de guerre a évolué et qu’elle englobe maintenant les actes commis dans le cadre de conflits internes. Le défendeur fait reposer cet argument sur deux moyens. Il signale tout d’abord qu’il existe un traité international, en l’occurrence le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (le Statut de Rome), qui reconnaît que les crimes de guerre ne se limitent pas aux conflits armés internationaux. En second lieu, l’article du Code criminel que cite le juge MacKay dans le jugement Bermudez a depuis été abrogé [L.C. 2000, ch. 24, art. 42] pour être remplacé par la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24 [art. 4(3)], qui donne une définition plus large des « crimes de guerre » : « Fait—acte ou omission— commis au cours d’un conflit armé ».

[14]Il ne fait aucun doute que le Statut de Rome est un instrument international dont on peut se servir pour interpréter les crimes visés à la section Fa) de l’article premier (voir l’arrêt Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, aux paragraphes 7 et 8 et les Principes directeurs sur la protection internationale : Application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, 4 septembre 2003). Il ne fait par ailleurs aucun doute que les faits reprochés au demandeur, à savoir la torture et le meurtre de « prisonniers de guerre » (des guérilleros du Sentier lumineux et du Tupac Amaru) font partie de la liste des actes considérés comme des crimes de guerre commis dans le cadre d’un conflit interne (article 8, paragraphe 2, alinéa c(i) du Statut de Rome).

[15]Le demandeur reconnaît que les faits qui lui sont reprochés seraient considérés comme des crimes de guerre au sens des définitions contenues dans le Statut de Rome, mais il soutient que le Statut de Rome ne peut s’appliquer aux actes qui lui sont reprochés parce qu’il est entré en vigueur le 1er juillet 2002 et que les faits qui lui sont reprochés se sont produits entre 1985 et 1992. En fait, le demandeur soutient que la définition des crimes de guerre prévue par le Statut de Rome ne peut s’appliquer rétroactivement. Le demandeur fait remarquer que le Statut de Rome renferme une clause de rétroactivité. De plus, le demandeur cite le jugement Ramirez à l’appui de son argument qu’une personne doit avoir la mens rea applicable à un crime international pour se voir refuser l’asile (Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.)) et il ajoute que ce principe fait en sorte qu’une personne ne peut avoir la mens rea requise pour commettre un crime international si elle n’est pas au courant que les faits qui lui sont reprochés constituent un crime international.

[16]Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les définitions du Statut de Rome ne peuvent être appliquées rétroactivement. La définition de « crime de guerre » prévue par la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre appuie l’argument du demandeur. Elle prévoit ce qui suit :

4. [. . .]

(3) [. . .]

« crime de guerre » Fait—acte ou omission—commis au cours d’un conflit armé et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un crime de guerre selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel applicables à ces conflits, qu’il consti-tue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu. [Non souligné dans l’original.]

[17]Comme le Statut de Rome ne faisait pas partie du droit international au moment de la perpétration des actes en question, on ne doit pas s’y reporter pour savoir comment il définit les crimes de guerre pour déterminer si les faits reprochés au demandeur constituent ou non des crimes de guerre.

[18]Cette interprétation s’appuie sur le principe de la non‑rétroactivité qui existe en droit pénal international. Ce principe est qualifié de [traduction] « second corollaire au principe de la légalité. Il signifie qu’une personne ne peut être jugée ou condamnée en vertu d’une loi qui est entrée en vigueur après la survenance du fait en question » (John R. W. D. Jones et Steven Powles, International Criminal Practice (Ardsley, N.Y., Transnational, 2003, § 6.1.21)).

[19]Par ailleurs, j’estime que la définition des crimes de guerre prévue par le Statut de Rome ne peut être utilisée pour déterminer si les actes en question constituent des crimes de guerre parce qu’ils ont été commis avant que le Statut de Rome ne fasse partie du droit international.

[20]En conséquence, en supposant que des crimes de guerre pouvaient être commis au cours d’un conflit interne, la Commission a commis une erreur de droit. Cette erreur était déterminante, compte tenu du fait que la définition actuelle des crimes de guerre qui est reconnue en droit international ne peut s’appliquer rétroactivement. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et l’affaire sera renvoyée à une autre formation de la Commission pour être jugée de nouveau.

[21]Le demandeur a soumis à la Cour deux questions à certifier, la première étant celle de savoir si un demandeur d’asile peut se voir refuser l’asile par application de la section Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés pour crimes de guerre relativement à des faits survenus au cours d’un conflit ou d’une insurrection armés internes avant l’adoption et/ou l’entrée en vigueur du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

[22]Pour être certifiée, une question doit transcender les intérêts des parties au litige, aborder des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et être déterminante quant à l’issue de l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL)).

[23]Je ne doute nullement qu’il s’agit d’une question grave de portée générale qui transcende les intérêts des parties. Si la définition des crimes de guerre prévue par le Statut de Rome pouvait s’appliquer aux actes commis avant la signature du Statut de Rome, cela aurait de graves conséquences sur les décisions qui seraient prises en matière d’exclusion et se traduirait vraisemblable-ment par un nombre plus élevé de demandeurs qui se verraient refuser l’asile. Le défendeur soutient que la question ne devrait être certifiée que si elle est déterminante quant à l’issue de l’appel. Il affirme que, si la Cour ne confirme pas les conclusions tirées par la Commission au sujet de la preuve en ce qui concerne la complicité du demandeur relativement aux faits reprochés, la question relative au Statut de Rome ne serait alors pas déterminante. Pour cette raison, j’ai analysé la seconde question en litige soumise à la Cour, en l’occurrence celle de savoir si la Commission a tiré une conclusion raisonnable en estimant que le demandeur s’est rendu complice de crimes de guerre.

La Commission a‑t‑elle tiré une conclusion raisonnable en estimant que le demandeur s’était rendu complice de crimes de guerre?

[24]La norme de contrôle applicable en ce qui concerne la conclusion tirée par la Commission sur la question de savoir si le demandeur est exclu par application de la section Fa) de l’article premier pour complicité de crimes de guerre est celle de la décision raisonnable simpliciter. La question soumise à la Commission était une question mixte de fait et de droit (Petrov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 465). Bien que la Commission dispose d’une expertise relative en ce qui concerne les conclusions de fait, comme celle du rôle du demandeur au sein des forces armées, la Cour a une expertise plus vaste pour définir les critères applicables en vue de décider si le demandeur s’est rendu complice et pour se prononcer sur l’application appropriée de la loi. Ces facteurs indiquent que la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[25]C’est au ministre qu’il incombe de démontrer qu’il existe « des raisons sérieuses de penser » que M. Ventocilla a commis des crimes de guerre (voir Ramirez; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) et Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.)). Il est de jurisprudence constante que cette norme exige quelque chose de plus qu’une simple suspicion ou conjecture, mais moins que la norme civile de la preuve selon la prépondérance des probabilités, comme il est dit dans le jugement Sivakumar.

[26]Dans le jugement Petrov, au paragraphe 53, le juge Shore énumère six facteurs qui sont utilisés pour déterminer s’il y a lieu de considérer une personne comme un complice :

1) la nature de l’organisation;

2) la méthode de recrutement;

3) le poste ou le grade au sein de l’organisation;

4) la connaissance des atrocités commises par l’organisation;

5) la période de temps passée dans l’organisation;

6) la possibilité de quitter l’organisation.

Le juge Shore a fait remarquer que le caractère raisonnable d’une décision pouvait être évalué en fonction de la façon dont la Commission a analysé ces facteurs.

[27]La Commission a fait observer que le demandeur occupait un rang élevé dans l’organisation, soulignant qu’il avait occupé le poste de chef de la sécurité et qu’il avait entre 150 et 200 personnes sous ses ordres. La Commission a également fait remarquer que le demandeur avait servi dans la force aérienne et y était demeuré pendant une trentaine d’années et qu’il n’avait choisi de quitter l’organisation que lorsqu’il avait pris sa retraite.

[28]La Commission n’a pas tiré de conclusions de fait sur la question de savoir si le demandeur était au courant des atrocités commises par les forces armées. Sa conclusion que le demandeur était au courant des atrocités était fondée sur des inférences et sur ce qui constituait essentiellement une conclusion négative quant à la crédibilité.

[29]Le demandeur soutient qu’une conclusion de complicité dans la perpétration de crimes de guerre ne peut être fondée sur une conclusion négative quant à la crédibilité. Il se fonde à cet égard sur la décision La Hoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 762, dans laquelle le juge Blanchard a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 21 et 23 :

À mon avis, la décision de la Commission excluant le demandeur de l’application de la Convention ne peut être maintenue. En effet, la Commission conclut que le demandeur doit être exclu de l’application de la Convention parce qu’elle le juge non crédible. Pourtant, la Couronne supporte le fardeau d’établir qu’il y a des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur a commis des actes énoncés à l’article 1F. En l’espèce, la Commission semble avoir conclu que le demandeur devait être exclu parce qu’il ne l’a pas convaincue qu’il n’avait pas commis de tels actes. Le demandeur ne supporte pas ce fardeau. Le raisonnement de la Commission sur ce point est erroné et justifie, en soi, une intervention de cette Cour puisqu’il s’agit d’une erreur de droit.

[. . .]

La preuve doit démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité. En l’espèce, la Commission ne s’est pas penchée sur cette question. Elle n’établit pas quels crimes le demandeur aurait commis; elle se contente d’y faire référence en termes généraux. Elle s’en est tenue à conclure que la torture est fréquemment utilisée par l’armée péruvienne, de même que les exactions contre la population civile dans les zones occupées par les rebelles du Tupac Amaru et du Sentier Lumineux. Vu qu’elle dit ne pas considérer crédible le témoignage du demandeur, la Commission conclut que, du fait de son appartenance à l’armée du Pérou, il est responsable de tels crimes. À mon avis, ces motifs ne suffisent pas à établir que des actes de la nature de crimes contre l’humanité ont été commis par le demandeur en l’espèce.

[30]À mon avis, le jugement La Hoz s’applique directement au cas qui nous occupe. Le ministre ne peut s’acquitter de son fardeau de la preuve par des inférences, surtout si elles ne sont pas raisonnables.

[31]Dans l’affaire Petrov [au paragraphe 59], la Commission avait conclu que le demandeur était au courant des tortures commises par son unité parce qu’il avait admis avoir livré des criminels à d’autres soldats et  avait  reconnu  avoir  entendu   [traduction]   des « prisonniers se faire battre ou torturer ». À mon avis, dans cette affaire, la Commission a agi de façon raisonnable en tirant une inférence au sujet de la connaissance du demandeur sur le fondement d’une conclusion de fait. En l’espèce, il n’y a pas de faits analogues desquels on pourrait inférer que le demandeur était au courant des atrocités commises par les forces armées. Dans ces conditions, il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure que le ministre s’était acquitté de son fardeau. La conclusion de la Commission ne reposait pas sur la preuve et elle ne peut donc être confirmée.

[32]La présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie sur les deux questions. Comme j’ai conclu que la décision de la Commission sur la seconde question ne peut être confirmée, force m’est de conclure que la première question n’est pas déterminante sur l’issue de l’affaire et, en conséquence, que la première question dont la certification est proposée ne devrait pas être certifiée. La seconde question dont la certification est proposée ne sera pas certifiée car elle ne répond à aucun des critères en matière de certification.

JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à une autre formation de la Commission pour qu’elle procède à une nouvelle audience en conformité avec les motifs qui précèdent.

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